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Portrait de ville : Marrakech

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Academic year: 2022

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UR 02 Cours 3 Philippe Dehan

Portrait de ville : Marrakech

Marrakech est située dans les terres au sud du Maroc, dans la Plaine du Haouz crée par le fleuve (oued) Tensift.

C’est l’une des villes les plus méridionales de l’Afrique du nord. Elle est implantée au pied des montagnes de l’Atlas, un massif très haut (jusqu’à 4000 m) qui coupe le Maroc et délimite le désert : au sud on est dans le Sahara. La ville est située à 30 km environ du pied des montagnes et l’on connaît les photos qui montrent le contraste entre la terre rouge et plate de la ville et les montagnes enneigées. La ville elle même est située à une altitude plutôt basse, 460 m, et n’est pas implantée sur le fleuve, mais à 10 km, sans doute pour se protéger de ses crues. Elle est néanmoins bordée par un petit affluent très encaissé, l’oued Issil à l’est. Marrakech est implantée loin de la mer qui n’est pas un enjeu à l’époque de sa création. Mais c’est l’une des raisons pour lesquelles elle perdra de l’importance économique et politique, par rapport à d’autres villes du Maroc au 20e siècle.

Pour le géographe Alain Mandleur, ce site est un peu surprenant car, placé au centre d’une vaste plaine, il semble peu défendable. Mais Marrakech constitue alors une étape avant le franchissement de l’Atlas et une base pour la conquête du pays. Marrakech joue le même rôle que d’autres villes-camps utilisées par les arabes pour leur progression en Afrique : Le Caire, Kairouan… Marrakech constitue une base de départ pour la conquête du nord du Maroc et de l’Espagne. Le camp éclipse alors la ville voisine Arhmat Ourika.

En effet, Marrakech est implantée au centre d’un large éventail de pistes, ce qui lui permet d’être un point stratégique pour le contrôle de la région, des tribus Berbères des montagnes mais aussi des flux commerciaux.

C’est, pendant longtemps une plateforme commerciale intéressante. Pendant des siècles, Marrakech est en particulier l’un des aboutissements des grandes caravanes du Hoggar et du Soudan.

Plusieurs éléments positifs caractérisent le site :

. la pierre à bâtir de la montagne (Jbel) Gueliz qui permet de bâtir les assises des murs,

. la présence de nappes phréatiques importantes, qui grâce à la connaissance d’une nouvelle technique d’irrigation en sous-sol (les Khettaras) permet d’irriguer les alentours.

. La faible pente du site permet une large extension que n’aurait pas permis une ville dans l’Atlas.

Création

Marrakech est une ville créée. Elle fut fondée en 1070 par le souverain almoravide (1070 – 1147) Youssef-ben- Tachfine. C’est la capitale du sud de Maroc, un centre administratif et économique régional qui, au cours des dernières décennies, a vu croître de façon très importante la fonction touristique.

C’est une fondation royale qui transforme un site de marché rural en capitale qui pendant des siècles alternera avec Fès pour la dominance du Maroc.

En fait, la fondation se passe en trois temps. Dans un premier temps, Abou Bekr qui conquiert la région, quitte la petite ville existante d’Arhmat et choisit le site de Marrakech pour installer son camp.

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Dans un second temps, son « lieutenant » Youssef Ben Tachfine fonde la ville crée une place forte sur le site :

« la première construction maçonnée en pierre par des nomades sahariens ». A proximité naît un village et Youssef Ben Tachfine construit la mosquée à l’emplacement de celle qui porte son nom, au centre de marrakech Enfin son fils, Ali Ben Youssef, sera l’urbaniste de la ville puisqu’il construit 9 km de remparts en 1127.

A partir de là, l’urbanisation progresse rapidement palais, édifice publics, mosquées et les premiers quartiers d’habitation voient le jour. Un pont est réalisé sur l’oued Tensift pour développer les relations avec le nord du pays. Ainsi, dès sa fondation les Almoravides fixent l’emprise de la ville dans ses grandes lignes qui ne bougeront pas jusqu’au 20e siècle. En 75 ans la ville est née et pour Alain Mandleur, c’est une « ville champignon ».

Mais, comme le montrent les plans, il ne s’agit pas d’une fondation urbaine entièrement dessinée ; le tissu urbain se développe sans plan préconçu.

