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Le mot-valise chez Gilles Deleuze : pour une intelligibilité de la notion d'oxymore dans le cadre des sciences des religions et du travail théologique

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ISABELLE DALCOURT

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LE MOT-VALISE CHEZ GILLES DELEUZE : POUR UNE INTELLIGIBILITÉ DE LA NOTION D’OXYMORE DANS LE CADRE

DES SCIENCES DES RELIGIONS ET DU TRAVAIL THÉOLOGIQUE

Mémoire présenté

à la Faculté des études supérieures de L’Université Laval

pour l’obtention

du grade de maître es arts (M.A.)

Faculté de Théologie et de Sciences Religieuses UNIVERSITÉ LAVAL

NOVEMBRE 2001

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et du travail théologique. Dans la première moitié du mémoire, nous observons d’abord l’oxymore dans les formalismes sémiotiques (où il est appelé «terme complexe/neutre»). L’aporie rencontrée tient à la difficulté d’inscrire formellement sa genèse. Nous inspirant des thè- ses récentes des mathématiciens René Thom et Jean Petitot-Cocorda, ce problème sur la genèse est reconduit à la difficulté de penser po- sitivement la discontinuité, mais surtout de la mathématiser. La se- conde moitié du mémoire se tourne vers Gilles Deleuze qui a élaboré une métaphysique qui conçoit positivement la discontinuité (ou ge- nèse). Deux conceptions «génétiques» de l’oxymore sont alors déga- gées de la métaphysique deleuzienne : l’oxymore comme «coupure» et l’oxymore comme «mot-valise». Nous interrogeons enfin le statut épistémique de ces dernières en demandant si l’espace métaphysique dont elles procèdent pourrait être fondé transcendantalement, i.-e. re- cevoir une constitution mathématique explicite, notamment par la

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La notion d’«oxymore» et le problème de son intelligibilité...1

Introduction générale... 1

CHAPITRE 1...8

L’oxymore dans les formalismes sémiotiques... 8

1.1 L’oxymore au sein de la catégorie des cas... 10

1.1.1 La métaphore régulatrice qui semble sous-tendre la catégorie des cas. 12 1.1.2 Le dénombrement des cas... 16

1.2 L’oxymore et le carré sémiotique... 18

1.2.1 Le mode d’inscription de l’asymétrie de l’opposition dans le carré.... 20

1.2.2 Le problème de la genèse des «termes neutres/complexes» au sein du carré sémiotique... 22

CHAPITRE 2... 27

La genèse de !’«oxymore» : le problème de la «discontinuité» ...27

2.1 Interrogations sur le «fait du surgissement»...28

2.2 Le «surgissement» du point de vue mathématique: la notion de «discontinuité»... 32

2.2.1 L’éclairage de René Thom sur le refoulement dont la «discontinuité» et sa notion font l’objet...32

2.2.2 Le principe de «stabilité structurelle» comme condition au contenu ontologique de la «discontinuité»...34

2.2.3 Retour sur la difficulté à penser l’oxymore comme «surgissant» d’un système : légitimité et illigitimité du vitalisme...36

2.3 Positions philosophiques explicites et implicites face aux discontinuités ..40

2.3.1 La conception explicitement «exclusive» de la discontinuité chez Kant41 2.3.2 L’implication exclusive de la discontinuité dans !’interprétation philosophique de la notion d’«oxymore» chez Jacques Pierre... 45

Conclusion de la première partie...50

DEUXIÈME PARTIE... 53

La notion d’oxymore dans Logique du sens de Gilles Deleuze... 53

Introduction à la deuxième partie...54

CHAPITRE 3... 58

Première formulation de la notion d’oxymore à l’aide des notions de «surface incorporelle» et «d’événement incorporel»...58

3.1 Les notions deleuzienne de «surface incorporelle» et d’«événement incorporel»... ...59

3.2 Première formulation possible de la notion d’«oxymore» : l’oxymore comme «coupure»...69

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3.2.1. La notion de «coupure» dans La Fable mystique de Certeau...70

3.2.3 Comparaison épistémique de l’oxymore comme «coupure» et de l’oxymore comme «potlach» : conjuration de la magie de l’apparition par une loi morphogénétique et un support ontologique au passage du «dit» vers le «montrer»... 76

CHAPITRE 4... 81

Seconde formulation de la notion d’oxymore à partir de !’«organisation incorporelle» : la conception deleuzienne de l’oxymore comme «mot-valise».... 81

4.1 Les composants spécifiant !’«organisation incorporelle» du sens... 83

4.1.1 Le statut des composants de «!’organisation incorporelle» du sens... 83

4.1.2 Exposition des «composants» de «!’organisation incorporelle» du sens87 4.1.3 Le mouvement affectant !’«organisation incorporelle» du sens : le déséquilibre... 89

4.2 La conception proprement deleuzienne de l’oxymore : le «mot-valise»... 93

4.3 L’apport deleuzien au problème de l’oxymore...97

4.3.1 Au niveau pratique immédiat... 97

4.3.2 Au niveau théorique et épistémologique...99

CONCLUSION DU MÉMOIRE... 103

1 Récapitulation de l’itinéraire suivi dans le mémoire...104

2 Précisions d’ordres épistémiques sur le langage deleuzien et sur la conception deleuzienne de l’oxymore... 108

3 La conception deleuzienne de l’oxymore et sa pertinence vis-à-vis du travail théologique... 114

BIBLIOGRAPHIE... ... 119

ANNEXE A : Définition sommaire de la Topologie donnée par René Thom.... 124

ANNEXE B : Richliam interprété par le cusp d’après l’article «Identité et catastrophes» de Petitot-Cocorda... 126

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1

Introduction générale

Où se trouve l’intérêt de la notion «d’oxymore» pour les sciences des religions et pour le travail théologique ?

Π semble que l’oxymore soit susceptible d’intéresser de plusieurs manières les sciences de l’homme, les sciences des religions et la théologie. Nous énoncerons de façon éventuellement rhapsodique quelques unes de ses pertinences sur la scène des études religieuses avant d’en fixer une qui formera l’horizon probléma- tique de ce mémoire.

Nous pourrions commencer par invoquer un fait «empirique» relevé par maints auteurs: le foisonnement inouï des oxymores dans une littérature dite «mystique». Qu’est-ce qui explique ce phénomène d’effervescence des oxymores? Au-delà d’une définition minimale de l’oxymore qui ne permet guère davantage que son repérage, comment rendre compte de la présence de ces oxymores dans l’écriture «mystique»? N’y a-t-il, pour se l’expliquer, qu’une question de stylistique, ne re- connaissant l’oxymore qu’en tant que figure rhétorique?

Il suffirait pourtant de pousser jusqu'à ses ultimes conséquences le fait que l’oxymore soit réalité de «discours» pour voir décupler l’étendue de son champ d’existence. D’abord puisqu’il existe des discours autres que celui appelé «mysti- que», la présence d’oxymore excède ses territoires nommément «théologique», «mystique», «mythique», «religieux».

Ensuite, quitte à ce que ce «champ d’investigation» prenne déjà des dimensions un peu folles, nous pourrions prendre en compte l’existence de «substances discursi-

ves» diverses, plus prégnantes, et ainsi voir l’oxymore hanter d’autres mon-

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resserrer ou relâcher le caractère «opposé» marquant l’oxymore. De simple «coexistence» d’opposés, l’on obtiendrait la «fusion», en passant par la «contrac- tion»? N’y a-t-il pas, en effet, quelque chose de l’oxymore dans «Fantinomie», dans «l’antithèse», dans la «contradiction», et dans le «mot-valise»?

Ensuite, en accentuant cette fois son caractère de «néologisme», l’on surprendrait des oxymores dans nombres de créations linguistiques -tel que l’omithorinque- formant autant de tentatives d’une langue pour garder la mesure de réalités ou d’expériences qu’elle arrive mal à contenir. À tout prendre, l’essentiel du voca- bulaire d’une langue fournirait des «oxymores» «étymologiques» plus ou moins amnésiques quant à leur formation.

