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L'éducation des femmes au XVIIe siècle

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Academic year: 2021

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Texte intégral

(1)

Par

Soeur M.-François, Beirne, O.P.

Thèse présentée pour le grade de Doctorat d’Université

* a

1‘Université Laval

(2)

FEMMES

D U

DIX-SEPTIEME

(3)

Fages

Introduction I

Chapitre i 5

Chapitre II St. Vincent de Paul 20

Chapitre III...ses Jansénistes et Port-Royal 28 Chapitre IV.Education mondaine. Les Précieuses... 34

Chapitre Llolière 42

Chapitre VI Madame de sévigné 54

Chapitre Vil. ..u’abbé Claude Fleury.ues Ursulines 62

Chapitre VIII Fénelon 69

Chapitre IX Madame de Maintenon 86

Chapitre Les Continuateurs de Fénelon 101 V

x

Propositions... : 105 Bibliographie...: 108

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femme est une fluur qui ne donne son parfum qu’à l’ombre.” Ce mot synthétise une longue tradition française sur l’é­ ducation des femmes, une longue défiance du savoir fémi­ nin qui remonte jusqu’au moyen âge.

” Femme je suis povrette et ancienne,

” Qui riens ne sçay oncques lettre ne leuz:... avoue la mère de François Villon. Et là-dessus beaucoup de femmes en France pouvaient dire à peu près la même

chose, à l’époque où l’on se moquait d’elles dans le Ro­ man de la Rose, voire à l’époque où Erasme disait d’elles;

” De même qu’un singe est toujours un singe, une femme, quelque rôle qu’elle joue, est toujours femme, c’est-à- dire sotte et folle.”

Cependant, il faut noter que la fem­ me française n’a rien d’une ilote. L’Eglise a relevé sa condition et le culte qu’on avait pour Notre-Dame n’est pas étranger à la reconnaissance de la dignité féminine. Déjà dans le théâtre du moyen âge, on peut rencontrer des hommages délicats à la femme;

Tu lés feblette et tendre chose, Et iés plus fresche que n’est rose: Tu iés plus blanche que cristal Que neif qui Ghiet sor glace en vol

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Mal Cuple en fist li Criatur:

Tu es trop tendre, et il est trop dur. Mais neporquant tu es plus sage,

En grant sens ai mis ton corsage...

Et Christine de Pisan est heureuse de chanter «Jeanne d’Arc, plus forte en son siècle, que bien des hommes, et contre les auteurs du Roman de la Rose, elle soutient que le science ennoblit au lieu de corrompre les moeurs. "Il ne doit mie estre présumé que de scavoir les sciences mora­

les, et qui apprennent les vertus, les moeurs doivent en empirer, ains n’est point de doubte qu’ils en amendent et anoblissent

Et Louise Labé, célèbre corc’ière ly­ onnaise, au 16ième siècle, peut se réjouir dans une lettre qu’elle adresse à une amie, du fait que " les sévères lois des hommes n’empêchent plus les femmes de s’appliquer aux sciânces et disciplines."

Néanmoins, la partie est loin d’ê­ tre gagnée. Montaigne tout en louant la femme antique, n’ a que du mépris pour la femme de son époque. Charron exa­ gère Montaigne et Bodin n’est plus aimable. Et Malebran- che? Le philosophe oratorien, avec certains moralistes re­ ligieux du 17ième siècle déjà frottés de jansénisme, ne conçoit pas l’égalité des sexes devant l’instruction. C’est aux femmes, écrit-il, à décider des modes, à juger de la langue, à discerner le bon air

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et les belles manières. Elles ont plus de science,£’ha- bileté et de finesse que les hommes sur ces choses. Tout

ce qui dépend du goût est de leur ressort; mais, pour 1’ ordinaire, elles sont incapables de pénétrer des vérités un peu difficiles à découvrir.”

On sent dans ces propos et ces attitu­ des une rancune obstinée, sinon toujours consciente, con­ tre la première femme qui séduisit le premier homme dans l’Eden, pour avoir tâté du fruit défendu, pour avoir tou­ ché à l’arbre de la Science.

Ce ne sera vraiment que grâce à l’Eglise et dans ce siècle où Selon le mot de Bossuet, ”tout ten­ dait au grand,” que l’on verra la femme moins ignorante, plus instruite de ses devoirs humains et sociaux. Elles devront beaucoup à l’abbé Fleury et à Fénelon.

Cependant, avant le renfort de Fénelon, elles vont trouver dès le début du 17ième siècle, des précurseurs de la pensée éducatrice fénelonnienne, de grands apôtres comme saint François de Salles et saint Vincent de Paul qui vont montrer que la ” femme est la moitié du genre humain ” et que son âme est d’un prix infini puisque comme celle de l’homme elle a été payée du sang de Jésus-Christ, c’est par eux que nous allons

commencer cette étude. Dans les premiers chapitres, nous verrons donc l’influence de ces deux grands hommes sur

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l’éducation des femmes; et dans les chapitres subsé­ quents, nous verrons le rôle de certaines grandes da­ mes qui ont brillé particuliérement dans leur siècle,

le rôle de Molière et enfin, le rôle de l’abbé Fleury, de Fénelon et de ses Continuateurs. Nous suivrons ain­

si assez librement, la lente ascension au 17ième siè­ cle, de ce qu’on pourrait appeler encore bien impar­ faitement l’émancipation féminine.

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CHAPITRE I

SAINT FRANÇOIS DE SALES.

Dès le début du siècle, s’affirment sur le problème de l’éducation féminine les tendances les plus diverses. En certains quartiers on songe à fai­ re de la femme une bonne ménagère, une femme instruite.'1’ On n’est pas loin de considérer la femme comme un être inférieur. Cependant grâce à l’influence de Saint Fran­ çois de Sales et de saint Vincent de Paul, se fondent partout des communautés enseignantes où l’on combat vi­ goureusement les tendances de la vie mondaine.

(I) "Revue des Deux-Mondes"; Fagniez, le 15 janvier, 1909 Comme nous venons de le dire, saint François de Salles exercera une influence considérable sur l’éducation féminine du 17ième siècle. Saint Fran­ çois de Sales n’a pas donné une théorie de l’éducation, mais dans son oeuvre la plus importante, L’introduction à la vie dévote, qui parut en 1609, il touche à la plu­ part des questions essentielles relatives à l’éducation féminine. Dans la préface de son livre, saint François de Sales nous dit son intention " d’instruire ceux qui vivent ès villes, ès ménages, en la cour.” Il ajoute:

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réduire à l’utilité commune de plusieurs âmes, ce que j’avais premièrement écrit pour une seule, je l’appel­ le du nom commun à toutes celles qui veulent etre dé­ votes, car Philothée veut dire amatrice ou amoureuse de Dieu.”

Pour diverses raisons: guerres, que­ relles de religion, dans la première moitié du 17ième siècle, en France, il y avait un grand nombre de fem­ mes qui avaient perdu toute manne spirituelle et qui avaient perdu, par conséquent l’attrait du service de Dieu. La formation morale et religieuse est pour Fran­

çois de Sales la question la plus importante. Il pré­ pare Philothée pour sa destinée finale. Cette pensée

est le commencement et la fin, la base et le sommet de L’instruction à la vie dévote. Saint François de Sa­ les divise son oeuvre en cinq parties. Dans les deux premières parties, il montre à Philothée les moyens de pénétrer dans la dévotion. Il ne veut pas que Phi­

lothée soit découragée dans sa préparation pour la vie éternelle. "Il faut bien que pour l’exercice de notre humilité, nous soyons quelquefois blessés en cette ba­

taille spirituelle; néanmoins, nous ne sommes jamais vaincus sinon lorsque nous avons perdu ou la vie ou le courage.”^ Quand on songe au triste état de la con­ dition spirituelle des femmes, on peut apprécier cette

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pensée de l’auteur. Une longue suite de désastres avait désolé la France à cette époque et avait rendu très du­ res les conditions matérielles; le spirituel s’en était ressenti; les âmes féminines surtout étaient privées de tout élan spirituel: conséquence: beaucoup de dégrada - tion morale. Pour calmer les troubles de leurs âmes, saint François de Sales exhorte les femmes à la confes­ sion: '‘allez courageusement, en esprit de pénitence et d’humilité faire votre confession générale; mais je vous prie, ne vous laissez point troubler par aucune sorte d’appréhension. " En donnant ces conseils, saint Fran­

çois de Sales opère chez les femmes du 17ième siècle, d’ admirables transformations morales. L*Introduc tion à la vie dévote est donc riche en conseils pour les femmes.

