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View of Compte rendu de Myriam Watthee-Delmotte, Littérature et ritualité. Enjeux du rite dans la littérature française contemporaine

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Image & Narrative, Vol 12, No 4 (2011) 146 Compte rendu de Myriam Watthee-Delmotte, Littérature et ritualité. Enjeux du rite dans la littérature française contemporaine, Bruxelles, P.I.E. Peter Lang, 2010, coll. « Comparatisme et société », n°11.

Laurence van Nuijs

Le dernier essai de Myriam Watthee-Delmotte, publié dans la collection « comparatisme et société » aux éditions P.I.E. Peter Lang et pour lequel elle a obtenu le Prix Emmanuel Vossart 2010, aborde de manière approfondie les rapports entre ritualité et littérature. Cette interrogation concernant le rôle et les enjeux des rites dans un domaine sociétal spécifique, part du constat que le rite constitue le « soubassement anthropologique de pans entiers de la société » (p. 11). Le rite s’entend donc ici dans une acception anthropologique, à la suite des travaux de plusieurs ritologues contemporains tels que Claude Rivière, Liliane Voyé, Marc Augé, Yvonne Johannot et Claude Abastado, auxquels l’auteur renvoie tout au long de son ouvrage, toujours en veillant à rendre leurs théories de manière compréhensible au lecteur non initié en ce domaine. Dans cette perspective, le rite est considéré comme l’un des comportements les plus constants chez les êtres vivants, notamment en situation de négociation avec une altérité terrifiante (au sens le plus large, renvoyant à tout ce qui dépasse notre pouvoir ou notre entendement), et exerce un rôle anxiolytique. L’accent n’est donc pas mis en première instance sur le rituel religieux : celui-ci constitue une forme particulière de la ritualité, qui traverse par définition également les domaines les plus divers de la sphère des actions profanes, parmi lesquels celui de la littérature.

En particulier, l’attention de Myriam Watthee-Delmotte se porte vers la présence de la ritualité dans la littérature française de la modernité. En raison d’une certaine fixation de la critique littéraire sur l’innovation, cette dimension rituelle n’a en effet guère été examinée jusqu’à présent, et c’est l’un des mérites de l’ouvrage de la mettre en lumière à travers un exposé alliant réflexion théorique et conceptuelle à l’examen d’une série d’études de cas choisis en raison de la diversité des aspects qu’ils illustrent. En abordant la littérature sous la perspective du rite, l’auteur entend donc en premier lieu à contribuer à « améliorer l’intelligence des textes en rendant sensible à un aspect jusqu’ici trop souvent passé sous silence » (p. 19).

Or, avant de passer à la réflexion sur les rapports entre ritualité et littérature moderne proprement dits, l’auteur propose dans une première partie, intitulée « la ritualité littéraire » (pp. 24-72), une réflexion sur la nature rituelle du processus littéraire lui-même. Il ne s’agit

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Image & Narrative, Vol 12, No 4 (2011) 147 pas ici d’emprunter une notion à l’anthropologie pour l’utiliser métaphoriquement, mais bien de rapprocher le phénomène littéraire du rite en reprenant à nouveaux frais des considérations éparses dans le champ de la critique littéraire (sur la mémoire culturelle, l’intertextualité, le sens de la littérature, son inscription sociale, sa structure textuelle, les valeurs véhiculées, l’horizon d’attente du lecteur, le support matériel de la lecture). Cette partie explicite aussi la conception de la littérature qui sous-tend l’étude dans son ensemble : dans le sillage de Jean-Marie Schaeffer, Myriam Watthee-Delmotte considère la littérature comme une « feintise ludique partagée », offrant le plaisir esthétique en partage au lecteur. La littérature constitue un phénomène qui « comme tout art, […] perturbe le temps de l’utilitarisme social pour donner place à celui du plaisir sensible, d’essence singulière et impondérable » (p. 54), ou encore « un pari sur la communication et le partage possibles à l’égard d’un lecteur inconnu, mais pressenti comme ce semblable, ce frère, avec qui peut se constituer un ‘nous’ qui transcende les frontières et les époques » (p. 229).

