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L'immersion dans le jeu vidéo : analyse d’<i>Assassin’s Creed Unity</i> et <i>Rise of the Tomb Raider</i>

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Submitted on 12 Jan 2017

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L’immersion dans le jeu vidéo : analyse d’Assassin’s

Creed Unity et Rise of the Tomb Raider

Marion Fontanié

To cite this version:

Marion Fontanié. L’immersion dans le jeu vidéo : analyse d’Assassin’s Creed Unity et Rise of the Tomb Raider. Littératures. 2016. �dumas-01433035�

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L’immersion dans le jeu vidéo

Analyse d’Assassin’s Creed Unity et Rise of the Tomb Raider

FONTANIÉ

Marion

UFR Sciences de l’Homme et de la Société

UFR Lettres et Arts du Spectacle

Mémoire de master 1 de recherche - 18 crédits – Mention Productions et

médiations des formes culturelles

Spécialité ou Parcours : Médiation, Art et Culture – Parcours Lettres

Sous la direction de Monsieur Yves CITTON

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L’immersion dans le jeu vidéo

Analyse d’Assassin’s Creed Unity et Rise of the Tomb Raider

FONTANIÉ

Marion

UFR Sciences de l’Homme et de la Société

UFR Lettres et Arts du Spectacle

Mémoire de master 1 de recherche - 18 crédits – Mention Productions et

médiations des formes culturelles

Spécialité ou Parcours : Médiation, Art et Culture – Parcours Lettres

Sous la direction de Monsieur Yves CITTON

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Table des matières

Introduction ... 7

Partie I : Déconstruire les stéréotypes sur les jeux vidéo ... 10

1. Les discours sur les jeux vidéo : divertissement ou pathologie ? ... 10

2. Description des jeux étudiés ... 16

2.1. Assassin’s Creed Unity ... 17

2.1.1. Scénario détaillé ... 17

2.1.2. Gameplay ... 20

2.1.3. Interface ... 23

2.2. Rise of the Tomb Raider ... 24

2.2.1. Scénario détaillé ... 24

2.2.2. Gameplay ... 24

2.2.3. Interface ... 26

Partie II : Concepts et outils théoriques d’analyse pour rendre compte de l’expérience d’immersion du joueur ... 28

1. Le design graphique : un critère non négligeable dans les jeux d’action-aventure 28 2. La narration dans le jeu vidéo : le joueur comme « lectacteur » ... 30

3. L’interactivité au cœur des jeux vidéo ... 35

4. La question de l’avatar ... 38

4.1. L’avatar comme moyen d’action dans le monde virtuel ... 39

4.2. L’appropriation de l’avatar par le joueur... 40

Partie III : Analyse des modalités de l’immersion du joueur dans deux séquences de jeu ... 44

1. Assassin’s Creed Unity ... 44

1.1. Résumé de la séquence analysée ... 44

1.2. Design graphique : une immersion dans l’Histoire ... 45

1.3. Gameplay et scénario : écrire l’Histoire ... 47

1.4. A la poursuite du vertige : parkour et « saut de la foi » ... 50

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2. Rise of the Tomb Raider ... 57

2.1. Résumé de la séquence analysée ... 57

2.2. Un scénario prégnant ... 58

2.3. Les cinématiques : l’interactivité en question ... 60

2.4. La relation entre le joueur et le personnage ... 63

Conclusion ... 67

Liste des figures ... 71

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Introduction

Le jeu vidéo est un objet hybride : c’est à la fois une pratique culturelle, un objet artistique et un produit économique qui s’inscrit dans un marché si florissant que l’on parle d’« industrie vidéoludique ». En effet, le nombre de joueurs augmente d’année en année, et le chiffre d’affaires généré a propulsé le jeu vidéo au rang de deuxième industrie culturelle en France, derrière celle du livre. Selon le Syndicat des Editeurs de Logiciels de Loisirs, le chiffre d’affaires de l’industrie du jeu vidéo aurait atteint les 2,87 milliards d’euros en 2015 en France1. La difficulté à définir la nature du jeu vidéo en fait un objet

souvent mal considéré : c’est à la fois un « produit technologique et culturel », comportant « des données techniques et des critères artistiques »2. Souvent considéré avant tout comme un produit de l’industrie du divertissement (avec tout ce que ce terme peut avoir de péjoratif en France), la reconnaissance de sa valeur en tant qu’objet artistique ou comme pratique culturelle digne de ce nom reste difficile, en dépit d’une légitimation progressive par la communauté scientifique (les chercheurs viennent d’horizons très divers : la sociologie, les sciences de l’éducation, la psychologie, les sciences de l’information et de la communication, etc.). Dans son article « Où en sont les game

studies ? », Julien Rueff marque l’apparition des game studies (que l’on peut traduire en

français par « science du jeu ») au tournant du XXe siècle, et leur institutionnalisation au début du XXIe siècle. Des revues spécialisées telles que Game Studies : the International

Journal of Computer Game Research lancée par Espen Aarseth en 2001 voient le jour, et

des conférences sont organisées par des associations ou des collectifs (tels que L’Observatoire des Mondes Numériques en Sciences Humaines ou la Digital Games

Research Association). Quelques universités, comme celle de Montréal, créent également

des départements de recherche sur le jeu vidéo.

Malgré une certaine reconnaissance universitaire et scientifique, la réputation du jeu vidéo reste marquée par des stéréotypes et des idées préconçues : le jeu vidéo est encore trop souvent vu comme une pratique quelque peu méprisable, et réservée à une

1 Syndicat des Editeurs de Logiciels de Loisirs. L’Essentiel du Jeu Vidéo - Marché, consommation, usages.

Février 2016, n°1. <http://www.essentiel-jeu-video.fr/media/pdf/EJV_01_2016_FR.pdf>

2 SALLES, Rudy (député). « Avis présenté au nom de la commission des affaires culturelles et de

l'éducation sur le projet de loi de finances pour 2015 », Tome VII, enregistré le 09-10-2014. Deuxième partie : « Le jeu vidéo : un enjeu culturel et économique », p. 21. Disponible sur Internet : <http://www.assemblee-nationale.fr/14/pdf/budget/plf2015/a2261-tVII.pdf>

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minorité de personnes regroupées sous le terme de « geeks » (alors même que plus de la moitié de la population française joue à des jeux vidéo, selon le SELL1). Si, à l’origine,

le terme « geek » fait référence « aux personnes partageant une culture commune (la culture geek, composée de jeux de rôle, de jeux vidéo et d’œuvres littéraires et cinématographiques principalement de fantasy et de science-fiction) »2 et n’est donc pas péjoratif en soi, il est généralement abusivement assimilé au terme « nolife » qui, lui, est négatif. En effet, le nolife est celui qui, comme son nom l’indique, « n’a pas de vie » au sens où il ne pratique qu’une seule activité (généralement les jeux vidéo), de façon compulsive, au détriment de toute vie sociale. De nombreux programmes et articles véhiculent dans les médias de masse ces stéréotypes et entretiennent la mauvaise réputation du jeu vidéo : ainsi, on lit ou on entend souvent que jouer aux jeux vidéo rendrait non seulement asocial (chaque joueur étant seul devant son ordinateur ou sa console, son casque sur les oreilles, isolé du reste du monde), mais également « addict », dans l’idée que les joueurs souffriraient tous, ou majoritairement, d’une forme de dépendance. Les clichés sont nombreux, on peut également citer le reproche fait aux jeux vidéo d’abêtir, puisqu’il ne s’agirait en effet que d’appuyer compulsivement sur des boutons sans réfléchir, et de transformer les joueurs en de potentiels tueurs en série.

Notre travail cherchera à déconstruire les idées reçues évoquées précédemment en mettant en avant la complexité et la richesse de l’immersion vidéoludique. Pour cela, nous étudierons les spécificités des modalités de l’immersion dans ce média et ses effets sur le joueur. Nous postulons que la particularité et la force de l’expérience d'immersion vidéoludique résident dans l'interactivité propre au jeu vidéo qui génère une forme d’empowerment du joueur : ce dernier possède la capacité et la liberté d'agir au sein d’un univers virtuel programmé. Cette interactivité reste inédite dans d’autres formes culturelles, car le jeu vidéo se caractérise par un type d’image particulier, une image « interactive » au sens où elle réagit aux actions du joueur. Ce dernier n’est donc pas simple spectateur de l'histoire qui se déroule sous ses yeux, mais véritablement acteur.

