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La conciliation entre la lutte pénale contre le terrorisme et le respect des droits fondamentaux

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Academic year: 2021

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La conciliation entre la lutte pénale contre le

terrorisme et le respect des droits fondamentaux

Mémoire

Maîtrise en droit

Romane Nouzières

Université Laval

Québec, Canada

Maître en droit (LL.M.)

et

Université de Toulouse I Capitole

Toulouse, France

Master (M.)

(2)

ii Résumé.

Phénomène ancien, le terrorisme est au cœur des préoccupations contemporaines. Depuis les attentats du 11 septembre 2001, l’ensemble des Etats démocratiques multiplient les efforts pour l’enrayer. Il parait aujourd’hui indispensable de s’interroger sur les réponses juridiques face à de tels actes. Parmi elles, les Etats ont fait le choix de recourir au droit pénal pour appréhender le phénomène. Au nom de la lutte contre le terrorisme, les législateurs ont été contraints de renforcer leurs arsenaux avec la création d’incrimination spécifiques et la mise en œuvre de procédures pénales particulières. Toutefois, les dispositifs antiterroristes limitent considérablement les droits fondamentaux et libertés individuelles. Se pose alors la question de la conciliation de la lutte contre le terrorisme et le respect des droits fondamentaux.

La France et le Canada sont construits sur des valeurs démocratiques communes mais ne répondent pas exactement de la même manière au phénomène terroriste. En ce sens, l’analyse comparée des législations est particulièrement intéressante.

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iii

Table des matières

_______________________________________________________________

Résumé ... ii

Table des matières ... iii

Liste des abréviations ... vi

Remerciements ... viii

Introduction... 1

A) La définition du terrorisme : un préalable complexe mais indispensable . 3 B) L’enjeu de la définition : la mise en œuvre d’une procédure pénale dérogatoire au droit commun et potentiellement attentatoire aux droits fondamentaux ... 4

1. Le choix de régimes procéduraux dérogatoires aux droits communs 5 2. Des régimes procéduraux potentiellement attentatoires aux droits fondamentaux ... 5

I. Le champ de la conciliation : la définition du terrorisme ... 12

A) Définitions nationales du terrorisme : étude comparée franco-canadienne ... 13

1. Définition française ... 13

a. La conception extensive du terrorisme ... 14

a.1. Elément matériel : l’accomplissement d’un comportement spécialement visé ... 14

a.2. Elément moral : l’accomplissement de l’acte dans un certain contexte et selon un certain but ... 15

b. Une limite à l'élargissement de la notion ... 17

2. Définition canadienne ... 23

a. Définition de l'activité terroriste ... 24

b. Définition du groupe terroriste ... 28

c. Les infractions de terrorisme ... 29

3. Comparaison des définitions ... 30

B) Définitions internationales du terrorisme ... 33

1. Des tentatives d’une définition universelle du terrorisme ... 33

a. « L’introuvable définition » ... 34

b. Les obstacles à la définition universelle du terrorisme ... 36

2. A une lutte sectorielle et géographiquement fractionnée ... 39

(4)

iv

b. Une lutte géographiquement fractionnée ... 41

II. La teneur de la conciliation : un aménagement des mesures d’enquête au détriment des droits fondamentaux ... 47

A) Les mesures coercitives : principalement attentatoires à la liberté individuelle ... 48

1. L’arrestation ... 48

a. L'arrestation en droit canadien ... 48

a.1. L’arrestation de droit commun ... 49

a.2. L’arrestation en matière de terrorisme ... 51

b. L'arrestation en droit français ... 53

b.1. L’arrestation dans le cadre d'une enquête ... 53

b.2. L’arrestation dans le cadre d'un contrôle d'identité ... 54

2. La garde à vue ... 58

a. La garde à vue en droit français ... 58

a.1. Les modalités d’exécution de la garde à vue : la durée de la mesure ... 59

a.2. Les droits de la personne placée en garde à vue ... 63

b. Le placement sous garde en droit canadien ... 69

B) Les mesures d’investigations : principalement attentatoires à la vie privée ... 72

1. Les perquisitions et saisies ... 72

a. Les perquisitions et saisies en droit français ... 72

a.1. L’autorisation d’opérer de nuit : les perquisitions nocturnes . 75 a.2. Les perquisitions sans l’assentiment de l’intéressé ... 77

b. Les perquisitions et saisies en droit canadien ... 81

b.1. Conditions : l’exigence d’un mandat ... 82

b.2. L’exécution de la perquisition ... 84

b.3. Le but des perquisitions : la saisie ... 86

2. Les écoutes téléphoniques ... 86

a. Les écoutes téléphoniques en droit canadien ... 86

a.1. Conditions des écoutes téléphoniques : l’exigence d’un mandat ... 87

a.2. Exécution des écoutes téléphoniques ... 91

b. Les écoutes téléphoniques en droit français ... 94

b.1. Les écoutes judiciaires ... 95

b.2. Les écoutes administratives ... 98

3. L’audience d’investigation : une spécificité canadienne ... 101

(5)

v

b. L’audience d’investigation ... 102 Conclusion... 107 Bibliographie ... 111

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vi

Liste des abréviations

_______________________________________________________________

A.C.F. Jugements de la Cour fédérale du

Canada

AIJC Annuaire international de justice

constitutionnelle

AJ Pénal L’Actualité Juridique : pénal

A.N.-B Jugements du Nouveau-Brunswick

Art. Article

Ass. Nat. Assemblée Nationale

B.C.J Jugements de la Colombie-Britannique

et du Yukon

BOMJ Bulletin officiel du ministère de la

Justice

Bull. crim. Bulletin des arrêts de la chambre

criminelle

C. pén Code pénal

C. proc. pén. Code de procédure pénale

CA Cour d’appel

CBR Cour du Banc de la Reine

Crim. Cour de cassation, chambre criminelle

Charte Charte canadienne des droits et

libertés

CNCTR Commission nationale de contrôle des

techniques de renseignement

ConvEDH Convention européenne des droits de

l'homme

CourEDH Cour européenne des droits de

l’homme

CPI Cour pénale internationale

DC Contrôle de constitutionnalité des lois ordinaires, lois organiques, des traités, des règlements des Assemblées

Déc. Décision du Conseil constitutionnel

DUDH Déclaration universelle des droits de

l'Homme

JCP Juris-Classeur périodique

JDA Journal du Droit Administratif

JO Journal officiel

J.Q. Jugements du Québec

L.C. Lois du Canada

L.R.C Lois révisées du Canada

M.J. Jugements du Manitoba

(7)

Terre-Neuve-et-vii

Labrador

O.J. Jugements de l’Ontario

O.R. Recueils des arrêts de l’Ontario

PIDCP Pacte international relatif aux droits

civils et politiques

QPC Question prioritaire de

constitutionnalité

R.C.S. Recueils des arrêts de la Cour

suprême du Canada

RGDIP Revue générale de droit international

public

RISEO Revue risques, études et observations

RRJ Revue de la Recherche Juridique

RSC Revue de science criminelle et de droit

pénal comparé

RUDH Revue universelle des droits de

l'homme

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viii

Je tiens particulièrement à remercier Messieurs les professeurs Antoine Botton et Alexandre Stylios pour le soutien qu’ils m’ont apporté tout au long de mon travail. Je remercie également ma famille et mes proches pour leur soutien.

