Médecine
& enfance
Il y a trois ans, Médecine et enfance a consacré un dossier aux risques liés à l’usage des écrans et des téléphones portables [1]et a publié, un an plus tard, un article sur l’addiction aux écrans [2]accompagné d’une fiche de « conseils aux parents »[3]. En outre, ces risques sont souvent évoqués dans les discus- sions du forum internet de notre revue. Cette année paraît un texte à valeur de référence, rédigé en langue anglaise (« Children and screens ») par le Groupe de pédiatrie générale (GPG) de la SFP (Société française de pédiatrie) [4]. Il comporte deux parties : dans la première, le GPG reprend les recommandations provenant de cinq sources ; dans la seconde, le GPG s’appuie sur ces recom- mandations pour proposer cinq messages simples à l’attention des parents.
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RECOMMANDATIONS
Rubrique dirigée par C. Copin
PUBLICATIONS ANTÉRIEURES
Depuis 2013, plusieurs recommanda- tions importantes et publications sont parues, qui sont disponibles sur internet et que nous avons consultées.
AVIS DE L’ACADÉMIE DES SCIENCES : L’ENFANT ET LES ÉCRANS [5]
Disponible sur la toile en format PDF, cet avis émis en 2013 comporte près de 200 pages et a pour objectif de rendre compte, de façon mesurée, des aspects positifs et négatifs observés lorsque les enfants de différents âges utilisent divers types d’écrans*, « actifs », comme les jeux vidéo, ou « passifs », comme la télévision.
Rédigé de façon très conventionnelle (ce qui explique sa longueur), ce rapport est important pour le pédiatre lorsqu’il est question des âges. En substance : 첸chez les enfants de moins de deux ans, les tablettes visuelles et tactiles sus- citent le mieux, avec l’aide des parents ou celle des enfants plus âgés, l’éveil précoce au monde des écrans, car c’est, semble-t-il, le format le plus proche de l’intelligence des enfants de cet âge ;
첸entre deux et six ans, l’enfant pour- rait « se réfugier dans le monde virtuel des écrans », et c’est pourquoi il doit être éduqué à une utilisation modérée et régulée ;
첸entre six et douze ans (école élémen- taire), les écrans doivent constituer un outil éducatif (lecture et calcul en parti- culier) ;
첸entre douze et dix-huit ans (adoles- cents), le contrôle des parents doit tou- jours s’exercer en raison du déséquilibre fréquent entre les aspects cognitifs et émotionnels. In fine, l’éducation et le contrôle sont essentiels, autant qu’ils l’étaient chez les bébés et les enfants ; 첸presque à tous les âges, l’utilisation excessive des écrans se fait aux dépens de la sociabilité et de l’éducation phy- sique, avec en plus des risques possibles sur la vision et le sommeil.
En conclusion, il faut : favoriser l’alter- nance chez le jeune enfant puis à tout âge ; encourager les bonnes pratiques (en particulier partagées et créatrices, tout spécialement dans la famille et à l’école) ; développer le rôle thérapeutique des écrans (orthophonie, psychothérapie).
Les enfants et les écrans
G. Dutau,Toulouse
* Cinéma, télévision, ordinateur, tablette tactile, téléphone por- table et divers systèmes associés.
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DOSSIER DE MÉDECINE ET ENFANCE [1, 2]
Ce dossier aborde différents thèmes sans jargon inutile : épilepsie et écrans (S. Auvin) ; conséquences de l’excès d’utilisation de la vision (E. Bui Quoc) ; jeu vidéo violent et agression (L. Bègue) ; point de vue du pédopsychiatre (M. Boublil) ; revue de la littérature sur les risques liés à l’utilisation des télé- phones sans fil et des mobiles (I. Mos- nier). Le lecteur pourra se référer à ces thématiques dont certaines sortent du cadre de notre sujet. Nous retenons ici les points suivants :
첸l’utilisation excessive de la vision de près, avec ou sans écrans, peut être dé- létère chez un enfant hypermétrope non corrigé en raison de la fatigue vi- suelle ainsi induite. Cela peut faire re- commander, vers l’âge de six ans, un examen ophtalmologique réfractif avec cycloplégie, afin de détecter une hyper- métropie latente significative [1]; 첸les études sur les corrélations entre les jeux vidéo violents et les consé- quences émotionnelles, cognitives et comportementales montrent qu’ils pro- voquent des représentations et des réac- tions importantes, et qu’ils n’ont pas l’ef- fet cathartique qui leur est parfois attri- bué. Le comportement d’enfants de huit ans ayant joué vingt minutes avec un jeu violent (combat) a été comparé à celui d’autres enfants ayant joué avec un jeu non violent (course de motos). Les en- fants étaient ensuite laissés dans une pièce et filmés pendant quinze minutes à leur insu. Ceux qui avaient joué au jeu de combat commettaient deux fois plus d’actes agressifs que ceux qui avaient joué à la course de motos [1]. Une méta- analyse confirme ces données [6]; 첸dans son article intitulé L’enfant aux allumettes,M. Boublil écrit : « Je ne vais parler ici que de l’excès et de la déme- sure, puisque c’est un motif de consul- tation de parents qui se sont laissé dé- passer et qui ne gèrent plus l’accès de leurs enfants aux écrans. Il s’agit donc, heureusement, d’une fraction faible de la population d’enfants, que l’on peut considérer comme esclaves des écrans.