Finalement l’on pourrait radicaliser l’exercice et refuser le monopole linguistique qui standardise l’image formelle de l’oxymore (et restreint par là son champ d’existence) en considérant, par exemple, le plan des représentations picturales et des phénomènes de «chimères». Michel De Certeau ramenait ainsi à !’«oxymore» les êtres étranges composant le Jardin des délices de Jérome Bosch, les corps pré- sentes par Ambroise Paré dans ses Monstres et prodiges (1573) ainsi que les êtres «dissemblables» analysés par Jean de Léry dans son Histoire d’un voyage fait en

la terre du Brésil (1578)1. Sans parler d’oxymores encore moins traditionnels :

avec l’audace d’un Bruno Latour nous pourrions ainsi localiser des oxymores des plus actuels et inusités dans des objets hybrides problématiques comme les «em- bryons surnuméraires», produits d’une radicalisation culturelle et naturelle en schize de l’opposition nature/culture elle-même1 2.

1 «Le tapiroussou est «demi-vache et demi-âne», «participant de l’une et de l’autre»». Michel De Certeau, La Fable mystique, 1 XVT־XVIIe siècle, Paris, Éditions Gallimard, 1982, p. 199.

2 Bruno Latour pose la thèse que, radicalisant en manichéisme la dichotomie nature/culture, la Constitution moderne produit une prolifération d’«hybrides» tout en empêchant de les penser.

Nous n’avons jamais été modernes, essai d’anthropologie symétrique, Paris, Éditions La Décou-

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Qu’on l’admette peu ou prou, !’extensibilité du domaine d’existence de l’oxymore révèle au moins ceci que ce dernier ne saurait se confiner à l’intérieur des limites réductrices d’une «figure de style». L’oxymore est—au moins quelquefois— effet

de discours, plutôt qu’effet embellissant sur le discours. D’autre part, il semble

que sa récurrence «empirique» justifie son étude non seulement dans le cadre des sciences de l’homme mais, de façon privilégiée, dans le cadre des discours que l’on appelle «religieux» (nous conserverions délibérément 1’ approximari vité du «religieux» en question en même temps que la généralité du terme «discours»).

Qu’en serait-il, maintenant, d’un intérêt spécifiquement «théologique» de l’oxymore? La question est plus délicate. H faut, semble-t-il, distinguer de multi- pies croisements possibles du travail théologique avec la notion d’«oxymore» ; plusieurs axes d’intérêts seraient pensables.

L’on pourrait ainsi dégager un premier axe, ou plutôt : «segment», court, direct, massif et intérieur au discours théologique: la catégorie «d’oxymore», sœur d’une autre privilégiée, le «paradoxe», jouit d’une présomption théologique favorable, voire d’une inflation discursive. Ce premier axe se sclérose facilement. Il théorise l’oxymore comme exprimant la finitude humaine, il insère cette propriété dès sa notion, affirme son contenu existentialiste-théologique, faisant l’économie de la particularité de l’oxymore et d’une médiation du texte où il est advenu.

L’on peut également concevoir un axe cheminant en orbite, «guettant» la théolo- gie en tant que travail d’un discours et peut-être au titre particulier de travail d’une «foi en quête d’intelligence». Jeu dangereux avec la limite de sa propre énonciation, ce travail la voue parfois à éprouver, cette fois sous un mode négatif, quelque chose de l’oxymore. Alors «l’oxymore», «n’exprime» plus une expé- rience, parce que, comme l’a dit De Certeau en le comparant au barbarisme, «il est

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cette expérience même»3. L’oxymore est ici inappropriable et non notionnel, à moins de dérive sur l’axe précédent, et où il sera glosé à perte.

Enfin un axe pâle mais qui ne nous semble pas moins insistant paraît mener l’oxymore à une pertinence théologique. B consisterait à regarder la théologie comme un discours4 portant sur un oxymore. Quel oxymore? Celui réunissant les deux termes opposés de «Jésus» avec «Christ», opposables, depuis Paul de Tarse comme renvoyant à «nature humaine» et «nature divine».

Cependant pouvons-nous nous contenter de voir en l’expression «Jésus-Christ» un oxymore au sens nominaliste, et de le traiter comme le banal «point de départ» thématique d’un nouveau discours sophistique? Plutôt ne choisirons-nous pas de rebrousser le foyer même de cet oxymore pour longer jusqu'aux conditions de son énonciation? Ensuite et surtout, nous pourrions nous demander sous quelles conditions les «conditions d’énonciation» de «Jésus-Christ» sont celles du faire sens, de nature anthropologique. Resterait évidemment à savoir comment formali- ser ces «conditions d’énonciation» ou «d’émergence» de l’oxymore, mais un enjeu du travail théologique ou christologique contemporain se verrait proposer une nouvelle formule : «est-il aujourd’hui possible d’assumer comme néologisme l’oxymore «Jésus-Christ» ?»

Ces seules considérations sur les modalités du «faire sens» introduisent déjà la possibilité du «sens» comme objet d’étude. Or la «sémiotique», dernière science en date à formaliser, conceptualiser et analyser le «faire sens», est susceptible d’apporter un recours précieux à notre recherche. Si l’apport le mieux connu de la sémiotique dans le domaine théologique consiste en la possibilité d’analyse sé- miotique sur les textes bibliques5, nous !’interrogerons, dans ce mémoire, en tant

3 De Certeau, op. cit. p. 203.

4 Certes, il s’agirait d’un discours assumant l’héritage d’une tradition, donc discours assumant d’autres discours assumant eux-mêmes d’autres discours, indéfiniment...

5 Tel que le fait à l’heure actuelle Le Centre d’Analyse du Discours Religieux (CADIR), à Lyon centre dirigé par Louis Panier et qui s’inspire de la sémiotique greimasienne.

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5

que théorie sur le «faire sens» fournissant éventuellement un concept sur l’avatar du «faire sens» qui nous préoccupe, l’oxymore. Nous choisirons comme horizon problématique la théologie fondamentale, plutôt que biblique, ou, si l’on adopte la formule proposée plus haut, l’horizon christologique.

Par ailleurs, en dépit de la direction théologique que nous imprimons au problème d’intelligibilité de l’oxymore, nous oserions formuler sinon la croyance du moins l’espoir que la majeure partie de ce mémoire, soit la recherche !’intelligibilité de sa notion, conserve une pertinence pour les sciences des religions. La recherche d’intelligibilité de l’oxymore ne décrit-elle pas à maints égards une sorte de ligne de crête qui adhère aux deux domaines?

Le plan suivi dans notre mémoire sera le suivant. La première moitié du mémoire interrogera la sémiotique, en recherchant une conception de la notion «d’oxymore», qui saurait dépasser sa conception rhétorique et sa définition nomi- naliste.

Un premier chapitre aura pour objectif d’interroger deux dispositifs formels clés dans l’évolution de la sémiotique comme théorie et méthode : la catégorie des

cas forgée par le linguiste danois Louis Hjelmslev dans les années trente, puis le carré sémiotique, reprenant en partie le travail de Hjelmslev et qui fût proposé

dans les années soixante par le lituanien Algirdas J. Greimas. Nous interrogerons, plutôt que ce que ces auteurs «disent» de l’oxymore, ce que les dispositifs qu’ils

choisissent, en tant que dispositifs formels, permettent de penser de l’oxymore. Ce

point de vue considérant la constitution mathématique des formalismes de la théo- rie s’inspire des thèses et de la démarche kantienne et lautmanienne du mathéma- ticien et philosophe Jean Petitot-Cocorda.

Nous situerons, dans le deuxième chapitre, les formalismes étudiés en considérant la notion mathématique de discontinuité. La difficulté à formaliser la genèse de

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l’oxymore (et donc à rendre compte de sa présence) sera reconduite à la difficulté de mathématiser positivement la discontinuité. Le problème de la genèse n’est pas un problème de méthode mais un problème métaphysique. Et c’est une fois obtenu l’éclairage mathématique de la formalisation de l’oxymore, soit une fois effectuée la reconduction à la notion de discontinuité qu’il sera possible de situer certaines

pratiques d’investissement philosophique de la notion d’oxymore. Une relation négative à la discontinuité (que nous verrons explicite chez Kant) induit un inves-

tissement particulièrement «transcendental» de la notion d’oxymore. À la fin du chapitre 2, la signification transcendentale que Jacques Pierre donnait tout ré- cemment à l’oxymore sera relue comme traduisant cette condition implicitement négative et non essentielle de la discontinuité.

