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Violence et paix à Douai à la fin du Moyen Âge

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Academic year: 2021

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HAL Id: hal-02185750

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Submitted on 29 Jun 2018

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Violence et paix à Douai à la fin du Moyen Âge

Marie Nikichine

To cite this version:

Marie Nikichine. Violence et paix à Douai à la fin du Moyen Âge : entre arbitrage et médiation. 136e Congrès national des sociétés historiques et scientifiques, Perpignan, 2011, 2012, Perpignan, France. pp.19-27. �hal-02185750v2�

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Marie NikichiNe

Doctorante, université Paris I – Panthéon-Sorbonne Laboratoire de médiévistique occidentale de Paris Centre national de la recherche scientifique

Extrait de : Michel Sot (dir.), Médiation, paix et guerre au Moyen Âge, éd. électronique, Paris, Éd. du Comité des travaux historiques et scientifiques (Actes des congrès nationaux des sociétés historiques et scientifiques), 2012. Cet article a été validé par le comité de lecture des Éditions du Comité des travaux historiques et scientifiques dans le cadre de la publication des actes du 136e Congrès national des sociétés historiques et scientifiques tenu à Perpignan en 2011.

Plusieurs travaux ont récemment souligné combien il pouvait être difficile de se repérer dans « la diversité du vocabulaire employé par les normes médiévales » au sujet des tran-sactions pénales en particulier1, obstacle fréquemment rencontré dans l’étude des mesures

destinées à résoudre les conflits en règle générale. Dans le cas de Douai, le laconisme de sources limitées ne peut être mis en cause pour expliquer ces difficultés, puisque les archives conservent pas moins d’une cinquantaine de procédures de paix et plus de huit cents exemples de trêves et d’asseurements pour le xve siècle2.

Cette diversité du vocabulaire a une première raison. Elle correspond au grand nombre des mesures d’accord auxquelles les habitants de Douai peuvent recourir. Au milieu du

xiiie siècle, soit une cinquantaine d’années après que le comte de Flandre a concédé une

charte de commune donnant aux échevins d’importants pouvoirs judiciaires, apparaissent les premiers témoignages d’une politique de résolution des conflits centrée sur la récon-ciliation des parties plus que sur la sanction. Les échevins, qui possèdent les compétences pour juger et condamner les cas d’injures, de blessures et d’homicides à Douai, permettent également à ces crimes de faire l’objet de mesures de trêves ou de paix, visant à apaiser plus qu’à condamner.

Pourquoi une telle politique? Les pratiques de vengeance liées à la défense d’un honneur qui se trouve au cœur des relations humaines peuvent donner lieu à des actes violents qui perturbent la vie de la commune, sans que cette dernière ne souhaite, ni n’ait les moyens de poursuivre en tant que tels ces actes relevant de la sphère privée et de la violence considérée comme légitime. La forme et l’issue des accords qui peuvent venir y mettre fin présentent des caractéristiques telles que la considération de l’honneur et l’absence de stigmatisation, ce qui invite les violents à y recourir. Dès lors que ces derniers acceptent ces procédures, la commune acquiert la légitimité de punir ceux qui enfreindraient ces accords en ayant à nouveau recours à la violence, violence qui peut alors être poursuivie en tant que crime contre l’autorité.

Le but de cet article est donc de décrire la diversité des mesures en vigueur à Douai et d’analyser leurs différences et leurs ressemblances, afin de voir comment elles peuvent se rattacher aux notions juridiques plus large de médiation, de conciliation ou d’arbitrage, notions qui évoquent le domaine de ce qui a longtemps été appelé l’infrajudiciaire. La remise en cause de ce terme est en effet une bonne illustration des difficultés rencontrées

1. R. Eckert, « La transaction pénale du xiie au xve siècle : étude de droit savant, de législation et de coutume »,

p. 17.