Nous analyserons les modalités d’immersion du joueur dans deux jeux appartenant au genre de l’« aventure-action » : Assassin’s Creed Unity et Rise of the Tomb

Raider. Nous les avons choisis parce qu’ils sont classés « PEGI 18 » (c’est-à-dire qu’ils

1 Syndicat des Editeurs de Logiciels de Loisirs. L’Essentiel du Jeu Vidéo - Marché, consommation, usages.

Février 2016, n°1. <http://www.essentiel-jeu-video.fr/media/pdf/EJV_01_2016_FR.pdf>

2 « Geek ». Wikipédia [En ligne]. Dernière modification le 11 mai 2016. Page consultée le 15 mai 2016.

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sont déconseillés aux moins de 18 ans) par le système européen de classification des jeux vidéo (Pan European Game Information). La classification PEGI a été mise en place pour guider les parents dans leur choix d’achat de jeux vidéo et ainsi protéger les joueurs mineurs : elle détermine des classes d’âge (qui sont signalées au dos de la boîte du jeu par un pictogramme coloré) en fonction du contenu des jeux. Sur le site Internet PEGI, on trouve le descriptif de chaque classe d’âge :

La classification destinée aux adultes s’applique lorsque le degré de violence atteint un niveau où il rejoint une représentation de violence crue et/ou inclut des éléments de types spécifiques de violence. La violence crue est la plus difficile à définir car, dans de nombreux cas, elle peut être très subjective, mais de manière générale elle peut regrouper les représentations de violence qui donnent au spectateur un sentiment de dégoût.1

Nous avons donc choisi de travailler sur ces jeux parce qu’ils sont considérés comme violents : en effet, dans Assassin’s Creed Unity, le joueur incarne un Assassin et, dans Rise of the Tomb Raider, il est confronté à un environnement peuplé d’animaux hostiles et d’ennemis. Nous voulons toutefois montrer qu’il ne faut pas réduire ces jeux à leur violence apparente, car ils recèlent une complexité et une beauté qui peuvent justifier qu’on y joue indépendamment de leur caractère violent. Cela permettra de déconstruire l’idée selon laquelle un jeu dit « violent » rendrait le joueur lui-même violent, et de faire comprendre en quoi jouer à un jeu vidéo ne se résume pas forcément à la satisfaction d’une pulsion de violence. Nous avons choisi d’étudier deux jeux vidéo afin d’illustrer la diversité des modalités d’immersion, car au-delà d’une structure assez similaire, ils obéissent à des logiques différentes. L’un n’est pas plus immersif que l’autre, ils le sont tout autant, mais chacun à sa manière.

Dans une première partie, nous chercherons à dépasser et déconstruire certains stéréotypes qui pèsent sur le jeu vidéo, notamment le stéréotype de la violence systématique ou de l’addiction. Dans un deuxième temps, nous présenterons et décrirons les concepts et les outils d’analyse utilisés pour étudier les modalités de l’immersion qui est un modèle non pas monolithique mais pluriel. La troisième partie est consacrée à l’analyse concrète de l’expérience d’immersion du joueur dans deux séquences de jeu.

1 « Définition du PEGI. Que signifient les pictogrammes ? ». Pegi.info [en ligne]. Page consultée le 15 mai

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Partie I : Déconstruire les stéréotypes sur les jeux vidéo

1. Les discours sur les jeux vidéo : divertissement ou pathologie ?

En avril 2006, une vidéo fait le tour d’Internet : on voit un jeune garçon désespéré et frustré de ne pas pouvoir jouer à Unreal Tournament, un jeu de tir à la première personne, car son ordinateur dysfonctionne. La réaction de cet adolescent donne des frissons : on le voit simultanément hurler, insulter son ordinateur, détruire son clavier et pleurer de rage. L’histoire de cette vidéo est complexe : elle daterait en fait de bien avant 2006 (cela peut être confirmé par l’aspect un peu ancien du matériel informatique) et aurait été filmée par l’adolescent lui-même. La vidéo est vite devenue virale et a été relayée par de nombreux internautes dans le but de se moquer. C’est ce qu’on appelle un « mème », c’est-à-dire « un élément ou un phénomène repris et décliné en masse sur Internet »1, cela peut être une vidéo, un lien, un message ou encore un hashtag. Cependant,

la vidéo de base est alors sortie de son contexte : le jeune garçon simulait en fait une crise de nerfs pour parodier les « rageux », ces joueurs qui explosent de rage au cours d’une partie. Les internautes qui regardent aujourd’hui la vidéo n’ont pas accès à la publication (« post ») original de l’adolescent (introuvable sur YouTube), ni à la description qui accompagnait la vidéo et qui en précisait très certainement la dimension parodique : ils ne voient que le post de l’internaute qui relaie la vidéo et qui, lui, la décrit comme une véritable crise de nerfs d’un « rageux ». Ces derniers étant souvent moqués et parodiés sur Internet par d’autres joueurs, on ne peut s’empêcher d’éprouver un doute quand on regarde la vidéo : la colère du jeune garçon est-elle vraie ou simulée ? En effectuant des recherches approfondies, on découvre sur le site Cracked par exemple, que le jeune garçon, sous le pseudonyme « Der Echte Gangster », a fait de nombreuses autres vidéos dans lesquelles il joue des personnages « ridicules et excessifs »2. Dans Karten Spielen par exemple, il essaye de jouer aux cartes avec ses peluches mais, celles-ci ne réagissant évidemment pas, il finit par les « tuer » en les pendant au plafond ou en leur assénant des

1 « Mème Internet ». Wikipédia [En ligne]. Dernière modification le 26 avril 2016. Page consultée le 15

février 2016. <https://fr.wikipedia.org/wiki/M%C3%A8me_Internet>

2 WONG, David. « 7 Viral Videos You Didn't Know Were Staged (and How They Did It) ». Cracked [En

ligne]. 05/2008 (page consultée le 20 mars 2016). <http://www.cracked.com/article_15849_7-viral-videos-you-didnt-know-were-staged-and-how-they-did-it_p3.html>

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coups de poing et de stylo1. Ainsi, tout ne serait que mise en scène. Mais quelle qu’ait été

l’intention première de l’auteur, sa vidéo lui a échappé et lui a bâti la réputation (fausse) de n’être qu’un adolescent rendu fou par les jeux vidéo. Cela a certes fait beaucoup rire de nombreux internautes, joueurs comme non-joueurs, mais la vidéo a également, pour certains, conforté la réputation peu reluisante du jeu vidéo.

D’autres vidéos de ce type circulent sur YouTube, où l’on voit des adolescents (ce sont des jeunes la plupart du temps) qui, face à l’échec au cours d’une partie ou du fait d’une interdiction parentale de jouer à leur jeu vidéo favori, entrent dans des accès de colère si terribles qu’ils passent pour de véritables fous furieux. On peut citer l’exemple de « Mom Deleted his World of Warcraft Account », de Lucas Heffner2 qui filme la réaction de son frère après que sa mère a fermé son compte sur World of Warcraft. Des comportements aussi extrêmes existent, certes, mais restent ponctuels et ne caractérisent heureusement pas toute la population des joueurs. Cependant, ils contribuent à alimenter les nombreux stéréotypes qui accablent les jeux vidéo : ces derniers encourageraient la violence, seraient source d’addiction (au sens pathologique du terme), ou affecteraient le cerveau et le corps du joueur, le réduisant ainsi à l’état de zombie appuyant compulsivement sur les touches de son clavier. Les médias entretiennent également cette mauvaise réputation du jeu vidéo en l’alimentant de nombreux clichés, ainsi qu’en témoignent par exemple les propos tenus par Laure Manaudou sur le plateau de France Inter lors d’une émission animée par Nagui : « J’ai toujours été contre les jeux vidéo. C’est s’abrutir devant un ordinateur alors qu’il y a des gens avec qui parler. Pour moi c’est nul. [En parlant de sa fille, ndlr] Je préfère la mettre dehors et qu’elle joue avec les escargots et les papillons, que la mettre devant la télé. »3 Ou encore l’article « Jeux vidéo : permis de tuer. Breivik, Merah et beaucoup d'autres en étaient accros. Un passe-temps qui peut se révéler mortel... »4 de Claire Gallois, publié dans Le Point, qui associe directement les tueries perpétrées par différents individus en 2012 et leur goût pour les

1 KEYBOARDCRASHERTV. Echter Gangster – Karten Spielen ». YouTube [vidéo en ligne]. 11/10/2012

[consultée le 10 mars 2016]. 3:25 minutes. <https://www.youtube.com/watch?v=W1iap6vXpAM>

2 HEFFENER, Lucas. Mom deleted his World Of Warcraft account. YouTube [vidéo en ligne]. 16/10/2009

[consultée le 3 mars 2016]. 2:07 minutes. <https://www.youtube.com/watch?v=WqSFR5LzFi8>

3 LEPRON, Louis. « Elle défend les jeux vidéo face à Nagui et Manaudou de la meilleure des manières ».

Konbini [En ligne]. 2015 (page consultée le 20 février 2016). <http://www.konbini.com/fr/entertainment-2/leila-kaddour-jeux-video-nagui-manaudou/>

4 GALLOIS, Claire. « Jeux vidéo : permis de tuer ». Le Point [En ligne]. 27/11/2012 (page consultée le 22

février 2016). <http://www.lepoint.fr/invites-du-point/claire-gallois/jeux-video-permis-de-tuer-27-11-2012-1534002_1445.php>

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jeux vidéo de tir. Fort heureusement, la plupart des joueurs ne sont pas des tueurs en série !