Comme dans tout problème, on tente de mesurer ce qui est visible, en se mé- fiant des appréciations trop subjec- tives : horaires, sommeil, statistiques.
Mais mesure-t-on ce qui est vraiment dangereux ? Là encore, combien d’en- fants voient leur père rentrer le soir et se mettre devant un ordinateur, au mieux pour s’informer, au pire pour jouer ? Combien de parents, dans nos salles d’attente ,tapotent sur leur télé- phone ».
Dans son article sur l’addiction aux écrans [2], S. Duflo constate que les écrans sont devenus le principal stimu- lateur et éducateur pour certains en- fants. Elle explique que l’écran n’est pas un objet anodin, car il provoque une ad- diction par surstimulation de l’attention exogène aux dépens de l’attention vo- lontaire. De lui-même, l’enfant est inca- pable de réguler le temps qu’il passe de- vant les écrans, ce qui le prive du temps nécessaire au développement de ses compétences : langage, rapport adapté aux objets, socialisation… Des retards peuvent alors s’observer dans ces do- maines. Des recommandations de ges- tion sont indispensables : pas d’écran le matin ; pas d’écran pendant les repas ; pas d’écran le soir avant de se coucher ; pas d’écran dans la chambre de l’enfant.
Les résultats de ces mesures sont faciles à évaluer : augmentation du temps de sommeil, diminution de l’agitation en classe et à la maison, amélioration de l’attention et de la sociabilité [2]. Une fiche de conseils aux parents détaille ces quatre règles et les raisons qui les motivent [3].
ACADÉMIE AMÉRICAINE DE PÉDIATRIE [7]
L’AAP (American Academy of Pedia- trics) a mis à jour ses recommanda- tions sur les écrans en 2016, en se fon- dant sur la littérature récente (49 pu- blications). Les conséquences d’un mésusage des écrans affectent l’IMC (indice de masse corporelle), la durée et la qualité du sommeil, et le dévelop- pement neurologique. L’AAP recom- mande un « plan média familial ». Il faut conseiller aux parents de ne pas
proposer d’écran avant l’âge de dix- huit à vingt-quatre mois (sauf Skype et FaceTime). Entre deux et cinq ans, l’enfant ne doit pas utiliser les écrans plus d’une heure par jour, ni sans la su- pervision d’un adulte.
PRÉCONISATIONS DU CONSEIL SUPÉRIEUR DE L’AUDIOVISUEL (CSA) [8]
Pour le CSA, la télévision n’est pas adaptée aux enfants de moins de trois ans. En effet, avant cet âge, l’enfant se construit en agissant sur le monde réel, et « la télévision risque de l’enfermer dans un statut de spectateur à un mo- ment où il doit apprendre à devenir ac- teur du monde qui l’entoure ». L’enfant doit se construire en interagissant avec ses parents, les adultes qui l’entourent, ses frères et sœurs. « Il est faux de croire que la télévision calme les enfants », in- dique le CSA, au contraire, même si l’écran semble avoir un tel effet tant que l’attention de l’enfant est captée. Le CSA recommande de protéger les en- fants de moins de trois ans des effets de la télévision, y compris des programmes censés être conçus pour eux. Chaque année, les éditeurs des services de télé- vision participent à une campagne d’in- formation pilotée par le CSA et diffusée pendant trois jours qui reprend les mes- sages clés du CSA sur la protection des tout-petits.
LA RÈGLE DES « 3-6-9-12 » [9]
Serge Tisseron a proposé en 2008 la règle mnémotechnique dite des « 3-6-9- 12 ». Dans la mesure où les écrans constituent des supports de divertisse- ment et d’éducation, il conseille une règle numérique simple visant à aider les parents : pas d’écrans avant trois ans (ou les éviter le plus possible) ; pas de console de jeu portable avant six ans ; pas d’internet avant neuf ans et in- ternet accompagné jusqu’à l’entrée au collège ; internet seul à partir de douze ans mais avec prudence. Ultérieure- ment, Serge Tisseron a affiné ces conseils en les détaillant dans une af- fiche téléchargeable « Apprivoiser les écrans et grandir » [9]. Les principaux Médecine
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conseils qu’il donne aux parents sont les suivants : avant trois ans : jouez, parlez et arrêtez la télé ; de trois à six ans : limitez les écrans, partagez-les, parlez-en en famille ; de six à neuf ans : créez avec les écrans, expliquez-lui in- ternet ; de neuf à douze ans : apprenez à votre enfant à se protéger et à proté- ger ses échanges ; après douze ans, res- tez disponibles pour votre enfant.
