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Histoire et Constitution : Pellegrino Rossi et Alexis de Tocqueville face aux institutions politiques de la Suisse

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Histoire et Constitution : Pellegrino Rossi et Alexis de Tocqueville face aux institutions politiques de la Suisse

DUFOUR, Alfred

DUFOUR, Alfred. Histoire et Constitution : Pellegrino Rossi et Alexis de Tocqueville face aux institutions politiques de la Suisse. In: Présence et actualité de la Constitution dans l'ordre juridique : Mélanges offerts à la Société suisse des juristes pour son Congrès 1991 à Genève. Bâle : Helbing & Lichtenhahn, 1991. p. 431-475

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HISTOIRE ET CONSTITUTION Pellegrino Rossi et Alexis de Tocqueville face aux institutions politiques de la Suisse

par Alfred DUFOUR

«Les Etats, comme les familles, les gouverne- ments, comme tout administrateur doivent de temps en temps jeter un coup d'œil en arrière, et résumer les points saillants de la route qu'ils ont parcourue. Cette récapitulation, ce rapproche- ment de faits et d'époques diverses, révèlent mieux que tous les discours, l'état du pays et l'esprit du gouvernement. Le principe du progrès y trouve un guide et un encouragement; la rou- tine elle-même rougirait de devoir à chaque inventaire répéter humblement: je n'ai rien fait, j'ai vécu au jour le jour.»

P. Rossr, Genève, in: Le Fédéral, No 2, Genève, 20mars 1832.

La célébration du

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anniversaire de la fondation de la Confédération, quelque conventionnelle qu'elle soit - notre Fête nationale ne date-t-elle pas à peine d'un siècle1 et la popularisation du Pacte du 1er août 1291 (tota- lement sombré dans l'oubli jusqu'à sa redécouverte en 1758) d'à peine un siècle et demP? - n'en constitue pas moins une occasion privilégiée pour

I Sur les circonstances de l'instauration de notre Fête nationale le 1er août à la fin du siècle passé dans le sillage des festivités du 6ooe anniversaire de la fondation de la Confédération, sur le rôle des Suisses de l'étranger dans cette institutionnalisation et sur le sursaut patriotique qu'elle a représenté pour la bourgeoisie face à la générali- sation sur une base internationaliste de la Fête du 1er Mai, voir B. Junker, Die Bun- desfeier als Ausdruck nationalen Empfindens in der Schweiz, in: Geschichte und politische Wissenschaft, Festschrift für Erich Grüner zum 60. Geburtstag, Berne 1975, 19-32, notamment 21-25. Sur la problématique de la fête de la fondation de la Confédération, voir également tout récemment O. Kreis, 1291 - Der zweite Gründungsmythos. Zur Entstehung des schweizerischen National-Feiertages, Bâle 1991.

2 Pour l'historiographie des premiers pactes des Waldstaetten et la fondation de la Confédération, voir l'exposé qui fait désormais autorité de H. C. Peyer, in: Hand- buch der Schweizer Geschichte, Bd. 1, Zurich 1980, 2e éd., 174-198, avec la biblio- graphie correspondante 234ss. Un bon résumé s'en trouve in: Nouvelle Histoire de

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s'interroger sur la spécificité de la structure politique de notre pays. La coïncidence de cette commémoration avec la réunion de la Société suisse des juristes à Genève ayant suggéré aux éditeurs du présent volume de lui donner pour thème central la Constitution, l'historien du droit et des insti- tutions est tout naturellement fondé à s'interroger dans cette perspective sur les rapports entre Histoire et Constitution - et quelle période de l'his- toire des institutions politiques de la Suisse apparaît-elle plus adéquate que celle qui va de 1815 à 1848? La conjoncture idéologique internationale dans laquelle s'inscrit enfin pareille commémoration - celle du grand renouveau de la pensée libérale consécutif aux retentissants échecs du socialisme dit scientifique3 - donne l'opportunité à l'historien des doc- trines juridiques et politiques de se livrer à cette interrogation en compa- gnie de deux des figures majeures du libéralisme de culture française du XIXe siècle qui se sont intéressées à l'histoire et à la structure politique de la Suisse pendant cette période clé: l'illustre représentant de Genève aux Diètes fédérales de 1832-1833, Pellegrino Rossi (1787 -1848), et le sagace observateur de la jeune république fédérative américaine, Alexis de Tocqueville (1805 -1859).

A vrai dire, les raisons ne manquent pas de s'arrêter au regard porté sur les institutions politiques de la Suisse par ces deux personnalités très représen- tatives du libéralisme de culture française. Tous deux gravitent d'abord en effet dans l'orbite du groupe des doctrinaires qui prennent, d'une part, acte de la Révolution française dans ses principes et ses résultats, mais n'en partagent pas pour autant l'esprit révolutionnaire, qui, d'autre part, tout en admettant, selon la formule de Royer-Collard, que «la démocratie coule à pleins bords», n'en défendent pas moins le régime censitaire, qui, enfin, profondément individualistes en fonction de leur conception de la dignité de la personne humaine, n'en tiennent pas moins la centralisation pour le gouvernement naturel des hommes4«Intellectuels dans la poli-

la Suisse et des Suisses, t.1, Lausanne 1982, 157-162 et 198. On se reportera aussi avec profit tant à l'étude de B. Meyer, Die Entstehung der Eidgenossenschaft, Der Stand der heutigen Anschauungen, in: Revue Suisse d'Histoire, 2/1952, 153-205, qu'au tout récent livre très bien documenté et fort suggestif de J.F. Bergier, Guil- laume Tell, Paris 1988.

3 Sur «la mort du socialisme» et les nouvelles chances du libéralisme au lendemain de l'année des Révolutions en cette fin de XX• siècle européen, voir R. Dahrendorf, Reflections on the Revolution in Europe, Londres 1990; tr. fr. Paris 1991.

4 Pour ces caractéristiques des doctrinaires, voir L. Girard. Les libéraux français, 1814-1875, Paris 1985, 69-79, notamment 71-73, ainsi que les réflexions sugges- tives de L. Diez del Corral, Tocqueville et la pensée politique des doctrinaires, in:

Alexis de Tocqueville, Livre du Centenaire, 1859-1959, Paris 1960, 57-70, en

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tique»5, comme on a qualifié les doctrinaires, loin de n'être que des obser- vateurs avisés de la réalité politique, tous deux font ensuite également figures d'hommes engagés, familiarisés avec l'action comme avec le fonc- tionnement des institutions politiques, soucieux qu'ils sont aussi de cou- ronner leur chaire magistrale - de professeur, d'écrivain, d'académicien

- par le prestige et le pouvoir d'un siège parlementaire, si ce n'est d'un fauteuil ministériel; les similitudes sont ici frappantes dans la carrière des deux hommes: faut-il rappeler celle de Pellegrino Rossi, successivement député et plusieurs fois rapporteur au Conseil représentatif genevois de 1820 à 1833 comme aux Diètes fédérales de Lucerne et de Zurich en 1832 - 1833, membre de la Chambre des Pairs de la Monarchie de Juillet de 1839 à 1848, après avoir succédé à l'Abbé Sieyès à l'Académie des Sciences Morales et Politiques en 1836, ambassadeur de France à Rome de mai 1846 à mars 1848, ministre enfin de l'Intérieur et des Finances a. i. du gouverne- ment de l'Etat pontifical de la mi-septembre à la mi-novembre 1848 avec la fin tragique que l'on sait6? Faut-il retracer aussi la carrière d'Alexis de Tocqueville, député de Valognes et plusieurs fois rapporteur à la Chambre des Députés de la Monarchie de Juillet de 1839 à 1848 après avoir été élu, fort du succès de la première partie de La Démocratie en Amérique, col- lègue de Rossi à l'Académie des Sciences Morales et Politiques en 1838, puis à l'Académie Française en 1841, député à l'Assemblée Constituante au lendemain de la Révolution de Février 1848, puis à l'Assemblée Législa- tive, Ministre enfin des Affaires étrangères dans le gouvernement de Louis Bonaparte de juin à octobre 18497?

particulier 59- 63 et 66-69 évoquant l'ambition de Tocqueville d'être un «Royer- CoUard jeune». On rappellera enfin les propos d'A. E. Cherbuliez, Pellegrino Rossi, in: Bibliothèque Universelle de Genève, t. X, fév. 1849, 140, sur l'affiliation de Rossi aux doctrinaires: «Rossi était doctrinaire parce qu'il voyait tout de très haut et qu'il savait beaucoup; il l'eût été en tout pays et dans toute position».