2. Les archives municipales de Douai conservent également plusieurs dizaines de milliers de chirographes échevinaux susceptibles de contenir des décisions d’arbitrages. Cette masse de documents reste encore largement inexploitée.

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dès qu’on essaie de faire rentrer toutes ces mesures dans un moule juridique, ou tout sim-plement terminologique.

Un même objectif d’apaisement, mais des modalités différentes

Un véritable arsenal de dispositifs : voilà comment peuvent être qualifiées les mesures destinées à maintenir ou à rétablir l’harmonie brisée par les injures ou les agressions com-mises par les habitants de la ville, qu’ils soient bourgeois ou non. Quatre types de procé-dures permettant la sortie du conflit et dans lesquelles la commune intervient à différents titres sont attestés à Douai.

Il s’agit tout d’abord des asseurements. Ces mesures sont préventives : avant qu’aucun acte de violence n’ait été commis, il est possible de s’adresser aux échevins pour que soit formalisé ce type d’accord, la décision étant alors notée dans les registres échevinaux. Ces accords lient deux personnes ainsi que leurs proches, chacun assurant à l’autre « k’il ne li volroit nul mal, de lui ne des siens, a lui ne as siens » afin d’éviter que les menaces qui ont pu être proférées ne soient mises à exécution.

Tel n’est pas le cas des trêves, qui interviennent, elles, après une agression. Elles peuvent être établies immédiatement après les faits, parfois sur les lieux mêmes de l’altercation : il est prévu dans la législation urbaine que les échevins puissent se déplacer à toute heure du jour ou de la nuit à cet effet3. Les trêves constituent un arrêt en principe temporaire des

hostilités car elles sont destinées à être renouvelées jusqu’à la réconciliation complète des parties. Celle-ci intervient soit sur la simple déclaration des parties qui peuvent décider de mettre un terme à l’accord par leur « bon amour » et en informer les échevins qui barrent l’accord dans le registre où il a été noté, soit au terme d’une seconde procédure.

En effet, sous l’autorité des échevins, le tribunal des paiseurs, officiellement établi depuis 1268, a pour tâche d’établir les paix de « toutes les descordes ki sunt avenues u avenront a Doai u ailleurs entre nos bourgois u fius de nos bourgois de Doai », selon les mots de la comtesse Marguerite de Flandre4. Les conditions de la réconciliation sont alors négociées

entre les parties en cause et peuvent donner lieu à des amendes honorables ou à des répa-rations matérielles, ainsi qu’à des pèlerinages expiatoires à l’intention de la partie lésée. Des cérémonies spécifiques sont l’occasion pour les paiseurs de déclarer aux intéressés qu’il leur est « enjoint a tenir et entretenir bonne paix et amour ensamble », paix qui sont ensuite jurées entre les anciens adversaires désormais réconciliés.

Enfin, pour sortir du conflit, des arbitres peuvent être choisis par les parties. Parfois dési-gnés par le terme d’« amiable apaiseurs5 », ils ont la charge de décider des réparations

nécessaires au rétablissement de la paix.

Le moment où ces accords interviennent par rapport au crime est un élément qui permet de les distinguer. Les asseurements doivent ainsi être considérés à part, puisque ce sont les seules mesures destinées à prévenir la violence, en intervenant à la suite de menaces encore non exécutées.

3. Ban échevinal, v. 1250 (arch. mun. Douai, AA88, fol. 8 vo ; AA92, fol. 23 vo ; AA89, fol. 2 vo ; AA94, fol. 7 vo et

AA86, fol. 19) : « Li eskevin unt concordé ke, se besoins est par jor ne par nuit, ke doi eskevin poent bien estre a trives prendre, [… ]» (G. Espinas, La Vie urbaine de Douai au Moyen Âge, vol. III, p. 140).

4. Lettre de Marguerite de Flandre, « charte des paiseurs », en date du 10 décembre 1268 (arch. mun. Douai, AA74 ; G. Espinas, ibid., p. 515).

