• Aucun résultat trouvé

Le temps du polar

N/A
N/A
Protected

Academic year: 2022

Partager "Le temps du polar"

Copied!
31
0
0

Texte intégral

(1)

Article

Reference

Le temps du polar

PLAZAOLA GIGER, Miren Itziar, BRONCKART, Jean-Paul

PLAZAOLA GIGER, Miren Itziar, BRONCKART, Jean-Paul. Le temps du polar. Langue Française, 1993, no. 97, p. 14-42

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:37334

Disclaimer: layout of this document may differ from the published version.

(2)

Itziar Plazaola Giger M. Jean-Paul Bronckart

Le temps du polar

In: Langue française. N°97, 1993. pp. 14-42.

Citer ce document / Cite this document :

Plazaola Giger Itziar, Bronckart Jean-Paul. Le temps du polar. In: Langue française. N°97, 1993. pp. 14-42.

doi : 10.3406/lfr.1993.5824

http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/lfr_0023-8368_1993_num_97_1_5824

(3)

Itziar PLAZAOLA GlGER et Jean-Paul BRONCKART Université de Genève

LE TEMPS DU POLAR

Quelles sont les règles qui président, en français, à l'emploi des temps dans la narration ? Revivifiée par les propositions de Benveniste (1959) et de Weinrich (1964/1973), cette vieille question a été longuement débattue au cours de la dernière décennie, la contestation des thèses fondatrices ayant suscité de nouvelles hypothès es interprétatives (voir notamment Labov, 1972 ; Hopper, 1979 ; Kamp & Rohrer, 1983), elles-mêmes contestées pour leur trop grand degré de généralité. L'objectif de la présente étude est de reprendre cette question, en nous centrant sur un sous-ensemble d'œuvres romanesques dont nous pensions (naïvement sans doute) qu'elles se caractériseraient par une simplicité et une transparence relatives de leurs modes de structuration : les romans policiers contemporains. La grande diversité des structurations temporelles observées dans notre corpus de départ nous a conduits à limiter notre étude à cinq romans dont les temps de base des segments narratifs (par opposition au discours rapporté) sont le passé simple et l'imparfait.

Ont donc été exclus de cette analyse les textes rédigés au seul présent ou combinant l'emploi du passé simple, du passé composé et/ou du présent. L'étude d'un tel corpus restreint ne permet donc nullement de formuler une théorie générale des modes de structuration temporelle des polars ; elle vise plus modestement à identifier certaines des stratégies à l'œuvre dans les narrations au passé simple/imparfait.

1. La structuration temporelle de la narration

Selon la tradition inaugurée par la Poétique d'Aristote, l'élaboration de la narration relève des processus de mimesis (cf. Ricoeur, 1983) et se caractérise par la construction d'un « monde fictif » : le narrateur présente les événements « comme si » ils s'étaient réellement produits. Dans le commentaire qu'en fournit Hamburger (1977/1986), cette proposition fait cependant l'objet d'une réinterprétation impor tante : l'enjeu de la narration est d'abord de créer un monde plausible (c'est une structure en Comme plutôt qu'en Comme Si) et notamment de mettre en mouve ment des personnages suffisamment semblables aux personnes du « monde réel » pour que le lecteur les reconnaisse (et surtout — ajouterait Ricceur — pour qu'il s'y reconnaisse) : la narration est le seul lieu où les personnages agissent, pensent et parlent « comme dans la vie » et où la subjectivité d'une tierce personne peut être présentée comme telle et non seulement comme objet. Dans cette option, à laquelle

(4)

nous adhérons * et dont nous tirerons quelques conséquences méthodologiques (cf.

3.3. 2., infra), la fiction n'est dès lors qu'une conséquence secondaire de la volonté de « semblance ». Semblant et/ou fictif, le monde invoqué par la narration est cependant toujours non situé par rapport aux paramètres matériels de l'acte d'énonciation (tels qu'ils sont définis par Bronckart, dans ce numéro). Il s'ensuit donc que la structuration temporelle de la narration ne peut avoir trait à la mise en relation déictique du moment d'un (ou de plusieurs) des procès narrés avec celui de l'acte d'énonciation, mais qu'elle relève nécessairement de procédés internes de mise en contraste (ou en opposition) des divers états et événements évoqués. Si cette valeur fondamentalement discursive des temps des verbes des œuvres narratives n'est plus guère discutée, des divergences subsistent quant au statut même de ces procédés (sur quelles bases sont constituées les classes de procès mises en contraste ?) et quant à leur champ d'application : s'agit-il d'un contraste global (affectant l'ensemble de la narration) ou de procédés d'opposition de procès à caractère plus local ?

Un premier ensemble d'hypothèses interprétatives met l'accent sur la mise en contraste globale.

Labov (1972 ; voir aussi Labov & Waletsky, 1967) distingue les « phrases narratives », dont la succession ordonnée traduit fidèlement la chronologie des événements (un texte narratif minimal doit comporter au moins une séquence de deux de ces phrases) et les « phrases non narratives », qui ne sont pas soumises à cette contrainte temporelle et qui peuvent en conséquence être déplacées sans nuire fondamentalement à l'intelligibilité de l'histoire. Situées sur l'« axe temporel » (time line), les phrases du premier type constitueraient le « squelette » du texte, alors que celles du second type seraient décalées par rapport à cet axe et fourniraient la « chair » du texte, c'est-à-dire des éléments d'information non ordonnés contribuant à la compréhension ou à l'évaluation des informations fournies sur l'axe temporel. C'est dans le prolongement de cette analyse que Hopper (1979 ; voir aussi Hopper & Thompson, 1982) a établi la distinction entre phrases relevant du foreground (avant-plan) et phrases relevant du background (arrière- plan) : les premières présenteraient les événements dans un ordre « iconique », c'est-à-dire « correspondant à leur succession dans le monde réel » (1979, p. 214), alors que les secondes ne seraient pas insérées dans la séquentialité d'avant-plan mais entreraient en concurrence avec elle. À ce contraste fondé sur la succession a été associée une distinction relative à l'« importance humaine » des procès narrés ; pour Wallace par exemple, seraient présentés à Pavant-plan « les événements les plus importants de la narration, ... les principaux personnages ou entités impliqués dans un épisode », alors que l'anïère-plan inclurait « des événements de moindre importance, ... des descriptions, ... des digressions et des personnages mineurs » (1982, p. 208). Selon Hopper, ce contraste de foregrounding entraînerait en outre une distribution différenciée des types de procès (ou de verbes) : les verbes 1. Nous ne suivrons cependant pas Hamburger dans sa réduction de la fiction narrative aux seuls genres épique et dramatique (récits à la 3* personne), et nous intégrerons dans notre analyse les récits à la V personne.

(5)

dynamiques et ponctuels apparaîtraient plus fréquemment dans les phrases d'avant-plan, alors que les phrases d'arrière-plan comporteraient essentiellement des verbes statifs, duratifs et itératifs. Reprenant l'analyse du système des temps du français proposée par Reid (1976), le même auteur considère que dans cette langue, le passé simple (ci-après PS) constitue la marque morphologique du premier-plan et l'imparfait (ci-après IMP) celle de l'arrière-plan (et qu'en consé quence l'association fréquemment observée du PS avec des procès dynamiques et de Г1МР avec des procès statiques ne constitue qu'une conséquence seconde de la structuration temporelle globale du discours). Il relève en outre que les procès d'avant-plan apparaîtraient exclusivement dans les propositions principales alors que les procès d'arrière-plan se situeraient préférentiellement dans des subordonn ées.

