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Bière, terroir et patrimoine au Québec : le cas du style de bière annedda

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Academic year: 2021

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Bière, terroir et patrimoine au Québec

Le cas du style de bière annedda.

Mémoire

Jérôme Coulombe-Demers

Maitrise en anthropologie

Maitre ès arts (M.A.)

Québec, Canada

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III

RÉSUMÉ

L’annedda, un nouveau style de bière décrit comme typiquement québécois, est analysé sous l’angle de la notion de terroir et du patrimoine. À travers la réalisation de trois objectifs précis, il a été possible de démontrer que cette typicité est construite socialement notamment en faisant référence à l’histoire du Québec. Dans un premier temps, la nature du projet annedd’ale a été documentée et la production de ce style a été décrite. Ensuite, les matières premières choisies par les brasseurs pour leur bière annedda ont été énumérées ainsi que les raisons de ces choix. Finalement, le troisième et dernier objectif visait à connaitre les perceptions et les opinions des différents acteurs qui gravitent autour de l’annedda.

Pour ce faire, en 2012 et 2013, des entretiens avec ceux qui l’ont imaginé, ceux qui l’ont brassé et ceux qui en ont produit les matières premières ont été réalisés.

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V

ABSTRACT

The anneda is a new style of beer described as typically québécois, which is analysed from the concept of terroir and heritage. It was possible to demonstrate that this typicity of this style is socially constructed with references from Quebec’s history. Within this study, three goals was fixed to find out in which way this style of beer belongs to Québec’s terroir and heritage. First of all, the annedd’ale project was documented and its production was described. Secondly, the chosen raw materials by the brewers for their own annedda beer were listed as the reasons of these choices. Finally, the third and last goal was intended to analysed the perceptions and opinions of differents kind of actors who revolve around the annedda style.

To do this, in 2012 and 2013, interviews were made with those who conceived the style, those who brew it, and those who produce the raw materials

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VII

TABLE DES MATIÈRES

RÉSUMÉ ... ………III ABSTRACT ... ………V TABLE DES MATIÈRES ... VII LISTE DES TABLEAUX ... XI LISTE DES PHOTOGRAPHIES ... XIII RERMERCIEMENT ... XV AVANT-PROPOS ... XVII

INTRODUCTION ... 1

CHAPITRE 1 – CADRE DE RÉFÉRENCE ET MÉTHODOLOGIE : LE TERROIR ET LE PATRIMOINE MIS EN RELIEF ... 5

1.1. L’anthropologie de l’alimentation et de l’alcool ... 5

1.2. Le gout du territoire : l’ancrage au terroir ... 8

1.2.1. Le « gout1 du terroir » ... 9

1.2.2. Le terroir vécu et institutionnalisé ... 11

1.2.3. Une typologie québécoise adaptée à l’ancrage territorial et aux formes de valorisation ... 14

1.3. Un retour aux sources : l’ancrage au patrimoine ... 16

1.3.1. L’aliment comme composant patrimonial ... 18

1.3.2. Les processus de patrimonialisation en gastronomie ... 20

1.3.3. Un patrimoine rattaché aux régions et aux nations ... 22

1.4. Proposition de recherche et objectifs ... 25

1.5. Méthodologie ... 27

1.5.1. Stratégie générale de recherche ... 27

1.5.2. Les orientations de la recherche ... 27

1.5.2.1 L’idéation : d’annedd'ale à annedda ... 27

1.5.2.2. La production ... 28 1.5.2.3. La distribution ... 29 1.5.2.4. La consommation ... 30 1.5.3. Échantillonnage ... 30 1.5.4. Outils d’enquêtes ... 32 1.5.5. Considérations éthiques ... 33

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CHAPITRE 2 – CONTEXTUALISATION D’UN MONDE EN EFFERVESCEN-

CE : L’UNIVERS BRASSICOLE QUÉBÉCOIS ... 35

2.1. La bière dans la littérature scientifique ... 35

2.1.1 Une importance historique et symbolique ... 35

2.1.2. L’Îlot-des-Palais d’hier à aujourd’hui ... 37

2.1.3. La production brassicole : le choix d’un lieu ... 38

2.1.3.1. Une histoire de savoir-faire ... 40

2.1.4. La distribution des produits brassicoles ... 41

2.2. Histoire de la bière au Québec ... 43

2.2.1. Nouvelle-France, la Conquête anglaise et la naissance des géants ... 43

2.2.2. La naissance des microbrasseries jusqu’à aujourd’hui ... 46

2.2.3. Vers une bière 100% québécoise? ... 48

2.3. La bière et ses ingrédients ... 51

2.4. Des matières premières faites au Québec ... 55

2.4.1. La production du houblon ... 56

2.4.1.1. Un houblon typiquement québécois?... 57

2.4.2. Le processus de maltage et l’accueil des malts québécois ... 59

2.5. Les étapes de fabrication de la bière basées sur des observations ... 61

2.5.1. La saccarification : l’extraction des sucres fermentescibles ... 63

2.5.2. L’ébullition : la concentration du mout et l’ajout d’aromates ... 65

2.5.3. La fermentation : le passage du mout à la bière ... 67

2.5.4. Le conditionnement : le parachèvement du produit ... 68

2.5.5. Comparaison entre un brassage régulier et de style annedda ... 69

Synthèse du chapitre et analyse ... 70

CHAPITRE 3 – D’ANNEDD’ALE À ANNEDDA : LE CHEMINEMENT VERS UN STYLE DE BIÈRE TYPIQUEMENT QUÉBÉCOIS ... 73

3.1. Qu’est-ce qu’un style de bière? ... 73

3.1.1. L’importance du style chez les brasseurs ... 75

3.2. À l’origine du projet annedd’ale ... 76

3.3. Le degré de liberté des brasseurs ... 78

3.3.1. D’annedd'ale à annedda : le choix du nom ... 79

3.3.2. Le cahier des charges... 80

3.3.3. Une appellation contrôlée? ... 82

3.4. L’arbre de vie : le sapin baumier ... 84

3.4.1. L’ajout du sapin dans le brassage : façon de faire et difficultés encourues ... 85

3.5. En quête d’une levure québécoise : la levure Jean-Talon ... 87

3.5.1. Une levure historique? ... 89

3.5.2. L’ajout de la levure dans le brassage ... 91

Synthèse du chapitre et analyse ... 93

CHAPITRE 4 – PERCEPTIONS ET OPINIONS SUR UN PRODUIT DE NICHE ... 97

4.1. La réception du style annedda chez les différents acteurs ... 97

4.1.1. Le bilan des brasseurs et idéateurs ... 97

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IX

4.1.3. La réception et perception des consommateurs ... 100

4.2. L’annedda, un style typiquement québécois? ... 106

4.3. D’autres styles typiquement québécois? ... 110

4.3.1. La Boréale Rousse des Brasseurs du Nord ... 110

4.3.2. La bière au sirop d’érable ... 111

4.3.3. Épices et herbes : les produits de la forêt boréale ... 112

Synthèse du chapitre et analyse ... 114

CONCLUSION ... 117

BIBLIOGRAPHIE ... 125

ANNEXE A - SCHÉMA D’ENTRETIEN SEMI-DIRIGÉ AVEC LES PARTICIPANTS RECRUTÉS: IDÉATEURS ET COLLABORATEURS .... 137

ANNEXE B - RECENSION DES BIÈRES ANNEDDA ... 139

ANNEXE C - SCHÉMA D’ENTRETIEN SEMI-DIRIGÉ AVEC LES PARTICIPANTS RECRUTÉS: LES BRASSEURS ... 141

ANNEXE D - CAHIER D’OBSERVATION ... 145

ANNEXE E - SCHÉMA D’ENTRETIEN SEMI-DIRIGÉ AVEC LES PARTICIPANTS RECRUTÉS: LES PRODUCTEURS DE MATIÈRES PREMIÈRES ... 147

ANNEXE F - QUESTIONS ADRESSÉES AUX MARCHANDS DE BIÈRES DE MICROBRASSERIE ... 149

ANNEXE G - QUESTIONS DU SONDAGE INTERNET ADRESSÉES AUX CONSOMMATEURS ... 151

ANNEXE H - ANNONCE DE RECRUTEMENT ET FORMULAIRE DE CONSENTEMENT POUR UN ENTRETIEN ET/OU UNE OBSERVATION ... 155

ANNEXE I - ANNONCE DE RECRUTEMENT ET FEUILLET D’INFORMATION POUR UN CONSENTEMENT IMPLICITE ET CONFIDENTIEL POUR LES MAGASINS SPÉCIALISÉS EN BIÈRES DU QUÉBEC ... 159

