o
...
LE PATHOS OE DIEU COMME FONDEMENT 0 'UNE
THÉOLOGIE ET 0 'UNE PRAXIS DE LA NON-VIOLENCE
ù
JEAN-FRANÇ OIS BEAUDET
FACUL TV OF RELIGIOUS STUDIES
UNIVERSIT~ MCGILL, MONTRÉAL
MARS 1987
Thèse présentée à la Faculté
\
-dl études supéri eures et de recherche
-@
Jean-Franço1 s Beaudet1987
-..
Permission has been granted to the National Library of
Canada to microfilm this
thesis and to lend or sell copies of the film.
The author (copyright owne.r) \
has reset>ved o t h e r
publicatiotl rights, and
neither t h e ' thesis nor
extensive extracts from i t may be printed br otherwise . reproduced wi thout his/her
written" permission.
L'autorisation a été accordée
à la t' Bibliothèque nationale • • _
du Canada de ml.crof l.lmer
cette thèse et de < prêter ou
de vendre' des exemplaires du film.
L'auteur (titulaire du droit
d'auteur) se réserve les
autres droits de publication:
nï la thès e ni de longs
extraits de celle-ci ne
doivent
2
être imprimés ouautrement reproduits sans son autorisation écrite . 1 S SN 0 -315 - 3 8 322 - 4 : ~-" ," \ _ _ ... _ _ _ ... _ _ _ _ ... =-_ ... _~~_--11111!~-~---_. _, __ ._
..
-/
a..
o
Résumé
Les souffrances du XXe siècle ont fait resurgir de façon
y ~
dramatf que une fdéÈ! quf a tr,versé le chri sti ani sme, depujs ses tout
débuts. Cette idée est celle de la participation de DieUe à 'la
souffrance du monde, ce 11 e du Pat~os de Di eu.
~
._-L' affi nnati on du Pathos \ de Di eu découle di rectement de,
l'af.firmat.ion "Dieu est <mour", et est aussi une affirmatfon de
l'engagenent de Di eu envers l' hl.ll1anité souffrante. Ce~ engagenent· de
.
Dieu" c'est un engagement dans une àction libératrice pour faire
disparaltre les souffrances du rOOnde. La souffrance de Dieu, ou & ,
plutôt son am?ur-souffrant, est la forme ~e l'engagement de Dieu pour
la transfonnation du monde. ~'amour-souffrant , de Dieu se révèle dans
la croix de Jésus, et par la praxis de libération d~ Jésus qui l'a
menée' à cette croix. Jésus a aimé les persoones qui souffraient et
s'est engagé dans une act-ion pour faire disparaître leur souffrance.
Sa foi en ~~eu qui est Pathos la éIllené Jésus à choisir de lutter sans'
violence, sans faire souffrir ses ennemis, refusant ainsi la voie. que
• '" t "
lui proposent les zélotes, il choisit le chEmin de' la croix. ,Il
révèle ainsi la force de l'éIllour-souffrant, celle de la non-violence
1 i bératri ce. (
c.
Cette force de l'allour-souffrant s'incarne aujourd'hui dans une actlon noll-violente révolutionnaire afin de démentE!'ler ,les structures de souffrance écrasant l' humani té.
>
Of eu qu i es t amour et pathos ag it par ceux et ce 11 es qu i luttent
pour fair;e' cette révolution ,non-violente contre' l'extenninisme,
gardant l' espof r pr.ésent dans notre monde tourmenté par ta
souffrance. /
--" _ _ _ _ . ; . . , _ _ . . . . c _ _ _ _ _ _ _ _ _ . . . ~~ _ _ _ _ _ _ _ _ ~'"__... _ _ ~ •. L ' . . .•
1..
" "
. '
·f
Abstract
XXth century sufferings give new 1 He, ta the old idea
pas'sed thro'U~ Christian h'1story fro~ ,jt..S beginn'ngs. This 'idea i5
-tharGod -takes p~rt in a certain w~y to the sufferfng of the world:, .
1t i s the i dea of
"Gad'
s Pathos.Such an affi rmat i on of -Gad' s Pathos cornes from the bi b 1 i ca 1 ,
.
tenet "Gad 1s 10ve'~ and is also the affinnation of God's fnvolvenent
with a suffering humanfty. God's involvenent is an involvement in a
l1berating action to make the world's suffering dfsappear. , God's
suffer1ng, ,or better said God's suffering-1Gve, is also the form
taken
by
God's action ~or the transfonnation of the world. Itreveals itself.thr~ugh ~sus' cross and through the liberati~g
praxis-that lead him to
t~a..t
cross.Jesus lov~d the suffering ones and commftted hfm~elf' in actions
to make their sufferf ng. disappear. Hi s fai th in a Gad of Pathos
brought tJïm ta a choice f<?r a non violent strug'gle~ and a 'refusal ta
make his ènl"!enie~ s~1ifer. He did not follow the zealots, but took
the way of the cross. He thus rev'ealed the power of suffering-love, the power of a lfberating non violence.
This ,po\'ter of suffertng-love is today incarnated in
revol utionary non violent action to di smantle the structures of
suffering that art ,crushing humanity. God, who 1s love and pathos,
.
acts through those who are 1 n~o 1 ved in a non vf 0 1 'nt revq 1 utf on
J
against extermfnfsm, keeping alive hope in a world tormented Wtth suffer1 ng. , . ,
.
.
-.~0-.
..f' --'
•
,
)TABLE DES MTlERES
\
IntrcKIuction
...
iChapitre 1 . ~
~:n~~!h~~~~a~~~~~e :~~ :~~~~~
•~~ ~~~~~ ~~~. ~~. ~ ~
... •1....
l A. Un courant à travers les âges ..••..•.•.••....•.'t....
1B. le "Dieu Cruc1f15" de Moltmann ... : ... - 6
C. Autres théologies théopathiques contempo-raines: Song, KOyifTla, Thanpson et He 11 wi g ... 14
Chapt tre II Théologie théopathique et praxis non-violente ... . X'. 20 A. Dans 1 a pensée de Mo ltman .... :... 20
B. Dans 1 a pens ée de Thompson, Song et He 11 wi g ..••• _. . . . 28
C. Dans la pensée de p'ersonnes engagées dans des luttes non-violentes (Gand'Fii, M. L. King et
J.
Oouglass) .... 32D. la praxis de -Jésus ,était-~l1e non-violente? ... ~. 36
"t Chapitre III .. Praxis non-violente et révolution... ... ... 43
A. la non-vfolence est-elle poss1b1e? Quel ques leçons de 11 époque nazi e ... __ • • • • • • • • • • • 43 -
,
1. Le secret ....•...•...••••...••...••.... 442.· Des mill i ers de collaborateurs ... ·46
3.' L'attitude de ll-Egl1se'catholfque ... ,. ... 49
4. Les leçons ..•••• t'. • • • • • • • • • • • • • • • • • • . . . • • • • • • 51
B. N'Dn-violenc!! et Holocauste nucléaire: JI urgence d' ag i r ... 56
O. la non-violence peut;elle êtrè "révolutionnaire"? .... , . -... 62
Chapitre IV 'Le Pathos de Di eu conme fondement dl une/théologie et -
,.
d'une praxis de lannon-vfo1ence ... ... ... .... 69A. Extermini sme et Pathos de Di eu ... '.... • .... 69
B. Pathos de Of eu et non-vi 0 1 ence de Jésus •• :... 72
ç.
Non-violence et révolJ}tion (un projet de soclé~é) ... 80Postface ... 86 Notes •• , •• -••••••••••••••••• -a.-. •• : •••••••••• : • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • 90 . . • . . . - (f 81 b 11 ograp~je... • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • ... • • • • • • • • • • • • lQ2 , ----l '
(
:;4
/ ,~"o
\•
--INTRODUCTION 4'"
40 000 personnes meurent chaque: J<f'r dans le monde conséquences ,de la malnutrition. l
•
16 -mi 11 i ons de personnes sont mortes, depuis
1945, à cause de1 t
l'utilisation ou de l'essai d'armes nucléaires ainsi que de la radioactivité produite par l'industri-e de l'énergie nucléaire. 2 10 000 personnes sont mat-tes à Bhopal, tuées par la fuite de gaz
"
toxique de l'usine d'Union Carbide. 3
Personne ne sait combien de personnes survivraient à une -guerre . nucléaire généralisée ... "
.