Cette approche est criticable à maints égards et d'abord en ce qu'elle repose sur la double hypothèse de l'objectivité de l'« histoire » (cf. l'évocation du « monde réel » chez Hopper) d'une part, sur celle d'un parallélisme étroit entre la structu ration temporelle de cette histoire et la structuration temporelle de l'« acte narratif»2 d'autre part. L'« histoire » d'un roman relevant non d'un monde objectif mais d'un monde semblant, on ne dispose d'aucun critère permettant d'établir a priori une hiérarchie d'importance humaine des événements narrés. Par ailleurs, dans les analyses de romans français conduites notamment par Fleischman (1985) et Reinhart (1984), les exemples abondent d'événements situés sur l'axe temporel et pourtant rejetés à l'arrière-plan ou d'événements d'importance appa remment secondaire et projetés à l'avant-plan (voir aussi Waugh et Monville-

Burston, 1986). Enfin, l'étude de Thompson (1987) a révélé que, quand bien même les phrases principales constituaient le lieu privilégié d'expression de l'avant-plan et les subordonnées (en particulier relatives) le lieu privilégié d'expression de l'arrière- plan, un sous-ensemble non négligeable de subordonnées (principalement tempor elles et infinitives) relevaient également de l'avant-plan. Comme l'a proposé Reinhart (op. cit.), ces données empiriques conduisent à transférer le procédé de foregrounding du niveau de l'histoire à celui de l'acte narratif ; c'est le narrateur qui décide de mettre en relief certains éléments de la diégèse au détriment d'autres. Et c'est dans une telle approche que se pose à nos yeux la véritable question du foregrounding, qui est celle des contraintes qu'opèrent sur cette décision relevant de l'acte narratif les diverses caractéristiques relevant de la diégèse : la chronologie des événements, leur importance intrinsèque et les types de verbes qui les actualisent.

Même si elles sont apparemment plus « objectives », ces caractéristiques sont elles aussi le produit d'une décision du narrateur, qui choisit d'organiser les procès narrés en une configuration de base déterminée. Comme l'a établi la tradition narratologique depuis Propp (1928/1970), cette configuration de base peut prendre, dans certains genres, la forme conventionnalisée de « schémas » (ORIENTATION - 2. Dans le souci d'éviter (autant que faire se peut) les confusions terminologiques, nous avons désigné de la manière suivante les trois niveaux d'analyse proposés par Genette (1972) :

— « narration » (au lieu de « récit ») pour le niveau des signifiants ;

— « histoire » ou « diégèse » (inchangé) pour le niveau des signifiés ;

— « acte narratif » (au lieu de « narration ») pour le niveau des décisions du narrateur.

(6)

COMPLICATION - ACTION - RÉSOLUTION - CONCLUSION, selon la codification qui en a été proposée par Isenberg, 1970). Ainsi qu'Adam Га suggéré (1976 ; voir aussi 1985a et 1985b) et comme de nombreuses recherches développementales l'ont confirmé (cf. Bonnotte et al. dans ce numéro), une telle organisation en « super structure » exerce une influence manifeste sur la distribution des PS et des IMP, les occurrences du premier temps étant largement dominantes dans les phases d'ACTION et de RÉSOLUTION, les occurrences du second nettement dominantes dans l'ORIENTATION. Dans ce cas de figure, le procédé de foregrounding se traduit donc à la fois au niveau de la configuration des événements relevant de l'histoire et au niveau de la mise en relief (par distribution différenciée des temps) relevant de l'acte narratif.

Dans une autre perspective, inspirée notamment de Partee (1973), divers auteurs ont considéré que la structuration temporelle des récits relevait essentie llement de processus anaphoriques (cf. notamment Kamp & Rohrer, 1983 ; Hinrichs, 1986) : les verbes conjugués au PS introduiraient un point de référence (ou antécédent temporel) par rapport auquel les éléments décrits par les verbes conjugués à Г1МР seraient situés. Cette approche, que nous ne pourrons présenter en détail ici (elle s'articule à un modèle complexe fondé sur la notion de « structures de représentation du discours » - cf. Kamp, 1979, 1981, 1984), a été critiquée par Vet (1991), qui en a proposé une réinterprétation reposant sur la distinction entre

« dispositif » (setting) et changement : un setting serait constitué de séquences d'événements à Г1МР, sur le fond duquel des changements seraient introduits par des verbes transitionnels (ou dynamiques) conjugués au PS.

Par son évocation de settings successifs, l'analyse de Vet s'inscrit en réalité dans une perspective de mise en contraste locale, et les phénomènes qu'il décrit reposent au moins partiellement sur la création d'un « contraste aspectuel » : des procès duratifs et/ou statifs codés à l'IMP constituent un contexte local sur le fond duquel se détachent des procès dynamiques codés au PS.

Deux autres formes de procédés locaux ont encore été mises en évidence.

Depuis l'article de Benveniste (1959), il est admis que, dans certaines configurat ions syntaxiques (et en particulier dans le cadre des mécanismes de subordination), l'emploi d'une forme composée [le plus-que-parfait (ci-après PQP) ou le passé antérieur (ci-après PANT)] signale l'antériorité d'un procès par rapport à un autre conjugué à la forme simple correspondante (respectivement IMP ou PS). Cet établissement d'une relation d'antériorité relative par opposition des formes simples aux formes composées s'inscrit dans le cadre plus large des procédés de

« temporalité relative », qui signalent en outre les relations de simultanéité par l'emploi de certains subordonnants temporels ou les relations de postériorité par l'emploi de formes comme le conditionnel (ci-après COND) ou la combinaison

« aller » + IMP.

Dans une étude portant sur l'emploi du PS, de l'IMP et du passé composé (ci-après PC) dans divers genres de récits français, Waugh (1990) a enfin mis en évidence un procédé local d'utilisation des oppositions de temps (PC/PS ou IMP/PS) pour marquer les différentes parties du récit (parties qui ne peuvent

(7)

toutefois être considérées comme des « phases » des schémas narratifs classiques), en particulier les parties initiales et terminales. Dans la mesure où seules certaines parties sont signalées par ces « ruptures temporelles » (cf. Dolz dans ce même numéro), cette technique de « marquage du plan » relève des procédés locaux, et l'auteur signale par ailleurs que l'évolution diachronique de l'emploi des temps de la narration en français semble se caractériser par l'émergence récente de ces procédés locaux, qui se superposent à un « usage classique » relevant des procédés de contraste global, tels que nous les avons présentés.

La discussion des propositions de Labov nous a conduits à introduire, quasi incidemment, la distinction entre niveau de l'« histoire » et de l'« acte narratif ».

Conformément aux propositions de Genette (1972 ; voir aussi la remarquable critique qu'en a proposée Rimmon, 1976), il convient en réalité de distinguer trois niveaux d'analyse (cf. note 2) : la narration, comme ensemble d'énoncés (ou de signifiants) observables ; l'histoire (ou diégèse) comme organisation du contenu (du sens ou du signifié) narré ; l'acte narratif enfin, comme acte énonciatif constitutif du

« monde fictif» de l'histoire. Comme le démontre Genette, certains aspects de la structuration temporelle de la narration peuvent s'expliquer par les types de relation qui sont posées entre ces différents niveaux.

L'hypothèse implicite qui sous-tend les propositions de Labov ou de Hopper (cf. supra) est que la « temporalité de la narration » coïncide avec la « temporalité de l'histoire » ; mais comme en atteste notamment la fréquence des phénomènes de prolepse ou d'analepse, des décalages divers et plus ou moins importants peuvent être introduits entre ces deux temporalités. Un des objectifs de cette étude sera d'examiner si de telles « hétérochronies » se manifestent dans les romans policiers, et d'analyser le rôle que jouent les temps des verbes dans le marquage de cette non-coïncidence des deux temporalités.

À cette relation de temporalité s'ajoutent entre autres, dans la terminologie de Genette, les relations de « perspective » et de « voix narrative ». La première a trait à nouveau au rapport entre l'histoire et la narration : quel est le personnage (ou tout autre entité relevant de l'histoire) dont le point de vue oriente le récit ? La seconde a trait aux rapports entre l'acte narratif d'une part, l'histoire et la narration d'autre part : quelle est l'« instance narrative » (ou narrateur) d'où émane la construction de l'une et de l'autre ? Bien que, comme la plupart des auteurs anglo-saxons, ils aient amalgamés ces deux concepts sous les termes respectifs de « point de vue » et de « perspective », Fleischman (1991) et Vet (1991) ont notamment montré que la distribution des PS et des IMP pouvait s'expliquer, dans certains cas, par des changements de « narrateur » et/ou d'« orientation », et que ces changements surdéterminaient en quelque sorte la distribution des procès dans l'avant-plan ou dans l'arrière-plan.