ANNEXE J - ANNONCE DE RECRUTEMENT ET FEUILLET D’INFORMATION POUR UN CONSENTEMENT IMPLICITE ET CONFIDENTIEL POUR LES CONSOMMATEURS DE BIÈRES ... 163

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XI

LISTE DES TABLEAUX

TABLEAU 1. Probabilité d’acheter de nouveau une bière de style annedda ... 101 TABLEAU 2. La consommation selon la bière ... 102 TABLEAU 3. Les perceptions des consommateurs ... 103 TABLEAU 4. Intérêt des consommateurs n’ayant jamais consommé de bière de

style annedda ... 104

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XIII

LISTE DES PHOTOGRAPHIES

PHOTOGRAPHIE 1. Une jeune pousse de houblon qui s’enroule autour du filage ... 55 PHOTOGRAPHIE 2. Appareil qui effectue le tri entre les cônes, les feuilles et les tiges

de houblon ... 56

PHOTOGRAPHIE 3. Un séchoir de houblon artisanal ... 57 PHOTOGRAPHIE 4. Vue d’ensemble d’un champ de houblon ... 59 PHOTOGRAPHIE 5. Les installations de brassage : la bouilloire et la cuve

d’empattage ... 61

PHOTOGRAPHIE 6. Les grains sont broyés pour le brassage ... 63 PHOTOGRAPHIE 7. Le brasseur utilise le fourquet, l’outil de base d’un brassage ... 64 PHOTOGRAPHIE 8. La brasseuse récupère les drêches qui sont données à un

producteur de la région ... 65

PHOTOGRAPHIE 9. Le mout bout généralement pendant une heure ... 66 PHOTOGRAPHIE 10. Le densimètre est utilisé afin de calculer le taux de sucre initial

et plus tard, celui transformé par la levure ... 67

PHOTOGRAPHIE 11. Les cuves de fermentation ... 67 PHOTOGRAPHIE 12. On remplit des futs qui seront destinés à la consommation

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XV

REMERCIEMENTS

En tout premier lieu, je dois remercier ma directrice Sabrina Doyon pour son soutien, sa patience et ses encouragements tout au long de ce processus. Tes conseils ont été bénéfiques pour la réalisation de ce mémoire et afin de me dépasser dans le cadre de cet exercice. Merci de m’avoir appuyé dans cette démarche.

De plus, ce mémoire n’existerait pas sans la collaboration étroite des participants qui ont si généreusement donné de leur temps pour des entretiens et des séances d’observation de brassage. En ordre chronologique de participation à ce projet, je remercie Philippe Wouters (Bières et Plaisirs), Mario D’Eer, Michel Gauthier, Alain Geoffroy (Brasseurs du Temps), Nicolas Bourgault (Bedondaine et Bedons Ronds), Marc Gagnon (Microbrasserie du Lac Saint-Jean), Sébastien Valade (Le Naufrageur), Laurent Mousson, Gabriel Lalancette (Houblon AGL) et Francis Laganière (Lagabière).

Immanquablement, il me faut remercier ma famille et mes amis pour leur soutien inébranlable au cours de ces trois années de travail qui ont parfois été enrichissantes, bien qu’éprouvantes. Votre soutien et vos encouragements m’ont aidé à faire de ce mémoire ce qu’il est aujourd’hui.

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XVII

AVANT-PROPOS

Depuis mon plus jeune âge, je me suis toujours intéressé à la cuisine et à l’alimentation en général de l’origine des produits, leur confection, à leur dégustation. Cela a toujours été pour moi un sujet de curiosité. Mon intérêt pour l’alimentation au sein de ce mémoire n’a donc rien d’inusité.

En ce qui a trait à la bière, mes connaissances étaient assez limitées, il y a à peine trois ans. C’est suite à certaines lectures à teneur anthropologique sur l’alcool et la bière que je m’y suis intéressé peu à peu. Mais le réel déclic s’est accompli lors de l’écoute d’un reportage à l’émission la Semaine Verte à la télévision de Radio-Canada2. On y expliquait que peu de

bières québécoises étaient réalisées avec des ingrédients québécois, mais que, progressivement, les choses changeaient. De plus, c’est à ce moment que j’ai entendu parler du projet annedd’ale qui consistait à brasser un style de bière typiquement québécois contenantdu sapin baumier et la levure Jean-Talon. J’ai eu un coup de cœur spontané pour ce projet et par le fait même j’ai désiré d’en savoir plus sur le monde brassicole québécois. J’ai donc plongé dans les ouvrages de référence sur la bière en général et sur ceux qui sont faits au Québec. J’y ai découvert un monde foisonnant de brasseurs passionnés par leur métier, mais surtout une production de produits variés et originaux. En effet, j’ai été abasourdi la première fois que je suis entré dans un commerce spécialisé en bières de voir autant de styles représentés par une multitude de microbrasseries que nous retrouvons dans toutes les régions du Québec.

Si l’alimentation et la cuisine demeurent des domaines chargés de symbolisme et de culture, le milieu microbrassicole n’y échappe pas. En fait, se nourrir constitue une action universelle chez tous les êtres humains. Il existe une diversité en ce qui a trait au choix des aliments, la façon de les préparer et dans les significations qu’on leur accorde.

Le choix de la culture québécoise comme pôle de ma recherche n'est pas anodin. Au-delà de mon intérêt pour cette dernière, je crois sincèrement, en tant qu'étudiant en anthropologie, que l'étude et la compréhension de sa propre culture sont des notions

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primordiales. Elles deviennent le point de départ afin de comprendre l'Autre. Un point d'attache où l’on peut ensuite revenir à loisir et actualiser avec un regard toujours plus enrichi.

Nos travaux, majeurs ou mineurs, doivent être vus comme une pierre de plus à l'édifice culturel québécois. En parallèle, nous participons à la construction de la diversité humaine. Si construire est une chose, la partager en est une autre. Il est également de notre devoir de partager cette connaissance, de s'assurer qu'elle transcende les murs universitaires afin qu'elle profite au plus grand nombre.

Réaliser ce mémoire représente pour moi une expérience enrichissante. Si la route a été par moment ardue, c’est grâce à ce travail que j’ai découvert une nouvelle passion.

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1

INTRODUCTION

C’est à la fin des années 1980 que le Québec a connu sa première envolée de brasseries artisanales. Bien que quelques brasseries de petites envergures avaient déjà existé auparavant ce sont majoritairement des géants industriels tels que Molson3 qui brassaient la

grande majorité de la bière vendue. En 1986, le gouvernement québécois délivre le premier permis de brasseur artisanal au Cheval Blanc. Près de trente ans plus tard, plus d’une centaine de microbrasseries existent sur le territoire québécois. Une situation qui s’explique par un désir des consommateurs de diversifier leur consommation de bière et par le pouvoir d’achat accru. C’est ainsi que presque toutes les régions du Québec, les grandes villes de même que certains villages, possèdent leur propre brasserie artisanale. Il est toutefois important de préciser que leur part de marché se situe à environ 5 %, ce qui représente une production de près de 367 000 hectolitres de bières annuellement (Argent 2012). Afin de se distinguer, les microbrasseurs tentent de brasser des produits originaux en ajoutant, par exemple, des fruits cueillis localement, des ingrédients emblématiques tels que le sirop d’érable ou tout simplement des ingrédients de base4 québécois.

Ce désir de se différencier a mené à l’élaboration du projet annedd’ale. Sous l’impulsion du

biérologue5 Mario D’Eer, différents acteurs du milieu microbrassicole ont mis leurs

connaissances en commun afin de créer, de manière inédite, ce qui pourrait être considéré comme le premier style de bière authentiquement québécois : l’annedda. Le style se décrit comme une bière de type ale aromatisée au sapin baumier. Ce style comporte des références au patrimoine et à l’histoire du Québec. Il y a d’abord sa dénomination qui, en iroquoien, signifie « arbre de vie ». Selon les études récentes de Jacques Mathieu, le sapin baumier serait l’arbre à l’origine de la fameuse recette qui a sauvé l’équipage de Jacques Cartier lors de son premier hiver passé au Canada. Ensuite, la bière doit être brassée avec la levure Jean-Talon, qui doit son nom aux Voutes du même nom, à l’intérieur desquelles elle a été découverte. Cela permet de rendre hommage à la première brasserie installée en Amérique et à son bâtisseur. Cette levure, prélevée spécialement pour la conception de ce

3 Brasserie active la plus ancienne au Canada. Elle a commencé ses activités à Montréal dès 1786.

Aujourd’hui, elle porte le nom de Molson Coors Brewing Company à la suite d’une fusion avec Coors.