Palmeraie

Une originalité de Marrakech est sa palmeraie. Sa plantation fut rendue possible grâce au développement d’un système de khettaras. Les khettaras sont un système de galeries drainantes souterraines, qui relient une série de puits, qui permet à l’eau de circuler et d’irriguer la terre, sans s’évaporer.

La technique fut importée d’Iran. La première khettara date du calife almoravide Ali Ibn Yûsuf (1106 – 1143). Le principe est simple, on creuse un premier puit sur la partie la plus élevée du terrain et, à partir de là, des tunnels sont creusés vers l’aval qui permettent d’irriguer les terres par une série de puits. Cette technique fut ensuite développée dans tout Marrakech. Ce principe permis aux jardins de proliférer puis à la palmeraie de pousser spontanément. Les khettaras ont aussi servi à l’alimentation en eau de la ville elle-même.

Developpement

Capitale des Almohades (1147 – 1269) : Mais en 1147, Marrakech est assiégée puis prise par les Almohades et devient alors la capitale d’un empire sous la domination d’Abd-el-Moumen ben Ali (1130-1163). La ville s’agrandit et s’urbanise.

Tremblement de terre et peste n’arrêtent pas sa croissance. La Koutoubia est construite et devient le plus vaste sanctuaire de l’occident musulman avec à ses pieds une centaine de librairies.

De grands jardins irrigués apparaissent au sud et l’ouest de la ville : l’Aguedal et la Ménara.

La Casbah : Yacoub el Mansour (1184-1189) est un autre souverain bâtisseur pour Marrakech : il construit la Casbah qui constitue une ville autonome au sud de la ville, autour du palais royal et qui devient le centre politique jusqu’au début du 20e siècle. La Casbah est une ville impériale construite en brique et en pierre, entièrement fermée par des remparts. Elle comprend un palais royal, une mosquée, des souks, un hippodrome, un cimetière..

Cette concurrence n’affecte pas la croissance de l’ancienne cité et les quartiers se multiplient. C’est alors probablement la plus grande cité du pays, Marrakech compte une centaine de millier d’habitants. C’est une

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capitale à fonctions multiples : politique, militaire, intellectuelle et spirituelle, commerciale et artisanale . C’est un grand carrefour en relation constante avec le Sahara, l’Espagne et l’Afrique du nord jusqu’à Tripoli.

Déclin : Après cette période faste, Marrakech est prise par les Mérinides (1269 – 1470) en 1269 et connaît une période de déclin. La capitale devient Fès. Elle devient la seconde ville du Maroc. De nombreux quartiers et monuments sont en ruines.

Reconquista : à la fin du 15e siècle, la Reconquista, commencée en 718 s’achève en 1492, chassant les arabes d’Espagne. Les réfugiés Andalous et juifs chassés par les espagnols apporte un flux massif de nouveaux arrivants. Les Andalous s’installent dans le quartier de Riad el Zitoun.

Renaissance du 16e siècle : Avec l’arrivée des Saadiens 1555-1669) au 16e siècle Marrakech renaît, en particulier sous le règne de Moulay Abdallah (1557-1574).

Ce dernier fait remettre en état les réseaux d’alimentation en eau, et les monuments. Il réaménage la casbah très touchée par la ruine. Certains vieux quartiers qui étaient retournés à une vie presque rurale renaissent. Au centre de la ville ancienne, une Medersa (école / université) est adjointe à la mosquée Ben Youssef restaurée. Les souks retrouvent leur animation d’antan. Des quartiers sont bâtis entre les quartiers centraux et les quartiers des portes.

Mellah : Une grande nouveauté est celle de la création du Mellah, accolé à la muraille orientale de la Casbah : comme il l’a fait à Fès, Moulay Abdallah décide d’isoler la minorité juive qui s’accroît en construisant une quartier spécifique. C’est un rectangle de 18 ha qui possède ses synagogues, ses rues commerçantes, ses foundouks (hôtels artisanaux). Son plan est dessiné par le juif français ou allemand Samuel Sumbal. Il est centré sur une place d’où rayonnent quelques rues principales qui distribuent ensuite des rues secondaires ou impasses perpendiculaires. A cette époque, le Mellah fut peuplé entre 2000 et 4000 personnes.