Le bilan de la première partie du mémoire formulant une aporie, soit celle du pro- blême mathématique et métaphysique à penser la «discontinuité», nous nous tour- nerons vers le penseur français Gilles Deleuze et en particulier vers son ouvrage

Logique du sens écrit en 1969. À la différence de la configuration métaphysique

des deux formalismes sémiotiques considérés en première partie, nous verrons la métaphysique deleuzienne caractériser positivement la discontinuité et proposer un usage philosophique original des mathématiques.

Dans le chapitre trois du mémoire, nous exposerons brièvement la métaphysique deleuzienne et proposerons à partir d’elle une première formulation de la notion d’oxymore. L’analogie que propose Michel De Certeau entre l’oxymore et la «coupure» fournira l’échafaudage de cette première re-définition reposant sur la métaphysique deleuzienne. Nous tenterons d’évaluer comment et jusque dans quelle mesure la conceptualité deleuzienne (minimalement caractérisée) et la défi- nition obtenue règlent l’aporie énoncée dans la première partie du mémoire.

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7

Le quatrième et dernier chapitre du mémoire se concentrera sur la conception pro- prement deleuzienne6 de l’oxymore, soit l’oxymore comme «mot-valise authenti- que». Cette dernière se veut en quelque sorte une variation plus complexe de la définition d’oxymore comme «coupure» examinée au chapitre trois. Nous tente- rons de cerner les gains théoriques de cette seconde définition, en tentant de mesu- rer à quel point elle repose sur une métaphysique fondable transcendentalement, au sens kantien.

En conclusion nous discuterons de l’apport épistémique, théorique et pratique de cette conception à la problématique de l’oxymore (la métaphysique de Gilles De- leuze est-elle fondable au sens de la perspective néo-kantienne que nous adop- tons) et tenterons de cerner leur portée pour les sciences des religions et pour la théologie.

6 En assimilant le «mot-valise» à l’oxymore, nous jetons un flou sur la notion d’oxymore. Cepen- dant ce flou procède délibérément de la méthode que nous nous dormons dans ce mémoire, mé- thode par ailleurs elle-même déterminée par un «parti pris» structuraliste fort. À savoir que les «mots-valises» et les «oxymores», etc... ont en commun la «structure» d’une mise en présence de deux termes (opposés) détruisant une unité qui préexistait à leur formation (l’unité du syntagme, l’unité du mot, du phonème, du morphème,...) Nous croyons que ce parti pris compense en quelque sorte le vague frappant l’oxymore en ce qu’il permet de viser méthodologiquement un aspect pro- blématique précis (métaphysique) commun à toutes ces entités que nous réunissons sous le vocable «d’oxymore», à savoir, celui de leur genèse. Quelle métaphysique sous-jacente à la structure for- melle d’une théorie saurait inscrire la genèse présidant à la formation de ces diverses entités?

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CHAPITRE 1

L’oxymore dans les formalismes sémiotiques

Introduction

L’on définit traditionnellement l’oxymore comme une figure de style qui

réunit deux termes opposés1. Cette définition, associant d’emblée opposition et oxymore, introduit dès l’abord le problème du concept d’opposition, problème

auquel auront été attentifs les formalisateurs1 2 de la sémiotique, science de 1 ’engendrement du sens.

Le problème s’énonce facilement : comment concevoir l’opposition? N’existe-t-il pas plusieurs variétés d’oppositions à prendre en compte, quitte à ce qu’elles fassent exception ou «échec» à l’opposition définie par la logique for- melle et ses axiomes3? En clair, peut-on et faut-il concevoir d’autres «opposi- lions» à tel terme «A», qui ne soit pas son inverse «-A» ?

Nous verrons que ces questions qui rebutent dès la définition la plus for- melle de l’oxymore, occuperont les fondateurs et formalisateurs de la sémiotique. Et ce n’est peut-être pas coïncidence que la notion d’oxymore apparaisse au mo­

1 Voir par exemple J. Dubois et al., Rhétorique générale, Paris, Larousse, 1970, pp. 120-124. 2 Par le terme formalisme et ses dérivés {formalisation, formalisateur) nous renvoyons au couple constitutif de toute science : forme théorique versus objet empirique. Nous concevons le couple forme/objet comme non dichotomique. Ainsi, les dispositifs formels que nous dégageons et étu- dions résultent d’une procédure qui a tendue à sauvegarder l’unité du couple forme/objet. (Le

formalisme comprendra lui-même deux procédures, l’axiomatisation et la schématisation, que nous

définirons plus loin marquant la dominance de la forme discursive ou de l’objet au sens de contenu ontologique). Corrélativement, toute réduction opérée sur la diversité des objets empiriques (en vue de l’unité théorique) est conçue comme assurant idéalement la possibilité immanente d’un redéploiement de cette diversité visant à conserver l’unité forme/objet.

3Par le principe d’identité, la logique formelle postule que «A=A» et par le principe de non- contradiction que «A^ -A». «A» y est un terme qui s’auto-définit (si «A» est, alors «A=A») tout en impliquant l’existence de son exact opposé «-A». A partir de là, nous notons ce que nous pouvons appeler la «conception logique de l’opposition» ou «opposition logique» ainsi : «A, -A».

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9 Chapitre 1 L’oxymore dans les formalismes sémiotiques

ment précis où est mise de l’avant une classification des types d’oppositions. Bien plus : l ’oxymore ne se contenterait pas d’inclure une opposition, elle constituerait elle-même une variété d’opposition. De fait, le terme désignant en sémiotique une entité réunissant deux opposés («termes neutres» et «termes complexes») provient d’une typologie des oppositions4.

Dans ce premier chapitre de la première partie de ce mémoire, nous obser- verons deux formalisations sémiotiques des concepts d’«opposition» et d’«oxymore», formalisations qui ont fait date dans l’histoire de la constitution de la sémiotique comme discipline autonome. Nous étudierons (1.1) la catégorie des

cas posée par Hjelmslev dans les années trente puis (1.2) le carré sémiotique posé

par Algirdas J. Greimas dans les années soixante5.

La méthode suivie consistera à interroger directement les dispositifs for- mels. Cette approche se teinte d’un certain «radicalisme», si l’on définit ce mot, comme l’a fait Charles Sanders Peirce, par le désir de «pousser les conséquences à leurs extrêmes limites». De quel statut épistémique hérite la notion d’oxymore, compte tenu de tel dispositif formel «radicalisé»? Nous postulons par là que la spatialité inhérente à tel être formel importe et exporte des évidences qui lui sont propres, le pensable dépendant étroitement du visible.

4 Notre mémoire substituera la terminologie sémiotique à la terminologie rhétorique, désignant la notion «d’oxymore» par l’expression de «termes complexes/neutres». Cette terminologie, apparais- sant avec Hjelmslev, sera précisée dès le premier chapitre.

5 Louis Hjelmslev (1899-1965) est un penseur danois de formation linguistique dont l’activité et le rôle aura été, à partir des années trente jusqu’aux années soixante, déterminant dans le développe- ment des théories du langage, dans l’évolution de la méthode et dans la formalisation des concepts de la sémiotique telle que nous la connaissons actuellement. Le premier dictionnaire qui axioma- tise et met à disposition les concepts primitifs de la science et méthode nouvelle que constitue la sémiotique (Sémiotique, Dictionnaire raisonné de la théorie du langage d’A.J. Greimas et de J. Comtés, Paris, Hachette, 1979) reprend une grande part de son travail, notamment sur la catégorie

des cas, qui fera l’objet du premier chapitre. Algirdas Julien Greimas, penseur lituanien, co-auteur

de ce dictionnaire, occupe une place importante dans le second moment fort de la formalisation de la sémiotique. En plus d’avoir axiomatisé les concepts de la sémiotique, il est l’auteur d’une théo- rie sur les «structures sémio-narratives», (structures élémentaires de la signification), dont le carré

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1.1 L’oxymore au sein de la catégorie des cas

Un premier effort de formalisation de la sémiotique, mené par Hjelmslev, un penseur de formation linguistique, aboutit à une typologie appelée catégorie

des cas. Cette typologie révèle une première prise en compte systématique de tou- tes les variétés d’oppositions y compris celles qui ne satisfont pas la définition logique de l’opposition, pour laquelle seul «-A» s’offre comme opposé à «A», les

deux termes étant disjoints, complémentaires et symétriques. Nous développerons en deux moments l’appréciation de ce formalisme particulier:

1.1.1 D’abord, nous constaterons que la typologie esquissée n’opère pas qu’un simple «stockage» des diverses oppositions possibles. Elle solidarise «spatiale- ment» toutes les variétés d’opposition, comme si elle leur fournissait une sorte de «topologie»6 ou, en tout cas le déploiement maximal d’une plage bordée par tous les types d’opposition possibles. Elle semble résulter d’une procédure de formali- sation originale, qui se distingue de procédures axiomatiques7 plus standard, por- tant sur la cohérence discursive de la théorie car elle organise des contenus empi- riques autour d’une sorte de «noyau catégoriel».