Nous vivons dans une civilisation qui a attein..t.1e stade suprÊme, de son développenent: l'extenninisme. L'historien britannique E.P. Thompson écrit~ue l'exterminisme désigne .les caractéristiques d'une \
'" '1
société (exprimées à ~des degrés diyers dans son éconanie, ses institutions politiques, son idéologie) qui la poussent dans une
./ ,
direction au ~ut de laquelle il y a l'exterminatjon des masses. 4
-d.ifférents.
progresse à l'heure actuelle
r'\-
sur Ivois
plansL 'extermi n i sme
Il Y a, bi en snr, la course 4lUX armenents qui nous 'pl ace SQus la
éonstante menace de l'extennination dans , une' guerre nucléaire
(,..
généralisée. Mais, cette c1vi l1sat1.on exter.mine 'déjà quotidiennement . ~
.
des 'mf.fl iers ~e personnes dans les pays du SUd, par ses structuresd'~ploitat1on planétaire et par les injustices -;économiques qui en
,
résultent. Et, de plus en ,plus, l'industrialisme laisse p,.araltre
".
progresshenent' son caractère extermini ste. à mesure gue se
. , / ,
)
• t ~5 • .. .. ' t --= •--
, \ . './
o
.
---.
#•
•
--•
produisent. à un rytl1ne to.ujours pl us accétéré les catastropnes ,
~
.... écologiques: Seveso, Three Mile Island, Bhopal, Tchernobyl •••
"
Face aux souffrances des' survivarrt-e-s d'~roshima, desovictimes
de Bhopal ou des affamés du Sahel t nous somm'es forcé-e-s de réaliser
le désèS"pOir de notre condit; on hll11ai ne et de ,.ercevoi r avec effroi 'le sort que nous réserve le systène infernal q.ue nous avons construit..::' Nous en sonrnes rcJTIené-e-s à 1 a quête dlLs.ens fondanental
de l'existence humaine. -
.
.
. Si sens il . y a, où le- chercher si non dâns ,-cette souffrance dont nous sonmes témoins, et dans -cette réponse qui
.
~
surgit en nous lorsque 1 a sO)Jffrante de l'autre affecte l'
.,
(IlIOUr:' quinous' habi te?
.,.
thercher un sens t un "absolu" t .Di eu, ailleurs qu'au -éoeur mêne
•
de cette souffrance e~t au mi eux i 11 usoi re, au pi rI! une fonne de
"
.
. compl i ci té. El i Wi ese1 parle 'de notre époque comme étant un temps
...
situé entre Auschwitz/Hiro.shima et le Futur-Hiroshima. Nul mieux que
lui n'a su exprimer 'les implications existentielles de vivre en cette
~
"fi n des tenp,s": "
'.
Les S5 pendirent deux juifs et un adolescent devant les
honrnes du canp rassemblés. Les honmes moururent
rapidement, l'agonie de l'adolescent 'dura une demi-heure.
"Où est Dieu? Où est-il", denande quelqu'un derrière moi.
Comme l'adolescent se débattait en~cr- au bout de Ja corde,
j'entendis l'homne appeler à uveau: "Où est Dieu
mai ntenant 1" Et j' entendi sune vo x . répondre en mài: "Où
- est-tJ?
Il est ici ••• Il est pendu u gibet ••• "5 ....
C'est' vers les victimes de l'ex,terminisme, celle de
l' extennin} sille nazi, ou celle du' système extennini ste actuel que
notre regard doit se porter. C'est alors que la souffrance de
l'autre toucharit'l'~ur en nous, nous révèle cette réalité ultime de
--.
-,.
• · . . _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ .~M. _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ . . _ _ =~I ________ ~~ __ .__. ________ ~_ A ~ , ./-
~,,
1
/0
l'exfstence htmaine que la foi chr.étienne nOll'lTle Dieu,' Dieu, qui est
.
amour •
"Diet! est anour"; c',est bien ce qu'a, de ~s temps, affirmé la
tradition chrétienn~. Mais curieusenent, malgré S6n affi nnation de'
t
la r.évélation de Dieu en "'Iun crucifié, cette mêne tradit;on a troplongtenps détourné son regard de la souffrance, pour le tourner vers
l'impassibilité de la gloi re, , vidal)t ainsi son affirmation
l''fondanentale de tout sens. Car, cOlTInent pourrait-il y avoir "amour"
sans souffrances dans un monde tourmenté. Pourtant, seules quelques
personnes ont affi rmé, à travers les âges, qu'elles percevaient 1 a
présence et l'action de Dieu au c'oeur des souffrance de -l-!-Rumanité .
..
Si Di eu parI son cJTIOur est affectée' par 1 a souffrance de
-(humani té, e11e6 s'engage auprès des personnes souffrantes, elle
prend p~ce auprès des victimes, des opprimé-e-s. Avec le,s persannes,
~Ui sou~frent, et par elle, elle s'-engage sur le chemin de la 1 \tiérati on, car son amo ur potur l' htméltlité souffrante ne peut faire
autrement que d~ tout mettre en oeuvre pour fai re cesser 1 a
souffrance. Cef- amour-souffrant de Dieu, ce "pathos" appelle aussi . les personnes qui mettent leur foi en lui à un tel engagement.
De plus, cet amour-souffrant est aussi l'engagenent lui-m&!e, la
l ,
.' forme qu'il prend. Car le Pathos de Diéu, qui s'incarne dans l'agir
tJj
~ des personnes ,hLl11aine pour faire disparaltre les souffrances, refuse .
~ ,
de faire souffrir ou de recourir -à la violence qui cause la
'\
souffrance. la no~-v,iolence active ,devient donc l'incarnation de
1 • arnoûr- souffrant dans l'engagement pol,lr changer le monde, nourrir ,
0
l'affané, 11~érer l'opprimé. Dieu qui est ~ur et Pathos nous
appelle à devènir ceux et ce 11e5-' , par qui elle -'aime et souffre
' -' " o iIII _ _ _ . . _ _ _ _ _ _ _ _ ... ..;,..:.._ ... _ _ _ n~...; ... _ _.::..~ __ ._...._.::.._=__ __ ~ ___ ~A ...
,
"o
- /J
/
1v
avec les personnes soyffrantes luttant avec elles pour leur
,
libération. La force de l'amour-souffrant est la force quf "''11 ent de
Dieu, c'est sa puissance pour tr~nsforrner }e réel. c'est la force de
~ "-la non-violence liberatrice.
Dans les pages qui suivent nous tenterons .... donc de démontrer
1.
-tomment affirmer le patl\os de Dieu, la souffrance de son amour, c'est
'"
.
poser le fondement d'une théologie de l'engagement dans la lutte
, J
non-violente pour mettre fin
a
l'exterminisme de notre civilisation.1
Pour ce, nous suivrons l'évolyti"h de l'idée de la souffrance en Oiell"
Qui, malgré sa marginalisation:et parfois même 'la condamnat1~n, a pu
l ,
se frayer un chemi n à travers toute V histt,i re du christi ani sme.
Nous allons insister particulièrement sur l'oeuvre de Jürgen Mo1tmann Q
qu i . a été- détermi nante dans 1 e développement "de 1 a pensée
(/'-thëopathique, au cours des dernières années. , Les écrits récents de
\iléo1 ogien-ne-s. tt\éopathiques comme Song,' Koyama, Tho~so" et·
Hellwig, dont 1 es_ idées auront un rôle central à jouer dans le
dévèloppemegt de notre thèse, seront a~ussi i"cl~s dans ce SUeOl
< 1
historique (Chapitre 1).
