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Former à l’égalité : défi pour une mixité véritable

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Academic year: 2022

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Former à l'égalité : défi pour une mixité véritable

LÉCHENET, Annie, BAURENS, Mireille, COLLET, Isabelle

LÉCHENET, Annie, BAURENS, Mireille, COLLET, Isabelle. Former à l'égalité : défi pour une mixité véritable. In: A. Lechenet, M. Baurens & I. Collet. Former à l'égalité : défi pour une mixité véritable. Paris : L'Harmattan, 2016.

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:88113

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Former à l’égalité, défi pour une mixité véritable

Annie Léchenet, Mireille Baurens, Isabelle Collet 1. Un chemin inachevé vers l’égalité

En France comme en Europe, la mise en œuvre de la mixité à l’école, si elle a vu se réaliser une bonne réussite scolaire des filles, n’a cependant pas réduit les inégalités sociales, notamment les inégalités professionnelles, entre les femmes et les hommes. Même les jeunes femmes, qui sortent plus diplômées du système scolaire, sont à 25,9% au chômage, soit 3,1 points de plus que les jeunes hommes. Les femmes sont cantonnées dans peu de secteurs professionnels, moins qualifiés et moins rémunérés (Amossé, 2004).

Plus largement, la restriction des choix de conduite et de vie en fonction des modèles masculins et féminins de construction de soi continue de battre en brèche notre souhait d’un choix autonome des individu-e-s – et ces différences de destin sont en fait autant d’inégalités : inégalités de revenus, de temps libre, de considération sociale en défaveur des femmes, de santé, de délinquance, en défaveur des hommes.

Certes, les principaux éléments de la construction de l’identité, notamment sexuée, incombent à la famille (Rouyer, 2007 ; Octobre, 2010), dont c’est d’ailleurs un droit fondamental. Certes les inégalités professionnelles incombent au marché du travail (Pfefferkorn, 2007). Mais alors qu’on lutte depuis des décennies pour l’égalité des chances des enfants issus de milieux populaires à partir de la réussite scolaire, la réussite scolaire des filles ne donne pas lieu pour elles à une meilleure réussite sociale, en matière de conditions d’emploi, de rémunération, de considération.

Que se passe-t-il à l’école pour que les diplômes ne suffisent pas et pour que les filles et les garçons affichent des stratégies de choix d’études, de carrières et de vie très différenciées, et cela dès leur plus jeune âge ? Que se passe-t-il à l’école pour qu’aujourd’hui encore, des jeunes filles de 15 ans, dans une

« stratégie sous contrainte » renoncent à certains métiers en anticipant les incompatibilités entre vie publique et responsabilités familiales contrairement à leurs pairs (Duru-Bellat, 1995 ; Baudelot & Establet, 2007), pour que les garçons des milieux populaires ne trouvent « pour sauver la

“face” et leur honneur viril, d’autres solutions que de décrocher du travail scolaire » (Mosconi, 2008, p. 45), ou, pour les garçons des milieux privilégiés et des classes moyennes, celle de « manifester une arrogante revendication de suprématie masculine » (Neveu, 2012, p. 130) ?

La bonne volonté des enseignant-e-s et des personnels de l’éducation n’est pas en cause. Ils et elles sont si convaincu-e-s des valeurs républicaines d’égalité et de laïcité et désireux de pratiquer cette égalité, qu’ils/elles affirment quasiment tous/tes ne pas s’apercevoir du fait qu’ils/elles s’adressent à des garçons et à des filles dans leur classe (enquête Egaligone, 2012). Or de très nombreux travaux ont mis en évidence que « sans s’en

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rendre compte, enseignants et enseignantes adoptent avec les élèves des comportements différents selon le sexe », et ont des attentes stéréotypées quant aux comportements des deux sexes (Chaponnière, 2006, p. 130 ; Duru- Bellat, 1990). On pourrait comme Nicole Mosconi (1989), interroger la tradition française de penser dans les termes d’un masculin censé être universel, mais dont l’effet réel serait l’invisibilisation et même la négation du féminin. Marie Duru-Bellat (2009, p. 53) affirme qu’une mixité insuffisamment réfléchie par l’institution scolaire « tend à brider le développement intellectuel et personnel des élèves », aboutissant à ce qu’elle nomme un « sexisme par abstention ». La question d’une mise en œuvre consciente et éclairée de la mixité par les enseignant-e-s apparaît donc centrale, et dès 1996 Claude Zaidman établit que si l’école n’est pas la plus sexiste des institutions de notre société, il lui revient cependant le redoutable rôle de valider ou d’invalider, par l’autorité du maître ou de la maîtresse, les représentations des rôles de sexe et les stéréotypes que les enfants rencontrent dans le reste de leur éducation.