Dans la deuxième division de son ouvrage, on peut voir une partie de son programme tou­

chant l’éducation religieuse des femmes, car l’éduca­ teur d’un siècle, quel qu'il soit, a fait peu de choses s’il n'a formé les âmes aux pratiques de la vi9 chré­ tienne. Ainsi donc, la jeune fille, selon saint Fran­ çois de Sales doit prier. La prière, les bonnes pen­ sées, la réception fréquente des sacrements sont les fondements d’une vie chrétienne, c'est ainsi que

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gle sans exception Il recommande à Philothée le cha­ pelet et les litanies diverses. Il l’instruit solidement des dispositions requises pour recevoir avec fruit les sacrements de pénitence et d’eucharistie. Il exhorte Phi­ lothée à la réception fréquente des sacrements: "Commu­ niez souvent, Philothée, et le plus souvent que vous pour- rez avec 1 avis de votre père spirituel. (2)

C’est saint François de Sales qui établit le premier peut-être dans son siècle, la nécessi­ té de la bonne lecture. Quelques femmes de ce siècle ne craignaient pas d’affronter la lecture des philosophes; et Descartes n’avait pas de disciple plus attentive que la princesse Elizabeth. Madame de Grignan elle-même a- vait épousé la doctrine cartésienne avec ardeur. Saint François de Sales préfère faire aimer les histoires et

la vie des saints, les vies des premiers Jésuites, cel­ le de Saint-Charles Borromée, archevêque de Milan, de saint Louis, de Saint Bernard, les Chroniques de saint François et d’autres. " Historia magistra vitae... " estimait-il avec Cicéron^ Il cherchait encore à déve­ lopper dans l’âme de Philothée toutes les vertus, c’est dans la troisième partie de son livre que saint Fran­

(1) ” Introduction à la vie dévote, 2ème partie,chap. I. (2) Ibid.

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çois de Sales montre qu’une éducation morale repose sur la connaissance des vertus. Il nous faut préférer la ver­ tu qui est plus conforme à notre devoir et non pas celle qui est plus conforme à notre goût. Saint François condi- dère l’éducation comme une oeuvre de foi et de piété. La

jeune fille doit être ornée de vertus solides; force d* âme, fermeté de caractère tempérée par la douceur, la bonté la patience. Il faut surtout une grande exactitude à tous les devoirs d’état.

Aux femmes mariées, saint François accorde aussi une paternelle attention. Dans son chapi­ tre: "Avis pour les gens mariés", il les exhorte à l’a­ mour mutuel et il parle des trois effets de cet amour; 1’ union indissoluble des coeurs, la fidélité Inviolable de

l’un à l’autre et la production des enfants. Saint Fran­ çois considère les trois choses essentielles que les deux époux doivent avoir en vue; Dieu, la famille et leur sanc­ tification. Une jeune fille doit voir dans le mariage la réponse à l’appel de Dieu qui lui montre dans cette vo­

cation la route du ciel. Rabelais et Montaigne viennent de ravaler le divin caractère du sacrement de mariage.

Pour sauvegarder les jeunes filles du 17ième siècle, saint François rétablit ce caractère.

Cependant, chez lui, rien de tris­ te. Ce serait, en effet, une grande erreur de croire que

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la piété que saint François recommande rétrécit l’hori­ zon de l’esprit et oblige à se détourner des connais - sances dites profanes. Mais nonl Rien n’est profane pour l’âme qui sait faire remonter à sa vraie source toute science et toute beauté, et c’est pourquoi l’auteur de l’introduction conseillait aux jeunes filles du dix- septième siècle de développer leur vie intellectuelle par la lecture, l’étude et la réflexion personnelle. Il apporta en ce domaine un remarquable exemple et de pré­ cieux enseignements. Gomme le remarque fort bien Mgr Francis Vincent, le culte des lettres humaines n’est

pas chez notre Saint, concession faite au goût du siè­ cle : ”pour lui, plus encore que pour saint Ignace qui avait prescrit la rhétorique à ses religieux, la culture humaine fait partie de la culture chrétienne.”^

Ses longues et brillantes études l’avaient préparé à goûter la bienfaisance d’une riche culture. Paris, au sein duquel s’affrontaient, dans la fièvre, les parties politiques et religieux, l’avait vu arriver, jeune étudiant de quinze ans, et se jeter à corps perdu jusqu’à sa vingtième année dans l’étude de la rhétorique et de la philosophie. François pres­ sent que pour agir sur ses contemporaines, il faut à la fois comprendre et savoir. Qui comprit mieux que

(I) Saint François de Sales, directeur d’âmes. François vincent.

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lui la société féminine de son temps? Il observait et il apprenait. Des lectures abondantes, tant chez les anciens que chez les modernes, le mettent en contact avec la pen­ sée humaine sous toutes ses formes. Bien que la femme de son temps, au moins d’une façon générale, n'entreprît pas les études proprement dites, le bon Saint conseillait à ses dirigées, les beaux livres de dévotion.” Comme nous avons dit, il n’y avait pas une cloison étanche entre 1’ étude, comme elle existait de son temps et la vie inté­ rieure. Le but de son effort intellectuel fut semble-t-

il de connaître pour mieux aimer Dieu et ses frères. Il sait que tout sert au bien des âmes, surtout aux âmes du dix-septième siècle. Il avait un souci constant de se

cultiver sol-même pour aider ensuite à la culture d'au­ trui. Nous le verrons devenir le confesseur de Mme Aca- rie et sera consulté par beaucoup de femmes de son temps.

Gomme il aida à unir la sainteté et la science chez les femmes. On ne s'étonne donc pas que, dans son petit An­ necy, d'accord avec le président Favre, son ami, père du grammairien Vaugelas, François de Sales jugeât utile de fonder 1'Académie florimontaine, sorte d'Académie française avant la lettre, pour favoriser l'amour de la

science, l'art de bien écrire et de bien dire. Comme il appert, il ne refuse pas aux femmes la vraie culture de l'esprit, mais, il leur demande, comme Molière le fera

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plus tard, de n’en point faire étalage. Il connait leur propension au pédantisme et pour réaliser tous ses rêves de perfection chez les femmes au sujet de l’éducation,

il cherche à développer toutes les vertus. A son avis, les divertissements ne doivent pas être interdits, à la jeune fille, si elle en use avec discrétion... "Dansez et jouez selon les conditions que je vous ai marquées, quand pour condescendre et complaire à l’honnête conver­

sation en laquelle vous serez, la prudence et la discré­ tion vous la conseilleront.^"

Saint François de Sales écrit à Mme Brulart, "Vous ne devez pas seulement ... aimer la dévotion, mais vous la devez rendre aimable à un cha­ cun. Or vous la rendrez aimable si vous la rendez u- tile et agréable. Les malades aimeront votre dévotion s’ils en sont charitablement consolés; votre famille, si elle vous reconnaît plus soigneuse de son bien, plus douce aux accurences des affaires, plus aimable à re­

prendre, et ainsi du reste; monsieur votre mari, s’il voit qu’à mesure que votre dévotion croît vous êtes plus

cordiale en son endroit et plus suave en l’affection que vous lui portez; messieurs vos parents et amis, s’ils re­ connaissent en vous plus de franchise, de support, de con­ descendance a leurs volontés qui ne seront pas contraires à celle de ^ieu. Bref, il faut tant qu’il est possible,

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rendre notre dévotion attrayante”. Selon saint François, la dévotion ne sera pas attrayante si elle est triste et contrainte. Lorsque Mme de Chantal passa de la conduite de son premier directeur à celle de saint François de Sa­

les, ses domestiques disaient entre eux: "Le premier con­ ducteur de Madame ne la faisait prier que trois fois le

jour, et nous en étions tous ennuyés; mais Monseigneur de Genève la fait prier à toutes les heures du jour et cela n’incommode personne...” On peut voir facilement que le premier avait l’esprit de contrainte et notre saint l’es­ prit de liberté. Des que vous sentirez une sombre tris­ tesse vous envahir, jetez-vous, dit François de Sales, dans les bras du "Dieu de joie et de consolation” avec des pa­ roles de confiance et d’amour. Il conseillait à la jeune fille de détourner son attention de son propre mal, de fixer son esprit sur quelque occupation apte à la dis­

traire, redoubler d’exactitude en ses devoirs d’état; quoique sans ferveur, faire des actes d’amour; enfin s’ imposer quelque mortification et se confier à votre di­ recteur. Si une jeune fille du dix-septième siècle sui­ vit ce conseil, n’est-il pas fort probable que tout ren­ trera dans l’ordre? L’ame n’a jamais sujet de s’abandon­ ner à la tristesse, qu’elle soit dans l’épreuve extérieure ou intérieure, puisqu’elle peut et doit toujours compter sur le secours de Dieu. Et selon saint François, la joie est le fruit naturel d’une parfaite conformité de

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notre vouloir à celui de Dieu. En conséquence, saint Fran­ çois de Sales ne veut pas de mines contraintes en la dévo­ tion, car dit-il, "Dieu est le Dieu de joie". Oui, ma chè­ re fille, écrit-il à l’une de 3es dirigées, je vous dis par écrit aussi bien que de bouche: réjouissez-vous tant que vous pourrez en bien faisant, car c’est une double grâ­

ce au bon oeuvre, d’être bien fait et d’etre fait joyeuse­ ment. Saint François se rend compte que la jaune fille

qui vit dans le monde doit par la force des choses, y en­ tretenir des relations et participer à ses plaisirs. Son

devoir n’est pas de le fuir, mais d’y garder la dignité chré­ tienne, ce qui ne l’empêchera pas d’y montrer de l’affa­

bilité, de la bonne grâce et une franche gaieté. Certai­ nement il y a dû avoir au dix-septième siècle, beaucoup de jeunes filles qui exerçaient par l’exemple un aposto­ lat d’une si grande portée.