5 La formule est deL. Girard, op.cit. (4) 70.

6 Pour la biographie et l'œuvre de P. Rossi, retenons dans l'abondante littérature parue depuis un siècle L. Ledermann, Pellegrino Rossi, l'homme et l'économiste, 1787-1848, Paris 1929; le bel hommage pour le centenaire de sa mort publié par J.

Graven, Pellegrino Rossi, Grand Européen, Genève 1949; ainsi que les Actes du Colloque Pellegrino Rossi organisé en 1979 à Genève par le Département d'histoire du droit à l'occasion du 150° anniversaire de la publication de son Traité de Droit pénal, sous le titre: Des Libertés et des Peines, Genève 1980, avec notre bibliogra- phie, 213.

7 Pour la biographie et l'œuvre d'A. de Tocqueville, bornons-nous à citer les ouvrages les plus récents d'A. Jardin, Alexis de Tocqueville, 1805-1859, Paris 1984; de P. Manent, Tocqueville et la nature de la démocratie, Paris 1982 et de X. de la Fournière, Alexis de Tocqueville, Un monarchiste indépendant, Paris 1981, ainsi que le Livre du Centenaire cité (4).

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Mais c'est surtout en raison de l'intérêt particulier qu'ils portent à la struc- ture politique de la Suisse de leur temps comme de l'acuité de leur regard sur l'histoire et le fonctionnement de ses institutions que tous deux méri- tent de retenir l'attention. Pour Pellegrino Rossi, s'il est vrai que l'intérêt qu'il a montré pour les institutions politiques de la Suisse est bien connu du fait de la part qu'il a prise dans la tentative de révision du pacte de 1815 lors des Diètes fédérales de Lucerne et de Zurich en 1832 et 1833 et du rôle qu'il a joué comme rapporteur de la Commission de révision au point de donner son nom au projet rédigé par le Landammann Baumgartner de Saint-Gall8, il n'est pas certain que les dimensions doctrinales et histori- ques de cet intérêt aient toujours été reconnues à leur juste mesure: d'une part, force est d'admettre à cet égard que l'activité parlementaire et jour- nalistique déployée par Rossi à Genève tout au long de la procédure de révision du Pacte de 1815, singulièrement au sein du Conseil Représentatif et dans la Rédaction du nouvel hebdomadaire qu'il crée en mars 1832 - Le Fédéral -,n'a pas fait l'objet d'une étude systématique9; d'autre part et surtout, force est de constater que le Cours d'histoire de la Suisse qu'il donne à Genève à la même époque, de décembre 1831 à la mi-avril1832, et qui autorise à le considérer avec Charles Borgeaud comme «le fondateur de notre enseignement d'histoire nationale»10, n'a guère suscité la curiosité des historiens du droit et des institutions politiques et attend toujours sa publication11; il est donc grand temps de rendre justice à cet enseignement

8 Sur le travail de la Commission des Quinze, le rôle de Baumgartner, enfin les cir- constances de la désignation de P. Rossi comme son rapporteur, voir J. Baum- gartner, Die Schweiz in ihren Kampfen und Umgestaltungen von 1830 bis 1850, 1. Bd., Zurich 1853, 350- 370, notamment 362 et 368.

9 L'excellente étude de W. Rappard, Trois économistes genevois et la révision du Pacte fédéral de 1815, in: Schweizerische Wirtschaftsfrage, Festgabe für Fritz Man- gold, Bâle 1941, t.à.p. Bâle 1941, consacrée à Sismondi, à Rossi et à A. E. Cherbu- liez, ne peut suivre toutes les nuances de la pensée de P. Rossi. Quant à la création du Fédéral, dont le titre est délibérément repris de la publication de Hamilton, Madison et Jay, The Federalist on the Constitution written in the Year 1788, s.l.

1788, et quant aux contributions de Rossi dans ce nouvel organe de presse, on n'en trouve guère plus que des allusions chez L. Ledermann, op.cit. (6), et si P. Schatz- mann, P. Rossi et la Suisse, Genève 1939, leur voue bien un chapitre de quelques pages (169 -180) de son livre, par ailleurs très inégal, c'est sans méthode qu'il en rend compte et dans le cadre, voire sous le titre de «Rossi et l'évolution des cantons suisses après 1830».

1o Cf. Chs. Borgeaud, Un professeur patriote de la Restauration, Rossi Genevois et Suisse, Conférence au Dies academicus, 1er juin 1914, in: Pages d'Histoire Natio- nale, Genève 1934,217.

u Hormis les mentions succinctes, parfois inexactes, chez H. d'Ideville, Pellegrino Rossi bourgeois de Genève, 1817-1833, in: Revue historique, t.XXX, 1886, 241, et

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dans l'ensemble de l'œuvre de Rossi comme à l'ampleur de son œuvre de publiciste12, et ce n'est pas là la moindre des raisons du thème particulier de cette contribution d'esprit commémoratif.

Quant à Tocqueville, son attention aux institutions politiques de la Suisse pour être moins connue n'en est pas moins d'abord explicitement attestée, d'un côté, par ses Notes de Voyage en Suisse, datées de 1836 et publiées après sa mort en 186513, d'un autre côté par son Rapport sur la Démocratie en Suisse présenté en janvier 1848 à l'Académie des Sciences Morales et Politiques14, après la parution de l'ouvrage d'Antoine Elisée Cherbuliez, le successeur de Pellegrino Rossi à Genève, sur le même sujet15 L'intérêt manifesté dans ces écrits par Tocqueville pour les institutions politiques de la Suisse comme les relations de Tocqueville avec la Suisse ont certes aussi déjà été mis en évidence16, mais il nous paraît que les rares études menées à chef en ce domaine, d'ordre essentiellement descriptif, n'ont pas fait toute la lumière souhaitée sur la spécificité de l'approche tocquevillienne des institutions politiques suisses comme sur la virulente critique qui l'inspire,

deL. Ledermann, op.cit. (6) 87-88, le contenu de ce cours n'a jamais été examiné avec quelque attention, si ce n'est par P. E. Schatzmann, qui lui consacre une des trois parties de son P. Rossi et la Suisse, op.cit. (9) 107 -168; mais Schatzmann ne s'en est tenu cependant qu'au manuscrit de cours de C. A. Messala, qui se trouve à la Bibliothèque Sainte-Geneviève de Paris, Ms. 3412, Réserve, laissant de côté, d'une part, la teneur des notes de cours mêmes de P. Rossi lui-même, Ms. 3413, Bibliothèque Sainte-Geneviève de Paris, Réserve, et ignorant, d'autre part, l'exis- tence à Genève des excellentes notes d'un étudiant demeuré anonyme, véritable sté- nogramme du cours, qui se trouve déposé depuis 1951 seulement à la BPU, Ms.

cours univ. 412. Par ailleurs, s'il donne une analyse des différents aspects de ce cours et de la conception de l'histoire qui l'inspire, il ne s'arrête pas aux éléments spécifiquement institutionnels, singulièrement pour la Suisse moderne. Nous saisis- sons l'occasion de remercier ici le Conservateur des manuscrits de la BPU de Genève, M. Ph. Monnier, pour les renseignements donnés sur l'origine du manus- crit genevois du cours de P. Rossi ainsi que M. D. Ryser, le personnel de la BPU et celui de la Bibliothèque Sainte-Geneviève de Paris, qui nous ont facilité la consulta- tion des divers manuscrits et notes de ce Cours d'histoire de la Suisse de P. Rossi.