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1

Introduction

_______________________________________________________________

« La férocité de l’acte terroriste porte atteinte à tous les principes moraux et

juridiques de notre humanité. En cela, il ne mérite pas la paix. »1

Le terrorisme est un phénomène ancien, dont certains historiens2 font

remonter l’existence au premier siècle après JC. L’établissement de l’ensemble des manifestations terroristes à travers l’histoire ne présenterait que très peu d’intérêt : les situations diffèrent mais ont toutes pour point commun d’être illégitimes.

Le terrorisme est au cœur des préoccupations contemporaines. Depuis les attentats du 11 septembre 2001, l’ensemble des Etats démocratiques ont renforcé leur sécurité intérieure tout en multipliant les efforts pour enrayer ce phénomène devenu international et touchant aux valeurs universelles.

Ainsi, il parait aujourd’hui indispensable de s’interroger sur les réactions étatiques face à de tels actes : quelle(s) réponse(s) juridique(s) apporter au terrorisme sans compromettre le caractère libre et démocratique des sociétés occidentales?

***

Instrument entre les mains des Etats afin de lutter contre la criminalité, le droit pénal doit s’adapter aux évolutions de la société et donc aux changements de la criminalité. Pendant longtemps, les Etats se sont contentés d’appréhender les différents actes de terrorisme par le droit commun, sans égard au mobile. Mais face à la multiplication des actions terroristes et leur diversité, l’insuffisance du droit pénal traditionnel a été constatée3. Ainsi, ce n’est que

1 Marie Hélène Gozzi, Le terrorisme : essai d’une étude juridique, Mise au point, Edition Ellipses, Paris, 2003, p. 5.

2 D’après les historiens, au Ier siècle, les Zélotes auraient résisté à la domination de l’Empire romain en ayant recours à des mesures de terreur. Voir en ce sens : Gérard Chaliand, L’arme du terrorisme, Édition Louis Audibert, Paris, 2002, p.21 et Gérard Chaliand et Arnaud Blin, Histoire du terrorisme de l'Antiquité à Al-Qaïda, Bayard, Paris, 2006, p. 65.

3 En France, le choix de soumettre les infractions terroristes au régime de droit commun montra ses limites notamment lors du procès de plusieurs membres du groupe « Action Directe » dont Régis Schleicher, par la Cour d’assises de Paris en 1986. Au cours de ce procès, plusieurs

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2

récemment, dans la dernière partie du 20ème siècle, que les États ont fait le

choix de recourir au droit pénal pour appréhender le terrorisme en tant que tel. En France, la naissance de la législation antiterroriste remonte à la loi du 9 septembre 19864 et fait suite à une succession d’attentats perpétrés sur le

territoire. Cette loi ne définit pas le terrorisme – il s’agit en effet d’une loi de procédure qui a pour but de soumettre des infractions de droit commun, limitativement énumérées et commises dans un certain contexte, à un régime procédural dérogatoire.Plus tard, la loi du 22 juillet 1992 a officiellement donné naissance aux infractions de terrorisme en les transférant dans le Code pénal5.

Elle illustre « [la prise] en compte [de] la réalité contemporaine que constitue le

terrorisme (…) [en] consacr[ant] l’autonomie des infractions terroristes »6.

Depuis, les lois en la matière se succèdent à un rythme effréné, dans un souci d’adaptation à l’évolution de la menace terroriste. Véritable « boulimie législative », ces cinq dernières années, ce n’est pas moins de six lois qui ont été adoptées pour renforcer l’arsenal pénal français7. Parallèlement, depuis les

attentats de novembre 2015, la France vit sous l’égide de l’état d’urgence. Régime d’exception, l’état d’urgence ne cesse pourtant d’être prolongé, permettant la mise en place de mesures administratives pour lutter contre le terrorisme, particulièrement restrictives des droits et libertés. Récemment, le gouvernement français, emmené par Édouard Philippe, a proposé un projet de

membres du jury ont fait l’objet de menaces et de pressions. Cinq jurés ayant été dispensés de siéger, le procès fut renvoyé. Cet événement est à l’origine de la première loi antiterroriste française, du 9 septembre 1986 qui a, notamment, crée une cour d’assises spéciale composée uniquement de magistrats professionnels. Au Canada, une série d’actes criminels pouvant être qualifiés de terrorisme (notamment les actes commis par le Front de libération du Québec et l’attentat du Vol Air India) fut perpétrés dans les années 70. Pourtant, le Canada ne fit le choix de recourir au droit pénal pour appréhender le terrorisme qu’à la suite des événements du 11 septembre 2001.

4 Loi n°86-1020 du 9 septembre 1986 relative à la lutte contre le terrorisme.

5 Loi n°92-686 du 22 juillet 1992 portant réforme des dispositions du code pénal relatives à la répression des crimes et délits contre la nation, l'Etat et la paix publique. Le procédé de construction a ainsi été inversé puisque la première étape n’a pas été de définir des incriminations puis de les soumettre à un régime procédural mais de définir un régime dérogatoire, puis de lui attribuer un contenu

6 M. Sapin, Exposé des motifs, JO déb. Ass. Nat. 1ère séance 7 octobre 1991 n°70 p.4209 7 Loi n°2012-1432 du 21 décembre 2012 relative à la sécurité et à la lutte contre le terrorisme – Loi n°2014-1353 du 13 novembre 2014 renforçant les dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme – Loi n°2015-912 du 24 juillet 2015 relative au renseignement – Loi n°2016-339 du 22 mars 2016 relative à la prévention et à la lutte contre les incivilités, les atteintes à la sécurité publique et les actes terroristes dans les transports collectifs de voyageurs – Loi n°2016-731 du 3 juin 2016 renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement – Loi n°2016-987du 21 juillet 2016 prorogeant l’état d’urgence et renforçant la lutte antiterroriste.

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3

loi antiterroriste "renforçant la lutte contre le terrorisme et la sécurité intérieure" qui vise à normaliser la plupart de ces mesures8.

A l’inverse, la législation antiterroriste canadienne est beaucoup plus récente et quantitativement plus faible. Principalement9, deux lois antiterroristes ont régi la

matière. La première loi a été adoptée le 15 octobre 200110, après les attentats

du 11 septembre 2001 ayant touché les États-Unis. La seconde a été adoptée le 23 février 201511 à la suite d’actes commis sur le territoire canadien. A l’instar

de la France, le gouvernement canadien a déposé le 20 juin 2017 un projet de loi antiterroriste afin de s’adapter aux évolutions de la menace terroriste12.

La lutte contre le terrorisme se traduit aujourd’hui par la création d’incriminations spécifiques (A) et la mise en œuvre de procédures pénales particulières (B).

A) La définition du terrorisme : un préalable complexe mais indispensable

Définir le terrorisme constitue un préalable indispensable puisque c’est la qualification d’un acte en infraction terroriste qui entrainera la mise en œuvre d’une procédure pénale dérogatoire.

Cependant cette tâche est loin d’être évidente comme le fait très justement remarquer Albert Camus : « Qualifier un acte de ’terroriste’ est une

entreprise délicate tant s’y croisent une question de définition d’une part, un enjeu moral et politique, de l’autre »13.