5. Chirographe échevinal du choix d’arbitres en mai 1310 (arch. mun. Douai, FF669) : « Les deux parties devantd., por bien de pais et par le conseil de proudommes, se mettent et sont mises de tout en tout […] sor le dit et l’ordennance de Willaume De Niedon et de Ermenfroit Piet d’Argent, com en arbitres ou amiables apaiseurs des debas deseured » (G. Espinas, ibid., vol. IV, p. 912).

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L’effet de ces procédures dans le temps diffère également. L’annulation des trêves et des asseurements peut constituer la preuve de l’entente retrouvée et, par conséquent, peut être souhaitée par les autorités. Les paix et les décisions d’arbitres n’ont en revanche pas vocation à être remises en cause, comme en témoigne le formulaire employé, qui insiste sur la pérennité de ces accords6. L’existence de sanctions lourdes en cas de non-respect de

ces décisions dissuade de s’en écarter : celui qui rompt un accord risque d’être banni au moins cinq ans et encourt les amendes les plus élevées7.

Ces accords se différencient surtout par le statut des personnes qui peuvent prétendre en bénéficier. Si les arbitrages ne sont réservés qu’à ceux pouvant se permettre de rémunérer des arbitres, l’établissement des paix est, quant à lui, exclusivement réservé aux bour-geois et à leurs enfants selon les termes de la charte qui établit le tribunal des paiseurs, et ce jusqu’en 1447. À la requête des échevins, le duc de Bourgogne et comte de Flandre Philippe le Bon élargit alors l’accès du tribunal des paiseurs aux manants. Jusque-là, ces derniers ne peuvent accéder qu’aux trêves, qu’un ban échevinal de 1278 leur rend expres-sément accessibles8. On ignore ce qu’il en est des asseurements, mais il semble qu’une fois

une agression commise, les arbitrages et les transactions privées soient les seules procé-dures envisageables pour tous, manants comme forains, et même pour les bourgeois qui auraient maille à partir avec des non-bourgeois et qui ne pourraient, à cause du statut de leurs adversaires, bénéficier de la sécurité plus importante apportée par des accords de trêve ou de paix, qui s’appliquent à l’ensemble de la parenté.

En effet, l’implication des proches est une autre des caractéristiques qui permettent de dif-férencier les accords entre eux, selon qu’ils s’appliquent à l’ensemble des parents et amis charnels, comme c’est le cas pour les trêves, les paix et les asseurements, à l’exception de l’arbitrage qui ne concerne que ceux qui ont passé le compromis.

Cette dernière caractéristique permet de séparer les mesures prises au nom de la com-mune sous l’autorité directe des échevins ou des paiseurs, de l’arbitrage, prononcé par des particuliers, non pas au nom de la commune, mais choisis pour leurs qualités propres. La présence des autorités échevinales se fait toutefois également sentir dans les arbitrages. En effet, ceux-ci peuvent être établis alors qu’une procédure de paix est déjà en cours devant les paiseurs. Ces derniers autorisent les parties à y recourir à la condition de revenir les informer de l’issue de ce règlement. Les autres arbitrages qui peuvent être prononcés en dehors de toute intervention préalable des autorités communales bénéficient aussi des moyens de garantie apportés par le magistrat. Le compromis d’arbitrage, acte par lequel les parties définissent les pouvoirs accordés aux arbitres qu’elles ont choisis, ainsi que les décisions de ces mêmes arbitres prennent la forme diplomatique de chirographes éche-vinaux. Deux versions identiques des accords sont rédigées sur une même pièce de par-chemin, ensuite partagée en deux ou en trois entre les parties et les échevins. En cas de contestation, l’exemplaire conservé par la Ville permet d’établir l’authenticité des pièces présentées par les parties en cause, en comparant la forme de la déchirure et de la devise inscrite à la jonction des différentes pièces. L’établissement du caractère authentique du chirographe n’est pas la seule garantie apportée par la commune aux paix qui auraient été

6. Registre des paiseurs, décision en date du 3 décembre 1415 : « Premiers dient li devantd. paiseur que tous les distors et malles amours qui sont et pooyent avoir esté pour quelconques cause que ce fust, de tout le temps passé jusques au jour de ceste paix entre les dessusd. parties, tant de parolles comme de fait, il estoit et est tousjours bonne paix » (arch. mun. Douai, FF287, fol. 28 vo).