Toutes ces recherches auxquelles nous nous référons montrent ainsi qu’il ne suffit pas d’être convaincu–e d’un principe d’égalité entre les sexes pour produire l’égalité des futur-e-s femmes et hommes par sa pratique d’enseignant. Au contraire, il est indispensable de prendre en compte le concept de « genre », construction sociale d’un masculin et d’un féminin toujours hiérarchisés (Bereni et al., 2012, p. 7), et souvent très stéréotypés, pour veiller à en contrer les effets néfastes sur l’égalité des femmes et des hommes, des filles et des garçons et sur leur développement intellectuel et personnel. C’est pourquoi les formations des personnels de l’Éducation nationale qui visent à leur permettre de faire en sorte que notre système éducatif mixte s’approche d’une plus grande égalité doivent inclure une formation à la connaissance des systèmes de genre, pour les prendre en compte et les déconstruire – c’est là une question majeure.

2. Pour l’égalité : formons les enseignant-e-s 2.1. En France

À la suite de la loi de 1983 d’Yvette Roudy sur l’égalité professionnelle, une première Convention entre le ministère de l’Éducation nationale et le ministère des Droits des femmes est signée en 1984 pour inciter les filles à s’engager dans des professions scientifiques. Par la suite, la loi du 10 juillet 1989 stipule que les écoles, collèges, lycées et établissements d’enseignement supérieur doivent contribuer à favoriser l’égalité entre les femmes et les hommes, notamment par la formation des enseignant-e-s.

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Une nouvelle Convention interministérielle est signée en 20001, puis reconduite en 2006, et en 2012. Il s'agit de « se mobiliser et mobiliser les élèves contre les stéréotypes et les discriminations de tout ordre pour promouvoir l'égalité entre les filles et les garçons, les femmes et les hommes ». Suite au grand chantier de la refondation de l’école de la république, la loi du 8 juillet 2013 d'orientation et de programmation déclare de nouveau : « Les Écoles supérieures du professorat et de l'éducation […]

organisent des formations de sensibilisation à l'égalité entre les femmes et les hommes. » Art. L. 721-2. Dans les faits, aujourd’hui encore, bien peu d’ESPÉ (Écoles Supérieures du Professorat et de l’Éducation) proposent une réelle formation sur la question.

Faute de textes contraignants, les 32 ESPÉ proposent des prestations très inégales, souvent insuffisantes, faute de moyens, de temps, de personnes ressources, ou de volonté institutionnelle. En dernière analyse, on peut estimer que tous les enseignant-e-s seront informé-e-s, mais rarement formé-e-s.

De plus, ces formations existent souvent grâce à l’engagement personnel d’individus ou d’équipes : leur enseignement est donc perçu comme militant (comprendre : peu objectif et accessoire), alors que ces personnes ne font que respecter les textes de loi, et que leur engagement n’enlève rien à la rigueur scientifique et professionnelle de leur enseignement.

On est très loin de la revendication posée par l’Association de recherche sur le genre en éducation et formation2 (ARGEF) au moment du grand projet de refondation de l’école de la république de 2013 : une formation obligatoire et évaluée aux questions d’égalité, dispensée en formation initiale pour tous-tes les enseignant-e-s du primaire et du secondaire, associée à une offre de formation continue en présentiel. Actuellement, la plateforme M@gister de l’Éducation nationale propose une formation à distance de 3 heures dans le cadre de la formation continue, mesure tout à fait insuffisante pour prendre conscience de la persistance des inégalités et peu adaptée à la mise en œuvre concrète de nouvelles pratiques pédagogiques dans la classe.

Enfin, la question de l’égalité entre les sexes n’étant toujours pas entrée dans les programmes scolaires… en toute logique, elle reste aussi absente de la plupart des moyens d’enseignement.