Incriminer le terrorisme s’est révélé complexe au cours de l’histoire, en droit interne comme en droit international : le phénomène est difficile à appréhender car il est mouvant, évolutif et protéiforme. En effet, au fil des années, les

8 Le projet de la loi a été présenté au Conseil des ministres du 22 juin 2017 par Gérard Collomb, ministre de l’intérieur. La procédure accélérée a été engagée par le Gouvernement le 28 juin 2017. Le projet de la loi a été adopté en première lecture, avec modifications, par le Sénat le 18 juillet 2017. Il devrait être présenté à l’Assemblée Nationale en octobre 2017. (Voir : Projet de loi renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme, Sénat, n°115, 18 juillet 2017)

9 Depuis 2001, plusieurs lois ont également été adoptées modifiant des dispositions éparses en matière de terrorisme

10 Loi C-36 du 18 décembre 2001 (L.C. 2001, ch. 41) 11 Loi C-51 du 18 juin 2015 (L.C. 2015, ch. 20)

12 Projet de loi C-59 présenté à la Chambre des Communes du Canada, 20 juin 2017.

13 Albert Camus avec la participation de J. Lévi-Valensi, A. Garapon et D. Salas, Réflexions sur le terrorisme, Edition NP, Paris, 2003, p.188.

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4

auteurs d’actes terroristes changent, les personnes visées diffèrent et les moyens d’action évoluent.

Pourtant « un effort de définition s’impose dès lors qu’il constitue un

phénomène saisi par le droit dont découlent d’importantes conséquences, notamment une répression accrue et une procédure dérogatoire »14.

Définir le terrorisme constitue aujourd’hui un véritable défi pour la société internationale et les législateurs nationaux. Au plan international, malgré les efforts de la Société des Nations puis de l’Organisation des Nations-Unis, il n’existe pas de définition tangible et universelle du terrorisme. En effet, les Etats semblent avoir des difficultés à s’accorder sur une définition unique. Face à cette problématique, la société internationale et les Etats qui la composent cherchent alors, à endiguer le terrorisme par la mise en place d’une lutte sectorielle et géographiquement fractionnée. Au plan national, la plupart des ordres juridiques possède une définition légale du phénomène. C’est le cas de la France et du Canada. Cependant, au rythme des attentats, les différentes politiques criminelles en la matière ont conduit les législateurs nationaux à élargir peu à peu la définition du terrorisme. Or une conception trop large du terrorisme peut s’avérer dangereuse, d’autant plus que la qualification d’un acte en infraction de terrorisme entraine la mise en œuvre de règles dérogatoires au droit commun, particulièrement attentatoires aux droits fondamentaux.

B) L’enjeu de la définition : la mise en œuvre d’une procédure pénale dérogatoire au droit commun et potentiellement attentatoire aux droits fondamentaux

L’enjeu de la définition du terrorisme est procédural. Face à l’insuffisance du droit pénal traditionnel et au caractère exceptionnel de cette criminalité, la lutte contre le terrorisme justifie la mise en œuvre d’une procédure pénale dérogatoire au droit commun, potentiellement attentatoire aux droits fondamentaux et aux libertés individuelles.

14 Fabien Marchadier. ‘Terrorisme’ in Joël Andriantsimbazovina, Hélène Gaudin, Jean-Pierre Marguenaud, Stéphane Rials, Frédéric Sudre (dir.), Dictionnaire des droits de l’homme, Quadrige / PUF, Paris, 2008, pp. 727-729

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1. Le choix de régimes procéduraux dérogatoires aux droits communs

Face au terrorisme, les législateurs nationaux doivent agir pour mettre en place une législation efficace afin de prévenir les actes et le cas échéant, sanctionner leurs auteurs15. Cela passe par un régime procédural spécifique,

dérogatoire au droit pénal traditionnel. Leur action a été reconnue par certains juges constitutionnels qui ont souligné la nécessité de telles législations16.

La législation antiterroriste a ainsi pour vocation assumée d’instaurer des règles dérogatoires au droit commun. D’une part, elle aménage les règles traditionnelles applicables lors de l’enquête en instaurant des techniques spéciales d’investigation. D’autre part, elle modifie les principes classiques de la phase de jugement en introduisant des dérogations aux règles traditionnelles de compétence et en instaurant un régime de sanction plus sévère.

Ce choix est évidemment justifié : les affaires de terrorisme sont éminemment complexes et nécessitent une prise en charge spécifique afin d’assurer au mieux la défense de l’ordre public et de la sécurité collective. En effet, l’instauration de telles règles est justifiée par la nécessité de disposer de moyens juridiques adaptés au phénomène terroriste, organisé et désormais international.

2. Des régimes procéduraux potentiellement attentatoires aux droits fondamentaux

La mise en place de législations adaptées au phénomène correspond à l’instauration de régimes dérogatoires qui portent particulièrement atteinte aux

15 La société internationale impose indirectement aux Etats de lutter contre le terrorisme.

Pour les textes généraux : Art. 3 Déclaration universelle des droits de l'Homme (DUDH), Art. 9.1 Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP), Art 5.1 Convention de sauvegarde des droits de l'homme et libertés fondamentales (ConvEDH). Pour les textes spéciaux : Résolution 1373 (2001), Conseil de sécurité des Nations-Unies, 28 septembre 2001, 4385ème séance, S/RES/1373 (2001) par. 2.e) et Décision-cadre 2002/475/JAI du Conseil du 13 juin 2002 relative à la lutte contre le terrorisme art. premier. Ils doivent prendre des mesures raisonnables et adéquates pour assurer la sécurité des personnes. Voir en ce sens : CourEDH, Cour (plénière) 6 septembre 1978, Klass et autres c. République Fédérale d’Allemagne, req n°5029/71 par. 49

16 Déduit en France de la décision n°85-187 du 25 janvier 1985 Loi relative à l'état d'urgence en Nouvelle-Calédonie où le Conseil Constitutionnel admet la compétence du législateur à adopter des régimes d’exception aménageant les droits fondamentaux dans certaines circonstances.

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6

droits fondamentaux. Ainsi, le choix fait par les Etats tend à un véritable « droit

pénal de l’ennemi » (pour reprendre la doctrine allemande de Günther

Jakobs17). Pour lutter efficacement et réussir à endiguer ce phénomène, il y a

une limitation considérable des droits fondamentaux et des libertés individuelles. Or une telle limitation est peu concevable dans des sociétés démocratiques, étant davantage l’apanage des Etats totalitaires.

Les droits fondamentaux sont généralement désignés comme un ensemble des droits subjectifs primordiaux de l’individu qui doivent être garantis par l’Etat. Cet ensemble constitue un instrument d’autolimitation de l’activité étatique, un rempart contre les ingérences. Ils constituent ainsi une condition indispensable d’un Etat de droit. Néanmoins, la majorité de ces droits ne sont pas absolus et peuvent se voir limiter au nom de l’intérêt général. C’est ainsi dans le domaine si particulier du terrorisme que certains de ces droits sont limités voire supprimés, au nom de la sécurité collective.

Le système antiterroriste américain est le plus alarmant (pratique de la torture, instauration de juridictions d’exception, détentions dans le centre de Guantanamo…). Même s’ils ne vont pas aussi loin, les régimes procéduraux mis en place au Canada et en France pour lutter contre le terrorisme, instaurent également des procédés particulièrement liberticides.

Un individu soupçonné d’avoir commis un acte de terrorisme ne voit-il pas ses droits et libertés atteints de manière disproportionnée par les différentes mesures dérogatoires mises en œuvre au cours du procès pénal ? En effet, bénéficie-t-il réellement d’une défense effective alors même que le législateur français permet le report de l’intervention de l’avocat ? A-t-il effectivement un droit au silence, principe processuel fondamental, malgré les audiences d’investigations qui peuvent être mises en œuvre dans le système canadien ? Est-il véritablement présumé innocent ?

Autant de questions auxquelles il est indispensable de répondre dans un Etat de droit.