12 Voir déjà dans ce sens A. Dufour, Rossi publiciste, in: Des Libertés et des Peines, op.cit. (6) 213-247.

13 Cf. A. de Tocqueville, Œuvres complètes, Paris 1865, t. VIII, Mélanges, 451-474.

14 Cf. Compte-rendu des Séances et Travaux de l'Académie des Sciences Morales et Politiques,

ne

série, t. III, Paris 1848, 97-119.

1s Cf. A. E. Cherbuliez, De la Démocratie en Suisse, 2 vol., Paris/Genève, 1843.

16 Cf. l'étude très fouillée d'Emile Dürr, Die Demokratie in der Schweiz nach der Auf- fassung von Alexis de Tocqueville, in: Basler Zeitschrift für Geschichte und Alter- tumskunde, XXIII. Bd., 1925, 225-279, ainsi que la communication de Luc Mon- nier, Tocqueville et la Suisse, in: Alexis de Tocqueville, Livre du Centenaire, op.cit.

(4) 101-113.

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singulièrement à l'égard de la structure politique de la Suisse sous le régime du Pacte de 181517; une relecture des «écrits helvétiques» de l'auteur de La Démocratie en Amérique ne nous semble donc pas inopportune, et c'est là une autre raison du thème particulier de cette contribution.

Du coup, nous abordons la question de nos sources. Pour ce qui est de Pel- legrino Rossi, celles-ci seront de quatre ordres, comprenant ses articles, ses cours, ses interventions et rapports parlementaires, enfin sa correspon- dance. Nous retiendrons donc d'abord les articles de Pellegrino Rossi, tant ceux qu'il publie à Genève, dans les Annales de Législation en 1820 - «De l'étude du droit dans ses rapports avec la civilisation et l'état actuel de la science»18 - ou dans Le Fédéral en 1832 - notamment l'article intitulé

«Question suisse» du 16 mars 1832, mais aussi les articles ultérieurs sans titre, mais portant sa signature19 - ou à Paris dans la Revue des Deux- Mondes en 1840 - la recension de la deuxième partie de La Démocratie en Amérique20 ; nos sources comprendront ensuite le Cours d'histoire de la Suisse donné par Pellegrino Rossi à Genève en 1831-1832 au Musée aca- démique - dont nous possédons à la fois les notes très complètes de deux étudiants21 et les notes partielles préparatoires de la main même de RossF2 - ainsi que le Cours de Droit constitutionnel donné à l'Ecole de Droit de l'Université de Paris à partir de 1835-1836 - dont le texte a été publié à Paris en 1866-186723; enfin, il conviendra d'ajouter à ces sources les témoignages de l'activité parlementaire de P. Rossi, que ce soit au sein du Conseil représentatif de Genève - ses prises de position sur la révision du

17 Sans doute l'étude d'E. Dürr prend-elle quelque distance avec les propos de Tocque- ville, mais ses rares remarques critiques sont empreintes d'une indulgence quasi révérentielle, cf. par exemple p. 248 et p. 266.

18 Cf. Annales de Législation et de Jurisprudence, tome premier, Genève 1820, 1-69 et 357- 428; nous citerons cette étude d'après sa réédition dans les Mélanges d'Eco- nomie politique, d'Histoire et de Philosophie par P. Rossi, t. 2, Paris 1857, 290-407.

19 Le Fédéral, Journal genevois, littéraire et industriel, No 1 et ss, Genève 1832 - 1833.

2o Cf. Revue des Deux-Mondes, 15 septembre 1840, 886- 904.

21 Il s'agit d'une part des notes de cours de C.A. Messala, étudiant grec, Cours d'his- toire de la Suisse, Ms. 3412, Bibliothèque Sainte-Geneviève, Réserve, Paris, et d'autre part des notes d'un étudiant genevois demeuré anonyme, Cours d'histoire suisse, Ms. cours univ. 412, BPU Genève.

22 Cf. P. Rossi, Notes sur l'histoire de la Suisse, Ms. 3413, Bibliothèque Sainte-Gene- viève, Paris, Réserve, portant sur les deux premières parties du cours seulement.

23 Cf. P. Rossi, Cours de Droit Constitutionnel professé à la Faculté de Droit de Paris (CDC), recueillis par M. A. Porée, 4 vol., in: Œuvres complètes de P. Rossi, Paris 1866-1867.

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Pacte fédéral de 1815 consignées dans le Mémorial du Conseil Représen- tati.fA - ou aux Diètes fédérales de Lucerne et de Zurich de 1832 et 1833 - tout particulièrement son fameux Rapport de la Commission de la Diète sur le Projet d'Acte fédéral de décembre 183225 - ainsi que les pièces de sa correspondance publiées ou manuscrites avec le Syndic Jean-Jacques Rigaud (1785 -1854)26, avec son collègue de Faculté Pierre-François Bellot (1776-1836)27 comme avec son collègue vaudois à la Diète fédérale Alphonse Nicole-Du Pan (1789- 187 4)28

En ce qui concerne maintenant Alexis de Tocqueville, nos sources seront de trois ordres: ses «écrits helvétiques», ses ouvrages classiques et les pièces personnelles de ses Souvenirs et de sa correspondance. Nous retien- drons ainsi d'abord, d'une part, ses Notes de Voyage de 1836 publiées en 1865 dans le volume de Mélanges des Œuvres complètes sous le titre Voyage en Suiss&9, d'autre part, son Rapport sur la Démocratie en Suisse, présenté le 15 janvier 1848 à l'Académie des Sciences Morales et Politiques en guise de compte-rendu de l'ouvrage sur le même sujet d'Antoine Elisée Cherbuliez, et qui sera publié l'année même dans le volume de compte- rendu des Séances et Travaux de ladite Académie30; à cet égard, force est de relever que ce Rapport, directement inspiré des Notes de Voyage de 1836 et qui ignore délibérément non seulement, comme ces notes elles- mêmes, les projets de révision du Pacte fédéral de 1832-1833 - en parti- culier le Projet illustré par le Rapport de Pellegrino Rossi - mais encore les bouleversements de 1847, sera republié tel quel par Tocqueville deux ans après l'adoption de la Constitution fédérale de la Suisse en annexe à la treizième édition de La Démocratie en Amérique, la dernière parue de son

24 Cf. Mémorial des Séances du Conseil Représentatif, 1831-1832/II, Genève, 1832 et 1832-1833/II, Genève 1833. Voir à ce sujet W. E. Rappard, Trois économistes genevois et la révision du Pacte Fédéral de 1815, op.cit. (9).

