• Aucun résultat trouvé

View of Collection et patrimoine : la réédition dans la bande dessinée comme processus de légitimation

N/A
N/A
Protected

Academic year: 2021

Partager "View of Collection et patrimoine : la réédition dans la bande dessinée comme processus de légitimation"

Copied!
11
0
0

Texte intégral

(1)

Collection et patrimoine : la réédition

dans la bande dessinée comme processus

de légitimation

Sylvain Aquatias

Résumé

Cet article examine le rôle de la réédition et, plus exactement encore, des éditeurs de bandes dessinées franco-belges, en tant qu’élément du processus de consécration du patrimoine de la bande dessinée. Or, l’analyse montre que les stratégies commerciales perturbent des politiques éditoriales qui ne sont jamais purement patrimoniales. Si les rééditions participent bien du processus de légitimation à un niveau global, au niveau des éditeurs eux-mêmes, il est plus juste de dire qu’en s’articulant aux stratégies commerciales, elles participent avant tout d’un processus d’auto-légitimation.

Mots-clés

bande dessinée, processus de légitimation, politique éditoriale, stratégie commerciale, édition intégrale Abstract

This paper examines the reprinting of classic stories by the Franco-Belgian comic book publishers as part of the process of legitimation of comic books. The analysis proves that commercial strategies disrupt editorial policies that are never conducted to defend a pure legacy. If the reissues participate to the legitimation process on a general level, for each editor, they are bound to the commercial strategies. So the republishing of old stories is most often, first and foremost, an act of self-legitimization.

Keywords

comics, legitimization process, editorial policy, commercial strategy, collected edition

Autant qu’un acte commercial, les rééditions de bande dessinée sont souvent considérées comme un élément du processus de légitimation de la bande dessinée. Luc Boltanski, auteur d’un des premiers articles sociologiques sur la bande dessinée, citait ainsi la republication d’histoires anciennes parmi les indicateurs de cette légitimation (Boltanski, 1975). Depuis la plupart des chercheurs et des critiques se sont rattachés à cette vue.

(2)

La question que je me propose donc d’aborder ici est celle du rôle réel de la réédition dans ce processus de légitimation et, plus exactement encore, du rôle des éditeurs de bandes dessinées franco-belges. Car la consécration du patrimoine de la bande dessinée peut être considérée de deux façons : soit il s’agit du patrimoine d’une maison d’édition qui met ainsi en valeur son fonds, soit il s’agit, de manière plus générale, du patrimoine de la bande dessinée, dont l’éditeur se fait le défenseur en poursuivant la publication d’œuvres anciennes.

Historiquement, en France, l’édition de bande dessinée s’est d’abord faite dans des revues et des magazines. On peut donc penser que la situation est fort différente en ce qui concerne des éditeurs disposant encore d’un journal, ceux en ayant disposé et ayant donc un fonds historique et, enfin, ceux, plus récents, ne disposant ni de l’un, ni de l’autre.

Afin de mieux comprendre cela, on peut empiriquement classer les éditeurs de bande dessinée en cinq familles assez différentes, qui suivent en partie la chronologie de l’édition de bande dessinée en France:

• les éditeurs historiques, au sens où ils ont été les premiers à s’affirmer sur le marché ;

• les éditeurs de seconde vague, ceux qui, souvent nés des scissions successives de Pilote et de

l’Echo des Savanes, ont mis en avant le caractère adulte de la bande dessinée ;

• les éditeurs de troisième vague (Delcourt, Vents d’Ouest, Soleil, Paquet, Bamboo) qui reprennent souvent les acquis des éditeurs de seconde vague (mise en avant des genres, caractère adulte de la bande dessinée) ;

• les éditeurs indépendants qui affirment une volonté de sortir du cadre de l’édition classique, notamment en faisant la promotion d’œuvres d’auteurs. Ils entrent davantage dans le champ de la micro-édition, tant en quantité d’œuvres éditées que de tirages de ces œuvres ;

• les éditeurs de littérature générale qui ont repris une ou des maisons d’édition plus anciennes (Gallimard, Seuil) ou créé un secteur d’édition dédié (Steinkis).

Éditeurs de première et seconde vague ont presque toujours disposé d’un organe de presse et, dans leur cas, souvent, l’édition d’albums n’était pas prioritaire. Certains éditeurs indépendants et de troisième vague ont fait des tentatives, plus ou moins couronnées de succès, pour disposer d’une revue.