4 Tel que le malt ou le houblon.

5 Néologisme utilisé par certains des participants pour désigner quelqu’un qui connait le domaine

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style de bière, est aujourd’hui accessible à tous les brasseurs. Il est intéressant de noter que, grâce à cette première levure prélevé au Québec, une bière composée entièrement d’ingrédients québécois peut maintenant être réalisée6.

Ma recherche a pour but d’étudier ce style de bière en tentant de comprendre comment on la décrit comme typiquement québécoise, par le choix de ses ingrédients ou par ses références à l’histoire brassicole. Pour ce faire, mon cadre conceptuel sera basé sur les notions de terroir et de patrimoine. Le concept de terroir amalgamant les interactions entre l’homme et le territoire et le concept patrimoine s’intéressant aux biens matériels et immatériels du passé d’un groupe, d’une culture. Ils peuvent expliquer en quoi un produit alimentaire peut être lié à une culture, une histoire, un savoir-faire, etc.

C’est par le truchement de ces deux concepts que j’analyserai le style de bière annedda sur le plan de son élaboration, de sa production et de sa consommation. La question de recherche se formulera de cette manière : de quelles manières le style de bière annedda se

rattache-t-il au terroir et au patrimoine québécois?

Trois sous-questions me permettent de répondre à ma question de recherche. Premièrement, j’examinerai le projet annedd’ale et décrit la fabrication de la bière annedda; deuxièmement j’identifierai les matières premières choisies par les brasseurs de cette bière et j’analyserai les raisons de ces choix; troisièmement j’identifierai les perceptions et les opinions des consommateurs, des marchands et des brasseurs à son sujet.

Les résultats proviennent d’une enquête réalisée en 2012 et 2013 auprès de différents acteurs qui ont participé au projet annedd’ale, des brasseurs, un producteur de matière première, des marchands qui vendent de la bière de microbrasserie et des consommateurs. J’ai cherché à savoir quels sont les motivations des idéateurs et des brasseurs pour créer une bière typiquement québécoise et si les consommateurs recherchaient à leur tour ce produit. Cette étude a été motivée par le souhait d’obtenir davantage de connaissances sur l’évolution du monde microbrassicole québécois, qui a connu de grands changements depuis son apparition à la fin des années 1980.

(21)

3

Ce mémoire se divise en quatre chapitres. Le premier permettra de développer le cadre conceptuel de ma recherche ainsi que la méthodologie adoptée. J’en profiterai pour mettre en lumière les études faites au sujet de l’alimentation et de l’alcool en anthropologie. Mon cadre conceptuel se développe sur deux axes, et explore les notions de terroir et de patrimoine. Chacun de ces concepts sera défini et décortiqué selon leur application dans le monde alimentaire. Ensuite, je détaillerai les objectifs, la question de recherche ainsi que la méthodologie qui m’ont guidés jusqu’à l’obtention des résultats.

Le second chapitre me permettra de contextualiser le monde de la bière, son histoire, sa composition, son brassage, etc. Les ingrédients essentiels y seront décrits et je traiterai de ceux produits au Québec comme le houblon et le malt. Je tenterai de voir si ces ingrédients, par leur provenance, détiennent des caractéristiques gustatives particulières. Les étapes majeures du brassage seront décrites en utilisant autant les écrits théoriques que les différentes observations effectuées auprès des brasseries. Je m’intéresserai aux différences en ce qui concerne le brassage d’une bière régulière et celui d’une bière annedda. Il s’en suivra une recension des divers écrits scientifiques portant sur la bière. De plus, j’évoquerai le développement du milieu microbrassicole québécois et les raisons de son émergence tardive. Pour terminer, j’analyserai pourquoi certains brasseurs et consommateurs en sont venus à désirer une bière typiquement québécoise.

Le troisième chapitre présentera le style de bière annedda, de sa conception à sa production. J’examinerai d’abord les différentes visions qu’ont les participants du style de bière et de son importance pour les brasseurs. Suivra une présentation globale du projet annedd’ale et son développement. J’évoquerai les balises que les brasseurs devaient respecter afin d’utiliser la dénomination annedda. Ensuite, je détaillerai le choix du sapin baumier et de la levure Jean-Talon, ce qu’ils représentent pour les idéateurs et comment les brasseurs les ont inclus dans leur brassage.

Le dernier chapitre portera principalement sur les perceptions évoquées par le style annedda et sa réception au travers du spectre des brasseurs et des idéateurs, en passant par les commerces jusqu’aux consommateurs. J’analyserai également les diverses réactions suscitées par la création d’un style de bière typiquement québécois et, justement, sa typicité québécoise; en d’autres termes, les manières dont elle est rattachée au Québec. Je tenterai

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de voir si d'autres styles de bières ou produits brassicoles pourraient, eux aussi, être considérés comme typiquement québécois et posséder certains attributs liés au patrimoine et au terroir québécois. Je me pencherai sur la Rousse de Boréale, les bières à l’érable et celles contenant des herbes et épices de la forêt boréale québécoise.

Finalement, la conclusion sera l’occasion de faire un retour sur l’analyse des données de recherche, tout en établissant des liens avec le cadre conceptuel développé plus tôt. Je mettrai de l’avant que la typicité québécoise du style de bière annedda est d’abord une construction sociale ficelée et alimentée par des références à l’histoire ainsi qu’à l’usage d’un ingrédient marquant des débuts de la Nouvelle-France, l’annedda.

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5

CHAPITRE 1 – CADRE DE RÉFÉRENCE ET

MÉTHODOLOGIE : LE TERROIR ET LE PATRIMOINE

MIS EN RELIEF

Ce chapitre permettra de poser les assises de mon sujet : l’élaboration d’un style de bière typiquement québécois. Plusieurs études ont été réalisées en anthropologie sur l’alimentation et l’alcool. Celles-ci seront évoquées. Par la suite, je présenterai mon cadre conceptuel basé sur deux axes : le terroir et le patrimoine. Par le biais du terroir, il est possible de comprendre comment la provenance des aliments et le « gout » des lieux ont pris de l’importance au cours du dernier siècle. Je définirai ce que l’on entend par « gout du terroir » et comment l’État peut y fixer certaines balises. De manière complémentaire, je traiterai de différentes typologies qui peuvent être adaptées à d’autres types d’ancrage territorial. En ce qui concerne le patrimoine, je l’étudierai sous la forme d’une valorisation d’un héritage idéel ou physique, en réponse à une homogénéisation de l’alimentation. La première étape constituera à définir et à baliser ce concept assez large et de voir comment il s’applique au domaine de l’alimentation. Je m’intéresserai ensuite au phénomène de la patrimonialisation en gastronomie. Je verrai comment ce processus s’est inséré au cœur des nations et des régions à cause de facteurs socioéconomiques bien précis.

Finalement, les objectifs de ma recherche ainsi que la méthodologie qui m’a guidé jusqu’à l’obtention des résultats seront présentés. Cela me permettra de décrire ma stratégie générale, mes orientations et l’échantillonnage, tout en dressant un portrait des entreprises participantes et de leurs produits, des outils d’enquêtes, ainsi que des considérations éthiques qui m’ont guidé.

1.1. L’anthropologie de l’alimentation et de l’alcool

L’anthropologie s’est intéressée de longue date aux façons de s’alimenter et à la nourriture. Les premiers écrits recensés sur le sujet remontent à la fin du 19e siècle avec les travaux de

Garrick Mallery (1888) ou William Robertson (Smith 1889). Bien entendu, ce champ a su évoluer en même temps que l’anthropologie, permettant d’être un véhicule « for examining

large and varied problems of theory and research methods » (Mintz et Du Bois 2002 :

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tendances qui ont influencé l’anthropologie de l’alimentation et son expansion au cours du dernier quart de siècle : la mondialisation, l’influence des sociétés occidentales et leur caractère cosmopolite et la tendance à considérer les variations interculturelles dans les habitudes alimentaires (Mintz et Du Bois 2002 : 111). En effet, d’autres auteurs, comme Philipps, ont remarqué l’émergence, dans les mêmes années, de réflexions à propos de la nourriture à travers le spectre de la mondialisation et inversement. Antérieurement, ce sous-champ a exploré des contextes de productions relativement fermés7 (Phillips 2006 : 38).