25 Cf. Rapport de la Commission de la Diète aux Vingt-deux Cantons suisses sur le projet d'acte fédéral, Genève 1832.

26 Cf. G. Doit, Lettres politiques de Pellegrino Rossi au Syndic Jean-Jacques Rigaud 1832-1841, Genève 1932.

27 Cf. BPU Genève, Ms. fr.1211/1.

28 Cf. E. Chapuisat, Autour de la Diète de 1832, in: Revue historique vaudoise, 1917, No 9, 257-270.

29 Cf. A. de Tocqueville, Œuvres complètes, t.VIII, Mélanges, Paris 1865,451-474, que nous citerons ici; rééd. sans notes, avec 4 lignes de commentaire introductif au t.V /1, p.28, in: Œuvres complètes, éd. J. P. Mayer, t.V /2, Paris 1958, 171-188.

Jo Cf. Rapport sur la Démocratie en Suisse par M. de Tocqueville, in: Compte-rendu des Séances et Travaux de l'Académie des Sciences Morales et Politiques, op.cit.

(14) 97-119. C'est l'édition que nous citerons ici.

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vivant31, et qu'il sera repris ainsi dans la première édition posthume de ses Œuvres complètes32 comme dans toutes les éditions ultérieures. A ces sources, nous adjoindrons par ailleurs son grand œuvre, De la Démocratie en Amérique de 1835- 184033 ainsi que ses Souvenirs34 et les pièces de sa correspondance publiées avec l'ami de longue date Francisque de Corcelle (1802-1892)35 et Arthur de Gobineau (1816-1882), son chef de cabinet lors de son passage au Ministère des Affaires Etrangères, qui sera nommé à son départ Secrétaire d'ambassade à Berne36

Les raisons et les sources de cette étude ainsi précisées, il convient enfin d'en délimiter le sujet et d'en exposer les principales articulations. Nous nous en tiendrons ici à trois aspects des observations et des réflexions de Rossi et de Tocqueville sur les institutions politiques de la Suisse, à savoir l'originalité de leur approche, la particularité de leur jugement sur l'his- toire de ces institutions, enfin la spécificité de leur appréciation de la struc- ture politique de la Suisse sous le régime du Pacte fédéral de 1815. Ce sont ces trois aspects qui commanderont notre présentation des textes des deux auteurs dans chacune des deux parties centrales de cette contribution con- sacrées, la première, sous le titre Pellegrino Rossi, historien et politicien fédéraliste, à l'attitude intellectuelle du professeur genevois, la seconde, sous le titre Alexis de Tocqueville, observateur et censeur des institutions politiques suisses, à celle de l'éminent penseur politique français face aux institutions politiques de notre pays, cependant que, dans une troisième partie, intitulée Rossi patriote d'emprunt - Tocqueville censeur condes- cendant, nous chercherons à dégager les traits distinctifs de leurs considé- rations sur les institutions helvétiques, pour tenter de déceler, en guise de conclusion, la clé de leur attitude respective à cet égard.

31 Cf. A. de Tocqueville, De la Démocratie en Amérique, Appendice, Paris 1850.

32 Cf. A. de Tocqueville, Rapport fait à l'Académie des Sciences morales et politiques le 15 janvier 1848 sur l'ouvrage de M. Cherbuliez intitulé: De la Démocratie en Suisse, in: Œuvres complètes, t. IX, Paris 1865, 82-111.

33 Cf. A. de Tocqueville, De la Démocratie en Amérique, 2 t., Paris 1835-1840. Nous citerons d'après l'édition la plus récente des Œuvres complètes sous la direction de J. P. Mayer, t. 1, 2 vol., Paris 1961.

34 Cf. A. de Tocqueville, Souvenirs, Paris 1893, réédité in: Œuvres complètes, éd.

J. P. Mayer, t. XII, Paris 1964, édition que nous suivrons ici.

35 Cf. Correspondance d'A. de Tocqueville avec Francisque de Corcelle, in: A. de Tocqueville, Œuvres complètes, éd. J. P. Mayer, t. XV par P. Gibert, Paris 1983.

36 Cf. Correspondance entre Alexis de Tocqueville et Arthur de Gobineau, 1843- 1859, éd. par L. Schemann, Paris 1909, que nous suivrons ici. Voir aussi la nouvelle édition donnée de cette correspondance in: A. de Tocqueville, Œuvres complètes, éd. J. P. Mayer, t. IX, par M. Degros, Paris 1959.

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PELLEGRINO ROSSI HISTORIEN ET POLITICIEN FEDERALISTE

C'est une perspective historique très marquée qui caractérise l'approche des institutions politiques de la Suisse par Pellegrino Rossi. D'abord per- ceptible dans la convergence d'ordre purement temporel qui se fait jour entre le cours d'histoire nationale qu'il inaugure à Genève en 1831-1832 et ses prises de position de parlementaire et de publiciste dans la procédure de révision du Pacte de 1815, cette perspective se manifeste surtout et avec éclat aussi bien dans les réflexions des dernières leçons de son Cours d'his- toire de la Suisse d'avril1832 que dans les arguments du fameux Rapport sur le projet d'Acte fédéral de décembre 1832.

Que l'histoire soit conçue par Pellegrino Rossi comme la clé de la compré- hension des institutions politiques de la Suisse n'a, à vrai dire, rien d'éton- nant pour qui connaît dans ses constantes la pensée juridique et politique rossienne.

Deux ordres de raison nous apparaissent ici déterminants. La perspective historique qui commande l'approche rossienne des institutions politiques de la Suisse tient d'abord à une raison de principe: elle procède de la con- viction historiciste que l'histoire est la clé du présent, qui anime la pensée juridique et politique de Pellegrino Rossi, de sa première contribution aux Annales de Législation et de Jurisprudence de 1820 à Genève «Sur l'étude du Droit dans ses rapports avec la civilisation» à sa leçon d'ouverture du Cours de Droit constitutionnel de 1835 à Paris.

Quelques réserves que témoigne Rossi à l'encontre des maximes politiques des tenants de l'Ecole historique dans son article des Annales genevoises de 1820 - «selon les principes de l'Ecole historique, il faut respecter même les préjugés»37 - , il n'en partage pas moins les thèses essentielles de Savigny, qu'il ne se borne pas alors à citer d'abondance, parfois dans une traduction approximative - «l'histoire n'est pas seulement un recueil d'exemples; elle est la seule voie qui nous soit ouverte pour parvenir à la véritable connaissance de notre état actuel( ... ) l'école historique reconnaît que la matière du droit résulte de l'ensemble de tous les précédents; elle n'est pas le produit d'une volonté arbitraire, de manière à pouvoir être éta-

37 Cf. op.cit. (18) in: Mélanges, t. cit., 322.

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blie soit d'une façon, soit d'une autre; elle découle nécessairement de la nature intime de la nation et de l'ensemble de son histoire»38 - mais dont il célèbre encore les applications d'une manière qui ne laisse pas de doute sur sa conception du rôle de l'histoire pour l'intelligence du droit et des institutions européennes:

«Il est donc évident que cette école a ses principes et son système, et que les recherches histo- riques sont pour elle le moyen plutôt que le but. Mais par l'emploi de ce moyen, elle a sauvé du naufrage, qui les menaçait, l'érudition et la critique; elle leur a donné un nouvel essor; enfin, elle nous a rendu les services les plus éminents pour l'étude de l'ancienne jurisprudence( ... ) M. de Savigny n'a-t-il pas droit aux mêmes éloges dans son histoire du droit romain dans le Moyen-Age, lorsqu'il nous démontre contre l'opinion commune, que ce droit, n'ayant jamais été oublié, c'est à tort que son existence, dans le douzième siècle, a été regardée comme une véritable résurrection?( ... )

Quelle leçon de haute philosophie politique ne nous a-t-il pas donnée, en nous faisant voir que l'organisation municipale des villes de l'Italie sous les Romains s'étant conservée même après la chute de l'Empire d'Occident, elle y avait créé divers centres auxquels se rattachaient les souvenirs, les institutions, les coutumes! ( ... )

C'est dans le livre de M. de Savigny qu'on apprend qu'un droit vérital:llement national, déve- loppé, comme une plante indigène, par les forces intrinsèques de la nation, devient une partie tellement intégrante du corps politique, qu'on ne saurait l'en détacher sans détruire le corps entier.»39

C'est la même conviction du rôle de l'histoire pour la compréhension du Droit qui se retrouve dans la leçon d'ouverture de son Cours de Droit constitutionnel de 1835 à Paris aux accents tout savigniens:

«Ün voit en effet qu'en tant que révélation vivante du développement d'un grand peuple, dans une période donnée de son existence, le droit constitutionnel se rattache aux études philoso- phiques et à la haute histoire( ... ) L'étude du droit constitutionnel se rattache, ainsi que toutes les branches du droit positif, à l'étude du droit ancien. Il n'est point d'événement qui brise d'une manière absolue la chaîne des temps et des faits. La création et la destruction de ce qui existe ont également leur cause dans les faits pré-existants.»40

Mais la perspective historique qui caractérise l'approche rossienne des ins- titutions politiques de la Suisse tient aussi à une raison politique: l'impéra- tivité, pour qui entend avoir barre sur la réalité politique, de prendre en compte les données de l'histoire - une règle d'or que ne formule pas seule- ment le politicien fédéraliste, réformateur du Pacte de 1815, dans son fameux Rapport de 1832 en évoquant l'attitude à adopter face aux «faits généraux de l'histoire suisse» - «rendre hommage à un fait général et lui accorder les concessions indispensables, c'est faire acte d'hommes d'état»41 - mais qu'énonce aussi à sa manière l'historien dans son Cours d'histoire de la Suisse en traitant de la fin de l'Ancien Régime en ces termes:

38 Cf. op.cit. (18) 310-311.

39 Cf. op.cit. (18) 312-314.

40 Cf. Cours de Droit Constitutionnel (CDC) op.cit. (23), t. 1, p. LVII.

41 Cf. Rapport, op.cit. (25) 15.

(12)

«Nous allons saisir l'anneau auquel se rattache le temps présent de la Suisse, nous allons cher- cher dans les principaux actes d'un drame quelles doivent être les lois et les conditions de son assise définitive qui n'est pas encore arrivée. Nous allons rechercher si par ses précédents et son développement ce drame national nous promet une fin heureuse ou tragique. Ce serait sans doute une étrange illusion de ne voir dans les événements actuels de la Suisse que des faits isolés indépendants de l'histoire du pays, comme on l'a dit des effets sans cause, ou bien ce serait une étrange illusion que d'en chercher les causes seulement dans des vélléités du moment ou dans l'imitation de l'étranger. N'attribuons pas par commodité de travail historique, n'attribuons pas à la Suisse plus d'imagination imitative qu'elle n'en possède; sans doute il peut y avoir en Suisse aussi quelques histrions politiques, mais eux aussi au lieu de déclamer sur la place publique se borneraient à rêver en secret ou à ne jouer leur rôle que dans l'enceinte étroite de leur coterie, si des causes générales, si des causes intérieures, produits de l'histoire et du temps, n'avaient élevé en Suisse comme ailleurs un véritable théâtre politique, où le drame est nécessaire, son achèvement inévitable, son issue encore incertaine.»4

Le rôle privilégié dévolu à l'histoire pour la compréhension comme pour la réforme des institutions politiques de la Suisse mis en évidence, il s'agit maintenant d'examiner l'intérêt que trouve Pellegrino Rossi à ces institu- tions dans l'histoire. Pour ce qui est de l'Ancienne Suisse, cet intérêt tient à son sens à la profonde imbrication qu'elle manifeste de la liberté politique avec le principe fédéral.

Le premier élément qui retienne son attention dans l'histoire des institu- tions politiques de l'Ancienne Suisse comme la manifestation la plus immédiate de l'originalité helvétique en Europe, c'est, au cœur de l'anar- chie féodale, la recherche de la liberté politique. Très significative apparaît à cet égard sa manière de concevoir l'émergence de la Suisse dans le tableau qu'il trace du déclin de la féodalité en Europe dans son cours d'his- toire nationale de 1831-1832 à Genève:

«Les peuples se trouvaient donc avec le besoin de secouer le joug de la féodalité et sans secours pour cela. Il leur fallait un levier et ce fut le pouvoir monarchique; ils se jetèrent dans ses bras et ils y furent reçus( ... ) La féodalité ne fut plus qu'un hors-d'œuvre; le principe monarchique absolu était nécessaire pour la détruire, mais quatre siècles plus tard il subit le même sort( ... ) Voilà ce qui fit l'Europe et elle fit bien, parce qu'elle fit tout ce qu'il lui était possible de faire.

Mais la Suisse voulut aller plus loin; tous les peuples avaient cessé d'être feudataires, ils étaient devenus sujets; la Suisse voulut cesser d'être féodale sans être sujette; le problème de la Suisse était d'être, d'être malgré les obstacles, d'être autrement que l'Europe. Nous assiste- rons au travail social qui devait le résoudre, travail d'un peuple qui prend une route à lui seul, franchit tous les obstacles et qui s'il commit quelques erreurs, s'il chancela quelques fois, ne tomba jamais; d'un peuple qui a toujours une histoire à lui, tandis qu'ailleurs c'est l'histoire des rois.»43

Sans doute Pellegrino Rossi ne saurait-il oublier l'exemple des républiques italiennes, qui paraît relativiser la singularité de l'histoire des institutions

42 Cf. Cours d'histoire de la Suisse (CHS), op.cit. (21), Ms. Cours Univ. 412 BPU, Genève, Cahier No XVIII, f. 633 - 634.

43 Cf. op.cit. CHS, Ms. Cours. Uni v. 412, Cahier No 1, f. 9-10.

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politiques de l'Ancienne Suisse. S'il ne manque pas de le rappeler - en des termes auxquels feront écho les propos de son Cours de Droit constitu- tionnel de Paris dès 183544 - «il y a eu encore d'autres anomalies, d'autres peuples qui ont échappé au pouvoir monarchique. Les républiques ita- liennes, elles, périrent par suite de leurs dissensions intestines; Venise, l'aristocratie avait gangrené le peuple et lorsqu'elle voulut le retrouver pal- pitant sous sa main, elle trouva son œuvre, un corps froid et sans âme, il était mort»45 - ce n'est que pour mieux mettre en relief l'importance capi- tale du second élément constitutif de l'originalité des institutions politiques de l'Ancienne Suisse: le principe fédéral. C'est ce principe, qu'il appelle indifféremment lien fédéral ou principe fédéral, qui, en réalisant l'unité dans la variété, a seul permis à ses yeux la survivance de la Suisse par rap- port à toutes les autres républiques médiévales:

«La Suisse a eu ses dissensions intestines, son aristocratie, ses hommes influents et populaires ... Elle existe encore. Heureux instant qui lui dicta le vrai principe de son existence sociale; il fallait la variété sans fusion, l'unité avec une profonde variété; elle a trouvé la solution de ce problème dans le lien fédéral que d'autres ne surent jamais ni former ni consolider( ... ) Sans doute la raison des hommes du XIVe et du xv• siècle ne pouvait être aussi éclairée que celle des hommes du XVIII•, mais la formule est trouvée, malheur à la Suisse si elle l'oublie!