Certes, les jeux vidéo peuvent être source de violence, l’excitation dans laquelle certains jeux plongent les joueurs met les nerfs à vif et nombreux sont ceux qui se sont déjà énervés face à des échecs successifs. Mais c'est moins le jeu vidéo en lui-même que la frustration face à l'échec qui génère ce comportement. En effet, combien de gens n’ont pas déjà ressenti de la colère ou de la frustration quand ils perdent à un jeu de société ou quand leur équipe est défaite lors d'une compétition de sport ? Il convient également de souligner que le jeu vidéo n’est pas violent en soi : il existe certes des jeux « immoraux », où la guerre, la violence gratuite et la mort sont directement ou indirectement valorisés, mais il existe aussi des jeux tout à fait « innocents » tels que Just Dance ou Les Sims. De plus, peut-on vraiment dire que le jeu vidéo est plus violent que d’autres médias, tels que le cinéma ou la série télévisée ? Dans Le Huffington Post, un article recense des meurtres commis par des individus qui ont affirmé s’être inspirés de films pour commettre leur crime1, et pourtant le cinéma n’est pas – ou n’est plus2 – stigmatisé pour sa violence (bien entendu, la violence ne concerne pas toutes les productions cinématographiques) comme l’est le jeu vidéo.

Le jeu vidéo a de nombreux détracteurs, mais sa reconnaissance comme objet culturel, bien que lente et tardive, est en marche depuis quelques années déjà. Mathieu Sommet, créateur de la réputée chaîne YouTube « Salut les Geeks », a réalisé une vidéo dans le but de critiquer avec humour les stéréotypes et les idées préconçues relayés par les médias sur les jeux vidéo. Il analyse un extrait de la série télévisée Équipe médicale

d'urgence dans laquelle on voit un adolescent se suicider par défenestration après avoir

perdu à un MMORPG (de l’anglais : Massively Multiplayer Online Role-Playing Game)3. Il cherche ainsi à montrer l’absurdité de cette représentation des joueurs : « Sérieusement ? », s’écrie-t-il, « Le mec se suicide parce qu’il a "fail" une quête ? Et on veut nous faire croire que c’est à cause des jeux vidéo qu’il en est arrivé à cette extrémité-là ? (…) ». Sommet ne nie pas l’addiction aux jeux vidéo, il critique le manque de subtilité

1 FERENCZI, Alexis. « VIDÉOS. Ces meurtriers qui se sont inspirés du cinéma pour tuer avant la fusillade

dans le Colorado ». Le Huffington Post. 20/07/2012 (page consultée le 22 février 2016).

<http://www.huffingtonpost.fr/2012/07/20/meurtriers-inspiration-cinema-culture-crime-denver-colorado_n_1688700.html>

2 BERTON, Mireille. Le Corps nerveux des spectateurs. Lausanne : L’âge d’Homme, 2015.

3 SOMMET Mathieu. « RAGE QUIT - SLG N°101 - MATHIEU SOMMET ». YouTube [vidéo en ligne].

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de la série et remet en cause la simplification abusive à laquelle les médias ont recours pour stigmatiser les joueurs, et ce à grand renfort d’erreurs et d’approximations. Pour Sommet, en plus de simplifier les choses, les scénaristes de la série ne maîtrisaient visiblement pas les codes du jeu vidéo : il étudie la vidéo en détail et montre par exemple que « Game Over » est affiché à l’écran, alors même que la barre de vie du personnage est encore pleine et que le principe d’un MMORPG, souligne-t-il, est justement de ne pas avoir de fin. Sommet rejoint ici l’idée développée par Olivier Mauco, docteur en science politique, selon laquelle le jeu vidéo est discrédité parce qu’il « n’est pas compris. Notamment par ceux qui ne jouent pas »1. Le fait qu’ils procureraient une forme d’addiction est une critique récurrente à l’encontre des jeux vidéo, mais ne parle-t-on pas aujourd’hui de binge watching en ce qui concerne les séries télévisées ? Le binge

watching désigne une pratique qui, pour reprendre les termes de Carole Boinet, consiste

à « engloutir des séries de façon boulimique »2. Les addictions aux jeux vidéo existent, certes, et peuvent conduire à des événements dramatiques tels que le suicide, la malnutrition ou l’isolement, mais ces phénomènes pathologiques restent malgré tout minoritaires et ne sont que des symptômes dont les causes sont à chercher ailleurs que dans le jeu vidéo lui-même.

En effet, les dernières statistiques publiées par le Syndicat National des Jeux Vidéo indiquent un total de 31 millions de joueurs en France3. Même si aucune date n’est

mentionnée par le SNJV, on peut penser que ces chiffres concernent l’année 2014 ou 2015 puisque, selon une enquête du Syndicat des Editeurs de Logiciels de Loisirs (SELL), en 2015, 53% de la population française aurait joué de façon régulière à un jeu vidéo4 (par jeux vidéo, les deux enquêtes entendent autant les jeux sur console du type Wii, Xbox ou Playstation, que les jeux sur téléphone portable ou tablette). Etudions maintenant la proportion des joueurs considérés comme « addicts ». Dans un article intitulé « Addictions : mise en garde institutionnelle contre les écrans et les jeux vidéo », Le

Monde rapporte les résultats d’une enquête menée en 2014 par l’Observatoire français

1 BARDOU, Florian. « Entretien avec Olivier Mauco : “Le jeu vidéo n’est pas compris” ». Konbini [En

ligne]. 2014 (page consultée le 10 mars 2016). <http://www.konbini.com/fr/entertainment-2/olivier-mauco-jeux-video-hors-controle/>

2 BOINET, Carole. « "Binge watching" : vous avez dit accro aux séries?! ». Les Inrocks [En ligne]. 2014

(page consultée le 20 décembre 2015). <http://www.lesinrocks.com/2014/02/25/cinema/binge-watching-vous-avez-dit-accro-aux-series-11479251/>

3 Syndicat National des Jeux Vidéo. « Sociologie des jeux vidéo ». SNJV [En ligne]. Sans date (page

consultée le 30 mars 2016). <http://www.snjv.org/sociologie/>

4 Syndicat des Editeurs de Logiciels de Loisirs. L’Essentiel du Jeu Vidéo - Marché, consommation, usages.

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des drogues et des toxicomanies (OFDT) : « l'usage problématique des écrans toucherait entre 1 et 2 % de la population générale et 5 % des adolescents, tandis qu'un élève sur huit ferait un usage excessif de jeux vidéo »1. Il est impossible de trouver des statistiques ou des informations plus précises sur les conséquences de cet usage « excessif » du jeu vidéo (suicide, malnutrition, isolement…), c’est d’ailleurs ce que dénonce Hubert Guillaud dans un entretien avec Yann Leroux intitulé « Il n’y a pas d’addiction aux jeux vidéo » : « (…) dans les dénonciations du phénomène addictif (…), on entend toujours tourner les mêmes chiffres, qui sont tout le temps des estimations et qui demeurent toujours vagues (1 à 3 % des joueurs). Des chiffres qui s'excusent toujours de ne pas s'appuyer sur des études grandeur nature... »2. Ainsi, on comprend le sarcasme de Mathieu Sommet face à l’épisode de la série Equipe médicale d’urgence : même si certains adolescents ont un usage « excessif » et « problématique » des jeux vidéo, réduire systématiquement le joueur au simple nolife « addict » prêt à se suicider parce qu’il perd est un raccourci abusif.