La ville est alors florissante grâce à l’or du Soudan.

Déclin politique au 17e : Marrakech est de nouveau prise en 1669 par le premier souverain Alaouite, Moulay Rachid. Les Alaouites (1669-1912) règnent jusqu’à la colonisation –puis retrouveront le trône à l’indépendance - et, à partir de là, Marrakech reste la capitale du sud mais perd définitivement son statut de capitale.

Nouvelle croissance : A la fin du 18 sièclee : sous sidi Mohammed (1757 – 1790) elle connaît une période de croissance, avec la création d’un nouveau palais et l’extension de la Casbah. Le quartier Bab Ahmar est créé au sud pour accueillir la population noire au service du Makzem (souverain). Juste à côté sont créé des grands

« méchouars » de grandes aires permettant la rencontre entre le souverain et le peuple qui correspondrait à nos champs de mars.

Stagnation au 19 sièclee : Marrakech connaît peu de modifications au 19e siècle. Les jardins de la Ménara sont améliorés avec la création des bassins et du pavillon. Quelques grandes demeures sont édifiées et l’industrie fait une première apparition avec l’implantation de fabriques (poudre, coton et sucre).

Il n’existe qu’un seul faubourg hors les murs : El Hara réservé aux lépreux.

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Colonisation : Lorsque les français arrivent en 1912, la ville est recroquevillée dans une coquille trop grande pour elle. Beaucoup de voyageurs signalent l’état d’abandon de la ville.

Structure urbaine de la médina

La ville est composée d’un assemblage de quartiers caractéristiques de la ville musulmane. Un lacis de rues et d’impasses serpente au milieu de maisons basses qui constituent des îlots résidentiels. Le centre est occupé par un souk labyrinthique. Mais le plan, apparemment désordonné, démontre une organisation.

Le centre de la ville, autour de la mosquée Sidi ben Youssef, est radio concentrique et une dizaine d’artères partent en étoile vers les portes de la ville. En fait, il existe un réseau de voies de circulation qui traversent la ville et relient les quartiers, et définissent des quartiers.

Commerce et artisanat

Le quartier du souk est le quartier commerçant principal, dans le noyau le plus central au sud de la mosquée Ben Youssef. Il fait une vingtaine d’hectares. La spécialisation du travail est la règle et fabricants et vendeurs se regroupent par ruelle : souks des peaux, du cuir, des vêtements, des babouches, des bijoutiers, … De la même manière, les quartiers de production artisanale sont séparés et divisés : potiers, ferronniers, teinturiers, et un peu en marge les tanneurs. Certains ateliers occupent les étages des bâtiments dont les rez-de-chaussée sur rues sont des boutiques.

Foundouks et marchés

L’un des équipements important de la ville médiévale est le foundouk, ou caravansérail, constitué d’une vaste cour carrée entourée sur les quatre faces de galeries sur lesquelles s’ouvrent des boutiques, tandis que les étages sont réservés au logement des marchands et voyageurs. Certains abritent des artisans. Mais la plupart servent au commerce, en particulier pour accueillir les caravanes, et permettaient de loger marchands et bêtes.

Les caravanes étaient parfois gigantesques et pouvaient réunir jusqu’à 5 ou 6000 dromadaires1. Les cours intérieures étaient donc aussi importante que les pièces et galeries. Il existait une centaine de foundouks à Marrakech.

A côté de cette concentration permanente, d’autres types de commerces existent : les marchés hebdomadaires qui font le lien entre l’activité rurale de la région et la ville se tiennent aux portes et leur donnent leur nom Bab Khemis = souk du jeudi. Un seul souk est situé à l’intérieur des remparts.

Espaces publics

L’espace public est très minéral et très dense, très fermé. Mais il existe de nombreux espaces verts privés dans la médina. Peu dans le centre, mais beaucoup plus dans les quartiers périphériques où les grandes demeures des princes et riches bourgeois sont dotées de très vastes jardins. Ceux-ci sont toujours enclos. Et il y a un certain nombre de jardins de production : cultures céréalières, maraîchères et verges dans l’enceinte même de la ville. Le jardin royal de l’Aguedal est aussi entouré d’une enceinte d’environ 10 km (autant que la ville).