La pédagogie religieuse de saint François de Sales repose donc sur les fondements les plus

solides; l’Evangile et l’enseignement des Pères et des Docteurs de l’Eglise. Elle s’exprime dans chaque partie de son oeuvre, mais surtout dans la troisième partie de l’introduction. Saint François a surtout éclairé, re­ dressé et fortifié les âmes féminines. Il leur montre que le grand ennemi de la sainteté est la préoccupation ou contention de l’esprit. Il faut honorer par leur

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gaieté la sainte allégresse de Notre Seigneur, "invo­ quez Dieu et lui demandez son allégresse.^" Combien de femmes il a éclairées et réconfortées! Dans un

siècle tristement désorganisé par tant de luttes re­ ligieuses, saint François commença à conduire des femmes dans les voies de Dieu, voies claires sinon toujours intelligibles, voies joyeuses: hilarem da- torem diligit Deus.

Dans le dernier chapitre, il exhorte Philothée à la persévérance: "Continuez et persévérez en cette bienheureuse entreprise de la vie dévote. Nos jours d’écoulent, la mort est à la porte... regardez Jésus-Christ, ne le reniez pas pour le monde;

et quand la peine de la vie dévote vous semblera dure, chantez avec saint François:

" A cause des biens que j’attends, " g " Les travaux me sont passe-temps. "

L’introduction à la vie dévote a un mérite unique: incorporée à l’esprit religieux de la race, elle a formé le coeur de la femme française, cette maîtresse de maison, cette mère de famille de la bourgeoisie ou du peuple, qui passait du couvent au

ma-(1) "Introduction à la vie dévote," 4eme partie, chap. XIV. (2) "Introduction à la vie dévote," 5ème partie, chap.XVIII.

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riage, comme à une profession religieuse, qui s’éta­ blissait gardienne du foyer, heureuse dans sa vie li­ mitée, trouvant sa joie à se consacrer à son mari et à ses enfants.I

Bien que François de Sales ne pro­ fesse aucun système pédagogique, son oeuvre contient

sur l’éducation des femmes, des indications très pré­ cieuses. c’est grâce au saint que la femme française s’est rendu compte de sa noblesse et qu’elle a porté son esprit à un rare degré d’élévation. Il fallait bien cette élévation pour réagir contre de dangereux

courants: courant janséniste issu de la Réforme et d’ une trop grande défiance de l’humanité; courant mon­

dain venu de la Renaissance, des emballements de la Fronde; courant glacé surgi des guerres de religion. Il semble bien qu’alors il y ait eu à côté de la gran­ de Mademoiselle et à côté des huguenotes et des ita­

liennes frivoles, de véritables salvatrices du vrai foyer français. L’amour courtois se nuance d’admira­

tion. On comprend en dépit de certaines répugnances, que l’esprit de la femme est capable de lumière autant que son coeur est capable de dévouement. On supporte les femmes instruites, mais Instruites commes des é- ducateurs religieux peuvent les instruire,

c’est-à-(I) La littérature Religieuse de François de Sales à Fénelon; J. Calvet.

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dire avec la préoccupation dominante de régler la vie, de fortifier la femme contre les entraînements du mon­ de et de lui apprendre toutes les bienséances néc6s -

saires. Saint François de Sales était un modèle ache­ vé de cette courtoisie chrétienne; ”Notre bienheureux Père, a témoigné Jeanne de Chantal, rendait à toutes les créatures le plus d’honneur qu’il se pouvait, soit par par-oies, soit par effet.” Chez les jeunes filles, il considérait cette perle de grand prix qui seule fait leur vraie grandeur; une âme rechetée par la Rédemption. Cela explique ce mot chez lui très surnaturel; "Je ne fais pas grande différence d’une personne à une autre.”

C’est par ce qu’elles ont de plus noble, qu’il les é- galisait dans sa pensée. La était le secret de son ex­ quise civilité. Il y a trois siècles ce jeune étudiant s’était fixé pour la conversation; ”11 faut que je sache, qu’aux supérieurs ou d’age, ou de profession, ou d’auto­ rité, il ne faut faire paraître, que ce qui est exquis;

aux semblables, que ce qui est bon; aux inférieurs, que ce qui est indifférent. Quant à ce qui est mauvais, il ne le faut jamais découvrir à qui que ce soit... L’amour engendre la liberté, et le respect la modestie... Entre les égaux, il faut être également libre et respectueux, avec les inférieurs, il faut être plus libre que respec­ tueux; mais avec les grands et supérieurs, il faut être

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beaucoup plus respectueux que libre.” Les jeunes filles apprenaient donc, à la suite de notre Saint, à réagir contre le courant de laisser-aller, de familiarité, de vulgarité qui avait tendance à s’infiltrer au dix-sept­ ième siècle. Elever 16 ton de la conversation, y garder la décence et le bon goût, y avoir de l’esprit sans man­ quer à la charité, du savoir sans orgueil et pédantisme, y faire briller les autres en leur cédant la parole, ce

sont là qualités rares et pourtant bien propres à une chrétienne et ce sont celles que saint François impri­ mait si bien dans l’esprit féminin.

Autrefois l’éducation de la fem­ me se faisait dans la famille. Le père Ou la mère s’oc­

cupaient de l’éducation proprement dite, tandis que des gouvernantes étaient chargées de l’instruction. Madame Acarie (qui devint la bienheureuse Marie de l’incarna­

tion) et sainte Chantal élevèrent ainsi leurs filles à la maison. De même, Madame de La Fayette reçut les le­ çons de son père et pour le latin celles de Ménage et du P. Rapin.

De concert avec François de Sa­ les, Madame de Chantal fonda pour les filles, à Annecy, en 1610, le premier monastère de la Visitation. La

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jeunes filles. On y voit entrer des filles de la plus haute noblesse, ainsi que les filles de la bour­ geoisie .

L’éducation des filles chez les Visitandines mérite une mention spéciale. Au commen­

cement du 17ième siècle, les oeuvres pédagogiques é- taient rares. Celle qui existait, l’institution de la femme, par Pierre de Changy, donne une idée du plan d’éducation. Ce livre ne regarde pas favora­ blement la jeune fille. La sévérité de l’institution de la femme est telle que l’on exige une surveillance

stricte. L’instruction ne tient qu’une petite place. Quelques citations du livre qui fut traduit du latin de l’espagnol Vivès, nous donneront une idée du type d’éducation qui existait. "La petite fille, une fois sevrée, ne devra jouer qu’en présence de sa mère ou d’une autre femme âgée, et jamais avec des garçons. Elle ne doit continuer de hanter les enfants mâles, pour non s’accoutumer à se délecter avec les hommes. Puis elle apprendra à coudre, à filer, à tenir le mé­ nage et à faire la cuisine, et cela quelle que soit

sa condition. La jeune fille apprendra à lire, at­ tendu que les bonnes lectures et les récits d’actions vertueuses incitent à la vertu. Mais vous vous gar­

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der6z de laisser aux mains de votre fille, livres pleins de pestiférés et lascivetés, attirants à vice, comme Lan­ celot du Lac, Le Roman de la Rose, Tristant, Fierabras, Merlin, Floremond, etc... Mais la jeune fille lira les Vies des saints et saintes, la Consolation de Boèce, la Vie des rères du désert, la Fleur des Commandements et autres écrivains salutaires. La jeune fille ne boira que de l’eau ou du vin très étendu d’eau; elle s’abs­ tiendra d’épices et de sauces; elle ne mangera que des viandes légères et encore rarement et en petite quan­

tité, et se nourrira surtout de potage. Son lit sera dur et son sommeil non pas long, suffisant toutefois à la valitude de sa personne. Et jamais elle ne de­

meurera cisive. La jeune fille ne mettra point de fard, ne portera pas de bijoux, ne se parfumera pas, n’aura que des robes de drap tout unies comme en portait la sainte Vierge. Elle évitera la tête-à-tête même avec un proche parent, frère, oncle ou cousin. Elle ne dansera jamais, car des danses naissent les amouret­

tes, et l’amour est la chose la plus funeste du monde.I" Et les couvents? Comme Gréard nous le dit, le couvent était en grand honneur au 17 ieme siècle. ”11 était le premier et le dernier asi­ le; c’est au couvent qu’on s’exerçait à mourir et qu’