(3)

Fig 1 : Éditeurs et journaux de prépublication

1. Quelques éléments de méthode

Ce qui nous intéresse ici est la mise en valeur du patrimoine de la bande dessinée, qu’il appartienne ou non au fonds historique des éditeurs, au travers soit des collections dédiées, soit des intégrales. J’entends ici réédition au sens où une première publication en livre a déjà eu lieu : une bande dessinée publiée en revue et recueillie en album pour la première fois ne sera pas considérée comme une réédition. J’ai éliminé de cet examen les rééditions d’albums récents destinées à garder sur le marché des histoires ou des séries, pour viser la réédition d’œuvres plus anciennes, soit liées aux histoires prépubliées dans les revues des éditeurs

(4)

qui en ont disposées, soit ayant au moins dix ans pour les éditeurs n’en disposant pas ou ayant encore une revue actuelle.

On trouve généralement ces rééditions sous deux formes : soit le format de luxe, qui vise à mettre l’œuvre en avant par un tirage d’exception, revenant parfois au noir et blanc ou agrandissant le format, soit l’intégrale, assortis ou non de cahier critique dans les deux cas.

Ces deux formes ont été étudiées ici, les formats de luxe au travers des logiques d’édition, les intégrales au travers d’un relevé quantitatif21. Pour chaque éditeur, on précisera la présence de réédition d’œuvres éditées par d’autres maisons. Le choix de travailler de manière quantitative plutôt que qualitative est lié à l’extrême complexité des catalogues des éditeurs. Si l’on peut manquer un ouvrage, les tendances décrites ici devraient être néanmoins fiables. Il s’agit cependant d’une enquête exploratoire et il a fallu parfois adapter le relevé des livres aux différents types d’éditeurs.

Le corpus a été réduit aux maisons d’éditions n’éditant que de la bande dessinée, évacuant donc les maisons d’édition de littérature générale qui ont des branches dédiées. De même, les éditeurs ne publiant que des bandes dessinées oubliées n’ont pas été retenus22.

Parmi les éditeurs restants, ont été sélectionnées trois maisons historiques (Dupuis, Dargaud et Casterman), puis trois maisons de troisième vague (Soleil, Delcourt, Vents d’Ouest), enfin trois éditeurs indépendants (L’Association, Cornélius, 6 pieds sous Terre). Les éditeurs de seconde vague se trouvant dans une situation assez proche des éditeurs historiques n’ont pas été considérés ici afin de mieux marquer la différence avec la troisième vague. Pour chacun de ces types, j’ai choisi un éditeur au moins qui publie actuellement une revue23, de manière à vérifier si cela affectait sa stratégie. Enfin, les séries seront étudiées ici indépendamment de leur durée et donc du nombre de leurs volumes, ce qui permet d’éliminer le poids disproportionné de certaines bandes dessinées à fort succès, republiées sous de nombreux formats (Spirou,

Tintin, Blake et Mortimer, etc.).

2. Les catalogues des éditeurs

Les rééditions de bandes dessinées chez les éditeurs historiques

Dargaud et Casterman, à défaut d’avoir des collections dédiées aux rééditions, publient beaucoup d’intégrales, parmi lesquelles, entre autres, des séries parues dans Le Journal de Tintin ou dans Pilote pour Dargaud, dans À Suivre pour Casterman.

21 Et dans le cas des éditeurs indépendants, des intégrales et des versions augmentées.

22 En effet, il faut insister sur le fait que la publication de bandes dessinées oubliées est aussi un créneau commercial et que des

maisons d’édition se spécialisent dans la réédition d’œuvres délaissées (Le Hibou, Ananké, Pan-Pan, l’âge d’or, etc.).

23 On ne tiendra pas compte du fait que certaines séries aient été prépubliées dans des revues spécifiques de prépublication,

(5)

Fig 2 : Collection spécifique de rééditions et pourcentage d’anciennes séries prépubliées en revues parmi les intégrales chez les éditeurs historiques.