1 El Faïz Mohammed, Marrakech, patrimoine en péril, Acte sud / Eddif, 2002, p.57

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Quartiers d’habitat

Le quartier est redivisé en cellules plus petites, les derbs (impasse) qui souvent sont fermées le soir. Les quartiers disposent de leurs équipements autonomes (mosquées, écoles, fours à pains, épiceries, commerces), situés sur la rue principale ou à proximité.

Par exemple, le quartier Dabachi possède trois mosquées, quatre fours à pain.

Le Derb est une sorte d’unité de voisinage, très peu ouverte. Les principes d’impasses et de labyrinthes contribuent à privatiser cet espace semi public, même si ce sont sans doute les fantaisies des riches notables qui ont contribué à modifier la voirie. Les maisons sont totalement intériorisées : maisons à patio et pour les plus grandes d’entre elles, maisons à jardin (riad).

Le Derb Tizougarine est un bon exemple. Il regroupe une centaine de maisons à patio. Il n’est desservi que par une impasse, largement couverte qui se ramifie en onze petites impasses. A l’opposées des rues commerçantes, très actives, les ruelles de dessertes sont silencieuses et intimes. Elles constituent une sphère collective, mais privée. Elles n’accueillent aucun commerce ni artisanat. Un four à pain et une salle de prière sont implantés à son entrée.

Du point de vue social, les derbs pouvaient se faire selon une certaine distinction sociale (derb populaire / derb bourgeois). Dans les derbs les plus peuplés, la densité peut atteindre 1000 habitants à l’hectare. Mais le plus souvent la distinction se faisait par division ethnique. Dans ce cas, le clivage n’est plus social : les membres d’une même tribu ou d’une même région se regroupent dans le même derb. Dans ce cas, les anciennes hiérarchies existent. Le chef est alors généralement situé dans une luxueuse maison, souvent située au bout d’une impasse. Il arrive que ces grandes maisons communiquent avec plusieurs impasses voir plusieurs derbs, ce qui permet une circulation aisée et presque secrète. Le fonctionnement de ce type de quartier est bien montré dans un roman égyptien anonyme du 16e siècle : le Roman de baibars dont plusieurs tomes ont été traduits en français.

On le voit, la structure de la médina répond à une organisation sociale et fonctionnelle beaucoup plus claire et structurée que ne le montre un premier regard sur le plan. La ville est ainsi composée d’une unité d’environ 30 quartiers autour du centre. Les maisons sont construites en pisé et roseaux, avec très peu de bois.

Voilà le portrait de Marrakech à l’aube du 20e siècle. La ville a alors peu de contact avec l’extérieur. Fès est la capitale.

L’urbanisme au temps du protectorat

Dès 1907, arrivent un certain nombre d’européens, principalement des français qui achètent des terrains. Mais c’est avec le protectorat, à partir de 1912, que le Maroc et Marrakech vont connaître de profonds bouleversements. Moins spectaculaire que pour les villes du bord de mer, Casablanca en particulier qui va voir sa population exploser, Marrakech va croître et se transformer de manière sensible.

Le Général Lyautey, Résident général, appelle Henri Prost, architecte grand prix de Rome en 1913, puis Jean- Claude Nicolas Forestier, paysagiste, pour mettre en œuvre sa politique urbaine basée sur trois principes :

-

création de villes nouvelles : au contraire de ce qui s’est passé à Alger où les français ont pratiqué un hausmannisme, en perçant des rues dans des tissus plus anciens, et créé de nouveaux quartiers

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directement liés à la ville existante, Lyautey prône la création de villes nouvelles complètement séparées des médinas selon un urbanisme européen. Les terrains sont pris au Maghzen (souverain) ou aux domaines, puis ils sont lotis et cédés aux colons à des prix relativement bas.

-

Séparation entre les deux villes par de vastes espaces libres. Le but est d’assurer une autonomie entre les deux populations. Lyautey y voit l’affirmation du respect de la culture locale. Ses détracteurs notent que cela crée une ségrégation importante. Jusqu’à l’indépendance, en 1955, la ville nouvelle ferme ses portes la nuit.