7. Ban échevinal, v. 1250, registre à la loy de Douay (arch. mun. Douai, AA86, fol. 2 ; G. Espinas, La Vie urbaine de

Douai au Moyen Âge, vol. III, p. 154).

8. Ban échevinal en date des 29-30 novembre 1278 (arch. mun. Douai, AA94, fol. 8) : « Encore ont li eschevin concordei et atirei ke on poet aussi bien destraindre et faire semonse de trives faire doner home u feme, encore ne soit-il borgois u borgoise de ceste vile, proec ke il soit manans en ceste vile al point ke li aventure seroit avenue en fait u en dit, por quoi on vauroit prendre le trive aussi avant ke on feroit le borgois u le borgoise de ceste ville » (G. Espinas, ibid., p. 667).

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Pratiques de la médiation

prononcées par d’autres autorités que les paiseurs officiels. Un ban échevinal prévoit une amende de cinquante livres et un bannissement de deux ans au cas où ce genre de décision ne serait pas respecté9.

Même si les modalités diffèrent selon les procédures d’accord, l’intervention de la com-mune constitue donc une caractéristique partagée par toutes ces mesures, qui, au delà des différences concernant leur accès et leur application, ont pour autre point commun leur but d’éviter tout acte de violence. Cette préoccupation, véritablement au cœur des prio-rités urbaines, est à mettre en lien avec l’importance de la tranquillité nécessaire pour la prospérité des activités professionnelles des bourgeois. La concorde entre les membres qui composent la commune est une question si essentielle que la Ville en vient même à rendre la réconciliation de ses membres obligatoire sous peine des pires sanctions. En cas d’agres-sion, le refus de procéder à une trêve et les défauts de comparution lors d’une procédure devant les paiseurs sont assimilés à des crimes contre l’autorité de la commune, et leurs auteurs sont passibles des mêmes sanctions prévues en cas de rupture d’accord10.

Certains Douaisiens ne se privent pas de se plaindre de la contrainte qu’ils subissent par-fois quand ils sont obligés de passer des trêves11. D’autres, en revanche, profitent du cadre

offert par la commune pour se réconcilier, sans que les paiseurs n’aient à décider pour eux des mesures nécessaires au rétablissement de la concorde12.

Le fait que le recours à des accords et que la solution à des différends soient parfois imposés par une autorité ou parfois le fruit de l’unique volonté des parties, l’existence de structures institutionnelles à côté d’accords négociés à la taverne13, et l’utilisation du mot « paix »

pour désigner la décision des arbitres tout comme celle du tribunal des paiseurs, rendent parfois difficile de rattacher ces différentes mesures aux notions juridiques plus larges que sont la médiation, la conciliation ou l’arbitrage. Ce constat invite à s’interroger sur la nature de l’action d’apaisement tel qu’il est pratiqué à Douai afin de pouvoir, notamment, effectuer les comparaisons avec d’autres systèmes de régulation des conflits.

9. Ban échevinal en date du 4 décembre 1271 (arch. mun. Douai, AA94, fol. 4 vo) : « Cis bans est des respis et des

pais fait par preudomes, sans reconoistre devant eschevins et paiseurs » (G. Espinas, ibid., p. 563). Cette peine est inférieure à ce qui est prévu en cas de rupture d’une paix établie par les paiseurs, puisque ce crime est sanctionné au minimum par un bannissement à perpétuité.

