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L'adaptation de la Stratégie européenne de sécurité, le Livre blanc sur la sécurité et le nouveau concept stratégique de l'OTAN, un recadrage des postules

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L’ADAPTATION DE LA STRATEGIE EUROPEENNE DE SECURITE,

LE LIVRE BLANC SUR LA SECURITE ET LE NOUVEAU CONCEPT

STRATEGIQUE DE L’OTAN : UN RECADRAGE DES POSTURES

INTERACTIONS, CALENDRIERS, RUPTURES

PAR

André DUMOULIN

La période de transition qui s’étend sur 2008 et 2009 peut être considérée comme l’une des plus riches en matière conceptuelle dans le champ de la sécurité-défense. Et, ce, en particulier en raison de la confusion des produits et des préséances entre calendriers. D’une part, avec le mandat d’un an confié à Javier Solana par le Conseil européen du 14 décembre 2007 pour faire le point sur la Stratégie européenne de sécurité (SES) et « proposer des éléments visant à améliorer sa mise en œuvre et, selon les cas, les éléments qui devraient la compléter ». D’autre part, avec les nouveaux ballons d’essais en vue de la réalisation d’un Livre blanc européen de la sécurité et de la défense. Enfin, avec les travaux relatifs à un nouveau Concept stratégique de l’Organisation du Traité de l’Atlantique-Nord (OTAN) − en remplacement de celui de 1999 −, qui pourraient être lancés, sinon finalisés autour du 60e anniversaire de l’Alliance

atlantique.

Toute la difficulté vient de l’entrechoquement des projets dans une période assez étroite, au moment où la Maison-Blanche change de locataire et alors que l’Union européenne (UE) tente de sortir de la crise autour du Traité de Lisbonne non ratifié par Dublin et que Moscou propose un plan de paneuropéen. Se pose en outre la question de l’interprétation. La SES n’est-elle qu’adaptée − et non pas refondue − parce que l’UE n’avait d’autre alternative que celle de rester prudente en « attendant » le document de l’OTAN ? S’agit-il plutôt de poser les marques européennes de l’analyse sécuritaire revue et corrigée afin d’influer sur les travaux à mener au sein de l’Alliance ? L’adaptation de la SES sera-t-elle altérée de manière proactive par les réflexions déjà menées au sein de l’Alliance et autour de son nouveau Concept ? Doit-on considérer que les calendriers ne sont pas en interaction1,

mais qu’ils ont leur propre logique, associée aux enseignements que chaque organisation2 tire

de ses expériences diplomatiques et opérationnelles ? Les deux stratégies vont-elles créer des ruptures doctrinales et politico-philosophiques ? Quant à l’idée de rédiger un Livre blanc européen de la défense, véritable monstre du Loch Ness3, sujet historique, tentative déjà faite

par l’Institut d’études de sécurité de l’Union européenne (IESUE) en 20044, mais

Chercheur à l’Ecole royale militaire (Bruxelles, Belgique), chargé de cours adjoint à l’Université de Liège

(Belgique) et membre du Réseau multidisciplinaire d’études stratégiques (RMES, Belgique).

1 Remarquons que la SES de 2003 ne s’est pas structurée à partir du Concept stratégique de l’OTAN de 1999. 2 Pour une comparaison des deux documents, cf. « Security strategies and their implications for NATO’s

Strategic Concept », NATO Defence College Occasional Paper, n° 9, nov. 2005.

3 Cf. André DUMOULIN, « La relance du concept de ‘Livre blanc’ européen de la sécurité et de la défense »,

Annuaire français de relations internationales, vol. III, 2002, pp. 467-479.

4 Report of an independent Task Force, European defence. A proposal for a White Paper, Institute for Security

Studies, Paris, mai 2004. Ce document avait à la fois assimilé la première Stratégie de sécurité de l’UE de décembre 2003, pris en compte les tensions géopolitiques (Iraq, Afghanistan) et transatlantiques, posé les jalons de l’assimilation du concept de sécurité intérieure et suggéré 5 scénarios en relation avec les besoins capacitaires de l’UE.

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« dévalorisée », diplomatiquement s’entend, le concept pourrait revenir par la fenêtre par nécessité : l’ancien modèle de Livre blanc subit donc lui aussi la confusion calendaire.

LA MISE A JOUR DE LA SES

Il était entendu, dès l’origine, que la SES du 12 décembre 20035, considérée comme un

pré-concept, allait devoir évoluer, car elle était par essence dépendante de l’évolution de l’environnement international. Document holistique6, se situant entre le conjoncturel et le

structurel, entre le circonstanciel et la vision classique des relations internationales, la Stratégie européenne se devait d’être réexaminée à la lumière des changements opérés et subis dans l’environnement des pays de l’Union européenne et dans le monde ces toutes dernières années.

En particulier, se révèlent important, pour la révision de la SES, les éléments relatifs à la Politique européenne de sécurité et de défense (PESD) inscrits dans le Traité de Lisbonne (Coopération structurée permanente, Service européen d’action extérieure, clause de sauvegarde), l’adoption d’un nouvel objectif global civil 2010, la mise en place d’une capacité civile de planification et de conduite (CPCC) au sein du secrétariat du Conseil, l’accession à la capacité opérationnelle du centre d’opération de l’UE, les aspects spécifiques aux Groupements tactiques 1 500, la nouvelle affirmation russe, la nouvelle administration Obama, les questions liées à la Homeland Security et aux aspects intérieurs de la sécurité, la prolifération (notamment avec le dossier iranien), la sécurité maritime, l’actualité des questions régionales.