-

Conservation de l’aspect traditionnel des villes . Les raisons sont d’abord esthétiques et pittoresques (conservation des rues, remparts, etc…) mais, du point de vue stratégique, cette solution facilite la maîtrise de la médina en cas de trouble.

L’avantage de cette solution pour les autorités françaises est triple : politique, en évitant les conflits d’intérêts entre les communautés ; hygiénique, comme le note un urbaniste en 1923 « on évite ainsi le contact direct de la population européenne avec l’élément indigène de basse classe, dont la misère physiologique et la malpropreté peuvent être des facteurs prépondérants dans la propagation des épidémies ». Les colons peuvent eux disposer d’un urbanisme hygiéniste ; enfin le troisième avantage est esthétique : on protège le patrimoine culturel du Maroc : le général Lyautey parle du « respect de l’intégralité artistique et morale des villes anciennes. »

Jean-Claude Nicolas Forestier (1861 – 1930) comprend vite que cette politique urbaine dispose d’un atout unique : l’existence de terres domaniales des habous (biens religieux) et guich (de l’armée) pour constituer un fond appartenant à l’état qui autorise la maîtrise du sol et sert la planification urbaine. Marrakech dispose donc d’une importante réserve foncière facile à maîtriser.

Les plans directeurs de toutes les villes nouvelles (Casa, Fès, Meknes, etc.) sont réalisés par Prost et son équipe après des conseils politiques et techniques sous la présidence du Président général lui même. Ces plans appliquent les principes d’un urbanisme moderniste (pas moderne) :

- Les réseaux des voiries existantes et à créer.

- L’emplacement des terrains réservés pour les services publics - L’emplacement des jardins et des espaces libres

- La répartition en quartiers de la superficie urbaine et des fonctions (industrie, commerce, résidence)

- Le cantonnement dans certains secteurs des établissements incommodes ou insalubres.

Enfin, des servitudes sont imposées : hauteur, alignement, villas, …

Le pacha reste officiellement maire de la ville, mais le chef des services municipaux, un français, devient le véritable responsable.

Le plan de la ville nouvelle de Gueliz, se fait à partir d’un axe qui prend sa source au Jbel Gueliz (colline) et qui se dirige vers le minaret de la Koutoubia. Autour de cet axe, sont tracées différentes rues selon une composition baroque, avec quelques points focaux comme une place semi-circulaire sur laquelle se dressent différents services administratifs. La ville est reliée par l’axe principal, qui forme une avenue de 30 m de large sur 1,3 km et qui se détourne de la Koutoubia au moment où elle pénètre le parc. Une zone non aedificandi de 250 m est créée sur le pourtour des remparts (cette distance sera ensuite réduite).

En haut de l’axe est implanté un camp militaire.

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A côté du centre ville, quelques quartiers de villas sont prévus ainsi qu’un quartier industriel, à proximité de la gare, qui prend forme vers 1930. Un quartier, à la fonction plus étrange, est aussi créé : « l’hivernage » à proximité de la ville ancienne. C’est un quartier luxueux, avec en son centre un casino. Il se structure autour d’une vaste avenue (avenue de France) et se destine à accueillir les touristes. Des villas de luxe sont construites, et quelques hôtels. Depuis l’indépendance, le quartier a été rempli de nouveaux hôtels et d’équipements.

Tout au nord, à Targa, un lotissement agrumicole est créé pour les colons agriculteurs qui disposent d’un hectare chacun, entouré d’un mur et irrigué.

Le démarrage du développement de Gueliz est lent :

- De 1913 à 1925, c’est la période des pionniers. En 1914, 40 maisons et quelques commerces s’installent. En 1923, la ville européenne possède une dizaine de services administratifs et un équipement urbain presque complet : alimentation en eau, centrale électrique, abattoirs, minoterie, banque, imprimerie, hôtel, cinéma, terrain de sport, chapelle…

- De 1926 à 1945, c’est une période de stagnation aggravée par la crise de 29 puis par la guerre. Après 1925, de nombreux pionniers rentrent en France, l’urbanisation s’essouffle.

- De 1946 à 1955, c’est une période de croissance modérée. Le centre ville se densifie par la création d’immeubles plus hauts. Un second quartier militaire se crée au sud, près de l’aéroport. A ce moment là, Gueliz est devenue une ville d’environ 10 000 habitants.