6 Au sens de «structure topologique». Pour une définition sommaire de la Topologie, voir l’annexe A.

7Par axiomatisation nous entendons une procédure de formalisation qui se concentre sur la forme discursive d’un objet de connaissance, privilégiant le langage formel (par opposition au langage- objet). Elle assure la cohérence logique interne par «l’élimination des contradictions qui peuvent apparaître dans la hiérarchie définitionnelle articulant entre eux les concepts opératoires d’une théorie conceptuelle-descriptive.» Gaëtan Desmarais, Dynamique du sens, Québec, Septentrion, 1998, pp. 20-21. Un certain contenu ontologique étant également constitutif de tout objet de connaissance, la «base catégorielle» désigne pour nous le pallier épistémique qui a trait aux concepts primitifs du langage-objet, vérifiant la conformité de tel langage à tel objet de connais- sanee spécifique. La «base catégorielle» assure !’intelligibilité a priori des modèles. (Une telle intelligibilité présuppose l’unité possible dans les catégories cherchant à subsumer les phénomènes dans toutes leur diversité.) Une formalisation exclusivement axiomatique fait problème car elle traite «ces concepts primitifs comme des indéfinissables choisis par pure convention et dont il faut remplacer le sémantisme non définissable conceptuellement par des règles syntaxiques d’usage. En se concentrant sur la seule forme discursive d’une théorie [...], l’axiomatisation néglige le contenu ontologique qui est également constitutif de tout l’objet de connaissance, [négligeant] qu’en

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seien-11 Chapitre 1 L’oxymore dans les formalismes sémiotiques

1.1.2. Nous considérerons dans un deuxième temps un second geste surdétermi- nant dès son apparition la catégorie des cas, geste posé par le linguiste danois Vigo Br0ndal, et qui consiste à dénombrer les divers oppositions/oxymores (ou «cas») et d’opérer sur eux une opération combinatoire. La catégorie se voit ainsi traduite en des langages mathématiques relevant en dernière instance du principe d’identité. Ce geste affaiblit la «solidarité» qu’elle semblait poser entre les varié- tés d’oppositions/oxymores et réduit la portée «topologique» de la catégorie des

cas.

Nous procéderons à une description des divers types d’opposition définis par la catégorie des cas8. Elle comprend : a) deux termes B1 (positif) et B2 (néga- tif), qui sont disjoints, et présentent donc deux qualités comme incompatibles ; b) un «terme neutre», A, qui indique l’absence de l’une et l’autre de ces qualités, la non-application de la catégorie ; c) un «terme complexe», C, qui recouvre à la fois B1 et B2, et qui indique seulement !’application de la catégorie, d) deux termes à la fois complexes et polaires DI et D2, qui sont équivalents à C, mais avec insis- tance soit sur la partie Bl, soit sur la partie B2 de C. Ils sont appelés «complexe- positif» et «complexe-négatif».

Plusieurs remarques peuvent êtres faites sur ce dispositif formel.

i. D’emblée l’on observe que les trois derniers «cas» (b,c,d), peuvent très bien s’interpréter comme des «oxymores», puisqu’ils définissent des entités réunissant deux termes dont ils précisent le caractère «opposé»9.

ces, le problème de l’objectivité ne peut pas être résolu si l’on se limite à l’étude des règles d’usage entre un métalangage formalisé et un langage-objet.» Ibid, p. 22.

8 Nous obtenons cette description dans l’article sur «La catégorie des cas» O Ducrot, T. Todorov.

Dictionnaire encyclopédique des sciences du langage, Paris, Éditions du seuil, 1972, pp. 94-97.

9 Nous nous permettrons dorénavant de parler d’«oxymore neutre», d’«oxymore complexe», d’«oxymore complexe-positif» ou d’«oxymore complexe-négatif», bien que nous ne voyons pas l’auteur de la catégorie des cas utiliser nommément «oxymore» pour désigner ces «cas». Ceci permettra d’homogénéiser la terminologie de notre mémoire et d’éviter la confusion avec les deux entités opposées (les «termes») que met en présence l’oxymore. Par ailleurs, nous désignerons

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ii. Ensuite, la simple déclinaison des cas qu’opère cette catégorie confirme qu’elle excède un axiome de la logique formelle pour laquelle le seul «opposé» conceva- ble à tel terme «A» est son inverse et complément : «-A». Hjelmslev qualifie d’ailleurs la catégorie des cas de «sublogique»10. Du simple fait qu’elle inclut «l’oxymore», la catégorie excède l’axiome premier de la logique formelle. Elle multiplie de surcroît sa variété par trois. L’oxymore continue de satisfaire la défi- nition formelle de «synthèse de termes opposés» en se qualifiant ou bien de «com- plexe», ou bien de «neutre» ou encore de (variablement) «polaire».

iii. Enfin, nous ferions une «observation» à caractère plus «suggestif» en notant que la catégorie des cas, inscrivant la possibilité de «termes polaires», semble apporter un certain mode «quantitatif». Les «termes polaires» sont des oppositions

plus ou moins «parfaites» vis-à-vis de l’opposition de disjonction. La polarité

comme telle ne désigne pas tant des entités discrètes comme une plage «gradua- ble». Ainsi, la polarité se définit par le recours quantitatif aux termes posi- tifs/négatifs d’une part et par le recours qualitatif aux termes complexes/neutres d’autre part. La proximité à ces limites définit une «plage polaire», tel le champ magnétique, s’étendant et se limitant du positif au négatif, et du neutre au com- plexe.

1.1.1 La métaphore régulatrice qui semble sous-tendre la catégorie des cas

Nous introduirons maintenant des considérations relatives au concept d’espace qui pourrait être vu comme donnant une consistance particulière à l’être formel de la catégorie des cas. Ces considérations sont libres, éventuellement peu rigoureuses, mais nous espérerions qu’elles permettent une caractérisation plus

parfois par «termes complexes/neutres» l’idée de l’oxymore défini comme rassemblant les «cas» cités ci-haut.

(19)

13 Chapitre 1 L’oxymore dans les formalismes sémiotiques

significative et plus distinctive entre les formalismes que nous explorons dans cette première partie du mémoire.

Il nous semble possible d’induire une sorte de «principe topo logique» à la

catégorie des cas. Il est vrai qu’un premier examen confondrait la catégorie des cas avec un «classement de données empiriques». Cependant il apparaît vite que,

loin de se réduire à un simple ensemble, une organisation la sous-tend. En effet la notion de champ11 semble constituer une sorte de «métaphore régulatrice» de la

catégorie des cas. À tout le moins, et sans même rigidifier le sémantisme de pola- rité qu’elle introduit, nous pouvons lire une certaine homologie entre le nouage

quantitatif/qualitatif singulier qu’elle opère et celui qui appartient au modèle du

champ attractif, tel le champ magnétique.

En effet les six «cas» figurés présentent autant d’entités qualitativement identifiables. Les deux derniers «cas» (les «termes polaires») introduisent sous le sémantisme de polarité un mode quantitatif. De même, non seulement les zones que définit un champ, (par exemple, magnétique) n’ont-elles de valeur que par leur position par rapport à des pôles, c’est-à-dire qu’elles y sont qualitativement dépendantes, mais l’attractivité, introduisant un mode quantitatif, dépend de la

proximité à ces pôles.