La SES de 2003 − document-phare portant sur les valeurs et les objectifs fondamentaux de l’Union, codifiant les objectifs généraux à long terme et reflétant le plus petit commun dénominateur entre les pays de l’UE dans le contexte de la crise entre alliés survenue autour de la guerre en Iraq − reste assurément un cadre normatif porteur de principes directeurs − parfois au conditionnel −, correspondant à une puissance politico-économique et non à une alliance militaire classique. Elle est « une sorte de philosophie générale de l’action dans le monde »7, mais n’est ni un guide diplomatique pour faire face aux nombreux

imprévus auxquels est confrontée l’UE, ni un concept opérationnel définissant les critères et les règles d’engagement de sécurité, ni un dictionnaire permettant de définir la finalité politique des missions de l’UE. Reste que son champ d’application se doit aujourd’hui d’être

5 Une première version fut rédigée par Javier Solana − à partir d’un non-papier rédigé par une équipe de

diplomates de son entourage et de quelques contributions extérieures − sur une demande formulée par les ministres des Affaires étrangères lors d’une session informelle tenue à Kastellorizo le 3 mai 2003. Elle fut entérinée par les Vingt-Cinq lors du Conseil de Thessalonique du 20 juin 2003. Le 12 décembre 2003, le Conseil européen adoptait solennellement un document final, quelque peu revu et corrigé, considéré comme la première Stratégie de sécurité de l’UE.

6 Pour une analyse du document, cf. Alyson J. K. BAILES, « The European Security Strategy. An evolutionary

history », SIPRI Policy Paper, n° 10, fév. 2005 ; Collectif, « A Security Strategy for Europe. The Solana Strategy in the wake of Madrid », Oxford Journal on Good Governance, vol. I, n° 1, juil. 2004 ; André DUMOULIN, « La sémantique de la ‘Stratégie’ européenne de sécurité : lignes de forces et lectures idéologiques d’un pré-concept », Annuaire français de relations internationales, vol. VI, 2005, pp. 632-646 ; Asle TOJE, « The 2003 European Union Security Strategy : a critical appraisal », European Foreign Affairs Review, vol. X, n° 1, 2005.

7 Javier SOLANA, « Préface », in Nicole GNESOTTO (dir.), La Politique de sécurité et de défense de l’UE. Les cinq

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élargi, car « l’histoire s’accélère » et le besoin d’identifier les éléments de sa mise en œuvre est patent.

En effet, au vu des changements de l’environnement international, il a été question de réviser la SES et d’aboutir à quelques résultats pour fin 2008. En fin de compte, le document ne sera que révisé, mis à jour, actualisé, mais non mis à plat, réécrit et refondu. Cela fait montre à suffisance de prudence politique : celle de ne pas risquer de tout détricoter – son contenu n’étant pas globalement contestable − ; celle également de ne pas rouvrir complètement le dossier en période de transition autour de la ratification du nouveau Traité UE. De même, le calendrier du nouveau Concept stratégique de l’OTAN peut imposer quelque retenue. Au final, il sera donc plutôt question de rédiger un addendum à la Stratégie européenne de sécurité de fin 2003 : la présidence française en charge de gérer le processus y accrochera quelques documents techniques politiquement non contraignants8,

autour de thèmes concrets de la PESD et de la non-prolifération. L’esprit du moment étant de s’attacher plutôt au renforcement opérationnel de la PESD qu’à de grandes révisions conceptuelles de la SES.

Il n’en reste pas moins vrai que plusieurs documents ont balisé ou même soutenu, directement ou indirectement, l’exercice d’actualisation, associant capitales, Commission européenne, centres de recherche et l’Institut d’études de sécurité de l’UE : le rapport d’Helmut Kuhne sur « la mise en œuvre de la Stratégie européenne de sécurité et de la Politique européenne de sécurité et de défense » (15 mai 2008, Commission des affaires étrangères du Parlement européen), celui de Daniel Ducarme sur « la révision de la Stratégie européenne de sécurité » (6 mai 2008, Assemblée parlementaire de l’UEO)9, celui de la

fondation allemande Bertelsmann Stiftung intitulé « Beyond 2010. European grand strategy in a global age » (juillet 2007), celui sur « The new global puzzle. What world for the EU in 2025 ? » (IESUE), y compris les éléments intégrés dans l’« initial long-term vision (LTV) for European and capacity needs » de l’Agence européenne de défense (octobre 2006) et le dossier « European military capabilities : building armed forces for modern operations » (juillet 2008, IISS), le rapport « Changements climatiques et sécurité internationale » (document établi par le Haut-Représentant et la Commission européenne à l’attention du Conseil européen, 14 mars 2008), la « national security strategy » britannique (mars 2008) et le Livre blanc de défense et sécurité nationale français (juin 2008), la monographie de Stefano Silvestri intitulée « Revising the European Security Strategy : arguments for discussion », (mai 2008, dans le cadre d’un séminaire de l’IESUE10) ou encore le texte de Nick Witney, «

Re-energising Europe’s Security and Defence Policy », communément appelé le Rapport pourpre (Policy Paper, ECFR, juillet 2008).

Sur la base de ces documents, plusieurs thématiques fondamentales ont été portées dans les différents cénacles : l’identité de l’UE en tant qu’acteur de politique étrangère et de sécurité, les valeurs partagées dans les missions et opérations, la définition du multilatéralisme, la mise en œuvre de la SES dans les missions de gestion de crise, les

8 Un statut lié au caractère délicat de la question relative à la capacité de planification et de décision.

9 Une version actualisée sera présentée lors de la session d’automne 2008 de l’Assemblée de l’UEO par le

même rapporteur. Relevons qu’un précédent rapport sur la mise en œuvre de la Stratégie européenne de sécurité fut présenté à la session de printemps de l’Assemblée de l’UEO en juin 2005 par Gerd Höfer, parlementaire allemand.

10 L’IESUE a consacré plusieurs séminaires à la question, les 5 et 6 juin 2008, à Rome (« L’Union et la

gouvernance mondiale : règles, puissance, priorités »), les 27 et 28 juin 2008, à Natolin (« Une approche commune du voisinage ») et les 18 et 19 septembre 2008, à Helsinki (« L’approche de l’Union de la sécurité internationale »). Une synthèse des travaux, intitulée « Quelle stratégie pour les intérêts de sécurité de l’Union européenne ? », s’est déroulée à Paris.