Nous verrons, ~ar la suite;' cOl1Wlleritl'affi rmation du pathOS de
Dieu' est un vér1tabl e appel -à l'engagement auprès des perso~~e,s
souffrantes. Nous serons amené-e-s à fO,nsta~er que les
•
théo1 og1 en-ne.s théopathi ques di vergent quant à 1 a, forme que doi t
pten~re cet. _engagement. En effet,' Tho~son et Hellwig soutiennent
qu'une théo 1 ogi e théopath/i que déBouche nécessai rement su r' un~ p rufs
non-violente de libération, alors' que Moltmann n'établit pas un l1en
<
aussi d1rect. Nous ferons aussi un parallèle entre la P'insée ,de
Hellw1g et Th'QI11)son et celle de "révolutionnaires" nono-violents tels
, / .'
..
, ,/
o
•
'. t},: ., ~'J \ . . ", 1~~--~---~1~_---~.~__________
~ v .,Gandhi, M.l. King et Jim 00ugla55. Nous tenterons auss 1 de répondre
.a
.quelques ,quèst.~ons so~evêes par, la, question de la praxisnon-violente de .r Jésu~ (Chapit're 2) • . '
les questions soulevées par une théoloqié de la non-vi olence
•
étant surtout d'ordre "pratique", c'-est-à-dire metta~t en cause
l'efficacité et même la pertinence de la non-violence en face ~e
l'utl11satlon' d'une 'vio1ence av~ugle, o
nous essayerons de tirer
quelques 1 eçons des 'évènements du règne nazi. Nous verrons aussi
comment 11 est possible de faire un parall.è1e avec les préparatifs de
\ 1
l'Holocauste nucléaire que 11
0nt fait aujoud'hui. N,ous répohdrons
auss1· à quelques objections quand au caractère "révo1utionnaire" cfe
la non-violence (Chapitre <3).
, ,
Enfin nous poserons 1~ pathos de Dieu comme étant le fondement
d'une théologie de la non-violence qui porte 1lespérance' d'une
.
,-victoi re contre les forces de l' extermi ni sme. Cette espérance pourra
. \
alors "i6uteni r les "'personnes qui mettent leur foi en Dieu qui est)
amour-souffrant, à, travers la. nuit·
de
la lutte pour une révolution-non-violente. -' ' . ;
,
1
/ ' 1 --~. "..
';y dtA .. î $ r i ' '''.0-" ~_ ...l
o
1 ••
-
•
l CHAPITRE 1 ----Le Pathos de Dieu:Evolution historique de la pensée théopathique
..
A. . Un oourant à travers les âges
Bien qulil ~it été marginal et même parfois condamné, le courant de pensél! théopathi que a traversé les "d ifférentes époques du ch,.ri st i ani sme.
Déjà' au début du 3e siècl e de notre, __ ère, Noëte de SlTlYrna émet
#
11 idée que le Père est tellement lié à son ',Fils qu Ion peut dire que le Père a lui aussi souffert sur la croix. Cette vision de l'incarnation sera baptisée par ses opposants "le patripassianism~".
l Ce ~courant de pensée Si incr1vait dans 'te mouvement monachiste. Les monachiste insistaient sur la primauté du Père et ne
, ~
considérai ent re Fils et l'.Esprit que cO/Tllle étant des modes temporel s
..
de llauto-révéla'tion du Père (mona: une seule personne).Les ~i dées de Noète se"ont propagées; ~ Rome par Sabel ~us et Praxeas. Ce dernier considérait le Père et le Fils 'cOTYITIe étant une seule et même personne. Pour lui, l ( verbe ni avait pas d' existence indépendante. C'est le Père
lui-m~me~est
entré dans le sein de la vierge Marie devenant a·insi son "propre f11s qui a souffert, est mort et est Réssuscité". 2 Ce courant de pensée fut vi te considéré comme étant hérétique. Tertulien condamna de façon particulièrement . vi rulal)te - ce Praxeas "qui fai sait fui r l'Esprit et crucl fiait 1 e Père".3I!'a controverse- refit toutefois surfaCe au '6e siècle, à •
Constant i nopl e, lorsque la déclarati on sui vante attrt buée ci des moines" scythes" "un de la trinité a souffert",
~nterprélée
-'.
, )
-o
j
7
\
conwne étant l'affirmation que lorsque Jésus souffrait sur la croix. c'est en fait le Père qui souffrait. 4, Cette nouvelle controverse dite des "théopasc!(ltes" prit une certaine ampleur lorsque l'Empereur Justinien lui-même se fit défenseur de cette thèse voulant que le Père ait' souffert. Toutefols. les patriarches locaux s'opposaient fermement à cette vue. et finalement. c'est le pape lui-même qui trancha. déclarant hérétiqbe le théopaschisme. \,) \
tnsuite. pen~~nt des siècles. l'impassibilité de Dieu sera
)
acceptée quasi universellement au sein du christianisme. Plusieurs croient. comme Jürgen Moltann. 5 que c'est à l'influence grecque sous laquelle se trouvait le christianisme des premiers siècles. que l'on doit cette importance attachée à l'impassib1ité convne attribut de Dieu. Mo1tmann présente deux raisons fondamentales pour expliquer cet attachement: la souffrance perçue comme étant un attribut essentiel des êtres non-divins. et la vision du salut en découlant. Dans la pensée grecque. en effet, c'était l'incapacité qu'avait Dieu de souffrir qui le distinguait des être humains et des autres êtres non-divins. qui sont tous sujets à la souffrance et à la mort. Dans cette perspectiYe. le salut que peut donner Dieu à ;:une personne humaine ne peut être un que comme une participation à la vie éternelle de Dieu, où la souffrance n'existe plus. Il est alors
,1!tI'
~ if11)ensable d'attr,ibuer de la souffrance à Die.u car tout salut devient incomplet et même impossible: il faudrait souffrir ancore pendant la vie éternelle!
L'impassibilité, dans une telle vision des choses devient donc 11 essence même de l a personne di v,i ne et du sa l ut des personnes humaines qui entrent en cOl11l1llnf on avec le Père. On peut- remarquer,
f t
-~-o
o
3
toutefois, toujours avec Jürgen Moltmann,6 que cette tra~1tion voulait insister sur l'impassibilité de Dieu pour le distinguer des
r~
autres êtres vi vants et son insistance portai t sur le fait que Dieu ne souffrait pas "comm~" les êtres vl vants. Ce "comme" peut
<'
.
si gnif\.er qu e Dieu ne souffre pas de la "même mani ère" que 1 es êtres humains"sans exclure toute possibilité de souffrance en Dieu. Dieu peut souffr;r:"-mais autrement. Moltmann cite d'ailleurs à cet effet Origène, qui écrivait:
So God suffers our ways as the Son of God bears our sufferings. Even the Father is not incapable of suffering ,. (Ipse pater non est impassiblis). When we call upon him,
He is merciful and feels our pain with us - He suffers a suffering of love, becoming something which because of the greatness Of hi s nature .. he cannot be, and endures human suffering for our sakes.' ,
La souffrance dont parle ici Origène est la souffrance qui vient , de l'amour. Ce n'est pas une souffrance que l'on subit, mais une souffrance à laquelle on s'expose volontairement, en se laissant affecter par l'autre à cause de notre amour pour lui. Il est donc possible à Dieu de souffrir la souffrance de l'amour, passionné.--' Alors que la tradition de l'impassibilité de Dieu n'a retenu que deux possibilités: l'incapacité de souffrir ou bien la soumission à sa destinée souffran~e, cette troisième possibilité de la SOtIffrance
~ /
encourue à cause" de l'amour que l/',on a' pour l'autre, était déjà /
/
présente, chez Origène, comme ytuHion de fond. Il reste qu'il faudra attendre encore bien ~ siècles avant que cette intuition ne devienne une véritable
th;o)~gie
théopathique." /
Même la Réforme ~Ya pas vraiment touché à ce consensus autour de l' impassibil ité, à l ·'exception peut-être de ~rt1n Luther qui, par toutè sa réf1e on autour de Ta théologie de la cra; x, a "tenté de
r.