D’une part, dans les deux modèles, les identités n’ont pas d’existence pour elles-mêmes mais dépendent étroitement de la différenciation de l’axe posi- tif/négatif. L’opposition positif/négatif apparaît comme une condition liminaire à 11

11 Notre parallèle avec la notion de champ passera pour excessif. Nous ne ,voulons que supposer que des intuitions topologiques telles que le champ peuvent avoir «circulé» dans !’univers de !’imagination théorique, avoir inspiré des concepts, avant d’avoir été formalisées ou découvertes en mathématique. Dans cet ordre d’idées, la notion de Gate-Keeper, inventée en psychologie par Kurt Lewin sous-tendait, aux yeux de René Thom une intuition «topologique» aujourd’hui validée. Le «pouvoir d’attraction» dont parlait Lewin, et qui équivalait à «la notion que les psychanalystes appelleraient de pulsion ou de tendance», manifestait ce que les mathématiciens connaissent sous le nom de «potentiel attractif en un espace.» {Paraboles et catastrophes, Paris, Flammarion, 1983, p. 87) Cependant, tant que l’idée de «potentiel attractif de l’espace» ne trouvait pas de développe­

(20)

l’existence des autres «cas» qui lui restent dépendants. Les divers cas semblent qualitativement définis par leur position avec les pôles. D’autre part, ainsi que nous venons de le dire, dans les deux modèles un certain mode quantitatif est in- traduit par l’étendue d’un champ bordé par des pôles. Cette étendue semble établir du quantitatif (de l’attractivité variable ou bien la «perfection» de «l’oxymore po- laire complexe/neutre») qui ne se définit que par la proximité avec les pôles.

Ne devons-nous pas avancer que, plus fondamentalement, cette coprésence est elle-même conditionnée (encore plus que par l’axe positif-négatif) par

l’application même de la catégorie, versus son absence, le «terme neutre».

L’application de la catégorie régit l’existence même de la différenciation posi- tif/négatif que la catégorie des cas instaure. Ce serait la présence du «terme com- plexe» qui aurait comme corrélât nécessaire la différenciation d’un axe posi- tif/négatif, lequel «creuse» ou instaure ce champ attractif investissable par une multitude d’«oxymores polaires» possibles, plus ou moins «complexes/neutres», plus ou moins «positifs/négatifs».

Tout se passe comme si la catégorie des cas supposait un champ ou ce que Jean Petitot-Cocorda appelle une «spatialité immanente au paradigmatique»12. Suivant cette hypothèse, la figuration spatiale de la catégorie des cas serait in- consistante dans un espace euclidien. Les six «cas» définissant des plages ne sem- blent pas, en effet discrets a priori, car ils ne préexistent pas à la différenciation d’un axe positif-négatif. Un espace qui conçoit toute entité identitaire comme pré- existante et donc indépendante de lui (tel l’espace euclidien, où les corps sont manipulables) désorganiserait la solidarité spatiale des cas.

Un dernier angle d’approche pourrait enfin être considéré qui manifesterait !’incompatibilité euclidienne de l’être formel de la catégorie : son appareillage

ments mathématiques, sa validité, tout comme l’hypothèse d’un champ sous-tendant la catégorie

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15 Chapitre 1 L’oxymore dans les formalismes sémiotiques

quantité/qualité spécifique. Par son nouage quantitatif qualitatif particulier, la

catégorie des cas fait l’économie de la notion de force. Un des «effets» occultés

de la notion de force consiste en une égalisation liminaire annulant des différences

quantitatives. La catégorie des cas évite cette égalisation. Nietzsche avait déjà

précisé le problème, reprochant à toute détermination (purement quantitative) de la force d’impliquer que «les différences de quantités s’y annulent, s’égalisent, se compensent»12 13. Avec Nietzsche, la catégorie des cas se fait le plaidoyer d’une «différence de quantité irréductible à l’égalité» et que toute qualité dégagée (cha- cun des «cas») n’est «rien, sauf la différence de quantité»14.

Dans un même ordre d’idée, celle de !’incompatibilité de la catégorie avec l’espace euclidien, est-ce que toute implication du concept de distance dans un être formel tel que la catégorie des cas ne dissoudrait pas l’autonomie qu’elle semble instituer et la solidarité spatiale des «cas»? Or il s’avère que c’est précisé- ment par l’économie de la distance euclidienne que se définit toute structure ma- thématique comme «topologique» et même que s’est axiomatisée la Topologie15 en tant que branche autonome des mathématiques.

Notre réflexion sur le concept d’espace qui semble appartenir au formalisme de la

catégorie des cas s’inspire des réflexions de Jean Petitot-Cocorda (dans Morpho- genèse du sens16 surtout). Ce dernier affirme !’insuffisance de la conception logi­

12 Morphogénèse du sens I, pour un schématisme de la structure, Paris, Presses Universitaires de France, 1985, p .52.

13 II s’agit de !’interprétation deleuzienne de Nietzsche. Nietzsche et la philosophie, Paris, Qua- drige (Presses Universitaires de France), 1999 (1962), p. 49.

14 Ibid, p. 49.

15 La distance euclidienne, i.-e réelle positive, à tout le moins. C’est même à partir de la notion de métrique, qu’Haussdorf dégagé les axiomes de voisinages qui ont permis par la suite une des deux caractérisations axiomatique possibles de la topologie. Étant donné deux points X (xl, x2, x3,..xn) et y=(yl, y2, y3,... yn) de l’espace Rn, leur distance euclidienne se définit par la formule d(x,y)2 = Σ (xj — Yj) 2. L’ensemble des points y de Rn situés à une distance d’un point plus petite quJun

nombre réel positif r est appelé boule ouverte de centre x et de rayon r. Une fois définie la notion

de boule ouverte de centre x et de rayon r dans un espace métrique, «il est immédiat de généraliser la notion d’ouvert — et de fermé— dans des espaces métriques quelconques et de montrer que la métrique détermine une topologie d’une manière canonique». Thom, op. cit, p. 62.

(22)

que de l’opposition parce qu’elle opère un choix spatial, présupposant des unités a

priori discrètes et distantes. Petitot-Cocorda formule l’impératif d’en appeler à

l’espace topologique pour concevoir l’opposition. Il existe pour lui une «spatialité

immanente» à l’opposition, une topologie. «Les notions (les catégories en un sens

kantien) d’opposition et de présupposition, affirme-t-il, renvoient à la notion pri- mitive de position qui est primitivement topologique et non pas logique.»17 De même, «les oppositions reposent sur des conjonctions et des disjonctions et ces notions renvoient à la notion primitive de jonction qui est primitivement topologi-

que et non logique.»18

La catégorie des cas semble pouvoir supporter une conception «topologique» de l’opposition en solidarisant spatialement les divers types d’opposition et d’oxymore possibles. Ce serait au sens le plus kantien que la catégorie des cas serait «catégorie». Car pourvoyant une topologie, elle se prête au langage-objet, bref fournit une «base catégoriale». La «formalisation» dont la catégorie des cas est le fruit semble résulter d’une procédure non foncièrement axiomatique. Elle propose une ontologie à son objet (à savoir, l’opposition) et s’y régule comme telle (intuitivement sans doute, peut-être à l’aide de l’image du champ).

Resterait évidemment à interroger critiquement le statut épistémique de cette «base catégoriale». Le sémantisme de «polarité» et la «métaphore régulatrice» de «champ» pourraient-ils se doter d’une construction mathématique spécifique?

1.1.2 Le dénombrement des cas

Nous voudrions mentionner un geste théorique qui réorientera dès son apparition la catégorie vers une conception logico-ensembliste: le penseur danois Vigo

17op.cit., p.52. 18 Ibid., p. 52.

(23)

17 Chapitre 1 L’oxymore dans les formalismes sémiotiques

Brandal dénombre et opère la combinatoire des cas19. Ce geste d’apparence ba- nale amenuise la portée «topologique» de la catégorie des cas.

En effet la mise en nombre détourne la catégorie des cas de ses éventuels sous- basements ontologiques et topologiques pour viser un domaine mathématique supposant des entités supposées déjà discrétisées (le nombre). La catégorie se voit ainsi traitable par des langages et intelligibilités mathématiques postulant le pri- mat ontologique du discontinu. La catégorie devient moins «catégoriale», les cas redeviennent des «cas» au sens banal, des phénomènes empiriques.