La relation de perspective est intimement liée, chez Genette, à celle de

« distance », c'est-à-dire aux modalités sous lesquelles les éléments de l'histoire sont re-configurés dans le récit ; cette relation oppose le « récit d'événement » (ou récit proprement dit) au « récit de parole » (ou discours rapporté) sous ses trois formes de discours direct, discours indirect, et style indirect libre. Conformément aux

(8)

thèses de Hamburger, ces discours rapportés sont, au même titre que le récit proprement dit, des éléments constitutifs de la fonction narrative, et dès lors qu'y apparaissent des formes temporelles spécifiques, celles-ci relèvent également de l'étude de la structuration temporelle de la narration, tout comme en relève l'analyse de la structure de ces « récits de parole » et de leurs modes d'insertion dans le « récit d'événement ».

2. Questions de recherche

L'objectif de la présente recherche est de tester la pertinence des différentes hypothèses interprétatives concernant l'organisation temporelle des récits d'événe ments (par commodité, nous les appellerons désormais « narrations » ou « segments narratifs ») ; l'analyse des caractéristiques temporelles des discours rapportés ainsi que leurs modalités d'insertion dans les segments narratifs fera l'objet d'une prochaine publication.

Dans une étude antérieure portant sur la reformulation d'un conte par des élèves de 11 à 13 ans, nous avions observé que la distribution des PS et des IMP variait certes statistiquement selon les phases du schéma narratif, mais qu'elle dépendait surtout du type de sujet grammatical régissant le verbe : lorsque celui-ci désignait le héros « actif», les verbes étaient systématiquement conjugués au PS ; lorsqu'il désignait le héros « passif » ou tout autre élément de l'histoire, les verbes étaient systématiquement conjugués à Г1МР (cf. Bronckart, 1985, p. 662). Ce rôle de la « dynamique des personnages » de l'histoire ayant été également observé dans les narrations d'adultes (cf. Adam, 1976), nous avons émis l'hypothèse qu'il constituait le facteur de base de la structuration temporelle des narrations, et que les autres procédés de contraste global relevant de l'acte narratif («foregroun ding » et « hétérochronie ») entreraient nécessairement en interaction avec cette stratégie de base.

Nous nous attendions également à observer des emplois de temps des verbes relevant de procédés de contraste locaux : « contraste aspectuel », « temporalité relative » et « marquage du plan ». Dans l'état actuel de notre démarche, nous ne nous sommes dotés d'aucune procédure méthodologique permettant d'appréhender les effets des changements de « voix énonciative » ou de « perspective ».

À titre d'hypothèse « pour voir », nous avons enfin considéré que l'adoption d'une des trois formes de structuration temporelle globale du récit devait avoir une incidence sur la structuration et sur les modes d'insertion des discours rapportés.

3. Eléments de méthodologie 3.1. Constitution du corpus

Un corpus de vingt romans policiers a été constitué dans un premier temps et a fait l'objet d'une analyse préliminaire sur la base de laquelle 5 ouvrages ont été

(9)

retenus. Dans chacun de ces ouvrages, nous avons sélectionné un chapitre comportant au moins une scène de dialogue. Pour le roman de Manchette, le chapitre a été analysé dans sa totalité ; pour les autres romans, des extraits d'au moins 1 000 mots (commençant au début du chapitre) ont été délimités. L'échant illon de notre étude se présente comme suit :

1. G. Manceron, Pauvres petites crevettes, chap. 7 (pp. 61-67).

2. J.-P. Manchette, Fatale, chap. 3 (pp. 25-34).

3. L. Malet, Nestor Burma contre C.Q.F.D., chap. 4 (pp. 33-38).

4. Exbrayat, On se reverra petite, chap. 2 (pp. 41-49).

5. G. Simenon, Monsieur La Souris, chap. 5 (pp. 101-111).

3.2. Le découpage des extraits en scènes

Nous avons tout d'abord tenté d'identifier dans ces extraits les différentes phases des schémas narratifs, en nous fondant sur les critères proposés par Adam (1992) et Everaert-Desmedt (1988), mais cette analyse s'est révélée improductive : seule une scène d'Exbrayat a pu être découpée en deux phases. Cet échec pourrait être imputable au caractère arbitraire du découpage des extraits, mais il semble bien que ce type de schéma ne soit guère pertinent pour les ouvrages de notre corpus, même analysés dans leur totalité.

Après divers tâtonnements, nous avons procédé à un autre type de découpage en scènes, fondé sur le critère du nombre de personnages impliqués et sur celui du type d'activité décrite ; trois catégories de scènes peuvent être distinguées : a) parcours d'un personnage seul ; b) dialogues de personnages ; c) parcours et dialogues de personnages.

3.3. Procédure d'analyse des scènes

Les unités d'analyse sont les phrases graphiques (délimitées par une ponctua tion forte) ; pour chaque scène, ces unités ont été numérotées de 1 à n ; lorsque les phrases présentaient des structures de coordination ou de juxtaposition, les

« phrases syntaxiques » internes ont fait l'objet d'une sous-numérotation (la, lb, le, etc.). L'analyse a porté sur les formes verbales des principales (y incluses les coordonnées et les juxtaposées) d'une part, sur les structures de subordination et les formes verbales des subordonnées d'autre part.

L'ensemble des phrases principales des segmente narratifs de chacune des scènes ont été réparties en deux sous-ensembles.

A. Phrases dont le sujet grammatical désigne le (ou les) personnage(s) impliqués dans la scène (phrases P). Pour les scènes de type a) et b), l'identification des personnages ne pose aucun problème ; pour les scènes mixtes complexes (cf.

Exbrayat en particulier) dans lesquelles de nombreux humains interviennent, nous avons considéré que seuls ceux qui intervenaient dans le dialogue constituaient des personnages, et que les autres humains évoqués faisaient partie du cadre.

(10)

В. Phrases dont le sujet grammatical désigne un autre élément que le personnage tel qu'il vient d'être défini, et que nous avons considérées comme relevant du cadre (phrases C).

Pour les phrases P et les phrases C, nous avons procédé à un classement sommaire des types de verbes, sur la base du seul critère de « dynamicité » (cf.

François, 1989 ; Gosselin & François, 1991) ; nous avons distingué l'ensemble des verbes statifs ou non dynamiques (nD) de l'ensemble des verbes dynamiques (D) : verbes d'activité, d'accomplissement et d'achèvement, selon la terminologie de Vendler (1957 et 1967). Pour les verbes « dynamiques » apparaissant dans les seules phrases P, en nous inspirant des trois types d'activités fondamentales des personnages que propose Hamburger (se mouvoir, sentir et penser, parler), nous avons en outre établi les trois sous-classes suivantes :

— verbes introduisant une séquence de discours direct, que nous avons appelés par commodité « verbes de parole » (Dpar) ;

— « verbes psychologiques », désignant un sentiment, une perception ou une opération psychologique (Dpsy) ;

— « verbes de mouvement » : tous les autres verbes dynamiques, qui dési gnent en principe une activité « externe » du personnage (Dmvt).

3.4. Présentation des données

Les différents temps du verbe (TDV) du français qui apparaissent dans nos extraits sont le passé simple (PS), le passé antérieur (PANT) l'imparfait (IMP), le plus-que-parfait (PQP), le présent (PR), le passé composé (PC), le futur simple (FUT) et le conditionnel (COND). Nous n'avons pas pris en compte les verbes à l'infinitif, mais une catégorie e a été établie pour signaler les occurrences de phrases sans verbe conjugué.

L'essentiel de notre analyse a pour objet de mesurer la dépendance de la distribution de ces TDV par rapport aux différents facteurs qui viennent d'être décrits, à savoir :

— pour les phrases P (dont le sujet grammatical désigne le personnage) ; verbes Dmvt, Dpar, Dpsy et nD) ;

— pour les phrases С (dont le sujet grammatical désigne un autre élément) ; verbes D et nD.

Pour les segments de discours rapporté, après une analyse globale des TDV du style indirect libre et du discours direct, l'accent est porté sur les modes d'introduction et de structuration du discours direct.

4. Structuration temporelle des segments narratifs 4.1. G. Manceron, Pauvres petites crevettes

L'extrait de cet auteur a été découpé en deux scènes :

— scène 1 (pp. 61 à 62) : un P unique (Fred) se déplace dans une ville ; l'auteur relate son parcours et les paysages qu'il rencontre.

(11)

— Scène 2 (pp. 63 à 67) : apparition d'un second P (Taline) ; les deux P entrent en dialogue tout en se déplaçant.

