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Terre de parole, Terre de partage? : regard anthropologique sur les relations interethniques dans les bars et nakamals de Nouméa (Nouvelle-Calédonie)

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Academic year: 2021

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Terre de parole, Terre de partage ?

: regard

anthropologique sur les relations interethniques dans

les bars et nakamals de Nouméa (Nouvelle-Calédonie).

Mémoire

Jean-Félix Poulin

Maîtrise en anthropologie - avec mémoire

Maître ès arts (M.A.)

Québec, Canada

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Terre de parole, Terre de partage ?

Regard anthropologique sur les relations interethniques

dans les bars et nakamals de Nouméa

(Nouvelle-Calédonie)

Mémoire

Jean-Félix Poulin

Sous la direction de :

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ii Résumé

L’objectif de ce mémoire est de décrire et analyser les dynamiques sociales à l’œuvre dans deux types de lieux importants de la sociabilité de Nouméa, en Nouvelle-Calédonie, les bars et boîtes de nuit ainsi que les nakamals (bars à kava), en tenant compte du contexte sociopolitique global dans lequel elles s’inscrivent. Ne pouvant pas couvrir l’ensemble des bars, boîtes de nuit et nakamals de Nouméa, la recherche porte particulièrement sur douze lieux, six bars et boîtes de nuit ainsi que six nakamals, situés dans quatre différentes régions de la ville. L’analyse de certaines « situations sociales » révélatrices observées dans ces lieux démontre que le type d’espace dans lequel se déroulent les situations, ainsi que les substances qu’on y consomme, influencent les types de rapports sociaux qui y prennent place. La recherche révèle ainsi que les nakamals sont les lieux les plus susceptibles d’être la scène de différentes formes de réconciliation entre membres de communautés ethniques différentes, alors que dans les bars et boîtes de nuit, les relations interethniques sont généralement plus tendues, voire conflictuelles, ce qui participe au maintien d’un sentiment d’insécurité.

Mots-clés : Nouvelle-Calédonie, ethnicité, Kanak, Zoreille, Caldoche, Nouméa, milieu urbain, bar, boîte de nuit, nakamal, kava, insécurité, réconciliation.

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iii Abstract

The purpose of this thesis is to describe and analyze the social dynamics at work in two types of important places of sociability, bars and nightclubs as well as nakamals, in Nouméa, New Caledonia, taking into account the overall socio-political context in which they take place. Not being able to cover all the bars, clubs and nakamals (kava bars) of Nouméa, the research focuses on 12 places, 6 bars and nightclubs and 6 nakamals, located in 4 different areas of the city. The analysis of certain revealing “social situations” observed in these places shows that the type of space in which the situations take place, as well as the substances that are consumed therein, influence the types of social relations that take place. Research thus reveals that nakamals are the most likely places to stage different forms of reconciliation between members of different ethnic communities, whereas in bars and nightclubs, interethnic relations are rather tense, if not conflictual, which contributes to maintain a feeling of insecurity.

Keywords: New Caledonia, ethnicity, Kanak, Zoreille, Caldoche, Nouméa, urban setting, bar, nightclub, nakamal, kava, insecurity, reconciliation.

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iv Table des matières

Résumé ... ii

Abstract... iii

Liste des figures ... vi

Remerciements ... vii

Introduction ... 1

Chapitre 1 : Éléments du contexte historique et sociopolitique de la Nouvelle-Calédonie et de son centre urbain ... 5

1.1 Époque coloniale ... 5

1.2.1 Montée du mouvement indépendantiste ... 9

1.2.2 Les Évènements (1984-1988) ... 10

1.2.3 Des accords pour sortir de la crise et bâtir un « destin commun » ... 11

1.3 La ville de Nouméa et sa diversité ... 12

Chapitre 2 : Cadre conceptuel et méthodologique ... 28

2.1.1 Anthropologie urbaine ... 28

2.1.1.1 École de Chicago ... 29

2.1.1.2 Rhodes-Livingstone Institute ... 30

2.1.2 Anthropologie des conflits et de la violence ... 31

2.1.3 Anthropologie de la Paix ... 34

2.1.4. Anthropologie de l’espace ... 37

2.1.6 Anthropologie de l’ethnicité et de l’identité ... 40

2.2 Cadre Méthodologique ... 45

2.2.1 Stratégie de recherche ... 45

2.2.2 Techniques de collecte des données ... 47

2.2.2.1 L’observation participante et le journal de terrain ... 47

2.2.2.2 L’entretien informel et l’entretien semi-dirigé ... 48

2.2.4 L’analyse des données ... 51

Chapitre 3. Virée nocturne dans les bars et boîtes de nuit ... 54

3.1 Les Bars ... 54

3.2 Les Boîtes de nuit ... 58

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Chapitre 4. À la découverte des nakamals urbains ... 80

4.1 Les Nakamals ... 82

4.2 Analyse situationnelle ... 93

Conclusion ... 108

Bibliographie ... 113

Annexe A : Guide d’observation en situation ... 121

Annexe B : Schéma d’entrevue ... 123

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vi Liste des figures

Figure 1: Carte géographique de la Nouvelle-Calédonie ... 17

Figure 2: Carte géographique de Nouméa et ses quartiers ... 20

Figure 3: Secteurs et quartiers de Nouméa ... 21

Figure 4: Répartitions des groupes ethniques et culturels par quartiers ... 22

Figure 5: Carte des lieux de rencontre sélectionnés (Nouméa) ... 55

Figure 6 : Piste de danse du JP’s Bar ... 60

Figure 7 : La Baie de l'Anse Vata... 61

Figure 8 : Quai qui relie la Bodega au Pop Light ... 63

Figure 9 : Bols à kava ... 82

Figure 10 : Classification des nakamals sélectionnés ... 84

Figure 11 : Nakamal aux deux Palmiers... 89

Figure 12 : Nakamal Sunset ... 91

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vii Remerciements

Cette recherche n’aurait pu se réaliser sans l’appui de plusieurs personnes que je tiens sincèrement à remercier. D’abord, je remercie Will, Steven, Andrew, Nico, Ian, Camille, Johan, Cyril, Raquel ainsi que les autres potes de « la bande » pour l’accueil, l’ouverture, la participation précieuse à ma recherche et les moments de plaisirs partagés avec vous.

Je remercie également mes parents, mes amis et ma copine de m’avoir encouragé et appuyé. Chacun de vous m’a apporté une aide indispensable à la réalisation de ce mémoire.

Mes remerciements vont aussi au Bureau international de l’Université Laval pour la bourse de soutien à la recherche qui m’a été octroyée afin de m’aider à réaliser ma recherche en Nouvelle-Calédonie.

Enfin, je ne pourrai jamais remercier assez ma directrice de recherche, Natacha Gagné, pour sa grande générosité, sa patience, son écoute et ses précieux encouragements. Merci d’avoir cru en moi et de m’avoir aidée à me développer en tant que chercheur, notamment en m’associant au projet de recherche « Mouvements autochtones et redéfinitions contemporaines de la souveraineté : comparaisons intercontinentales » qui bénéficie d’une subvention Savoir du CRSH, me permettant ainsi de profiter d’un soutien financier pour la réalisation de mon projet. Merci pour tes précieux conseils, tes révisions détaillées et de m’avoir soutenue tout au long de ce projet.

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1 Introduction

La Nouvelle-Calédonie a récemment vécu un moment critique de son histoire tandis qu’un référendum sur l’autodétermination s’est déroulé le 4 novembre 2018. Les résultats de cet événement historique révèlent alors qu’une faible majorité de la population néo-calédonienne s’est prononcée en défaveur du projet d’indépendance. En effet, les citoyens ont répondu « non » à 56,67 % à la proposition d'indépendance avec un taux de participation très élevé (81,01 %), selon la Commission nationale des Sondages (2018). Ce résultat a créé la surprise générale puisque les sondages annonçaient plutôt un vote pour le « non » avoisinant les 70 % (Réné, 2018). Les résultats ont ravivé l’espoir des partisans de l’indépendance qui pourront fort probablement se prononcer à nouveau au cours des prochaines années, car selon l'accord de Nouméa de 1998, il est prévu que deux autres référendums puissent être tenus d’ici à 2022 en cas de victoire du « non ». Effectivement, comme on peut lire dans un article publié dans Le Devoir, « fort de leur résultat, les partisans d’une rupture avec la métropole ont dès dimanche soir réaffirmé leur volonté d’aller jusqu’au bout de l’accord de Nouméa (1998) et de demander l’organisation de deux autres référendums dans les quatre ans à venir, comme prévu par ladite entente » (Azzaro, 2018).