10. Ban général des paiseurs, v. 1250 (arch. mun. Douai, fol. 20 vo ; AA89, fol. 5 vo et AA94, fol. 2 vo) : « Et si fait-on

le ban que nus ne soit si hardis, hom ne feme, que se li eswardeur des pais mandent alcun home un feme por le besoigne des pais, que il i viengne tout enrranment la u li eswareur des pais seront, puis con les aroit mandés par leur sergant ; et ki n’i venroit, il kieroit ou forfait de X £ » (G. Espinas, ibid., p. 157).

11. Trêves établies le 12 juin 1482 : Pierre de Hauteville explique « que ce qu’il bailloit lesd. treves, que c’estoit comme constraint » (arch. mun. Douai, FF288, fol. 62 vo). Dès le xive siècle, des condamnations sont prononcées en

raison de résistance aux trêves, comme Wibert de Goy est banni un an et un jour « pour ce qu’il dist aux eschevins qu’ilz pressoient trop led. Henvin a faire donner lesd. trieves aud. bourgois » (condamnation en date du 20 mai 1329, ibid., FF88, fol. 6).

12. Présentation devant les paiseurs en date du 10 mai 1440. Le registre des paiseurs montre l’exemple de Simon Delepree et de Jaquemard Bellegambe, qui, dès leur première comparution devant les paiseurs, « ont dit et affermé par leurs seremens qu’ilz sont tres bien d’acord par bonne amour ensamble de toute leurd. question et distort » (arch. mun. Douai, FF287, fol. 63 vo).

13. Témoignage en date du 12 août 1388 : « Requis sur le VIe dist que environ Pasques et Penthecouste darrain

passé, il se transporta en le compaignie de Jaquemart Hamelle le jovene en le ville de Pesquencourt pour traitier par devers maistre Jehan Le Liegois et Collechon, sen nepveu, affin d’acord et apointement de paix pour I debat qu’avoient eu entre eulx, si con disoit, li fils Watier Le Monnart, Collars Li Monnars, tondeur, et Hanins Limartins, et tant exploitierent avec Watier Lebernier que journee fu prise a estre a le taverne a Douay a certain jour, auquel jour se comparurent lid. Liegois et ses nepveux,… » (ibid., FF385, fol. 9 vo).

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S’accorder sur la terminologie

Il faut rappeler les débats qui existent au sujet de la désignation de l’ensemble de ces mesures d’accord. Toutes les expressions précédemment employées évoquent le domaine de « l’infrajudiciaire ». Ce terme a parfois été utilisé pour évoquer le « règlement des écarts aux normes des rapports interindividuels ou communautaires par vengeance, arrange-ment ou toute autre solution ne faisant pas appel aux tribunaux », selon les mots de Jean-Claude Farcy14. Le recours à cette expression est aujourd’hui remis en cause, notamment

en raison de son caractère péjoratif qui sous-entend une hiérarchie n’ayant pas lieu d’être. Avant toute chose, les justiciables recherchent le moyen le plus avantageux de régler leurs différends. Du point de vue des autorités communales, les seules mesures d’accord qu’ils décrient sont celles qui peuvent être le fait d’autorités concurrentes comme le bailli, éga-lement amené à négocier la paix avec justiciables de Douai15. Les raisons des échevins

relèvent ici plus de considérations politiques que purement juridiques. D’autre part, il faut rappeler que l’action de leur tribunal naît et se développe véritablement en lien avec ces mesures d’accord, puisqu’elles permettent de rendre ses interventions plus légitimes. Ce terme est criticable pour son côté dépréciateur et inexact. Toutefois, il peine à trouver un successeur satisfaisant. Patricia Mac Caughan résume les différentes options adop-tées : elle rejette l’anglais « quasi-judicial », toujours en raison du jugement de valeur qu’il implique et propose l’expression « parajudiciaire », qui a le mérite de rétablir un rapport d’égalité16. Toutefois, l’utilisation du préfixe signifiant « à côté » peut, à mon sens, poser

également problème en sous-entendant l’étanchéité d’un prétendu domaine judiciaire isolé des décisions de trêve, de paix ou d’asseurement. Les interactions entre la justice pénale assurée par les échevins et les mesures de trêve et de paix qui viennent compléter les effets de leurs condamnations et mieux garantir la paix pourraient faire l’objet de longs développements. Notons simplement que nombre de paix sont prononcées par les pai-seurs à la suite du renvoi du tribunal des échevins après une première procédure17.