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on commençait à vivre.2" On ne regardait pas à l’âge pour y placer les jeunes filles; un deuil de familie, un départ, les circonstances en décidaient. Madame

Guyon avait été envoyée à deux ans et demi, aux Ursu- lines de Montargis; Marie-Blanche de Grignan/de Mada­ me de Sévigné à moins de six ans, à Sainte-Marie de

la Visitation d’Aix. L’étrange émotion que nous cau­ se, même à des siècles de distance, le spectacle de ces enfants observant le silence comme des vieilles nonnes, parlant bas du lever au coucher, comme des diplomates, ne marchant jamais qu’encadrées de deux religieuses comme des prisonnières, passant d’une mé­ ditation à une autre, de l’oraison à l’instruction, n’apprenant en dehors du cathéchisme, que la lecture, l’écriture, et le dimanche, un peut d’arithmétique. Il y avait de quoi effrayer l’imagination populaire; et on ne s’étonnera pas de voir Fénelon si peu priser les couvents, et Diderot écrire un affreux roman: la Religieuse. roman farci de légendes terrifiantes sur les horreurs des séquestrations couventines; on com­ prendra mieux Cresset et son Vert-Vert amusant au 18ième siècle.

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CHAPITRE II

SAINT VINCENT DE PAUL.

Un autre artisan important de la réforme du sentiment religieux au dix-septième siè­ cle et de l’éducation fut saint Vincent de Paul. La France, on ne saurait trop le dire, était secouée de toutes parts par le doute et la confusion, surtout cel­ le des doctrines. Combien d’âmes féminines furent dis­ traites par les illusions de l’esprit! On fit nommer saint Vincent de Paul, aumônier dans la cour brillan­ te et mêlée de la reine Marguerite de Valois, épouse de Henri IV. Dans cette cour, Vincent apprend le grand monde et son esprit observateur met à profit cette ex­

périence. ce fut le Cardinal de Bérulle qui le lança bien malgré le saint, dans le grand monde, chez Madame de Gondi. La grande dame lui avait demandé de l’as­ sistance spirituelle pour son âme inquiète, scrupuleu­ se et désemparée. Comment saint Vincent de Paul va-t- il ramener dans les âmes des femmes, l’ordre, la scien­ ce et la lumière? Par une direction suivie dont

l’es-•A

sentiel nous apparait dans sa correspondance.

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prit à charge l’âme de Mademoiselle Le Gras. De tout- tes les correspondantes de Vincent, nulle ne fut en re­ lations plus suivies avec lui, que Louise de Marillac, cette femme d’élite du 17ième siècle. Louise de Maril- lac avait épousé Antoine Le Gras. Ayant perdu son ma­ ri de bonne heure, elle renouvelait les rêves de sa

jeunesse de devenir religieuse. Scrupuleuse jusqu’à se persécuter elle-même, elle devient presque jansé­ niste dans la conception de ses pratiques religieuses. Et Vincent, effrayé des progrès de ce trouble, écri­ vit: "N’admettez point les pensées de singularité qui vous ont tracassé autrefois, c’est un change que le malin esprit vous voudrait donner.1" Saint Vincent

se montre un directeur pratique et judicieux. Il la prie de supprimer la discipline et de "remplacer la ceinture de poils de cheval par une ceinture plus dou- ce de petites rosettes d’argent. " Les femmes con­ servèrent de l’exactitude dans les pratiques pieuses de cette espèce, même au milieu de certains écarts. La communion fréquente est intolérable à Mademoisel­ le Le Gras qui appréhende de s’y mal préparer. On voit ici le respect exagéré pour le sacrement contre

lequel saint Vincent la conseille: "Pour la peine in­ térieure qui vous a fait retirer de la sainte commu- 1 2

(1) "Saint Vincent de Paul" : J. Calvet, Page 48. (2) Ibid.

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nion aujourd’hui, vous avez un peu mal fait. Voyez- vous bien que c’est une tentation, et faut-il, en ce cas, donner prise à l’ennemi de la sainte communion? Pensez-vous devenir plus capable de vous approcher de Dieu en vous en éloignant qu’en vous en approchant? 0 certes, c’est une illusion.3” La conception jansé­ niste est, comme Vincent lui montre en opposition a- vec le véritable esprit du christianisme. Mademoi - selle Le Gras a rédigé pour elle-même un règlement de grande austérité dont le moindre manquement lui appa­ raissait un péché grave. Elle doutait de son salut, elle alla jusqu’à douter de l’immortalité de l’âme et de l’existence de Dieu. "Mettez-vous toute dans la sainte dilection qui opère la confiance en Dieu et la défiance de soi, Mademoiselle, je vous en prie; et laissez cette crainte qui me semble parfois un peu serville, à ceuxàqui Dieu n’a point donné les senti­ ments que vous avez pour lui; et surtout méprisez ces

pensées, qui semblent infirmer la sainte foi que Dieu à mise en vous.4” H s’oppose à son règlement et lui commande d’agir "bonnement et bien doucement”. Après avoir dissipé l’ignorance religieuse qui pourrait de­ venir une cause de superstitions malignes et de juge­

(3) "Saint Vincent de Paul" : J. Calvet, Page 48.

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ments faux, saint Vincent de Paul conduit Mademoiselle Le Gras à sa vraie vocation. Louise est chargée de vi­ siter toutes les confréries naissantes de la uharité. Des cette époque elle devient la collaboratrice de saint Vincent de P^ul dans l’éducation des jeunes filles. L’ instruction religieuse était à la base de s0n enseigne­ ment. Munie d’un petit cathéchisme rédigé par elle-mê­ me en termes clairs et précis, elle éclaire l’ignorance des jeunes filles en les instruisant des vérités de la foi. L’enseignement comprenait la lecture, le cathé­

chisme et des travaux particuliers aux femmes: coutu­ re, broderie, par exemple, mais c’était la religion qui dominait, comme on peut en juger par une lettre; "Mon Dieu I que je souhaite que vos filles s’exercent à ap­

prendre à lire et qu’elles sachent bien le cathéchis­ me que vous enseignez.1" Dans une autre lettre, on

lit; "Je suis bien aise de ce que vous me mandez de ces bonnes filles de Liancourt et notamment de celle qui sait faire de la dentelle. Elle pourra appren­ dre cela aux pauvres gens, ce qui servira d’attrait pour les choses spirituelles.^" Avant de confier à Mademoiselle Le Gras la mission d’enseignement, saint 1 2

(1) "Saint Vincent de Paul" ; Pierre Coste, T. 1, Page 313. (2) "Saint Vincent de Paul" ; Pierre Goste, T. 1, Page 393.

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Vincent lui transmit l’intégrité de la foi, la science et la vertu. Elle posséda ces trois grandes qualités. Vincent sut reconnaître la capacité morale de cette veu­ ve vertueuse et il en jugea comme des savants jugèrent de la capacité scientifique. Saint Vincent l’encoura­ gea à réunir chez elle d’humbles filles de la campagne, pour les former à l’instruction des enfants pauvres. S’il y avait une maîtresse d’école dans les endroits qu’elle a visités, elle lui donnait d’utiles conseils. Elle travaillait avec une persévérance et un zèle in­ fatigables à l’avancement des vertus morales ainsi qu’

à l’enseignement du cathéchisme. Enfin, après trois ans de probation, assuré d’un zèle parfaitement pur, saint Vincent la prie de l’accompagner à la mission de Montmirail pour établir une confrérie de Charité: "Al­ lez donc, mademoiselle, allez au nom de Notre-Seigneur; je prie sa divine bonté qu'elle vous accompagne, qu’el­ le soit votre saulas en votre chemin, votre ombre con­ tre l’ardeur du soleil, votre couvert à la pluie et au froid, votre lit mollet en votre lassitude, votre for­

ce en votre travail, et qu‘enfin, il vous ramène en bonne santé et pleine de bonnes oeuvres.-1'” ses bon­ nes oeuvres consistaient à faire rassembler les jeu-

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nés filles, à les cathéchiser et à les instruire des devoirs de la vie chrétienne.