17 Günther Jakobs, « Aux limites de l'orientation par le droit : le droit pénal de l'ennemi », RSC, 2009 p.7

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Protection des droits fondamentaux et lutte contre le terrorisme sont donc a priori perçues comme des objectifs contradictoires. Mais le sont-ils réellement ?

Est-ce que la lutte pénale contre le terrorisme est conciliable avec le respect des droits fondamentaux et des libertés individuelles ?

Afin de répondre à cette délicate problématique, trois questions de recherche doivent particulièrement être abordées.

- Quelle est la définition du terrorisme ? La question de la définition du terrorisme se pose avec une importance particulière parce qu’à cette définition est assignée une tâche primordiale : délimiter le champ d’application d’un régime dérogatoire. Bien qu’essentielle, la définition du phénomène se révèle délicate tant au plan national qu’international. Au plan international, les Etats paraissent éprouver des difficultés à s’accorder sur une définition universelle. Au plan national, la plupart des Etats démocratiques possède une définition légale. Cependant, afin de prévenir les actes et sanctionner leurs auteurs, les législateurs nationaux semblent avoir tendance à concevoir la notion de manière extensive, posant ainsi la question du respect des principes d’un Etat de droit.

- Est-ce que les procédures françaises et canadiennes applicables aux personnes soupçonnées d’avoir commis des actes terroristes sont attentatoires aux droits fondamentaux ? La deuxième hypothèse consiste à répondre par l’affirmative à cette question. Il ressort du droit canadien et du droit français une même résolution de combattre avec fermeté le terrorisme. Afin de prévenir les actes de terrorisme et de traiter efficacement les affaires, ces droits ont pris quelques distances par rapport au droit commun. A ce titre, les Etats ont fait le choix de procédures pénales dérogatoires qui portent vraisemblablement atteintes aux droits fondamentaux (liberté individuelle, vie privée, droits de la défense, droit au silence pour ne citer qu’eux)

- Est-ce que cette atteinte est nécessaire et proportionnée ? Cette dernière question appellera également une réponse affirmative, toutefois plus nuancée. Les législateurs des deux pays oscillent entre la volonté de respecter les droits fondamentaux des citoyens et la volonté de combattre efficacement le phénomène au moyen d’instruments juridiques dérogatoires. Cependant, les Etats, en proie à la terreur, s’efforcent de maintenir l’équilibre fragile entre

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sécurité et liberté. En effet, afin de concilier ces deux impératifs, les législateurs nationaux conditionnent et encadrent la mise en œuvre des règles dérogatoires, rendant, ainsi apparemment acceptable les atteintes aux droits fondamentaux18.

Les juges constitutionnels vont jouer un rôle essentiel en contrôlant le maintien de cet équilibre à travers le contrôle de la constitutionnalité des législations adoptées et la légalité des actions menées sur leurs fondements19.

Ainsi, il existe un lien incontestable entre le terrorisme et les droits fondamentaux. D’une part, le terrorisme, par son acte, porte atteinte aux droits de l’Homme dans son ensemble. Il aurait ainsi un effet direct « étant en

lui-même une violation pure et simple des droits de l’homme [et] en tout premier lieu du droit à la vie et à l’intégrité physique »20. Comme l’écrit la rapporteuse

spéciale des Nations Unies « en fait, il n’est probablement pas un seul droit de

l’homme qui ne souffre des effets du terrorisme »21. D’autre part, le terrorisme

incite les Etats à instaurer des régimes procéduraux dérogatoires risquant eux-mêmes de porter atteinte aux droits fondamentaux. Le terrorisme aurait également un effet indirect sur les droits de l’Homme car « de par sa violence

destructrice qui engendre l’angoisse et l’anxiété parmi la population (…), le terrorisme incite les Etats à prendre des mesures répressives (…) qui trop

18A titre d’exemple et de manière non exhaustive : D’abord, l’exigence du critère de nécessité encadre la mise en œuvre de certaines techniques d’investigations comme la garde à vue dérogatoire dans le système français. Egalement la mise en œuvre des mesures d’enquêtes est soumise à autorisation par un juge, garant des libertés individuelles en vertu des Constitutions respectives

19 Précision sur les contrôles de constitutionnalité. En France, le contrôle de constitutionnalité des lois est opéré par le Conseil Constitutionnel depuis 1958. Le contrôle ne porte pas sur toutes les lois et la possibilité de le déclencher est étroitement limitée. Il peut être fait a priori sur saisine politique ou a posteriori par le biais d’une question prioritaire de constitutionnalité. Pour un exemple dans la jurisprudence française : Déc. n°2011-223 QPC du 17 février 2012 [Ordre des avocats du barreau de Bastia] où le juge constitutionnel a considéré la disposition limitant le libre choix de l’avocat contraire aux droits de la défense. Au Canada, le contrôle de constitutionnalité est différent puisqu’il peut être opéré par tout tribunal de droit commun. Ainsi, devant une juridiction, tout plaideur peut demander de vérifier la conformité d'une norme ou d’un comportement étatique avec les droits fondamentaux protégés par la Charte canadienne des droits et libertés. Pour un exemple de jurisprudence canadienne en matière de terrorisme : Demande fondée sur l’art. 83.28 du Code Criminel (Re), [2004] 2 R.C.S. 248 où la Cour suprême a considéré que l’audience d’investigation, procédure qui contraint un individu à témoigner, ne porte pas atteinte aux principes de justice fondamentale (notamment la protection contre l’auto-incrimination et le droit de garder le silence).

20 Rapport d’analyse de la Fédération internationale des ligues des droits de l’Homme, L’antiterrorisme à l’épreuve des droits de l’Homme : les clefs de la compatibilité, n°429, Octobre 2005, p. 12

21 Rapports intérimaire de Madame Kalliopi K. Koufa, rapporteuse spéciale, Nations Unies, Commission des droits de l’Homme, Questions diverses : terrorisme et droit de l’Homme, 27 juin 2001, p.30

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souvent s’affranchissent dans une large ou moindre mesure, des droits de l’Homme »22

La conciliation entre la lutte pénale contre le terrorisme et le respect des droits fondamentaux doit se faire à deux niveaux : d’une part, s’agissant de la définition du terrorisme et d’autre part, s’agissant de la procédure pénale applicable aux auteurs de tels actes. La démonstration sera alors organisée en deux parties.

Dans un premier temps, la question de la définition du terrorisme sera abordée (I). L’examen des définitions juridique du terrorisme, nationales (A) et internationales (B), est essentiel. Afin de mettre en œuvre les procédures pénales spécifiques au terrorisme, il est indispensable que l’acte commis soit qualifié de terrorisme en vertu d’une définition respectant les principes d’un Etat de droit. Cependant, face à un phénomène mouvant et polymorphe, les Etats éprouvent des difficultés à délimiter les contours du terrorisme. D’une part, afin de faire face à la menace terroriste, les législateurs nationaux ont tendance à concevoir la notion de manière large jusqu’à embrasser tout comportement qui présente un lien, plus ou moins direct, avec le phénomène. D’autre part, la société internationale s’accorde difficilement sur une définition universelle du terrorisme et tente donc d’enrayer le phénomène par la mise en place de moyens de lutte particuliers.