De nombreux chercheurs s’opposent d’ailleurs à cette pathologisation du jeu vidéo : dans un article du Huffington Post, le psychiatre Serge Tisseron proteste contre l’emploi du terme « addiction » qu’il juge abusif, et appelle plutôt à parler de « potentiel de toxicité » des jeux vidéo, du fait de « la possibilité de s'adonner à eux sans aucun recul »3. Mais il souligne également que « le livre aussi peut présenter une certaine

toxicité : citons seulement Les Souffrances du jeune Werther qui a provoqué une épidémie de suicides en Europe après sa publication par Goethe, le célébrissime Mein Kampf dont on sait les ravages qu'il a provoqués dans les consciences et dans les faits ou encore le

Petit Livre rouge de Mao Zedong. » Tisseron insiste aussi sur le fait que la violence n’est

pas due aux jeux vidéo eux-mêmes, mais à des troubles psychiques préexistants. Selon lui, la plupart des études qui lient comportements violents et jeux vidéo « concernent en réalité des enfants portés à la violence indépendamment de leurs pratiques ludiques, et elles ne prouvent donc rien pour tous les autres, qui sont évidemment la majorité ». De plus en plus d’articles vantant les bienfaits du jeu vidéo sont publiés à la suite d’études

1 Sans auteur. « Addictions : mise en garde institutionnelle contre les écrans et les jeux vidéo ». Le Monde

[En ligne]. 24/06/2015. <http://www.lemonde.fr/pixels/article/2015/06/24/addictions-le-cese-met-en-garde-contre-les-ecrans-et-les-jeux-video_4660478_4408996.html>

2 GUILLAUD, Hubert. « Yann Leroux : "Il n’y a pas d’addiction aux jeux vidéo" ». Internetactu.net [En

ligne]. 23/03/2009 (page consultée le 30 mars 2016). <http://www.internetactu.net/2009/03/23/yann-leroux-il-ny-a-pas-daddiction-aux-jeux-video/>

3 TISSERON, Serge. « Pour en finir avec l'addiction aux jeux vidéo ». Le Huffington Post [En ligne].

11/04/2014 (page consultée le 30 mars 2016). <http://www.huffingtonpost.fr/serge-tisseron/jeux-video-addiction_b_5117191.html>

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scientifiques, on peut par exemple citer « N'ayez pas peur des jeux vidéo, décrispez-vous ! »1 (Le Point), « Les effets positifs des jeux vidéo »2 (Le Point), « Les jeux vidéo

sont-ils bons pour le cerveau ? » (Sciences Humaines)3 ou encore « Jeux vidéo : 9 bienfaits étonnants sur le corps et la santé » (Le Huffington Post)4. Ils s’appuient sur des enquêtes scientifiques menées par des chercheurs en neuropsychologie. A partir de tests comparatifs entre des joueurs et des non joueurs, il s’avère que jouer au jeux vidéo améliore les aptitudes cognitives : « Des scans IRM de leurs cerveaux ont montré que le groupe de joueurs avaient vu leurs cellules grises augmenter dans l’hippocampe droit, le cortex préfrontal droit et le cervelet – les zones du cerveau responsables de la navigation spatiale, de la mémoire, de l’organisation et de la motricité des mains », rapporte Drew Guarini dans Le Huffington Post. Les jeux vidéo retarderaient également le déclin mental dû au vieillissement et pourraient être utilisés dans le cadre d’une rééducation post-AVC par exemple. Daphné Bavelier, chercheuse en neurosciences cognitives, met en avant le potentiel des jeux de tirs sur la plasticité cérébrale, c’est-à-dire la capacité du cerveau à recomposer les connexions synaptiques : jouer permettrait par exemple de développer de façon accrue la capacité d’attention (les joueurs ont en effet une facilité à « diviser » leur attention et à effectuer de multiples tâches simultanément). Les tests effectués lors des diverses expériences ont aussi démontré que les joueurs possédaient une meilleure coordination visuomotrice et une acuité visuelle plus développée.

Enfin, un des événements qui marquent un pas dans la reconnaissance du jeu vidéo comme objet culturel est l’exposition qui a eu lieu au Musée d’Art Ludique à Paris intitulée « L’Art dans le jeu vidéo, l’inspiration française ». Le musée est en effet souvent considéré comme une instance de légitimation artistique. Cette exposition, qui s’est déroulée très récemment, du 25 septembre 2015 au 6 mars 2016, cherchait à montrer le processus de création de quelques jeux vidéo français, avec des esquisses, des artworks, des modélisations 3D, ainsi que des interviews de concepteurs. Il s’agissait ici de mettre

1 BATTAGGION, Victor. « N'ayez pas peur des jeux vidéo, décrispez-vous ! ». Le Point [En ligne].

05/12/2012 (page consultée le 22 février 2016). <http://www.lepoint.fr/jeux-video/n-ayez-pas-peur-des-jeux-video-decrispez-vous-05-12-2012-1539618_485.php>

2 DEBROISE, Anne. « Les effets positifs des jeux vidéo ». Le Point [En ligne]. 05/12/2012 (page consultée

le 30 mars 2016). <http://www.lepoint.fr/jeux-video/les-effets-positifs-des-jeux-video-05-12-2012-1539603_485.php>

3 HODENT-VILLAMAN, Celia. « Les jeux vidéo sont-ils bons pour le cerveau ? ». Sciences Humaines

[En ligne]. Mis à jour le 15/11/2012 (page consultée le 22 février 2016). <http://www.scienceshumaines.com/les-jeux-video-sont-ils-bons-pour-le-cerveau_fr_15191.html>

4 GUARINI, Drew. « Jeux vidéo : 9 bienfaits étonnants sur le corps et la santé ». Le Huffington Post [En

ligne]. 13/11/2013 (page consultée le 10 février 2016). <http://www.huffingtonpost.fr/2013/11/12/jeux-video-bienfaits-sante_n_4264120.html>

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en avant la dimension artistique du jeu vidéo, avec la présentation du travail des artistes, et cette démarche est assez novatrice, l’exposition se présente d’ailleurs comme « la première grande exposition au monde consacrée à l’Art dans le Jeu Vidéo »1.

Après avoir établi ce bref survol de quelques discours portés sur le jeu vidéo, nous pouvons dire que notre travail se situe dans la continuité de cette volonté de réhabilitation du jeu vidéo qui reste un objet mal compris, en cherchant à aller au-delà des clichés. Notre travail cherchera plus précisément à rendre compte de la complexité de l’expérience d’immersion dans le jeu vidéo. Nous voulons montrer par là que jouer à certains jeux vidéo n’est pas abrutissant, ne condamne pas à une mort cérébrale et intellectuelle, et que cette pratique a droit à une reconnaissance culturelle au même titre que la littérature, le cinéma ou n’importe quel autre art, car elle peut enrichir le joueur d’une façon comparable à ce qu’apportent ces autres pratiques culturelles. Nous l’avons dit, il ne s’agit pas non plus de défendre aveuglément les jeux vidéo, car il est vrai que certains jeux sont profondément violents et potentiellement abrutissants si on y joue de façon démesurée, mais il s’agit plutôt de montrer que même dans un contexte que l’on pourrait considérer comme violent, l’immersion dans le jeu ne consiste pas en une simple bouffée d’adrénaline et en une satisfaction macabre de tuer impunément. Pour ne pas en rester à des propos généraux et abstraits, ce travail s’efforcera donc de décrire et d’analyser les modalités de l’immersion dans deux jeux vidéo en particulier, qui serviront d’exemples de ce qu’un jeu peut nous faire et de ce qu’on peut faire avec lui.

2. Description des jeux étudiés

Les jeux sur lesquels nous travaillons, Assassin’s Creed Unity et Rise of the Tomb

Raider ne sont pas « innocents », justement pour montrer que même dans un jeu où tuer

fait partie des « obligations » pour poursuivre l’histoire et survivre, où la violence est autorisée mais non gratuite, l’expérience d’immersion est bien plus complexe que l’on peut le croire.

1 « Exposition L'Art dans le Jeu Vidéo, l'inspiration Française ». Art ludique, le Musée [En ligne]. Page

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Le paysage des jeux vidéo est vaste et les classifications sont nombreuses : jeux de rôle (dits RPG, de l’anglais Role Playing Game), jeux de combat, de tir, de plateforme, d’aventure-action, d’action, de stratégie, de simulation ou de réflexion, etc… Ces genres, qui comportent également de multiples sous-genres, sont déterminés en fonction des caractéristiques du gameplay (cela comprend différents paramètres tels que les règles du jeu ou l’interface) mais, de nombreux jeux se situant au croisement de plusieurs genres, la classification est rendue difficile et parfois subjective. Les deux jeux que nous avons choisis sont des jeux dits d’« aventure-action », ils se caractérisent par un scénario équilibré entre des éléments d’aventure et des éléments d’action. Le gameplay d’Assassin’s Creed Unity possède en plus, par rapport à Rise of the Tomb Raider, une dimension d’infiltration (le joueur doit pénétrer dans des bâtiments pour récupérer un objet ou accomplir une mission d’assassinat sans être repéré par les gardes), le jeu est donc classé « jeu d’aventure-action et d’infiltration ».