Ce ne fut pourtant qu ’après de longues instances auprès de saint vincent de Paul que la grande oeuvre fut accomplie. Vers la fin de 1633, saint Vincent choisit enfin quelques filles qu’ il réunit dans la maison de Mademoiselle Le Gras, pour une sorte de noviciat. Il faut ici encore rappeler

la correspondance: ” Il sera bon que vous leur disiez en quoi consistent les solides vertus, notamment cel­ le de la mortification intérieure et extérieure de notre jugement, de notre volonté, des ressouvenirs, du voir, de l’écouter, du parler et des autres sens; des affections que nous avons aux choses mauvaises, inutiles et meme des bonnes, pour l’amour de Notre Seigneur, qui en a usé de la sorte.I” C’est tou­

jours la formation morale et religieuse qui est 1’ idée dominante de saint Vincent de Paul et de sa

collaboratrice, cette première "Fille de la charité”. Pour mettre la religion à la portée de toutes les femmes du 17ième siècle, il réunit en assemblée tou­

tes les Filles qui se trouvaient à Paris, nomma Ma­ demoiselle Le Gras, supérieure et leur montra la

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beauté de leur vocation. La première étude qu’il sug­ gère e3t celle de la religion. Une femme étudie non seulement pour elle-m^eme, mais pour les âmes qui lui sont confiées, et toujours on place la religion au premier rang. Ces Filles de la Charité ouvrirent en beaucoup d’endroits des écoles pour les petites fil­

les indigentes. "Très volontiers, je prie Notre Sei­ gneur qu’il donne sa sainte bénédiction à nos très chères soeurs, et qu'il leur fasse part de l’esprit qu’il a donné aux saintes dames qui l’accompagnaient,

et coopéraient avec lui à l’assistance des pauvres malades et à l’instruction des enfants.^-"

Comme Monseigneur Spalding le dit: "A travers tous les âges, l’homme s’est mon­ tré injuste, cruel meme envers l’homme, mais la fem­ me a paru reléguée par-delà les limites de l’humanité.

C’était un objet qu’on achetait et qu’on vendait, a- vec lequel on jouait aux heures d’oisiveté, et qu’ on enfermait le reste du temps dans la double obs­ curité, si j’ose ainsi dire, de l’ignorance et de la séquestration.ce fut saint Vincent de Paul

(I) "Saint Vincent de Paul " : J. Calvet, Page 58 (2) "L’Education supérieure des Femmes": Mgr Spalding

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qui s’occupa plus spécialement des femmes délais­ sées. C’est grâce à lui que s’est imprégné pro­ fondément chez les femmes, le véritable esprit chrétien. Il se dépensa joyeusement et sacri­ fia beaucoup de son temps à aider la femme du 17

iême siècle.

Un grand philosophe l’a dit: " On réformerait le monde si l’on réformait l’é­ ducation.” Ne pourrait-on pas ajouter: et l’on réformerait vite l’éducation, si on la concevait

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CHAPITRE III

LES JANSENISTES ET PORT-ROYAL.

Dans l’éducation des femmes du 17ième siècle, on peut distinguer un autre cou - rant qui est tout à fait différent de celui du cou­ rant catholique. C’est le courant janséniste. L’é­ ducation des jeunes filles préoccupait les jansé - nistes considérablement, elle semble avoir obsédé 1’

esprit de Jacqueline Arnauld, connue sous le nom de Mère Angélique. Il faut rappeler d’abord la concep­

tion janséniste de l’éducation.

La nature de l’homme est dorrompue depuis la faute d'Adam et d’Eve. L’en­ fant est essentiellement mauvais; mais comme il a reçu le baptême, il sera préservé du mal et pren­ dra l’habitude du bien si l’on élève autour de lui des barrières insurmontables. Trompée par ses croy­ ances ascétiques, Mère Angélique est, avec ses mai- tresses d’une vigilance stricte sur les jeunes fil­ les. Ce qui domine, ce qui revient sans cesse à Port-Royal, c’est l’idée que la nature humaine est

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mauvaise. Port-Royal-des-Champs était un couvent de religieuses bernardines fondé au douzième siècle. Au commencement du dix-septième siècle, la supérieure, Mère Angélique, réforma le monastère; et comme les bâtiments étaient devenus trop étroits pour le nom­ bre des religieuses, elle transféra sa communauté à

Paris. Devenu vacante, l’abbaye devint l’asile d’ un certain nombre d’hommes austères et imbus des doc­

trines jansénistes. Les doctrines jansénistes sur la liberté humaine et la grâce divine coiisistent es­ sentiellement dans les points suivants; "La volonté de l’homme est comme une balance qui penche essen­ tiellement du côté le plus fort; si elle penche du cô­ té du bien, c’est qu’elle est nécessairement attirée au bien; si elle penche du côté du mal, c’est qu’elle est nécessairement attirée au mal."

"La grâce divine n’est pas accordée à tous les hommes, mais seulement à ceux que Dieu a prédestinés et pour qui Jésus-Christ est mort.” Quand les justes font le bien, c’est qu’ils ont une

grâce à laquelle ils ne peuvent résister; si quelques fois ils font le mal, c’est qu’ils n’ons pas la grâce indispensable•

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"Les pécheurs, ceux que Dieu n’a pas prédestinés, et pour qui Jésus-Christ n’est pas mort, n’ont pas la grâce indispensable pour faire le bien, et cependant ils sont coupables de ne pas le fai­ re parce que leur volonté, bien qu’étant nécessitée, n’est pas contrainte."

Les jansénistes avaient une con­ duite très austère. Par un respect exagéré pour les

sacrements, ils s’en approchaient très rarement. Ils exigeaient, pour recevoir l'absolution, la contrition parfaite, qu’ils déclaraient très difficle à obtenir; de la sorte, ils décourageaient les pécheurs de se

convertir. Ils exigeaient, pour recevoir la commu­ nion des dispositions si parfaites, qu’elles étaient

presque impossibles.

Tout en vaquant à la prière et aux travaux manuels, les Jansénistes s’occupèrent d’ éducation. En 1643, ils ouvrirent une école à Port- Royal; ils en fondèrent aux Grandes, au Château des Trous et au Chesnai, près de Versailles. 113 leur donnèrent le nom de "petites écoles". Les religieu­ ses s’occupèrent de l’éducation des filles. Comme

I

nous avons dit (Jacqueline Pascal) Mère Angélique fut spécialement chargée de cette oeuvre. Le rè­

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glement qu’elle traça est très sévère et montre son auteur profondément imprégné de l’esprit de l’Augus- tinus. Mère Angélique se défie de la conversation, de la sociabilité. Elle déforme la pédagogie catho­

lique. Elle fait faire à ses jeunes filles de gran­ des abstinences. Les exercices de dévotion sont nom­ breux et les lectures spirituelles bien au-dessusde

l’âge des enfants. L’idée de la mortification néces­ saire est accentuée. L’enseignement jansénistique imposait une morale sévère, le renoncement aux plai­ sirs du monde. C’est tout le contraire de la doc­ trine catholique au sujet de l’éducation des jeunes filles, qui est une doctrine de douceur et de bonté. Afin d’éviter toute dissipation et d’anéantir toute inclination naturelle, toutes les récréations sont courtes. On interdit aux jeunes filles les manifes­ tations extérieures de l’amitié et l’amitié elle-me- me, Les jeunes personnes doivent tenir les yeux baissés sans regarder d’un côté à l’autre. Un si­

lence parfait est imposé. Toutes les jeunes filles sont considérées comme des religieuses et traitées en petites novices. Elles font les cérémonies du choeur; leur instruction religieuse est tracée sur les disciplines monastiques auxquelles elles ne peu­ vent rien comprendre. Il arrive on le conçoit aisé­

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ment, que le plus fréquent résultat de cette éducation est de les dégoûter de la dévotion dont elles n’ont vu que les routines et de les jeter dans le monde, à sei­

ze ans, ignorantes de leur religion et dénuées de cul­ ture morale. Le programme est peu étendu. Il est mê­ me étroit, et Nicole avait raison de dire que pour 1’ esprit, Jacqueline Pascal ... nourrissait ses élèves de pain et d’eau.I" Pour les filles, le règlement in­ diquait le cathéchisme, l’application des vertus chré­ tiennes, la lecture, l’écriture, l’Evangile, le chant d’église et un peu d’arithmétique. La formation mora­

le des jeunes filles était la préoccupation constante de Mère Angélique. Elle a essayé de discipliner la vo­ lonté et le coeur des jeunes filles, mais elle y a mis trop de zèle humain, trop d’orgueil même, et à cause de l’étroitesse et de la rigueur de ses idées religieu­ ses, son oeuvre d’éducation des jeunes filles fut in­ complète et manquée; Ainsi donc, au lieu d’appliquer les principes de la pédagogie catholique, Mère Arnauld les déforma. Son système d’éducation est d’une sévé­ rité excessive. Il y régnait une surveillance inces­ sante, qui n’était pas intelligente. Elle ne faisait pas confiance à la nature humaine, déchue, il est vrai, mais restaurée par la Rédemption. Les

mé-(I) "Histoire critique des Doctrines de l’éducation en France: Gompayre."

