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Avant-propos
Ali-Slah Chebbi
To cite this version:
Ali-Slah Chebbi. Avant-propos. immigration, Regards Croisés. Actes du colloque international et pluridisciplinaires, Sousse, les 17, 18 et 19 décembre 2018., 2020. �hal-02554881�
I
Avant-propos
1- Dès le début de l’humanité, les immigrés ont joué un rôle essentiel dans la
diffusion des savoirs, des techniques et des cultures. Ils ont été le facteur fondamental qui a permis le développement des échanges, le brassage des peuples et le métissage. Il suffit pour s’en convaincre de voir les usages, les coutumes et les habitudes établis dans les différents pays de la méditerranée
pour s’apercevoir qu’ils se ressemblent fortement. L’immigration est donc un
thème enraciné dans l’histoire. Il faut dire que tous ces pays ont connu ce
phénomène avec des degrés d’intensité différents. D’ailleurs certains pays ont
été le pur produit des immigrés. Grâce à eux ont pu naître et prospérer. Mais
c’est depuis les deux derniers siècles que l’apport de l’immigration se fait sentir
en Europe. Il a changé substantiellement le tissu social établi depuis plusieurs siècles déjà.
2- L’immigration est un sujet d’actualité qui occupe le devant de la scène
internationale. Le spectre des embarcations de fortune qui tanguent, brûlent ou
qui s’échouent souvent avant d’atteindre la terre ferme remplit les tribunes des
journaux. Le naufrage de quatre-vingt-sept immigrés au large des îles de Kerkennah en Tunisie, la nuit du 2 juin 2018 a mis en exergue le phénomène. La méditerranée scintillante des couleurs bleues, que nous chérirons est transformée en un obscur cimetière marin. Ce mouvement de masse reflète la détresse des populations fuyant la guerre, la famine ou le chômage et aspirant à un monde meilleur. Suite aux récents évènements qui ont secoué un grand nombre de pays méditerranéens et aux changements climatiques que subissent certaines régions du globe, les flux migratoires n’ont cessé d’augmenter.
L’image de ces masses de migrants qui traversent les frontières pieds-nus en
bravant tous les obstacles, ou celle des jeunes entassés dans des petits bateaux
restera gravée dans les mémoires de chacun d’entre nous et constitue sans doute pour longtemps l’enjeu majeur du XXIème siècle.
3- Dans un contexte de mondialisation économique, les échanges au-dessus des
frontières se multiplient. Pourtant si la circulation des marchandises et des capitaux fait peu de débat, celle des humains suscite moins d’enthousiasme. Le
droit s’est intéressé depuis toujours au phénomène de l’immigration. Il aborde la
question soit sous un angle institutionnel, soit sous un angle personnel. Certes, le phénomène est bel et bien sous l’emprise de la règle juridique, mais les
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divergences qui subsistent entre les différents systèmes constituent une entrave majeure pour répondre aux besoins des immigrés. Les diverses positions adoptées par les pays face aux flux migratoires traduisent un malaise profond
des dirigeants qui restent tiraillés entre un idéal d’humanisme et de générosité d’un côté et des impératifs budgétaires de l’autre. Pour y remédier, il faut de
prime abord dépasser les carcans du clivage droit public / droit privé et chercher
à développer une nouvelle perspective basée sur l’uniformisation des règles. La
globalisation impose une révision urgente d’un droit devenu obsolète et inadapté
aux contextes actuels. L’époque d’un droit statique aux belles constructions
intemporelles et permanentes est révolue. C’est vers une approche juridique contemporaine dynamique qu’il faut se tourner, en adoptant de nouvelles règles
uniformes régissant à la fois le statut de l’immigré, celui de l’exilé et du refugié. Pour ce faire, l’approche doit outrepasser le cadre juridique national qui serait incapable d’apporter des réponses exhaustives, puisque la question dépasse les frontières d’un seul État et que les solutions ne peuvent être que collectives. 4- L’immigration n’est pas toujours un choix, elle s’avère parfois une contrainte. Chaque année, des milliers d’immigrés meurent aux portes de l’Europe. Selon les statiques de l’O.N.U, rien que pour 2016, on compte plus de cinq milles morts en Méditerranée. Ce triste record fait de cette mer l’une des plus
meurtrières au monde. Face à un tel désastre, des efforts croissants sont déployés
pour parvenir à une plus grande effectivité de lutte contre l’immigration clandestine. C’est grâce à la coopération internationale que la lutte contre ce
fléau commence à donner les résultats escomptés. En effet, pour résoudre les problèmes migratoires forcés et massif, il faut adopter des mesures appropriées.