À l’approche du référendum qui portait sur « le transfert à la Nouvelle-Calédonie des compétences régaliennes, sur l’accès à un statut international de pleine responsabilité et sur l’organisation de la citoyenneté en nationalité » (ISSE, 2014), des rivalités dont l’origine remonte aux premiers contacts entre Kanak1 et Européens semblent s’être ravivées. La situation globale en Nouvelle-Calédonie, surtout dans sa capitale Nouméa, est ainsi devenue particulièrement tendue d’un point de vue sociopolitique en amont du référendum qui devait avoir lieu entre 2014 et 2018. Quelques mois avant mon séjour en Nouvelle-Calédonie, un conflit majeur éclata en octobre 2016 dans le quartier Saint-Louis situé en périphérie de Nouméa.

1 Conformément à l’usage officiel depuis 1998, le nom « Kanak » et l’adjectif « kanak » sont invariables en

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À la fois un quartier et une tribu faisant partie de la commune du Mont-Dore, Saint-Louis est principalement habité par des familles d’origine océanienne, surtout des Kanak, généralement reconnus pour être des partisans du mouvement indépendantiste. D’après certains articles publiés dans Les Nouvelles Calédoniennes (Gallien-Lamarche, 2016; Tejero, 2017; Wéry, 2017), le conflit s’est déclenché après que, le 29 octobre 2016, un gendarme ait abattu un jeune de Saint-Louis en cavale depuis 2015, alors qu’il tentait de foncer sur un barrage au volant d’une camionnette volée. Dans la foulée, six gendarmes, visés par des tirs et des projectiles, ont été blessés par quelques dizaines de jeunes de Saint-Louis dont plusieurs étaient mineurs au moment des faits. Le conflit s’intensifia au fil des mois qui ont suivi l’événement tragique, nécessitant régulièrement l’intervention des gendarmes.

Par ailleurs, ces dernières années, les Néo-Calédoniens se sont mobilisés dans le but de créer une voie de réconciliation pour parvenir à construire une société consciente de son passé, où chacun pourra trouver sa place et ses repères. S’est donc posée la question du « destin commun » (voir notamment Salaün et Vernaudon 2009). Comme le précise le préambule de l’Accord de Nouméa, « le passé a été le temps de la colonisation. Le présent est le temps du partage, par le rééquilibrage. L’avenir doit être le temps de l’identité, dans un destin commun ». Il s’agirait donc de construire une « communauté de destin » pluriethnique, laquelle nécessite pourtant la reconnaissance préalable des Kanak, peuple autochtone qui occupe le territoire depuis des temps immémoriaux.

Nouméa, ancienne ville coloniale française et aujourd’hui site du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie, est une agglomération de près de 100 000 habitants (recensement de la population 2014, ISEE) considérablement hétérogène pour ce qui est de la diversité ethnique. Il nous est donc apparu intéressant d’y mener une recherche sur la dynamique des relations interethniques dans différents lieux de Nouméa reconnus comme étant propices aux interactions interethniques. La question principale ayant orienté la recherche est la suivante : Quelles sont les dynamiques sociales à l’œuvre dans deux types de lieux importants de sociabilité de Nouméa, en Nouvelle-Calédonie, les bars et boîtes de nuit ainsi que les nakamal? Plus particulièrement, comment s’y déploient les relations interethniques ? L’objectif principal de ce mémoire est donc de comprendre comment le type de lieu influence

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les relations interethniques à l’échelle microsociale et ce, tout en tenant compte du contexte sociopolitique plus large.

Afin de comprendre les différents facteurs qui influencent les rapports entre personnes s’identifiant à des communautés ethniques différentes, il est essentiel d’introduire des éléments du contexte sociopolitique global actuel de la Nouvelle-Calédonie ainsi que des éléments de son histoire. C’est ce que j’exposerai dans le premier chapitre. D’une part, j’explorerai les principaux événements historiques qui ont marqué la société néo-calédonienne depuis sa colonisation par la France. D’autre part, il sera particulièrement question de la ville de Nouméa, capitale de la Nouvelle-Calédonie, où s’est déroulé la recherche et de la diversité ethnique qui la caractérise actuellement. Nous décrirons notamment les différents quartiers qui nous intéressent spécialement dans le cadre de ce mémoire et donnerons quelques repères sur leur composition ethnique.

Dans la première partie du chapitre deux, je ferai une synthèse des avancées dans certains champs d’études relatifs à mon sujet de recherche, ce qui me permettra d’identifier quelques concepts importants qui m’ont guidé dans la recherche. En particulier, je m’attarderai aux notions de « région » (Agier, 1996), « situation sociale » (Gluckman, 2008(1940)), « situational places » (Dirksmeier et al., 2014), « espaces catalyseurs » (Hannerz, 1983), « violence » Galtung (1969), « ethnicité » (Barth, 1995) ainsi qu’à la théorie du « dwelling » (Ingold, 2000). Dans la seconde partie de ce deuxième chapitre, je présenterai mon cadre méthodologique. Cette partie comportera, notamment, des précisions sur les différentes techniques de collecte de données auxquelles j’ai eu recours durant mon enquête sur le terrain, des indications relatives à l’analyse de mes données, ainsi qu’une section à propos de la réflexivité dans ma démarche de recherche.

Le chapitre trois, qui a pour point de départ une description générale des bars et boîtes de nuit de Nouméa, dresse un portrait détaillé de six lieux spécifiques retenus pour mon enquête. Quelques situations sociales révélatrices s’étant produites dans ces lieux y seront présentées de manière détaillée, ce qui permettra d’identifier le genre de dynamiques sociales qui y sont

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à l’œuvre. Tout au long de ce chapitre, je tiendrai compte du contexte global dans lequel s’inscrivent ces observations.

Dans le chapitre 4, il sera question d’un autre type de lieu de sociabilité à Nouméa : les nakamals. Comme dans le chapitre précédent, je débuterai en présentant ce type de lieu où les citadins se rencontre pour consommer du kava, un breuvage fait à partir d’une plante qui porte le même nom, d’un point de vue général. Puis, je me pencherai de manière plus détaillée sur six nakamals particuliers que j’ai régulièrement fréquentés au cours de mon enquête sur le terrain. Pour rendre compte des dynamiques sociales qui se déploient dans ces lieux, des situations sociales que j’y ai observées, identifiées en raison de leur caractère exemplaire, feront l’objet d’une analyse rigoureuse en tenant compte du contexte global dans lequel elles s’ancrent.

Enfin, dans la conclusion , je rappellerai d’abord les principaux éléments des chapitres précédents. Pour ce faire, je soulignerai les particularités des lieux de sociabilité dont il est question dans cette recherche, notamment en fonction du type d’espace qu’ils sont et des substances qu’on y consomme. Cet exercice me permettra ainsi d’identifier les convergences et les divergences entre, d’un côté les bars et boîtes de nuit et, de l’autre, les nakamals de Nouméa. Dans un second temps, d’un point de vue global, je discuterai des différentes formes de violence, d’insécurité et de réconciliation qui influencent les dynamiques sociales dans ces différents lieux de sociabilité. Puis, en me référant au contexte sociopolitique global, je rendrai compte de la manière dont ces éléments se déploient et s’agencent au sein de la société néo-calédonienne. Enfin, j’identifierai quelques faiblesses de ce mémoire, mais également quelques points forts qui permettent d’entrevoir des chantiers de recherche futurs.

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Chapitre 1 : Éléments du contexte historique et sociopolitique de la Nouvelle-Calédonie et de son centre urbain

L’histoire de la Nouvelle-Calédonie est marquée par une série d’évènements sociopolitiques qui ont forgé son contexte actuel. Dans ce chapitre, il sera d’abord question de relater ces principaux événements. Ensuite, je m’attarderai particulièrement au principal centre urbain et capitale de la Nouvelle-Calédonie, Nouméa, en dressant un portrait de ses différents quartiers et en m’attardant à leurs caractéristiques sur le plan démographique.