Chez Dargaud, sur un volume global de 137 séries publiées en intégrales, 27 concernent d’anciennes séries prépubliées dans l’un ou l’autre de ces journaux, puis éditées en albums. Le solde (110 séries) concerne la republication d’ouvrages plus récents en intégrale en un ou plusieurs volumes et deux intégrales de séries non prépubliées par l’éditeur (Mickey et Snoopy). Le volume de republication du fonds historique de la maison Dargaud représente donc 18% seulement des intégrales, ce qui est assez faible. De même, si on trouve quelques tirages de luxe (Lucky Luke, XIII, etc.), les rééditions des séries historiques de l’éditeur sont peu valorisées.

Chez Casterman, le nombre d’intégrales est considérablement moindre. Ainsi, sur 54 séries publiées en intégrales, 13 concernent d’anciennes séries, soit 24% du total. On notera qu’en 2003, l’éditeur avait lancé une collection « Casterman Classiques », rééditant notamment des séries prépubliées dans À Suivre. Cette collection s’est arrêtée en 2005 avec quatorze titres seulement et n’est plus présentée sur le site de l’éditeur. Les éditions de luxe sont présentées en « art-books », qui comprennent six rééditions, notamment de Mattotti, sur les 23 volumes proposés et, en tirages de luxe, dont assez peu sont des bandes dessinées historiques (8%) de l’éditeur. Là encore, le fonds historique de l’éditeur est peu mis en valeur.

Dupuis présente un cas plus complexe. En effet, l’éditeur met en avant une collection patrimoine qui comporte non seulement des intégrales, mais aussi des éditions de luxe, des anthologies et des documents sur les auteurs. Il s’agit d’une collection riche et bien mise en valeur. Si l’on en reste aux intégrales, sur 40 séries recueillies dans cette collection, seules deux sont inédites. Si l’on comptabilise la totalité des intégrales, y compris celles qui sont publiées hors collection patrimoine (79 séries), on en trouve donc 117 en tout, dont 37 correspondent à des séries considérées comme patrimoniales par l’éditeur, soit en tout 32%. En ce qui concerne ces trois éditeurs, ce qui est d’abord mis en avant à travers les intégrales et les tirages de luxe, ce sont les fonds propres des éditeurs, ainsi que quelques rares artistes étrangers.

Le caractère patrimonial des œuvres est souvent traité à l’intérieur des intégrales, accompagnées en général de dossiers sur les auteurs, la série, etc. C’est le cas chez les trois éditeurs, qui savent donc bien s’adresser à un public d’amateurs, intéressés par les séries, mais aussi par le contexte historique de leur création ou de leur publication. On note que le seul à défendre son propre fonds à travers une collection patrimoniale est Dupuis, lequel a encore une revue en cours de publication. On peut donc se demander si, pour des maisons d’édition historiques ne possédant plus de revues, il est nécessaire de ne pas insister sur le caractère patrimonial de ses livres pour mieux montrer la vigueur de ses publications actuelles.

Les rééditions de bandes dessinées chez les éditeurs de troisième vague

La question de la réédition chez les plus jeunes éditeurs est plus délicate à considérer, dans la mesure où elles disposent d’une histoire moins ancienne et moins riche.

Vents d’Ouest, racheté par Glénat en 1996, possède une collection « classiques », forte de 46 volumes et douze séries, présentant aussi bien des récits ou des « best of » de séries françaises (le meilleur des Pieds

Nickelés, de Bibi Fricotin), des héros américains classiques (Betty Boop, Popeye, etc.), des anthologies (le

meilleur de Pif Gadget), des archives (René Goscinny). Cette ambition patrimoniale se retrouve parmi les intégrales où certaines permettent de retrouver des séries éditées originellement chez d’autres éditeurs

(6)

(L’écho des savanes, Dargaud, Glénat) : Le Grand Duduche, Torpedo, Les Exploits de Yoyo. On trouve au total 26 séries en intégrales (sans compter celles de la collection « classiques »), dont neuf (presque un tiers) dans une collection dédiée. Sur l’ensemble de ces intégrales, la moitié sont des séries que l’on peut qualifier d’historiques (publiées avant le rachat par Glénat et rééditées au moins dix ans plus tard sous forme d’intégrales). On notera que l’éditeur a publié quelques bandes dessinées en intégrales avec la mention « édition des quarante ans », notamment Joe Bar Team, Peter Pan et l’Epée de Cristal, additionnées de cahiers critiques. Ces volumes font partie d’une initiative de la maison Glénat, qui a publié en 2009 de nombreuses intégrales de luxe pour marquer son anniversaire.