C’est dans ce cadre que les objectifs du développement durables sont adoptés
par les dirigeants mondiaux en 2015. Ils ont décidé que « personne ne sera laissé pour compte ». Ils ont fixé à cet égard deux objectifs principaux : d’une part, lutter contre la pauvreté sous toutes ses formes et par tout ou elle peut
exister. D’autre part, éradiquer la famine pour toujours. Reste maintenant à
mettre en place les mécanismes pour atteindre ces objectifs.
5- Phénomène sociologique par excellence, l’immigration est devenue en un peu
de temps un sujet géopolitique d’envergure. Il s’est imposé dans toutes les élections présidentielles et législatives comme l’un des thèmes qui préoccupe le plus les populations. Certains pays y ont trouvé une chance inouïe, pour combler le manque de mains-d’œuvre et développer par la même occasion leurs
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économies avec des ouvriers bon marché. D’autres en revanche, en font la
source principale de tous leurs maux. L’arrivée au pouvoir des gouvernements
populistes, qui prônent avant tout le refus catégoriques des immigrés, constitue un reflet authentique de la prédominance de la question.
6- L’immigration est perçue comme un apport, voire une richesse pour les pays d’adoption. Elle participe à l’instauration d’un monde multiculturel. Elle
apparaît aussi comme un terreau fertile qui offre aux chercheurs mais aussi aux écrivains, artistes et poètes un champ de réflexion et une source d’inspiration.
Traditionnellement considérés comme deux thèmes voisins, l’exil et l’immigration sont omniprésents dans la littérature contemporaine. Plusieurs sont les romans qui transposent l’histoire d’un exilé, d’un refugié ou d’un immigré. Toute une littérature se développe autour de ce thème qui s’impose
avec acuité tout au long de ces dernières années. Azouz Begag, Ahmed Zitouni, ou encore Leila Houari, pour ne citer qu’eux, illustrent l’intérêt croissant que les
écrivains accordent au thème de l’immigration, qui ne cesse d’alimenter et d’enrichir la scène culturelle internationale.
7- Dès lors, on ne peut pas rester indifférent face à ce problème international qui
touche non seulement les pays de la méditerranée mais aussi d’autres régions du globe. C’est dans ce contexte que s’inscrit notre colloque qui cherchera à dégager les traits saillants de ce phénomène et à porter des regards croisés sur la question à travers des disciplines diverses, mais indéniablement inextricables.
L’objectif de cette manifestation scientifique internationale est de contribuer à approfondir le débat autour de l’immigration, notamment celle des maghrébins
et des africains ; à élucider les retombées sociologiques et géopolitiques de ce phénomène ; à déterminer le cadre juridique adéquat et à proposer des approches pluridisciplinaires nouvelles. Pour comprendre le phénomène, il faut se plonger dans ses racines. Le regard des historiens nous permet de comprendre le problème à la base. La méditerranée à toujours été un berceau de civilisation et
de brassage des cultures. Elle a été un espace d’échange privilégié. Il suffit de se pencher sur les manuels de l’histoire pour se rendre compte que cette mer a constamment été un terrain d’échanges commerciaux et culturels. C’est donc à lumière de l’histoire qu’on pourra en premier comprendre le pourquoi et tracer
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8- L’immigration est un phénomène social de premier plan. De ce fait, elle est
obligatoirement soumise à la règle de droit. L’adage dit ibis societas, ibus jus. Le droit régit le phénomène migratoire à travers ses différentes branches. Tantôt,
il aborde le sujet sous l’angle des droits fondamentaux, tantôt sous l’angle de droit privé. Peu importe l’approche, le juriste trouvera en la matière un sujet de
réflexion. À l’orée du XXI ème siècle, l’immigration tient le haut des pavés.