1.1 Époque coloniale

Après quelques rencontres entre Kanak et Européens, la France a officiellement pris possession de la Nouvelle-Calédonie en 1853 (Bensa et Wittersheim, 1997 : 198). Pour peupler la Nouvelle-Calédonie, le gouvernement français fit venir deux types de colons : les « libres » qui ont choisi de s’installer dans l’archipel et les « pénaux », venus purger une peine d’emprisonnement. Pour ce qui est de la colonisation pénale, il faut dire qu’elle fut bien plus importante que la colonisation « libre » en termes démographiques. Effectivement, le 2 septembre 1863, l’empereur français de l’époque, Napoléon III, annonce que la Nouvelle-Calédonie deviendrait un nouveau bagne colonial ou lieu de transportation des prisonniers. « C’est ainsi qu’arrivent, neuf mois plus tard, à Port de France (qui prendra en 1866 le nom de Nouméa pour éviter les confusions avec la Martinique) les 250 premiers bagnards. Soixante-quatorze autres convois se succèderont jusqu’en 1897 » (Terrier, 2010 : 16). Les condamnés aux travaux forcés, appelés « transportés », développent la colonie en y édifiant des bâtiments et en construisant des routes et des ponts. Les premiers « prisonniers coloniaux » de Nouvelle-Calédonie sont, pour la majorité, des délinquants mineurs récidivistes. S’ajouteront également des « déportés » ou prisonniers politiques et quelques autres types de condamnés. « Ils sont répartis entre l’île des Pins, la Ouaménie où ils préparent l’installation des colons libres et la baie de Prony où ils exploitent les forêts du Grand Sud » (Terrier, 2010 : 18). Suite au dernier convoi de prisonniers en 1897, les centres pénitentiaires ferment progressivement, mais plusieurs bagnards finiront leur vie en Nouvelle-Calédonie. Ce n’est pourtant qu’en 1931 que la Nouvelle-Calédonie perd officiellement son titre de colonie pénitentiaire.

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Quant aux colons libres, mis à part les immigrants venus d’Australie, ils sont d’origines sociales ou géographiques très diverses. Terrier (2010 : 13) distingue les principales sources du peuplement dit « libre » : « des Anglo-saxons provenant des colonies britanniques du Pacifique, des fonctionnaires ou militaires démobilisés sur place, des colons du sucre arrivant de la Réunion, des colons du café dits « colons Feillet », des colons du coton ou nordiste (originaires du nord de la France), ou tout simplement des métropolitains ou des Européens à la recherche d’une vie meilleure » (Terrier, 2010 : 15). Ainsi, dans les années 1870, Charles Guillain, premier gouverneur en titre, favorise l’implantation de colons originaires de l’île de la Réunion pour planter de la canne à sucre (Terrier, 2010 : 14). Une vingtaine d’années plus tard, le gouverneur Paul Feillet fait venir de France environ un millier de planteurs censés s’enrichir grâce à la culture du café. Faute de capitaux, de main-d’œuvre qualifiée et abondante, de techniques agricoles adaptées et de moyens de communication aisés avec Nouméa, la vie de ces pionniers est particulièrement difficile (Terrier, 2010 : 15). Après 1900, comme Terrier (2010 : 15) le souligne, la faible rentabilité de leurs productions, due notamment aux difficultés d’exportation, conduit à l’abandon de ces opérations d’immigration.

Ces vagues de migrations successives ont eu un impact significatif sur les dynamiques sociales néo-calédoniennes. « Le recrutement forcé de travailleurs pour les plantations et les mines, les regroupements imposés par les missionnaires et les juridictions d’exclusions ont en grande partie altéré le tissu social intra- et interinsulaire » (Bensa et Wittersheim, 1997 : 199). Les Kanak, le peuple autochtone qui occupent ce territoire depuis des temps immémoriaux, furent particulièrement touchés. Les Kanak furent en effet fortement affectés par les stéréotypes coloniaux et la perspective évolutionniste raciste de l’entreprise coloniale : « Cette idéologie de l’extinction des Mélanésiens définit la forme très particulière prise par le racisme (...)[,] un racisme d’anéantissement qui n’a jamais envisagé les Kanaks que comme des « non-êtres » » (Bensa, 1988 : 191). Ces stéréotypes, on les retrouve dans tous les discours coloniaux, que ce soit ceux des commerçants, éleveurs, missionnaires ou administrateurs. Tous considèrent les Kanak comme étant inférieurs (Bensa, 1988 : 189). Ces

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discours se reflétèrent dans les pratiques de l’administration coloniale, comme nous le verrons.

« [L]e peu d’efficacité militaire des autochtones de Nouvelle-Calédonie face à un occupant plus puissant en moyens de destruction » (Bensa, 1988 : 189) a contribué à créer un sentiment de supériorité absolu chez les Français. À un certain moment, on a même considéré l’extinction du peuple kanak comme inévitable. En effet, dans un texte publié en 1894, « L’archipel de la Nouvelle-Calédonie », Bernard avance qu’« [i]l est hors de doute que les indigènes de la Nouvelle-Calédonie sont en voie de disparaître et qu’il faudra parler d’eux au passé » (1894 : 295). En conséquence, dans l’imaginaire collectif des colons européens, il est évident que les Kanak ne peuvent en aucune manière contribuer à la colonisation. Ainsi, ils sont maintenus en marge de la société coloniale et du développement de la colonie. Il est alors évident que le rapport de domination qui s’instaure a créé un contexte favorable à la confrontation, ce qui a graduellement augmenté la tension entre les représentants de la colonie et les Kanak.

Élément central de l’administration coloniale des Kanak, les terres kanak sont confisquées. « Près de 90% des terres ont été ainsi confisquées par la France, pour être données à des colons ou utilisées directement par l’administration coloniale à des fins économiques ou militaires » (Bensa et Wittersheim, 1997 : 199). Quant aux Kanak dépossédés de leurs terres, ils sont « entassés » dans de petits espaces habitables appelés « cantonnements ». Monnerie (2002), Bensa (1992), Naepels et Salomon (2007) et Merle (2000) se sont penchés sur la politique de cantonnement, ses implications et ses conséquences sur l’histoire de la Nouvelle-Calédonie. Ce ridicule « bout de terrain » que sont les cantonnements n’est pas suffisamment vaste pour soutenir le mode de vie traditionnel autochtone. La mise en réserve aura d’importantes répercussions sociales, lesquelles sont encore visibles jusqu’à aujourd’hui : « L’intense ségrégation spatiale découlant du regroupement forcé des Kanak dans les «

réserves indigènes » au tournant du XXe siècle a considérablement réduit les scènes sociales communes. À cela s’ajoutaient la coexistence de statuts juridiques distincts (« citoyen » / « indigène ») et la mise en œuvre du régime répressif de l’indigénat (sanctions administratives ne s’appliquant qu’aux indigènes) » (Muckle et Trépied, 2014 : 89-90).

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Pour être en mesure de bien comprendre le contexte sociopolitique particulier de la Nouvelle-Calédonie, il est en effet essentiel d’amener quelques précisions sur le « régime de l’indigénat », un des dispositifs juridiques liés à l’empire colonial français et étendu à la Nouvelle-Calédonie en 1887 (Merle 2004 : 151) qui a le plus marqué l’imaginaire collectif néo-calédonien (Merle, 2004 : 137). Il s’agit d’un ensemble de lois contraignantes exceptionnelles et dérogatoires s’appliquant en propre aux Kanak. En d’autres termes, c’est « un espace juridique nouveau, spécifiquement réservé aux indigènes, qui s’ajoute au droit pénal auquel, par ailleurs, ils sont soumis » (Merle, 2004 : 143). Cet ensemble de lois destinées aux autochtones, qui ont le statut de « sujets » (et non de « citoyens » français), nuira encore davantage au mode de vie et à la culture mélanésienne traditionnelle. Par exemple, dès son instauration, l’autorité coloniale nomme des « chefs » pour prendre la place des chefs coutumiers traditionnels. Cela crée des conflits puisque ce nouveau « statut » est peu reconnu par les autochtones. Il créa même des révoltes, comme en 1878 et 1917, lesquelles sont écrasées dans un bain de sang (voir, entre autres, Naepels 1998 et Bensa et Muckle 2015). C’est dans ce contexte que, suite à la perte de référents identitaires causée, par la marginalisation sociale et politique produite notamment grâce au régime de l’indigénat, que le peuple kanak a graduellement montré un profond mécontentement, ce qui mènera à une période de décolonisation marquée par des conflits violents, mais également par des moments de réconciliation.