Parmi les principaux thèmes abordés par l’anthropologie alimentaire, Mintz et Du Bois les classifient en grandes catégories telles que les monographies sur la production d’aliments spécifiques, des travaux sur le lien entre la nourriture et les changements sociaux, les liens entre l’identité et l’acte de manger, les comportements et rituels alimentaires et l’insécurité alimentaire. (Mintz et Du Bois 2002)

En ce qui a trait à l’alcool, plusieurs recherches l’ont abordé comme une problématique de santé à traiter. L’anthropologie se distingue des autres sciences en abordant le sujet sous différents aspects, qui ne sont pas nécessairement péjoratifs. (Douglas 1987; Heath 1987) Cela a permis de démontrer le biais des sociétés occidentales par rapport à l’alcool à travers les études médicales et sociologiques. Dans certaines sociétés, les problématiques liées à l’alcool sont rares et l’alcoolisme semble virtuellement absent, affirme l’anthropologue Mary Douglas. L’état d’ivresse, dans ces mêmes sociétés, est parfois activement recherché, hautement estimé et fréquent (Heath 1975, cité dans Douglas 1987 : 3). Elle renchérit en postulant que la perspective anthropologique devrait prendre en compte que la célébration de l’alcool est normale. En effet, dans la plupart des cultures, l’acte de boire est tout à fait banal dans le cadre de festivités : « Drinking is essentially a social act, performed in a

recognized social context » (Douglas 1987 : 4). Les études portant sur les abus de l’alcool

devraient idéalement inclure une collaboration entre les chercheurs médicaux et les anthropologues pour une meilleure compréhension des enjeux (Douglas 1987 : 4).

Douglas énumère trois sous-champs avec lesquels il est possible d’étudier la place des breuvages alcoolisés dans la société : comme un élément structurant de la vie sociale, comme une activité économique importante et, par le rituel de boire, sa capacité de créer du

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7

sens. Dans le premier cas, l’ingestion de produits alcoolisés marque et délimite les moments dans la journée; le deuxième cas peut s’illustrer à travers le spectre de l’économie politique par la mobilisation des ressources et des conditions de production; tandis que le troisième cas met en lumière la place de l’alcool à l’intérieur de certaines sociétés sur le plan de la mythologie (Douglas 1987 : 8–14).

D’autres anthropologues possèdant une approche plus historique sur les apports de l’alcool à la civilisation et sur la société (Dietler 2006; Garcia-Ruiz 1999; Jennings 2005). D’autres ont traité de la notion du « bien boire », qui est une construction sociale issue des représentations, et des fonctions de l'alcoolisme (Gaussot : 1998) ou des raisons qui poussent les buveurs à rechercher l’ivresse (Nahoum-Grappe 2010 : 1991).

Plusieurs études l’abordent sous l’angle de la santé publique. Tout d’abord en déconstruisant, à certains égards, des discours récurrents à propos de l’alcoolisme, qui est considéré dans nos sociétés comme une maladie incurable (Cormier 1989; Fainzang 1996; Le Vot-Ifran et collab. 1989; Lefebvre et Legrand 2003; Suissa et Rocheleau 2007). Une littérature existe également sur les problématiques de l’alcool dans certaines communautés spécifiques, par exemple chez les autochtones du Québec (Bousquet et Morissette 2009; Dickinson 1993; Pronovost 2009; Roy 2005). Le sujet peut également être traité sous l’aspect des comportements des consommateurs d’alcool, que ce soit lors d’évènements sportifs (Thompson et collab. 2011) ou comme rite d’initiation en milieu scolaire (Harvengt 2006).

Les études sur les produits alcoolisés ne sont pas en reste. Par exemple, la production viticole peut être analysée sous l’angle du patrimoine culturel (Giguère 2010) et du terroir (Demossier 2011; Teil and Barrey 2011; Teil 2012). En ce qui a trait à la bière, l’ethnologue Bertrand Hell (1982) est celui qui a produit la première ethnographie sur la production artisanale et la consommation de cette dernière en Alsace. Des ethnographies similaires ont été aussi produites au Québec (Tremblay 2008) et dans la société Dogon (Jolly 2004). D’autres études ont traité de la bière par sa symbolique dans divers contextes culturels (Hell 1991; Manning et Uplisashvili 2007), sa consommation à l’intérieur des pubs (Massard-Vincent 2006) et sous l’angle du quotidien des travailleurs dans une brasserie industrielle (Dorion, 1989).

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L’anthropologie s’est intéressée à l’alimentation afin de mieux comprendre certaines dynamiques à l’intérieur de populations. Les dernières décennies ont été marquées notamment par ce désir de comprendre comment l’alimentation était influencée par la mondialisation, tout comme l’alimentation participe aux transformations de cette dernière. Plus spécifiquement, des auteurs se sont penchés sur le rôle de l’alcool et des produits alcoolisés dans la société. Souvent vu sous un angle péjoratif et médical, l’alcool a pu regagner certaines lettres de noblesse grâce à l’anthropologie, qui ne s’est pas limitée à ses côtés négatifs. Maintenant que la question de l’anthropologie de l’alcool a été explorée dans ses grandes lignes, il est temps de passer à la définition du concept de terroir et de patrimoine.

1.2. Le gout du territoire : l’ancrage au terroir

Le terroir est une façon de conceptualiser et de valoriser l'ancrage au territoire des aliments. Sur le plan de l'étymologie, terroir provient du latin classique territorium. Un terme qui, au départ, « aurait eu le sens de "pays, d'espace de terre" mais qui s'est transformé dès la fin du XIIIe siècle pour référer à "la terre considérée du point de vue de ses aptitudes agricoles et

viticoles" » (Genest 2001a : 11). Il est, de plus, étroitement associé à la production du vin, notamment au 16e et 17e siècle et de là proviennent les expressions « avoir le goût du

terroir » et « sentir le terroir » (Barham 2003 : 131; Genest 2001b : 155).

Plusieurs chercheurs en anthropologie se sont penchés au cours des dernières années sur la notion de terroir (Bérard et Marchenay 1995; Bessière 1998; Terrio 1996, cités dans Demossier 2011 : 685). Les sciences sociales l’ont régulièrement caractérisée comme un système complexe d’interactions créées entre une série de facteurs humains, qui incluent autant la production agricole que le milieu physique. Chez les anthropologues européens, le terroir s’exprime avant tout à travers un produit auquel il confère son originalité (Demossier 2011 : 685) tandis que les chercheurs américains tels que Trubek (2008) ont tenté d’analyser ce concept comme une construction sociale dans son ouvrage The taste of

place : a cultural journey into terroir : « […] [It] offers the perfect illustration of this trend, and in addition it provides evidence of major shifts in the conceptualization of terroir, as she places greater emphasis on cultural processes » (Demossier 2011 : 686). La

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9

plus tôt par le géologue Wilson (1998) : son regard était naturellement porté vers les interprétations géologiques, la nature, les conditions climatiques, etc (Demossier 2011 : 686). Avant que l’anthropologie n’occupe ce champ d’études, celui-ci était particulièrement dominé par les géologues (Demossier 2011 : 686).

1.2.1. Le « gout du terroir »

Le terroir se définit par les qualités distinctives obtenues grâce aux caractéristiques exceptionnelles du sol et du microclimat associées à des produits alimentaires. Ces caractéristiques résultent d’une occupation du territoire prolongée, qui amalgame le savoir-faire de l’humain avec la disposition naturelle d’un lieu précis. Le terroir ne peut qu’exister que par la réunion de l’ensemble de ces attributs (Barham 2003 : 131).

Les anthropologues Laurence Bérard et Philippe Marchenay affirment que les produits issus d’un terroir détiennent un rapport particulier à l’espace, au temps et au savoir-faire. La liaison entre ces trois facteurs forment « un triangle dont la fonction réflexive semblerait constituer la spécificité des produits de terroir » (Amilien 2005). Ils soulignent que l’aspect historique est principalement formé par des faits reconstruits étant donné le caractère récent de ces produits (Amilien 2005).

En consommant un tel aliment, on ingère symboliquement un territoire. En effet, selon l’ethnologue et historien Laurier Turgeon, consommer un produit du terroir « sous-tend un déplacement géographique des aliments du lieu de leur production vers le lieu de leur ingestion. L’acte de manger exprime l’appropriation d’une distance, l’espace extérieur est intériorisé et devient un espace personnel » (Bell et Valentine 1997, cité dans Turgeon 2010). Cet espace géographique est, par le processus d’incorporation, « littéralement consommé par le consommateur pour le fortifier et le projeter dans l’avenir » (Turgeon 2010).