2.1. Assassin’s Creed Unity

Assassin’s Creed Unity est le huitième jeu de la série Assassin's Creed développée

et éditée par Ubisoft. Il est sorti en Europe le 13 novembre 2014.

2.1.1. Scénario détaillé

Le joueur est plongé en pleine Révolution française et incarne Arno Dorian, un jeune homme qui rejoint la Confrérie des Assassins dans le but de venger le meurtre de son tuteur, Monsieur de la Serre. Mais ceci n’est qu’une partie de l’intrigue assez complexe d’Assassin’s Creed Unity, car le jeu comporte plusieurs « trames » narratives et temporelles. La première concerne le joueur dans le présent du jeu : on joue à un jeu d’Abstergo (présent) qui nous propose d’incarner Arno Dorian en remontant dans le temps (le passé correspond à la deuxième trame) à l’époque de la Révolution française. Pour comprendre comment ces différentes « couches » s’articulent entre elles, il nous faut revenir au tout début du jeu.

Celui-ci s’ouvre sur une cinématique, ce que l’on peut définir comme « un extrait vidéo intervenant à un moment donné dans le jeu vidéo [qui] permet de faire la transition entre deux étapes du jeu ou présenter de manière claire des éléments importants de

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l’histoire du jeu (…). »1 Le joueur est alors plongé dans le Paris moyenâgeux, en 1307,

et assiste au massacre des Templiers par les Assassins. Pour les joueurs ayant déjà joué aux opus précédents, cette cinématique surprend un peu, car elle se place du point de vue des Templiers et montre leur mort comme une tragédie, alors que nous sommes généralement du côté des Assassins et que les Templiers sont nos ennemis. Une autre cinématique s’enchaîne : l’image tremble et le joueur est renvoyé dans le présent car une femme nommée Bishop pirate le système informatique du jeu. On comprend alors que l’on est dans l’Animus, le système d’exploration de mémoire génétique d’Abstergo Industries, une multinationale qui sert de façade à l’Ordre des Templiers. Bishop apparaît à l’écran et s’adresse directement au joueur en le mettant en garde contre les funestes plans d’Abstergo : accéder aux fragments d’ADN de ceux que l’on appelle les « Précurseurs », et ainsi maîtriser le Temps et l’Histoire.

Les scénarios d’Assassin’s Creed sont assez difficiles à comprendre si l’on n’y a jamais joué ou si l’on ne s’est jamais renseigné sur le tout premier opus. En effet, tous les jeux Assassin’s Creed s’inscrivent dans la continuité du premier. Résumons donc brièvement l’histoire qui constitue la trame de fond du jeu : une ancienne civilisation qui existait sur Terre bien avant les Hommes (d’où son nom « La Première Civilisation ») détenait des capacités intellectuelles supérieures et avait atteint un niveau de développement technologique inégalé et si complexe qu’il échappe encore aux humains. Ces derniers auraient d’ailleurs été créés et asservis par la Première Civilisation. Après une guerre, la Première Civilisation fut menacée d’extinction, c’est pourquoi Junon, un membre important de cette civilisation, implanta des fragments de leur ADN dans le génome de certains humains qui acquirent alors des capacités hors du commun. À certains moments de l’Histoire, des membres de la Première Civilisation renaissent partiellement dans le corps d’êtres humains que l’on appelle les « Sages ». Ils peuvent communiquer à travers le temps et possèdent des fragments d’Eden, qui sont en fait des artefacts technologiques créés par les membres de la Première Civilisation, et qui les rendent surpuissants. Abstergo cherche à récupérer ces fragments d’Eden pour détenir le savoir ancestral qu’ils contiennent et les pouvoirs qu’ils confèrent. Cela constitue la grande trame de fond qui lie tous les jeux entre eux.

Revenons-en à l’histoire d’Assassin’s Creed Unity et aux premières séquences du jeu. Bishop explique au joueur qu’Abstergo recherche un fragment d’ADN particulier, en

1 Jean-Michel, « La cinématique dans le jeu vidéo ». JVFC.net [En ligne]. 18/02/2014 (page consultée le

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1789. À ce moment précis du jeu, le joueur travaille pour Abstergo, donc pour les Templiers, puisqu’il participe au projet Phoenix qui consiste à récupérer tous les fragments d’ADN des Précurseurs. Selon Bishop, Abstergo aurait trouvé le corps d’un Sage qui aurait existé à l’époque de la Révolution française. Elle nous met en garde contre les Templiers qui cherchent à accéder à un savoir dangereux pour l’humanité, et nous invite à rejoindre sa cause et à se battre aux côtés des Assassins. Le jeu est scripté à l’avance, le joueur n’a donc pas le choix, il ne peut pas refuser et continuer à servir Abstergo : il doit incarner l’Assassin Arno, retrouver le Sage avant les Templiers, le tuer et cacher son corps pour qu’Abstergo ne puisse jamais mettre la main dessus.

Le jeu en tant que tel commence ensuite véritablement, les cinématiques précédentes qui servent à poser l’intrigue et à donner des clés de compréhension au joueur n’étant pas interactives. Contrairement aux opus précédents, Unity est plus axé sur le désir personnel de revanche du héros, sa volonté de tuer le meurtrier de Monsieur de la Serre, l’homme qui l’a recueilli et élevé après la mort de son père, plutôt que sur le combat entre Assassins et Templiers qui forme la toile de fond. Accusé à tort du meurtre de Monsieur de la Serre, Arno est emprisonné à la Bastille. Il y rencontre un homme nommé Bellec, qui se révèle être un Assassin, et qui lui affirme avoir connu son père, un ancien membre de la Confrérie des Assassins. Bellec lui propose alors de rejoindre leurs rangs et de se battre à leurs côtés. Arno accepte, conscient que le réseau de renseignements de la Confrérie pourrait lui être utile pour accomplir sa vengeance personnelle. De mission en mission et de découverte en découverte, Arno va se rapprocher de l’homme qui se révèlera être à la fois le Sage recherché par Abstergo et le meurtrier de son tuteur. L’épilogue du jeu nous montre Arno qui cache le squelette du Sage dans les catacombes, parmi des milliers d’autres ossements. Ainsi les deux trames narratives trouvent leur résolution : Monsieur de la Serre est vengé, et les Templiers, cachés sous le nom d’Abstergo, ne peuvent désormais plus s’emparer des fragments d’ADN de la Première Civilisation.

Les jeux comme Assassin’s Creed Unity se caractérisent par une tension entre interaction et scénario : le joueur doit jouir d’une certaine liberté et pouvoir faire ses propres choix dans un cadre défini à l’avance et programmé (l’épilogue du jeu est déjà rédigé). Cette dimension paradoxale est un critère déterminant d’un bon gameplay : il doit y avoir un équilibre entre liberté et règles. En effet, un jeu qui laisserait trop de libertés au joueur au point que celui-ci ne verrait pas le but de ses actions sera considéré comme mauvais, tout comme un jeu qui, à l’inverse, n’accorderait aucune marge de liberté lassera vite le joueur. Dans Unity, les concepteurs ont opté pour un système de jeu particulier :

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les objectifs changent en fonction de la réussite ou non du joueur à l’objectif précédent. Pour progresser dans la quête principale, le joueur doit remplir des missions, ce qui permet de passer au bloc narratif suivant. En fonction du taux de réussite du joueur (il peut n’avoir réussi qu’une partie de la mission et ne pas avoir rempli tous les objectifs), les prochaines missions à exécuter pourront varier. Le scénario global reste le même pour tous les joueurs, mais chaque joueur progresse dans l’histoire de façon différente et unique. Dans Le jeu vidéo au croisement du social, de l’art et de la culture, Jérôme Leroux étudie l’articulation entre la narration et la liberté joueur : selon lui, un jeu vidéo est une « succession d’unités narratives au sein desquelles les joueurs sont libres »1. Dans

Unity, on alterne entre des cinématiques et des moments de jeu. Les cinématiques

constituent des jalons narratifs nécessaires à la compréhension de l’histoire, et marquent la progression du joueur vers l’épilogue du jeu. Chaque cinématique donne lieu à un nouveau « bloc narratif » centré autour d’un objectif particulier que le joueur va devoir remplir (cela peut être une mission d’assassinat, un objet à trouver ou une personne à qui parler). La durée de ce bloc est variable : chaque joueur va adopter une stratégie qui lui est propre pour accéder à l’étape suivante, et aucune contrainte de temps ne vient orienter ses choix (sauf dans des cas particuliers comme les courses poursuites). Le joueur peut également décider de laisser de côté la quête principale et de se consacrer à d’autres missions qui vont lui permettre de faire progresser son personnage ou d’explorer l’univers du jeu. Il y a donc un ensemble scénarisé qui constitue le cadre général du jeu, et à l’intérieur duquel chaque joueur est libre d’agir. Nous étudierons plus en détail la notion de gameplay et ses implications en termes d’immersion du joueur dans la suite de notre travail.