1.2 Une ère nouvelle : la décolonisation

La Nouvelle-Calédonie est officiellement passée du statut de colonie à celui de territoire d’outre-mer (TOM) en 1946, ce qui coïncide avec l’abolition du régime de l’Indigénat (Hamelin, 2000 : 339). C’est à ce moment que les Kanak acquièrent la citoyenneté française et que le régime de l’indigénat est aboli (Trépied, 2013 : 7). En effet, 1946 marque un changement important dans l’histoire de cet archipel du Pacifique Sud. Ses habitants sont désormais représentés par un député et par un conseiller de la République qui siège au Sénat. Les Kanak peuvent désormais circuler librement, choisir leur employeur et résider où bon leur semble. Ce n’est donc qu’à partir de ce moment que les Kanak purent s’installer sur le

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territoire de la ville de Nouméa. La Constitution de 1946 leur reconnait aussi un statut de « droit particulier » qui leur permet de se prévaloir du droit coutumier en matière civile, c’est-à-dire en ce qui concerne l’état civil, le mariage, l’adoption, la propriété et la succession (Trépied, 2013 : 7). « Le lien entre la métropole et les « peuples d’outre-mer », selon les termes de la Constitution du 27 octobre 1946, était désormais fondé sur l’égalité des droits et des devoirs, sans distinction de race ni de religion » (Trépied, 2013 : 11). Cependant, comme Trépied le souligne, ce nouveau « contrat impérial » excluait l’accès des « départements et territoires d’outre-mer » à l’indépendance.

1.2.1 Montée du mouvement indépendantiste

À l’occasion du scrutin législatif du 1er juillet 1951, deux associations missionnaires se sont

engagées dans la course électorale avec la prétention de représenter politiquement les Kanak (Trépied, 2013 : 14). Connu sous le nom de l’Union Calédonienne (UC), ce nouveau parti politique dirigé par le métropolitain Maurice Lenormand devient majoritaire à l’assemblée. Dès 1956, la France réorganise ses rapports avec l’outre-mer et confie aux territoires d’outre-mer des responsabilités accrues. Toutefois, sous l’apparence de l’établissement d’un système politique égalitaire comme véhiculé par leur slogan de l’UC, « deux couleurs, un seul peuple », « ces nouveaux acteurs politiques se situaient de facto dans la continuité du réformisme colonial qui bornait l’espace des dicibles politiques pendant l’entre-deux-guerres » (Trépied, 2013 : 15).

Un autre mouvement politique dont les membres se revendiquent indépendantistes émerge alors. Dans la décennie 1970, « la montée en puissance de la revendication d’« Indépendance Kanak et Socialiste » dans le monde mélanésien, ainsi que la dynamique opposée de regroupement « loyaliste » au sein de la population européenne, ont mis fin au règne politique de l’UC » (Trépied, 2010 : 62). Consacrant la radicalisation des positions politiques autour de la question de l’indépendance, deux nouveaux partis se constituent et s’affrontent : sont créés « en 1976, le Parti de Libération kanak (Palika) et, un an plus tard, le Rassemblement pour la Calédonie dans la République (RPCR) rapidement baptisée « loyaliste » car se voulant l’incarnation de la loyauté vis-à-vis

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de la France » (Terrier, 2010 : 34). Éparpillés dans plusieurs partis, les indépendantistes se regroupent en 1979 dans le Front Indépendantiste (FI) et, en 1984, dans le Front national de libération kanak et socialiste (FNLKS). Fondé par Jean-Marie Tjibaou, chef de la tribu de Tiendanite, instituteur dans l’enseignement privé catholique et leader du FI, le FLNKS inaugure une nouvelle forme de lutte anticoloniale, dont l’objectif proclamé est « l’indépendance kanak socialiste » (Trépied, 2010 : 62).

Encore aujourd’hui, le champ politique néo-calédonien est structuré en fonction de l’opposition entre indépendantistes, en majorité kanak, et « loyalistes », majoritairement d’origine européennes. Denis Monnerie (2002) souligne que les confrontations entre les deux camps sont généralement alimentées par la question des droits fonciers. Les revendications du parti indépendantiste sont ainsi souvent liées à la tradition kanak et leur légitimité basée sur les récits mythiques de ce peuple autochtone.

1.2.2 Les Évènements (1984-1988)

Au début des années 1980, la situation politique est tendue en Nouvelle-Calédonie, surtout depuis que la métropole française a mis en action une politique d’immigration massive de citoyens européens ou originaires d’Outre-mer vers l’archipel océanien dans le but de rendre les Kanak minoritaires sur le plan démographique (Gagné et Salaün 2007). C’est dans ce contexte que vers le milieu des années 1980, des militants indépendantistes du FLNKS s’adonnent à des incendies et au pillage de maisons d’éleveurs caldoches, des Européens, parfois métisses, originaires de Nouvelle-Calédonie. « Cette période de troubles est marquée par des meurtres, des attentats, des émeutes, des embuscades, des fusillades et l’expulsion d’anti-indépendantistes de la côte est ou des îles Loyauté » (Terrier, 2010 : 35). Une période trouble entre 1984 et 1988 qui fut marquée par une série d’affrontements violents fut nommée « les Évènements ».

Pendant cette période de guerre civile, le conflit s’intensifia et les confrontations menèrent à un évènement tristement célèbre de l’histoire de la Nouvelle-Calédonie, « l’affaire d’Ouvéa » :

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le 22 avril 1988, dans l’espoir d’obtenir une reconnaissance immédiate de leur statut d’indépendance, des militants du FLNKS prennent des gendarmes en otage dans une grotte, ce qui crée une situation de conflit qui aura des conséquences tragiques. Il faut savoir qu’en avril 1988, la France est en plein début de campagne d’élection présidentielle qui oppose le Premier ministre Jacques Chirac au Président de la République François Mitterrand (Terrier, 2010 : 35).

Dans ce contexte, Jacques Chirac, qui représentait un gouvernement de droite n’était pas tout à fait ouvert à l’idée de dialoguer avec les militants du FLNKS. Il qualifia alors ce groupe de « terroristes ». Ainsi, Chirac, pressé par sa campagne électorale, refuse le dialogue et signe un ordre d’assaut. « L’assaut donné, le 5 mai 1988, par les forces de l’ordre pour libérer les otages fait vingt-et-un morts : dix-neuf Kanak et deux gendarmes » (Terrier, 2010 : 35). Cet évènement tragique a laissé une trace indélébile dans la mémoire collective néo-calédonienne.

1.2.3 Des accords pour sortir de la crise et bâtir un « destin commun »

Suite à cet incident, la réélection, le 8 mai 1988, de François Mitterrand à la présidence de la République offre l’occasion de repartir sur de nouvelles bases. C’est ainsi que les Accords de Matignon furent négociés puis conclus le 26 juin 1988 (Graff, 2012 : 73). Une période de dix années, soit de 1988 à 1998, est consacrée par les Accords de Matignon « à un rééquilibrage entre les communautés kanak et calédonienne (ce mot étant ici entendu au sens restreint de non-kanak), à une mise en place de nouvelles institutions et à la préparation d’un référendum d’auto-détermination » (Monnerie, 2002 : 4). Ces accords marquent ainsi l’ouverture d’un dialogue sur l’autodétermination de la Nouvelle-Calédonie, lequel pourra potentiellement mener à la souveraineté. Ces accords ramenèrent ainsi l’ordre sur le territoire de la Nouvelle-Calédonie, dans l’attente d’un référendum d’autodétermination prévu dans les Accords pour 1998.

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Ce référendum prévu en 1998 fut pourtant reporté. En effet, « estimant que les échéances étaient trop brèves pour consolider la paix sociale et achever le processus de l’équilibrage, l’ensemble des partenaires a plutôt souhaité reprendre les négociations politiques » (Salaün et Vernaudon 2009 : 66). Les négociations menèrent à la signature d’un nouvel accord, l’Accord de Nouméa le 5 mai 1998 (Salaün et Vernaudon, 2009 : 66). Cet accord concerne notamment le fondement de la citoyenneté calédonienne dont les trois acteurs principaux sont : le peuple kanak autochtone, les populations allochtones et l’État français (Salaün et Vernaudon, 2009 : 67). Grâce à son statut de « premier occupant » ainsi reconnu, le peuple autochtone kanak « accepte, dans le cadre d’un transfert progressif des compétences autrefois détenues par l’État français, de refonder une nouvelle souveraineté, partagée dans un destin commun avec les populations allochtones établies depuis une certaine durée » (Salaün et Vernaudon, 2009 : 67). L’Accord de Nouméa prévoit également un référendum d’auto-détermination entre 2014 et 2018.