Dans un second temps, il sera possible d’analyser les points saillants de la procédure pénale applicable en matière de terrorisme (II). Face à cette criminalité, les Etats ont mis en place des procédures pénales dérogatoires au droit commun et ce quelle que soit l’étape du procès : lors de la poursuite du terroriste (prise au sens large, comprenant l’enquête et l’instruction selon le système français) et lors du jugement du terroriste. Cependant, seule la phase de l’enquête sera ici développée23. Lors de cette étape, un ensemble de

mesures d’investigations sont accomplies par l’autorité judiciaire ou sous son

22 Rapport d’analyse de la Fédération internationale des ligues des droits de l’Homme. loc. cit. 23 La phase de jugement ne sera pas abordée dans cette étude. Durant cette étape, un aménagement des règles est prévu mais il est toutefois plus limité en raison du statut de l’accusé. En effet, au stade du jugement, le rapport de force est différent de celui durant l’enquête puisque l’auteur présumé de l’acte terrorisme est placé sous le contrôle des autorités. Partant, les dérogations aux droits et libertés fondamentaux sont donc moins présentes car plus difficiles à justifier.

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contrôle, par les services de police, afin de réunir les éléments d’informations nécessaires à la manifestation de la vérité. En matière de terrorisme, dans un but d’efficacité, les législateurs nationaux ont aménagé les règles de droit commun afin de permettre aux autorités policières et judiciaires chargées des enquêtes de bénéficier de moyens plus importants. C’est durant cette phase préparatoire que l’ajustement entre le souci d’efficacité et le respect des droits fondamentaux est le plus délicat. En effet, magistrats et policiers se voient reconnaitre d’une part, des pouvoirs coercitifs notamment attentatoires à la liberté individuelle (A) et d’autre part, des pouvoirs d’investigations plus particulièrement attentatoires au droit à la vie privée (B). Tout au long de cette partie, les procédures pénales française et canadienne seront étudiées, comparées et confrontées aux droits fondamentaux qui sont susceptibles d’être bafoués. Pour chaque dérogation, les législateurs nationaux tentent de minimiser les atteintes en ayant recours à différents procédés et les juges constitutionnels, remparts contre la dérive sécuritaire, contrôlent le fragile équilibre entre sécurité et liberté.

***

Plus que jamais, la légitimité des incriminations terroristes mais surtout de la procédure pénale applicable en la matière est remise en cause. Bien que la nécessité de règles spéciales pour lutter contre le terrorisme soit unanimement admise, des voix s’élèvent pour dénoncer la dérive sécuritaire et le caractère liberticide des législations en la matière.

Est-ce que les législations françaises et canadiennes de lutte contre le terrorisme réalisent un juste équilibre entre les impératifs de sécurité de la société et le respect des droits fondamentaux ?

L’étude comparative du système canadien et du système français est intéressante principalement pour deux raisons.

D’une part, ces pays renvoient à des systèmes procéduraux a priori antagonistes. En effet, la France et le Canada sont marqués par des traditions juridiques différentes : respectivement, la tradition romano-germanique et la common law. Ces traditions ont eu des conséquences sur le système procédural de chacun des pays. Le système canadien est accusatoire alors que

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le système français est principalement inquisitoire, du moins dans la phase préparatoire.

D’autre part, ces pays ont une histoire totalement différente vis-à-vis du terrorisme. En effet, la France a été plusieurs fois touchées par le phénomène et ce depuis de nombreuses années. C’est à l’épreuve de ces événements dramatiques que la procédure française en la matière s’est peu à peu élaborée, parfois dans l’urgence. A l’inverse le Canada a été quantativement moins touché et donc la législation s’est constituée plutôt de manière préventive par rapport au phénomène.

L’étude comparée des lois antiterroristes françaises et canadienne souligne la difficile conciliation entre deux impératifs : la protection des libertés individuelles fondamentales d’une part, et la défense de l’ordre public et de la sécurité collective, d’autre part.

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I. LE CHAMP DE LA CONCILIATION : LA

DEFINITION DU TERRORISME

_______________________________________________________________

Certains auteurs ont pu soutenir qu’il n’était pas essentiel de donner une définition du terrorisme pour le réprimer24 . Cependant, une telle affirmation est

dangereuse notamment dans des Etats démocratiques tels que la France et le Canada. En vertu des principes d’un Etat de droit et notamment du principe de légalité, il est indispensable de définir le terrorisme.

A partir de quel moment est-il possible de considérer qu’un acte relève du terrorisme ?

De grands philosophes tels que Raymond Aron25, des professionnels

engagés dans la lutte aux législateurs nationaux, de la Société des Nations à l’Organisation des Nations Unies, beaucoup cherchent à le définir. Mais cette tâche est loin d’être évidente. Le terrorisme est juridiquement difficile à appréhender car c’est un phénomène mouvant et polymorphe. En plus, « au

lieu de renvoyer à l’acte criminel, le terrorisme évoque, de façon plus subjective, le but recherché, terroriser »26. La conceptualisation du terrorisme

est un exercice complexe mais néanmoins nécessaire car il en a va de l’application d’une procédure pénale particulièrement rigoureuse.

Si le terrorisme est défini par les législateurs nationaux (A), il n’existe cependant pas de définition universelle du phénomène (B).

24 Voir en ce sens : Bilan des recherches de l’Académie de droit international de la Haye sur les aspects juridiques du terrorisme international, Martinus Nijhoff Publishers, 1988, p. 20

25 Raymond Aron, Paix et guerre entre les nations, Calman-Levy, 1962

26 Mireille Delmas-Marty (dir.) et Henry Laurens (dir.), Terrorismes – Histoire et droit, CNRS Editions, 2010

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A) Définitions nationales du terrorisme : étude comparée franco-canadienne _____________________________________________________________

Issu du mot « terreur » (du latin « terror »), le mot terrorisme est apparu dans la langue française depuis 1794 pour qualifier le régime révolutionnaire de Maximilien Robespierre27. Mais son sens a progressivement été étendu.

Au rythme des attentats, les différentes politiques criminelles en la matière ont conduit les législateurs nationaux à élargir peu à peu la définition du terrorisme. En effet, face à une volonté de prévenir les actes et sanctionner leurs auteurs, le législateur a tendance à concevoir la notion de manière extensive. Ainsi, une définition, bien souvent très large, est retenue afin d’englober tout comportement susceptible de présenter un lien, plus ou moins direct, avec le phénomène. La France (1) et le Canada (2) ne font pas figure d’exception.

1. Définition française

Dans un premier temps, le législateur français a tenté de sanctionner le terrorisme par le biais d’une incrimination unique, qui serait à la fois une définition juridique du phénomène et une base légale pour les poursuites. C’est ainsi, qu’à la suite d’une série d’attentats, Jacques Chirac, alors premier ministre, avait annoncé dans son discours de politique générale le 9 avril 1986 « la création dans le code pénal d’un crime de terrorisme »28.

Mais toutes les tentatives de définition se sont heurtées aux difficultés traditionnelles en la matière : le caractère mouvant et polymorphe du terrorisme. « Définir, c’est limiter »29 : le législateur français n’a donc pas adopté

de définition générale du terrorisme et a fait le choix d’une méthode dite inductive30.