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questions relatives à la culture stratégique nationale et européenne, le degré d’association avec les partenaires stratégiques, les perceptions croisées de la menace et le partage réciproque des « lectures », la complémentarité entre défense et sécurité, les intérêts communs de l’UE, l’évolution des défis sur les cinq dernières années, la cohérence dans le jeu des instruments de l’action extérieure…

Dans ces conditions, la mise à jour se révèle particulièrement nécessaire pour tout ce qui a trait aux enjeux de la sécurité énergétique et des routes commerciales, à la politique de voisinage, aux relations avec une Russie « de retour » et la Chine émergente, à l’impact de questions climatiques sur la sécurité, à la cybercriminalité, aux effets néfastes des mouvements migratoires incontrôlés, aux enjeux capacitaires globaux, à la sécurité maritime, à l’importance des avancées contenues dans le Traité de Lisbonne, à la protection civile, y compris la protection des infrastructures critiques, à la coopération avec l’OTAN, aux relations avec les Etats-Unis, y compris l’insistance européenne pour l’interdépendance11 et le

multilatéralisme12, aux relations avec l’Afrique13, à la gestion des crises, aux aspects

environnementaux, à la sécurité intérieure, au concept de sécurité humaine. A quoi il convient d’ajouter l’insistance probable sur les politiques communautaires et la puissance structurelle et économique de l’Union comme moyen d’action. De même, il sera question de faire le bilan de la mise en œuvre de la SES, d’identifier les progrès accomplis depuis 2003 ainsi que les lacunes durant cette période et celles prévisibles sur le moyen terme.

La mise en avant d’un addendum à la SES pose à nouveau la question théologique du besoin de disposer d’un Concept de sécurité global. La superposition de documents indique à suffisance la prudence diplomatique du moment et annonce probablement de nouveaux développements conceptuels dans les prochaines années. En outre, ne pouvant être ni une doctrine d’emploi des forces, ni un cadre inclusif d’intervention militaire, ni un document programmatique militairement s’entend, ce texte pourrait stimuler l’idée renouvelée de rédaction d’un Livre blanc européen de la sécurité et de la défense. Les documents techniques (« plans d’action ») annexes associés à l’addendum sont, à cet égard, très révélateur de ce manque.

Le mandat de 2007 indiquait précisément que la mise à jour de la SES imposerait de réaliser un certain nombre de travaux afin de mettre ces conclusions en application14. Nous

percevons derrière ceci le besoin de disposer d’un cadre de planification, d’un corpus doctrinal européen, d’une stratégie opératoire civile et militaire, d’une stratégie européenne des moyens et des capacités. En d’autres mots, de modèles précisant les moyens par lesquels l’Union entend atteindre les objectifs inscrits dans sa Stratégie. Et nous subodorons l’importance d’engager un jour le débat sur les priorités de sécurité et sur l’exacte influence de l’UE à l’échelle mondiale dans le champ sécuritaire. Toute la difficulté a été de rédiger un document annexe, alors que le Traité de Lisbonne, riche d’éléments renforçant la PESC et la PESD, était encore « bloqué » et sachant par ailleurs qu’une question reste posée : comment interpréter juridiquement et politiquement l’absence des termes « Stratégie européenne de sécurité » dans le texte du Traité de l’UE, même si ce dernier autorise le Conseil européen à

11 Ce que le chercheur Giovanni Grevi réunit avec son concept d’« interpolarité ».

12 Daniel VERNET, « Les Européens proposent un partenariat d’égal à égal au prochain président des

Etats-Unis », Le Monde, 4 nov. 2008.

13 Cf. La Stratégie commune UE-Afrique, adoptée à Lisbonne le 9 décembre 2007.

14 Projet de programme de dix-huit mois du Conseil, Note des futures présidences française, tchèque et

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« procéder à une évaluation régulière des menaces auxquelles l'Union est confrontée » (art. 222§4).

LA REINTRODUCTION DU CONCEPT DE « LIVRE BLANC »

Transversalement à la Stratégie européenne de sécurité, nous pourrions nous attendre à trouver un « dictionnaire », un mode d’emploi réunissant lecture stratégique, concept de sécurité, définition de l’outillage collectif et planifications budgétaires communes. Il y a bien des objectifs de capacités, des missions dites de Petersberg, des unités mises à la disposition de l’UE sur appel (Objectif civil, Groupements tactiques), des déclarations politiques solennelles, des programmes autour de l’Agence européenne de défense. Cela étant, il n’y a pas encore de modèle de défense partagé. Si le premier espace a vu le jour par une actualisation de la Stratégie européenne de sécurité, le second champ d’investigation est plus délicat. En effet, derrière lui se dissimule la notion de « Livre blanc » européen de la sécurité et de la défense que François Géré définit comme étant un document officiel, de périodicité variable, dressant un bilan de la situation géostratégique, faisant état des ressources disponibles et en développement et indiquant les missions des forces armées, s’accompagnant parfois d’indications sur les axes de développement pour l’avenir, intégrant parfois les buts stratégiques, précisant la conception du rôle des forces armées et jouant même parfois le rôle d’un manifeste déclaratoire de la doctrine stratégique.

En vérité, introduire un Livre blanc européen apporte bien des avantages, à savoir : - garantir une mise en œuvre satisfaisante de la Stratégie européenne de sécurité ; - aider à la réalisation d’éléments spécifiques : doctrine européenne intégrée, définition politique de la dissuasion, stratégie des moyens… ;

- informer l’opinion publique, les assemblées parlementaires et les parlements extérieurs à l’UE, pour leur expliquer les objectifs généraux de la PESD ;

- constituer une source d’inspiration utile pour les Etats membres qui envisagent de poursuivre l’adaptation de leurs forces armées ;

- interagir avec les programmations militaires pluri-annuelles et les programmes R&D et R&T de l’Agence européenne de défense ;

- renforcer les politiques de mutualisations dans le domaine de la défense et des opérations de gestion de crise ;

- aider les industriels à déterminer les lignes de forces en matière d’équipements dans le cadre collectif ;

- accroître la coopération, la cohérence et l’efficience au plan européen par la définition collective de priorités et de visions partagées, la formation des Européens à une culture commune ;

- stimuler le dialogue de coopération avec les Etats partenaires et surtout avec les alliés nord-américains et le Congrès de Washington.