Cet urbanisme colonial sera souvent encensé. Il présente incontestablement l’avantage d’avoir relativement préservé la médina et son charme, ce qui, dans le cas de Marrakech, est particulièrement important puisqu’elle vit désormais pour une bonne part de l’industrie du tourisme. Cette protection patrimoniale fut donc positive.

Néanmoins, l’administration française limita l’urbanisme et la gestion urbaine à cette création nouvelle, sans se préoccuper des besoins de l’autre ville.

Evolution de la médina

Dans un premier temps, les premiers colons s’installent dans la médina, autour de la place Jemaa el Fna. Ils y créent de nombreux bâtiments : des administrations, des banques, la poste dans un style néo mauresque par les architectes de l’équipe de Prost et de l’architecte Albert Laprade (on peut voir ce style à la mosquée de Paris). Ce sont souvent de beaux bâtiments symétriques avec patios. Ces architectes sont fascinés par la maison musulmane et aiment cette architecture qu’ils réinterprètent. La place Jemaa el Fna devient aussi le point de départ des lignes d’autocars. A proximité et dans quelques rues proches, sont implantés un hôpital, un dispensaire, la chambre de commerce. C’est la place vers laquelle convergent de nombreuses rues du souk. Elle devient alors le point de liaison entre l’ancienne ville et la présence européenne. Un pôle vraiment mixte dans les usages. C’est aussi un point névralgique de la vie urbaine de Marrakech, avec ses marchés, ses conteurs, ses amuseurs.

Ainsi, contrairement aux principes de Lyautey et de Prost, un secteur européen est bien aménagé dans la ville ancienne.

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A partir de l929, des travaux de modernisation sont réalisés : création ou amélioration des réseaux d’eau et de voirie. Alors qu’il n’y avait que 6 km d’égouts en service en 1912, le protectorat remet en état 50 km existants. Les khettarras servant au ravitaillement en eau sont améliorées.

L’éclairage public reste lent à se développer.

Mais, en particulier à partir de 1925, la médina doit faire face à un exode rural massif qui fait exploser la démographie de la ville ancienne. Cet exode qui culmine à partir de 1935 se double d’un fort taux d’accroissement naturel de la population de Marrakech.

On estime que la population musulmane a doublé vers 1950 : près de 186 000 habitants.

Or, dans le programme de ville nouvelle, rien n’est prévu pour cette population. La médina est préservée mais son extension n’est pas programmée. Le résultat est l’extension anarchique de l’espace construit et la disparition des espaces libres existants dans l’enceinte. Des bourgeois marocains lotissent leurs terrains maraîchers. Les quartiers nord et est se densifient fortement par la création de derbs nouveaux, reconnaissables à leur aspect géométriques. Ces logements accueillent des marocains peu fortunés mais à revenus réguliers.

L’économiste, Mohammed El Faïz, propose le terme de foudoukisation pour qualifier la transformation graduelle des caravansérails en habitat précaire et surpeuplé2 : les anciens foundouks sont occupés par une population stable, avec des densités très élevées. Chaque pièce est louée et l’on peu compter jusqu’à 10 ou 15 personnes dans une ancienne échoppe. Il est rare que le foundouk possède l’eau, les wc et l’électricité. Ces foundouks accueillent des manœuvres, des ouvriers agricoles, des chômeurs, des mendiants, etc. C’est ainsi que certains quartiers deviennent des ghettos de prolétaires et que les conditions générales de la vie en médina se dégradent.

Les nouveaux arrivants, eux, s’installent clandestinement à moindre frais en créant « un habitat précaire », c’est à dire un bidonville, aux portes de la ville, sur les grands axes, les routes de Casablanca, d’Essaouira et de Ouarzazatte. Le plus gros est celui de Sidi Youssef ben Ali (un saint et son sanctuaire) au sud de la ville, à proximité du palais royal. Ces douars spontanés naissent dès 1926. Ils sont basés sur l’auto construction de terrains illégalement occupés. D’abord des tentes, puis des maisons en pisé.

Malgré quelques aléas comme la crue de l’oued Issil qui, en 1948, emporte une partie des maisons de Sidi Youssef ben Ali, le douar clandestin grandit rapidement et fortement : il passe de 800 habitants au début du siècle à 10 000 habitants en 1955, à 54000 en 1971, pour atteindre 100 000 dans les années 90.