27 Dès son origine, le terme est ainsi lié à un contexte politique. Pourtant la France n’a pas cessé d’objectiviser le terrorisme en occultant la nature politique de la criminalité terroriste. Alain Rey. ‘Terreur’, Dictionnaire historique de la langue française, Le Robert, 1998

28 Déclaration de politique générale de M. Jacques Chirac, Premier ministre, sur le programme du gouvernement, à l’Assemblée nationale le 9 avril 1986 via discours.vie-publique.fr

29 Oscar Wilde « Le portrait de Dorian Gray » Chapitre XVII

30 Cette méthode tend à incriminer certains comportements sans pour autant proposer une définition unique du terrorisme. Voir en ce sens : Ludovic Hennebel et Damien Vandermeersch (dir.), Juger le terrorisme dans l'État de droit, Bruxelles, Bruylant, 2009. p 31

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Dans un souci de prévenir les manifestations et d’élargir la répression pénale, le législateur français a une conception particulièrement extensive du phénomène (a). En effet, « il ne s’agit pas tant de définir le terrorisme pour ce

qu’il est, mais de dessiner les contours d’une répression dérogatoire »31.

Toutefois, le Conseil Constitutionnel cantonne l’élargissement de la notion à travers plusieurs principes constitutionnels (b).

a. La conception extensive de terrorisme

Le Code pénal comporte un chapitre intitulé « Des actes de terrorisme » sans cesse enrichi de nouvelles dispositions afin de renforcer les moyens de lutte contre le terrorisme. Pourtant, il ne prévoit pas une infraction générale de terrorisme. En effet, il reprend d’une part, une liste d’infractions existantes et d’autre part, crée des nouvelles infractions qui relèvent du terrorisme lorsqu’elles sont assorties d’une même circonstance : elles sont « intentionnellement en relation avec une entreprise individuelle ou collective

ayant pour but de troubler gravement l’ordre public par l’intimidation ou la terreur »32

En d’autres termes, selon le droit français, l’acte de terrorisme suppose un élément matériel – objectif (un comportement spécialement visée) et un élément moral – mixte (commis dans un certain contexte et selon un certain but).

a.1. Elément matériel : l’accomplissement d’un comportement spécialement visé

S’agissant de l’élément matériel, le législateur a entrepris de définir le terrorisme par référence à une pluralité de comportements. Ces incriminations se caractérisent par des actes matériels divers et présentent des degrés de gravité différents.

Au sein de ces différentes incriminations, il est possible d’opérer une distinction entre les « actes terroristes » et les « activités terroristes »

31 Julie Alix, « La qualification terroriste après l’arrêt du 10 janvier 2017 (affaire dite ‘’de Tarnac’’) » AJ pénal 2017.79

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- Les actes terroristes sont par nature violents et attentatoires à l’ordre public, en ce sens qu’ils permettent la réalisation de l’attentat. Rentrent dans cette catégorie33 : le terrorisme dit ‘classique’ et le terrorisme écologique.

- Les « activités terroristes » sont des délits obstacles34 visant à

sanctionner le soutien, financier ou humain, au terrorisme. Le but est de prévenir les actions terroristes en intervenant le plus en amont possible sur l’iter

criminis. Pour reprendre les termes de Christine Lazerges et Hervé

Henrion-Stoffel, « le législateur contourne ostensiblement l’interdiction de punir en

amont d’un commencement d’exécution en érigeant en infraction ce qui en réalité constitue une simple étape intellectuelle ou matérielle préalable au commencement de l’infraction et devrait donc échapper à toute répression »35.

Rentrent dans cette catégorie36 : le terrorisme par association de malfaiteurs ; le

financement du terrorisme ; la non-justification de ressources ; le recrutement terroriste ; la provocation et l’apologie du terrorisme ; le fait d’extraire, reproduire et transmettre des données faisant l’apologie ou provoquant au terrorisme ; le fait de consulter un site provoquant au terrorisme ou en faisant l’apologie et la préparation isolée d’un acte terroriste.

a.2. Elément moral : l’accomplissement de l’acte dans un certain contexte et selon un certain but.

S’agissant de l’élément moral, la qualification terroriste de ces comportements est subordonnée à leur commission dans un certain contexte et selon un certain but. Il s’agit là du dénominateur commun à toutes les

33 Art. 421-1 C. pén. (terrorisme classique) et Art 421-2 C. pén. (terrorisme écologique)

34 Le délit obstacle ne vise pas à sanctionner le résultat dommageable mais l’accomplissement d’actes préparatoires. Voir en ce sens : Marie-Elisabeth Cartier « Le terrorisme dans le nouveau code pénal français » RSC 1995. 225 et Jean Pradel « Les infractions de terrorisme, un nouvel exemple de l’éclatement du droit pénal » D. 1987 Chron 39-42

35 Christine Lazerges et Hervé Henrion-Stoffel « Le déclin du droit pénal : l'émergence d'une politique criminelle de l'ennemi » RSC 2016. 649. Reprise de la pensée de Raphaële Parizot, L’anticipation de la répression, in Olivier Cahn et Karine Parrot (dir.) Actes de la journée d’études radicales : le principe de nécessité en droit pénal, Cergy-Pontoise 12 mars 2012, p.126

36 Art. 421-2-1 C. pén. (terrorisme par association de malfaiteurs), Art. 421-2-2 C. pén. (financement du terrorisme), Art. 421-2-3 C. pén (non-justification de ressources), Art. 421-2-4 C. pén. (recrutement terroriste), Art. 421-2-5 C. pén. (provocation et apologie du terrorisme), Art. 421-2-5-1 C. pén. (le fait d’extraire, reproduire, transmettre des données faisant l’apologie ou provoquant au terrorisme), Art. 421-2-5-2 C. pén. (le fait de consulter un site faisant l’apologie ou provoquant au terrorisme) et Art. 421-2-6 C. pén. (la préparation isolée d’un acte terroriste)

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infractions terroristes. L’accomplissement de l’acte matériel doit être « intentionnellement en relation avec une entreprise individuelle ou collective

ayant pour but de troubler gravement l’ordre public par l’intimidation ou la terreur »37.

Dans une décision du 3 septembre 1986, le Conseil Constitutionnel a considéré que cette formule était « énoncée en des termes d'une précision suffisante pour qu'il n'y ait pas méconnaissance [du principe de légalité des délits et des peines] »38. Toutefois, une partie de la doctrine regrette le « flou des termes

utilisés et [le] vague critère retenu »39, que le Conseil Constitutionnel ait

« considéré la formule comme insuffisamment imprécise pour constituer une méconnaissance du principe de légalité »40.

Le législateur a soumis l’élément moral à deux conditions.

- La première condition est la relation avec une entreprise individuelle ou collective (élément objectif)41. « La notion d'entreprise est exclusive de toute

idée d'improvisation ; elle suppose des préparatifs et un minimum d'organisation »42 Ainsi la relation avec une entreprise, individuelle ou

collective, implique une certaine organisation matérielle.

- La seconde condition est la recherche d’un but c’est-à-dire le trouble à l’ordre public par l’intimidation ou la terreur (élément subjectif). Ainsi l’acte suppose une intention particulière pour être qualifié de terroriste43. Cette

intention ne doit pas être recherchée en la personne de l’agent mais par rapport à l’entreprise avec laquelle il est en relation : c’est l’entreprise qui doit poursuivre ce but.

Dans sa décision du 3 septembre 1986, le Conseil Constitutionnel s’est

prononcé sur la notion de terrorisme en droit français44. Le juge constitutionnel

37 Art 421-1 C. pén

38 Déc. n°86-213 DC du 3 septembre 1986 (consid.6)

39 Bernard Bouloc, « Le terrorisme », in Problèmes actuels de science criminelle, Presses universitaires d'Aix-Marseille 1989, p. 70

40 Reynald Ottenhof, « Le droit pénal français à l'épreuve du terrorisme » RSC 1987, p. 613 41 Crim, 7 mai 1987 n° 87-80.822 Bull. crim. 1987 n°186 p 497 et Crim 17 octobre 1995 n°93-14.836 Bull. crim. 1995 n°368 p.256

42 Circulaire CRIM 86-21F1, 10 octobre 1986, BOMJ, n°24

43 Marie-Elisabeth Cartier « Le terrorisme dans le nouveau code pénal français » RSC 1995. 225

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français a validé implicitement la définition en précisant la nécessité de réunir les deux éléments, matériel et moral, pour caractériser l’infraction de terrorisme45. Il a admis la constitutionnalité de la définition en affirmant que

l’ensemble de ses éléments satisfaisaient au principe de légalité des délits et des peines.