La popularité des produits du terroir observée chez les consommateurs est due, selon Turgeon, au fait qu’ils « permettent de recréer le lien entre le producteur et le consommateur, entre le lieu de production et le lieu de consommation. Ils ne représentent plus une marchandise, mais comme leur nom l’indique, un produit profondément ancré en un lieu » (Turgeon 2010). Ce qui explique, en partie, pourquoi l’État possède un intérêt

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pour leur développement, cela devient un levier économique et de cohésion comme un autre : il les « perçoit comme un moyen parmi d’autres de reconstruire les régions et l’ensemble du pays » (Turgeon 2010). En effet, les compagnies développant ces produits peuvent apporter différents bienfaits tels qu’être « un levier du développement régional, soit un moyen de dynamiser les économies régionales, de retenir les jeunes et de créer un sentiment d’appartenance au territoire » (Deshaies 2003, cité dans Turgeon 2010).

Si le terroir peut être expérimenté par les acteurs en présence8, il n’en va pas de même pour

les scientifiques parce que l’objet en question ne répond pas aux critères d’objectivité requis par la science (Teil 2012 : 480). L’anthropologue Geneviève Teil développe cet argumentaire à l’aide des produits vinicoles. Elle donne l’exemple d’une bouteille de vin qualifiée du terroir. Celle-ci est peut-être un produit spécifique, mais elle ne représente qu’une facette du terroir et ne peut prétendre à l’incarner dans son entièreté : « terroir is a

collectively articulated production distributed across the range of wines whose pretension to express it has been acknowledged […] terroir and its taste cannot be reduced to any "representatives" » (Teil 2012 : 493). Selon l’auteure, les produits issus du terroir ne

doivent pas être jugés comme des objets, mais comme étant assimilables à une forme d’art : « The work of an artist often constituted by a collective of critics whose judgement is a

distributed, collective production. The case of terroir as a distributed production is closer to the notion of art in the sense of the artistic production as a whole […] » (Teil 2012 :

494).

Le terroir reste une notion difficilement palpable. Cela s’en ressent lorsque les sciences dites objectives s’y intéressent. Certains croient que les objets examinés sont des données préexistantes qu’il suffit de disséquer, mais les chercheurs prétendent le contraire : « Terroir has a regime of existence […] that we have called "product" to emphasize its

character as the a posteriori result of production process as opposed to the autonomous and a priori existence of scientific "things" detached from their process of emergence »

(Teil 2012 : 496–497). L’appréciation du terroir à travers le produit est un processus collectif qui se joue entre les producteurs et ceux qui le dégustent (Teil 2012 : 495–497). Il n’existe pas naturellement, car c’est d’abord et avant tout l’Homme qui le délimite.

(29)

11

Un produit alimentaire qui est qualifié comme ayant le gout du terroir possède des qualités propres à lui. Celles-ci sont liées principalement à l’amalgame d’une occupation prolongée du territoire avec le savoir-faire humain. Si l’État s’intéresse autant à ce créneau, c’est parce que la production de tels produits peut être un moteur économique tout en étant un levier régional puissant. Certains États se sont approprié le concept du terroir et se portent garants de celui-ci via des législations. Voici comment le terroir est vécu et parfois institutionnalisé.

1.2.2. Le terroir vécu et institutionnalisé

Le concept du terroir a été institutionnalisé en France dès 1935 à travers la Loi sur l'appellation d'origine contrôlée9. Cette dernière était d'abord et avant tout réservée au

secteur viticole avant d'être appliquée, dans les années soixante, à d'autres produits. Les A.O.C. « consacre[nt] un terroir, mais aussi ses usages, ses savoir-faire et son origine géographique » (Genest 2001a : 12). Le concept du terroir se retrouve au cœur d'un discours critique de la mondialisation. Il laisse entrevoir qu’il règlera certains de ses problèmes « dans un retour à la diversification et à la mise en valeur des identités locales et régionales » (Genest 2001a : 10). Cela va de pair avec un désir, chez le consommateur, de revenir à un produit qui se dit « authentique » et « vrai », qui serait associé aux racines rurales, sans vraiment se rendre compte que ces termes sont, eux-mêmes, contestés (Barham 2003 : 132). Ces produits jouent beaucoup sur cette image pour se distinguer de ceux standardisés que l’on retrouve sur le marché (Genest 2001b : 155; Trubek 2008 : 42– 43).

Sur le continent nord-américain, l'idée du terroir chemine à sa façon. Aux États-Unis, certaines entreprises fromagères, depuis les années 1980, émergent sous l’impulsion du mouvement pour un retour vers la terre et la popularité des farmer’s markets (Paxson 2010 : 445). L’anthropologue Paxson soutient que les artisans fromagers américains sont engagés dans ce que l’auteure qualifie de « "reverse engineering10" terroir ». En d’autres mots, si,

dans le bagage européen, les fromages sont adaptés à l’environnement dans lequel ils sont issus, les agriculteurs étatsuniens pensent la culture comme quelque chose qui peut être en

9 A.O.C.

(30)

mouvement constant : « culture doesn’t "sit in places" (Basso 1996); culture can be

retooled to generate new places » (Basso 1996, cité dans Paxson 2010 : 445). Le concept

de terroir développé en France peut difficilement s’appliquer de façon identique en Amérique à cause de contextes bien différents : « the contexts imagined to generate

place-based foods are calibrated to different scales. […] In France, the supposed authenticity of regionally broad food traditions may reach back centuries; in the United States, entrepreneurial innovation stands in for transgenerational custom » (Paxson 2010 : 446).

De plus, les producteurs américains désirent une flexibilité créative11 et administrative12, ce

que n’offre pas nécessairement le modèle européen (Paxson 2010 : 447).

Au Québec, des individus comme Jean-Marie Gauvreau, ébéniste de formation ayant un fort intérêt pour l’artisanat, se sont intéressés au terroir dès les années 1930 (Genest 2001a : 12; 2001b : 158–164). Auteur de l’ouvrage Artisans du Québec (1940) et collaborateur à l’Inventaire des ressources naturelles, industrielles et économiques (1938-1942)13 du

Québec, il a déjà affirmé qu'une œuvre fabriquée par un artisan « avait le "cachet du terroir", établissant ainsi un lien de cause à effet entre l'objet produit et le milieu de production ». (Genest 2001a : 12) Si d'autres avant lui se sont intéressés aux traditions artisanales québécoises, il est « le premier à faire le lien entre le potentiel culturel des terroirs et leur portée économique » (Genest 2001a : 12).

Sur le plan institutionnel, la Loi sur les appellations réservées est adoptée au Québec en 1996. Elle protège l'appellation de « produits agricoles et alimentaires possédant une spécificité, un mode de production particulier ou provenant d'une région de production particulière » (Genest 2001a : 12). Cependant, contrairement à la loi française dont elle s'inspire, il faudra la Loi des appellations réservées et des termes valorisants, qui remplacera la loi précédente en 2006, pour que la notion de terroir soit introduite (Genest 2001a : 12). Cette loi crée le Conseil des appellations réservées et des termes valorisants (CARTV) « qui a juridiction sur les produits agricoles et alimentaires portant une appellation réservée et qui sont vendus sur le territoire du Québec » (CARTV s.d.a.). La

11 C’est-à-dire, ne pas être confinés à des lieux précis.

12 À travers une gestion des appellations par des fonctionnaires de l’État.

13 Œuvres se déclinant en plus de 55 volumes pour le ministère des Affaires municipales du Québec. (Genest

(31)

13

législation prévoit plusieurs catégories de dénomination telles que l’appellation biologique, l'appellation de spécificité (AS), les termes valorisants, l'appellation d'origine (AO), et l’indication géographique protégée (IGP). Seules les deux dernières touchent au terroir par leur attachement à un territoire en particulier. L’IGP « établit principalement un lien entre un produit et une région en reconnaissant qu’un produit présente des caractéristiques particulières attribuables à sa région de production » (CARTV s.d.b.), tandis que l’AO « permet de reconnaitre les produits originaires d’une région particulière, c'est-à-dire nés dans cette région » (CARTV s.d.c.). Jusqu'à maintenant, seul l'agneau de Charlevoix, depuis 2009, a été « reconnu en appellation réservée relative au lien avec un terroir l’Indication géographique protégée (IGP) » (CARTV s.d.d.). Les producteurs de cidre de glace du Québec ont entamé, depuis 2013, la même démarche auprès du CARTV pour se faire reconnaitre comme IGP. Aucun produit, jusqu’à aujourd’hui, ne porte la mention d’AO.