Chez Delcourt, deux collections de réédition existent : « Intégrales 20 ans » et « Long Métrage ». Les séries des « Intégrales 20 ans » représentent 18% des intégrales publiées par Delcourt (73 séries)24. Parmi ces autres intégrales, on ne trouve que 7% de séries appartenant au fonds historique de Delcourt. Si quelques intégrales, hors collection 20 ans, sont des tirages de luxe, on trouve peu de cahiers critiques accompagnant les intégrales. On trouve enfin quelques rééditions commémorant l’anniversaire de certaines séries-phare de l’éditeur (Aquablue, Sillage, etc.) ou du label série B, et quelques tirages de luxe, en grand-format et en noir et blanc (Garulfo).

Soleil productions dispose de nombreuses collections, séparées, comme chez Delcourt, en quatre grandes branches : jeunesse, comics, manga et BD. Seule la branche comics possède une collection patrimoniale appelée « Soleil L’âge d’or », dans laquelle on retrouve des intégrales de Tarzan, Flash Gordon et Prince

Valiant. Des intégrales du fonds Vaillant-Pif Gadget (Docteur Justice, Les Pionniers de l’espérance, etc.)

avaient été publiées, mais ne sont plus au catalogue. Seul Rahan reste disponible. Il en va de même pour des héros comme Blek le Roc, publié à l’origine en petit-format. 76 séries sont publiées en intégrales dont 38 ont été prépubliées dans Lanfeust mag, soit 50%. On notera que les intégrales sont assez peu accompagnées de cahiers complémentaires détaillant l’œuvre, son histoire, etc. La réédition ne semble pas rechercher ici un caractère patrimonial, mais simplement un nouveau débouché commercial à quelques exceptions : d’un côté un ancien héros, comme Rahan, va être décliné en couleurs, mais aussi en version noir et blanc, de l’autre, des héros fétiches comme Lanfeust ou Trolls de Troy vont être réédités en édition limitée ou en tirage spécifique, avec un contenu enrichi, parfois en grand format, parfois en noir et blanc. Plusieurs de ces tirages ont été effectués à des dates anniversaires.

Fig 3 : Collection spécifique de rééditions et pourcentage d’anciennes séries prépubliées en revues parmi les

24 On notera que trois des séries publiées en intégrales ne sont pas issues du fonds maison, mais sont republiées après rachat des

droits à d’autres éditeurs : Cromwell Stone (M. Deligne), Le bois des vierges (R. Laffont), Le cycle de Cyann (Casterman). Delcourt ayant publié en albums certains tomes de ces séries, on ne peut pas considérer qu’il s’agit là d’une mise en valeur générale du patrimoine de la bande dessinée.

(7)

intégrales chez les éditeurs de troisième vague.

La comparaison de ces trois éditeurs montre l’importance du contexte historique du marché de la bande dessinée et notamment du support des revues.

Les intégrales servent bien à préserver les fonds des éditeurs et, à leur niveau et parfois au-delà, les trois éditeurs mettent en avant certains récits à des dates anniversaire des séries (Soleil et Delcourt) ou de l’éditeur (Delcourt et Vents d’Ouest/Glénat). On peut voir, dans ce cas, des maisons d’édition qui mettent en avant leurs publications fétiches dans des collections qui rappellent leur durée de vie. C’est cette logique de durée qui apparaît déterminante dans l’affirmation identitaire des éditeurs de troisième vague.

Les rééditions de bandes dessinées chez les éditeurs indépendants

Les éditeurs indépendants ne disposent pas des moyens des grandes maisons d’édition. Si leurs tirages sont de moindre importance, ils s’inscrivent dans une volonté de promotion d’une bande dessinée résolument artistique. L’aspect même des livres suit un modèle que Futuropolis avait initié, se rapprochant plus du modèle du livre d’art que de celui de l’album de bande dessinée.

Ces spécificités affectent la démarche adoptée pour traiter des éditeurs classiques, qui n’est pas de mise ici. En effet, l’intégrale est rare, les revues elles-mêmes, Lapin pour l’Association, Nicole et Franky pour Cornélius, ouvrent aux expérimentations graphiques plus qu’aux feuilletons habituels des revues de bande dessinée et la notion même de série est peu présente. Les rééditions sous la forme d’éditions augmentées sont plus fréquentes dans les catalogues que les intégrales, ce pourquoi nous les recenserons aussi ici.