Si une partie de la doctrine considère qu’« en définitive, l’étude de la

qualification pénale des actes de terrorisme met en évidence une inquiétante imprécision, calculée par le législateur et consacrée par le Conseil Constitutionnel »46, il est tout de même possible de nuancer ces propos.

b. Une limite à l’élargissement de la notion

La lutte contre le terrorisme se traduit d’abord par la création d’incriminations spécifiques. Au fil des événements dramatiques, le législateur a considérablement élargi la catégorie des infractions terroristes pour embrasser tout comportement présentant un lien avec le phénomène.

Conscient de cette réalité, le juge constitutionnel a paru, parfois, imposer des limites à l’extension de la notion, au nom de principes constitutionnels47.

En effet, plusieurs principes constitutionnels viennent spécifiquement cantonner et encadrer le processus d’incrimination. Tout d’abord, le principe de légalité criminelle48, contenu dans l’adage latin Nullum crimnel sine lege, nulla poena

sine lege, impose au législateur une définition préalable, claire et suffisamment

précise des infractions ainsi que des peines qui leur sont applicables.

45 Cette définition en deux parties présente l’avantage de pouvoir être modifié facilement au gré des événements comme le souligne Constance Grewe et Renée Koering Joulin « Le procédé est commode puisqu’il suffit, le plus souvent au gré d’une actualité tragique, de compléter cette liste par de nouvelles prévisions » (Constance Grewe et Renée Koring-Joulin, « De la légalité de l'infraction terroriste à la proportionnalité des mesures antiterroristes », in Mélanges G. Cohen-Jonathan. Liberté, justice, tolérance, Bruxelles, Bruylant, 2004 p. 900-906.)

46 Jean-Pierre Marguénaud « La qualification pénale des actes de terrorisme » RSC 1990.1 p.1-28

47 D’après l’article 8 de la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 « La Loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires, et nul ne peut être puni qu'en vertu d'une Loi établie et promulguée antérieurement au délit, et légalement appliquée ». 48 Arts 111-2 et 111-3 C. pén. Voir en ce sens : Bertrand De Lamy « Le principe de la légalité criminelle dans la jurisprudence du Conseil Constitutionnel » Cahiers du Conseil constitutionnel n°26 (Dossier : La Constitution et le droit pénal) Août 2009.

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Egalement, le principe de nécessité de l’incrimination signifie que le comportement incriminé doit être suffisamment significatif pour justifier la répression. Enfin, le principe de proportionnalité oblige le législateur à une pondération dans le choix de la sanction. Refusant de se substituer à l’appréciation du législateur, le juge constitutionnel exerce un contrôle limité et censurera seulement les dispositions législatives manifestement

disproportionnées par rapport aux droits fondamentaux49.

Aux termes de plusieurs décisions, le Conseil Constitutionnel s’est prononcé sur l’utilisation des incriminations terroristes à des fins préventives. Trois d’entre elles paraissent particulièrement intéressantes.

- Dans une décision du 16 juillet 199650, le Conseil Constitutionnel, a pour

la première fois, censuré une incrimination de terrorisme.

La loi du 16 juillet 199651 prévoyait d’ajouter à la liste des actes de terrorisme52 :

l’aide à l’entrée, à la circulation ou au séjour irréguliers d’un étranger53

lorsqu’elle est intentionnellement en relation avec une entreprise individuelle ou collective ayant pour but de troubler gravement l’ordre public par l’intimidation ou la terreur.

En se fondant sur l’article 8 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, le Conseil Constitutionnel « inaugure un contrôle de l’erreur manifeste

d’appréciation en matière de nécessité des délits et des peines »54. Il considère

que « ce comportement n'est pas en relation immédiate avec la commission de l'acte terroriste ; qu'au demeurant lorsque cette relation apparaît, ce comportement peut entrer dans le champ de la répression de la complicité des actes de terrorisme, du recel de criminel et de la participation à une association de malfaiteurs prévue par ailleurs ». Or il prend acte que « la qualification d’acte de terrorisme a pour conséquence non seulement une aggravation des peines

49 Décision n° 80-127 DC du 20 janvier 1981 Sécurité et liberté. 50 Déc. n°96-377 DC du 16 juillet 1996.

51 Loi n° 96-647 du 22 juillet 1996 tendant à renforcer la répression du terrorisme et des atteintes aux personnes dépositaires de l'autorité publique ou chargées d'une mission de service public et comportant des dispositions relatives à la police judiciaire

52 Art 421-1 C. pén.

53 Définie à l’article 21 de l’ordonnance n°45-2658 du 2 novembre 1945 relative aux conditions d'entrée et de séjour des étrangers en France.

54 Julie Alix « La prévention pénale du terrorisme devant le Conseil Constitutionnel - Conseil Constitutionnel 7 avril 2017 » AJ pénal 2017.237

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mais aussi l'application de règles procédurales dérogatoires au droit commun »55. Au regard des dispositions existantes et des conséquences

pénales qui y sont attachées, l’incrimination d’aide à l’entrée, à la circulation ou au séjour irréguliers d’un étranger n’est pas nécessaire. Ainsi, le Conseil Constitutionnel affirme qu’en estimant que ce comportement était susceptible d’entrer dans le champ des actes de terrorisme, le législateur avait entaché son appréciation d’une disproportion manifeste. La disposition a donc été déclarée contraire aux exigences constitutionnelles.

A travers cette décision, il est possible de remarquer que la nécessité d’une incrimination s’apprécie selon deux considérations : au regard des dispositions déjà existantes et au regard de la substance de l’incrimination (les comportements incriminés doivent être suffisamment significatifs pour justifier de telles conséquences procédurales et répressives)56. Cette appréciation

semble être toujours la ligne de conduite du Conseil Constitutionnel.

- Plus récemment, le Conseil Constitutionnel a été saisi du délit de consultation d’un site provoquant à la commission d’actes de terrorisme ou en faisant l’apologie57. Dans une décision du 10 février 201758, il a estimé que

cette disposition portait une atteinte à la liberté de communication qui n’était pas nécessaire, adaptée et proportionnée.

Le Conseil Constitutionnel considère que ce délit a « pour objet de prévenir

l’endoctrinement d’individus susceptibles de commettre ensuite des [actes de

terrorisme] ». Il rappelle toutefois que les autorités disposent déjà de nombreuses prérogatives afin de prévenir le terrorisme. D’une part, « la

législation comprend un ensemble d'infractions pénales (…) et de dispositions procédurales pénales spécifiques ayant pour objet de prévenir la commission d'actes de terrorisme ». D’autre part, « le législateur a également conféré à l'autorité administrative de nombreux pouvoirs afin de prévenir la commission d'actes de terrorisme ». Ce constat lui permet de conclure que cette

incrimination n’est pas nécessaire.