À l’approche de cette consultation importante qui se déroula finalement le 4 novembre 2018, des tensions refirent surface en Nouvelle-Calédonie, comme mentionné en introduction. La situation politique était relativement tendue au moment de mon séjour sur le terrain et les relations entre les divers segments de la population étaient plutôt polarisées. Il s’agit d’un fait important à mentionner puisque c’est dans ce contexte global que s’inscrit ma recherche. Plus précisément, elle s’ancre dans le contexte urbain de Nouméa.

1.3 La ville de Nouméa et sa diversité

Fondée en 1854 sous le nom de Port-de-France comme centre administratif et militaire des Français en Nouvelle-Calédonie, Nouméa est rapidement devenue le lieu de déploiement de l’entreprise coloniale. Comme le soutient Dorothée Dussy, l’objectif de sa construction, conçue par des ingénieurs de la Marine « était d’organiser l’espace urbain autour des lieux qui matérialisaient l’administration et l’armée; les alentours des bâtiments publics furent, dans les faits, les seuls à faire l’objet d’une planification approfondie et concrètement achevée » (2000 : 5). L’attribution des « lots » de terre dans le centre urbain fut pendant longtemps réservée aux colons européens (Dussy, 2000 : 6). Cela signifie que la ville fut

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construite sans aucune considération des populations autochtones qui habitaient ce territoire. En effet, à l’origine, seuls les Kanak autorisés à y travailler pouvaient prétendre résider dans la capitale coloniale.

L’abolition des interdictions relatives aux déplacements et à l’habitation des Kanak ainsi que la suppression du travail forcé après 1946 favorisèrent l’émergence d’un mouvement migratoire des zones rurales vers Nouméa (Hamelin, 2000 : 339). Hamelin souligne que « si les spécificités sociales du contexte d’origine jouent un rôle décisif dans les choix individuels de partir habiter en ville, l’influence des conjonctures socioéconomiques globales devient également indéniable dès que l'on considère les migrations sur une échelle plus large » (2000 : 341). En effet, plusieurs autres facteurs comme la recherche d’un emploi, le désir de se « rapprocher » de la modernité et la volonté de rejoindre un membre de la famille qui réside déjà à Nouméa, par exemple, expliquent ce phénomène de migration vers la ville et de concentration démographique. Hamelin (2000 : 344) souligne également que le manque de logements à bas prix, dans un contexte où la fixation du prix de l’immobilier est liée à la loi de l’offre et de la demande, limite considérablement les alternatives résidentielles pour les Kanak qui souhaitent trouver résidence en ville. C’est ainsi que sont apparues, en périphérie de la ville, ce que Dussy (2012) appelle des « habitations spontanées ». Ces logements de fortune, qui se sont graduellement organisés en « quartiers » ou « squats », sont loin de faire l’unanimité auprès des résidents de Nouméa. D’ailleurs, dans son ouvrage Dussy explique que « ces squats, dont la présence est très controversée, sont venus contrarier l’identité fondatrice de la ville blanche en y introduisant des touches éparses « d’océanité » » (2012 : 7). De cette façon, on assiste à une opposition systématique entre squats et ville formelle, Kanak et Européens : « L’opposition est clairement perceptible à travers les opinions émises par les citadins à propos des squatteurs, qui fait apparaitre l’habitat spontané comme une inversion du modèle urbain et de ses valeurs, laissant transparaitre tout un « inconscient collectif » urbain et colonial » (Dussy, 2012 : 11).

D’après mon expérience sur le terrain, il est vrai qu’à Nouméa, une atmosphère tendue et oppressante qui stigmatise les autochtones océaniens qui sont minoritaires démographiquement est perceptible. Cette forme de violence psychologique et même

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physique se manifeste sous diverses formes, dans divers contextes. Par exemple, j’ai été témoin à quelques reprises d’interventions policières à l’égard de groupes de Kanak qui ne faisaient que flâner à la Place des Cocotiers, un lieu public important situé au centre-ville. Il m’a semblé que cette situation représentait une forme de profilage racial ou ethnique étant donné que des groupes de « blancs » qui flânaient aussi n’ont pas été interpelés. Ce n’est qu’un exemple parmi plusieurs autres que je présenterai ultérieurement. Évidemment, les évènements historiques que j’ai préalablement exposés ont grandement influencé les relations entre les citadins s’identifiant à des groupes d’origines ethniques différentes. Malgré le discours de décolonisation et de cohabitation véhiculé par les politiques publiques, nous sommes forcés d’admettre que le passé colonial polarise, encore aujourd’hui, la vie sociale nouméenne. Cette polarisation sociale, qui se superpose à une polarisation économique et politique nourrit ainsi, dans certains cas, les rancœurs et les divisions.

Comme mentionné auparavant, la Nouvelle-Calédonie abrite une population pluriethnique. Selon l’Institut de la Statistique et des études économiques de la Nouvelle-Calédonie (ISEE), en 2014, 105 000 personnes (39 % de la population totale), déclarent appartenir à la communauté kanak. Les Européens sont, pour leur part, au nombre de 73 200 habitants (27 % de la population néo-calédonienne), suivis des Wallisiens et Futuniens au nombre de 22 000 habitants (8 % de la population néo-calédonienne). Les autres communautés (Tahitiens, Indonésiens, Ni-Vanuatu, Vietnamiens et autres populations asiatiques) rassemblent au total moins de 6 % de la population. Près d’un habitant sur dix se déclare par ailleurs Métis ou appartenir à plusieurs communautés et un sur dix ne se situe pas parmi les catégories proposées. La communauté kanak est très majoritaire aux Iles de la Loyauté où elle représente 94 % de la population et en province Nord où elle représente 70 % de la population. Elle est par ailleurs minoritaire en province Sud où elle représente 26 % de la population. En outre, plus de la moitié des Kanak vivent en tribu2 (ISEE, 2014).

2 Organisation politique, allant largement à l’encontre des logiques précoloniales, imposée par l’administration

coloniale au XIXe siècle en vue de faciliter la gestion d’entités sociopolitiques bien définies. Les tribus étaient représentées par des « chefs » nommés et rémunérés par le gouverneur et cantonnées dans les réserves indigènes (Naepels 2010). Ces entités ont survécu, avec des modifications, jusqu’à aujourd’hui et sont au fondement de l'organisation coutumière actuelle. Le terme « tribu » désigne aussi la zone « traditionnelle » d'habitation de ses membres.

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La population du centre urbain de Nouméa reflète bien cette diversité ethnique. En effet, Nouméa est une ville dont la population qui approche les 100 000 habitants compte différentes communautés ethniques : 43 202 Européens (43,2 %), 23 768 Kanak (23,8 %), 6 666 Wallisiens (6,7 %), 7 864 Métis (7,9 %). Les 18 426 autres (18,4 %) habitants font partie des communautés asiatiques (Vietnamiens, Chinois), océaniennes (Vanuatu, Tahiti) et d’autres communautés ethniques minoritaires (ISEE, 2014). La diversité ethnique de Nouméa fait donc de ce centre urbain un « laboratoire social » idéal pour observer des rapports interethniques. Dans le cadre de ce mémoire, je me concentrerai particulièrement sur les rapports entre les trois communautés ethniques les plus importantes pour ce qui est de leur poids démographiques, soit les Océaniens (Wallisiens et Vanuatais), les Kanak et les Européens (Caldoches et Zoreilles). Je définis ces différents groupes ethniques de manière plus détaillée dans les paragraphes qui suivent.

Concernant les Océaniens, qui englobent les personnes originaires de l’Océanie autre que les Kanak, je m’intéresserai en particulier aux Wallisiens et aux Vanuatais en raison de leur surreprésentation dans les lieux d’observations que j’ai retenus pour ma recherche et de la faible représentativité des autres Océaniens à Nouméa. Certains de ces lieux de rencontre importants de Nouméa, auxquels je reviendrai plus en détail au chapitre 4, les nakamals, sont des bars à kava dont l’origine peut être retracée au Vanuatu. Certains nakamals sont donc des lieux de rencontre importants pour la communauté vanuataise de Nouméa. D’autre part, combiné à leur réputation de dure à cuire, les Wallisiens occupent souvent des postes qui mettent à profit leur grande taille comme ceux de gardiens de sécurité ou de videurs. Certains d’entre eux sont aussi dans les services de police et de gendarmerie. Je les ai donc régulièrement côtoyés dans les bars et boites de nuits, notamment dans leurs fonctions de gardiens de sécurité au service d’entreprises privées ou de videurs. Les propos suivants recueillis en entretien auprès d’un participant à ma recherche d’origine européenne traduisent bien l’opinion général à leur propos :

Les Wallisiens ont une physionomie plus costaud. Ils font partie d’ailleurs… il y a 2 Wallisiens dans l’équipe de rugby française et donc, ils ont souvent des métiers de sécurité ou de police, des métiers où la force et un corps imposant et grand a une

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influence psychologique et peut être utile. Du coup, ils sont très patriotiques. Par contre, comparé aux Mélanésiens (autres Océaniens) et aux Kanak séparatistes, les Wallisiens sont très reconnaissants envers la France (…). Ils défendent les valeurs de la France. Les Wallisiens c’est un peuple guerrier donc donneurs et donc ce sont des gens très loyaux sur qui on peut compter (Will, 11 mars 2017).