Les mêmes difficultés de terminologie se retrouvent sans surprise au niveau des termes plus précis. À la diversité des normes médiévales répond la diversité des notions employées actuellement. Les nuances entre la conciliation, la médiation ou les transactions, arbitrages et autres aimables compositions. ne sont pas toujours aisées à maîtriser.

En s’en tenant aux définitions juridiques les plus accessibles, le terme de « médiation » correspond à la situation où l’autorité choisie par les parties propose un projet de solution, mais sans être en mesure de leur imposer. C’est la principale différence avec l’arbitrage, l’application de la décision des arbitres étant garantie par le compromis établi au préalable par les parties. Quant à la conciliation, elle consiste dans le simple rapprochement des par-ties afin que leur mise en présence les amène à trouver d’elles-mêmes une solution à leur différend, qui peut par exemple prendre la forme d’une transaction.

Les trêves semblent se couler dans le moule de la conciliation : en stoppant les hostilités, elles permettent aux parties de se rapprocher pacifiquement. Puisque toute violence leur

14. J.-C. Farcy, « Peut-on mesurer l’infrajudiciaire ? », p. 109.

15. Compte rendu d’un différend entre le bailli et les échevins, en date des 30 janvier 1286 (n. st.) et 1er février et

9 mai 1287 (arch. mun. Douai, FF43) : « Li baillis ou chils qui sen lieutenant ne si sergent ne poient faire paix de meslee ne d’enfreinture faite d’armeure esmolue ne d’autre costé ne de quelconques cas que ce soit qui esquieche dedens l’eschevinage de quoi li eschevins doivent avoir le congnoissance et le jugement que le baillis ou si sergent ne le facent contre leur sieremens car li sires de le terre ne pooit lever ne prendre fourfait ne amende a Douay se le eschevins ne le jugent » (G. Espinas, La Vie urbaine de Douai au Moyen Âge, vol. III, p. 729).

16. P. Mac Caughan, « Le baile du seigneur et la résolution des conflits », p. 603.

17. Pour de plus amples développements sur cette question, se reporter à notre thèse : M. Nikichine, « La justice échevinale, la violence et la paix à Douai (fin xiie-fin xve siècle) », p. 398 et suiv.

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Pratiques de la médiation

est désormais interdite, ces mesures ne leur laissent que l’occasion de discuter en vue de la paix.

Les paix sont plus difficiles à classer, pouvant relever tantôt de la conciliation, tantôt de l’arbitrage selon les analyses. En effet, si l’accord intervient finalement grâce à un arbi-trage négocié en dehors de l’instance des paiseurs, ceux-ci n’auront eu pour rôle que de donner un cadre au rapprochement des parties. Georges Espinas évoque, quant à lui, les mesures de paix comme des arbitrages18, et Xavier Rousseaux présente les apaiseurs de

Nivelles-en-Brabant comme des « arbitres institutionnalisés19 » : même si les parties ne

s’engagent pas formellement par un compromis à respecter la décision des paiseurs et même si ces derniers sont désignés par la commune et non par les parties elles-mêmes, les paiseurs ont le pouvoir d’imposer leur décision, notamment par le biais des sanctions encourues si celle-ci n’est pas respectée.