L’Association a de multiples collections, dans lesquelles sont éparpillées différentes rééditions. Une collection « Archives » montre une volonté de conserver trace des origines de l’Association en publiant les travaux des anciens fondateurs, mais ne comporte que deux volumes. On trouve 33 rééditions. Elles peuvent avoir été déjà publiées par l’éditeur, mais aussi être des œuvres de jeunesse d’anciens membres fondateurs (Trondheim, Sfar, Stanislas, Matt Konture, etc.) publiées ailleurs. Enfin, les ouvrages oubliés de certains auteurs (Forest, Gébé, Mattioli, Masse, etc.) sont réédités quand ils correspondent aux critères artistiques de l’Association. On retrouve là les propos de Jean-Christophe Menu : « J’estime que l’Association a un tribut à rendre à ceux qui sont venus avant elle avec des idées du même ordre. Je suis scandalisé de voir qu’aujourd’hui, on ne trouve pas tout Gébé, Willem, Forest ou Masse. » (Bellefroid, 13) On voit des collaborations affirmées avec certains éditeurs : Futuropolis, dont l’Association se réclame, et Dargaud, qui publiait Pilote.

Cornélius dispose de nombreuses collections. Aucune n’est consacrée réellement au patrimoine général de la bande dessinée ou à la valorisation des auteurs associés à l’éditeur. C’est dans les collections que l’on retrouve, dispersées, les rééditions25. On en dénombre 24, qui prennent des formes variées. Deux sont des intégrales et six des rééditions du fonds propre à l’auteur, soit un tiers des rééditions. Neuf autres sont des rééditions venant d’autres éditeurs, souvent complétées ou augmentées. Les éditeurs repris sont variés et vont du Seuil à Albin Michel, de Futuropolis aux éditions du Fromage. Enfin, on trouve sept ouvrages de Gus Bofa, réédités à partir des originaux. On retrouve la tendance décrite à l’Association : il s’agit d’ouvrages qui, aux yeux de l’éditeur, paraissent fondamentaux.

25 S’il a été décidé de ne pas traiter ici du domaine étranger, on se doit de noter que Cornélius publie beaucoup d’œuvres

(8)

6 pieds sous terre est quelque peu différent, même si on retrouve une partie des logiques présentes chez les deux précédents éditeurs. En effet, les rééditions sont peu nombreuses, l’éditeur se consacrant plutôt à la création. Il dispose d’un magazine, ancien fanzine, Jade, où collaborent de nombreux auteurs qu’il publie. Il publie aussi des auteurs ayant fait leurs armes dans le fanzinat, souvent dans leur propre publication (Hard

Luck, En Vrac, etc.).

Neuf rééditions sont dispersées dans différentes collections, cinq intégrales, quatre éditions remaniées ou complétées. La majorité d’entre elles reprend des publications de l’éditeur (66%), les trois rééditions d’ouvrages d’autres éditeurs concernant Futuropolis, les Editions du Zébu (le psikopat) et les éditions Z.

Fig 4 : Pourcentage de récits réédités chez les éditeurs indépendants.

Les rééditions chez les indépendants servent certes à mettre en valeur leur propre fonds. Mais la dimension patrimoniale semble plus forte. Il y a là un enjeu propre à leur légitimation : on perçoit une volonté, en tant que créateurs, à se placer sous l’égide de « grands anciens ». Certes, les œuvres qu’ils rééditent étaient publiées par des éditeurs disparus : les éditions du fromage pour l’Echo des Savanes (1972-1982), les éditions du square pour Charlie Hebdo (racheté en 1981 par Albin Michel), les éditions du Terrain Vague de Joëlle Losfeld, etc, offrent un certain nombre d’œuvres inexploitées. Mais il ne s’agit là que d’une condition de possibilité : on voit que de véritables choix sont effectués, qui correspondent aux héritages dont se réclament les éditeurs.

D’ailleurs, les trois indépendants ici examinés s’inscrivent dans de mêmes filiations : Charlie Hebdo,

Psikopat et plus largement un certain fanzinat de bande dessinée mené par des créateurs. Ils trouvent ainsi

une spécificité par rapport aux éditeurs historiques, en s’appuyant sur des revues à la publication certes parfois aléatoire et sur le milieu underground et en ne cherchant pas à suivre les logiques « grand-public ».