Le bilan de l’urbanisme du protectorat est donc très ambigu. D’un côté, la création de la ville européenne qui va permettre à la ville de se développer selon les nouveaux modes de vie après l’indépendance, de l’autre, un laissez aller presque total en ce qui concerne la médina.

La comparaison entre les poids démographiques rend encore plus incertain ces choix : Gueliz ne compte en 1955 que 10 000 habitants, la médina 200 000 et les bidonvilles, sans doute 20 ou 30000.

2 El Faïz Mohammed, Marrakech, patrimoine en péril, Acte sud / Eddif, 2002 p. 62

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Depuis l’indépendance (1956)

La conséquence est que dès l’indépendance, en 1956, un mouvement de départ de la bourgeoisie se met en place depuis la médina, vers les villas de la ville nouvelle. Abandon d’une ville ancienne trop peuplée, mais aussi abandon du mode de vie et du modèle d’habitat : on délaisse les maisons à patio pour des villas entourées d’un jardin. Ce choix de la bourgeoisie devient le modèle de la petite bourgeoisie. La médina se prolétarise et continue à développer son surpeuplement.

Depuis l’indépendance, l’urbanisme poursuit sa croissance. La médina continue de se densifier, et les douars périphériques continuent de se développer. La foundoukisation se poursuit. Les foudouks sont déclarés insalubres et on essaie de recaser les familles dans des cités satellites (Mohammedia). Mais cette cité qui devait être composée de 3000 lots de 48 m² avec une pièce d’habitation, cuisine, sanitaire, et un espace pour en construire une seconde, est située trop loin de l’activité économique de la médina et il n’y a pas de moyens de déplacement organisé. En conséquence, une bonne partie des familles déplacées ont revendu leur nouveau logement pour une bouchée de pain et est retournée dans son habitat insalubre. Depuis, les pouvoirs publics ont adopté la politique du laisser-faire. On continue à faire des enquêtes pour connaître la situation, mais aucune action n’est engagée. C’est ainsi qu’en 1989, on comptait 145 foundouks qui abritaient 1890 ménages avec presque 5% de la population de la médina3

L’existence des douars spontanés est entérinée : en 1958, l’existence de Sidi Youssef Ben Ali est reconnue et ce quartier de 50 000 habitants devient un arrondissement municipal. A partir de 1963, la municipalité met l’électricité et quelques équipements.

Mandleur, note que « ces douars ne doivent rien à l’influence occidentale : leur processus de formation, leurs caractéristiques architecturales, leur population, en font des embryons de médina très animés grâce au dynamisme et à « l’initiative des communautés ». Pour les urbanistes, « ils matérialisent les plans d’urbanisme en négatif ». Mais ils sont en fait le reflet de l’échec total des urbanistes à maîtriser la réalité de la croissance urbaine qui théoriquement devait donner Gueliz et dans les faits à produit Sidi Youssef ben Ali et une dizaine d’autres douars.

Après l’indépendance, d’un coté, les autorités ont régularisé les douars spontanés et, encouragé l’autoconstruction sur des sites équipés et de manière encadrée (type Castor en France) (cité ouvrière à l’ouest du quartier industriel / 1000 lots. De l’autre côté, les autorités ont tenté de créer des logements sociaux, de réaliser des ensembles sur le modèle moderniste au sud de la ville. Heureusement, très faibles, en nombre. Puis la volonté de réaliser une nouvelle création urbaine au nord : la cité Mohammedia, puis le quartier de Daoudiat à côté de l’université, et un chantier expérimental de 5000 logements avec de nombreux équipements. Mais si ces opérations fournissent des logements « décents », elles participent aussi totalement à une acculturation des habitants : plus de maison à patio, et les logements sont totalement séparés des lieux de travail. Ces quartiers sont loin des centres d’activité, cela implique des trajets pour une population non motorisée. Parallèlement, la croissance démographique se poursuit et au recensement de 1984 Marrakech comptait déjà 4 ou 500 000 habitants pour atteindre 1 million en 2002.

