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ous assistons actuellement à un changement de paradigmes de société d’une envergure et d’une rapidité impressionnantes. Il est encore impossible d’imaginer ce que ces changements vont avoir comme influence sur l’individu, son rapport à l’autre et son entourage, sa manière de communiquer et de s’impliquer dans la société mais aussi sur la relation future entre médecin et patient.
Si la maladie a été longtemps considérée comme une punition de Dieu, elle est aujourd’hui attribuée à un manque de performance : le malade (ou son médecin) a été insuffisant, n’a pas su entretenir son «capital santé», a omis de se faire du bien et négligé la prise en charge efficiente de sa mala
die. La structure même de la person
nalité semble aussi évoluer à travers une confusion régnant entre intimité ou vie privée et «extimité»1 ou vie publique. En effet, les moyens de com
munication modernes, désormais utilisés de manière quasi permanente et banalisée, fournissent des informations publiques (souvent sans discer
nement) sur notre vie privée ou professionnelle, nos déplacements et nos secrets. Notre société prône la responsabilité individuelle, la performan ce et la prise d’initiatives en toutes circonstances ; les ambivalences et la subjectivité semblent obsolètes. Cela n’est pas sans conséquences : les personnes plus vulnérables ont de la peine à recevoir soutien, accompa
gnement et compréhension ou simplement le temps nécessaire. Dans le domaine médical, l’explosion des connaissances et des moyens technolo
giques, tant diagnostiques que de communication, transforme continuel le
ment le travail et le rôle du médecin de famille.
Dans ce paysage de changement perpétuel, nous ne pouvons que nous interroger sur l’avenir de la médecine de famille et nous devons réfléchir aux pions à avancer pour qu’elle puisse garder ses valeurs essentielles et jouer son rôle central dans notre système de santé. Mais comme le dit si bien Cathy MacLean dans son éditorial :2 «Il est bien plus agréable de penser à l’avenir de la médecine familiale que de se demander si elle en aura un. Je pense que nous avons franchi ce cap depuis longtemps, grâce à Barbara Starfield et à d’autres, qui ont clairement démontré les bienfaits des soins primaires et des médecins de famille»
Notre avenir se joue certainement à différents endroits et les cinq ins
tituts de médecine de famille suisses se mettent ensemble pour le dé
fendre. Ainsi, un mouvement politique avec une forte représentation de praticiens soutient l’initiative pour une médecine de famille, qui cherche à revaloriser sa position autant sur le plan moral qu’économique et se bat parallèlement pour éviter que notre formation soit raccourcie et dévalori
sée. Par ailleurs, la formation, tant pré que postgraduée et continue, reste une de nos priorités, et là aussi les cinq instituts collaborent et cherchent à en renforcer la cohérence. Nous réfléchissons à une recherche commune en médecine de famille en Suisse dans le but de pouvoir donner aux pra
ticiens des réponses scientifiques pertinentes, issues directement de la recherche sur le terrain et nous participons à une étude internationale sur
La société , le patient, le médecin de famille et… demain
«… la maladie est
aujourd’hui attribuée à un manque de performance …»
éditorial
Revue Médicale Suisse – www.revmed.ch – 16 mai 2012 1035
et des docteurs
Johanna Maria Sommer
Responsable
Dagmar M. Haller
Responsable recherche
Unité de recherche et d’enseignement de médecine de premier recours (UREMPR), CMU, Genève
Thomas Bischoff
Directeur du docteur
Lilli Herzig
Responsable recherche Institut universitaire de médecine générale (IUMG), PMU, Lausanne Articles publiés
sous la direction du professeur Editorial
T. Bischoff L. Herzig J. M. Sommer D. M. Haller
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le monitoring de qualité en soins primaires.
Mais nous nous intéressons aussi aux changements intérieurs de l’indi
vidu, bombardé quotidiennement d’informations multiples dont la prove nance n’est pas forcément identifiée ni fiable. Si nous ne savons pas ce que sera la relation interindividuelle de demain, nous sommes plus que jamais persuadés que le futur patient aura toujours besoin d’un futur médecin huma
niste, pour traduire échelles ou scores, faire une synthèse des informations trop abondan
tes, transformer l’évidence scientifi que en un vécu possible, laisser tomber le paraître pour atteindre l’être et explorer les ambivalences, les contradictions et les émo
tions profondes qui font partie intégrante de l’humain.
Par ailleurs, pour faire face aux changements révolutionnaires de la mé
decine de demain, le médecin doit pouvoir s’appuyer sur de nouvelles structures, que nous développons entre autres dans ce numéro ; la colla
boration interprofessionnelle avec les pharmaciens pour mieux prescrire, celle avec des infirmières spécialisées pour coordonner l’itinéraire clini que après une hospitalisation ou encore s’appuyer sur un réseau social pour accompagner les patients précaires et éviter qu’ils ne soient privés d’accès aux soins.
En guise de conclusion, citons Richard Smith, rédacteur en chef du British Medical Journal : «The point is not to predict the future but to prepare for it and to shape it».
1036 Revue Médicale Suisse – www.revmed.ch – 16 mai 2012
«… transformer l’évidence scientifique en un vécu possible …»
Revue Médicale Suisse – www.revmed.ch – 16 mai 2012 0
Bibliographie
1 Tisseron S. L’intimité surexposée. Paris : Ram
say, 2001.
2 MacLean C. Prédire l’avenir. Can Fam Phy
sician 2010;56:394.
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