Si donc la catégorie des cas semblait le fruit d’une recherche de régulation du langage-objet, dotant les «cas» (d’opposition) d’une ontologie spécifique, le dé-

nombrement et la combinatoire re-précise ces «cas» comme unités non seulement

discrètes, mais fixes. En effet le nombre repose sur la permanence a priori d’identités elles-mêmes non régulées. L’action de «dénombrer» et de «combiner» les «cas» fixe en identités permanentes supposément non regulables des domaines qui semblaient avoir non seulement un lien, mais un sens «topologique». Elle abandonne donc partiellement une formalisation de type langage-objet.

19 O. Ducrot, T. Todorov, «La catégorie des cas», Dictionnaire encyclopédique des sciences du

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1.2 L’oxymore et le carré sémiotique

À la suite de Hjelmslev et de Br0ndal, Greimas, grand formalisateur de la sémiotique et co-auteur d’un premier Dictionnaire raisonné de la théorie du lan-

gage20, introduit le carré sémiotique. Ce que l’on verra, c’est que ce formalisme

reprend quelques uns des «cas» de la catégorie des cas, parmi lesquels les «termes complexes/neutres». Cette reprise évacue toutefois toute possibilité d’interpréter un lien «topologique» unissant les termes composant la catégorie des cas. Dans le

carré, la solidarité des termes ne relève plus que de l’articulation de relations «lo-

giques». Une des conséquences du choix formel de Greimas est que 1’«oxymore complexe» et P «oxymore neutre» se trouvent marginalisés formellement et que leur genèse semble relever d’une nécessité théorique plus spéculative.

Conformément à notre approche, nous garderons en vue que la spatialité immanente à l’être formel, soit celle la figure géométrique du carré, loin d’être neutre, est susceptible d’importer ses évidences propres. Alors nous poserons- nous les questions suivantes:

1.2.1 Dans une première section, nous chercherons à connaître le mode d’inscription spatial dont héritent les oppositions «non logiques» au sein du carré.

1.2.2 Quelle place et quel statut épistémique ce mode d’inscription assigne-t-il aux oxymores «complexe/neutre»?

1.2.3 Enfin, dans la mesure où cette place dans l’être formel modalise son exis- tence : de quelle nécessité relève l’existence d’oxymores au sein du carré, ou encore : que permet de penser le carré sémiotique de la genèse des oxymores «complexes/neutres»?

(25)

19 Chapitre 1 L’oxymore dans les formalismes sémiotiques

(26)

1.2.1 Le mode d’inscription de l’asymétrie de l’opposition dans le carré

Le carré sémiotique ne conserve que quelques uns des six cas de la catégorie des

cas. Alors que les deux pôles de Γopposition logique occupent Γ avant-scène, les

termes complexes/neutres ne figurent pas sur le schéma initial du carré. Ils figu- rent en marge, comme le fruit d’une «complexification» du schéma initial (nous définirons plus bas). Les termes polaires sont évacués. Non seulement le fait de n’importer qu’un sous-ensemble de «cas» implique-t-il une conception «réperto- rielle» de la catégorie des cas, mais l’évacuation de la polarité des termes achève d’annuler la composante topologique qu’elle semblait proposer.

non b(/

(Non froid) (Non chaud)

a-b: relation de contrariété, non a-non b: relation de subcontrariété, a-non a et b-non b: relations de contradiction, a-non b et b-non a: relations d'implication

Figure 1

Cependant le carré inscrit les oxymores «neutres/complexes». Quel est le mode d’inscription de ceux-ci ? Il

Il convient de constater qu’à l’instar de la catégorie des cas, le carré met en relief

l’asymétrie des oppositions linguistiques. Le troisième angle du carré a pour effet

(27)

!’opposition des termes «chaud» et «froid») pour inclure formellement l’asymétrie des oppositions21.

Cependant, à la différence de la catégorie des cas, l’asymétrie apparaît dans le

carré relever d’une nécessité beaucoup plus radicale. Le carré fonde

!’impossibilité nécessaire d’une coïncidence entre l’opposition des catégories linguistiques et l’opposition logique (définie comme plus haut comme opposant strictement «-A» à «A»). Deux types d’opposition sont ainsi mises en scène : la

contrariété et la contradiction, mais elles relèvent de deux ordres respectifs (la langue et la logique) visés comme incompatibles22. Mettant face à face contradic-

tion et contrariété, le carré signale que pour une opposition donnée, il ne saurait y avoir qu’une et une seule contrariété, (־A) et que cette dernière est l’apanage de la

logique, i.-e nécessairement exclue de la langue. (Notons toutefois, ainsi que le

faisait Jean-Marie Klinkenberg, que la relation de contrariété s’avère plus souple que la relation de contradiction, puisqu’elle admet la possibilité d ’ intermédiaires23.)

Chapitre 1 L’oxymore dans les formalismes sémiotiques 21

L’on conclurait que le carré inscrit au moins un «échec» de l’opposition logique, si l’on en examinait le mode d’inscription des oppositions. Contrairement à la

catégorie des cas, c’est !’incompatibilité de deux ordres ( le langage verbal et la

21 L’avantage des schémas tryadiques, caractéristiques des modèles de Peirce et de beaucoup de modèles pragmatiques n’est-il pas celui même qu’apporte, dans son rôle, le troisième pôle dans le carré de Greimas, soit de briser par le tertiaire une dualité antinomique ? Cette question demande- rait à être reprise dans un cadre d’étude plus étendu, considérant la sémiotique américaine d’obédience peircienne.

22 Ainsi «chaud» ne saurait s’opposer absolument qu’à «non-chaud», plutôt que, comme on le penserait spontanément, à «froid». «Chaud» et «non-chaud» définissent la relation stricte de contradiction, (celle qu’utilisent les logiciens et celle que l’on définissait comme l’opposition logi- que standard définissant «A, -A»), Enfin «chaud» n’est que contraire par rapport à «froid» ; les deux termes définissent une relation de contrariété.

23 «La relation de contrariété est moins rigoureuse [que la relation de contradiction] \ on peut être à la fois chaud et froid, ou occuper une position intermédiaire entre les deux «tiède».» (Jean-Marie Klinkenberg, Précis de sémiotique générale, De Boeck & Larcier, 1996, p. 169. Nous soulignons) Peut-être retrouvons-nous ici dans le pouvoir du carré à situer des «intermédiaires» ce que faisait (avec plus de clarté) l’idée du «champ attractif» par rapport à la «catégorie des cas», soit une dé- termination «quantitative». Cette détermination induisait par le champ attractif l’idée de forces

(28)

logique formelle) qui est visée par le carré. Le modèle de Hjelmslev déclinait

l’asymétrie dans la pluralité de ses modes, sous un mode d’inscription, pour ainsi dire, «inclusif». En revanche le carré opère un mode d’inscription «exclusif» et «comparatif» de l'asymétrie : l’opposition linguistique ne figure qu ’en tant qu ’exclue de la langue. Par là elle est rapportée non seulement à une opposition logique, qui lui tient lieu d’«idéal», mais plus généralement à l’ordre logique qui tient lieu de référence au linguistique. Ce mode d’inscription particulier de

l’asymétrie confère à l’oxymore du carré un statut épistémique différent de celui la catégorie des cas.

1.2.2 Le problème de la genèse des «termes neutres/complexes» au

sein du carré sémiotique

Important l’évidence d’une incompatibilité nécessaire entre la langue et la logique, c’est l’évidence de !’incompatibilité, autrement négative, du langage (y compris celui de la logique formelle) avec son absence que le carré exporte. Or le refoulement formel de cette négativité porte à conséquence quant à la question des «termes complexes/neutres» qui nous occupe, car il ne rend pas compte de leur genèse, laquelle se situe entre l’absence et la présence des termes.

En effet, la marginalisation de la langue et de «ses» oppositions non-logiques refoule la négativité face à laquelle se pose le problème de la présence et genèse d’une opposition, logique ou non. Cette condition contraint le carré à marginaliser les «termes complexes». De fait, ceux-ci ne figurent pas comme tels sur le graphe du carré. Greimas leur réserve une mention sur une forme hypostasiée des structures élémentaires, sur un schéma complexifié du carré.

attractives plus ou moins grandes, tout comme il est loisible de lire des intermédiaires plus ou

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23 Chapitre 1 L’oxymore dans les formalismes sémiotiques

Pour représenter les termes «complexes/neutres», Greimas en appelle à l’idée d’une complexification24. Parce que le carré n’est qu’une forme élémentaire, il est susceptible de se «complexifier» : les relations d’un carré peuvent devenir les (méta-)termes de relations d’un niveau hirérarchique supérieur. L’axe des contraires peut s’hypostasier sur un terme de même niveau nommé «complexe» («A» et «-A») et l’axe des subcontraires est susceptible de s’hypostasier sur un terme de même niveau nommé «neutre» (ni «A» ni «-A»).