2.2. À Genève

La Conférence des directeurs de l’Instruction publique suisse (une association faîtière qui réunit les 26 conseillers et conseillères d'État responsables de l'éducation dans chaque canton) recommande en 1993 et souhaite que les cantons mettent en place une obligation de former les

1 http://www.education.gouv.fr/bo/2000/10/orga.htm

2 www.argef.org

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enseignant-e-s à l’égalité des sexes et les « amener à reconnaître tout ce qui peut être préjudiciable à ce principe et à y remédier. ». En 2007, le Bureau de l’Égalité du canton de Genève ainsi que la Commission égalité de l’enseignement post-obligatoire (c’est-à-dire le lycée) a demandé l’introduction d’un enseignement « genre » dans le curriculum de formation de la formation des enseignant-e-s, au moment de la création du nouvel Institut de formation des enseignants. Depuis 2010, Genève est le seul canton dans lequel tous-tes les enseignant-e-s du primaire et du secondaire sont formé-e-s aux questions de genre en éducation de manière obligatoire et évaluée. Malheureusement comme en France, les programmes scolaires du primaire comme du secondaire, tels qu’ils sont décrits dans le Plan d’étude romand, n’intègrent pas explicitement cette dimension.

3. Un recueil pour une mise en réflexion et en débat

Ainsi, malgré des lois et décrets parfaitement clairs et souvent précis, la mise en œuvre d’une formation des enseignant-e-s à l’égalité filles-garçons demeure lacunaire, liée à la présence de formateurs et de formatrices expérimenté-e-s, d’équipes motivées. Mais ces formations existent et elles doivent être portées à la connaissance des différents acteurs et actrices, au premier rang desquels les personnes chargées de la formation initiale et continue des personnels et spécialement des enseignant-e-s, pour qu’une mise en réflexion et en débat puisse s’effectuer.

Nos savoirs et savoir-faire en matière de formation des enseignant-e-s sont un point d’appui précieux et incontournable. Après les premiers éléments d’analyse de la formation des enseignants qui forment une partie de l’ouvrage que Marie Estripeaut-Bourjac et Nicolas Sembel consacrent aux Femmes, travail, métiers de l’enseignement (2014, p. 297-371), il nous semble important de recueillir de la manière la plus spécifique possible et de capitaliser les éléments de formation qui existent ou ont existé pour constituer un matériau d’information et d’analyse réflexive, ce qui permet d’impulser et d’appuyer la construction et la diffusion de ces formations.

Ce recueil ne vise pas à proposer des outils à l’usage des enseignant-e-s. De tels outils, le plus souvent directement utilisables dans des classes, sont édités depuis plusieurs années, en France par le réseau Canopé (Babillot &

Houadec, 2015), ou par le ministère de l’Éducation nationale3, en Belgique4, en Suisse romande5. Certaines des contributions rassemblées ici comportent des propositions réflexives et réalisables par les enseignant-e-s, mais c’est bien de formation, initiale et continue, des professeur-e-s, qu’elles traitent.

Construites à partir d’expériences de formation menées avec des outils déjà

3 www.reseau-canope.fr/outils-egalite-filles-garcons.html, eduscol.education.fr/cid46856/

egalite-filles-garcons.html

4 http://www.egalite.cfwb.be

5 http://www.egalite.ch/

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existants, ou des outils nouveaux, créés et expérimentés dans des contextes d’enseignement, ou encore d’une réflexion sur une pratique, elles proposent des éléments à la réflexion collective. Car, comme l’écrit Nathalie Sayac dans ce recueil, « il faut agir profondément, au cœur des pratiques enseignantes et de leur fondement pour espérer avoir un impact significatif. »

Pour des raisons de cohérence sociale, culturelle et politique, ce recueil regroupe des expériences de formation réalisées dans les espaces francophones européens, dans lesquels certains acquis en matière de formation des enseignant-e-s à l’égalité filles garçons sont en partie consolidés.

La réflexion proposée ici s’organise en cinq temps :

On proposera d’abord des éléments pour une réflexion sur la nécessité et les finalités de la formation des enseignant-e-s à l’égalité par la prise en compte du genre. En réponse aux débats politiques et sociaux sur le rôle de l’école dans la mise en œuvre de l’égalité entre les sexes, Annie Léchenet montre que « les pratiques professionnelles soucieuses d’égalité filles – garçons sont indispensables pour construire avec les élèves la liberté, l’égalité et la citoyenneté. » Fondant ses pratiques de formation sur ses recherches en psychologie sociale, Christine Morin-Messabel démontre l’importance cruciale des stéréotypes sexués et différentes manières possibles de travailler à les déconstruire. Céline Petrovic analyse précisément son expérience de formatrice et présente trois questions centrales et liées entre elles d’un enseignement sur le genre à destination des professions éducatives, « celle des contenus d’enseignement, celle des résistances liées aux questionnements personnels induits et des réponses thématiques qu’on peut y apporter, et celle de la pédagogie et du dispositif global des formations. » On montrera ensuite que ces formations peuvent concerner toutes les disciplines enseignées jusqu’au second degré. Les contributions présentées ici n’en constituent pas une liste exhaustive, mais en quelque sorte un échantillon.