Qu’en est-il des rapports entre paix et médiation ? Rappelons que le médiateur n’a pas le pouvoir d’imposer sa décision. Or, le contraire est établi au sujet des paiseurs. Toutefois, en admettant que le terme de « médiation » puisse également être employé dans un sens plus général de recherche de l’apaisement par des moyens judiciaires ou non, les paix peuvent donc aussi y être rattachées, en prenant la peine de préciser qu’il ne s’agit pas là de sa définition stricte.

Il est dès lors envisageable de tomber d’accord, si ce n’est sur l’expression qu’elle propose, du moins sur les injonctions de Patricia Mac Caughan, pour qui il est primordial, quel que soit le terme finalement utilisé, de bien en préciser la portée afin d’évoquer les pratiques d’apaisement. C’est là, semble-t-il, le principal enseignement de tous ces débats, surtout quand des définitions actuelles, qui posent parfois elles-mêmes des problèmes de compré-hension20, tentent d’être appliquées à la réalité de sociétés différentes.

Les arbitrages font-ils exception? Le rapprochement avec les définitions actuelles21 peut

facilement être fait avec ce qui est en vigueur à Douai au Moyen Âge, dans la mesure où ce terme est déjà employé dans les actes de cette époque. L’arbitrage se définit aussi par une formalisation bien cadrée, qui se structure autour des actes de compromis – par lequel les parties définissent l’objet et les conditions de l’arbitrage – et les décisions issues de ce même arbitrage. Toutefois, avec sa généralisation à partir du xiiie siècle, les changements

que subit cette pratique font constater à Anne Lefebvre-Teillard que les arbitres jouent de plus en plus le rôle d’arbitrateurs, et jugent non plus selon le droit et selon les règles de la procédure suivies par le juge, comme l’arbitre est censé le faire, mais s’en écartent pour juger en équité. Dès lors, certains arbitrages peuvent plutôt être considérés comme des « quasi-transactions », terme employé toujours par Anne Lefebvre-Teillard quand elle évoque l’évolution de l’arbitrage vers l’amiable composition22. Elle rappelle également

que les évolutions constatées pour l’arbitrage sont dues à une volonté de « redonner aux arbitres la possibilité d’agir avec souplesse et rapidité23 », montrant ainsi toute la

com-plexité de notions mouvantes au cours de l’histoire, en fonction de leur appropriation

18. « Ce changement a modifié le caractère social tout au moins des pais : les parties les regardent toujours comme des modes d’arbitrage entre lesquels et la vengeance ils peuevent choisir » (G. Espinas, « Les guerres familiales dans la commune de Douai aux xiie et xive siècles », p. 449).

19. X. Rousseaux, « De l’assistance mutuelle à l’assistance professionnelle : le Brabant (xive-xviiie siècle) », p. 137.

20. R. Eckert, « La transaction pénale du xiie au xve siècle… », p. 15, part. n. 21 où l’auteur indique les débats actuels

liés à l’emploi du terme « transaction» pour évoquer les accords entre « les autorités de poursuite et les personnes susceptibles d’en faire l’objet ».

21. Reprenant une définition proposée par Charles Jarosson (La Notion d’arbitrage, p. 372), Anne Lefebvre-Teillard indique que les mesures d’arbitrage peuvent être définies comme « institution par laquelle un tiers règle le différend qui oppose deux ou plusieurs parties en exerçant la mission juridictionnelle qui lui a été confiée par celles-ci » (A. Lefebvre-Teillard, « L’arbitrage de l’histoire », p. 2).

22. A. Lefebvre-Teillard, ibid., p. 4.

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par les justiciables, au gré de leurs besoins. Ceci expliquerait la perméabilité des mesures d’accords constatée pour la ville de Douai.

La souplesse et la perméabilité des accords

L’imbrication potentielle entre les paix et les arbitrages a déjà été évoquée : les parties en cause devant le tribunal des paiseurs de Douai peuvent choisir de s’en remettre finalement à des arbitres qu’elles sélectionnent personnellement, le succès d’une telle procédure leur permettant de revenir devant les paiseurs uniquement pour faire constater leur réconci-liation.