3. Des stratégies de réédition différentes

Le bref tour d’horizon, probablement encore trop restreint, que nous avons fait permet de dégager plusieurs logiques dans les stratégies de légitimation des éditeurs. Trois stratégies peuvent être résumées.

D’une part, une recherche de légitimation à travers la durée, que l’on voit chez Dupuis, Delcourt, Soleil et Vents d’Ouest, par l’entremise de Glénat. Des collections patrimoniales ou anniversaires affirment clairement l’identité éditoriale en mettant en avant des séries dont la réussite commerciale est indéniable. La légitimation s’opère d’abord par le fonds de la maison d’édition.

D’autre part, une recherche de légitimation en republiant de grandes œuvres oubliées. On retrouve là essentiellement les indépendants, qui cherchent avant tout à mettre en avant des livres dont la valeur leur

(9)

semble primordiale. La légitimation s’opère à la fois par la réédition des œuvres essentielles de la maison mais aussi par la sélection d’œuvres dont elles se réclament. C’est aussi que, dans le cas des trois éditeurs examinés, ce sont des auteurs qui sont à l’origine de la création des éditions.

Enfin, restent ceux qui semblent hésiter à mettre en avant leur fonds historique, soit qu’ils ne veulent pas apparaître passéistes, soit qu’ils préfèrent se consacrer à des publications plus récentes, comme Dargaud et Casterman.

C’est aussi dans un jeu d’opposition que l’on peut lire ces stratégies. Il faut alors examiner les positions mutuelles des différents éditeurs. En effet, les éditeurs historiques n’ont pas réellement à construire une légitimité au sein du marché : ils ont fourni des classiques incontestés (Dargaud et Dupuis) ou participé à la naissance de la bande dessinée pour adultes (Casterman et Dargaud). De ce fait, on peut penser qu’il leur est davantage nécessaire de montrer leur place dans l’actualité que dans le passé et c’est probablement ce qui explique la relative passivité de Dargaud et Casterman vis-à-vis des classiques qu’ils possèdent.

Au contraire pour les éditeurs de troisième vague et les éditeurs indépendants, il est important d’affirmer la durée même de leur histoire et de mettre en avant leurs succès d’édition. Reste que Soleil est clairement en retrait, alors même que cette maison dispose à la fois de classiques de la bande dessinée et de jolis succès d’édition. On peut expliquer cela par l’histoire même de cette maison. Soleil s’est d’abord appuyé sur d’anciennes publications, Rahan, mais aussi Mandrake, Blek, Flash Gordon (Bellefroid, 94) pour stabiliser ses ventes avant de se lancer dans la création. On peut donc comprendre que, pour autant que ce fonds soit bien servi par des tirages variés (en noir et blanc, en intégrale, etc.), l’éditeur tient à mettre davantage en avant des séries plus récentes qui marquent ses débuts dans la création.

Au demeurant, peu d’éditeurs classiques publient des ouvrages venant de fonds qu’ils ne possédaient pas.

Fig 5 : Ouvrages patrimoniaux autres que ceux du fonds maison présents chez les éditeurs de bande dessinée.

On voit à travers ce tableau que les éditeurs classiques ont plutôt tendance à s’appuyer sur le fonds maison, désormais patrimonialisé, là où les indépendants vont aller chercher des auteurs dans les fonds d’autres maisons. Le relevé des intégrales est particulièrement clair à ce niveau, comme le montre le tableau suivant :

(10)

Fig 6 : Pourcentage des bandes dessinées du fonds de l’éditeur parmi les rééditions en intégrales.

Si l’on observe le pourcentage de récits publiés originellement par les éditeurs, on voit clairement que, pour les éditeurs classiques, c’est avant tout la défense du fonds maison qui s’impose, là où, pour les indépendants, la réédition d’œuvres oubliées continue à être importante. Pour ces derniers, il s’agit d’affirmer une identité propre en opérant de vrais choix et en se positionnant par rapport à une certaine histoire de la bande dessinée. Mais c’est aussi que le fonds d’une maison créée en 1991 est moins important de fait que celui d’une maison créée avant la guerre.