Un futur « Livre blanc » européen de la sécurité et de la défense endossé par les Etats devra pouvoir tenir compte des enseignements du passé et d’une relecture des conditions d’affirmation de cet outil particulier, en rebondissant sur l’essai, le « numéro zéro » édité par l’IESUE en 2004. En effet, outil d’interrogation sur l’adaptation nécessaire des capacités militaires, le document de 136 pages rédigé en anglais – dont 67 pages de scénarios de missions et de recommandations – fut, à l’époque, bien reçu par les ministères de la Défense européens. Il pourrait servir partiellement de modèle et de stimulant afin que les Etats

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membres se donnent les moyens d’un « Livre blanc européen » dont le caractère, officiel et légitime cette fois, pourra néanmoins aboutir à certaines retenues.

Quel qu’en soit le prix, l’exercice est souhaitable et même pressant, afin de donner une assise opératoire, doctrinale et militaro-technologique à la Stratégie européenne de sécurité de 2003 et à son addendum de 2008. Livre blanc qui devra servir également à engager une refonte des appareils de défense par harmonisation des calendriers et rapprochement des politiques nationales de défense, cela, afin de libérer davantage d’effectifs pour les missions extérieures de gestion de crise autant que pour lancer une réflexion doctrinale sur la homeland security à conjuguer dans un esprit et un tempo « européens ».

Certes, plusieurs écueils sont déjà apparents. La première difficulté tient à la différence existant entre les documents sur la Stratégie européenne de sécurité, suffisamment flous pour contenter tous les pays concernés et garantir une grande flexibilité dans les réponses aux différents défis, et un Livre blanc européen de la sécurité et de la défense qui doit toucher aux politiques de défense nationale, expression première du pouvoir régalien des Etats souverains. Le deuxième écueil repose sur la question du consensus préalable au lancement d’un nouvel exercice « Livre blanc », fragilisé par les enseignements tirés de la méthodologie de contournement engagée par les académiques pour rédiger le premier modèle, mais aussi et surtout par la crise « institutionnelle et juridique » de l’UE. Le troisième obstacle est structurel, car rédiger un « Livre blanc » est plus complexe que de s’en tenir à des secteurs spécifiques comme la coopération technico-militaire (via l’Agence de défense), la coopération académique (via l’Erasmus militaire autour du Collège européen de sécurité et de défense, CESD), la coopération opérationnelle (via les Groupements tactiques), la planification générique (Objectif civil 2010). Non pas que ces différentes composantes recèlent moins de pièges, de rivalités et de limites souverainistes, mais elles forment des ensembles suffisamment cohérents pour se solidifier à la carte, avec leur propre logique et celle du « saucissonnage ». En revanche, un « Livre blanc » suppose l’harmonisation de ces différents chapitres constitutifs, le document étant situé conceptuellement juste en-dessous de la Stratégie européenne de sécurité de l’Union.

A cet égard, la méthode utilisée par Javier Solana, les capitales et l’IESUE pour aider à la rédaction de ladite Stratégie pourrait être réutilisée pour asseoir la légitimité et l’assise d’un futur exercice « Livre blanc » avec ces différents aller-retour et évaluations croisées, les capitales ayant en définitive toujours le dernier mot, intergouvernementalisme oblige. Relevons que l’apport de l’IESUE sur la « Vision à long terme » (à 25 ans) est resté cantonné aux domaines civils ou dual (démographie, économie, énergie, environnement et science&technologie)15, laissant le soin aux Etats et au Comité militaire de l’UE d’aborder les

questions stratégiques et militaires, ce qui peut en partie et en toute hypothèse laisser penser que les autorités ne souhaitent plus réitérer la méthodologie qui a été utilisée pour aboutir au modèle de Livre blanc européen de défense de 2004. Le tempérament « relations internationales » plutôt que « défense » du nouveau directeur de l’IESUE renforcerait subtilement et « involontairement » cette vision.

Une quatrième difficulté tient évidemment à la permanence d’un différentiel de culture militaire et stratégique, qui s’exprime justement à travers les livres blancs nationaux. Sauf à imaginer une addition surréaliste de livres blancs nationaux créant de fait « le » Livre blanc européen, les capitales ne pourront faire l’économie d’une introspection à propos des critères

15 Nicole GNESOTTO / Giovanni GREVI (dir.), The New Global Puzzle. What World for the EU in 2025 ?, IESUE,

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de rapprochement dans le champ sécuritaire européen. C’est pour cette raison que certains auteurs suggèrent d’intégrer dans le « Livre blanc » le récit fondateur de l’UE pour « fixer » les représentations et entretenir la mémoire, avant d’aborder les différents aspects de la sécurité intérieure et extérieure, la hiérarchisation des intérêts, la sécurité des frontières de l’UE, le capacitaire16, la mutualisation, etc.

Si les conditions ne sont pas toutes réunies et que l’environnement politique européen actuel ne prédispose pas à une large marge de manœuvre et à l’optimisme des engagements et des audaces, reste que plusieurs jalons ont déjà été posés pour que la relance du Livre blanc européen de la sécurité et de la défense ne soit pas considérée comme une utopie, un gadget, un texte théorique de plus dont les Européens, paraît-il, sont si friands. En effet, l’Union européenne dispose maintenant des outils pour « forcer » la manœuvre : Stratégie européenne de sécurité certes simplement adaptée ; Agence européenne de défense, certes à consolider ; Groupements tactiques, certes à utiliser ; Initial Long-Term Vision for European defence capability and Capacity needs, déjà précisé via le plan européen de développement des capacités sur le long terme.