3 El Faïz M., Marrakech, patrimoine…, op. cit. p68

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Entre 1982 et 1994, un long cycle de sécheresse a touché le Maroc, conduisant à un nouvel essor de l’exode rural et le taux de croissance démographique atteint alors un taux de 3,6 %. Le centre historique de la médina est saturé avec 200 000 habitants et continue de fonctionner comme « réservoir principal des faibles niveaux de vie »4. Dans les années 90, les densités augmentent jusqu’à 906 habitants à l’ha, et même en certains endroits 1000 habitants à l’ha. Ces densités restent néanmoins plus faibles que celles de Fès qui, en 1971, comptait 1500 habitants à l’ha.

Parallèlement, Gueliz se marocanise et s’embourgeoise. Avec la construction de mosquées dans Guéliz, on assiste à une reconquête de l’espace urbain colonial, mais comme le note Mandleur, « à la ségrégation ethnique datant du protectorat se substitue une ségrégation sociale ». La classe moyenne et supérieure s’y installe. La densification est progressive. Les années 80 sont des années de construction de bâtiments plus hauts, tandis que l’hivernage se rempli avec la construction de nombreux hôtels pour répondre à la nouvelle industrie : le tourisme de masse.

Parallèlement, la mode de Marrakech se répand dans le monde entier auprès d’un public sélect. Certains aficionados ne veulent plus aller dans les hôtels de luxe comme la Mammounia mais préfèrent disposer d’une maison pour y passer plus de temps. De nombreuses villas se construisent dans la palmeraie, de riches marocains, mais aussi de riches européens, américains s’installent. Certains préfèrent reconquérir les maisons de la médina en transformant les palais en demeures de rêve. Quelques entrepreneurs développent aussi des hôtels dans des riads décorés au cœur de la médina pour éviter l’hôtel classique et permettent de sauver le patrimoine de l’habitat marrakchi.

Mais le problème de Marrakech aujourd’hui, c’est l’extension de son aire urbaine. La ville occupait 2100 hectares en 1945, son périmètre s’est agrandi pour atteindre 3700 hectares en 1989 puis 18000 en 1992. Une occupation qui dépasse celle que prévoyait le Schéma directeur en 2010 qui limitait l’urbanisation à 15000 ha ! Le plan d’urbanisme n’est donc pas respecté, la palmeraie et les nappes phréatiques fondent. L’accroissement de la population et de la consommation d’eau (pour les jardins des villas, les golfs et les piscines) fait que l’équilibre écologique de Marrakech est menacé …

Mohammed El Faïz montre que « les espaces nourriciers » de Marrakech se sont réduits de façon drastiques.

Entre 1953 et 1986, la palmeraie avait déjà diminuée, mais la fonte s’est accentuée entre 86 et 90. Les nouveaux moyens de transports font bien sûr que la ville dépend moins de son hinterland, mais Marrakech scie les deux branches sur lesquelles elle est assise : l’écosystème agricole et le tourisme.

La leçon d’urbanisme de Marrakech, c’est d’abord une leçon de modestie pour les urbanistes. Car souvent l’urbanisme du Maroc est cité pour sa qualité par rapport à celui qui a eu lieu en France : grâce à Lyautey, Prost, Forestier, l’urbanisme aurait réussi là ou ils n’a pu réussir en France à cause des pesanteurs administratives et du poids de l’existant. Le problème, est qu’en réalité, l’urbanisme n’a pas contrôlé la croissance de la ville. Il ne l’a même pas accompagné. Les urbanistes ont créé une structure parallèle, à côté des pôles naturels de croissance de la ville (les axes routiers, les portes de la ville). C’est finalement cette dernière qui a fini par investir cette

4 El Faïz M., Marrakech, patrimoine…, op. cit. p67

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seconde ville qui s’est alors remise à croître. Comme le dit François Ascher « ces choses-là nous dépassent, feignions de les organiser ». Mais là on ne fait même pas semblant de les organiser et la disparition progressive de la palmeraie fait que le paradis risque de se dessécher.

Bibliographie :

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Kasba 64 study group: A.L.M.T., Nijst, and others, « Living in the edge of Sahara”, The Hague, Govt. Pub. Office, 1973 Triki Hamid, Dovifat Alain, Merdersa de Marrakech, La croisée des chemins 1999

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Mohamed Rabitat Eddine pour « Marrakech au temps du règne Almohade » 2008

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