Les disciplines dites « scientifiques » sont éminemment concernées par les questions d’orientation, mais aussi de lutte contre les stéréotypes. C’est ainsi que Nathalie Sayac analyse les pratiques des enseignant-e-s en classe de mathématiques, « d’une part pour mieux comprendre l’activité des élèves et d’autre part pour appréhender la dimension métier » de ce qui se joue dans la classe. Laura Weiss incite les professeur-e-s de sciences physiques en formation à réfléchir à « la faible motivation et au rôle de l’estime de soi, plus faibles chez les femmes, dans la motivation des élèves », et présente pour ce faire les résultats d’une enquête empirique sur la motivation d’élèves de 14-16 ans et d’enseignant-e-s de physique. Christine Laffay montre comment dans l’enseignement des SVT des démarches didactiques commandées par la rigueur scientifique permettent de lutter contre les

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erreurs spontanées des élèves, empreintes de stéréotypes liés au genre, dans le respect et l’élaboration des diversités culturelles.

Certaines disciplines comportent des enjeux éducatifs particulièrement prégnants. C’est le cas de l’Éducation Physique et Sportive, pour laquelle Sigolène Couchot-Schiex analyse comment « avancées, résistances et obstacles jalonnent le chemin collectif de l’accès à l’égalité de fait pour toutes les filles et tous les garçons » dans leurs pratiques et représentations corporelles, et propose des éléments de formation incitant les professeur-e-s d’EPS à « repenser l’enseignement, de la programmation à l’évaluation ».

L'éducation à l'image, au cinéma, à l'audiovisuel n’est quant à elle pas constituée en discipline séparée, mais chaque enseignant-e doit pouvoir décrypter combien les stéréotypes de sexe imprègnent les images dans lesquelles nous vivons, et Fanny Lignon montre comment ils/elles peuvent mettre en œuvre avec leurs élèves un tel décryptage, et des activités de remédiation, à partir de la production d’images autres.

Dans les disciplines dites « littéraires », de nombreuses études étant consacrées aux représentations du masculin et du féminin, principalement dans la littérature de jeunesse, quelques formateurs et formatrices indiquent des voies de formation. Vincent Massart-Luc, Cécile Perret et Isabelle Guillemard construisent « l’investissement d’œuvres cinématographiques grand public comme supports didactiques dans les cours de français, afin d’expérimenter et de valider de nouveaux outils permettant à des adolescents-e-s de construire un discours critique et informé sur le genre. » Mireille Baurens montre comment les classes de langues cultures, spécifiquement centrées sur la découverte de la pluralité par la nature même de leurs contenus et par les mises en œuvre pédagogiques qui leur sont propres, « bousculent et décentrent notre façon de penser le genre et d’agir- genre en didactique ». Geneviève Guilpain montre aux professeur-e-s de philosophie comment déconstruire l’androcentrisme du discours philosophique, redécouvrir des textes porteurs de problématiques féministes, réhabiliter des auteures femmes et donner une dimension genrée aux problématiques philosophiques. Nicole Lucas montre comment sensibiliser les élèves à une analyse de la place des femmes dans les médias pour en faire des citoyen-ne-es critiques. À travers notamment la présentation de quelques mémoires d’étudiant-e-s stagiaires, Vincent Porhel rappelle qu’il ne s’agit pas seulement de faire une place aux femmes dans l’histoire enseignée, mais de donner une dimension genrée aux phénomènes historiques. Anne Sgard et Muriel Monnard mettent en évidence que lorsqu’on étudie avec des futur-e-s professeur-e-s de géographie les usages genrés de l’espace scolaire par les élèves, on en vient à « regarder ses élèves différemment, questionner son propre comportement, relire ses cours pour démasquer des travers qui auraient échappé à ses modes d’évaluation… », bref « éveiller la curiosité, la vigilance, se méfier des évidences. »