7
rompre avec ce qu'il appelait la "théologie de la gloire", 'celle par laquelle se justifiait toute la chrétienté papale. D.J. Hall écrit,
~ /
dans Lighten our Darkness que Luther révolutionnait ainsi la façon de
fai~~
la théologie en affirmant que "true theology •• is one thato
d~~erns the presence of the omnipotent God, not in manifestation of power and glory,~whether in nature or history, but on the contrary in the midst of peril and uncertainty and suffering.,,8 Dieu n'est donc 'plus ce monarqu!i! Tout-Pui~~~nt do~t le pouvoir se reflè,te à travers le pouvoir des structures ecclésiales ou impériales mais est plutôt celui qui "divests himself of power, who hides himselDnder the opposite of what the world recognizes as omnipotence".9 La théo~ogie du "Dieu crucifié" de Luther voulait être u(le alternative à. cette théologie de la
glO~re, d~nt~ie
salut n'étaH qu'une futl,le tet:lve d'écnapper à la conditi9n humaine. Selon Hall, la théologie de la croix de Luther permettait de'tenir compte 'd~s réal,ités dJ péché, de la souffrance, et de la mort, tout en étant un~ invitation à entrer dans ce~ réalités avec espérance. Luther pointait donc une nouvelle voie dans la 'recherche de Dieu, en ru~ture radicale ave'c la "voie'--rapide" de son époque, celle des indulgences et des bonnes oeuvres. Malheureusement, la tradition protestante 'succombera vite là la
..
tentation de revenir à la bonne vieillè théologie dé la gloire.
\
Ce n'est qu'à la fin du 1ge siècle, que la théologie. du Pabho~
de Dieu surgira de façon marq~ante. J.K. Mozley, dans son livre The ImpasS1bility of God,lO fait une liste de plus d'une vingtaine d'auteurs qui, entre 1866 et 1926 ont remis en que\tion
l'impassib~ité'
de Dieu. Hozley attribue ce questionnement audéveloppement de l! pensée métaphysique de l'époque, ain~1 qu'à~celui ..
1
ft
o
o
5
des théories sur l'évolution, qui contredisent une vision~théiste du
monde~' L'un d'entre eux est C.E. Rolt, qui, répondant a~x objections ~
'de Darwin quant à la Toute~Puissance de Dieu, affiirme que la seule
omni potence de Di eu rés i de en son amour souffrant. 1 ~ écrit dans The
World's Redemption:
In order to be- completely itself, love has te suffer. It
suffers from whatever contradi cts i ts' own nature. But if
Gad is love and nothing but love, can there be anything1
which contradicts his being, so that he suffers from it and
has to endure it as part of hiS-' own setf-sacrifice? What
is this? It is evil. "Gad loves-(limself unselfishly, and "
therefore He must suffer evil". 8y suffering evil he
transfonns evil into good., ll .
,
C'est l'horreur et les souffrances de la Première Guerre
-Mondial~ Qui amènent Studdert Kennedy à affirmer le Pathos de Dieu.
Il voit dans la guerre une lutte entre le Dieu Tout-Puissant qui ,
.
,.
bénit les annes et la-violence et le Dieu de l'amour souffrant qui
-ést nu,.blessé, ensanglanté. Le Dieu Tout-Puissant n'est Pour lui
que le mythè,'religie~X.du pouvoir et dT l'injustice terrestre.
livre sera intitulé The Hardest Part à cause du poème suivant:
Son
..
The sorrows of God mun he 'ard ta bear, Love in 'is 'eart, And the '~dest part i' if' e rea 11 y 'as the world toplay mun s urel y be God.' spart,1 2 .
\.
/
'"---!
Ce questionnement n'a fait que s'amplifier depuis pour devenir ,
)'un des plus importants développ~ents de la théologie
contemporaine. Il constitue, en fait, un véritable "structural shift
in thë èhristian mind", pour
..
utiliser les mots de S. PaulSchi 11 i n9.13
La Sec'onde Guerre Mondiale et ses ,souffrances incomnensurables
, ,
o
~
\
~
6 ébranleront encore davantage le trône de Dieu Tout-Puissant, amenant des. thé~log1eFs comme K1tamori et Bonhoeffer à affirmer à 1eu~ tour le Pathos de Dieu~ amenant aussi tout le que'stionnement de l''ère La théopathie est, en fait, devenue 11 un des .thêmes centraux de la théologie de cett~ seconde moiti~ de notre XXe
siêcle.
On remarquera que la thème du Pathos de Dieu est intimement 1. , li~
au, sentiment de r~volte soulev~ par l'hor'reur des/deux Guerres Mondial es. 15 Ce caractère "pacifi ste" de 1 a th~opathi e ne peut aujourd'hui que se renforcer face à la menace d'une Troisième Guerre Mondiale et nucléaire, de,façon à ce qu'elle devienne le fondement d'une théologie de la non-violence.
B. Le Dieu crucifié de Mo1tmann
Jürgen Moltmann siest d'abord fait connaitre convne ~~~nt 11
un
1
des "théol ogi ens de l'espérance", avec d'autres comme W. Pannenberg au J.B. Metz. Ce courant théologique affirmait un Dieu de l'Espérance qui appelle les chrétient-ne-s à un fut~r_ plein de Pdssib111tés et de promesses. 16 Cette vision d'un Dieu d'Espé"rance amêne à s'interroger sur' la réa1it~ de la souffrance dans le monde. Si ce Dieu est un Dieu d'Esp~rance, 11 doit vraiment fournir de réels espoirs à' l'humanit~, dans un ici et un maintenant, e't non dans IJn
.
aillelJrs meilleur. Dieu est donc concerné au plus haut point paro1a réalité et la souffrance humaine. L'Espérance apportée par le Christ n'est pas simplement une consolation dans'Ta souffr-an~ mais aussi la
prot~;tation
de la promesSe divine contre la souffrance. 17Cette question de la souffrance dans l~ mon~e, la~héo~i,ée, est
J
Il
____
.... ________
.... _______
• ______
~=_=L_._..__ _~.__ _
,l'
, ,
o
7
donc au coeur même de 1 a pensée théopath1que de Moltmanfl. Dans 1 e passage de l'adolescent pendu dans le camp de' concentration de
Wiese~·, la réponse donnée à là question 1I0Ù est Dieu?", est pour lui . la seule réponse chrétienne p6S"Sible. 1111 est ici ••• 11 ~st pendu au gibet ••• Toute autre réponse serait
Moltmann, face à la torture de l'adolescent.
/'
un bl asphèmell
,18 écrit
,
On ne p;ut s'empêcthef
~e
faire, un lien entre ce qu'écrit Elie Wiesel et la façon don~ l'évangéliste Mathieu nous relate la mort de!r*
Jésus. Relisons ce texte évangélique en le 'dépouillant de ses traits théophani ques:
IIVe'rs trois heur.s, Jésus s'écria d'une voix forte: 'E1i"E11 1ema sabaqthani', c "est-à-dire: 'Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m'as-tu abandonné?' Certains de ceux qui étaient , là disaient, 'en l'entendant:' 'le voilà qui appelle E11!'
Aussitôt l'l,In d'eux couru prendre une éponge qu.'ll imbiba de vinaigre; et~ la fixant au bout d'un roseau, il lu1 présenta à boi re, les autres di reflt: 'Attends 1 Voyons s1 Elie va venir le sauver'.- lMa1f Jésus, criant de nouveau d'une voix forte, rendit l'Etspr1t ' ••• A la vue ••• de ce qui arrivait, le centurion et "ceux qui, avec lui"', gardaient Jésus furent saisis d'une grande crainte et direot:
'Vraiment, celui-ci était Fils de Dieu'. (Mt 27:45-54).1~
o
Dieu se révélant de la ,façon la plus rad,lcale dans un crucif.ié, n'est-ce pas là tout le scandale de la foi chrétienne? N'est-ce pas, en même temps, la réponse de la
tO!
chrétiénne à toute la souffrance du monde: Dieu est d'une certaine façon présent à cette souffrance. IIPir1er ici d'un Dieu inca~able de souffrir ferait de Dieu un démon",20 écrit MoHmann toujours en référence au passage de Wiesel.''. t
Ou
bien Dieu n'existe tout simplement p~s.Toute.théologie théopathique en vient d'une façon ou une autre à 0
,. ,
l'
.