Comment, de fait, associer la « nouvelle » Stratégie européenne de sécurité d’un côté et les politiques nationales de forces sur appel des Etats européens de l’autre, si ce n’est par une réflexion sur un Livre blanc européen, cela comprenant la question lancinante du doctrinal, sujet ô combien délicat − en témoignent les difficultés autour des opérations euro-atlantiques et du différentiel dans la prise de risques à travers le débat sur les caveats en Afghanistan − et ô combien actuel lorsqu’on examine les différences de doctrines de pays aussi dissemblables que la Suède, la France ou la Pologne.

Tout un défi alors que les eurobaromètres de la Commission européenne continuent à nous rappeler l’exigence de l’opinion publique européenne pour une rationalisation, un approfondissement et une intégration des politiques de défense au profit d’une défense dite commune17. Celle qui doit nécessairement passer par l’identification-harmonisation des

besoins, la résolution du coût de la non-Europe en ces matières (cf. le rapport BICC de juin 2006) et la définition d’une politique de défense commune à travers un référentiel commun : le Livre blanc européen de la sécurité et de la défense.

Le besoin est donc là, même si son calendrier est à clarifier, tout comme son statut. Le passage par un « Livre vert » (consultatif, informatif) pourrait être la voie, prudente et transitoire, à suivre. Les petites phrases commencent d’ailleurs à être lisibles : qu’il s’agisse de déclarations informelles dans les cercles franco-allemands, d’une étude du centre militaire italien d’étude stratégique (CMISS), des rapports pilotés par P. Cardot dans le cadre du

16 Relevons que, lors d’une rencontre informelle à Deauville (France) le 2 octobre 2008, les ministres ont eu

un bref échange sur la révision de la SES. Dans ce cadre, le niveau d’ambition de déploiement de 60 000 hommes pourrait aussi se décliner à l’intérieur de cette enveloppe, afin de permettre d’exécuter : deux opérations de stabilisation et de reconstruction, avec une composante civile adaptée, appuyée par un maximum de 10 000 hommes pour une durée d’au moins deux ans ; deux opérations de réaction rapide, limitées dans le temps, utilisant les Groupements tactiques 1 500 ; une opération d’évacuation d’urgence de ressortissants de l’UE en moins de dix jours (une mission de surveillance/interdiction maritime et/ou aérienne dans une zone où les intérêts sectoriels européens sont mis en cause) ; une opération civilo-militaire d’assistance humanitaire pouvant durer 90 jours ; une dizaine de missions civiles (police/justice) de taille variable, dont une importante de 3 000 hommes pouvant s’inscrire dans la longue durée.

17 Philippe MANIGART / Mathias BONNEU / André DUMOULIN, « Du poids des opinions publiques

européennes », in Club Participation et Progrès, Quelle Politique de sécurité et de défense pour l’Europe ? Les enjeux de la présidence française de l’UE, L’Harmattan, Paris, 2009 ; André DUMOULIN, « A quand un eurobaromètre pour les 10 ans de la PESD ? », Europ Diplomatiee&Défense, n° 97, 31 janv. 2008.

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Conseil général de l’armement français (CGARM, 2006 et 2008)18, des travaux du groupe de

Venusberg (2004), du Livre blanc français de la défense (2008) qui s’est prononcé explicitement en faveur d’un Livre blanc européen de la défense et de la sécurité, des travaux du général Perruche (CR) qui a travaillé sur une méthodologie de rédaction d’un Livre blanc européen19 ou de ce que révèle la déclaration de l’Association des industries aéronautiques et

de défense du 31 octobre 2008, à l’issue de la Conférence à haut niveau sur les capacités européennes de défense (Marseille), qui a soutenu les initiatives de la présidence française de l’Union européenne visant notamment à harmoniser les besoins opérationnels des Etats membres.

Dans le rapport sur « la mise en œuvre de la Stratégie européenne de sécurité et la Politique européenne de sécurité et de défense » du parlementaire socialiste européen Helmut Kuhne20 largement adopté (mai 2008), nous pouvons lire que le Parlement européen

« invite le Haut-Représentant a analyser dans un Livre blanc les progrès accomplis et les lacunes que présente la mise en œuvre de la SES depuis 2003, notamment les enseignements tires des opérations PESD ; le lien entre aspects extérieurs et intérieurs de sécurité (lutte contre le terrorisme) ; la protection des frontières et des infrastructures critiques, en ce compris la protection contre les attaques informatiques ; la sécurité de l’approvisionnement en énergie, défi a relever sur les plans civil, économique, technique et diplomatique ; les différends régionaux non résolus dans le voisinage de l'UE, notamment en Transnistrie, en Abkhazie, en Ossétie du Sud et au Nagorny-Karabakh ; les problèmes humanitaires et de sécurité sur le continent africain, ainsi que les conséquences du changement climatique et des catastrophes naturelles sous l’angle de la protection civile et de la sécurité des personnes ainsi que la prolifération des armes de destruction massive ; l’invite également a évaluer si ces menaces, risques et défis sont directement significatifs pour une compréhension large de la sécurité européenne ou s’ils présentent simplement une dimension sécuritaire ».