La scène 1 débute par une phrase introduisant à la fois le personnage et Fespace-temps d'origine de son parcours :

(SI. 1) Lesté d'un petit déjeuner gigantesque, Fred sortit de son hôtel à dix heures du matin.

La scène 2 débute par une phrase marquant la transition entre le parcours solitaire et le parcours dialogué :

(S2. 1) Comme Fred arrivait à la hauteur d'un pré qu'entouraient de hauts noisetiers, une voix de femme l'interpella :

Cette même scène se termine par un énoncé marquant la rupture du dialogue et le début de la description qui clôture le chapitre.

(S2. 107) Fred la suivit dans la propriété.

4.1.1. Valeurs des TDV dans les phrases principales

Tableau 1. Manceron ; distribution des TDV dans les segments narratifs des deux scènes.

Verbes P Dmvt

Dpar Dpsy nD

D С nD TOT

PS 37 18 5

1 61

IMP 1 4 5 3 9 16 38

PQP 2

2

TOI 40 22 10 3 10 16 101

Les distributions des TDV étant globalement analogues dans les deux scènes analysées, les données quantitatives ont été rassemblées dans le tableau 1. Celui-ci montre que la distribution des PS et des IMP dépend nettement du statut du sujet de la phrase ; si celui-ci désigne le personnage (P), les verbes sont majoritairement (60/75) conjugués au PS ; s'il désigne un élément du cadre (C), les verbes sont majoritairement (25/26) conjugués à Г1МР.

Dans les phrases P, les tendances suivantes peuvent en outre être relevées.

a) Les verbes de mouvement sont conjugués au PS, à l'exception des trois verbes apparaissant dans les exemples suivants :

(12)

(S2. 37) Pour la seconde fois, Taline avait fait rougir Fred... ; (38) de colère il est vrai. (39) // redressa son visage...

(S2. 81a) Fred avait enfoncé les mains... et (81b)... il dévisageait la jeune fille.

(S2. 101) Taline venait de s'arrêter devant une longue maison...

Ces occurrences du PQP et de Г1МР (avec un auxiliaire d'aspect) marquent l'antériorité du procès par rapport à celui désigné par le verbe suivant.

b) Les 18 verbes de parole conjugués au PS introduisent tous un discours dialogué :

(S2. 20) Et la patronne non plus d'ailleurs, (21) ajouta-t-elle...

Par contre les 4 verbes de parole conjugués à PIMP introduisent un monologue intérieur et sont de fait proches des Dpsy :

(S2. 23) — Quel âge peut-elle avoir ? (24) se demandait-il.

(S2. 26) — Elle est aussi grande que moi, (27) pensait le jeune homme.

c) Les verbes psychologiques sont conjugués pour moitié à Г1МР, pour moitié au PS:

(S2. 22) Fred écoutait le son de la voix rageuse...

(S2. 31) En les regardant mieux, il s'aperçut que la prunelle...

d) Les trois verbes statifs enfin sont conjuguées à Г1МР.

(S2. 30a) Ils étaient bleus, (30b) mais ils avaient...

Dans les phrases C, l'IMP est presqu'exclusivement utilisé, que le verbe soit de type D ou nD :

(SI. 3b) les cloches carillonnaient, (3c) des groupes endimanchés s'affairaient entre...

(SI. 7) Le ciel... était lumineux, presque aussi pâle que la mer.

Le seul PS du cadre apparaît dans une phrase impliquant le personnage, et qui fait transition entre une phrase évoquant le parcours de PI et une suite de phrases descriptives.

(SI. 10) ... il se trouva devant le vieux bassin. (11) L'admiration le cloua sur place. (12) Le célèbre bassin n'était qu'un petit canal...

On notera encore que deux occurrences d'IMP semblent liées au marquage de la clôture de la scène 1 ; elles décrivent le « fond » sur lequel le second personnage va faire son apparition à la scène suivante.

(SI. 31) // examinait toutes les maisons... (32) II s'agissait presque toujours de grandes bâtisses...

4.1.2. Les subordonnées dans les deux scènes

Sur les 21 subordonnées produites dans les deux scènes, on relève 15 relatives, 2 complétives, 3 temporelles et 1 comparative.

Dans les relatives, le TDV le plus fréquent (13/15) est l'IMP ; dans les phrases P, les relatives à l'IMP qualifient un complément du verbe ; dans les phrases C, elles qualifient le sujet ou un complément :

(13)

(S2. 40) Elle répondit à son geste par un éclat de rire qui n'était pas méchant.

(SI. 07) Le ciel dans lequel le vent d'est pourchassait des nuages était lumineux.

Les verbes des deux autres relatives sont conjugués au PQP, qui marque l'antériorité de l'événement décrit dans la subordonnée par rapport à celui de la phrase principale :

(S2. 68) Elle posa les deux paniers qui avaient laissé des traces de boue...

Dans l'une des trois subordinations temporelles, on observe une relation d'antérior ité relative :

(SI. 22) Quant il eut grimpé pendant un kilomètre environ, Fred fit une pause.

4.1.3. Synthèse : la stratégie narrative de Manceron

Chez Manceron, la structuration temporelle des phrases principales des segments narratifs est quasi exclusivement fondée sur l'application de la règle de la dynamique des personnages. Cette règle globale consiste à coder au PS les verbes dynamiques des phrases P (PD) et à coder à Г1МР les verbes statifs de ces mêmes phrases (PnD) ainsi que l'ensemble des verbes apparaissant dans le cadre. Elle suffit à expliquer la distribution de 87 % des TDV des phrases principales.

Conformément à notre hypothèse, c'est sur cette règle de base que se greffe occasionnellement la règle de foregrounding. Cette seconde règle globale peut s'analyser en effet comme procédant par « dérogations » à la règle précédente : certains verbes du cadre ou des phrases PnD sont codés au PS et projetés de la sorte à l'avant-plan ; certains verbes des phrases PD sont codés à Г1МР et rejetés par là à l'arrière-plan. Chez Manceron, ce procédé de foregrounding est peu utilisé et se traduit uniquement par le rejet à Farrière-plan de certains verbes psychologiques (y inclus les verbes de parole introduisant un monologue intérieur). Aucune autre dérogation à la règle principale n'est observée : les verbes de mouvement des phrases P sont conjugués au PS, les verbes non dynamiques des phrases P et l'ensemble des verbes du cadre sont conjugués à Г1МР.

Manceron utilise par contre systématiquement un second procédé deforegoun- ding, qui consiste à renvoyer en subordonnée relative des procès à valeur descriptives codés à l'IMP.

En ce qui concerne les contrastes locaux, on observe plusieurs applications de la règle de temporalité relative, qui consiste à coder au PQP ou au PANT un procès antérieur à un autre (codé au PS ou à l'IMP), soit dans le cadre de la coordination/ juxtaposition de principales, soit dans le cadre de structures de subordination, et on notera que deux occurrences d'IMP semblent liées au marquage du plan (en l'occurrence au marquage de la clôture de la scène 1).

4.2. J.-P. Manchette, Fatale

L'extrait de cet auteur a été découpé en quatre scènes : dans la scène 1 (pp. 25 à 26, ligne 2) et la scène 3 (pp. 26, ligne 20 à 31, ligne 7), un personnage unique

(14)

Verbes Dmvt P

Dpar Dpsy nD С

D Tot nD

PS 58 17 4 1

— — 80

IM]

— 1 2 9 4 28 12

(Aimée) se déplace dans la ville ; la scène 2 (p. 25, lignes 3 à 20) et la scène 4 (p. 31, ligne 8 à 34) consistent en un dialogue statique, entre Aimée et la réceptionniste, puis entre Aimée et le notaire.

Tableau 2. Manchette ; distribution des TDV dans les phrases principales des segments narratifs des quatre scènes.

PQP PR PC TOT

1 — — 60

— — — 17

— — — 6

— — — 10

2 1 7

— — — 12

1 2 1 112

Comme l'indique le tableau 2, les verbes dynamiques des phrases P (PD) sont quasi exclusivement codés au PS, alors que Г1МР est utilisé pour presque tous les verbes statifs des phrases P (PnD) ainsi que pour l'ensemble des verbes du cadre.

La distribution de 93 % des TDV des phrases principales peut s'expliquer par l'application de la seule règle de dynamique des personnages.