L’ancienneté, on l’a vu, est liée à l’édition de revues. Disposer ou avoir disposé d’une revue déjà ancienne, c’est disposer d’un fonds de récits que des lecteurs plus âgés peuvent vouloir acquérir pour retrouver les histoires qu’ils ont aimé enfants (Pasamonik). La réédition de séries anciennes par les indépendants n’est d’ailleurs pas exempte de cette dimension.

L’angle commercial s’articule donc bien à une valeur symbolique et c’est conjointement que ces deux logiques agissent sur les politiques de réédition. Les prises de risques liées aux rééditions patrimoniales extérieures au fonds maison sont plus présentes chez les éditeurs indépendants ; il n’en reste pas moins qu’ils pratiquent aussi une relative auto-consécration, comme le font les maisons d’édition historiques. Au final, on voit que les volontés commerciales perturbent des politiques éditoriales qui ne sont évidemment jamais purement patrimoniales, et qui, somme toute, le sont mêmes assez peu. Très clairement, si les rééditions participent bien du processus de légitimation à un niveau global, au niveau des éditeurs eux-mêmes, il serait plus juste de dire qu’en s’articulant aux stratégies commerciales, elles participent avant tout d’un processus d’auto-légitimation, bien plus que d’un processus de légitimation de la bande dessinée.

Bibliographie

Aquatias, Sylvain. « Genre et légitimité dans l’édition de bande dessinée », Comicalités [En ligne], novembre 2018. https://journals.openedition.org/comicalites/2639

Bellefroid, Thierry. Les éditeurs de bande dessinée. Bruxelles, Niffle, 2005.

Boltanski, Luc. « La constitution du champ de la bande dessinée ». Actes de la Recherche en sciences

sociales, vol.1, n°1, 37-59, janvier 1975.

Pasamonik, D. « Les intégrales : splendeur et permanence de la bande dessinée classique ». ActuaBD [En ligne], 2011, http://www.actuabd.com/Les-integrales-splendeur-et, consulté le 16 juin 2017.

(11)

Sylvain Aquatias, sociologue au GRESCO (Université de Limoges) et membre du comité de rédaction de

Comicalités. Ses récentes contributions comprennent « When Popular Cultures Are Not So Popular: The

Case of Comics in France », CALL: Irish Journal for Culture, Arts, Literature and Language: Vol. 2: Iss. 1, 2017 et « Le goût de la bande dessinée : acquisition, transmission, renforcement et abandon », La bande

dessinée : quelle lecture, quelle culture ?, B. Berthou, C. Evans (ed.), Paris, BPI, 2015.

Figure

Fig 1 : Éditeurs et journaux de prépublication
Fig 3 : Collection spécifique de rééditions et pourcentage d’anciennes séries prépubliées en revues parmi les
Fig 4 : Pourcentage de récits réédités chez les éditeurs indépendants.
Fig  5 :  Ouvrages  patrimoniaux  autres  que  ceux  du  fonds  maison  présents  chez  les  éditeurs  de  bande  dessinée
+2

Références

Documents relatifs

The sequence-specific scoring function indicates the probability for a given fragment of sequentially connected generic spin-systems to be compatible with a specific position in

However, although Ferro-F Ni3/ZGNR and Ferro-F Ni4/ZGNR behave like Ferro-A Ni3/ZGNR and Ferro-A Ni4/ZGNR at energies at which the pristine ZGNR has multiple transmission chan-

Un diagnostic rapide avec une évaluation de la volémie (invasive ou non invasive) et une correction précoce de l ’élément déclencheur (optimisation de la volémie, maintien d

Contrôle glycémique • Contrôle régulier de la glycémie du patient par HGT • Préparation et administration d’insuline (si nécessaire) Surveillance neurologique • Recueillir

À nouveau, cet essai suggère un effet bénéfique des CTx, mais plusieurs éléments obligent à tem- pérer cette analyse : tout d ’abord, les patients inclus ne reflé- taient

Matériels et Méthodes : 19 patients en phase de sevrage de la venti- lation ont été inclus dans cette étude prospective randomisée réalisée dans le service de

When the magnetic activity increases moderately (Fig. 4b), and ex- cept around noon again, part of the region-1 currents appears at the poleward latitudes of the radar field of

To assess how likely it is that one event was the cause of another, the probability PN of necessary causal- ity is defined, in agreement with the counterfactual principle, as