Le Parlement invite le Haut- Représentant à formuler dans son Livre blanc des propositions relatives au « renforcement et à l’amélioration de la SES, notamment la définition des intérêts communs européens en matière de sécurité et des critères pour le lancement de missions PESD ; lui demande, par ailleurs, de définir de nouveaux objectifs pour les capacités civiles et militaires (y compris les structures de commandement et de contrôle, et le transport de tous les acteurs européens de la gestion de crise dans le contexte de la PESD et de l'aide en cas de catastrophe) et de réfléchir aux conséquences du Traité de Lisbonne en ce qui concerne la PESD, ainsi que des propositions relatives a un nouveau partenariat UE-OTAN ». Il demande en outre au Haut-Représentant « d’aborder la question des clauses restrictives dans le Livre blanc précité ; estime, même si ce sujet relève de la souveraineté nationale de chaque Etat membre, qu'il convient d'harmoniser lesdites clauses afin de préserver l'intégrité des troupes des différents Etats membres déployées sur le terrain ». Et d’affirmer que « ce Livre blanc devrait constituer la base d’un large débat mené en public principalement parce que la SES définit les valeurs et objectifs fondamentaux de l’Union et illustre ce pourquoi elle est conçue ; souligne que l’évaluation future de la SES doit être menée en privilégiant une responsabilité démocratique accrue et, partant, doit s’effectuer en coopération étroite avec toutes les institutions de l’UE, notamment le Parlement européen et les parlements nationaux ».

18 « Eléments de réflexion sur la sécurité comme moteur de l’intégration politique », Bulletin quotidien Europe,

n° 2 473/2 474, 20 déc. 2007 ; « Du réexamen de la Stratégie européenne de sécurité », Défense, n° 134, juil.-août 2008.

19 Par exemple, que chaque Etat rédige un double document : un document de politique nationale et un

document sur la politique européenne.

20 Il y préconise l’élaboration d’un Livre blanc européen qui devra porter sur les progrès de la SES depuis sa

mise en œuvre en 2003, sur la relation entre sécurité intérieure et sécurité extérieure, sur la protection des frontières, sur la sécurité de l’approvisionnement énergétique, sur les conséquences du changement climatique et des catastrophes naturelles pour la protection des populations, sur le concept de sécurité humaine. Ce rapport fut particulièrement soutenu par le président de la sous-commission sécurité-défense du Parlement européen, le CDU Karl Von Wogau.

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En outre, le rapport de Daniel Ducarme (Assemblée de l’UEO) sur « la révision de la Stratégie européenne de sécurité » propose de donner un caractère doctrinal au Traité de Lisbonne pour la PESD en proposant de mandater « le Haut-Représentant / Vice-président de la Commission de l’Union européenne pour l’élaboration, d’ici le 15 juin 2009, d’un Livre blanc intitulé ‘Politique européenne extérieure, de sécurité et de défense : voies et moyens 2009-2019’, présentant l’ensemble argumenté des propositions d’actions communautaires en tenant compte de la stratégie budgétaire de l’Union »21.

De même, dans un rapport du groupe de travail parlementaire du SPD allemand22 qui

préconise l’élaboration d’un Livre blanc européen qui traiterait de la politique de sécurité et de la défense, plusieurs propositions ont été formulées afin de préparer ledit ouvrage en soumettant à la discussion, auprès des partenaires, plusieurs éléments :

« - Les différences qui existent au plan national quant aux processus de décision et de délégation de pouvoir exigent que l’on recherche un dénominateur commun.

- La création d’une organisation militaire commune, voire d’un droit militaire commun, est nécessaire. - Nous devons élaborer un modèle unique d’éducation civique et morale.

- Il faut arrêter les compétences décisionnelles en matière de jus belli et pacis et préciser les pouvoirs de la Commission (exécutif), du Parlement (législatif) et du Conseil européen.

- Il faut discuter du transfert de souveraineté des Etats membres de l’UE et du transfert des compétences vers un niveau européen investi de la légitimité démocratique. Les forces armées constituent une expression forte de la souveraineté nationale. L’UE n’est pas un Etat, mais une entité tout à fait nouvelle − en l’état actuel, une sorte de confédération dotée d’un statut propre sur le plan du droit international. A quoi ressemblera l’UE, à quoi doit-elle ressembler pour permettre la constitution de forces armées communes ? De même, il faut régler les conditions de cession de souveraineté à l’échelon national. Ainsi, dans le cas de l’Allemagne, les dispositions prévues par la Loi fondamentale en son article 24 suffisent-elles ?

- Il faut régler les questions de financement et fixer une répartition équitable de la charge financière entre l’UE et les Etats membres, d’une part, et entre ces derniers, d’autre part.

- A l’instar de ce qui a cours avec les ministres de la Défense nationale, un commissaire en charge de la défense pourrait prendre la direction des structures militaires au niveau européen.

- Enfin, il faut discuter du rôle des puissances nucléaires que sont la France et la Grande- Bretagne dans une armée européenne intégrée ».

Nous pouvons penser que la rédaction d’un Livre blanc européen pourrait devenir à terme incontournable s’il s’agit d’édifier, comme l’indique le Traité UE, une politique commune de sécurité et de défense et surtout de répondre au programme de la présidence française de l’UE au second semestre 2008 insistant sur la nécessité d’utiliser les méthodes du partage et de la spécialisation capacitaires, notamment dans les domaines de la formation, de la logistique, de l’espace et du transport aérien. Pour ce faire et du point de vue opératoire, c’est probablement l’Agence européenne de défense qui pourrait lancer la dynamique, en liaison avec les capitales et avec certains apports de l’IESUE. L’Agence est en effet la mieux placée pour travailler ce concept dans la mesure où les politiques de défense sont d’abord l’addition de moyens, de capacités, de programmations et de planifications en équipements et en budgets. Elle est d’autant mieux outillée que sa mission est bien de tenter de surmonter les déficiences, à savoir les divisions et le manque de cohérence entre Etats et au sein de différentes communautés (planificateurs de capacités, experts en R&T, experts en armement, industrie) pour finalement aboutir à une vision globale. En travaillant sur

21 Et d’ajouter que ce « Livre blanc doit intégrer la dimension transversale de cette politique avec l’ensemble des secteurs

concernés comme l’aide au développement, l’agriculture, le commerce international, l’industrie, l’énergie ».

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l’association entre planification militaire, industrie de défense et recherche (harmonisation des besoins, standardisation, rationalisation), elle opère directement sur l’anticipation des besoins capacitaires23.