Les trêves ont pour but la paix. Le passage devant les paiseurs n’est toutefois pas systéma-tique, ne serait-ce qu’en raison des limitations liées au statut des parties en cause, puisque seuls les bourgeois accèdent aux paix. Les trêves peuvent donc être renouvelées pendant longtemps jusqu’à l’officilialisation de la réconciliation des parties, qui peut intervenir parfois au bout de plus de quarante ans24. Reste que nombre de paix établies par les

pai-seurs le sont à la suite de trêves, parfois de manière très rapide25.

L’ensemble des procédures de paix, de trêve et d’arbitrage se complètent donc sans s’ex-clure. Cette souplesse, qui permet de passer de l’une à l’autre, est peut être à l’origine du succès de la politique communale de résolution des conflits à Douai. La tendance qui veut que les accords s’ouvrent progressivement au plus grand nombre est sans doute la preuve du pragmatisme des échevins pour qui il importe surtout d’assurer la paix de la commune.

Charles Petit-Dutaillis constatait que les trêves peuvent parfois être assimilées aux asseu-rements, étant donné l’emploi conjoint de ces termes dans les lettres de rémission qu’il étudie pour le xve siècle26. Il semble qu’à Douai, ce ne soit pas tout à fait le cas, mais cela

ne suffit pas à complètement remettre en cause son hypothèse, les occurrences qu’il relève étant peut-être le témoin d’évolutions que suivent ces accords, en fonction des besoins des justiciables et des autorités, qui varient selon les lieux et les époques et qui rendent nécessaires de bien identifier le cadre politique et institutionnel dans lequel ces mesures s’inscrivent afin de déterminer quelles pratiques elles recouvrent exactement. Loin d’être un obstacle décourageant, cette diversité et les difficultés de définitions qu’elle engendre rendent leur étude encore plus stimulante.

24. La déclaration de trêve a été faite entre Jehan Dentart et Simon Lescullier le 16 février 1446 et « mises jus par Jehan Dentart en personne et Simon Lescullier, nepveulx dud. feu Simon en jugement le XVIIIe jour de septembre

IIIIxx et sept. » (arch. mun. Douai, FF288, fol. 17 vo).

25. Ainsi, les Leroy, en froid avec les frères Lebernard, passent d’abord une trêve avec eux le 20 septembre 1447 (ibid., FF288, fol. 21) avant qu’une paix ne soit établie un mois après, le 24 octobre (ibid., FF287, fol. 73). Pareillement, Jehan Ricard et Jehan de Herselles sont en trêve le 19 août 1443 et la paix est établie entre eux le 24 septembre de la même année. En tout, ce sont huit affaires du registre des paiseurs qui peuvent aussi être identifiées dans le registre des trêves et asseurements.

26. C. Petit-Dutaillis, Documents nouveaux sur les mœurs populaires et le droit de vengeance dans les Pays-Bas au

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Pratiques de la médiation Résumé

Dès la fin du xiiie siècle, tout un arsenal de dispositifs destinés à maintenir ou à rétablir la paix

en cas de conflit concerne les habitants de la ville de Douai. Certains types d’accords entrent dans le modèle bien connu des arbitrages, rendus sous la houlette d’amiables compositeurs ou d’arbitres choisis par les parties. Mais comment considérer les mesures de paix, de trêves ou d’asseurement prises sous l’autorité des échevins et du tribunal des paiseurs ? Ces procé-dures ont en commun leur priorité, à savoir le rétablissement de la paix entre les parties plus que la condamnation d’un coupable. Les nuances qui permettent de les distinguer sont rela-tives au statut des parties en cause et aux effets de ces mesures. En examinant ces différences grâce aux registres de justice conservées aux archives municipales de Douai, il est possible de se rendre compte des nombreuses passerelles liant entre eux ces accords, qui ont pour autre point commun leur souplesse.

Bibliographie

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