55 Ibid. consid. 8

56 Bertrand De Lamy, « La lutte contre le terrorisme à l’épreuve du contrôle de constitutionnalité : utiles précisions sur la nécessité d’une incrimination » RSC 2017.385

57 Art 421-2-5-2 C. pén. dans sa version en vigueur avant le 12 février 2017 58 Déc. n°2016-611 QPC du 10 février 2017 M. David P.

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Egalement, le Conseil Constitutionnel considère que l’atteinte à la liberté de communication n’est pas adaptée et proportionnée car cette disposition réprime le simple fait de consulter à plusieurs reprises un site, quelle que soit l’intention de son auteur (excepté les motifs de non-application énumérés59) En effet,

l’incrimination n’impose pas que « l’auteur de la consultation (…) ait la volonté

de commettre des actes terroristes » et n’exige pas « la preuve que cette consultation s’accompagne d’une manifestation de l’adhésion à l’idéologie exprimée sur [les sites] »

Le juge a donc considéré qu’en qualifiant ce comportement de terrorisme, le législateur avait porté une atteinte à la liberté de communication qui n’était pas nécessaire, adaptée et proportionnée. La disposition est donc contraire aux exigences constitutionnelles (ici l’article 11 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen)

Malgré la censure, le législateur a rétabli ce délit par une loi du 28 février 201760. Il a repris les termes de la disposition pourtant abrogée mais en y

apportant quelques modifications afin de se conformer aux exigences constitutionnelles.

D’une part, est ajouté un élément supplémentaire « cette consultation [doit] s'accompagne[r] d'une manifestation de l'adhésion à l'idéologie exprimée sur ce service». D’autre part, les exceptions à la mise en œuvre de la disposition sont plus clairement définies : elles ne mentionnent plus la « bonne foi » et sont complétées par : « le fait que cette consultation s'accompagne d'un signalement des contenus de ce service aux autorités publiques compétentes »

Bien que le législateur ait tenté de répondre aux préconisations du Conseil constitutionnel, une partie de la doctrine considère que le rétablissement de ce délit est critiquable car son contenu demeure inconstitutionnel61. En effet, les

modifications apportées permettent peut-être de rendre l’atteinte à la liberté de

59 En effet, l’article 421-2-5-2 du Code pénal, dans la version présentée au Conseil Constitutionnel, prévoyait que « le présent article n'est pas applicable lorsque la consultation est effectuée de bonne foi, résulte de l'exercice normal d'une profession ayant pour objet d'informer le public, intervient dans le cadre de recherches scientifiques ou est réalisée afin de servir de preuve en justice »

60 Art. 24 de la Loi n° 2017-258 du 28 février 2017 relative à la sécurité publique

61 Voir en ce sens : Mathieu Carpentier, « Un ‘’lit de justice’’ contestable : la réintroduction du délit de consultation de sites terroristes » Blog de Jus Politicum, Revue internationale de droit constitutionnel, 13 mars 2017.

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communication adaptée et proportionnée, mais celle-ci ne semble toujours pas nécessaire.

- Enfin, le Conseil Constitutionnel a été saisi du délit d’entreprise individuelle terroriste. Dans une décision du 7 avril 2017, il a admis la légitimité de l’incrimination mais en a réduit le champ d’application62.

Ce délit vise la préparation individuelle de certains actes de terrorisme. En effet, le législateur a souhaité appréhender les ‘’loups solitaires’’ qui s’apprêtent à commettre une infraction de terrorisme mais échappent à la qualification d’association terroriste de malfaiteurs63. Est ainsi incriminé : le fait de préparer

la commission d’une infraction portant atteinte à la personne humaine en ayant une volonté terroriste (être intentionnellement en relation avec une entreprise individuelle ayant pour but de troubler gravement l’ordre public par l’intimidation ou la terreur). Cette préparation doit être caractérisée par la réunion de deux éléments matériels. La personne doit détenir, rechercher, se procurer ou fabriquer des ou substances de nature à créer un danger pour autrui. Elle doit également avoir commis l’un des faits suivants : avoir recueilli des renseignements sur des lieux - personnes pour mener une opération ou s’être entrainé - formé aux maniements des armes ou avoir consulté habituellement des sites internet provoquant au terrorisme - en faisant l’apologie ou avoir séjourné à l’étranger sur un théâtre d’opération terroriste.

Saisi de la constitutionnalité de ce délit, le Conseil Constitutionnel a réduit son champ d’application en censurant un terme et en émettant une réserve d’interprétation sur le fondement du principe de nécessité.

Dans un premier temps, le juge a considéré que cette incrimination ne portait pas atteinte au principe de légalité des délits et des peines. En effet, il considère que l’ensemble des éléments constitutifs de l’infraction sont clairement définis : les infractions dont la commission doit être préparée pour que le délit soit constitué, la notion d’entreprise individuelle ayant pour but de troubler gravement l’ordre public par l’intimidation ou la terreur et les faits matériels susceptibles de caractériser un acte préparatoire. De même, le juge a

62 Déc. n°2017-625 QPC du 7 avril 2017 M. Amadou S.

63 Il est nécessaire de préciser que cette qualification est peu retenue. En effet, les investigations mettent souvent en lumière l’existence d’un groupe ; le terroriste agit rarement seul.

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considéré que la disposition n’était pas contraire au principe de proportionnalité des peines, le législateur n’ayant pas « institué une peine manifestement disproportionnée ».

Dans un second temps, le Conseil constitutionnel a examiné le grief tiré de la méconnaissance du principe de nécessité. Il a d’abord approuvé le choix fait par le législateur de « limiter le champ du délit aux actes préparatoires à la commission d’infraction portant atteinte à la personne humaine et s’inscrivant dans une volonté terroriste » et de ne pas réprimer la seule intention puisque le délit « ne peut être constitué que si plusieurs faits matériels ont été constatés ». Cependant, il considère qu’ « en retenant au titre des faits matériels pouvant constituer un acte préparatoire le fait de ‘’rechercher ... des objets ou des substances de nature à créer un danger pour autrui’’, sans circonscrire les actes pouvant constituer une telle recherche (...), le législateur a permis que soient réprimés des actes ne matérialisant pas, en eux-mêmes, la volonté de préparer une infraction ». Ainsi, le Conseil Constitutionnel admet l’incrimination d’actes préparatoires mais ces actes doivent refléter explicitement la volonté de préparer une infraction. Partant, les termes « de rechercher » sont manifestement contraires au principe de nécessité des délits et des peines et donc aux exigences constitutionnelles (ici l’article 8 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen). Enfin, le juge a émis une réserve d’interprétation s’agissant de la preuve de l’intention de l’auteur des faits de préparer une infraction terroriste. Il affirme que la preuve de cette intention « ne saurait, sans

méconnaitre le principe de nécessité des délits et des peines, résulter des seuls faits matériels retenus comme actes préparatoires (…) ces faits matériels [ne] doivent [que] corroborer cette intention.» Ainsi, le Conseil Constitutionnel prend

le soin de rappeler aux juges que la preuve de l’intention doit se faire par une démonstration distincte de celle des éléments matériels64.

Ces décisions traduisent la nécessaire conciliation entre la lutte contre le terrorisme et le respect de principes constitutionnels. Le Conseil Constitutionnel valide par principe la politique d’incrimination mise en œuvre par le législateur

64 Cependant, comme l’affirme le professeur Yves Mayaud, il est possible de considérer que cette précision est inutile car « inhérente à toutes les infractions terroristes ». Voir en ce sens : Yves Mayaud, « Le terrorisme par entreprise individuelle sous contrôle constitutionnel », D. 2017.1134.

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