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Une troisième partie explore différents aspects de la formation tout au long de la vie des enseignant-e-s : il est en effet essentiel de former les professeur-e-s en exercice, malgré la faiblesse générale des possibilités offertes. Geneviève Guilpain réussit à sensibiliser avec efficacité des professeur-e-s d’école ne disposant que de séances de trois heures de formation – pour elle il s’agit de « susciter le désir de continuer à travailler ces questions de façon autonome ou collective, mais en tout cas sans accompagnement institutionnel ». Après un rappel de l’expérience de formation continue de l’équipe Genre & Éducation de l’ESPÉ Midi- Pyrénées, Virginie Houadec présente des éléments de bilan du volet formation des ABCD de l’égalité, qui « ouvrent une nouvelle vision de la formation à l’égalité filles/garçons ». Dans le second degré les dispositifs de formation continue peuvent concerner des équipes d’établissement : Isabelle Bourdier analyse la mise en œuvre d’une action incluant de la formation des enseignant-e- s et des actions en direction des élèves dans un collège où l’inégalité filles-garçons est un des facteurs des difficultés scolaires.

On présente dans une quatrième partie différentes ressources et activités pouvant être présentées aux enseignant-e-s en formation. C’est ainsi qu’Elise Brunel et Sylvie Cromer analysent les « usages scolaires d’une exposition destinée aux enfants de 3 à 6 ans », explorant comment on peut « suspendre le genre pour construire un espace de socialisation à l’égalité des sexes. » S’appuyant sur l’étude qu’elle a réalisée pour le Centre Hubertine Auclert, Amandine Berton-Schmidt montre comment « aiguiser le regard et l’esprit critique des utilisateurs-trices des manuels scolaires [de sorte à faire de ceux- ci] de véritables outils de l’égalité filles-garçons ». Dominique Gauthiez- Rieucau analyse l’expérience d’ateliers d’écriture thématique sur la mixité et la construction du genre et l’évalue dans ses vertus formatives en termes de construction identitaire et de gestes professionnels.

Une cinquième partie propose des éléments de réflexion sur des attitudes éducatives qui traversent toutes les disciplines et tous les dispositifs de formation. Gaël Pasquier, « se mett[ant] du côté des maîtresses et des maîtres pour mieux appréhender ce qui se passe lorsque figure dans leurs intentions la volonté d'assurer une égalité entre les filles et les garçons sur le plan de la prise et de l'attribution de la parole », met en évidence les modifications induites par ces rééquilibrages sur le travail tant des enseignant-e-s que des élèves. À partir de l’analyse d’un incident survenu dans un collège tranquille, Isabelle Collet « montre [aux jeunes enseignant-es en formation] à quel point la violence de genre est fréquente dans les établissements scolaires, mais tout aussi fréquemment niée » et réfléchit avec elles et eux à la construction de réponses véritables à ces violences de genre. Caroline Dayer, analysant dans leur contexte différentes formations, indique « comment (ré)agir face aux violences homophobes et

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transphobes en contexte scolaire » et indique des « leviers pour les enrayer et des moyens pour les prévenir. »

4. Contributions et débats

Que la formation des enseignant-e-s à l’égalité filles-garçons ne se constitue pas en dogme et que la réflexion à ce sujet soit vivante, est attesté par la diversité des contributions présentées ici, dont chaque auteur-e assume la responsabilité.

Si, comme le disent Isabelle Collet & Caroline Dayer (2014), « les différentes facettes du genre dans la formation sont étroitement interdépendantes : entre objet d’enseignement, enjeu éducatif, dimension de la construction des identités des élèves et des identités professionnelles », les démarches par lesquelles on aborde cette formation sont diverses : certaines sont attentives à « délivrer les fondamentaux » (Petrovic) ; d’autres se situent dans la construction d’une démarche de « praticien-ne réflexif » : pour « agir au cœur des pratiques enseignantes » et « devenir des praticien-ne-s concepteurs de leur enseignement et garants des apprentissages de leurs élèves » (Sayac), dans « une approche qui se veut pragmatique » (Porhel),