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thodes jansénistes eurent cependant quelques principes excellents, mais dont ils furent très rarement les ini­ tiateurs. Rappelons-nous aussi que l’influence jansé­ niste sur la jeunesse fut très restreinte puisque ces précepteurs n'eurent jamais plus de cinquante élèves à la fois dans leurs écoles et que ces écoles durèrent à peine quinze ans. Le mérite de Port-Royal fut de com­ prendre la nécessité de l’éducation à une époque où

cet important devoir était négligé, mais ils ne surent pas garder la mesure convenable dans une réforme bonne en soi et nécessaire. La pédagogie janséniste tout im­ bibée de défiance, de soupçon et de tristesse ne peut guère engendrer que le ratatinement des âmes. Elle est contraire à l’esprit français qui a besoin de joie et d’épanouissement, contraire à l’esprit chrétien qui con­

sidère la tristesse comme une maladie; Tristitia autem saeculi mortem operatur, dit saint Paul; contraire à 1’ esprit tout court. Aussi, va-t-elle rencontrer une ré­ action sérieuse; réaction mondaine, celle des Précieuses de Molière; réaction plus sérieuse, plus chrétiennement

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CHAPITRE IV

EDUCATION MONDAINE. LES PRECIEUSES.

En dehors des couvents, à côté de l’effort janséniste, s’élabore une pédagogie mon - daine, s’esquissent des théories .qui vont mettre la question de l’éducation féminine en singulier relief. Ainsi donc, après les fureurs religieuses des débuts du siècle, quand la France commença à se reposer, à

se refaire, à la fin du règne de Louis XIII, il se forma une petite société polie, curieuse de beau langage et de littérature, d’éducation féminine. Peu à peu le nombre de ces femmes du monde s’accrut. Vers 1607, Catherine de Vivonne, marquise de Rambouillet, âgée d’une vingtaine d’années ne voulut plus aller aux as­ semblées du Louvre. Les vieux courtisans du Béarnais n’étaient guère raffinés et elle voulut avoir une so­ ciété à elle. Elle se retira dans sa maison et comme elle était aimable, fort cultivée, sachant l’espagnol et l’italien, comme elle était riche, comme elle avait beaucoup d’esprit, son hôtel devint en peu de temps,

le rendez-vous d’une société choisie de dames, de seigneurs et de gens de lettres. En 1618, Madame de

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Rambouillet fit bâtir à Paris, l’Hôtel de Rambouillet. C’était là qu’elle réunissait ses amis dans la chambre bleue. Son lit, placé probablement, la tête au mur et sur lequel elle devait s’étendre pour recevoir, selon l’usage, était séparé du reste de la pièce par une ba­ lustrade. C’était une faveur que d’être admis dans 1’ espace compris entre le mur et le lit: dans la "ruelle”. Douze ou dix-huit sièges meublaient la chambre bleue, fauteuils, chaises ou chaises pliantes, qu’il fallait distribuer aux dames suivant leur qualité. Voilà le cadre où se forma pendant quarante ans, mais

principa-i

lement entre 1630 et 1645, l’éducation d’un certain groupe de femmes. Il n’y avait pas de méthode, pro­

prement dite. Elles disputaient sur le sens, le mérite, l’orthographe des mots. On y voit des hommes du monde et des écrivains se réunissant pour s’entretenir de questions sérieuses avec des femmes et sous la direc­

tion d’une femme. On voit là des duchesses et des bourgeoises comme, par exemple, Madame de Longueville, Mademoiselle de Montpensier, Mademoiselle de La Fayette et Mademoiselle de Scudéry. Bossuet encore adolescent, y prononça son premier sermon. Corneille y lisait ses tragédies; enfin les écrivains venaient chercher dans une société éclairée l’encouragement qu’ils ne trou­

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avec les hommes, élargirent leur science, et de cette façon elles avancèrent à grands pas dans l’éducation.

Vers 1645, le déclin du salon

commença. La "chambre bleue" perdit sa vraie précieuse. En 1648, Madame de Rambouillet se retira dans ses terres,

et, sans fermer ses portes, le salon perdit peu à peu son éclat. Mais la mode était lancée et partout d’au­ tres "réduits" et d’autres "ruelles" se formèrent. La concurrence commença. Il y avait les réceptions de la marquise de Sablé, de Madame de Bouchavannes ou de Ma­ dame de Brégis, mais surtout, les "samedis" de Mademoi­

selle de Scudéry. Les imitations du salon de Rambouil­ let, ne manquaient pas de pousser à l’abus les tendances de leur modèle. Naturellement, quelques dames perdirent leur bon sens. Ce fait n’est pas surprenant parce que sans aide, sans direction, la femme était obligée de chercher à ses risques et périls, les moyens de s’ins­ truire .

Mademoiselle de Scudéry s’efforça de faire régner la politesse et le raffinement autour d’elle, mais elle tomba souvent dans l’affectation. Elle et ses imitatrices exagéraient les questions de

littérature et de grammaire. On manquait dans le salon tout à fait de naturel et de simplicité. La recherche

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et la subtilité que développaient le salon conduisirent quelques femmes à la préciosité.

Gomme on sait, la préciosité consiste dans l’exagération du raffinement, l’extrava­ gance de la politesse et le culte trop exclusif de l’es­ prit et du jeu de mots. Ce fut surtout une maladie du langage. Chacun s’efforça, dans les salons des précieu­ ses, mais particulièrement dans celui de Mademoiselle de Scudéry, d’employer le langage le plus affecté. On eut recours aux périphrases les plus contournées pour dire les choses les plus simples, c’est ainsi que des dents devinrent "l’ameublement de la bouche"; un verre d’eau, "un bain intérieur"; les joues "les trônes de la pudeur"; un sergent de police, "un mauvais ange des criminels"; la perruque, "la jeunesse des vieillards"; le balai, "l’instrument de la propreté". On multiplait les adverbes comme "furieusement, magnifiquement", ainsi que les adjectifs pompeux.

Mademoiselle de Scudéry écrivit des romans précieux. Dans Clélie, roman de dix volumes,

se trouve la fameuse "Carte du Tendre", c’était dans ses romans que Mademoiselle de Scudéry donnait des con­ seils aux femmes à propos de leur éducation. Rien ne lui paraissait moins digne d’une dame que d’etre "la

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femme de son mari, la mère de ses enfants, la maîtresse de sa famille.En 1659, Mademoiselle de Scudéry, dans

le Grand Cyru3, exposa ses idées sur la pauvreté de 1’ éducation féminine. "Y a-t-il rien de plus bizarre que de voir comme on agit d’’ordinaire en l’éducation des femmes? On ne veut pas qu’elles soient coquettes ou

galantes et on leur permet pourtant d’apprendre soigneu­ sement tout ce qui est propre à la galanterie sans leur permettre de savoir rien qui puisse occuper leur esprit ni fortifier leur vertu. Une femme qui ne peut danser que cinq ou six ans de sa vie en emploie dix ou douze à apprendre continuellement ce qu’elle ne doit faire que cinq ou six ans, et à cette personne qui est obli­ gée d'avoir du jugement jusqu’à la mort et de parler

jusqu’à son dernier soupir, on ne lui apprend rien du tout qui puisse ni la faire agir avec plus de conduite... Que l’on fait donc peu pour donner du savoir et de la

clairvoyance à notre sexe... Jusqu’à présent et sauf quelques rares exceptions, l’instruction des filles ne va pas au-delà de la lecture, de l’écriture, de la danse et du chant. Et malgré cela, les hommes veulent que dans toutes les circonstances de la vie, les femmes aient un jugement raisonnable qu’ils n’ont pas eux-memes. Il ne s’agit point pour elles de faire provision de

grandes connaissances spéciales, mais d’être capables

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de comprendra la conversation de l’homme instruit, de pouvoir disserter sur toutes choses, non par sentences, et comme un livre, mais en quelque sorte comme la saine ■raison humaine qui médite et n’a pas à rougir de son

savoir... à la vérité,je voudrait qu’on eût autant de souci d’armer son esprit que son corps.”