RECOMMANDATIONS ACTUELLES
En 2016, le GPG a organisé une confé- rence de deux jours regroupant 750 pé- diatres et d’autres spécialistes de la peti- te enfance. Cela a été l’occasion de pas- ser en revue les différents types d’écrans et leur utilisation par les enfants. D’une enquête menée par l’AFPA (Association française de pédiatrie ambulatoire) à l’initiative du GPG, il ressort que, parmi
197 enfants de moins de trois ans, 92 (46,7 %) avaient joué avec un écran interactif pendant en moyenne trente mi- nutes dans la semaine précédant la consultation et 29 % (14,7 %) avaient utilisé les écrans tout seuls [10]. Dans un rapport préliminaire, les participants re- prennent les risques de la télévision et des différents écrans dans des termes qui sont ceux des recommandations anté- rieures en ajoutant des notions de neuro- biologie. Ils indiquent que l’utilisation ex- cessive est fréquente mais que l’addiction semble rare [11]. Deux ans plus tard, les recommandations du GPG sont principa- lement au nombre de cinq[4]:
첸comprendre l’évolution des technolo- gies digitales sans les diaboliser ; 첸utiliser les écrans dans les parties communes de la maison (sous sur- veillance des parents) et non dans les chambres des enfants ;
첸ménager du temps sans utilisation d’écrans ;
첸donner des conseils aux parents pour l’utilisation des écrans ;
첸prévenir l’isolement social.
CONCLUSION
A la suite des recommandations émises dans différents pays, en particulier an- glo-saxons, le GPG a proposé ses propres recommandations. Ces règles simples doivent permettre de limiter l’usage et les mésusages des écrans.
Nous ajouterons qu’une revue de la lit- térature publiée en 2015 [12]montre que l’encouragement par les parents de l’activité physique de leurs enfants ré- duit le temps passé devant les écrans : il nous semble que cette préconisation simple et efficace, quasiment oubliée jusqu’à présent, devrait être associée à ces mesures. 첸
L’auteur déclare ne pas avoir de liens d’intérêts en rapport avec la rédaction de cet article.
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avril 2018 page 97 Références
[1] FRANÇOIS M. (dossier sous la direction de) : « Ecrans et por- tables : mieux cerner les risques », Méd. Enf.,2015 ; 35 :103-16.
[2] DUFLO S. : « L’enfant et les écrans : entre addiction et temps volé », Méd. Enf.,2016 ; 36 :194-8.
[3] DUFLO S. : «Conseils aux parents. Mon enfant face aux écrans : quatre “pas” pour mieux avancer», Méd. Enf.,2016; 36 :199.
[4] PICHEROT G., CHEYMOL J., ASSATHIANY R. et al. : « Chil- dren and screens : Groupe de pédiatrie générale (Société fran- çaise de pédiatrie) guidelines for paediatricians and families », Arch. Pédiatr.,2018 ; 25 :170-4.
[5] BACH J.F., HOUDÉ O., LÉNA P., TISSERON S. : « L’enfant et les écrans », 2013 (www.academie-sciences.fr/pdf/rapport/
avis0113.pdf).
[6] ANDERSON C.A., SHIBUYA A., IHORI N. et al. : « Violent vi- deo game effects on aggression, empathy, and prosocial beha- vior in Eastern and Western countries : a meta-analytic review », Psychol Bull.,2010 ; 136 :151-73.
[7] AAP COUNCIL ON COMMUNICATIONS AND MEDIA : « Me- dia and young minds », Pediatrics,2016 ; 138 :e20162591.
[8] CONSEIL SUPÉRIEUR DE L’AUDIOVISUEL : « L’impact de la télévision sur le tout-petit », www.csa.fr/Television/Le-suivi-des- programmes/Jeunesse-et-protection-des-mineurs/La-protec
tion-des-tout-petits.
[9] TISSERON S. : « Apprivoiser les écrans et grandir », www.3-6- 9-12.org/wp-content/uploads/2018/03/Aff-A3-Apprivoiser-les- ecrans-2018-2-HR2.pdf.
[10] ASSATHIANY R., GUERY E., CARON F.M. : « Children and screens : a survey by French pediatricians », Arch. Pédiatr.,2018 ; 25 :84-8.
[11] OGRISEK M., HOUDÉ O., ASSATHIANY R. et al. : « L’enfant et les écrans », Pédiatr. Pratique,2016 ; 279 :9-16.
[12] XU H., WEN L.M., RISSEL C. : « Associations of parental in- fluences with physical activity and screen time among young children : a systematic review », J. Obes.,2015 ; 2015 :546925.
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