La règle de foregrounding n'est appliquée qu'à trois phrases P : un verbe de mouvement et deux verbes psychologiques sont rejetés à l'arrière-plan :

(S3. 20) (Aimée remuait un peu les lèvres en lisant... (22) D'ailleurs elle connaissait déjà le livre...)

(S4. 58) Et le notaire pensait quelle jolie petite personne,...

Dans le premier exemple, le verbe de mouvement et le verbe psychologique apparaissent dans des phrases placées entre parenthèses, ce qui constitue un autre signe de la mise à l'arrière-plan. Dans le second exemple, le verbe psychologique introduit un monologue intérieur formulé en « style indirect libre ».

On observe en outre une utilisation systématique du procédé de foregrounding par subordination (procès descriptifs à l'IMP introduits dans des subordonnées relatives).

La règle de « temporalité relative » explique enfin, comme chez l'auteur précédent, l'occurrence du PQP dans une principale et deux occurrences de PANT dans les subordonnées.

La structuration temporelle des segments narratifs relève donc, chez Manchett e, d'une stratégie analogue à celle adoptée par Manceron ; on y observe néanmoins deux phénomènes nouveaux.

(15)

Trois verbes de phrases principales et deux verbes de subordonnées sont codés au PR ou au PC dans une séquence du cadre constituée d'« énoncés de réalité » (cf.

Hamburger, 1986, p. 107) :

(S3. 36) La jeune fille... s'intéressait à la vieille ville qu'habite la bourgeoisie, ...

(37) Sur les arrières du quartier riche se sont tracées des voies... (38) Sur la rive droite, des maisons... escaladent la pente... (39) En poussant plus à l'est..., on rencontre..., puis un complexe qui fabrique...

Dans une phrase P, un verbe nD, précédé de l'adverbial un instant, est codé au PS, et semble exprimer une valeur particulière de ponctualité :

(S4. 47) (Un instant il parut fatigué...) 4.3. L. Malet, Nestor Burma contre C.Q.F.D.

L'extrait de cet auteur a été découpé en deux scènes : la scène 1 (pp. 33 à 35, ligne 21) consiste en un dialogue entre Nestor et sa secrétaire Hélène ; la scène 2 (p. 35, ligne 22 à 37, ligne 2) est un court passage de déplacement de Nestor.

Scène 1

Tableau 3. Malet ; distribution des TDV des segments narratifs de la scène 1.

Verbes Dmvt P

Dpar Dpsy nD

С nD D TOT

PS 18 6 1

— 25

IMP

— 1

— 5 4 10

PQP

— 2

— 1 3

TO' 21

6

— 1

6 4 38

Comme dans l'ensemble du roman de Malet, le récit est construit à la lre personne du singulier (c'est Nestor Burma qui « raconte »). Ainsi que l'indique le tableau 3, cette particularité n'est pas incompatible avec l'adoption d'une stratégie fondée sur la dynamique des personnages, qui explique la distribution de 90 % des TDV des phrases principales. La règle de foregrounding ne se manifeste que dans les procédés de subordination (7 des 8 verbes des relatives sont conjugués à l'IMP ; un au PR dans un « énoncé de réalité »). Les trois occurrences du PQP

(16)

enfin relèvent de l'application de la règle de temporalité relative. On observera encore que l'unique occurrence de FIMP avec un verbe de mouvement est produite dans une phrase avec subordonnée temporelle, qui inverse syntaxiquement la distribution des événements en avant-plan et arrière-plan et qui établit un contraste aspectuel entre un événement duratif (codé à Г1МР) sur le fond duquel se déclenche un événement ponctuel (codé au PS) :

(SI. 27) Je prenais note, me promettant..., lorsque la sonnerie du téléphone retentit.

Scène 2

Tableau 4. Malet ; distribution des TDV des segments narratifs de la scène 2.

Verbes Dmvt P Dpar Dpsy nD

С D TOT nD

PS

— 14

— 2

5 1 22

IMP

— 1

— 2 12 9

PQP

— 1

— 1

TOT

— 16

— 2

10 7 35

Même si 74 % de la distribution des TDV de cette scène peut s'expliquer par l'application de la règle de dynamique des personnages, l'auteur applique néan moins fréquemment la règle de foregrounding aux phrases principales, en l'occurrence exclusivement aux phrases du cadre : la plupart des procès dynamiq ues y sont projetés à l'avant-plan :

(S2. 6) Cette performance ne pouvait rester impunie : (7) le temps changea. (8) Lorsque le convoi s'ébranla, il parut laisser... (9) Des nuages obscurc irent le ciel.

Les verbes des phrases P restent systématiquement codés au PS, l'unique occurrence du PQP relevant de la règle de temporalité relative et celle de Г IMP du processus d'inversion syntaxique avec effet de « contraste aspectuel » évoqué plus haut :

(S2. 36) Je finissais de remplir ma fiche, lorsqu' Arthur me dit qu'il était prêt.

Les structures de subordination sont de même type que celles de la scène précédente.

(17)

Les deux scènes de cet auteur semblent donc construites selon deux stratégies différentes : la première scène se caractérise, comme chez Manceron et chez Manchette, par l'application de la règle de dynamique des personnages ; la seconde voit émerger une stratégie fondée sur le foregrounding, dont le roman d'Exbrayat fournira un exemple plus clair.

4.4. Exbrayat, On se reverra petite

L'extrait de cet auteur a été découpé en deux scènes :

— scène 1 (pp. 41 à 44, ligne 13) : le chauffeur de taxi Armitage (PI) attend l'arrivée d'un client ; le récit a trait à ses pensées pendant cette attente. Un incident éclate ensuite entre son futur client et des voyous et suscite deux dialogues ; l'un entre Armitage et son collègue William Walnoth (P2), l'autre entre un agent (P3) et le futur client, Malcolm McNamara (P4) ;

— scène 2 (pp. 44, ligne 14, à 49, ligne 6) : Armitage prend en charge son client et ces deux personnages (PI et P4) se déplacent en dialoguant. Au cours de ce déplacement un incident suscite une nouvelle intervention du policier (P3).

La scène 1 débute par une phrase introduisant à la fois le personnage principal et l'espace-temps d'origine de son parcours :

(SI. 1) A la gare St Pancrace, John Armitage, chauffeur de taxi, se morfondait.

La scène 2 débute par une phrase annonçant l'arrivée de P3, qui met un terme au dialogue entre PI et P2 :

(SI. 48) Attention, John, il vient vers nous...

(S2. 1) Après une légère hésitation, l'Ecossais se dirigeait vers le taxi ď Armitage.

4.4.1. Valeurs des TDV dans les phrases principales Scène 1

Pour l'ensemble de la scène, la distribution des TDV fait apparaître une situation de concurrence entre la règle de dynamique des personnages et la règle de foregrounding, cette dernière portant aussi bien sur les phrases P que sur les phrases C. Mais la stratégie de l'auteur apparaît plus nettement si l'on prend en compte l'organisation de cette scène en deux des phases du schéma narratif (SITUATION INITIALE et ACTION), nettement délimitées par l'énoncé suivant :

(SI. 9) A ce moment, un remue-ménage se produisit...

Dans l'analyse qui suit, cette scène sera donc décomposée en deux parties (la et lb) correspondant à ces deux phases.

La partie la se caractérise d'une part par l'absence, dans les phrases P, de tout verbe de mouvement ou de parole, d'autre part par l'utilisation nettement dominante de Г1МР. Ces deux éléments confèrent à l'ensemble de la phase un statut d'arrière-plan. Un seul PS apparaît avec valeur ponctuelle, sur le fond d'un événement duratif et non borné, qui, lui, est codé à Г1МР (« contraste aspectuel »).

(18)

(SI. 7b) ... car il lui semblait que la véritable agonie qu'il vivait n'en finirait jamais. (8) // songea un moment à abandonner sa voiture et à se précipiter...

L'emploi des deux PQP relève de la règle de « temporalité relative ».

Tableau 5. Exbrayat ; distribution des TDV des segments narratifs dans la scène la.

Verbes PS IMP PQP TOT

DmvtP — — — —

Dpar — — — —

Dpsy 1

nD —

DС —

nD —

TOT 1

3 2 5 3 13

— 1

— 1 2

5 2

6 3 16

Tableau 6. Exbrayat ; distribution des TDV des segments narratifs de la scène lb.