D’ailleurs, les Wallisiens seraient plus nombreux (22 000 en 2014 selon l’ISEE) en Nouvelle-Calédonie que dans leur propre archipel, Wallis-et-Futuna (12 197 en 2013 selon l’INSEE), un autre territoire d’outre-mer français d’Océanie. Ce fait dérangerait particulièrement la communauté kanak, comme en témoigne l’extrait suivant d’un entretien avec Steven, un jeune homme métis wallisien/européen : « les Kanak ont l’impression d’être envahis par les Wallisiens. Et les Wallisiens, ils sont beaucoup plus loyalistes à la France que les Kanak. Du coup, c’est pour ça que... qu’il y a aussi cette tension entre les deux »(Steven, 11 mars 2017).

Quant aux Kanak vivant à Nouméa, ils sont très diversifiés en fonction de leur provenance. Dépendamment du clan ou de la lignée auxquels ils appartiennent, le mariage et la cohabitation entre deux Kanak qui partagent leur vie à Nouméa peut-être très compliqué en raison d’obligations « coutumières ». Naepels (1998) constate l’importance des comportements qui échappent aux logiques traditionnelles d’alliance pour les Kanak de Nouméa qui épousent des Kanak issus de régions éloignées ou des non-Kanak, provoquant ainsi des « situations coutumières embarrassantes », comme l’exemple suivant tiré de mon journal de terrain :

Ce samedi 21 janvier 2017, je me suis rendu chez un participant à ma recherche se prénommant William, un jeune homme « zoreille » qui était de passage en Nouvelle-Calédonie pour visiter son père, aussi d’origine française. À la fin de l’après-midi, sachant que je m’intéressais aux rapports interethniques à Nouméa, il me propose de l’accompagner à Magenta [un quartier de Nouméa dont je discuterai plus en détail plus bas], pour visiter la femme de ménage de son père Lindsay, une jeune femme kanak, ainsi que son copain Denis, un jeune homme kanak et ancien militaire dans la trentaine, tous les deux originaires de Lifou, une des Iles Loyauté [voir figure 1].

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En arrivant devant leur demeure située dans les Tours de Magenta, j’observe aussitôt ces deux grandes tours à logements sociaux qui servent à loger les familles en situation précaires. Elles sont habitées majoritairement par des Kanak et des Océaniens bien que des ménages interethniques y cohabitent, selon Denis. Suite à notre rencontre, lors de la discussion durant laquelle des plats kanak traditionnels m’ont été servis, Lindsay et Denis m’ont confié que malgré qu’ils s’aiment beaucoup, qu’ils ont deux enfants et qu’ils habitent ensemble, ils préfèrent ne pas se marier pour éviter certaines obligations et situations embarrassantes liés au mariage coutumier. Notamment, Denis a souligné qu’« ils sont un couple « moderne » et ils ne veulent pas avoir de redevance envers la tribu et être obligés, par exemple, « d’envoyer de l’argent aux cousins qui « glandent » rien » (Journal de bord, 21 janvier 2017).

Figure 1: Carte géographique de la Nouvelle-Calédonie

Source : « Carte de la Nouvelle-Calédonie », consulté sur internet (www.defap.fr/images/cartes-pays/carte-nouvelle-caledonie-1.jpg/), avril 2019.

Pour ce qui est des Européens, comme Dussy (2012 :78) le souligne, ce groupe peut facilement être scindé entre les Européens dont la famille était implantée de longue date sur le territoire, autrement dit, ceux que l’on a l’habitude d’appeler sur le territoire, des « Caldoches », et les métropolitains fraichement implantés ». Entre les Caldoches et les

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métropolitains, qu’on appelle communément « Zoreilles » en Nouvelle-Calédonie, oscille une partie de la population aux caractéristiques imprécises, tel qu’évoqué par Carteron, en parlant de l’identité « caldoche ». « Le mot caldoche désigne les Calédoniens d’origine européenne : descendants de colons, mais aussi métropolitains installés durablement et métis qui font partie intégrante du groupe en adoptant ses idéaux et son style de vie » (2015 : 155).

Cette citation fait écho à certaines réponses des participants à ma recherche concernant les facteurs déterminants l’identification à l’une de ces deux catégories identitaires. Lors d’une soirée chez Ian le 11 février 2017, un jeune homme de 22 ans originaire de métropole qui s’est installé à Nouméa avec ses parents (Éric et Évelyne) il y plus de 7 ans, nous avons discuté des différentes catégories identitaires en Nouvelle-Calédonie. Au cours de cette discussion, Éric, un ostéopathe dans la quarantaine, a souligné que les Zoreilles correspondent à ceux qui sont nés en France, mais selon certains, ce n’est pas nécessairement l’origine mais surtout l’attitude qui détermine ce qu’est un Zoreille. Ceux qui ont « une attitude de snob et qui selon eux arrivent sur un territoire conquis » sont automatiquement catégorisés comme Zoreilles. C’est ainsi un terme qui peut, dans certains contextes, être utilisé comme une insulte de la part de non-Zoreille, notamment des Kanak, à leur encontre. Benoît Carteron le note d’ailleurs dans son article sur la quête identitaire des Caldoches en Nouvelle-Calédonie :

Le mot Zoreille (« Zoreil », « Zor’ », « Zozo ») servant à désigner les métropolitains est un emprunt au créole réunionnais dont la signification d’origine est mal établie. Le mot zoreille est d’un usage courant en Nouvelle-Calédonie, il va du classement usager et bienveillant dans une catégorie ethnique à la condescendance teintée de mépris ou au rejet hostile et insultant (2015 : 166).

En outre, toujours selon Éric, parmi les Caldoches peuvent être différentiés « ceux qui sont nés en Nouvelle-Calédonie » de façon générale et les « vrais Caldoches », lesquels habitent généralement en brousse et aimeraient bien les armes et la chasse et qui auraient un tempérament agressif. Bref, tout en considérant l’auto-identification ethnique des participants à ma recherche, nous désignerons par les étiquettes « Zoreilles » les nouveaux

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arrivants originaires d’Europe et « Caldoches » les Européens nés en en Nouvelle-Calédonie et y résidant depuis au moins une génération.

Pour compléter ce portrait de la population de Nouméa, d’un point de vue socioéconomique, il est intéressant de noter que le taux d’occupation socioprofessionnelle des communautés ethniques européennes et asiatiques de Nouméa est considérablement supérieures (environ 82%) à celui des Kanak et Océanienne (environ 66%), selon Dussy (2012 : 83). De plus, il est important de souligner que certains types d’emplois correspondent davantage à certaines communautés ethniques. J’ai donné plus haut l’exemple des Wallisiens qui occupent habituellement des postes dans le domaine de la sécurité. Dussy avance que « les professions des Océaniens comportent quant à elles les deux mêmes caractéristiques que chez les Kanak : concentration des effectifs féminins dans les emplois de femmes de ménage et surreprésentation des emplois d’ouvriers chez les hommes » (2012 : 83).

Pour ce qui est des Européens, toujours à Nouméa, on observe une concentration des travailleurs immigrés de longue date ou Caldoches, dans les professions intermédiaires et particulièrement dans les emplois subalternes au sein d’entreprises privées ou de la fonction publique (Dussy, 2012 : 83). Les métropolitains ou Zoreilles forment quant à eux un segment isolé de la population situé au sommet de la pyramide socioéconomique. En effet, plus d’un tiers d’entre eux occupent des postes influents tels que fonctionnaires, cadres d’entreprises, enseignants et professionnels de la santé (Dussy, 2012 : 83).