En Suisse la séparation est naturelle, la fusion rationnelle, son histoire est le développement de ce principe; ni séparation complète, ni fusion absolue. Tel est le point de vue sous lequel nous la considérerons.»46

Lien fédéral, principefédéral, confédération - à dire vrai, c'est ce second élément qui lui paraît déterminant pour l'histoire des institutions politi- ques de l'Ancienne Suisse, dans la mesure où il vient donner forme à la liberté politique qui se manifeste dans le mouvement communal. Il s'agit là pour lui d'un phénomène général de l'histoire de l'Europe médiévale, dont la Suisse est un exemple privilégié. La confédération, planche de salut des communes au cœur de la féodalité - c'est ce qu'il expose à l'auditoire genevois de son Cours d'histoire de la Suisse en ces termes:

«Il faut voir les choses comme elles sont, les communes ne s'élevèrent pas à des considérations générales, politiques. Voilà la tendance, le danger, la difficulté - l'imperfection de la civilisa- tion et le peu d'étendue de l'instruction empêchait (sic) les communiers de s'élever à des vues générales. Quel était le résultat? Ici les communes ont disparu par le pouvoir absolu, ailleurs le pouvoir féodal les a détruites. Le moyen de salut qu'était-il dans cet état de choses? Il n'y en avait qu'un, et les villes Lombardes l'ont compris dans la formation de leur Ligue, il n'y en avait qu'un seul possible, c'était la confédération; ce principe était le seul moyen de salut qui a sauvé les communes dans une portion de l'Europe, et nulle part plus qu'en Suisse, puisque la Suisse existe encore.»47

44 Cf. op.cit. (23), Soixante-dixième leçon, t. III, 351-356.

45 Cf. CHS, op.cit. (21), Ms. cours univ. 412 cit., loc.cit., f. 10.

46 Cf. op.cit., loc.cit., f. 10-11.

47 Cf. op.cit., Cahier No VI, f. 167.

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Approfondissant alors l'exemple de la Suisse, qui illustre de façon exem- plaire la consolidation de la liberté politique constitutive du mouvement communal par le principe fédéral, il tient à souligner devant le même audi- toire le rôle décisif joué par les trois cantons originaires - les Waldstaet- ten - dans la diffusion du principe fédéral par rapport aux libertés com- munales caractéristiques des grandes Cités du Plateau:

«Il n'est pas exact de dire que hors des trois Cantons de Schwitz, Uri et Unterwalden, la liberté n'a pas existé; ce serait une fausse manière d'envisager la question. Zurich, Berne et d'autres villes avaient leurs libertés communales, avant l'influence des trois cantons sur le reste de la Suisse, mais c'est la liberté politique de la Suisse comme Etat, c'est l'existence nationale de la Suisse qui est essentiellement leur ouvrage, si ce n'est direct, indirect du moins; le principe général de cette existence nationale, le principe fédéral, c'est de leurs montagnes qu'il est des- cendu pour venir lier entre elles ces parties décousues, si peu propres à former un seul tout, et certes ce n'était pas dans les idées abstraites de la politique, pas même dans l'histoire, pas même dans l'exemple de la Ligue Lombarde que les bergers de Schwitz avaient puisé leurs idées fédérales: c'est là la véritable gloire de ce peuple qui habitait au pied du mont Joch, sur les bords du Lac de Wallenstii.dt (sic) au milieu de ces effrayants rochers, et de ces riantes prai- ries, au milieu de ces remparts qui semblaient élevés par la nature pour lui servir à s'isoler du monde entier, et cependant ce lien fédéral devait grouper autour de ce peuple tous les pays d'alentours.»48

Deux aspects sont à retenir ici de la conception rossienne de l'histoire du principe fédéral dans l'Ancienne Suisse. Le premier tient à son origine.

C'est qu'à son sens, d'une part - mais sur ce point ses vues sont alors tout à fait contestables - le principe fédéral commande l'organisation politique séculaire des Waldstaetten - «Cette population devenue plus nombreuse avait occupé les Vallées de Schwitz, Uri et Unterwald et formé trois communes indépendantes( ... ) Ainsi la division par canton et le prin- cipe fédéral quoique non encore écrit sont de toute antiquité»49 - et c'est que, d'autre part - et là il fait véritablement œuvre de pionnier dans l'historiographie de langue française, puisqu'il est l'un des premiers à en vulgariser la récente découverte - le principe fédéral a directement inspiré le Pacte de 1291, modèle de tous les pactes ultérieurs - «publié en 1760, c'est le premier type écrit de Pacte fédéral suisse, il est tellement remar- quable que dans le fond tous les Pactes fédéraux de la Suisse sont faits sur celui-là avec quelques amendements, corrections, rectifications»50

48 Cf. op.cit., Cahier No VII, f. 175- 176.

49 Cf. op.cit., Cahier cit., f. 189.

so Cf. op.cit., Cah. cit., f. 197. A noter que P. Rossi, suivant l'historiographie tradi- tionnelle remontant à Aegidius Tschudi, n'en continue pas moins de dater le ser- ment du Grütli du 7 novembre 1307 (f. 207) et son renouvellement dans le soulève- ment général contre les baillis du début 1308 (cf. f. 225- 226, avec la distinction opérée entre révolution conquérante et révolution défensive, comme celle des Waldstaetten, typique de l'esprit des doctrinaires).

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Le second aspect à retenir de la conception rossienne de l'histoire du prin- cipe fédéral dans l'Ancienne Suisse tient alors à la fonction de ce principe.

C'est qu'à ses yeux, c'est le principe fédéral, diffusé par les Waldstaetten, qui va conditionner directement ou indirectement «l'existence nationale de la Suisse», c'est ce principe qui va représenter, par rapport aux libertés communales particulières des Cités-Etats du Plateau, le «principe de liberté politique» générale pour «la Suisse comme Etat».

Pour avoir reconnu dans le principe fédéral un principe de liberté, donc un principe de progrès51, Pellegrino Rossi n'en méconnaît pas pour autant tous les avatars et toutes les altérations qu'il va subir au cours des siècles.