Plus précisément, cette première partie examine successivement, par la discussion précise et synthétique de concepts empruntés à divers spécialistes de la littérature, anthropologues et philosophes, les trois dimensions que le fonctionnement du phénomène littéraire a en commun avec le rite. Les moyens symboliques de la ritualité littéraire (Chapitre I, pp. 27-42), d’abord, sont eux-mêmes de trois ordres : matériel, textuel et imaginaire. Ainsi l’acte de la lecture est conditionné par la configuration de ses supports matériels (Régis Debray, Yvonne Johannot) – toute technologie véhiculant des significations symboliques, le livre, en l’occurrence, étant associé aux idées de pérennité, de cheminement et de progrès. L’auteur examine ensuite comment le dispositif textuel, reposant sur des règles admises mais en même temps sans cesse modifiées voire transgressées, impose au lecteur les étapes d’un parcours (Northtrop Frye, Umberto Eco), et comment la littérature, en tant que phénomène reposant sur le travail esthétique, fait jouer l’émotion, interpelle le lecteur, l’entraîne vers des horizons nouveaux et ouvre ainsi à l’expérience de la nouveauté (Henri Bergson, René Bachelard, Martin Heidegger, Jean Burgos). Le chapitre suivant s’interroge sur les principes d’action de l’activité littéraire (Chapitre II, pp. 43-54), dont l’efficacité, comme dans le cas du rite, repose sur les effets reliants qu’elle peut avoir grâce à l’émotion esthétique qu’elle suscite, qui contribuent à la rencontre du lecteur et de l’auteur sur le plan de l’imaginaire (le lecteur doit accepter d’entrer dans le jeu, selon une logique du don et du contre-don). Littérature et rite ont aussi en commun le principe de l’« hétérotypie » (Louis-Marie Chauvet) : de même que le rite fait reculer l’altérité aux frontières rassurantes de l’identité, l’œuvre littéraire se conçoit comme un espace où la durée n’a pas de prise, où le lecteur est

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Image & Narrative, Vol 12, No 4 (2011) 148 amené à dépasser son expérience individuelle (Wolfgang Iser) et où peut être atteint le « transévénementiel » (Paul Ricoeur). Enfin, en ce qui concerne les conditions d’exécution (Chapitre III, pp. 55-72) de la ritualité littéraire, Myriam Watthee-Delmotte s’interroge sur les motivations intimes du créateur (à l’instar de la « poétique du sujet » de Christian Chelebourg) et met en lumière les liens qui se tissent entre les acteurs du rituel littéraire (désirs, valeurs, sensibilité, recherche de vertige et de transgression).

La deuxième partie de l’ouvrage se propose ensuite de mettre en lumière les rites en tant que motifs dans les œuvres littéraires de la modernité. Myriam Watthee-Delmotte ne se contente donc pas de rester à la surface des textes mais s’intéresse à la structuration « imaginaire » des œuvres, c’est-à-dire à leur fonctionnement comme réseau dynamique d’images mentales nourri par des héritages divers et s’adaptant à différents contextes (l’on renverra à la p. 57 pour une caractérisation générale des études sur l’imaginaire, qui se conçoivent comme une approche du fait littéraire dans sa globalité, se situant au carrefour de disciplines littéraires autrefois atomisées, à la fois soucieuse de la cohérence interne de l’œuvre et de ses contraintes objectives – historiques, institutionnelles, linguistiques).

Au début de cette deuxième partie, une dizaine de pages de contextualisation (pp. 76-86) rappellent avec justesse dans quelle mesure la modernité et les processus sociétaux qui vont de pair (la différenciation de champs culturels, la fin de la référence religieuse, l’indépendance à l’égard des institutions ecclésiales, la rationalité accrue) ont changé le statut des rites et du religieux, et ont contribué à faire sortir la littérature de la sphère du sacré à laquelle elle était initialement confinée. Or, ce déclin de la religion n’implique pas la disparition de rites dans la littérature. Empruntant à Jean-Pierre Jossua des catégories de littérature exprimant de manières très différentes des formes de ritualité, Myriam Watthee-Delmotte distingue ainsi entre la « littérature confessionnelle » (minoritaire dans la littérature contemporaine), la « littérature confessante » (exprimant librement des thèmes et des symboles de foi) et la littérature non religieuse à visée spirituelle. Ce sont ces deux dernières catégories qui se trouvent au cœur des analyses qui suivent.