Ces observations témoignent ainsi d‘inégalités socioéconomiques qui sont incontestablement liées à l’origine ethnique des membres de la société calédonienne. Comme Dussy (2012 : 84) le souligne, la correspondance entre appartenance ethnique et positions socio-économiques en Nouvelle-Calédonie a déjà été discutée par Pilon (1987) qui constatait que « les données générales sur les positions socio-économiques les plus probables en fonction de l’appartenance ethnique, indiquent que les Mélanésiens (kanaks), les Wallisiens ou à moindre degré les Tahitiens apparaissent en tant qu’ethnies, comme les groupes les moins bien situés » (Pilon, 1987 : 26).

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Enfin, afin d’établir un lien entre mes données et le contexte particulier dans lesquels elles ont été collectées, il est important de définir et de décrire les différentes « régions » (Agier, 1996) de la ville et d’y associer les différentes communautés ethniques et les caractéristiques sociales des citadins qui les habitent. Cette démarche me permettra d’établir un lien entre l’espace, les pratiques urbaines et les caractéristiques socio-ethniques.

1.3.2 Les quartiers ou « régions » de Nouméa

D’après les données fournies sur le site web de la Ville de Nouméa, en 1956, la ville comptait un peu plus de 22 000 habitants. Elle était alors divisée administrativement en huit « grands quartiers »3 . De nos jours, comme déjà mentionné, sa population s’élève à près de 100 000

habitants. La ville a donc, au cours des 50 dernières années, vu sa population quadrupler.

Source : Ville de Nouméa, Cartographie de Nouméa », consulté sur internet (carto.noumea.nc/portail), avril 2019.

3 Ville de Nouméa, « Démographie : Évolution depuis cinquante ans », Consulté sur internet

(www.noumea.nc/decouvrir-noumea/demographie/evolution-depuis-cinquante-ans), avril 2019. Figure 2: Carte géographique de Nouméa et ses quartiers

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Depuis 2015, les quartiers ont été réorganisés, et certains d'entre eux ont été scindés. Aujourd’hui, la capitale de la Nouvelle-Calédonie est divisée en 39 quartiers regroupés en cinq « secteurs » (voir figures 1 et 2) dont les représentants ou « conseillers de secteurs », désignés par le conseil municipal parmi une liste composée de résidents des quartiers volontaires, se réunissent au « conseil des quartiers » qui a lieu régulièrement au siège du conseil municipal.

Secteur Anciens grand quartiers Quartiers

Ouest Centre Centre-Ville,

Nouville, Quartier latin, Vallée du Génie, Artillerie Mont Montravel Montravel,

Montagne coupée, Vallée du Tir, Doniambo

Sud Sud Artillerie (sud-est) (ancien quartier réuni à celui de l'Orphelinat), Orphelinat,

Baie des Citrons, Anse Vata, Val Plaisance, N'Géa, Receiving, Motor Pool, Trianon

Vallée des colons - Faubourg Blanchot Vallée des Colons, Faubourg Blanchot

Est Magenta Haut-Magenta,

Magenta, Ouémo, Aérodrome, Portes de fer, 4e Kilomètre

Nord-Est Rivière Salée Rivière Salée (inclut la mangrove du 5e Kilomètre)

Tina - Normandie 6e Kilomètre (inclut l'ancien quartier du 5e Kilomètre),

7e Kilomètre,

Normandie, Tina,

Golf de Tina (ancien quartier réuni à celui de Tina) Presqu’île

de Ducos

Presqu’île de Ducos Ducos,

Ducos industriel, Kaméré, Koumourou, Logicoop, Numbo, Tindu

Figure 3: Secteurs et quartiers de Nouméa

Source : Ville de Nouméa, « Les Quartiers », Consulté sur internet (https://www.noumea.nc/ma-mairie/la-vie-des-quartiers/les-quartiers), avril 2019.

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Afin de mieux comprendre la dynamique interethnique qui se déploie à Nouméa par rapport à la dimension spatiale de la ville, il est essentiel d’aborder sa ségrégation géographique. A ce propos, Dussy (2012 : 87) a schématisé la répartition géographique des principaux groupes ethniques de Nouméa sur une carte détaillée (voir figure 3). Cette carte, que j’ai montrée à quelques participants à me recherche qui ont tous validés sa véracité, indique clairement une concentration spatiale de certains groupes ethniques dans certaines zones. Notamment, elle démontre que, contrairement aux Caldoches qui sont généralement répartis de façon homogènes sur le territoire urbain, les Kanak, les Océaniens ainsi que les Zoreilles se sont installés dans des régions bien précises de la ville. Comme on peut le constater en consultant la carte géographique, « la presqu’île est pratiquement divisée en deux par son centre : les Océaniens, et surtout les Kanak, résident plutôt au nord, tandis que les Métropolitains (Zoreilles) résident plutôt au sud, les autres Européens et les Asiatiques voyant leurs effectifs plus harmonieusement répartis dans l’espace urbain » (Dussy, 2012 : 89).

Source : Dussy (2012 : 88)

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En vue de donner un aperçu général de la ville et d’y ancrer ma recherche, à partir de l’ensemble des caractéristiques socio-économique et de la répartition géographique des différentes communautés ethniques, j’ai retenu 4 « régions » – notion à laquelle je reviendrai dans le prochain chapitre – que je présenterai ici. Celles-ci sont largement représentatives d’une bonne partie des réalités de la ville. Je les ai également sélectionnées parce qu’on y retrouve une concentration des lieux de sociabilité et d’interactions sociales – bars et boîtes de nuit et nakamals – qui sont au cœur de cette recherche.

1.3.2.1 Le Centre de Nouméa

Le centre-ville est un vieux quartier dont l’origine remonte à l’époque coloniale. Il est structuré autour de la place des Cocotiers et possède de nombreux monuments historiques, dont la Fontaine Céleste située au centre de la Place des Cocotiers qui représente le km 0 des routes néo-calédoniennes4. La Place des Cocotiers représente le cœur de la ville. Ce fut d'abord un espace vert parsemé de cocotiers comme son nom l’indique, puis diverses structures y ont été aménagées au fil du temps. Cet endroit historique est aujourd’hui un lieu de rendez-vous, de loisirs et d'évènements festifs.

À proximité, on retrouve aussi la cathédrale Saint-Joseph et le centre hospitalier territorial (CHT) Gaston-Bourret qui se distingue dans ce décor urbain. En outre, le Quartier latin, situé au centre de Nouméa, tout près de la marina du port Moselle, est l'un des plus anciens quartiers résidentiels de Nouméa. On y trouve ainsi une importante concentration de maisons coloniales. Aujourd’hui délimité par la rue Sébastopol, il s’agit d’un quartier commercial dont la majorité des commerces appartiennent à des membres de la communauté asiatique de Nouméa. On y retrouve des boutiques de vêtements, des petites épiceries, des boutiques touristiques de produits locaux et d’ailleurs, des magasins d’électroniques, des bijouteries et des boutiques de luxe, mais également des succursales de grandes banques. Dans sa partie la plus récente, face à la mer, se situe le musée de Nouvelle-Calédonie, la poste centrale, le marché local, le port Moselle et le site des gouvernements de la Province Sud et de la Nouvelle-Calédonie. C’est dans ce quartier que se trouve le Nakamal CFA et le Nakamal

4 Ville de Nouméa, « Découvrir Nouméa : Tourisme », consulté sur internet

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Port-Moselle qui font partie des lieux de rencontres que j’ai sélectionné pour réaliser de l’observation participante. Une description détaillée de ces lieux se trouve dans le quatrième chapitre.

En outre, le centre de Nouméa est un lieu de sociabilité propice aux rencontres diverses. En général, durant la journée, on y observe des gens de différentes origines ethniques qui discutent, flânent et passent le temps en groupes. Toutefois, le centre-ville de Nouméa peut se montrer sous un visage plus sombre. En effet, dès le coucher du soleil, j’ai remarqué que les places publiques, particulièrement la Place des Cocotiers, sont investies par des groupes ou des individus qui consomment de l’alcool et du cannabis et qui importunent parfois les passants. Des bouteilles d’alcool et des canettes de bière jonchent d’ailleurs souvent le sol du centre-ville le matin.

1.3.3.2 Nouvillle

Nouville, anciennement île Nou, lieu où l'administration pénitentiaire était installée dès les débuts de la colonie, est une presqu’île artificielle. Sur sa côte sud-est, on retrouve toujours des vestiges du bagne qui témoignent du passé de ce secteur. Aujourd’hui, le Camp Est, le centre pénitentiaire de Nouméa, poursuit l'ancienne fonction pénitentiaire de l'île Nou qui a hébergé plusieurs bagnards comme l’indique Bernard Brou : « En 1872, on estime que le bagne de l'île Nou contenait environ 4 000 des 7 000 condamnés aux travaux forcés détenus en Nouvelle-Calédonie » (1978 : 510).