'0
\
Tout-Puissant" e)le rejoint la révolte" de l'athée Qui refuse
•
l'existence de Dieu dans un monde de souffrance. Moltmann entre donc
dans ce dialogue.
21
Il croit Que l'athêe ne se rév~lte pasnécessa1rement contre l'existence de Dieu elle-même mais plutôt
contre son fnrpassibilité et son apathie dan~ un monde renplit de
souffrance. En
~a)t,
dans le monde d'Hiroshima et de Auschwitz, leDieu Tout-Puissant fait figure dl imposteur ou de bourreau. Il
app~ral~ plus pauvre 'et plus .~Sigifiant que n'importe quelle
personn~ hll11ai ne, car il ne peut pas non pl us aimer. Une personne Qui serait ainsi incapable d'aimer ou de souffrir ressemblerait plus
à une pierre Qu'à Dieu, fait remarquer Moltman.
Donc pour une personne humaine consciente da la'richesse de
son propre être dans son Mlour, sa souffrance, sa
protestation et sa liberté, un tel Dieu n'est pas l'être
nécessair~ et suprême, mais un être suprênement inutile et
supèrf1 u. 2 ,
-.
Mol tmann cro; t toutef.oi s que seule la croi x avec son cri liMon
--Di eu, mon --Di eu pourquoi m'as-tu abandonné?" peut vraiment résoudre 1 a
contradication Qui existe entre existence de D'Teu et souffranc~ dans
le monde. Il écrit Que sur la croix:
l'~tre de Dieu est dans la souffrance et la souffrance
est dans l'être de Dieu mêne~ parce Que Dieu est anour •••
Dieu mÊme aime et souffre par amour"'la mort du Christ. Il n'est pas cette "froide puissance céleste" et Une marche .
pas ~ur des' cadavres", mais il est recQnnu col'lltle le Dieu
humain dans le Fils de l'Homme crucifié. 23
"The theology of the divine' passion 15 founded on t.n''ê biblical
tenet "Gad is love" (1 Jean 4: 16) écrit Moltmann. 24
o
~, ..
~ r
o
9 théopathiques, qui a approfondi le plus une réflexion- sur. cette
affirmation de Jean), qui est l~ fondement· de toute réflexion
-théopathique. Voyons donc comnent il développe~cette réfl~xion ~ur
<
-l'affirmation jOhannique lIDieu est crnour", et. de quelle façon 11
,
l'inscrit dans une vision trinitaire de l'évènenent de la croix __
•
C'est ':@ans Le Di eu Crucifi é et The Tri'nity and tha Ki ngdom of God qu'il élabore sa réflexion.
Dans ce derni er ouvrage il tente de donner une définition de
l'amour. Il définit l'amour ,conrne étant l'auto-coomunication
.
-'(self-co~unication) du bien. L'cJ11our est donc pour lui ce pouvoir
qu'a le bien d'aller aÙ-d~là de lui-même, d'aller à la rencontre,d~s
autres êtres, ,de s'unir à eux, d'entrer en eux. La personne qui aime
entre compl~tenent en la personne aimée .tout en deneurant
complètement elle-même. L'anour est donc don de sni sans pour cela
devenir une forme d' auto-destructi on. Il est, en fait une constante
entre les pôles "auto-1dentification"-ët "auto-différend ation", car on ne peut aimer sans s'identifier à l'autre, mais on ne peut aimer
non pl us si l'on se nie soi-même. "The greater the
self-differentiation of the lover, the more unselfish the
sel f-conmuni cati on". 25 Affirmer que Dieu est crnour, dit. Mô·l.tmann,
c'est affirmer cette dialectique entre identification et
différenciation: ,"God love~ the world wit.h the ~ery samè love which
he himself is in eternity".26 Si Di~u est amour affirme Moltmar}t'l,
c'est· qu'il est à .1a fois l'crnant~ (lover), l'aimé (beloved) et
-l'iIllOur lui-même. On voit ici apparaltre le caractère trinitaire de
l' anour de Di eu,' Il dés ire se conmunf que: ~ar cet ~our: " ••• Gad f s
self-conmun~catfon and also desire for self .. comnun1cation.... Voilà
,
o
7
donc' pourquoi, écrit MQltmann, "God l'leeds the world and man.:, If God
15· love, then he neither wi 11 nor can be, ~ thout the one who i s hi s
beloved". 27
Dieu est éIIlour, il est réponse amoureuse et 'cela est à la fois
.
essentiel à son être mêne, mais auss{ llberté totale. Cet amour par
lequel il est, es't aussi celui par lequel il aime le 'monde dt'u~e
façon qui est à la fois créa,trice et souffrante. C',est cet .amour
éternel se commun'iq,uant crêativement qui, selon Moltmann, permet à la
créat f on dl ex ister. Cet arno,ur éternel cherche constanment 1'8
. compagnie de- l'Autre et la réponse libre de celui-ci, "That is why we have ind&ed to see the .hi story of creati-on as the t'radegy of the
divine love,-4Jt must view the, hi,story of redemption as ~he feast of
the divine joy.1I28
L'amour créateur est toujours 'ultimement un. amour souffrant affirme MO'ltmann, car c'est seulement par la souffrance qu'il agit
créat i vement en f av eur de 1 a li bert é de l'aimé'. l' ent; ère 1 i bert é
n'est rendue possible que par cette souffrance. "1he suffering of
Gad with the wor 1 d, the suff eri ng of· God from the wor l d} and the
suffering of God for the world are the highest forms of his creative
love, which-desires free fellowship w1th the world and free response
,
in the world ... 29
.
la libération totale de la création et de l'humanité est donc
liée
à la,' 1ibérati'on" de Dieu de la souffran~e de son -aroour. Son,
. amour sera souffrant tant que la rédemption complète djL la créati'on
, ne sera pas achevée. Ce nI est qu'avec la rédemption totale de
l'hum~ité qU~Die~
sëra libéré de la souffrance.,
, , '
-.')
--•
, '•
, , /o
- 0
11
In thi s sense, not on~ does God suffér
w:i
th a~d Jor theworld; 11 berated men and women suffer wi th God and t'pr
him. The theology of God's passion 1eads tG the idea of
God's self·subjectioR to suffering. It therefore also has
to ~rrive at the idea of Godls eschatoTogical
self-delivrance. Between these two movenents lies thQ
l '
hi story of the profound fellowship between God and man in'
sufferi ng '; in compassi onate sufferi nq wi th one another,
and in passionate love for one,another.'30 ,--.\ '
Se l on Mo ltmann, c' es t dans 11 ,év ènef1)ent de 1 a croix que Di eu
j "
e,xi ste. corrme amour et Cl est aussi' l a. croix qui fait appar,altre le
caractère trinitaire du Pathos de ~ieu: ,
.
Le fils. en ,mourant' endure dans ~on amour l~abandon par le
Père. le Père'€ndure dans son amour la douleur de la mort du Fil~. Ce qui procède de cet évènenent 'entre' le Père e~
" . ,1~ Fils doit alors être compris comme llEsprit du don du
Père et du Fils; conme l'Esprit qui produit l'amour dans les hommes abandonnés, comme l'Esprit qui don'ne la vie au mort. C'est l'amour inconditionné et donc sans bornes qui procède de la douleur du Père et de la mort du Fils et
Si enpare des hommes abandonnés, po ur prodM,i re ~n eux 1 a
possibilité et la force de· la vie nouvelle.31
C'est donc un é.,vènement "entre le Père aimant et le Fil s aimé dans l'Esprit de l'tIJ1oùr vivifiant". Cette vision de la croix comme
évènement tri ni tai're fait passer "toute 1-' hi stoi re hunai ne, y canpri s
,
les.ablmes He la fau~e et de la mort, daf!s l'histoire du Golgotha".