Le CARTV définit les produits du terroir de la façon suivante :

Un produit du terroir est un produit qui provient – ou dont les principales composantes proviennent - d'un territoire délimité et homogène et dont les caractéristiques qui le distinguent de façon significative des produits de même nature reposent sur la spécificité de ce territoire. Ses caractéristiques dépendent à la fois des particularités du milieu, comme la géologie, le climat, le relief, la culture, l'histoire ainsi que du savoir et du savoir-faire, traditionnels ou émergents, et de ses habitants (CARTV s.d.e.).

Selon Genest, ethnologue au ministère de la Culture et des Communications du Québec, certains prétendent qu'il n'existe pas encore de véritables terroirs au Québec parce que ces derniers seraient toujours en élaboration (Genest 2001a : 11). Il est vrai que, si l’usage du terroir québécois n’est pas la même que celle en France, « on ne saurait non plus ignorer l'authenticité de pratiques étroitement liées à une collectivité, un sol et ses ressources » (Genest 2001a : 14). Pour répondre à une certaine demande, il y a « toute une gamme de nouvelles productions qui, sans racines véritables, apparaissent sur les marchés à la satisfaction des consommateurs, et dont le potentiel commercial est loin d'être négligeable pour l'économie des régions rurales » (Genest 2001a : 11).

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Cependant, l’aspect de la pérennité reçoit de vives critiques. Tel que le géographe Laurent Deshaies le stipule, la notion du terroir constitue d'abord une création humaine : « le terroir peut changer ses limites géographiques dans le temps selon les diverses initiatives humaines et peut même disparaître. […] Le terroir ne se limite pas à un savoir ou à un savoir-faire "lié à son histoire". Il comprend aussi des activités récentes et des savoir-faire innovateurs et complètement nouveaux » (Deshaies 2003 : 217). Si on se fie uniquement à la définition de l’État, comme le précise Deshaies, on peut se demander quel est l'âge minimal qu'un produit doit posséder pour être considéré comme faisant partie du terroir (Deshaies 2003 : 217).

La difficulté que pose la définition du terroir reste en suspens, il est cependant possible de se tourner vers le champ de la typologie et d’étudier les différents types d’ancrages au territoire et aux formes de valorisation pour résoudre la question.

1.2.3. Une typologie québécoise adaptée à l’ancrage territorial et aux formes de valorisation

Carole Chazoule, enseignante chercheuse au laboratoire d’études rurales – Sociétés et espaces ruraux de l’Europe contemporaine, et Rémy Lambert, enseignant chercheur à la Faculté des sciences de l’agriculture et de l’alimentation de l’Université Laval, ont publié dans la revue scientifique Économie rurale une typologie des différents types d’ancrage au territoire et des formes de valorisation existant au Québec. Ils en ont dénombré quatre. Tout d’abord, il y a les productions provinciales, qui représentent « une forme d'ancrage territorial qui ne s'affiche pas tant à l'échelle du lieu de production qu'à celle de la province » (Chazoule et Lambert 2011 : 17). C'est l'image du Québec « qui est mise en avant et valorisée sur des marchés internationaux » (Chazoule et Lambert 2011 : 17). Le sirop d'érable, les canneberges et le cidre de glace l'illustrent bien : « Il s'agit de productions industrielles qualifiées comme telles car pour chacune d'elles de gros volumes sont produits chaque année au niveau provincial » (Chazoule et Lambert 2011 : 13).

Ensuite, il y a les productions possédant des spécificités agricoles historiques inscrites dans leur lieu de production. Ce sont « les liens physiques, pédoclimatiques en particulier » qui sont revendiqués tandis que « les savoir-faire sont peu évoqués » (Chazoule et Lambert

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15

2011 : 17). De bons exemples pour illustrer ce cas sont la « fraise de l'Île [sic] d'Orléans et les bleuets sauvages du Lac Saint Jean [sic] », des productions industrielles aux frontières bien définies (Chazoule et Lambert 2011 : 14).

Troisièmement, il y a les productions visant à construire l'identité d'un territoire où l’ancrage est « essentiellement lié à l’émergence sur le lieu de production de savoir-faire moins industriels (dits fermiers ou traditionnels) développés grâce à des configurations d’acteurs spécifiques et à leur volonté d’action collective pour faire connaître leur région » (Chazoule et Lambert 2011 : 18). Dans ce cas bien précis, un cahier des charges est développé et il y a une volonté de certification comme chez la pintade de la Vallée-du-Richelieu ou l’oie de Baie-du-Febvre (Chazoule et Lambert 2011 : 15; 18).

En dernier lieu, il y a des liens pensés et construits pour l'agneau de Charlevoix « qui est dans la même configuration que le précédent hormis son aboutissement […] l’ancrage du produit à son lieu de production a ici été construit et pensé dès l’origine pour justifier de la différence avec ce produit (agneau de Charlevoix) et le standard (agneau dit du Québec) » (Chazoule et Lambert 2011 : 18).

Les deux premières catégories d'aliments « locaux, localisés, de terroir, regroupent donc des produits qui existent depuis de nombreuses années » ne sont pas nécessairement dans une logique de protection et de certification (Chazoule et Lambert 2011 : 18). Les suivantes jouent le rôle de « produits plus récents ou réinventés et mis en marché dans le cadre d’un projet de développement local et qui, eux, s’inscrivent dans une logique de certification » (Chazoule et Lambert 2011 : 18).

La typologie de Chazoule et Lambert permet de relativiser le terroir comme une manière d’identifier un aliment parmi d’autres. L’ancrage au territoire peut s’opérer sous différents angles, que ce soit vis-à-vis une identification plus large à une province telle le Québec ou à des cultures spécifiques à des régions où le savoir-faire est absent.

La notion de terroir, bien que datant du 17e siècle, a su perdurer et s’adapter au contexte

national de ceux qui en font l’usage. L’anthropologie s’est intéressée au concept en le définissant comme une construction sociale, qui met en relief un système complexe

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d’interactions incluant des facteurs humains, comme le savoir-faire, et naturels, tels que le climat et le sol. Si la science s’est beaucoup intéressée à ces produits, il reste que le terroir est difficilement objectivable selon des critères scientifiques étant donné son caractère constamment négocié entre producteurs et consommateurs. Ces aliments sont recherchés par les consommateurs parce qu’ils permettent symboliquement de créer un lien avec le producteur et d’ingérer une partie du territoire. Tout dépendant du contexte local, les manières de mettre en valeur le terroir sont différentes. La France a développé son propre système d’appellations d’origine contrôlées et les États-Unis utilisent le concept de terroir à leur manière, sans nécessairement être règlementé. Au Québec, si certains auteurs se sont intéressés au terroir sur le plan de l’artisanat dès les années 1930, il a fallu attendre jusqu’en 1996 pour que le Québec adopte sa propre loi sur les appellations réservées dans le domaine alimentaire. Celle-ci s’est bonifiée au cours des années afin de créer diverses catégories adaptées aux besoins des producteurs. Néanmoins, certains prétendent que le terroir québécois n’existe toujours pas, à cause du manque de pérennité des pratiques : le terroir demeurerait en élaboration continuelle. En guise de réponse, d’autres affirment qu’une durée définie des pratiques n’est pas nécessaire à l’élaboration du terroir : c’est d’abord un concept humain et des activités tout à fait récentes pourraient faire l’objet d’une identification à celui-ci. De surcroit, il a été possible de démontrer qu’il existait, en parallèle, d’autres types d’ancrage au territoire, qui pouvaient se substituer à la notion de terroir.

Si l’anthropologie s’est intéressée au terroir sous de multiples facettes dans l’alimentation, il en est de même pour le concept de patrimoine. Il sera également possible de voir en quoi ces concepts ne sont pas si éloignés l’un de l’autre.

1.3. Un retour aux sources : l’ancrage au patrimoine

Le patrimoine peut référer aux biens que l’on possède et qui peuvent être légués. Juridiquement parlant, à l’intérieur du premier dictionnaire de l’Académie14, le patrimoine

faisait référence au « bien qui vient du père et de la mère, qu’on a hérité de son père et de sa mère » (Bienassis 2011 : 46). Au cours du XXe siècle, le terme s’est vu enrichi d’une

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17

signification culturelle. Selon André Chastel, « le patrimoine, au sens où on l’entend aujourd’hui dans le langage officiel et dans l’usage commun, est une notion toute récente, qui couvre de façon nécessairement vague tous les biens, tous les "trésors" du passé » (Babelon 1994 cité dans Bienassis 2011 : 46).