PQP TOT

Verbes Dmvt P

Dpar Dpsy nD С nD D TOT

PS 7 2 6 ISS

— 4 21

IM

1

5

6 27

Dans la partie lb, on observe tout naturellement l'émergence de verbes de mouvement et de parole, ainsi qu'une utilisation dominante du PS. Tous les verbes des phrases P sont conjugués à ce temps, y compris les statifs (nD) :

(SI. 32) L'Écossais eut l'air étonné.

(19)

Seul un verbe psychologique est conjugué à Г1МР ; il apparaît dans l'énoncé qui marque la clôture de la scène :

(SI. 43) ... John Armitage ne pensait plus à sa Madge...

Quatre des phrases du cadre ont leur verbe conjugué au PS, cinq à Г1МР : (SI. 10) Bientôt les premiers voyageurs se montrèrent...

(SI. 17a) ... deux de ces voyous... s'approchaient...,

(17b) l'entouraient..., (17c) entamaient un discours...

La structuration temporelle des segments narratifs de cette scène 1 relève manifestement de la stratégie de foregrounding : les événements de la première phase sont situés à l'arrière-plan, et dans la seconde phase, l'auteur oppose un avant-plan composé de l'ensemble des événements assumés par les personnages et de quelques événements du cadre, à un arrière-plan constitué par d'autres événements du cadre.

Scène 2

Tableau 7. Exbrayat ; distribution des TDV des segments narratifs de la scène 2.

Verbes Dmvt P

Dpar Dpsy nD

С D TOT nD

PS 19

4 9 4

— 2 38

IMP

— 3 3 1

— 2 9

COND

— 1

— —

— — 1

TO' 23 4 12

5

— 4 48

La distribution des TDV de cette scène de parcours et de dialogue est globalement analogue à celle de la phase d'ACTION de la scène précédente (lb), et elle s'explique par l'application de la même stratégie de foregrounding : certains procès du cadre sont posés à l'avant-plan, et certains procès (verbes psychologi ques) attribués aux personnages sont rejetés à l'arrière-plan :

(S2. 91) L'incompréhension... fit lâcher son volant à John.

(S2. 4) John s'attendait à tout, sauf à cette question.

Les trois occurrences d'IMP avec des verbes de mouvement requièrent cependant un commentaire particulier. Dans un cas, ce TDV apparaît dans l'énoncé intro- ductif de la scène :

(S2. 1) Après une légère hésitation, l'Ecossais se dirigeait...

(20)

Dans les deux autres cas, ils apparaissent dans un segment décrivant un procès continu (codé à Г1МР) sur le fond duquel se déclenche un procès ponctuel (codé au PS) ; il s'agit à nouveau d'un procédé destiné à produire un contraste aspectuel.

(S2. 90) // conduisait donc, attentif... lorsqu 'éclata dans son dos...

(S2. 94) Pendant ce temps, imperturbable, l'Ecossais continuait à souffler...

(95) Le policemen s'approcha.,.

4.4.2. Les subordonnées dans les deux scènes

Chez Exbrayat, les structures de subordination présentent plus de complexité (emboîtement de plusieurs subordonnées dans la principale) et plus de diversité (fréquence relative plus importante des complétives et des subordonnées temporell es) que chez les auteurs précédents.

Les subordonnées relatives restent cependant majoritaires (20/38) et renvoient à l'arrière-plan des procès lexicalisés par des verbes conjugués à Г1МР.

Dans les subordonnées temporelles, les emplois dominants de Г1МР et du PS contribuent à marquer la simultanéité du procès qui y est lexicalisé avec celui qui est verbalisé dans la principale. Un seul emploi du PQP marque l'antériorité relative.

4.4.3. Synthèse : la stratégie narrative d'Exbrayat

Les données qui viennent d'être recensées permettent d'affirmer qu'Exbrayat applique, dans la structuration temporelle des segments narratifs, une stratégie fondée essentiellement sur la règle de foregrounding. Dans certaines parties de scène (la), l'ensemble des procès sont situés en arrière-plan ; dans d'autres (lb et 2), la majorité des procès sont posés à l'avant-plan. L'extrait illustre en outre clairement le phénomène d'interaction qui se développe entre cette règle relevant de l'acte narratif et la règle de dynamique des personnages relevant de l'histoire : dans les phases d'arrière-plan, les verbes de mouvement et de parole (qui suscitent

« naturellement » le PS) ne sont pas produits, et dans les phases d'action, ne sont rejetés à l'arrière-plan que des procès relevant du cadre ou des procès psychologi ques et statifs attribués aux personnages. Comme chez les auteurs précédents, un second procédé de foregrounding consiste à rejeter dans des relatives des procès descriptifs d'arrière-plan.

La règle de temporalité relative est occasionnellement utilisée, mais elle marque ici plus fréquemment la simultanéité entre événements que l'antériorité.

On observera encore que cet auteur utilise régulièrement deux règles secon daires observées occasionnellement chez les auteurs précédents. La règle de contraste aspectuel d'une part, par laquelle un premier événement (codé à Г1МР) délimite un intervalle non borné, sur lequel vient se déclencher un événement ponctuel codé au PS. Une règle spécifique de marquage du plan d'autre part, qui consiste à signaler le début ou la clôture d'une scène en utilisant le TDV qui s'oppose au temps dominant de cette même scène :

(21)

— le verbe de l'énoncé clôturant la scène la (temps majoritaire : IMP) est conjugué au PS :

(SI. 8) // songea un moment à abandonner...

— le verbe de l'énoncé clôturant le récit de la scène lb (temps majoritaire : PS) est conjugué à Г1МР :

(SI. 43) ... John Armitage ne pensait plus du tout à sa Madge...

— le verbe de l'énoncé initial de la scène 2 (temps majoritaire : PS) est conjugué à l'IMP :

(S2. 1) ... l'Écossais se dirigeait vers le taxi ď Armitage.

4.5. G. Simenon, Monsieur La Souris

L'extrait de cet auteur a été découpé en trois scènes :

— scène 1 (pp. 101 à 103, ligne 10) : l'inspecteur Lognon poursuit La Souris dans Paris ; un bref dialogue s'engage entre les deux personnages.

— scène 2 (p. 103, ligne 11, à 107, ligne 19) : évocation des événements qui ont conduit à la suspension de l'enquête puis du dialogue qu'elle a suscité entre Martin Oosting et l'inspecteur Lucas, puis des conséquences de cette suspension pour Lucas et Lognon.

— scène 3 (p. 107, ligne 20, à 111, ligne 5) : dialogue statique entre Oosting et son employé, Miiller.

L'énoncé introductif de la scène 1 comporte une datation typographiquement décalée, suivie d'une séquence descriptive qui finit par se focaliser sur le personnage principal :

(SI. 1) Lundi 28 juin. — (1) II avait fallu donner congé dans les écoles, ... (2) En plein centre de Paris... (3) Les terrasses des cafés s'allongeaient... (4) Pour rien au monde Lognon n'aurait retiré son faux-col,...

Ce mode d'introduction du récit contraste nettement avec la présentation, en une même phrase, du personnage principal et de l'espace-temps d'origine de son parcours, qui caractérise le début des scènes chez Manceron et chez Exbrayat notamment.

Le thème spécifique de la scène 2 est introduit par un énoncé initial évoquant un article de quotidien :

(S2. 1) A midi, un journal publiait quelques lignes qui n'avaient l'air de rien : Les clôtures des deuxième et troisième scènes sont nettement marquées typogr aphiquement : espacement et triple astérisque.

4.5.1. Valeurs des TDV dans les phrases principales Scène 1

Comme l'indique le tableau 8, la distribution des TDV de cette scène est nettement différente de celles observées chez les quatre auteurs précédents, et elle

(22)

Tableau 8. Simenon ; distribution des TDV des segments narratifs de la scène 1.

Verbes PS IMP PQP COND TOT

P

Dmvt 116 1 9

Dpar — — — — —

Dpsy — 3 — — 3

nD — 2 — — 2

DС — 7 2 — 9

nD — 1 — — 1

TOT 1 14 8 1 24

semble échapper à tout déterminisme de la règle de dynamique des personnages : Г1МР et le PQP sont les temps dominants des phrases P aussi bien que des phrases C.

Dans les phrases P, on relève les phénomènes suivants.

a) Tous les verbes statifs et psychologiques sont conjugués à Г1МР : (SI. 5) II portait comme toujours son complet brun...