32 Ainsi il fI'y a pas non plus de vie, de. bonheur, ou de joie, qui
.
ne soit i'nclue dans la. vie et la-jote éternelle de Dieu, affirme
Moltmann.' L'év~nenen~ 'de la ~roix_est l'évènement de l'amour dans un
1
~onde sans amour. l'expérience d'un tel amour sans limite permet au
condamné à mort de trouver une noùvelle possi~lité de vivre. La mort
ne peu~ désormais plus être perçue comme un rejet par Dieu.
.
' .
,.
",, "
..
/
.
./. '
Ce que Jésus a ordonné dans le senmon sur la montagne comme
amour des ennemis a eu lieu sur la croi~ pour les impies et
les égolstes, par la mort de Jésus et la souffrance du Père
dans la force de l'Esprit. 33
'- Pourtant, l'amour ne peut pas être un corrmandenent. On ne peut' , ,
7' pas forcer à "ai mer. L 'êJTIour ne peut pas i nterd i re 1 a haine ou
l'esclavage. Cette contradiction l'êJTIène à souffrir. Toute.ce qu'il
"
lui est possible de fair,e, c'est de prendre sur lui la douleur ·de la
contradiction et révé~er cette douleur dans la protestation. C'est
'"
e,xactement ce qui s'est passé sur la croix, nous explique Mol.tmann! .
•
Dieu est amour sans condition parce qu'il prend sur lui la douleur venant de la contradi-ction. de l'homme et parce qu'il ne supprime pas cette contradiction dans un éclat de
colère ... Dieu souffre, D+eu s~ ~afsse crucifier, il est
cruCifié et il consonme ainsi son amour sans condition et porteur d'espérance ••• L'êJTIour du Père'correspond à l'amour - du tils et par l'Esprit, prOduit la, correspondance et
l'êJTIour dans l' horrrne qui le contredi t. On peut contredi re
ce fait de l'amour. On peut le crucifier mais il se
réa 11 se préci s Ément par 1 à où il dev i ent amour des
ennEmis. Sa souffrance se manifeste, précisément par là,
plus forte que la haine. Sa force est puissante dans cette
faiblesse, et, par sa douleur, il l'enporte Sour s'es
ennemi s, car c'est encore lui qui les conserve -en
vi
e etqui leur ouvre un avenir nouveau. 3
_4
i
Par le Christ, Dieu crée~les conditions pour entrer en relation
de souffranceël: de sympathie'avec les pèrsonnes hunaines. Il entre
.
en conmun10n A inconditionnelle et universelle avec toutes Jes
personnes hunaines dans leur misère conmune. En s'abaissant et en
prenant ai nsi . tout l'êtr.e humai n sans condition, il p~rmet à tous et
o
à toutes d'avoir une p~rticipation à sa vie. La mort de Jésus' fut
.
non seulement .une mort de criminel mais aussi celle d'un abandonné ,
par Dieu. C'est pourquoi .-no·us dit Moltmann, toutes ,les personnes,
..
) " ./ Q • >0 ,
.
o
,,0
13
abandonnées par. Dieu ont
~ésorma1s
accès à lacommun~n
avec Dieu.La personne croyante .qUi', .
se~
on'pa~1.
(Rom6:a(.
est mO'rte enJésus-Christ et est r"essuscitée à une vie nouvelle, ,"participe à
h
-souffrance de Dieu dans le m~nde, car elle participe i "la passion de
...
l'amour de .pieu", écrit Moltmann. De la même façon, le croyant
participe aussi aux, souffrances concrètes du monde, car Dieu les a
faites siennes par la, croix de son Fils. C'est pourquoi Moltmann
affirme que "reconnaître Dieu dans la croix du Christ, 'c'est
n J
inversement, reconnaftre la croix, la souffrance sans issue, la mort et' la réprobation sans espoir, 'en Dieu lui-même".35
Pour Moltmann, toutes l'es souffrances de l'humanité et mêl'{le / ' , .
celles d'Auschwitz sont assumées par Dieu. ,
Mais il ne faudrait pas que' de quelque façon que ce soit cela
".
'soit perçu comme une justification de la souffrance. Moltmanl y voit
.
.
au contrai re, une annonce de 1 a' "vi ctoi re sur, l' h1sto1 re des
souffrances de l'humanité et l'acconylissement de'l',hiStoire.-de ses espérances" •
Dieu à Auschwitz et Auschwitz dans le Dieu crucifié, ,c'est le fondement d'une espérance réelle embrassant aussi bien
-le monde que le surmontant, et le fon~ement d'un amour plus
fort que la mort et capable ~e regarder la mort en face.
C'est lê'fondement pour vivre les terreurs de l'histoire et
de ta fin de l'histoire, pour demeurer cependant dans •
l 'amou~ et pour attendre Celui qui vient en étant ouvert à
l'avenir de Dieu. C'est le fondement pour vivre en Dieu en
participant
â
la fau~e 'et à la sou'ffrance pour l'avenir del'h.umanité".36 '
-Co Autres théologies théopathique contempora1riés: Song, Koyama,.
Thompson et Hellw1g
L'oeuvre de Moltmann, . et en particul1eur son livre Le oteu
'.
...
l ' .,
--.
"
l, '~.:
1o
,
o
" ,,
--cruficié, a eu une influence considérable sur le développement de,-'la
pensée théop~thique contemporaine, pensée q~i est maintenant au coeur
..
,m&1e des débats 'théologiques actuels. Ce déve,loppement traverse les
barri ères dénominationnelles et géographi,ques.
En Asie, des théologiens comme Song et' Koyana, influencés par la
Theolo9l of th~Piin of God de Kazoh Kitamori, perçoivent la
i
..
~souffrance de Di eu
...
à travers 1 es atroci tés et 1 es souffrances. sans.
nom de l' hi stoi re ~s i at; que 'récente. Koyama, enfant, perçoi t la
\ '
"vulnérabilité" cre Dieu à travers les ruines de Tokyo dévastéfl par
\ «
les bombardements. Plus tard, il retrouvera dans ce passage d,'Osée,
le fondement biblique de sorr intuition de la vulnérabilité de Dieu.
~
"C'est pourtant moi qui avais appris à marcher à Emphraim
les prenant par les bras, mais ils n'ont pas reconnu que je
prenais soin d'eux. Je les ,..menais avec des _attaches
hllTlaines, avec des liens d'amour, j'étais pour eux conme
ceux qui soulèvent un ~risson contre, leur joue et je lui
tendais de quoi s.e nour,rir.
,Comment te traiterai-je, •.• Mon coeur ;est boulversé en moi, et en même temps ma pitié s'est émue".' (Os II:3.4.8) Koyama y lit l'intense amour de Dieu pour son peuple, et pour l'hllTlanité. On perçoit m&1e à travers ce texte émouvarit une sorte de
---sentiment d' ;mpuissance qui déchire le coeur de Dieu. .,r".
Cette-souffrance de Dieu est potr Koyana l'essence même du messagé chrétien
"-et elle se révèle à travers les souffrances hi stori ques du Di eu
crucifi é.
•
~
C' es t à travers toute l' horreur et les souffrances entour'ant le drane des boat people et le génoci de cambodgi en que Song perçoit cette souffrance de 'Oteu:
rl
..