Si on analyse le patrimoine de manière plus large, Rautenberg, professeur d’ethnologie à l'Institut de sociologie de l'Université des sciences et technologies de Lille, le définit comme « un capital de ressources spécifiques, singulières, destinées à assurer la perpétuation du groupe tout en alimentant une dynamique collective propre, fondée sur un certain particularisme culturel, historique voire géographique » (Rautenberg 2003 : 20). Ces biens patrimoniaux peuvent donc « revêtir soit une dimension matérielle (bâtiments, terres, forêts par exemple), soit une dimension idéelle (langue, culture, idéologie et comportement) » (Di Méo et collab. 1993 : 473). Le patrimoine, tout comme le territoire, sont des mémoires collectives, « à la fois registre partagé d’événements et d’expériences anciennes, mais aussi – et sans doute surtout – dispositif cognitif mobilisé dans la prise de décisions et donc capacité de projection dans le futur » (Linck 2009 : 1).

Les réflexions sur le patrimoine sont plurielles et font l’objet de recherches récentes notamment en France, en Espagne et au Québec. Pouvant toucher autant le « domaine financier, de la succession et plus récemment […] celui de l’écologie, de l’architecture et de la culture », le patrimoine soulève un engouement chez les chercheurs (Bérard et Marchenay 1998, cité dans Giguère 2010 : 20). Ces observations tournent principalement autour du patrimoine culturel et « renvoient généralement aux concepts de biens ancestraux, d’authenticité et de transmission dans une orientation essentialiste dans bien des cas et servant des projets politiques » (Giguère 2010 : 20). Parmi ces notions, celles de transmission et d’identité apparaissent susceptibles de vivifier une réflexion anthropologique par leur ancrage au passé et à la construction de l’avenir (Giguère 2010 : 20).

De manière plus spécifique, le patrimoine associé à la culture peut être sous-divisé entre le matériel et l’immatériel selon l’Organisation des Nations Unies pour l'éducation, la science

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et la culture15. Si le patrimoine culturel matériel peut référer, entre autres, à des bâtiments

ou à des objets construits par l’humain, le patrimoine culturel immatériel évoque « un concept qui regroupe les notions de connaissances, de représentations, de pratiques culturelles et de savoir-faire traditionnels d’une communauté ou d’un groupe » (Laviolette 2010 : 46). Dans la Convention pour la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel produite par l'UNESCO et ratifiée par 12 pays en 2003, on précise que le « patrimoine culturel immatériel se manifeste par les traditions et expressions orales, la langue, la musique, la danse, le conte, les pratiques sociales, les rituels et les événements festifs ainsi que par les savoir-faire liés à l’artisanat traditionnel » (Gaudreau 2010 : 20). L’UNESCO décrit, elle-même, les traditions comme « des pratiques sociales et représentations qu’un groupe social estime provenir du passé par transmission intergénérationnelle et auxquelles le groupe attribue un statut particulier » ou davantage de culture populaire, c’est-à-dire de « pratiques sociales et représentations par lesquelles une communauté culturelle exprime son identité particulière au sein d’une société plus large » (Aubert et collab. 2004, cité dans Guidroux 2008 : 234).

Le patrimoine, sous un point de vue anthropologique, réfère principalement à des biens culturels. L’anthropologie s’intéresse particulièrement aux notions de transmissions et d’identité à l’intérieur de ce cadre. Sous la forme immatérielle ou matérielle, le patrimoine forme un capital de ressources qui assure la perpétuation d’un groupe. Par exemple, si on tente de classifier le patrimoine culinaire, il pourrait être considéré, dans ce cas-ci, comme un mélange des deux, compte tenu du fait qu’il est issu de connaissances et de savoir-faire traditionnels au sein d’un groupe donné; tandis que les aliments utilisés sont palpables. Les prochaines lignes aideront à comprendre comment l’aliment peut être perçu comme un élément patrimonial.

1.3.1. L’aliment comme élément du patrimoine

L’alimentation constitue une façon pour l’être humain de marquer « son identité et son altérité de ceux dont cette identité le distingue » (Fischler 1985 : 171). Elle peut être vue sous deux angles : le premier est celui du biologique au culturel, en d’autres termes, de la fonction purement nutritive à celle symbolique; le second est le lien qui unit l’individuel au

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19

collectif, c’est-à-dire le psychologique au social (Fischler 1985 : 171). L’expression populaire nous devenons ce que nous mangeons prend tout son sens autant sur le plan biologique, que sur le plan des représentations (Fischler 1985 : 176). Cette pensée rejoint l’avis de certains chercheurs tels que Thierry Linck, directeur de recherche à l’Institut national de recherche agronomique (INRA), qui affirment que « l’aliment est à la fois un composant organique et un composant patrimonial. Le premier assure des fonctions physiologiques, cependant le second permet de répondre aux besoins de socialisation ». (Linck 2009 : 8–11). L’aliment ne fait pas juste nourrir le corps et remplir des besoins biologiques :

[Il] est à la fois l’expression d’un rapport à la « nature », le reflet de modes particuliers d’insertion de l’homme dans les écosystèmes et le fruit d’une accumulation de connaissances, de valeurs et de normes qui rendent cette insertion possible. Ces connaissances, ces valeurs, ces normes font également partie de la mémoire collective, elles sont aussi à la base des émotions que suscite la consommation d’aliments et elles instruisent le double lien entre l’individu, la « nature » et la société (Linck 2009 : 8–11).

L’aliment n’est donc pas uniquement nourricier, il révèle des traits au sein d’une société. Mais c’est surtout à travers les traditions culinaires que l’on peut « décrire le corps de pratiques en relation avec l’alimentation qui est culturellement élaboré et transmis » (Contreras 2011 : 93–94). Cela inclut :

1) […] un nombre très limité d’aliments sélectionnés avec lesquels on offre le moyen, et dont les critères de sélection dépendent généralement de la facilité d’accès et des quantités susceptibles d’être obtenues relativement à l’énergie nécessaire pour se les procurer;

2) le mode et les modes caractéristiques de préparation de ces aliments (coupés, grillés, cuits, frits, bouillis, etc.);

3) le principe et les principes d’assaisonnement (flavorings) traditionnels de l’aliment de base de chaque société; et

4) l’adoption d’un ensemble de règles relatives à plusieurs facteurs : a) le nombre de prises alimentaires journalières; b) le fait que les aliments se prennent seuls ou en groupe; c) la séparation de certains aliments à des fins religieuses ou rituelles; d) l’observation de tabous. Ces pratiques et leurs combinaisons donnent lieu à des traditions – cuisines – spécifiques (Rozin et Rozin : 1981, cité dans Contreras 2011 : 93–94).

Pour mieux comprendre le concept de patrimoine appliqué à l’alimentation, il est possible de prendre pour exemple des fromages traditionnels, tels que le roquefort en France,

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« considérés davantage en tant que processus (une séquence qui mobilise des ressources, des compétences et des pratiques différenciées) que comme de simples produits » (Linck 2009 : 2). En effet, les productions fromagères ou vinicoles exigent un niveau d’organisation élevé et ils produisent, à leur façon, leur propre histoire : « Ils peuvent être conservés sur des périodes relativement longues et ainsi prendre de l’âge. Ce sont même des produits que l’on déconseille de consommer frais ou jeunes, parce qu’ils gagnent en valeur par leur vieillissement » (Linck 2009 : 2; Turgeon 2010). C’est pourquoi ces produits se retrouvent consommés de pair, explique Turgeon : « [S]ans doute parce que leur conjugaison crée des effets surprenants sur les papilles gustatives, mais aussi parce qu’elle marque doublement l’effet de l’appropriation de l’histoire et du territoire » (Turgeon 2010). Si l’aliment est nourricier, il peut aussi faire office de marqueur d’altérité et de porteur de symboles. En analysant ces traditions culinaires, il est possible de mieux saisir certaines pratiques culturelles et symboliques de groupes d’humains. À partir de ces principes, il est possible de parler du processus de patrimonialisation des aliments, c’est-à-dire des processus qui conduisent des aliments à être considérés comme patrimoniaux.

1.3.2. Les processus de patrimonialisation en gastronomie

La patrimonialisation de la gastronomie consiste en des processus de reconnaissance des aliments ou des pratiques alimentaires comme faisant partie d’un patrimoine associé à une culture, une nation. Jesús Contreras, anthropologue, rappelle en quoi le phénomène de patrimonialisation se produit « dans un contexte socio-économique et historique déterminé », d’où la nécessité de toujours remettre dans leur contexte les cas étudiés (Espeitx 2000, cité dans Contreras 2011 : 107).