2.1.2. Gameplay

Nous l’avons vu précédemment, le principe de jeu de Unity s’inscrit dans la continuité des autres épisodes de la série : le joueur est envoyé dans une époque passée grâce à l'Animus, une machine capable de lire la mémoire génétique de son utilisateur. Pour maintenir la synchronisation avec son ancêtre et ainsi avancer dans la trame générale, le joueur doit réussir les objectifs assignés à l'Assassin, en remplissant une mission d'infiltration ou en exécutant des missions d’assassinat de Templiers ou d’autres

1 LEROUX, Jérôme. « La narration dans le jeu vidéo : espace et interaction ». Les jeux vidéo au croisement

du social, de l’art et de la culture. [CRAIPEAU, Sylvie, GENVO, Sébastien, SIMONNOT, Brigitte (dir.)]. Nancy : Presses universitaires de Nancy, 2010, coll. « Questions de communication », p. 136.

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ennemis. De nombreuses quêtes secondaires sont disponibles, il s’agit de compléter la cartographie des lieux, de trouver des coffres, de récupérer des objets, de chercher des reliques, ou encore de fonder une confrérie d'Assassins.

Tuer n’est pas le but du jeu malgré ce que le titre Assassin’s Creed pourrait laisser croire. En effet, le mot « creed », qui signifie « credo » est le plus important : tuer gratuitement ou tuer des innocents ne fait pas partie du Credo des Assassins qui prône au contraire la discrétion et l’infiltration sans laisser de traces. Sur le site officiel du jeu, les concepteurs précisent d’ailleurs : « Nous voulions éviter que le mode combat soit la "solution facile" comme dans les précédents opus »1. Le Credo des Assassins comporte trois principes formulés en ces termes : « Ta lame ne versera pas le sang d’un innocent », « Montre-toi, mais reste invisible », « Tu ne mettras jamais la Confrérie en danger »2. Le joueur peut effectuer des assassinats réprouvés par la Confrérie, mais une phrase apparaît à l’écran comme un rappel à l’ordre : « Arno ne tuait pas des innocents ». Au bout de trois infractions de ce genre, le joueur est désynchronisé et la partie reprend au dernier point de sauvegarde.

Unity a la particularité d’être en « monde ouvert », c’est-à-dire que le joueur peut

circuler librement dans l’environnement du jeu. Dans le making-of « Un monde ouvert immersif »3, Alex Amancio, le directeur créatif, explique que l’accent a été mis sur la

complexité de la ville de Paris, en créant de multiples bâtiments, des quartiers denses avec de nombreux secrets à découvrir ou des missions à accomplir. Il est également possible d’entrer et de visiter les bâtiments de façon fluide, sans temps de chargement comme dans les précédents jeux où chaque lieu était indépendant des autres. Ici, l’univers du jeu constitue un seul espace dans lequel le joueur peut évoluer et explorer chaque recoin. L’immersion du joueur est ainsi favorisée puisque le monde ouvert donne l’illusion de contrôle et de liberté totale.De plus, un souci de réalisme a conduit les créateurs du jeu à travailler en détail la foule et les figurants. Contre des petits groupes de dix personnes tout au plus dans les premiers jeux, Unity offre un Paris rempli de milliers de personnages

1 « Assassin’s Creed Unity : Présentation du système de combat ». Assassin’s Creed Ubisoft [En ligne].

06/12/2014 (page consultée le 10 février 2016). <http://assassinscreed.ubi.com/fr-fr/news/news_detail.aspx?c=tcm:153-147115-16&ct=tcm:148-76770-32>

2 « Credo ». Assassin’s Creed Wiki Fr [En ligne]. 2008 (page consultée le 15 février 2016).

<http://fr.assassinscreed.wikia.com/wiki/Credo>

3 « Assassin's Creed Unity - Making-of #4 : Un monde ouvert immersif ». Assassin’s Creed Ubisoft [En

ligne]. 10/16/2014 (page consultée le 10 février 2016). <http://assassinscreed.ubi.com/fr-fr/news/news_detail.aspx?c=tcm:153-180799-16&ct=tcm:148-76770-32>

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et des foules autonomes, dotées d’une vie propre et réagissant aux actions du joueurs, pouvant ainsi créer des réactions en chaîne. Cf. Figure 1.

Une autre nouveauté du jeu consiste en un lien plus étroit entre l’avatar et le joueur : le style d’Arno est défini par la façon de jouer. Ainsi, un joueur qui aurait plutôt tendance à être discret et à privilégier l’infiltration développera le style « priorité à la discrétion ». À l’inverse, un joueur qui préfèrera se battre plutôt que d’éviter les gardes développera le style « priorité à la force ». Benjamin Plich, game designer sur Unity explique qu’« il n’y a pas de système de classes que les joueurs doivent choisir. Au lieu de ça, nous avons décidé de laisser les joueurs choisir comment personnaliser leur personnage. Vous pouvez ainsi vous spécialiser dans un domaine particulier, ou répartir vos Sync Points de manière équilibrée entre tous les axes. Le choix vous appartient. »1 Ainsi, le joueur peut commencer par privilégier un style puis décider ensuite de développer des aptitudes d’un autre style pour les combiner. Les points de compétences (ce que Plich appelle les « Sync points ») s’obtiennent en accomplissant des missions principales ou secondaires, et peuvent être redistribués dans des diverses catégories (santé, force, discrétion, etc.). Le style définit une stratégie de jeu : si je donne la priorité à la discrétion, j’ai tout intérêt à choisir des armes et à développer des compétences qui vont me permettre de progresser en ce sens, en privilégiant par exemple des armes longue portée et les attaques furtives, plutôt qu’en développant une aptitude au combat au corps à corps. Le style de jeu se définit tout au long de la partie par le choix des armes et des compétences, et non en effectuant tel ou tel geste au cours du jeu. Je peux en effet développer les compétences de mon personnage pour qu’il excelle en infiltration mais choisir, à un moment du jeu, d’attaquer frontalement un adversaire. Je ne vais pas mourir sur le champ car Arno possède au départ des compétences qui le rendent polyvalent. Pour les concepteurs de Unity, il s’agit de permettre aux joueurs d’accorder les compétences du personnage et leurs habitudes de jeu : certains vont choisir de rester invisible et d’éviter les combats, alors que d’autres préfèrent l’affrontement systématique et aiment tester leur dextérité au combat. Le personnage est, de fait, moins défini à l’avance et plus proche du joueur qui l’incarne. Mais, comme le souligne Plich, il n’y a pas de cloisonnement : mon personnage n’est pas enfermé dans un style de jeu, je peux changer en cours de partie, il

1« Assassin’s Creed Unity : La progression dans le jeu (partie 1) ». Assassin’s Creed Ubisoft [En ligne].

08/12/2014 (page consultée le 20 mars 2016). <http://assassinscreed.ubi.com/fr-FR/news/news_detail.aspx?c=tcm:153-165979-16&ct=tcm:148-76770-32>

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« suffit » de changer d’équipement et d’améliorer les autres aptitudes du personnage. Cf.

Figure 2.

Enfin, un mode coopération est disponible, il s’agit alors d’accomplir des missions qui nécessitent d’élaborer des stratégies de groupe et chaque joueur, parce qu’il a développé son propre style dans le mode solo, va apporter aux autres joueurs ses compétences. Ce n’est qu’en additionnant les aptitudes de chacun que la mission peut être accomplie.