Puisqu’il s’agit pour elle de « conseiller, d’agir en tant que ‘conscience’ et d’être le ‘catalyseur’ de nouvelles idées et initiatives en coopération » (Nick Witney, directeur de l’AED), elle est bien la mieux indiquée par ses outils pour rédiger ce fameux « Livre blanc » à partir de l’assimilation des calendriers différenciés des Etats – l’Agence se fiant beaucoup à l’expertise des Etats membres −, avec l’aide aussi des capitales quant aux questions plus politiques à assimiler en matière de culture militaire, avec l’aide de l’IESUE qui dispose d’un réseau très étendu d’experts de part le monde. Le fait que l’Agence reste sous contrôle des Etats dans son fonctionnement permet de maintenir les garde-fous nationaux qu’aucune capitale ne veut lever aujourd’hui, mais peut aussi, dans les limites imposées par ces contraintes et précautions, favoriser paradoxalement les avancées à petits pas. Bref, la méthode qui fonde les avancées de l’Union dans les dossiers les plus délicats. Aussi la « récupération » du concept de coopération structurée permanente introduite dans le Traité de Lisbonne pourrait-elle faciliter la rédaction de ce « Livre », comme semble nous le suggérer24 le article

2-b du protocole n° 10.

Si l’on accepte que la « Vision à long terme » récemment présentée est à la fois une aide à la décision nationale, un indicateur de la voie à suivre en matière de BITD et un élément facilitant la convergence des politiques nationales en matière de capacités militaires, on ne peut que soutenir l’idée de l’élaboration d’un Livre blanc européen de la sécurité et de la défense. Cet outil de rapprochement non contraignant des politiques de défense peut être alors considéré comme favorisant le rapprochement des agendas nationaux, des doctrines et des perceptions sécuritaires nationales. Il peut être aussi le référentiel qui doit dicter les choix des moyens et des postures nationales. Il sera, en définitif et si les capitales s’y emploient, la brique constitutive de l’édifice conceptuel européen.

LES INTERROGATIONS AUTOUR DU NOUVEAU CONCEPT STRATEGIQUE DE L’OTAN

Dans le même contexte de remise à plat, l’Alliance réfléchit à une révision de son dernier Concept stratégique25, qui date de 1999, rédigé après l’expérience des Balkans mais

avant les attentats du 11 septembre.

23 Nous percevons aisément l’insistance faite aux éléments capacitaires dans le chef du président de la

sous-commission sécurité-défense du Parlement européen (Karl Von Wogau) tout comme des rapports de l’Assemblée parlementaire de l’UEO (Daniel Ducarme) dont les contenus restent parfois confus à propos de la différenciation nécessaire à faire entre une Stratégie de sécurité et un Livre blanc européen. Cette difficulté tient aussi au modèle britannique qui a pour propension d’inclure les aspects sécuritaires, économiques, sociaux dans ses livres blancs nationaux, alors que ces « objets » ont davantage leur place dans une « Stratégie de sécurité ».

24 « A rapprocher, dans la mesure du possible, leurs outils de défense, notamment en harmonisant l’identification des besoins

militaires, en mettant en commun, le cas échéant, en spécialisant leur moyens et capacités de défense, ainsi qu’en encourageant la coopération dans les domaines de la formation et de la logistique ».

25 Nous ne confondrons pas les concepts stratégiques produits par le Comité militaire et confidentiels avec le

développement de lignes directives à caractère militaire et stratégique (par exemple le MC 14/1) et les Concepts stratégiques en version publique (non classifiés) comme ceux de 1991 et 1999, qui intégrèrent les grandes lignes de stratégie générale des opérations de l’Alliance, les objectifs de politique générale, l’environnement dans lequel elle opère et la vision d’avenir d’une diplomatie otanienne.

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La révision de novembre 1991, celle de l’immédiat après-Guerre froide, entendait harmoniser les objectifs structurels de l’Alliance et la nouvelle réalité géopolitique et géostratégique du Vieux Continent. Le Sommet de Rome de 1991 a remplacé les notions d’ennemi et de menace soviétique par celles de risques et défis. De même ont été intégrées les nouvelles missions de prévention et de gestion des crises pouvant porter atteinte à la sécurité européenne.

Celle d’avril 1999 a assimilé les nouveaux défis de la sécurité : l’instabilité régionale due aux tensions ethniques et religieuses, les violations des droits de l’homme, les litiges territoriaux ou la dissolution d’Etats. Une façon de tenir compte des missions hors zone de l’OTAN en Bosnie-Herzégovine et dans la région balkanique et d’insister sur la sécurité et la stabilité de la zone euro-atlantique.

Celle attendue en 2009-2010 doit tenir compte des méga-attentats et des interventions en gestion de crise dans les guerres dites asymétriques et de 4e génération. Cette révision

importante doit également être l’occasion d’intégrer les nouveaux paramètres relationnels entre l’OTAN et la PESD, entre l’OTAN et la France26, entre l’OTAN et une Russie plus

assurée, entre l’OTAN et les futurs adhérents localisés dans la zone des « conflits gelés ». Il s’agit aussi de l’assimilation prudente des éléments doctrinaux et politiques associés aux nouvelles missions et champs d’action de l’OTAN au-delà même du Vieux Continent (portée géographique) et à la synthèse des débats houleux sur l’OTAN, « organisation globale », « boîtes à outils », « police du monde » et « club des démocraties libérales et des partenaires mondiaux ». Et nous n’omettrons pas de citer la question du partage des tâches, des missions, des zones et des risques entre organisations, entre Etats membres.

Le contenu devrait tenir compte des prudentes réflexions sécuritaires de l’UE mais aussi d’élargir autant que faire se peut les éléments de la gestion des crises27. Il s’agit donc de

rénovation transatlantique, à savoir de tenter de construire un partenariat stratégique renouvelé entre l’Europe et les Etats-Unis au-delà des frictions entre ses membres constatées ces récentes années. Révision qui aurait aussi pour objet de permettre le « donnant-donnant » hexagonal, à savoir, « en même temps », de s’ouvrir pleinement à l’organisation intégrée de l’OTAN, de renforcer sérieusement la PESD par une politique capacitaire pragmatique tout en réformant fonctionnement et structures de l’Alliance jugées encore trop lourdes²².