Au fil des années, elle est devenue l’épicentre de la vie universitaire de la capitale. En effet, on y retrouve, situé sur la côte sud-ouest, le lycée général et technique Jules-Garnier qui offre plusieurs classes préparatoires aux étudiants souhaitant accéder aux grandes écoles de la métropole. On y retrouve aussi un Centre de Formation et d’Apprentissage (CFA) destiné aux jeunes de 17 à 25 ans souhaitant œuvrer dans des domaines techniques comme la construction ou la plomberie. « Pionnière de l’alternance sur le Territoire, la Chambre de métiers et de l’artisanat a mis en place les premières sections d’apprentissage en coiffure et boucherie, en 1983. Elle érige son Centre de formation dix ans plus tard, à Nouville.

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L’artisanat regroupe alors 6 300 chefs d’entreprises »5. Sur sa côte nord se trouve le campus

de l’Université de la Nouvelle-Calédonie dont profite les étudiants depuis la rentrée de 2012, suite à de grands travaux de réaménagements et d’agrandissements. Ainsi, il s’agit d’un secteur qui regroupe une grande densité d’étudiants locaux et étrangers.

En outre, Nouville abrite un hôpital psychiatrique, le Centre Hospitalier Albert-Bousquet, qui est situé à l’extrémité de la presqu’ile. Cet établissement se trouve tout près d’un nakamal ou j’ai rencontré, à quelques reprises, des patients qui profitaient de leur sortie pour y boire du kava, la boisson consommée dans ce type de lieu, sur la plage. Aussi, on retrouve dans ce secteur, logeant dans des abris de fortunes qu’on appelle squats, une concentration de résidents issus de la population kanak qui constitue aussi une grande partie des usagers des nombreux nakamals situés à Nouville (Dussy, 2012 : 30). D’ailleurs, c’est à Nouville qu’on retrouve le Nakamal Sunset et le Nakamal aux 2 Palmiers qui font aussi partis des lieux de rencontres que j’ai sélectionnés. Une description détaillée de ces lieux se trouve dans le quatrième chapitre.

1.3.2.3 Magenta

Magenta est un quartier hétéroclite et très dynamique situé près du centre-ville, où se trouve entre autres l'aérodrome de Nouméa ainsi que le stade Numa-Daly, le stade le plus grand de Nouvelle-Calédonie nommé en l’honneur d’un joueur de soccer français. Ce secteur est, selon mes observations et les témoignages recueillis au cours de mon enquête sur le terrain, l’un des plus diversifiés de Nouméa en termes d’origines ethniques et de classes sociales. Ainsi, dans cette « région », se fréquentent des citadins issus de divers milieux socio-économiques. Elle est en effet reconnue pour ses nombreux logements sociaux qui hébergent habituellement une majorité de Kanak et d’autres Océaniens. C’est effectivement dans cette région de la ville que, selon Dussy, « sont construites le plus grand nombre d’habitation à loyer modérés, qui vont de pair avec une construction en hauteur destinée à pondérer les coûts du terrain, de l’équipement et de la construction elle-même » (2012 : 95).

5 CMA, « Connaitre l’apprentissage », consulté sur internet ( www.cma.nc/jeunes/connaitre-l-apprentissage/decouvrir-la-cfa), avril 2019.

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Comme je l’ai mentionné plus haut, lors de mon séjour sur le terrain, j’ai eu l’opportunité d’y visiter un couple de jeunes adultes kanak originaire de Lifou. Ils habitent dans un grand immeuble typique de plusieurs logements considérés comme des logements sociaux. Il s’agit de logements subventionnés par l’État qui sont abordables et accessibles aux personnes qui se trouvent en situation précaire. Lors de mon arrivée sur place, j’ai remarqué que plusieurs jeunes Kanak flânaient devant l’entrée principale de l’immeuble. Steven, un jeune homme métis wallisien/européen a décidé de nous attendre dans la voiture par crainte d’être agressé verbalement ou physiquement. William, un jeune homme zoreille qui m’accompagnait connaissait Denis et il a préféré le contacter pour qu’il vienne nous rejoindre à l’entrée afin de nous escorter jusqu'à son logement. Pour nous rassurer, dès son arrivée, Denis nous a dit qu’il n’y avait pas de raisons d’avoir peur, mais qu’il fallait être vigilant et toujours agir prudemment en raison du contexte socio-politique tendu, afin d’éviter la provocation, car certains Kanak entretiennent de la haine contre les blancs et peuvent avoir de mauvaises intentions et même agresser physiquement une personne s’ils sont provoqués. Cette situation représente bien le sentiment d’insécurité qui règne en Nouvelle-Calédonie et particulièrement dans le contexte multiethnique de Nouméa. Elle révèle aussi qu’en dépit du caractère très diversifié de cette région de la ville, les différents groupes se concentrent dans certaines zones, ce qui indique une certaine ségrégation au plan spatial.

Enfin, ce secteur comporte deux nakamals, le Nakamal Pharaon et le Nakamal 21, qui font partie des lieux de rencontres que j’ai sélectionnés pour réaliser de l’observation participante. Je donnerai une description détaillée de ces lieux dans le quatrième chapitre.

1.3.2.4 Les Baies

Ensuite, puisque Nouméa est située sur le bord de l’océan, il est normal que la majorité de ses loisirs soient également orientés vers les sports nautiques. À cet égard, la région des Baies qui rassemble la Baie-des-citrons et l’Anse-Vata (voir figure 1) représentent le lieu par excellence pour pratiquer des activités aquatiques. De plus, au cours des dernières années, le développement de l’industrie touristique et la diversification des activités culturelles

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apportent de plus en plus de touristes qui s’y rendent pour profiter de ce coin de paradis exotique. Sur la Baie des Citrons, par exemple, « la plage qui s’étire sur plus d’un kilomètre est devenu très prisée des habitants de Nouméa. Les nageurs fidèles qui alignent les longueurs tous les matins à l’aube, les familles qui s’installent sur le sable pour le weekend, mais aussi les touristes qui, de l’autre côté de la chaussée, trouvent tous les commerces, restaurants, bars et boutiques nécessaires au confort de leurs vacances »6. En effet, cette baie bordée de commerces de tout genre est généralement à l’abri des vents et des grosses vagues, ce qui est idéal pour pratiquer des sports comme le kitesurf et la natation océanique.

Également, l’Anse Vata est un lieu prisé par les touristes. Ils s’installent sur sa plage qui est bordée par une allée piétonnière, la promenade Roger-Laroque, sur laquelle on retrouve une concentration importante d’hôtels, restaurants, bars, boîtes de nuit et boutiques. De l’autre côté de la chaussée, les pieds dans le sable, plusieurs fare (kiosques) offrent une ombre propice aux estivants ou aux familles réunies autour d’un pique-nique. Enfin, avec ses nombreux restaurants, bars et boites de nuit, la région des Baies est un secteur touristique important, mais aussi l’épicentre de la vie nocturne nouméenne. Les jeunes citadins s’y donnent rendez-vous pour boire un verre et faire la fête, particulièrement les soirs de weekends. D’ailleurs, au cours de mon enquête sur le terrain, j’ai régulièrement fréquenté 6 bars et boîtes de nuit qu’on retrouve dans le secteur. Il s’agit des 3 Brasseurs, La Barca, Le Bohème, Le JP’S bar, La Bodega et Le Pop Light. Une description détaillée de ces lieux se trouve dans le troisième chapitre.

1.4 Conclusion

Ces quatre « régions » représentent donc les secteurs où j’ai réalisé de l’observation participante au cours de mon enquête sur le terrain. Voyons maintenant plus en détail ma problématique de recherche, laquelle inclut les concepts qui m’ont guidé dans cette recherche ainsi que des précisions sur les méthodes déployées.

6 Ville de Nouméa, « Découvrir Nouméa : Tourisme », consulté sur internet ( https://www.noumea.nc/decouvrir-noumea/tourisme), avril 2019

Figure

Figure 1: Carte géographique de la Nouvelle-Calédonie
Figure 2: Carte géographique de Nouméa et ses quartiers
Figure 3: Secteurs et quartiers de Nouméa
Figure 4: Répartitions des groupes ethniques et culturels par quartiers
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Références

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