Pour résumer brièvement le fonctionnement et le but du jeu de Unity, on peut dire qu’il s’agit, comme dans la plupart des jeux d’action-aventure, d’accomplir la quête qui motive le héros. Le joueur doit valider les différentes étapes qui permettent de progresser dans cette quête en réalisant les missions qui lui sont confiées. Il n’y a pas de système de points comme dans les jeux d’arcade (Pac-Man par exemple) où le joueur doit atteindre un certain nombre de points pour passer au niveau supérieur, et où le jeu s’arrête quand le joueur n’a plus de vies. De plus, dans Unity, la vitesse n’est pas un critère de réussite, il ne s’agit pas d’un jeu de plateforme (Super Mario Bros.) où il faut réussir les niveaux en évitant de tomber dans les espaces entre les différentes plateformes. Le gameplay instaure un certain niveau de difficulté au départ qui fait que se faire tuer ralentit la progression, certes, mais ce n’est pas le ressort majeur du jeu, et cela ne met pas définitivement fin à la partie en cours. Le joueur doit réussir les épreuves et les missions prévues par le scénario pour que l’histoire puisse suivre son cours jusqu’à son épilogue.

2.1.3. Interface

L’interface de jeu, que l’on appelle aussi HUD (Head-up Display ou, en français, « affichage tête haute ») et qui comprend tout ce qui renseigne le joueur sur son personnage et l’environnement du jeu, est ici assez sommaire : en haut à gauche, se trouve un encadré avec le nom du joueur et son rang. En bas à gauche, est affichée la carte qui indique la position du joueur dans l’environnement du jeu. En haut à droite de l’écran, apparaissent les commandes pour effectuer des actions et, en bas à droite, le joueur peut voir son inventaire. Cf. Figure 3. Certains joueurs, notamment les plus expérimentés, préfèrent faire disparaître les éléments de cette interface qu’ils jugent perturbateurs. Cf.

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2.2. Rise of the Tomb Raider

Rise of the Tomb Raider est le deuxième opus du reboot de la série Tomb Raider.

Il a été développé par Crystal Dynamics et édité par Square Enix (pour PC et PS4) et Microsoft (pour les consoles Xbox One et 360). Le jeu est sorti en Europe le 13 novembre 2015.

2.2.1. Scénario détaillé

Rise of the Tomb Raider s’inscrit dans la continuité du jeu précédent Tomb Raider,

sorti en 2013. Dans Tomb Raider, Lara Croft, une jeune étudiante anglaise part pour sa première expédition avec ses collègues à bord de l’Endurance. L’équipe est à la recherche du Royaume perdu de Yamatai, au sud du Japon, mais leur navire fait naufrage lors d’une violente tempête. Lara Croft se retrouve perdue sur une étrange île peuplée de meurtriers fanatiques qui se font appeler les Solarii. Lara et quelques survivants réussissent finalement à s’échapper. De retour en Angleterre, Lara est déterminée à percer les secrets des Solarii. De fil en aiguille, cela la mène à poursuivre les travaux de son père qui cherchait la Source divine, une puissante relique conférant l'immortalité. En Syrie, Lara découvre un tombeau censé avoir abrité le corps d’un prophète, et remarque alors un symbole qui établirait un lien entre la Source et la ville de Kitej qui, selon la légende, serait située en Sibérie. Mais elle est ensuite attaquée par un groupe de mercenaires qui lui volent ses travaux. Ces mercenaires, qui se font appeler les Trinitaires, sont eux aussi à la recherche de la Source divine. S’engage alors une course contre la montre dans les contrées glaciales et sauvages de la Sibérie.

2.2.2. Gameplay

Le jeu conjugue action pure, aventure et résolution d'énigmes. L’univers de Rise

of the Tomb Raider n’est pas tout à fait un « monde ouvert », il n’est pas possible de

grimper absolument partout et la carte sur laquelle le joueur se déplace est plus restreinte, mais de nombreuses zones sont explorables et regorgent de secrets. Il n’y a pas de « quêtes secondaires » à proprement parler, mais des Tombeaux ainsi que des grottes sont à explorer, et l’on peut y trouver des ressources ou des trésors. Contrairement à Assassin’s

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aux missions secondaires, Tomb Raider nous laisse un peu moins de libertés : on est amené à suivre le fil de l’histoire et on ne peut pas s’écarter de la quête principale.

L’accent est mis sur la survie, admirer le paysage comme il est possible de le faire dans Unity n’est donc pas vraiment possible voire déconseillé, des ennemis ou des loups pouvant surgir à tout moment. Il faut arpenter les niveaux du jeu pour récupérer du bois, du tissu, des peaux d'animaux, ou encore des champignons afin de fabriquer des armes, d’améliorer l’équipement ou de se soigner. Le joueur accumule des points d’expérience en tuant des ennemis, des bêtes ou en trouvant des ressources. Ces points peuvent ensuite être distribués dans différentes catégories : survivant, chasseur, castagneur. Un peu à la manière d’Assassin’s Creed Unity, cela définit le style de jeu du joueur. Cf. Figure 5. Ainsi, en privilégiant le mode « castagneur », le joueur améliore les compétences de soins et de combat au corps à corps en augmentant la force de Lara et sa résistance. En choisissant plutôt de distribuer les points de compétences dans le mode « chasseur », le joueur améliore les compétences de chasse et de pillage, alors que le mode « survivant » donne des compétences de fabrication et d'exploration. Cf. Figure 6.

Lara Croft étant une archéologue, le jeu est essentiellement tourné vers l’exploration et la recherche de documents ou de vieilles fresques pour comprendre l’histoire. Le joueur sera amené à découvrir de nombreuses antiquités et des écritures qu’il ne pourra déchiffrer, il lui faudra alors revenir sur ses pas après avoir accumulé assez d’expérience en langues anciennes. La progression en langues s’effectue tout au long du jeu, au fil des découvertes de Lara. Le joueur doit également jouer à l’apprenti archéologue en examinant les objets anciens qu’il trouve au cours de ses explorations. Le jeu n’est pas axé sur la découverte des méthodes scientifiques des archéologues et reste, sur ce point, très superficiel : Lara découvre des objets précieux au fil de ses explorations, mais il ne s’agit jamais de déployer un grand terrain de fouilles avec des outils spécialisés. Lara est en territoire hostile, désarmée, elle n’a en sa possession qu’un vulgaire piolet. L’étude des artefacts que l’on découvre au fil du jeu est également très sommaire : il s’agit simplement de faire pivoter l’objet pour l’examiner sous toutes les coutures jusqu’à ce que Lara découvre quelque chose à la surface (la manette vibre lorsque l’on s’approche d’un détail intéressant). C’est une manipulation qui, malheureusement, ne présente pas grand intérêt pour le joueur, obtenir les informations directement sans intervention du joueur reviendrait plus ou moins au même.

Il est difficile de savoir si toutes les informations sur les civilisations anciennes mentionnées dans le jeu sont véridiques ou si elles ont été totalement ou partiellement

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inventées par les scénaristes du jeu. Certains éléments sont historiquement attestés, comme par exemple cet objet que Lara découvre à un moment du jeu : un paiza, qui était un passeport utilisé dans l’Empire mongol ainsi qu’en Chine autour de l’an mil, et qui octroyait à son détenteur (généralement noble) des droits et des privilèges particuliers. Cf. Figure 7.

2.2.3. Interface

L’interface de Rise of the Tomb Raider est très épurée : la plupart du temps, les indicateurs concernant le personnage ou les commandes sont absents pour laisser place au jeu en tant que tel. Lorsque le joueur utilise une arme en particulier, le nombre de munitions apparaît en haut à droite (cf. Figure 8), mais lorsqu’il ne fait que se déplacer, l’interface disparaît. Lors des cinématiques interactives, une commande peut apparaître à l’écran pour indiquer au joueur ce qu’il a à faire (cf. Figure 9). La barre de vie du personnage n’apparaît pas non plus : lorsque Lara reçoit des coups ou des blessures, des taches de sang apparaissent à l’écran, comme si le joueur partageait le corps du personnage et recevait les mêmes blessures. Plus l’état du personnage devient critique, plus la manette vibre et plus il y a du sang sur l’écran. Quand la mort est proche, l’écran devient flou et gris (cf. Figure 10). Le principe du jeu est double : il s’agit à la fois de survivre dans un milieu hostile (des animaux peuvent vous attaquer, les conditions climatiques sont rudes, et un groupe de mercenaires, l’Ordre de la Trinité, cherche à vous éliminer) et de trouver un trésor caché. Il faut garder à l’esprit que Rise of the Tomb Raider est un jeu d’aventure-action orienté vers la survie, mais qu’il n’appartient pas non plus au sous-genre du horror survival, dont le but est de survivre le plus longtemps possible face à des zombies et autres monstres surnaturels qui surgissent pour vous anéantir. C’est pourquoi il s’agit certes de rester en vie, mais, ici, mourir ne signifie pas vraiment perdre : c’est un frein à la progression qui génère de la frustration chez le joueur car il faut alors recommencer au dernier point de sauvegarde, mais cela ne met pas complètement fin à la partie. Lara peut mourir car elle est « humaine », mais il n’y a pas un nombre limité de « retours à la vie » comme c’est le cas par exemple dans certains jeux de plateforme qui possèdent un système de vies limitées (le joueur a par exemple trois vies, symbolisées par des cœurs, et à chaque fois qu’il tombe ou se fait tuer, il perd un cœur. Lorsque que le nombre de cœurs est épuisé, le joueur perd totalement et doit recommencer le jeu dans son intégralité). Dans Rise of the Tomb Raider, la menace de la mort est là pour instaurer