Jean-Pierre Poulain, sociologue et anthropologue, voit dans ce phénomène une manière privilégiée d’observer les mutations sociales à l’intérieur de la société :

[Le phénomène] consiste en une transformation des représentations associées à l’espace social alimentaire et pose les produits alimentaires (qu’ils soient ou non élaborés), les objets et savoir-faire utilisés dans leur production, dans leur transformation, dans leur conservation et dans leur consommation, ainsi que les codes sociaux, « les manières de cuisinier » ou « les manières de table » comme des objets culturels porteurs d’une part de l’histoire et de l’identité d’un groupe social (Poulain 2013 : 25–26).

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21

Pour sa part, Julia Csergo, historienne spécialisée en alimentation, définit la patrimonialisation de la gastronomie :

La formulation d’un discours et la naissance d’un jugement « critique » qui dit l’expérience sensorielle, vise la qualification du goût et fonde l’universalité des critères de référence de l’ « esthétique gustative », que l’œuvre culinaire, et plus particulièrement la spécialité alimentaire locale, devient comme le monument historique, objet d’art, avant de devenir, à travers la fonction mémorielle, objet d’histoire; devient objet d’étude avant de devenir objet de sauvegarde (Csergo 1997, cité dans Bienassis 2011 : 75).

Dans les deux définitions, la patrimonialisation prend la forme d’un encadrement, d’une plus-value, qui est donné à l’aliment ou à la pratique alimentaire afin de lui insuffler une signification, un objet ancré dans une culture et une histoire. Pour parler de patrimonialisation, il faut que le geste de manger ces aliments soit répété afin d’acquérir une pérennité, étant donné que ceux-ci finissent par devenir périssables ou ingérés. Turgeon énumère deux moyens de lutter contre la dématérialisation et la détemporalisation des aliments. La première est la prolongation de la vie de celui-ci « par une batterie de techniques de conservation, soit par le vieillissement, par la cuisson, ou par le salage, le séchage, le fumage, la congélation, la déshydratation, etc » (Turgeon 2010). Ce sont cependant des techniques qui ne permettent qu’une conservation momentanée de l’aliment. Le deuxième moyen, plus efficace, mais plus exigeant, « est la conservation des éléments immatériels du produit, notamment son goût » (Turgeon 2010). Cela demande donc de reproduire toujours le même aliment « sur le même territoire, de perpétuer les mêmes techniques de préparation, de respecter la même recette, de répéter la consommation dans des cadres ritualisés et commémoratifs, lors de fêtes calendaires, par exemple, et d’assurer leur transmission de génération en génération » (Turgeon 2010). Cela ne permet pas une conservation matérielle du produit, mais le gout, lui, est conservé. Cette solution demande la mobilisation « des territoires, des personnes, des plantes ou des animaux, et surtout des savoir-faire, souvent gardés secrets, pour conserver le même goût, considéré comme l’ultime expression du patrimoine » (Turgeon 2010).

Si l’expression du patrimoine, d’un gout particulier et authentique dans la patrimonialisation culinaire, est bel et bien présente, cela n’égale pas la recherche d’une véracité historique. Même si on recherche à travers la patrimonialisation une tentative de

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conserver ou de recréer une certaine pureté originelle, à générer des références au passé, il n’empêche que cela se fait toujours en étant tourné vers l’avenir, le futur (Giguère 2010 : 34–35). L’exemple des galettes de Pont-Aven peut être pris en considération, elles y sont qualifiées par les habitants locaux comme un patrimoine authentique même si « la véracité historique ne conditionne en rien cette perception […] la galette est authentique parce que la population la définit comme telle » (Lagoutte-Katz 2007, cité dans Bienassis 2011 : 87). À travers le processus d’appropriation, la population définit la galette comme authentique « avec, ici, une nuance fondamentale : la valeur patrimoniale coexiste avec la valeur d’usage; plus encore, la valeur patrimoniale conditionne la valeur d’usage puisqu’elle détermine l’intérêt commercial du produit » (Bienassis 2011 : 87). Cette patrimonialisation n’égale pas la « préservation à l’identique, elle entraine au contraire systématiquement des transformations, des adaptations. L’original est soumis à l’évolution des goûts, des normes, des contraintes de production » (Bérard 2004 cité dans Bienassis 2011 : 88).

La patrimonialisation de la gastronomie apparait donc comme un processus de reconnaissance des pratiques alimentaires faisant partie d’une culture ou d’une nation. Ces objets culturels deviennent donc porteurs de l’identité du groupe, tout comme de son histoire. Cet encadrement symbolique leur donne une plus-value et leur insuffle une signification. Afin de mieux comprendre ces processus de patrimonialisation, les prochains paragraphes seront consacrés aux facteurs socio-économiques qui ont mené à l’accentuation de ce phénomène au sein des régions et des nations.

1.3.3. Un patrimoine rattaché aux régions et aux nations

La réflexion sur la place du patrimoine dans l’alimentation et sa valorisation peuvent s’expliquer par des facteurs socioéconomiques. Les produits de consommation de masse ont commencé à apparaitre aux États-Unis à la fin du 19e siècle et au début des années 1960

en Europe (Fishler 1996 : 863). Différents facteurs ont donné lieu à leur émergence tels que l'industrialisation de l'alimentation, le développement de nouvelles technologies, les méthodes de distributions modernes et une intensification de l'agriculture encouragée par l'État lors de la période d'après-guerre (Arce et Marsden 1993 : 293; Fishler 1996 : 863– 864). La restauration rapide prendra rapidement les plis de ces transformations : les opérations en cuisine sont robotisées, faites à la chaine, tandis que les standards sont

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uniformisés pour les franchises (Fishler 1996 : 869; Zukin 1988 : 436–437). C'est ainsi que des chaines internationales comme McDonald's ont pu s'implanter sur l'ensemble de la planète : « internationalization is associated with the concentration of investment, the

decentralization of production, and the standardization of consumption » (Zukin 1988 :

436). La résultante de la standardisation est la production d'un produit convenu, allant souvent de pair avec une baisse de la qualité (Murdoch et Miele 1999 : 468). En réponse à ce moment généralisé, certains joueurs vont plutôt mettre l'accent sur la qualité16 et non sur

la quantité, la standardisation et le prix (Fishler 1996 : 866; Ilbery and Kneafsey 1999 : 2207; Raynolds 2002 : 408).

Dans ce contexte de transformation de l’industrie alimentaire, c’est un leurre de croire à la disparition aussi rapide des particularismes nationaux et régionaux : « C’est justement, la progressive homogénéisation et globalisation [sic] alimentaire ou du moins la "conscience" de ceci, qui a provoqué une certaine "nostalgie" en ce qui concerne les façons de manger "d’hier", les plats disparus et qui a suscité un intérêt pour revenir aux sources des "patrimoines culinaires" » (Contreras 2011 : 103). Même des sociétés transnationales telles que McDonald’s, malgré l’homogénéisation de leurs pratiques, ont dû « mettre en place des stratégies de microdiversification pour s’adapter aux goûts des marchés locaux » (Poulain 2013 : 20) .

En effet, on observe dans l’histoire de l’alimentation « que chaque fois que des identités locales sont mises en péril, la cuisine et les manières de tables [sic] sont des lieux privilégiés de résistance » (Poulain 2013 : 23). Lorsqu’il y a patrimonialisation, il y a modification du statut de l’objet, c’est pourquoi un produit banal, qui fait partie du quotidien, « peut devenir un produit d’excellence reconnu et apprécié par un groupe plus large ou à l’extérieur de la communauté. Cela n’exclut pas une consommation qui continue de faire sens localement et constitue le substrat d’innovations, d’ajustements, de négociations » (Bérard et Marchenay 2000 : 192).

16 Le concept de la qualité en alimentation peut être vu sous différents aspects. Le maintien et la production

de la qualité sont le fruit d'un certain nombre d'acteurs qui sont capables de la mesurer; la qualité est une construction sociale qui dépend de plusieurs contextes (socioculturels, politiques et économiques) « within

which production - consumption relation exists »; il y a un potentiel « for powerful actors in the food production – consumption chain to appropriate the term for their own products » étant donné le caractère

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TABLEAU 4. Intérêt des consommateurs n’ayant jamais consommé de bières de style annedda

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