Cette sorte de manifeste qui rappelle Christine de fisan laisse voir que le progrès féminin du côté de la science était encore tardigrade

et que les femmes n’étaient pas aussi disposées à se résigner à l’ignorance. Ce manifeste laiss'e entendre aussi que même à cette époque de préciosité, le savoir des femmes les plus illustres était singulièrement iné­ gal et souvent bien court. D’ailleurs les faits démon­ traient que plus d’une grande dame ne savait ni lire, ni écrire correctement. "Les femmes de la bourgeoisie y étaient encore dans la seconde moitié du 17ième siè­

cle, incapables d’écrire leur nom.^” Madame de Main- tenon écrivit qu’à l’âge de douze ans, elle passait avec une cousine à peu près du même âge une partie du jour à garder les dindons d’une vieille tante qui 1’ avait recueillie, "On nous plaquait un masque sur notre nez, raconte-t-elle gaiement, car on avait peuh

que nous ne nous hâlassions. On nous mettait au bras

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un petit panier où était notre déjeuner, avec un livret de quatrains de Pibrac, dont on nous donnait quelques pages à apprendre par jour; on nous mettait une grande gaule dans la main et on nous chargeait d’empêcher les dindons d’aller où ils ne devaient point aller.Il

serait cruel de voir en cette page de Madame de Maintenon, une image de la réalité; des petits français ne seront

jamais des dindons, et leurs mères des bergères ou des filles de ferme.

Quoi qu’il en soit, la science des femmes du 17ième siècle était en général inégale et courte. En 1688, La Bruyère publia ses Caractère^. Dans son chapitre "Des Femmes", il distingue deux clas­ ses de femmes: "Il y a dans quelques femmes une gran­ deur artificielle, attachée au mouvement des yeux, à un air de tête, aux façons de marcher, et qui ne va

pas plus loin, un esprit éblouissant qui impose, et que l’on n’estime que parce qu’il n’est pas approfondi. Il y a dans quelques autres, une grandeur simple, na­ turelle, indépendante du geste et de la démarche, qui a sa source dans le coeur, et qui est comme une suite de leur haute naissance; un mérite paisible mais

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lide, accompagné de mille vertus qu’elles ne peuvent couvrir de toute leur modestie, qui échappent et qui se montrent à ceux qui ont des yeux, "selon La Bruy­ ère, n’y avait-il pas des exceptions à l’ignorance féminine officiellement acceptées? Oui, semble-t-il.

Et ces exceptions ont paru si peu conformes aux idées reçues que Molière, le grand peintre de son siècle n’a pas manqué de les remarquer et de grossir cruel­ lement leurs traits

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CHAPITRE V

MOLIERE.

C’est à cause de ses quatres pièces: les Précieuses ridicules, (1659), l'Ecole des Maris (1661), l’Ecole des Femmes (1662) et les Femmes savantes (1672), qu’on peut classer Molière parmi les pédagogues du 17ième siècle. Dans ces pièces, on voit les conditions faites à l’éducation féminine en plein 17ième siècle. Etudions ici certaines opinions des personnages pour mieux juger la leçon donnée par 1’ auteur et son esquisse d’éducation féminine. Rappe­ lons-nous d’abord que c’est à la bourgeoisie que Molière emprunte ses personnages.

Les Précieuses ridicules sont une critique contre les pédantes qui imitaient avec exagération les manières et le langage de 1’ Hôtel de Rambouillet. Dans cette pièce, Molière con­

sidère la question de l’instruction féminine du point de vue de la vie de société. L’auteur y montre quel­ ques types féminins variés dans l’orgueil, la vanité et l’extravagance. Et par le truchement des person­ nages de Cathos et de Magdelen, il met en lumière les

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propos qui représentaient l’opinion publique sur la question. Il prend ces personnages pour ainsi dire, à l’état de bourgeoisie pures presque exclusivement dans leur vie domestique.

Cathos et Magdelon, pour être à la mode, ont prix les noms de Polixène et d’Aminthe. Eprises du grec et de l’astronomie, elles cherchent à attirer chez elles les savants du temps. Ces deux pédantes ont repoussé leurs prétendants parce qu’ils ne sont pas suffisamment beaux esprits et sont assez peu poétiques pour vouloir se marier avent d’avoir exploré pendant plusieurs mois le pays du "Tendre” qui se trouve dans Clélie, le roman précieux en dix volumes, de Mademoiselle de Scudéry. Car, "le mariage ne doit

jamais arriver qu’après les autres aventures,” (scène IV)• Polixène et Aminthe adoptent la conversation de Mademoiselle de Scudéry. Un valet devient un "néces­

saire”, un miroir, le "conseiller des grâces” et un fauteuil, une "commodité de la conversation". "Vite, venez nous tendre ici dedans le conseiller des grâces','

clament-elles, comme deux oies qu’elles sont, (scène VI) Elles n’adoptent pas seulement la conversation, mais encore les idées de Mademoiselle de Scudéry dont une s’exprime dans les mots de Cathos:

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"Pour mol, mon oncle, tout ce que je puis vous dire, c’est que je trouve le mariage une chose tout à fait choquante." (scène IV). Quand on connaît Molière, peut-on imaginer déclaration plus capable d’exciter sa verve colérique?

La préciosité de ces deux per­ sonnages n’est que vanité pure et vanité niaise. Elles ont la tête tournée par de sottes lectures prises au sérieux. Elles veulent obtenir la réputation de bel esprit que Molière rejette comme bien l’on pense. Le retour des femmes aux soins de la famille, c’est là

le désir de Molière. "Ces deux femmes sont des chi­ pies. c’est de cela que Molière les raille. Pas seulement leur langage et leurs vanités mondaines; mais ce sont des femmes impossibles.-^” Elle se rendent ridicules, font de Corgibus, leur père, un objet de risée et ruinent la maison avec leur pom­ made et leurs parfums. Elles dépensent à se "grais­

ser le museau" de quoi entretenir une famille et mener carosse.

Comprenons bien que ce n’est pas la vraie science qui a rendu à peu près folles Magdelon et Cathos, mais la lecture des romans et la fureur de vivre au-dessus de leur condition.

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dre impardonnable à une époque où tout est réglé, où tout doit prendre et garder sa place pour l’harmonie de l’ensemble.

L’Ecole des Maris porte elle aussi à la scène des problèmes qui ont trait à l’édu­

cation. Cette pièce sans paraître y prendre garde soulève rien de moins que la question de l’enseigne­ ment et de l’éducation des filles. Comment résoudre

la difficulté d’élever assez sagement une jeune fille? Voilà la première question que Molière pose.

Sganarelle et Ariste élèvent chacun sa pupille. Celui-là tient Isabelle dans la plus dure contrainte. Celui-ci est plus indulgent pour Léonor. Chez Ariste, un autre personnage bour­ geois, Molière nous montre qu’il veut l’indépendance et la liberté pour la femme.

11 Leur sexe aime à jouir fl’un peu de liberté ” ” On le retient fort mal par tant d’austérité”

(Acte I, Scène II) Ce partisan de la liberté est honoré, respecté et aimé. Molière plaide donc pour l’indulgence dans l’éducation, à ce qu’il semble.

” Et les soins défiants, les verrous et les grilles” ” Ne font pas la vertu des femmes, ni des filles.” ” d’est l’honneur qui les doit tenir dans le devoir”

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"C’est l’honneur qui les doit tenir dans le devoir," "Non la sévérité que nous leur faisons voir. " "C’est une étrange chose, à vous parler sans feinte" "Qu'une femme, qui n'est sage que par contrainte. " "En vain sur tous ses pas nous prétendons régner: " "Je trouve que le coeur est ce qu'il faut gagner. "

(Acte I, Scène II)

Ce dernier trait est une préface aux réclamations de 1’ archevêque de Cambrai: l’éducation sans contrainte et 1’ éducation par le coeur; rien de plus français, rien qui fasse plus honneur à Molière si nous l’avons bien com­ pris. C’est, on le voit, tout l’opposé de la pédagogie janséniste ou parajansénistique. Et il faut regretter que Molière n’ait pas insisté. Avouons, à sa décharge, qu’un auteur comique n'est pas par profession, un théo­ ricien •

Il semble revenir un peu sur ce point dans l'Ecole des Femmes. Dans l’Ecole des Femmes en effet, il s’agit surtout de l’instruction des jeunes filles. Dans cette pièce, Molière traite la question du

point de vue des maris.

Molière craint pour le mari et les enfants, pour la paix du ménage et pour la paix so­ ciale, l’abscense systématique de ce qu’il nomme si bien les "clartés."

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" Il est assez ennuyeux, que je crois, " ” D’avoir toute sa vie une bâte avec sol. " (Acte I, Scène I)

Vivre avec "une bâte", c'est l’encouragement continuel à s’évader, à chercher la paix dehors, voire à risquer l’infidélité par dégoût et par besoin de tendresse in­ telligente. Molière ici encore, donne un bon coup d’ épaule à la cause féminine. Il ne soutient pas que la femme est intelligente: ce serait un truisme. Mais il laisse bien voir qu’une intelligence qui ne s’applique à rien verse à court délai dans la sottise, dans l’im- bécilité. Et "partout où il y a un imbécile, écrit de nos jours Léon Bloy, il y a du danger."

Et voici pour la vie conju­ gale. Encore que l’argumentation de Molière paraisse assez spécieuse.