« centrée sur les contenus de formation et leur analyse » notamment didactique (Porhel, Massart), allant parfois jusqu’à intégrer l’approche genrée à l’enseignement et à la programmation (Couchot-Schiex, Guilpain en philosophie). Il s’agit souvent de repérer, « mettre en évidence les déviances dans les manuels » (Porhel), d’« outiller pour questionner et dégager des pistes de travail » (Berton-Schmidt), voire pour « décrypter » des violences et aider à construire des « leviers pédagogiques » (Collet, Dayer). Plusieur-e-s auteur-e-s insistent plutôt sur la dimension de sensibilisation (Monnier & Sgard) et d’implication pédagogique des enseignant-e-s formé-e-s (Guilpain en formation continue). Mais sensibilisation et réflexion sur les contenus peuvent se relier - ainsi Monnier

& Sgard écrivent-elles : « Le pari est que cette sensibilisation nourrit une réflexion plus proprement didactique sur la manière d’introduire le genre dans les contenus d’enseignement. »

Dans son caractère vivant et inachevé, la réflexion présentée ici offre sur certains points de réelles divergences.

En ce qui concerne les démarches formatives, certain-e-s des auteur-e-s estiment que cette formation comporte inévitablement une dimension d’implication, voire de remaniement de l’identité personnelle. Pour Céline Petrovic, « mettre en évidence et questionner les normes de genre ne se limite pas à une démarche intellectuelle et invite à un questionnement personnel, qui peut s’avérer déstabilisant ». Ainsi, « dans la mesure où « ces thèmes amènent fréquemment à mettre en évidence et à interroger les représentations personnelles et intimes sur les femmes et les hommes, leurs rôles, leurs qualités, les rapports entre différences et inégalités » et créent des

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résistances, il faut pour elle « favoriser l’émergence des représentations et les mettre en regard avec les savoirs sur les normes de genre ». Pour Dominique Gauthiez-Rieucau, cela va jusqu’à la « conscientisation par le-la futur-e enseignant-e, de la construction de sa propre identité (sexuelle et) sexuée », qui est nécessaire « pour questionner son identité professionnelle ». Geneviève Guilpain, si elle ne nie pas l’impact de ces formations sur les représentations personnelles, choisit de ne pas travailler ces thématiques : « les dispositifs qui permettent de le faire prennent du temps, car ils suscitent des débats et obligent chacun-e à s’exposer.

Lorsqu’on utilise ces outils, il est alors indispensable de prendre le soin de travailler ce que l’on a commencé à déconstruire, ce qui à mes yeux excède la durée impartie. C’est la raison pour laquelle je me limite délibérément à travailler l’identité professionnelle. »

D’autres auteur-e-s refusent cette dimension de travail sur l’identité personnelle, proposent de « la mettre à distance » (Houadec), mais estiment que le travail sur des contenus didactiques et/ou des démarches pédagogiques participe à la construction de l’identité professionnelle, dont la construction doit dès lors être accompagnée, par exemple au sujet de « la question de l’autorité masculine/féminine dans la relation pédagogique » (Sgard). Gaël Pasquier parle d’un « travail sur soi » en termes d’identité professionnelle : « les tentatives de réponse en actes aux recherches scientifiques sont donc mises à l'épreuve de la réalité dans laquelle elles s'inscrivent et concernent tout autant les maîtresses et les maîtres que les enfants à qui elles-ils proposent ouvertement ou à leur insu, pour leur faire vivre au quotidien, l'expérience d'une forme d’égalité. » Pour Christine Laffay, « c’est le rôle de la formation que de permettre aux enseignant-e-s de s’interroger sur leurs pratiques et de se créer une culture commune au regard de l’enseignement moral et civique » et de « permet[tre] en outre à chaque enseignant-e de construire un positionnement plus rassurant pour lui-même au regard de ces questionnements de société. » Isabelle Bourdier parle d’une

« une réelle prise de conscience et [d’] une transformation des pratiques professionnelles. »

Enfin, sur la question de savoir comment travailler à la déconstruction des stéréotypes liés au genre, aussi bien avec les professeur-e-s en formation qu’avec les élèves – question centrale de nos formations - les analyses divergent aussi. Si tous et toutes s’interrogent sur leurs effets, certain-e-s mettent l’accent sur leur repérage (Collet ; Dayer), leur analyse, leur critique, notamment dans les manuels (Porhel ; Berton-Schmidt), d’autres sur l’élaboration d’autres images (Lignon ; Massart, Perret & Guillemard), d’autres encore sur leur contournement (Brunel & Cromer ; Weiss ; Couchot-Schiex ; Léchenet), y compris par la rigueur de la démarche scientifique (Laffay). Sur cette question si importante, on lira l’article fondamental de Christine Morin-Messabel.

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Bibliographie

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