Cependant l’idée de complexification ou d’hypostase réglant le devenir des oppositions en oxymores «complexes» et «neutres» fait problème, car elle apparaît spéculative. La genèse de l’opposition (—dont les oxymores «complexes/neutres», suivant la catégorie des cas, sont des variantes) est en porte-à-faux dans une géométrie euclidienne.

Nous avons déjà observé que le rabat de la différence sur la distance entraînait une conception logique de l’opposition refoulant la question de sa genèse.

L’espace euclidien méconnaît un tel mouvement générateur25 26. En effet, dans le

meilleur des cas, (comme pour le carré sémiotique) il ne peut représenter que le produit de cette genèse, déjà «opposé». Ce produit est alors supposé fixe et non- regulable totalement amnésique à quelque genèse ou différenciation dont il serait

l’efief*.

24 L’on se réfère à l’article «carré sémiotique» du Dictionnaire raisonné de la Théologie du lan-

gage, op. cit.

25 L’espace euclidien supporte difficilement une conception dialectique et génétique des termes opposés, parce qu’il est lui-même en quelque sorte une extrapolation d’un l’équilibre de l’espace. Il «méconnaît» pour ainsi dire, cette «contingence» en rabattant la stabilité sur la fixité. Les figures géométriques standards telles que la droite, le carré, le triangle, ... n’épuisent pas les possibilités géométriques d’espaces adoptant le principe de stabilité structurelle. Les «formes géométriques telles que : droite, carré, triangle etc. [...] a comme groupe d’équivalence [...] théoriquement, un groupe de Lie de dimension finie et dans l’espace de Haussdorff des formes spatiales, elles forment des strates de codimension infinie» tandis que l’espace des formes structurellement stables et ins- tables (les formes «informes») se donne comme «l’espace [...] de tous les compacts de R3 muni de sa topologie de Hausdorrf» Paraboles et catastrophes, pp. 15-17. Voir également les chapitres 1, 5 et 6 de René Thom, Morphogénèse et stabilité structurelle, op. cit.

26 Une critique du carré se fondant sur la binarité plutôt que la tertiarité de cette figure est à nos yeux insuffisante. Il est vrai que l’asymétrie révélée par le troisième pôle est immédiatement fixée

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Si Petitot-Cocorda impute d’abord le problème à une formulation logique du carré, (plutôt que sur sa nature euclidienne), en dernière instance, elle relève d’un problème d’espace, à un présupposé ontologique sur l’opposition, plutôt que topologique:

«Poser [l’être formel logique du carré, c’est] faire plus que d’appeler simplement «logiques» les relations qui le situent. C’est postuler que ces relations sont traductibles en termes d’algèbre [...]. Or, on ne note pas assez souvent que les calculs logiques (la syntaxe) que l’on rencontre en théorie des langages formels présupposent de très fortes hypothèses ontologiques sur les objets auxquels ils sont applicables. Ils présupposent essentiellement que les objets considérés soient construits, identitaires et autonomes et que

les relations qu’ils contractent soient en conséquence des relations à la fois inhérentes et vraies.»27

Pour Petitot-Cocorda, la conséquence la plus importante de ce postulat ontologique dû à la logique des termes est, en dernière instance, !’introduction du principe d’identité. Le problème du principe d’identité lui-même consiste à supposer que le primitif indéfinissable posé par convention n’est pas régulé ni regulable et sourd à quelque différenciation dont il serait le produit. La différenciation est réifiée en opposition logique:

«dans la formulation logique du carré, les sèmes au lieu d’être définis par différence deviennent des unités identitaires (puisqu’il n’y a de logique que d’identité/ Du coup, la différence qui est un phénomène

dynamique de différenciation se réifie en opposition logique, en négation. Il y a là une difficulté particulièrement aiguë [...]28 :

par le quatrième pôle du carré, et qu’en ce sens ce quatrième pôle re-symétrise l’ouverture à l’asymétrie de l’opposition que permettait l’adjonction d’un troisième pôle. D’une part, c’est notre présentation qui décortique le carré en ces pôles, et les dénombre. D’autre part, le problème n’est pas tant, à nos yeux d’avoir privilégié une figure géométrique dont les côtés ou pôles sont en nom- bre pairs, comme d’avoir privilégié une figure géométrique euclidienne, qui appelle «fixité» tout ce qui pourrait être conçu comme se produisant sous la stabilité. La stabilité offre une critique plus consistante que le problème de la symétrie de l’opposition.

27 Petitot-Cocorda, op. cit., p. 226-227. 28 Ibid., p. 228. Nous soulignons.

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25 Chapitre 1 L’oxymore dans les formalismes sémiotiques

La langue n’est pas absolument rapporté à sa conception logique car la «complexification» est une notion qui rachète quelque chose d’une négativité plus radicale ; par elle le terme se trouve défini par rapport à l’absence absolue du sens. C’est néanmoins la consistance du carré qui en fait les fiais :

«[...] l’axe des subcontraires n’est pas à proprement parler un axe sémantique car le sème s’interprète comme «absence absolue de sens». La négation possède un statut métasémiotique et l’on ne voit donc pas comment on peut en faire la base du carré sémiotique sans rendre celui-ci inconsistant.[...] Une opposition privative «présence/absence» est de nature fort différente d’une contradiction»29.

Pour rendre compte adéquatement des termes complexes, il faut faire appel à une topologie, affirme Petitot-Cocorda. Il nous a semblé que la polarité introduite par Hjelmslev dans la catégorie des cas suggérait une topique topologique. Toute topique rabattant les écarts différentiels sur une distance traduite comme une relation logique se condamne à ne pas rendre compte de la genèse et de présence des termes opposés. Utiliser la figure géométrique, c’est favoriser une mise en correspondance des écarts différentiels entre des sèmes avec des oppositions logiques.

De plus, selon Petitot-Cocorda, le rabattement de l’écart différentiel sur la relation logique statique, bref l’annulation a priori d’une différenciation rend techniquement impossible la distinction entre le terme neutre et le terme complexe. Ceci transparaît lorsque l’on interprète, ainsi que le fait Petitot-Cocorda, les différences comme des seuils et leur événement comme l’apparition ou la disparition d’un seuil différenciant. L’axe différentiant semble présider à la genèse des oppositions «neutres/complexes» et permet d’expliquer l’équivoque neutre/complexe elle- même.

(32)

Petitot-Cocorda affirme que «l’oscillation, voire une équivoque systématique, entre terme neutre et terme complexe» devient «facilement compréhensible si l’on interprète les écarts différentiels sémiques comme des seuils. Lors de la neutralisation du seuil, les deux sèmes qu’il différenciait s’amalgament. Or la neutralisation conduit à interpréter l’amalgame comme terme neutre alors que !’amalgamation elle-même conduit au contraire à l’interpréter comme terme complexe : un phénomène dynamique de disparition de seuil n 'est pas logiquement

{statiquement) traductible.»30

Le carré, considéré dans son être formel géométrique nous met donc face à un double problème : celui de la distinction des «oxymores neutres» et des «oxymores complexes» et celui de la genèse des oppositions et oxymores.

(33)

Chapitre 2 Bilan sur les cadres explicatifs de l’oxymore et discussion sur la question de 27 l’ontogénèse

CHAPITRE 2

La genèse de !’«oxymore» : le problème de la «discontinuité»

Introduction

Au chapitre 1, nous sommes partis du constat que l’oxymore, en tant que réunis- sant deux termes opposés (A avec -A), constituait Y un des divers éléments de !,ensemble des oppositions logiques (A, -A) et non-logiques.