Dans la mesure où la question ne relève pas de la pertinence de le réaliser mais plutôt du moment pour le formuler28, la question du calendrier devient un élément de haute

politique. Il est très probable que la révision du Concept stratégique, entre autre souhaitée depuis 2006 par Angela Merkel (Wehrkunde) et le Secrétaire général de l’OTAN, ne soit pas finalisée lors du 60e anniversaire de l’Alliance fêté en avril 2009 dans les villes frontalières de

Strasbourg-Kehl et à Baden-Baden. Il pourrait être plutôt question de lancer officiellement le processus à cette date-là. En effet, la nouvelle administration américaine autour du président Barack Obama mise en place au début de cette année, tout comme l’organisation délicate d’une présence plus importante d’officiers français dans les organes intégrés de l’OTAN

26 Cf. André DUMOULIN (dir.), France-OTAN : vers un rapprochement doctrinal ? Au-delà du 40e anniversaire de la crise

franco-atlantique, Bruylant, Bruxelles, 2006.

27 « Les aménagements de son concept stratégique sont certes utiles, mais ils semblent surtout viser à englober dans les compétences

de l’Alliance le maximum de type de situations pouvant légitimer son action » (Dominique DAVID, « France-OTAN : la dernière marche », Politique étrangère, n° 2, 2008, p. 433).

28 Rafaël L. BARDAJI, « Towards a new strategic concept for NATO ? », Analysis, n° 218, 9 oct. 2007,

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nécessiteront davantage d’expérience et de temps29, la prudence et une certaine méfiance

restant de mise au moment même où la politique déclaratoire russe et la crise autour de la Géorgie ont particulièrement complexifié le paysage et rendu malaisé les attitudes et les discours.

Cette posture prudente au sein du Conseil de l’Atlantique-Nord rappelle celle de novembre 2006, où ont été mises en avant les Directives politiques globales (DPG)30,

politique du plus petit commun dénominateur, plutôt que nouveau Concept, car les capitales s’étaient refusées à réécrire de manière radicale (via le groupe de réflexion de Varsovie) le Concept stratégique de 1999. L’idée d’un « rapport Harmel bis » devait également être effacée par crainte d’une déstructuration/délégitimation de l’OTAN.

Aujourd’hui, le dossier afghan, l’équation franco-otanienne, l’avenir des élargissements, les questions nucléaires31 et antimissiles32, mais surtout les grandes questions sur l’avenir de

l’organisation imposent une révision profonde du Concept stratégique comme le souhaitent d’anciens chefs d’état-major33, à moins qu’il ne s’agisse de créer « une super commission

euro-américaine », sorte d’organisation atlantique globale réunissant UE et Etats-Unis (Jean Dufourcq). Reste que les difficultés à rédiger un texte communément admis sont importantes, d’autant que le plus petit commun dénominateur de ce nouveau Concept stratégique sera fortement dépendant de l’évolution sécuritaire en Afghanistan. Sauf à considérer que nous n’aurons à assimiler au final qu’un « document de compromis, sans substance »34, les capitales n’ayant pas réussi à dépasser les divergences autour de la question

du processus de transformation de l’Alliance.

* * *

29 Karl-Heinz KAMP, « After the Summit : long-term consequences for NATO », Research Paper du NATO

Defense College, n° 37, mai 2008.

30 Les chefs d’Etat et de gouvernement de l’Alliance ont approuvé cet outil de travail en date du 29 novembre

2006.

31 Bruno TERTRAIS, « The coming NATO nuclear debate », ARI n° 117, 2008 ; André DUMOULIN, « Vers un

retrait des armes nucléaires de l’OTAN ? », Revue de défense nationale et de sécurité collective, nov. 2008.

32 Cf. André DUMOULIN, « La question de la défense antimissiles en Europe. Entre dilemmes, confusions et

tensions », Annuaire français de relations internationales, vol. IX, 2008, pp. 537-552.

33 Henk VAN DEN BREEMEN / Peter INGE / Jacques LANXADE / Klaus NAUMANN / John M.

SHALIKASHVILI, « Il faut un nouveau concept stratégique à l’OTAN », La Libre Belgique, 29 fév. 2008 et Le Figaro, 3 mars 2008.

34 Stephanie C. HOFMANN, « OTAN : vers un nouveau concept stratégique, », Politique étrangère, n° 1, 2008,

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La révision de la Stratégie européenne de sécurité et l’adoption d’un nouveau Concept stratégique à l’OTAN suivent des chemins pratiquement parallèles, avec leur propre logique institutionnelle, mais sans que cela puisse aboutir à une dissociation profonde, les Etats membres étant pour l’essentiel les mêmes35 et la perception des risques et menaces similaires36. Le différentiel

apparaît davantage en matière de priorités, de méthodologie, de vision géopolitique et de gestion des crises. Ces champs étaient particulièrement fondamentaux, dès qu’il est question de recourir à la force. C’est ce qui fonde aussi, dans le chef des organisations et alliances, la culture « pré-stratégique » (UE) ou « opératoire » (OTAN).

35 Sur 27 Etats membres de l’UE, 21 le sont aussi de l’OTAN.

36 Ainsi, les études récentes de l’OTAN sur la sécurité à l’horizon 2030 intègrent des éléments belligènes

similaires à ceux de la Vision à long-terme de l’UE.

Nouveau Concept stratégique de l’OTAN

(2009-2010)

Mise en évidence des lacunes capacitaires et prise en compte des

nouvelles menaces asymétriques (guerres de 4e génération) : rédaction

d’un Livre blanc européen ? Addendum à la Stratégie

européenne de sécurité (décembre 2008)

Références

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