" Gomment voulez-vous, après tout, qu’une bête " " Fuisse jamais savoir ce que c’est qu’être honnête" " Une femme d’esprit peut trahir son devoir, " " Mais il faut pour le moins qu’elle ose le vouloir" " Et la stupide au sien peut manquer d’ordinaire " " Sans en avoir l’envie et sans penser le faire! "

Ainsi au temps de Molière rai­ sonnaient bourgeois et grands seigneurs. Four leurs

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fil-les et leurs femmes, ils réclamaient moins l’instruc­ tion qu'une véritable éducation qui fit d’elles des épouses conscientes de leur dignité, des mères capa­ bles d’élever leurs enfants, des maîtresses de maison

sachant faire aller le ménage et conduire les domes­ tiques. Il ne faut pas tenir une femme dans l’igno­ rance, selon Molière. "Il ne faut pas lui imposer un esclavage humiliant; il faut la traiter en personne moral6, faire appel à son intelligence et à son coeur. Il y a là, si je ne me trompe, une doctrine très rai­

sonnable sur l’éducation des femmes et sur le sort qu’ il faut leur faire dans le mariage. Molière estime donc qu’elles ont droit à une certaine éducation in­

tellectuelle et morale et qu’elles ont droit d’etre les compagnes, non les esclaves de leur mari. Tel est l’enseignement qui ressort de l’Ecole des Femmes, une thèse de simple bon sens, delibéralisme sage que Molière établit. Et il n’y a là-dedans ni métaphysique, ni li­ bertinage, ni philosophie de la nature.^1’ C’est l’ou­ trance du ton qui infirme un peu la pensée de Molière, et l’outrance des personnages qui parlent pour dépasser la rampe et atteindre au fond du théâtre les derniers spectateurs.

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Cependant, la comédie où Molière présente le mieux sa pensée, c’est bien celle des Femmes savantes» Dans cette comédie, Molière résume

tout d’abord les idées traditionnelles sur l’éducation des femmes. Il le fait par la voix grondante de Chry- sale, exaspéré qu’on néglige la cuisine pour lorgner la lune et les étoiles:

” Il n’est pas bien honnête et pour beaucoup de causas" " Qu’une femme étudie et sache tant de choses. ” " Former aux bonnes moeurs l’esprit de ses enfants, ” ” Faire aller son ménage, avoir l’oeil sur ses gens,” ” Et régler la dépense avec économie, ” ” Doit être son étude et sa philosophie ... ”

(Acte II, Scène VII) Les femmes d’autrefois,grogne Chrysale,

” ... ne lisaient point, mais elles vivaient bien;” ” Leurs ménages étaient tout leur docte entretien, ” ” Et leurs livres, un dé, du fil et des aiguilles ” ” Dont elles travaillaient au trousseau de leurs filles” ” Les femmes d’à présent sont bien loin de ces moeurs.”

Comprenons bien: Chrysale est le lau- dator temporis acti. Il représente à merveille les vieux pères de famille d’aujourd’hui qui jettent les hauts cris en voyant leurs filles jouer au tennis, pratiquer la na­

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tation, passer leur baccalauréat, et qui, dans l’intime, sont ravis de contentement.

C’est Clitandre qui exprime, d’après les critiques avertis, la pensée de Molière, pensée d’ail­ leurs assez peu précise. Clitandre n’aime pas la femme docteur qui a la passion choquante.

" De se rendre savante, afin d’être savante.”

On saisit bien qu’il s’agit de pédantisme et d’affecta­ tion dans la science. Car Clitandre consent bien

“ ... qu’une femme ait des clartés de tout,',' ” Et qu’elle ait du savoir, (mais) sans vouloir

qu’on le sache. " (Acte I, Scène III)

D’ailleurs Clitandre n’est pas douce pour les pédants masculins qui ont perdu l’esprit,

" Pour avoir employé neuf ou dix mille veilles ” ” A se bien barbouiller de grec et de latin, ” " Et se changer l’esprit d’un ténébreux butin.." " Inhabiles à tout, vides de sens commun, " ” Et pleins d’un ridicule et d’une impertinence" " A décrier partout l’esprit et la science. " (Acte IV, Scène III) De toutes ces déclarations exas­ pérées, il ressort que Molière réclame la science pour les femmes, mais une science qui reste modeste:

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Molière aime la femme charmante. Et une pédante est- elle charmante? Molière aime la femme nature: la pé­ dante et la faiseuse de livres, la femme astrologue,

la femme cartésienne sont-elles natures?

Molière semble craindre qu’ une instruction trop poussée nuise aux qualités natu­ relles féminines, détourne la femme de sa tâche primor­ diale et la rende moins propre à son noble rôle d’é­

pouse et de mère. Il réagit donc contre les romanes­ ques, les précieuses et les pédantes. Il estime la

science chez les femmes, mais la science qui ne nuit pas au charme féminin dont il parait particulièrement épri^.

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CHAPITRE VI

MADAME DE SEVIGNE.

Molière, en ridiculisant les femmes savantes, ne visait certainement pas une grande dame d’un coeur et d’un esprit solides, Madame de Sévigné, issue d’une grande famille illustrée par beaucoup de talents et de vertus. Cette femme célèbre était la petite-fille de sainte Jeanne de Chantal. Par les qualités de son esprit ainsi que par ses talents de société, Madame de Sévigné fait bonne figure parmi les éducatrices du lVième siècle. Omettre son nom serait donner une idée incom­ plète de l’éducation féminine à cette époque.

Madame de Sévigné avait une ex­ cellente éducation. Orpheline de bonne heure, elle fut élevée par son oncle l’abbé de Coulanges, qui choisit pour elle les plus célèbres professeurs du moment,

Chapelain et Ménage. Ces deux savants lui enseignèrent l’italien et l’espagnol et même un peu de latin.

Chapelain lui apprit à lire Virgile. A cette éducation on peut ajouter celle qui lui vint de ses lectures et de la fréquentation des personnes les plus distinguées.

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Ses ''Lettres" qui ambrassent une période de vingt ans révèlent une science profonde. Les lettres les plus intéressantes sont adressées à sa fille. Aucun signe d’affectation n’y apparait. Elle tenait en horreur le pédantisme du temps. Elle ne se contentait pas de posséder "des clartés de tout". Elle lisait et relisait. Elle a un goût très vif pour la lecture. Pendant les vingt ans de sa correspondance, il ne paraîtra pas un livre qu’elle n’ait lu. Tout de suite, elle le signale à sa fille, Madame de Grignan. "Don Quichotte, Lucien, les Petites Lettres; voilà ce qui nous accupe.."^ Elle montre son choix de lectures:

"Nous relisons aussi, à travers nos grandes lectures, des rogatons que nous trouvons sous notre main, par

exemple, toutes les belles oraisons funèbres de Monsieur de Meaux, de Monsieur l’abbé Fléchier, de Monsieur de Mascaron, de Bourdaloue; nous repleurons Monsieur de Turenne, Madame de Montausier, Monsieur le Prince, feu Madame, la reine d’Angleterre; nous admirons ce portrait de Cromwell..J* (2)

A mesure que le siècle avance en âge, on voit les femmes chercher la bonne compagnie pour s’instruire. Quoique Madame de Sévigné brillât dans les milieux de qualité, elle n’avait aucun rapport

(1) "La Correspondance de Madame de Sévigné". 23 juillet 1677.

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avec les précieuses. Elle réunissait chez elle l’élite de la société du temps, et par-ci par-la, allait faire un tour à Versailles. "Je fis ma cour, l’autre jour à Saint-Cyr, plus agréablement que je n’eusse jamais pensé. Nous y allâmes samedi, Madame de Coulanges, Madame de Bagnols, l’abbé Têtu et moi.^" Sa correspondance con­ tient une abondance de récits qui se rapportent aux grandes pièces dramatiques du siècle de Louis XIV.

Pas une ne lui échappe. "Le Roi et toute la cour sont charmés de la tragédie d’Esther.^" Elle donne son avis sur tout ce qui paraît. "Je trouve pourtant, à mon

petit sens, qu’elle (Bérénice) ne surpasse pas Andromaque.3" Les grands auteurs tiennent une grande place dans ses

lettres. "Nous tâchons d’amuser notre bon cardinal: Corneille lui a lu une pièce qui sera jouée dans quelque temps, et qui fait souvenir des anciennes. Molière lui lira samedi, Trissotin qui est une fort plaisante chose. Despréaux lui donnera son Lutrin et sa poétique; voilà

tout ce qu’on peut faire pour son service.4"

Madame de Sévigné trouva toujours le bonheur dans son amour pour sa fille. Elle ne perdit

(I) "La Correspondance de Madame de Sévigné."21 février 1689

(2) Ibid. 31 j anvier 1683

(3) Ibid. 15 janvier 1672

Références

Documents relatifs