La catégorie des cas, d’apparence taxinomique, radicalisait en nécessité la solida- rité des divers types d’opposition de cet ensemble, exprimant éventuellement une

topologie autonome de places. Souscrivant au postulat de Petitot-Cocorda, selon

lequel l’opposition est une notion topologique plutôt que logique, nous avons considéré que la catégorie des cas introduisait dans son horizon formel l’idée d’une certaine genèse. La genèse liminaire de la différence des termes néga- tif/positif semble commander l’existence d’un champ «maximal» de positions décomposables par les divers types d’opposition. L’oxymore apparaît, dans la

catégorie des cas, topologiquement liée à la genèse de la différence, ou de l’écart

différentiel.

Le carré sémiotique affaiblissait quant à lui la solidarité entre les divers types d’oppositions en marginalisant, sens spatial et rôle épistémique confondus, l’oxymore. Corrélativement, l’oxymore n’apparaît que secondairement lié à la genèse de la différence. La nature euclidienne du carré jouant certainement dans cette marginalisation, davantage que là volonté de Greimas, qui visait à rendre compte de la présence des «termes complexes/neutres» par l’idée de «complexifi-

cation».

Dans la deuxième moitié de la première partie, nous voudrions approfondir la question du génétique afin de faire gagner en précision le problème de

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!’intelligibilité de l’oxymore. L’aspect génétique trouve une double pertinence au problème de l’oxymore. Premièrement, la notion d’oxymore semble étroitement liée à la genèse de la différence. Deuxièmement, dans l’optique où un oxymore

surgit de tel système signifiant par un phénomène très général et obscur que Ro-

land Barthes décrivait comme «subversion». Que ce soit en tant que fruit de la genèse de la différence ou en tant qu’entité engendrée par un système de para- digme, la notion d’oxymore bute sur le problème de la genèse.

Dans un objectif de plus grande clarté sur la question de la genèse de l’oxymore, nous emprunterons le chemin suivant :

2.1) Dans un premier temps, nous exposerons plus directement la difficulté de penser le fait du surgissement de l’oxymore par une interrogation libre à son sujet.

2.2) Nous espérons atteindre plus directement le problème en adoptant ensuite le point de vue mathématique de René Thom, définissant le surgissement (pro- duisant un oxymore) comme discontinuité. Cette perspective mettra en lumière la transdisciplinarité du problème de la discontinuité.

2.3) Enfin nous étudierons la tendance épistémique actuelle, à coloration kan- tienne, vis-à-vis du phénomène des «discontinuités». Cette tendance joue considérablement dans !’investissement philosophique et la signification théo- logique de la notion d’oxymore. Nous citerons en exemple !’interprétation de l’oxymore du philosophe Jacques Pierre.

2.1 Interrogations sur le «fait du surgissement»

La subversion d’un «tout» défini par le paradigme et le syntagme s’avère diffici- lement conceptualisable, voire imaginable. Que le produit de la subversion soit

(35)

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Chapitre 2 Bilan sur les cadres explicatifs de l’oxymore et discussion sur la question de l’ontogénèse

identifiable comme une figure (oxymore, une métaphore, une forme informe) ou comme un système simplement différent, il est difficile d’interroger directement le

surgissement en tant que tel. Dans cette première partie de quatre sections, nous

interrogerons intuitivement le surgissement afin de faire apparaître clairement son problème et préparer une interrogation plus explicite à la section suivante, où elle sera interrogée dans une perspective mathématique.

Barthes posait l’existence d’un mouvement singulier entre l’axe paradigmatique et l’axe syntagmatique pour définir les divers «phénomènes» de la création littéraire. Il décrivait ce mouvement en termes de «figer», «absorber», «transgresser», «sub- vertir», etc. Nous poserions à présent la question suivante : si pareil mouvement est possible, sa description verbale n’est-elle pas creuse ?

Il convient de remarquer la généralité de la notion de «subversion» (ou «transgres- sion»). Réfère-t-elle à un mouvement énigmatique, elle renvoie toujours à un Tout préalablement défini et le Tout qui nous occupe, soit un système ou ensemble de «paradigmes», en est sans doute est la version la plus intuitive, par conséquent, non seulement la plus proche des formalismes, mais celle généralement employée. L’œuvre d’art, pour ne retenir que cet exemple, se conçoit couramment comme le

produit de la subversion du Tout-paradigmatique d’où elle s’exclut pendant une

durée nécessaire à sa «reconnaissance». Puis elle sera récupérée par l’époque (le Tout) suivante1. 1

1 Proust explorait cette intuition: «Les gens de goût nous disent aujourd’hui que Renoir est un grand peintre du XVIIIe siècle. Mais en disant cela ils oublient le Temps et qu’il en a fallu beau- coup, même en plein XIXe, pour que Renoir fût salué grand aftistei Pour réussir à être ainsi recon- nus, le peintre original, l’artiste original procèdent à la façon des oculistes. Le traitement par leur peinture, par leur prose, n’est pas toujours agréable. Quand il est terminé, le praticien nous dit : Maintenant regardez. Et voici que le monde (qui n’a pas. été créé une fois, mais aussi souvent qu’un artiste original est survenu) nous apparaît entièrement différent de l’ancien, mais parfaite- ment clair. Des femmes passent dans la rue, différentes de celles d’autrefois, puisque ce sont des Renoir, ces Renoir où nous nous refusions jadis à voir des femmes. Les voitures aussi sont des Renoir, et l’eau, et le ciel : nous avons envie dè nous promener dans la forêt pareille à celle qui, lé premier jour, nous semblait tout excepté une forêt, et par exemple une tapisserie aux nuances nom- breusés mais où manquaient justement les nuances propres aux forêts. Tel est l’univers nouveau et périssable qui. vient d’être créé. Il durera jusqu'à la prochaine catastrophe géologique que déchaî­

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Or sous la notion de subversion —aussi répandue que peut s’appliquer le Tout- paradigmatique— ne néglige-t-on pas bizarrement de supposer une réalité? Y a-t- il un contenu qui renvoie à la réalité entre «ce qui sort» d’un Tout et «sa récupé- ration» dans un second Tout, ou encore y a-t-il une continuité possible entre ces deux Tout? La rupture entre les Tout est-elle absolue? N’y a-t-il pas abus à pré- sumer ou faire comme si ces Tout faisaient deux ? La définition formelle de l’oxymore (tout comme la métaphore entre autres phénomènes «subversifs») ne donne aucun indice formel sur sa propre genèse, comme s’il ne lui était assigné aucune sorte d’existence. Tout se passe comme si un nuage de chaos était associé à la genèse, à la subversion. Cette présomption pessimiste s’intensifie lorsque Ton emploie l’idée de «transgression» pour désigner la genèse.

Ne serait-il pas au contraire envisageable de chercher dans la subversion la loi d’un «déploiement» ou d’un «dépliement»? Qu’en est-il de la réalité comme telle de la «catastrophe géologique» dont parle Proust, non pas dans T après-coup de son occurrence, c’est-à-dire une fois le Tout restabilisé, autrement dit, une fois récupérée ou absorbée par un deuxième Tout, mais dans la contemporanéité de sa survenue, supposant le Tout unique et continuement déformable? N’ingérons- nous pas une discontinuité factice entre les Tout, en niant d’emblée la possibilité d’un tel «dépliement»?

Nous voudrions réaliser une filature soutenue de ce que Barthes a appelé «subver- sion». Quitte à côtoyer un certain positivisme, nous poserions l’hypothèse d’un contenu ontologique possible au mouvement «subversif» du Tout. Nous nous tournerons vers le mathématicien René Thom, qui a fait de la «discontinuité» des systèmes l’objet d’une carrière. Condensant notre série d’interrogations en une question: comment la subversion, qui génère l’oxymore entre autres «phénomènes

neront un nouveau peintre ou un nouvel écrivain originaux». Le côté de Guermantes, Paris, Édi- tions Gallimard, 1954, pp. 30-31.

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31 Chapitre 2 Bilan sur les cadres explicatifs de l’oxymore et discussion sur la question de

l’ontogénèse

littéraires» peut-elle dériver du Tout défini syntagmatiquement- paradigmatiquement?

Nous présupposons par là que les relations (paradigmatiques et syntagmatique) définissant ce Tout soient elles-mêmes exigibles d’un contenu mathématique ; que par son ambition descriptive (par le paradigme) et prédictive (par le syntagme, son corrélât), le paradigme est déterminable par la fonction continue. Nous pointions quelque chose de cette déterminabilité mathématique en soulignant plus tôt la généralité et prégnance du paradigme, son caractère «catégorial et intuitif»2.

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