(SI. 25) La Souris enrageait ! (26a) II ne savait où aller...

b) Les verbes de mouvement qui sont conjugués au PQP (6/9) sont tous situés dans des phrases qui suivent un énoncé comportant un de ces verbes statif ou psychologique :

(SI. 8) Lognon, lui ne perdait pas un poil de son sérieux ; (9) c'est en vain que, pendant deux bonnes heures, La Souris avait essayé de le dérider.

(SI. 13) Le fait est que Lognon était presque dessus,... (14) // avait passé la nuit au poste de l'Opéra. (15) Dès le matin, il avait suivi...

L'emploi du PQP avec ces verbes de mouvement tend à situer les actions décrites dans une sorte d'antériorité par rapport aux états ou aux sentiments précédemment évoqués.

c) La seule occurrence du PS avec un verbe de mouvement semble relever de l'application de la règle de contraste aspectuel :

(SI. 26a) // ne savait où aller, ni que faire et (26b) il essaya d'écœurer l'inspecteur...

La seule occurrence d'IMP avec ce même type de verbe se situe dans l'énoncé clôturant l'action de la première scène :

(SI. 27) Lognon suivait toujours, d'autant que...

d) Malgré la présence de trois séquences de discours direct (avec un seul interve nant), on n'observe aucun verbe de parole dans les phrases principales.

(23)

Dans les phrases du cadre, le sujet est fréquemment désigné par « on », et Г1МР est nettement dominant :

(SI. 2) ... on voyait des hommes circuler...

(SI. 7a) Dans les bureaux, on travaillait au ralenti (7b) et dans les rues les agents apportaient une mollesse de circonstance...

Les deux occurrences de PQP du cadre relèvent de la règle d'antériorité relative : (SI. 1) Л avait fallu donner congé dans les écoles...

Scène 2

Tableau 9. Simenon ; distribution des TDV des segments narratifs de la scène 2.

Verbes PS IMP

Dmvt p Dpar Dpsy nD С

D TOT nD

4 1

5

PQP 5 1

TOT 14 2

14 22 1

1 8 1

— 5 5

15 40 7

Comme le montre le tableau 9, malgré l'émergence de 5 occurrences du PS, la distribution des TDV de cette scène est globalement analogue à celle de la scène 1, et n'apparaît nullement fondée sur la règle de dynamique des personnages.

L'analyse plus détaillée des valeurs des TDV de cette scène repose sur la distinction des trois parties qu'elle comporte :

— partie 2a, où sont évoqués les événements de la matinée ayant conduit à la suspension de l'enquête (de la phrase 1 à la phrase 32) :

(S2. 30) A onze heures du matin, c'était fini. (31) // avait fallu se rendre à l'évidence. (32a) Martin Oosting avait convaincu les autorités franç aises...

— partie 2b, où est relatée l'entrevue qu'elle a suscitée entre Oosting et Lucas (phases 33 à 46) ;

— partie 2c, où sont évoquées les conséquences pour ce dernier de l'abandon de l'enquête (de la phrase 47 à la fin de la scène).

Pour ce qui concerne les phrases P, tous les verbes de la partie 2a sont conjugués au PQP (6 occurrences) ou à Г1МР (5 occurrences) ; les séquences où ils

(24)

apparaissent débutent par une phrase contenant un verbe de mouvement au PQP, suivie de phrases plus descriptives, comportant des verbes statifs ou de mouve ments conjugués à Г1МР :

(S2. 14) Martin Oosting s'y était pris par en haut. (15) C'était un homme aux cheveux gris... (16) Du matin au soir, il fumait d'énormes cigares...

La partie 2b consiste en une séquence de phrases comportant des verbes de mouvement et de parole conjugués au PS :

(S2. 33) Oosting, qui n'avait plus besoin de son ministre, garda néanmoins la voiture... (34) II reçut Lucas dans un salon... (37) II fit signe au commissaire... (38) Lui-même marcha...

La partie 2c est constituée par une séquence de phrases d'action dont les verbes sont à l'IMP :

(S2. 47) À onze heures et demie, Lucas pénétrait dans le bureau du directeur...

(48) A midi, il était reçu...

Dans les phrases du cadre, l'IMP est nettement dominant : (32b) on s'excusait en mettant cette désagréable affaire...

On observe en outre, dans la partie 2a, un nombre important de phrases sans verbe conjugué, encadrant un segment qui relate le contenu de l'article de journal :

(S2. 3) Pas de gros titres, cette fois. (4) Pas de sous-titres. (5) Pas de photograp hies.

(S2. 12) Point final ! (13) Plus rien de Millier, ni de Miss Dora...

Les trois parties de cette scène ne peuvent être considérées comme des phases d'un schéma narratif, dans la mesure où le récit des événements s'y déroule en continu. Tout se passe plutôt comme si les événements de la partie 2a faisaient l'objet d'une « remémoration » (antériorité de la temporalité de l'histoire par rapport à celle de la narration), momentanément interrompue dans la partie 2b (les deux temporalités s'y rejoignent), puis reprise dans la partie 2c qui conclut la scène.

Scène 3

Dans cette scène de dialogue, la distribution des TDV reste caractérisée par la dominance de l'IMP pour les phrases P aussi bien que pour les phrases C, et par l'importance des PQP dans les phrases P comportant un verbe de mouvement.

Dans les phrases P, on observe tout d'abord un ensemble de séquences combinant le PQP et l'IMP, organisées comme dans la scène 1 :

(S3. 1) Oosting, toujours debout, ..., dépassait Muller de toute la tête. (2) Les deux hommes s'étaient enfermés dans l'appartement...

Les occurrences de PS apparaissent dans deux séquences fortement articulées au dialogue, la seconde se prolongeant par deux phrases d'action :

(S3. 13) Qu'est-ce que vous avez entendu ? (14) questionna Oosting...

(S3. 46a) Muller dut comprendre, (46b) car il se hâta de répondre :... (54) Non ! (55) trancha Oosting en refermant...

(25)

Tableau 10. Simenon ; distribution des TDV des segments narratifs de la scène 3.

PQP PR TOT

Verbes P Dmvt

Dpar Dpsy nD

С nD D TOT

PS 3 3

— 3

— 9

IM]

6 1 4 1

— 5 17

14 4 7 1

33

Dans les phrases du cadre, on observe deux occurrences de PR, dans une séquence relatant la lecture du dossier de Miiller ; la co-occurrence de ces TDV avec l'adverbe brusquement semblant souligner l'importance de ces événements par rapport aux autres.

(S3. 38) Pendant cinq ans, rien... (39a) Puis brusquement, Edgar Loëm l'e mmène à Paris pour traiter une affaire (39b) et l'y garde.

Comme dans la scène précédente, la structuration temporelle des segments narratifs semble procéder par alternances de décalages entre temporalité de la narration et temporalité de l'histoire et de remise en « isochronie » de ces deux temporalités.

4.5.2. Synthèse : la stratégie narrative de Simenon

Les données qui viennent d'être discutées nous conduisent à émettre l'h ypothèse que la structuration temporelle de la narration repose, chez Simenon, sur une règle spécifique, que nous avons qualifiée d'« hétérochronie ». L'utilisation dominante de Г1МР, dans les phrases P aussi bien que dans le cadre, semble situer la plupart des procès évoqués dans une temporalité antérieure à celle de la narration. Sur cette base, qui « aplatit » en quelque sorte la diégèse et l'intègre au cadre, deux règles secondaires distinctes peuvent être appliquées aux phrases dont le sujet est un personnage. D'une part, de nombreux verbes de mouvement suivant des énoncés descriptifs sont conjugués au PQP et rejettent les procès évoqués dans une antériorité relative (provoquant ainsi un second effet de décalage ou « hétéro chronie seconde »). Par un processus inverse d'autre part, l'emploi du PS produit un effet de focalisation, en ramenant certaines séquences d'événements dans une isochronie temporaire. Ces deux processus portent exclusivement sur les verbes dynamiques, et constituent les modalités spécifiques adoptées par Simenon pour intégrer les contraintes de la « dynamique des personnages » dans sa stratégie générale d'« hétérochronie ».

(26)

Les quelques emplois isolés de PS attestent en outre de l'utilisation fréquente de la règle de « contraste aspectuel ».