Le premier chapitre de la deuxième partie aborde la « présence de rites religieux dans la littérature à visée spirituelle » (Chapitre I, pp. 75-115). Si la modernité a fondamentalement changé le statut de la religion dans nos sociétés, la tradition chrétienne et la Bible n’en sont pas moins restées des références majeures dans l’imaginaire et les catégories de pensée des écrivains, et ont continué à marquer l’horizon d’attente des lecteurs. Deux modèles rituels présents dans des œuvres littéraires sont analysés : la confession (dans Le Nœud de vipères de François Mauriac, le recueil de nouvelles Les Diaboliques de Jules Barbey d’Aurevilly et le

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Image & Narrative, Vol 12, No 4 (2011) 149 roman Œdipe sur la route d’Henry Bauchau) et la prière (abordée à travers une lecture très fine de la production poétique d’Henry Bauchau, dans laquelle Myriam Watthee-Delmotte, spécialiste de l’œuvre, repère trois moments de religiosité, témoignant chacun d’une image du divin différente).

Si des allusions aux rites religieux se manifestent en filigrane dans la littérature à visée spirituelle, il convient également d’examiner les rites séculiers qui marquent la culture littéraire, et les manières dont ceux-ci sont mis en œuvre dans la littérature. Tel est le propos du chapitre suivant (Chapitre II, « Enjeux des rites en littérature », pp. 117-227), qui s’intéresse à la littérature qui vise l’expression d’un élan spirituel, sans pour autant directement ou nécessairement reposer sur un « hypotexte » rituel. Abordant cette vaste matière par problématisation plutôt que par thème, ce chapitre prend forme autour de trois questions essentielles, auxquelles des réponses son fournies à l’aide d’exemples d’œuvres littéraires des XIXe et XXe siècles. La première question concerne les aspects fonctionnels du rite (pourquoi le rite ?), qui sont illustrés par une lecture d’Ève future de Villiers de l’Isle d’Adam en tant que « cérémonial qui convie à l’adhésion dans le sens d’une célébration du mystère » (p. 130), et une étude de la recherche par Pierre Jean Jouve d’une identité spirituelle dans la marginalité de la mystique. La seconde question concerne les aspects opératoires du rite (que fait le rite ?) et est élaborée à travers trois exemples mettant en lumière l’efficacité du rite dans la gestion de crises (que celles-ci soient identitaires ou surviennent du choc de l’histoire). L’action du rite peut être ainsi médiatrice (c’est ce que montre la lecture des Diaboliques de Jules Barbey d’Aurevilly, poursuivie dans cette partie), ordonnatrice (dans Deux cavaliers de l’orage de Jean Giono) ou sécurisante (dans le parcours artistique de Salvador Dalí). Enfin, l’auteur s’arrête aux aspects cognitifs du rite (que fait le rite ?), par le biais d’une lecture du Journal d’un curé de campagne de Georges Bernanos en tant que réflexion sur la fonction du lecteur en regard de l’efficacité rituelle, et à travers une exploration des usages du mythe de Pygmalion par des écrivains des XIXe (Honoré de Balzac, Théophile Gautier, Émile Zola) et XXe (Louis Aragon) siècles.

L’ouvrage de Myriam Watthee-Delmotte ne se contente pas de repérer la ritualité en tant que « motif » littéraire à travers une lecture méticuleuse et très documentée d’œuvres judicieusement choisies, il intègre également cette lecture à une réflexion poussée sur le fonctionnement même de la ritualité littéraire, élaborée dans une perspective résolument interdisciplinaire. Dans la conclusion de l’ouvrage, l’auteur offre en outre plusieurs prolongements à cette réflexion, en interrogeant la manière dont, dans nos sociétés où l’homme est toujours davantage menacé par l’« interminable récitation [des] fables de nos

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Image & Narrative, Vol 12, No 4 (2011) 150 publicités et des nos informations » (Michel de Certeau, p. 235), la littérature s’oppose à la standardisation de l’imaginaire. L’auteur met ainsi en lumière la vocation proprement « rituelle », indépendante de toute référence directe à la religion, de tout un pan de la littérature contemporaine, interprété comme une réaction de l’écrivain à la condition moderne, caractérisée par une perte générale de sens et la disparition de repères, et comme le témoignage d’une volonté « de reconstituer sur cette base émotionnelle un ‘nous’ fragilisé » (p. 237).

Laurence van Nuijs est Chargée de Recherches du Fonds de la Recherche Scientifique - Flandre (FWO) à la KULeuven. Son projet de recherche actuel concerne l'oeuvre de Bernard Frank (1929-2006).

Références

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