',
o
j
15
-.
if humanity has been frantically working toward fts own destructioJ1. God seems also working frantfcally tô'ward
redeemi ng that humani ty. In the refugees' faces di storfed
. wi th agony, sômeone ~ust have perceived the face of God
di storted wi th pain. In the di sfigured bodi es of'-. the
children fallen victim to horror and bullets, someone.must
have seen God'disfigured with horror. And in th1s,whole
,senseless suffering of the Indo-chinese peoples, som~ne
must hay.e realised the meaning of God's sufferinq on the cross" . 37
En souffrant sur la croix, Dieu s'engage profondénent dans
l' agônie. et la Souffrance des personnes humaines to'ut en travaillant
à" leur sa lut. C'est dans la souffrance que Dieu et la personne
humai ne se rencdntrent. Seule la souffrance de Di eu en Jésus peut
garder la lumière de l~~our et de la vérité alhmée dans notre monde
~
de haine et de violence.
Il est évidemment impossible de présenter ainsi tou-te .. s les
théo 1 igi en-ne-s t h . t h i ques contenporai n-e-s. Il est toutefois
essentiel de noter ici l'oeuvre de William M. Thompson, Jesus Lord and Savior: A theopathic Christology and Soteriology,38 et celle de
MOnika K.' Heilwîg Jesus: The Compassion of God,39 dans notre
entreprise -de poser la théopathie corrme fondement d'une tl1éologie de
. la non-violence. ')
W. Thompson est anené, conme 'Moltmann à affirmer le PattJos )de
1
Dieu à partir de l'affhmation Que "Dieu est anour". Notre propre
expéri ence, fait-il remarquer. nous dÉmontre Que les personnes Qui
font le plus l'exgériènçe de la souffrance, de 1~ douleur. et du mal
sont celles qui aiment le plus., Alors,'si Dieu est a11our, son pathos
ne doit-i 1 pas être dêchi rant? Pour Thanpson, ce pathos est le mode
mêne de l'existence divine. Non seulement fnfluence-t-fl l'humanité
, (
,
.
" . .a _.
,
.
16
mafs 11 est aüssi influencé par elle. Cette idée d'engagement de
-Dieu en<vers l'humanité, cette implication de Dieu dans le 'monde, se retrouve aussi chez Monika Hel1wig qui parle en terme de "compassion"
pour exprimer l'idée du pathos de Dieu. ..
(Compassion) implies a movement towards the'other to, he1p, / ,
but a1so a movement into the experience of the other to be '
present in soli darity and communi on of experi ence. 1 t - -('
D.
i~lies sensitivity, vulnerabi1ity to be affected by ~he experience of others but it also imp1ies remedial actio
against suffering and oppression. Most of all, it imp1 es
involvment in the s.ituation.40 J ) /
Souffrance de Dieu et Holocauste Nucléaire
.
Dans notre XXe siècle tourmenté par la souffrance, l'idée de la
souffrance en Dieu, qui avait été rejetée dans les débuts du
christianisme, resurgit et devient pour plusieurs, comme nous l'avGns ,
v,u, la seule façon possible de parler de Dieu en face de l'humanité torturée.
--t'Di eu est amour", cette affi rmat ion sembl e tout à fai t absurde
si elle .n'impliqve pas une certaine souffrance, car 11 n'y a pas
d'amour sans souffrance. Aimer, c'est nécessairemént se rendre
vulnérable à l'autre, c'est aussi prendre part à sa souffrance, avoir (
de la "com-passion" "souffrir-avec". Absurde aussi' face à la ~ruauté
de l' actua lité du monde:
"1'
Les soldats entrèrent dans les maisons, volèrent tout ce
qu'ils purent et ensuite mirent le feu au village. Ils
emmenèrent les enfants et les vieillards dans un même
endroit. L'apr~s-midi~ il commencèrent à violer les femmes
et à tortu rer 1 es hommes. Ah! ces cri s que l'on entendal t
dans, 1 a montagne, venant du vi 11 age! A 1 a ' fi n i 15
rassemb~ent tous les vivants: hommes, femmes, enfants et
v~eillards, l1s ouvrirent leurs r bidons d'essence p les
.-b
/
o
17
aspergèrent et mi rent le feu. Tous ensemble ne formai ent qu'un brasier vivant. Une femme à moitié brûlée sortit du feu et se jeta dans un fossé. Les s'Ol dafs, en 1 a voyant fuire neu' riaient et allèrent la chercher. Ils la mirent au milieu du brasier et ... 1ui tranchèrent les lèvres, elle seule fut témoin de, toutes cés atrocités. Elle conta que les soldats prenaient les petits enfants carbonisés et Tes mettaient ~ur ïa poitrine des mères. Larenza, la survivante, vit ce spectacle abomi nabl e. Lorenza résista et entendit les soldat-s- qui lui criaient: "Si. tu crois en Dieu, qu'il te sauve". Lorenza en silience, agonisait. Les soldats s'en allèrent emportant le bétail. 41
Di re "Dieu est amour" en face de la guatémaltèque agonisante ne peut vouloir direoqu'une seule chose: c'est· Dieu qui, en silence, agonisait. Dieu est présent de façon particulière partout où des personnes souffrent. Le regard de l'enfant de Nagasaki~ le visage des enfants du Viêt-Nam ou du Sahel, l'agonie de Lorenza, ou de
~
.
•
""1-l'adolescent pendu â Auschwitz sont des "icBnes! ~ "travers lesquelles on perçoit la souffrance ê:1e Dieu, lorsque ces souffranceS' viennent toucher l'amour qui est en nous.
C'est à cet instant, où nous perçevons ,cette ultime réalité de
. ,
notre êtr~, où~ amour et SOUffrance se rencontrent, que la réalité de Dieu qui est amour et souffrance nous est révélée.
Mais ~mmes-nous bien avancé-e-s d'affirmer ainsi le pathOS de z.
~
Dieu qui est amour dans un monde fonçant à pleine vapeur vers l'extermination? Oû cela nous mène-t-il dans notre quête de sens?
.
,Le passage qui suit, tiré du livre de Jonathan Schell The Fate of the Earth situe de façon on ne peut plus lucide l'espace temporel que nous occupons à l'ombre de l' extermi n1 sme •
••• We hold this entire terrestrial creation in hostage ta nuclear destruction, threathening ta hurl 1t back 1nto the
fi
v
•
\..
----./
o
1
i nanimate darkness from ~ which i t came. And thi s threat of
. self-destruction and pl a'netary destruction 15 not somèthing
. that we 'will pose one day in the future, if we fal1 to take
certain precautions; it is here now, hanging over the heads
of us on every moment'. The ma'chi nery of destruction i s
< complete~ poiséd on a haïr trigger, waiting for the
"button" ta be IIpushed" by sorne misguided or deranged human blrtng or for some fa,ul ty computer chi p to send out the
instruction to, fire ••• New we are--.ltting at the
breakfast table dt'ink.ing our coffee and reading the
l n ewspape r, but in a, moment we may be 1 ns i de a fi reba 11
whose temperature is tens "'of ~housands of degrees. - New we
are on ,our way to work, walking through the city streets,
but 1n ëf moment we may be standi ng on an ·empty plai n under .:"
a darkened sky look. i ng 'for the charred remnants of our
children. Now we are alive," but in a moment we may be
dead. Now there i s human lite on earth, but in· a moment it
m~ be gone.
--••• tndeed, i("we are honest with ourselves we have ta admit that un1ess we rid ourselves of our nuclear arsena1s a
4 hg a~ust not only mi~pt occur but will occur. If not
toda ,then tomorrow; 1 not this year:-tnen the next. We
have me 0 live on borrowed ti me: every year of cont i nued
human 1 i fe on earth i 50 a borrowed year, every day a
borr.owed day. 42
Alors demain .. ' si à cause peut-êtr~ d'un stupide problème
techn1qu~ dans un ordinateur, la terre était transformée en un
instant en un vaste désert radioact~J fumant? Que signifierait "Dieu
est amour-souffrant"? Qulau.ra été la signi(ic~tion de toute parole
sur Dieu lorsque les dernièr-t!-s survivant-e-s dé l'Holocauste fiha1
périront l~s uns après lei âutres rong~-e-s par la lèpre ra~ioactive1
l'extinction de l'humanité ne serait-elle pas_la preuve
définitive de cette absurdité de l'&xistence que les athées
,
proclament? Ou ' bi en enco re la preu.ve. de l' e_x i stènce d'un 0 i eu
lointaip, d'une espèce de 101 mécanique de l'Univers qui ne peut se
préoccuper du sort de 11 humanité? Ou bien encore serait-ce le~
châ~1ment dlun D1,eu veng~ qui punit l 1human1té entière de ses
,
-o
1 ':-<,o
(
19péchés en
h
laissant s'auto-exterminer -dans tlhe apothéose de feu etj
de souffrances?