5. Caractéristiques des discours rapportés

Notre étude a porté sur les seuls segments de discours direct (ci-après DD) et de « style indirect libre » (ci-après SIL). Les distributions des TDV dans ces segments sont conformes aux attentes et ne requièrent aucun commentaire particulier. Le PR est le temps dominant des DD, accompagné d'occurrences de PC, IMP, FUT et COND ; les phrases sans verbe conjugué y sont en outre fréquentes, en particulier chez Simenon. L'IMP est le temps de base du SIL (avec une occurrence de PQP et une occurrence de COND).

En raison de la rareté des segments de SIL, l'analyse des modes de structuration et d'insertion du discours rapporté ne concernera que le DD.

5.1. Manceron

Chez cet auteur, trois modalités de marquage de l'introduction du DD peuvent être distinguées :

— une phrase principale se terminant par un verbe de parole suivi du signe de ponctuation [ :] :

(S2. 1) ... une voix de femme l'interpella : (2) — Monsieur Grimme ! Eh ! Monsieur Grimme !

— une courte phrase incluant un verbe de parole, incise dans le DD :

(S2. 16) II n'y a pas de quoi rigoler, monsieur Grimme, déclara-t-elle. Vous me prenez pour une cloche...

— une courte phrase de même type clôturant le segment de DD : (S2. 7) Bonjour mademoiselle Taline,fît cérémonieusement Fred.

La règle générale qui régit les échanges est celle de l'alternance d'interlocu teurs, chaque trait de dialogue correspondant à une prise de parole d'un nouveau locuteur. Dans de telles séquences, le DD peut aussi apparaître sans marquage explicite : un segment narratif est directement inséré dans l'échange, et si l'intervention suivante ne respecte plus l'alternance, ce segment contient une référence au locuteur :

(S2. 65) — Ne m'énerve pas, Taline... (66) Dans ton idée, pourquoi est-ce que je suis venu à Honfleur ? (67) — Pour racheter le viager de Mme Latroche, tiens, gros malin ! (68a) Elle posa les deux paniers qui avaient laissé des traces de boue sur ses hanches et (68b) fit face à son interlocuteur. (69) — Si vous croyez que je n'ai pas vu tout de suite que vous étiez un des chéris de Gisèle...

(27)

La plupart des verbes des phrases principales introduisant le DD (selon les trois modalités relevées) sont des verbes de parole proprement dits (fît, déclara, interpella). Mais on observe aussi des verbes dénotant des gestes relevant le plus souvent des aspects paraverbaux de la communication :

(S2. 44) Elle lança par-dessus son épaule :

— (45) Je sais pourquoi vous êtes venu !

(S2. 88) Taline avança dans une grimace cette lèvre gonflée qui plaisait au jeune homme :

Comme nous l'avons noté, les verbes de parole conjugués au PS introduisent tous un segment de dialogue ; ceux conjugués à Г1МР introduisent un monologue intérieur.

5.2. Exbrayat

Les 26 séquences de DD observées dans les deux scènes analysées consistent en dialogues conversationnels (les « monologues intérieurs » étant intégrés au récit proprement dit). 10 séquences seulement sont introduites par un marquage expli cite, sous la seule forme d'un verbe de parole (toujours conjugué au PS) suivi du signe de ponctuation [ :] :

(SI. 31) ... l'agent s'enquit :

(32) — Est-ce que vous portez plainte, sir ?

Dans les autres cas, l'insertion du DD est faiblement marquée ; les verbes de parole sont absents et seul le tiret signale l'intervention :

(SI. 18) Armitage en fut écœuré.

(19) — On les laisse tranquille, William, ou on s'en mêle ?

On observera que ces séquences de DD faiblement introduites sont précédées de descriptions d'actions ou de sentiments qui ont pour effet de ramener à l'avant-plan un personnage et qui semblent jouer un rôle d'annonciateur du DD.

La règle générale qui régit les échanges est celle de l'alternance d'interlocu teurs, chaque nouveau tiret de dialogue correspondant à la prise de parole d'un nouveau locuteur. D'autres indices apparaissant dans le DD lui-même contribuent à l'identification du locuteur, en particulier l'emploi différencié de formules spécifiques désignant chaque interlocuteur (sir, mon garçon, mon vieux).

Dans les phrases principales introduisant le DD, les verbes de parole propre ment dits (crier, s'enquérir, grommeler), bien que rares, sont lexicalement plus différenciés que chez les auteurs précédents. La majorité de ces verbes évoquent, de manière plus ou moins métaphorique, les paramètres paraverbaux de la commun ication (sourire, soupirer, se pencher, se tourner vers, etc.) :

(SI. 36) L'homme au kilt eut un bon rire.

(37) — Vous imaginez qu'à Tomintoul...

(S2. 109b) Le policeman... s'énerva.

(110) — Enfin, vous allez vous décider à me raconter...

(28)

5.3. Simenon

Les 18 séquences de DD observées dans les trois scènes analysées consistent en dialogues (les « monologues intérieurs » apparaissant dans le récit proprement dit) ; 4 séquences seulement sont introduites par un marquage explicite, sous les trois formes observées chez Manceron. Les situations d'introduction implicite du DD sont donc ici largement dominantes, et l'on n'observe pas, comme chez Exbrayat, de segments narratifs qui annoncent le DD en ramenant à l'avant-plan un personnage. Les interventions du dialogue sont introduites « abruptement », mais elles sont fréquemment entrecoupées de segments narratifs dans lesquels les réactions des personnages sont interprétées :

(S3. 47) — Après !

(48) Or, il était facile de voir qu'il mentait, qu'il n'avait plus son assurance de tout à l'heure.

(49) — Et Miss Dora ?

Les segments commentatifs d'« après-coup » comportent régulièrement des verbes codés au PQP et participent de la sorte du mécanisme d'« hétérochronie seconde » qui confère au texte de Simenon son rythme particulier.

Les longues séquences de DD sont organisées selon la règle d'alternance des interlocuteurs. Dans les séquences composées d'une seule intervention, l'identifica

tion du locuteur est souvent malaisée ; ce sont plutôt les indices internes au DD qui permettent cette identification, par la compréhension du partage de rôles entre les

personnages, et des enjeux de l'interaction en cours.

5.4. Stratégie narrative et modalités d'insertion du discours direct

Lorsqu'un auteur adopte la stratégie fondée sur la dynamique des personnages, les modes d'insertion et de structuration du DD se caractérisent par un haut degré d'explicite.

Chez Manceron, les segments de DD sont toujours introduits par un verbe de parole et leur délimitation est systématiquement marquée par l'emploi d'un des trois procédés typographiques en usage ; divers procédés sont utilisés pour éviter toute ambiguïté concernant l'identité des interlocuteurs ; enfin, les segments de monologues intérieurs sont nettement distingués des segments de conversation par le contraste des temps des verbes de parole (respectivement IMP et PS).

Chez Manchette, on retrouve ces trois mêmes caractéristiques, avec toutefois deux nuances : les verbes de parole sont moins variés et lexicalisent les seuls processus de verbalisation (récurrence obstinée des verbes « dire », « s'exclamer » etc.) et les procédés typographiques d'insertion du DD, quoique systématiques, sont également moins variés que chez Manceron.

Chez Malet, la stratégie dominante consiste en une mise à l'avant-plan du personnage-locuteur, suivie d'une intervention en DD, dans laquelle est insérée une courte phrase comportant un verbe de parole. Par ailleurs, le nom désignant le

Références

Documents relatifs

J'étais un enfant insupportable et c'est en vain que grand-mère essayait de me faire tenir tranquille.. - Reste cinq minutes

Consigne 2 : Dans les phrases suivantes, indique si le verbe conjugué est à un temps simple ou à un temps composé.. ● Pierre joue dans la cour

Nous sommes parti(e)s Vous êtes parti(e)s Ils, elles

(verbe mettre) - Utilise la règle pour t’aider!. Jeanne ……… ses vêtements sales dans

C’est une préposition + un groupe nominal. ex : - Je suis dans

Colorie le dessin en respectant le code de

un deux trois quatre cinq un deux trois quatre cinq un deux trois quatre cinq un deux trois quatre

\\ En octobre, nous fabriquerons des mangeoires pour les oiseaux.. \\\ Il y a longtemps, Paul vivait dans un