La lucidité du diagnostic qu'il pose à cet égard sur le fonctionnement de la société politique suisse à la fin du XVIIIe siècle est à la hauteur de ses intui- tions sur lafonction du principe fédéral:

«Ainsi au XVIIIe siècle, il y avait en Suisse cette même diversité dans la direction de l'esprit du temps qu'on y retrouve en toute autre chose, l'esprit français s'y glissait par les gorges occi- dentales du Jura; l'esprit français et la science allemande se faisait (sic) jour à Zurich, le jansé- nisme lombard traversait le Saint-Gothard et cherchait à s'établir à Lucerne; les petits cantons restaient avec leurs traditions, contents de leur ancienne liberté; quelques familles et des ecclé- siastiques étaient au fond les maîtres du pays, mais ils étaient des maîtres que le pays acceptait et qui ne s'imposaient point au pays. Ainsi aux autres causes de luttes et de combats venait se réunir celle de l'esprit ancien et de l'esprit moderne, des hommes de Tell et de Winkelried et des hommes de Montesquieu et de Voltaire. Cependant dans son ensemble la Suisse présentait peu de vie et d'activité, les individus dans telle ou telle partie de la Suisse étaient en progrès, l'ensemble, la société n'avançait guère( ... ) il y avait donc sous ce rapport indépendamment d'augmentations territoriales, augmentation dans la force et l'organisation de tous les pays avoisinant la Suisse, tandis que rien de semblable, rien d'important, rien de remarquable ne s'était opéré en Suisse, tout y était désormais rouille et vieillerie, institutions publiques comme administration, armées comme finances, en Suisse on croyait être habiles financiers parce qu'on avait laborieusement économisé et renfermé sous plusieurs clefs un gros trésor.»52

Il était dès lors exclu que la Suisse pût continuer à remplir le rôle géo-poli- tique qui lui était dévolu en Europe «de gardienne des frontières de la France et d'une grande partie des frontières de l'Italie»:

«Hélas, elle ne pouvait pas le remplir parce que le vieux monde et le nouveau existaient dans son sein et la déchiraient, qu'elle n'avait en conséquence ni union, ni force, que les gouverne- ments et les peuples se tournaient le dos, les uns regardant vers l'Allemagne, les autres vers la France, les uns alliés secrets de la première, les autres de la seconde. Or la Suisse doit être alliée de tout le monde ou de personne.»53

Rien d'étonnant dans ces conditions à ce que l'organisation politique de l'Ancienne Suisse ne s'effondre comme un château de cartes lors de l'inter-

51 Cf. également Cours de Droit Constitutionnel, op.cit., /oc.cit. (44).

52 Cf. Cours d'histoire de la Suisse, op.cit. (21), Ms. Cours Univ. 412, BPU Genève, Cahier No XVII, f. 636- 638.

53 Cf. op.cit., Cahier No XVIII, f. 655-656.

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vention des troupes révolutionnaires françaises et que la Chute de l'Ancienne Confédération n'entraîne avec la capitulation de Berne la dis- parition de la Suisse elle-même - Rossi n'a pas d'accents assez pathéti- ques pour l'exprimer dans son cours d'histoire nationale de Genève:

«On capitula. Et c'est ainsi que finit la Confédération suisse qui avait duré près de cinq siè- cles. La Suisse n'était plus ... C'est inutile maintenant de continuer l'histoire de la Suisse, les pays qui ne sont plus n'ont pas d'histoire. La Suisse n'était plus, elle n'était plus elle-même qu'un satellite d'une grande puissance étrangère.»54

Pareille constatation ne l'empêche pas de formuler une appréciation diffé- renciée sur les régimes successifs mis en place sous l'égide de cette puis- sance étrangère. Du coup, nous abordons le tableau qu'il trace et les juge- ments qu'il donne de l'organisation politique de la Suisse moderne. Nous nous en tiendrons ici à son évocation de la République Helvétique et du régime de l'Acte de Médiation.

Pour ce qui est de la République Helvétique, Rossi ne trouve pas de termes assez forts pour condamner l'organisation et les institutions politiques dont elle dote la Suisse: à ses yeux en effet, c'est la disparition de la Suisse qu'elle entraîne, une Suisse traitée comme une matière morte:

«Et la Suisse n'était plus! Elle n'était plus parce que la République Helvétique une et indivi- sible organisée par la force n'était pas une forme suisse. Elle fut partagée arbitrairement en 18 cantons ou départements, on lui enleva ses biens et on l'écrasa par d'énormes contributions.»

( ... )

«La Suisse comme une matière morte fut soumise à un système incompatible avec ses mœurs, ses habitudes, ses localités. Aussi même sous l'action de la force, cette incompatibilité sautait aux yeux. Le mécontentement se manifesta de toutes parts et lorsqu'au mois de juillet 1798 tous les Suisses furent appelés à prêter serment à la Constitution, la terreur des combats qu'on venait de livrer un mois avant ne suffit pas pour empêcher qu'on ne courût aux armes.»55

Quant à l'Acte de Médiation «donné à la Suisse cinq ans plus tard» par Napoléon, Rossi porte sur l'organisation politique et le nouveau régime qu'il instaure un jugement à la fois plus nuancé et singulièrement positif, notamment en ce qui concerne sa portée pour l'avenir:

«Soyons justes, il rendit par-là un service imminent (sic) à la Suisse. Napoléon comprenait la Suisse et ce n'était pas l'homme des rêveurs. Sous l'Acte de Médiation, la Suisse eut le temps de s'organiser, de se reconnaître, de reprendre une assiette plus tranquille; les nouveaux droits furent reconnus, les nouveaux intérêts sanctionnés, les nouveaux cantons créés, l'Argovie, le pays de Vaud, le Tessin, etc. eurent le temps de se regarder en face, de coexister ensemble, de s'habituer à une vie commune. N'oublions pas le service éminent de l'Acte de Médiation: il fut une première régularisation de l'état nouveau des choses en Suisse, une prise paisible de pos-

54 Cf. op.cit., Cah. cit., f. 666- 669; voir aussi Ms. 3412, Bibliothèque Sainte-Gene- viève, Réserve, Paris, cit. (21), f. 347.

55 Cf. op.cit., Ms. Cours Univ. 412, Cahier No XVIII, f. 666-668.

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session et une habitude formée et si la Suisse est aujourd'hui ce qu'elle est, dans mon opinion, elle le doit essentiellement aux onze années de l'Acte de Médiation.»56

Les notes préparatoires que Rossi nous a laissées de son cours, rappelant tout le contexte de politique internationale et intérieure de la Médiation, sont encore plus précises et pertinentes en ce qui concerne l'organisation politique et les institutions spécifiques établies par ce régime:

«Par cet acte, la Suisse est constituée en Confédération de 19 cantons, ayant chacun sa Consti- tution particulière; une Diète nationale et annuelle sorte de Gouvernement central, satisfaisait un désir des partisans de l'unité républicaine. Les Cités jadis souveraines de Fribourg, Berne, Soleure, Bâle, Zurich et Lucerne, invitées désormais de servir alternativement de résidence à la Diète, trouvaient ainsi un dédommagement à la perte de leur ancienne puissance. Dans toute la Suisse les prérogatives de familles furent abolies; la liberté de l'industrie et l'égalité devant la loi furent consacrées.»57

Fort de sa connaissance approfondie de l'organisation politique et des ins- titutions propres de l'Ancienne Suisse comme de la Suisse moderne sous l'hégémonie française, quelle analyse et quel jugement Rossi formule-t-il alors sur l'organisation et les institutions politiques de son temps? Il con- vient de distinguer ici deux niveaux: celui du Pacte fédéral de 1815 dans son texte et dans son contexte, sur lequel il porte une appréciation diffé- renciée, mais globalement positive, et celui de l'organisation et du fonc- tionnement des institutions du régime que le Pacte a instauré.

En ce qui concerne le Pacte fédéral de 1815lui-même, Rossi, fidèle à son approche historique pragmatique, tient à le situer dans son contexte pour l'apprécier à sa juste valeur dans l'histoire constitutionnelle de la Suisse.