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un certain niveau de difficulté : cela ralentit la progression et invite le joueur à réajuster sa stratégie et sa façon de jouer. Mais le véritable défi du jeu est de chasser (poursuivre un lapin ou réussir à viser un oiseau en plein vol n’est pas une mince affaire et demande de la dextérité et de l’entraînement), de récupérer des ressources pour fabriquer des armes et divers objets qui vont permettre de survivre et, ainsi, de poursuivre la quête principale de Lara, à savoir trouver la ville de Kitej et le secret qu’elle renferme. Les deux dimensions du jeu dépendent l’une de l’autre.

Assassin’s Creed Unity et Rise of the Tomb Raider, bien que semblables dans leur

fonctionnement et dans leur construction, ne mettent pas l’accent sur les mêmes choses et proposent, de fait, des expériences d’immersion différentes. Dans les deux jeux, le scénario est très « présent » et cadre le joueur, au sens où ce dernier est plongé dans une intrigue particulière qui organise et oriente le jeu. Cependant, Unity donne le sentiment d’une plus grande liberté car l’environnement qu’il propose offre de plus nombreuses possibilités d’interactions : de multiples missions secondaires sont proposées, il est également possible de partir à la recherche de trésors et de lieux secrets dans Paris, et la reconstitution de la ville en elle-même offre tant de détails que les heures d’exploration semblent infinies. Dans Rise of the Tomb Raider, il y a aussi des tombeaux à explorer et l’univers est graphiquement impressionnant (on prend plaisir à s’y déplacer), mais les possibilités sont plus limitées : à part des animaux à chasser, des plantes à cueillir et quelques coffres à ouvrir, l’environnement est globalement désertique. Ainsi, le joueur est plutôt encouragé à continuer la progression dans l’histoire car s’il laisse de côté l’intrigue principale, il finit rapidement par s’ennuyer. Dans Unity, au contraire, il peut se « perdre » dans l’immensité de l’environnement, jouer à des missions en coopération ou en solo, bref, laisser de côté la trame narrative principale pour se consacrer à des pans de l’histoire plus annexes. Dans Assassin’s Creed, l’accent est donc plutôt mis sur l’immersion dans l’environnement et le sentiment de grande liberté qui va avec (l’agilité de l’avatar contribue à ce sentiment de liberté), alors que Rise of the Tomb Raider met plus l’accent sur une immersion narrative et fictionnelle.

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Partie II : Concepts et outils théoriques d’analyse pour rendre compte

de l’expérience d’immersion du joueur

Nous allons étudier ici les concepts que nous utiliserons dans la suite de notre travail pour analyser et décrire les modalités de l’expérience d’immersion du joueur dans une séquence de jeu précise. L’immersion n’est pas, comme le souligne Gordon Calleja1, monolithique, c’est-à-dire qu’elle est due à la combinaison de différents éléments que nous allons présenter ici. Il convient de préciser que nous n’étudions que les notions qui serviront à l’étude de l’immersion dans nos deux jeux d’action-aventure particuliers, et non pas le jeu vidéo en général, certaines d’entre elles peuvent donc être discutables dans le cas d’autres jeux qui fonctionneraient différemment.

1. Le design graphique : un critère non négligeable dans les jeux

d’action-aventure

Il existe de nombreux jeux qui connaissent un grand succès alors même que leurs graphismes sont rudimentaires et réduits à des formes géométriques basiques : c’est le cas du célèbre Super Mario Bros par exemple, où les graphismes se résument à des blocs de pixels colorés (tout est en 2D, seuls les personnages sont en 3D, du moins dans les dernières versions du jeu). Si cela n’a aucune importance pour assurer l’immersion du joueur, c’est parce que ce jeu fonctionne sur des ressorts qui n’intègrent aucunement une exigence de représentation photoréaliste. Super Mario Bros est un jeu dit « de plateformes », il s’agit pour le joueur de déplacer le personnage de gauche à droite de l’écran en sautant de plateforme en plateforme. Le joueur termine un niveau et passe au suivant lorsqu’il réussit à atteindre le point d’arrivée (il ne doit pas tomber ni rentrer dans un adversaire sinon il perd une des « vies » dont il dispose en nombre limité). Cf. Figure

11. Cet exemple montre bien que la qualité des graphismes ne constitue pas un critère

pertinent pour définir l’essence du jeu vidéo et qu’il ne permet pas non plus d’expliquer le fonctionnement de l’immersion du joueur pour tous les jeux vidéo : nous verrons dans

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la suite de notre travail que le gameplay, ce qu’on traduit souvent en français par « jouabilité »1, est un critère bien plus déterminant dans un jeu vidéo et dans l’analyse du

phénomène d’immersion, car ce qui différencie un jeu vidéo d’un film, c’est qu’il est « jouable » ; on ne se « contente » pas de le regarder. Les joueurs ne jouent pas aux jeux vidéo que pour la beauté de l’environnement, même si cela est devenu un critère de plus en plus important au fur et à mesure que les progrès technologiques permettent d’effectuer un travail très pointu sur l’image.

Cependant, si cette notion de graphisme ne peut être utilisée de façon générale pour tous les jeux vidéo, elle demeure tout de même majeure pour certains types de jeux qui comptent le rendu graphique parmi leurs critères de réussite, comme c’est le cas de nombreux jeux d’action-aventure, dont ceux que nous étudions ici. En effet, le but des jeux d’action-aventure est souvent, dans un premier temps, de proposer au joueur une expérience exaltante, et de répondre à un désir d’exploration, de liberté et d’évasion. Les concepteurs bâtissent alors des environnements travaillés et réalistes (au sens où la représentation de l’univers, que celui-ci soit imaginaire ou inspiré du monde réel, possède une qualité de rendu proche d’une photographie) qui vont donner au joueur le « sentiment d’y être ». La dimension visuelle dans les jeux d’aventure est importante car elle participe du sentiment d’incarnation dans le monde virtuel.

Le pacte ludique dans des jeux comme Rise of the Tomb Raider et Assassin’s

Creed Unity est multiple, et la promesse d’une reconstitution fidèle d’environnements

exotiques pour le premier, ou de lieux historiques pour le second en fait partie. On peut d’ailleurs citer les pitchs accrocheurs de ces deux jeux par leurs éditeurs : « Avec des séquences épiques survitaminées dans les environnements hostiles les plus beaux de la planète, Rise of the Tomb Raider nous livre une aventure de survie réaliste dans laquelle vous retrouverez Lara Croft pour sa première exploration de tombe à la recherche du secret de l'immortalité. »2 (Microsoft). Sur le site officiel d’Ubisoft, Assassin’s Creed

Unity est quant à lui présenté en ces termes : « Explorez la ville la plus grande et réaliste

jamais créée dans la série, reproduite à taille réelle grâce à la puissance du nouveau moteur Anvil. Découvrez les monuments de l’époque fidèlement modélisés tels que

1 On entend par là ce que le joueur peut ou ne peut pas faire dans le jeu, l’ensemble des règles du jeu qui

définissent les libertés accordées au joueur et les contraintes qui lui sont imposées.

2 « Rise of the Tomb Raider ». Xbox.com [En ligne]. Page consultée le 20 mars 2016.

Figure

Table des figures
Figure 4 (p. 22) : L’interface de jeu sans les divers indicateurs dans Assassin’s Creed Unity
Figure 5 (p. 24) : Définition du style de jeu du joueur par l’attribution de points de compétence  dans Rise of the Tomb Raider
Figure 7 (p. 25) : Etude d’un paiza dans Rise of the Tomb Raider. Source : capture d’écran
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Références

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