Quel éclai rage peut bien apporter 1 a théopathie si nous
c~templons une telle mat~ralisation de la I1}enace nutléaire?' Notre
"Di eu crue i féll est Amour et accepte de souffr1 r par amour, affi rme 1 a
théologie théopathique. Dieu aime l'humanité, mais, justement à
..
cause de son amour pour allEr; Dieu ne peut l'empêcher de commettre
les pires atrocités, que par la force de ce même amour et de sa
souffrance. C'est ce qui est rêV\lé aux personnes humaines à travers
11 évènement Jésu s: sa présence 'let sa force dans l'amour et 1 a
souffrance.
Dans l'Holocauste nucléaire, Dieu serait crucifié1! à nouveau
•
dans les souffrances infernales de l'humanité. Et peut-être qu'alors
se révélerait toute la force et la tendres~e de son Amour qui, en
JéslfS Ressuscité, a vaincu toutes les puissance de la mort ••• ?
Parce que l'Holocauste nucléaire est possibl e, nous sommes ,
forcé-e-s de le regarder en face, et d'y confronter ainsi notre foi. Mais cette même foi ne nous dit-el1-e-pas que Dieu, qui est amour et
souffrance, refuse la possibilité même d'un tel Holocaustel
et
.
travaill e frénéti quement à l'empêcher gar Ja force de ce même amour
et de cette même souffrance? Dans 1 e regard interrogateur de
l'enfant de Nagasaki, ne peut-on pas percevoir l'appel déchirant et
dépespéré de Dieu à ce que cela r,le se reproduise plus?
---
....
,o
.,-- - -
-20 CHAPITRE 2
Théologie théopathigue et praxis non-violente
A. Dans la pensée de Moltmann
Aff1 rmer une présence de Dieu à ta souffrance humaine n'est pas
sif11)lement un'" moyen d'apporter un certain réconfort psychologique aux
personnes .qui souffrent. Sa souffranèes eS,t l'express:'ion de son'
amour face à toutes les souffrances de l'humanité. Mais elle est
auss i l'express 1 on d'un engagement actif à fai re di sparaltre 1 a
..
souffrance du monde. Si Dieu n'est pas un monarque lointain et
irrpassible, mais accompagne la personne humaine 'en aimant et souffrant, Dieu est aussi act;vement engagée dans le processus de
'"
transformation do monde. Si elle aime l'humanité, elle ne peut
accepter que l' humani té tont i nue à souffri r ai ns i • A travers 1 a
souffrance du monde, on peut percevoi r, avec Koyama, ,Di eu qui
travaille frénétiquement à la Rédemption de l'humanité. Dieu est
présente dans la- souffrance de ceux et cel l'es qui luttent pour fai re
<'
disparaftre la souffrance du monde.
.
, , Dieu s'est révél-ée de la façonla plu,s radicale en Jésus, ,ce Jésus qui fut crucifié pour avo1r
trava111 é à fai re di sparaftre 1 es souffrances de son peupl e.
Donc, si Dieu révèle son amour souffrant de la façon la plus
radicale à travers Jésus sur la croix, la réfl~xion théopathique doit
porter une attention particulière à la signification de cette croix.
Elle doit aussi se pencher sur les événements et sur l'agir'de Jésus qui. l'ont amené à cette croix.
La crucifixion, nous rappellent Mo ltmann et Ttlo~sonl, était 1 e
sort réservé aux prisionn1ers politiques de l'Empire romain. Pour
ces deux théologiens, la prax1s chrét1enne do1~ donc être conséquente
o
, .
o
)
21avec la praxis de celui qu'elle prétend suivre: -Suivre Jésus, c'est ~~
pour Moltmann, "devenir personnellement responsable de 'la mission du
Chri st aujoud 1 hul et prendre sur soi sa propra croix".?
. De tous les teinps, la suite de Jésus, au sein du christianisme,
a été associée à l'imitation du Christ jusqu'à la croix. Dès les
premiers martyrs, la souffrance même de Jésus sur la croix était
.
perçu~e comme faisant )artie. du salut apporté par lui, et souffrir
avec lui ou à cause de lui, c'était déjà prendre part au salut promis •
pa r lui. 3
Pour les théol ogi en-ne-s théopatlque, et plUSieurs
théologien-ne-s de la libération, la croix de Jésus est le résultat
'"
de son action en faveur des "maganés", de toutes les personnes qui
souffrent. C'est l'amour que Jésus a P9~r les personnes humaines qui
amène cell!i~ci li agi r en faveur de,$ "maganés" et Isa souffrance sur la
croix est le résultat de cet amour et de son acti'on de libération.
Jésus souffre sur la croix parce qu'il s'est
m~
du côté desopprimé-e-s. Il est devenu séditieux .~ux yeux de l'Empire.
On attribue traditionnellement la mort de Jésus en croix plus à
sa remiseJ~n question de l'ordre religieux juif de l'époque qu'à son
opposition li l'Empire romain. Ne fut-il pas condamné d'abord par.les
•
autorités juives? Les écrits évangéliques présentent même les
aut-orités roma i nes coume étant très rét i centes à condamner J~sus.
'forcées! C'est pour le moins surprenant dans u~
pays occupé! interprétat i on des faits n'a-t-elle pas plutôt
été fnscrite les Evangiles par les premières coml1llnautés
chrétiennes en vue 'en attenuer le caractè're-. a'nt 1-romai n. qui
n'aurait pu qu'intensifier l'a rép~esslon dont ell-es étalent
,
o
-victfmes? Cela sera d'ailleurs f,nsufffsant aux yeu~ des autorités.
~omaines pour faire disparaître le caractère subversif du message de
Jésus. "Le Dieu crucifié aura un sens intensément politique dans
l' Empi re romai n", écri t Mol tmann. 4 la foi chrét i enne et son refus du
culte à l'Empereur e'1 mènera ,plusieurs au martyr.
Mêne si~ l'on admet, avec W.M. Thompson5, que les 'autorités
juives eurent un rôle à jouer dans la crucifixion de Jésus: l'accès
inrnédiat à Dieu-Abba, dont i l se vantait, sans devoir passer par les
canaux officiels, avait tout pour leur déplaire, on est porté à
....
croire que c'est l'Empire romain qui avait le plus à craindre Jésus.
,le rôle des autorités jU,ives, suggère Moni,ka Hellwig6, fut plus celui
d'un gouvernment de collabo"ratfon avec l'occupant: les autorités en
place avaient dû être sélectionnées par l'Empi re en vue de la
mei lleure saûvègarde de ses int-érêts, comme c'est le cas dans .n'importe quelle occupation par une puis-sance étrangère.
"
Mais qu'avait donc , - à craindre l'Empire romain? les reponses
diffèrent selon les théologien-ne-s théopathiques. Pour Mol tmann,
Jésus étai t considére par les Romains comme étant un z.élote. Les
Ronains avaient plusieurs bonnes raisons de la croire. Comme les
zélotes, ,Jésus an~once le Royaume de Dieu et crot t avoir la mis'sipn
de faire advenir ce Royalllle • . Dans l'Evangile on ne retrouve aucune
polé»ique de' Jésus contre les zélotes, et il semble d'accord avec
. leurs critiques socio-politiq,u,es, en traitant Hérode de "renard" par
exemple. Plusieurs de ses disciples etaient ~es zélotes. Certains
portaient des annes, aff1nne Moltmann, car il était confonne à la
,coutume juive d'être armé en voyage pour se protéger des bêtes