C'est ce qu'il formule d'abord dans son Cours d'histoire de la Suisse en ces termes très nuancés:

«Napoléon lui-même n'était qu'une transition. Le jour de l'épuisement de son principe arriva et la Suisse se trouva de nouveau en 1814 à la merci des passions et de l'étranger. Alors les espérances rétrogrades furent immenses, mais grâce au poids de la Médiation dans les onze années, ces espérances rétrogrades furent déjouées( ... ) La transition eut lieu, mais cependant ce n'était d'abord qu'une transition. Elle eut lieu, parce que les circonstances l'amenèrent, parce que dans le congrès même qui s'organise alors en Europe, il y avait des rétrogrades, il y avait ceux qui voulaient conserver le statu quo, il y avait ceux qui nourrissaient d'heureuses idées pour l'avenir. Il fallait une transition. De là le système des XXII cantons, de là le prin- cipe aristocratique et sa demi-renaissance dans quelques aristocraties que l'Acte de Médiation n'avait pas légitimées.»58

56 Cf. op.cit., Cah. cit., f. 669-670, et Ms. 3412, Paris, f. 347.

57 Cf. P. Rossi, Notes sur l'Histoire de la Suisse, Ms. 3413, Bibliothèque Sainte-Gene- viève, Rés., Paris, op.cit. (22), f. 349.

58 Cf. Cours d'histoire de la Suisse, op.cit. (21), Ms. Cours Univ. 412, Genève, Cah.

cit. (56), f. 670-671, et Ms. 3412, Paris, f. 347.

(18)

Ce jugement mitigé sur le Pacte de 1815 lui-même se retrouve aussi bien dans ses articles du Fédéral - «le Pacte Suisse est loin d'être parfait»59 - que dans son Rapport à la Diète de Lucerne de 1832: «Vous êtes appelés, Messieurs, à substituer à une convention incomplète et imparfaitement dis- cutée un acte mûrement élaboré, à un Pacte rédigé au milieu de circons- tances pénibles, une charte renfermant l'expression libre et sincère de nos besoins, des exigences de la commune patrie.»60

La reconnaissance des limites du Pacte fédéral de 1815 ne l'empêchera pas de proclamer pendant longtemps le caractère quasi institutionnel de ce Pacte - «Ancre de Salut», «Arche Sainte», «Propriété de tous les Con- fédérés». C'est ce qui transparaît non seulement dans ses articles du Fédéral - «Le Pacte fédéral est le droit et la propriété de tous les Confé- dérés. Le réviser, le modifier, le changer doit être le droit et l'œuvre de tous»61 - mais surtout dans ses interventions parlementaires au Conseil représentatif de Genève:

«L'avenir de la Suisse s'assombrit à mes yeux, et s'il lui reste une Ancre de Salut au jour de l'orage, elle la trouvera dans le Pacte ou elle ne la trouvera nulle part. ( ... ) Mais ce Pacte n'est-il pas perfectible? Oui, Messieurs, comme toutes les choses de ce monde, il attend de la main du temps des améliorations diverses. Et est-ce dans ces moments qu'il faut y toucher?

( ... )Mais plus tard sera-t-il temps encore? Non, Messieurs, aujourd'hui le Pacte fédéral doit être pour les Suisses l'Arche Sainte: honte et malheur à qui y portera la main!»62

Du coup, nous abordons le niveau de l'organisation et du fonctionnement des institutions du régime instauré par le Pacte de 1815 tels que Rossi les perçoit au cœur du mouvement de la Régénération.

Conscient à la fois des imperfections du Pacte de 1815 et de son caractère quasi institutionnel, c'est à une critique très modérée de l'organisation et des institutions politiques de son temps qu'il se livre dans son cours d'his- toire nationale de Genève comme dans son Rapport sur la révision du Pacte à la Diète de Lucerne en 1832.

Quant à la conjoncture politique générale de la Suisse de son temps, dans laquelle s'insèrent ces institutions, comparant aux faits qui ont présidé à l'élaboration du Pacte de 1815 le mouvement de régénération qu'il vit, il relève tout d'abord dans la dernière leçon de son Cours d'histoire de la Suisse à Genève, le 17 avril1832:

59 Cf. Le Fédéral, op.cit. (19), No 1, 16 mars 1832, 4.

60 Cf. Rapport, op.cit. (25) 3-4.

61 Cf. Le Fédéral, op.cit., loc.cit.

62 Cf. Mémorial des Séances du Conseil Représentatif, op.cit. (24), 1831-1832, Il, 917.

(19)

«En présence de ces faits, qu'est-ce que la Suisse aujourd'hui et quelle est son histoire dans ce moment? C'est la crise complémentaire, c'est l'abolition de ce que la transition a laissé de trop dans l'ordre des temps et des nécessités sociales. Tel est le caractère du moment. Quel est le danger? Et quelle est l'erreur à redouter? A un degré beaucoup plus faible, parce que les inté- rêts ne sont plus à la même distance, les dangers sont ceux de 1798; l'erreur à redouter, c'est la même, il y a une grande différence d'intensité, mais pas de qualité; et le remède est aujourd'hui comme alors dans une heureuse alliance de concessions et de fermeté, d'union et de force, dans l'intelligence de la position de la Suisse.»63

Le danger et l'erreur qu'il redoute ici ne sont rien d'autre que le triomphe comme en 1798 des partisans d'une Suisse unitaire. Il s'en explique claire- ment à son collègue vaudois à la Diète fédérale Nicole-Du Pan dans une lettre du 8 mars 1832, affirmant sans ambages:

«Les unitaires, je le dis hautement, sont à mes yeux le parti le plus dangereux pour l'existence de la Suisse. Leurs théories d'unité et de centralisation, théories très séduisantes, j'en con- viens, pour l'esprit humain, me paraissent des rêves dangereux et subversifs lorsqu'on prétend les appliquer à la Suisse. L'unité absolue et la Suisse sont deux faits et deux idées incompati- bles.»64

C'est l'intelligence de cette situation historique singulière, en particulier du péril unitaire qui menace la Confédération autant que la préoccupation toute politicienne de ménager les immobiles65, partisans du statu quo, qui conditionnent à notre sens l'extrême modération des critiques que Pelle- grino Rossi formule alors à l'encontre de l'organisation et dujonctionne- ment des institutions politiques suisses dans son Rapport sur la révision du Pacte fédéral à la Diète de Lucerne en décembre 1832. Loin de se livrer en effet à un réquisitoire systématique de l'organisation et du fonctionnement des organes de la Confédération, comme le fera Tocqueville en examinant chacun d'entre eux par rapport aux principes d'une «saine doctrine de droit public», c'est à l'occasion de chacune des réformes du Pacte de 1815 proposées par la Commission de la Diète - réorganisation de la Diète fédérale, instauration d'une Cour fédérale et création d'un Conseil fédéral - que Rossi met en évidence les inconvénients de l'organisation et du fonctionnement des institutions en vigueur d'une manière toute pragma- tique.

63 Cf. Cours d'histoire de la Suisse, op.cit. (21), Ms. cours univ. 412, Genève, Cahier No XVIII, f. 671-672, et Ms. 3412, Paris, f. 347.

64 Cf. Lettre à Alphonse Nicole-Du Pan du 8 mars 1832, citée in: E. Chapuisat, op.cit.

(28) 261.

65 Sur les quatre opinions ou partis qui se divisent la Suisse: rétrogrades ou mécon- tents, immobiles, unitaires et progressifs, cf. outre la lettre citée à Nicole-Du Pan (64) 260-261, l'article du Fédéral sur la Question Suisse, op.cit. (19), No 1, 16 mars 1832,4.

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