Certains appréhendent la question sous un angle sécuritaire. Les flux migratoires
constituent sous cet angle un catalyseur de criminalité. D’autres, estiment qu’il s’agit d’une chance pour remédier au vieillissement de la population. La question d’entreprenariat ou d’intégration via le travail prime ainsi à leurs yeux. Le juriste épris de clarté relève en réalité plusieurs zones d’ombre. Il serait alors judicieux d’éclaircir la situation. La distinction entre le statut de l’immigré et celui de l’exilé ou du réfugié doit être abordée. Le profane utilise les termes à tort et à travers en pensant qu’il s’agit d’un simple reflet de la richesse de la langue française. Le juriste, en revanche est tenu d’une rigueur particulière. La
terminologie occupe dans ses travaux une part importante. Commencer par des donner un sens aux mots serait opportun. De plus, la scène internationale connait un déluge normatif sur la question. Il est temps de lutter contre cette boulimie législative et apporter des solutions uniformes. N’-a-t-on pas toujours affirmé
que les causes de l’immigration sont toujours les mêmes. Pourquoi alors les solutions varient d’un système à un autre ? Notre visée est de mettre en lumière
ces dichotomies afin d’apporter les réponses nécessaires, car nous estimons que
le ce sujet tiendra l’intérêt de toutes les disciplines pendant encore de longs
moments.
9- Les flux migratoires est un phénomène international. La gravité du problème que pose l’immigration clandestine en mer a été soulignée collectivement par les États. S’il est certain que le nombre de migrants illégaux empruntant la voie
maritime est nettement inférieur à ceux opérant pour le franchissement de frontières terrestres ou aériennes, cette voie migratoire est bien la plus préoccupante en raison de ses conséquences en termes de vies humaines. Les différentes politiques adoptées peinent à trouver une solution appropriée. La cacophonie que connaisse la seine internationale montre la délicatesse de la question. Les positions sont diverses et les objectifs des pays ne sont nullement les mêmes. Trouver un terrain d’entente, c’est comme naviguer dans une mer agitée aux grés du vent. La mission semble parfois impossible. La question migratoire est devenue ces dernières années un enjeu géopolitique. Elle a
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façonné les relations diplomatiques. Certaines crises qu’ont connues les relations
internationales entre des pays longtemps alliés avaient comme fait générateur la question migratoire.
10- L’immigration est l’un des sujets les plus abordés dans la littérature. Comme l’écrit Moreau Defrages, « la connaissance de l’espace… est indissociable des
évolutions économiques, culturelles et politiques ». Bien que le phénomène des migrations de population soit presque aussi ancien sans doute que l’humanité elle-même, la modernité a donné un nouveau visage à cette réalité séculaire.
Aujourd’hui, l’espace terrestre est entièrement cartographié, sillonné de
frontières qui interdisent la liberté du nomadisme. À l’image exotique du nomade, le XXIèmesiècle a substitué celle du migrant misérable en quête d’une terre d’abondance, image consacré amplement par la littérature contemporaine.
Au demeurant, la littérature nourrit un lien privilégié avec le thème de
l’immigration, lien qui se renforce de nos jours encore de plus en plus. Si l’histoire de la littérature est tramée de déplacement exiliques de Dante Alighieri
et Francesco Pétrarque à Witold Gombrowicz et Vladimir Nabolov, au-delà du biographique, elle choisit dans sa matière de suivre un arc, qui de l’antique au
moderne, épouse l’expérience de l’exil. Depuis L’Odyssée, histoires des errances d’Ulysse en Méditerranée, jusqu’à l’Ulysse de James Joyce, histoire
des errances du juif Léopold Bloom à Dublin ; depuis Tristia ( les tristes),
recueil des lettres qu’écrit à ses proches le grand poète latin Ovide, banni sur les rives de la Mer noire, jusqu’à Trista, recueil de poèmes d’Ossip Emilievitch
Mandelstram que Joseph Staline exilera en Sibérie et depuis « les métamorphoses » du même Ovide, jusqu’à « la métamorphose » de Franz
Kafka, histoire d’exil d’une forme vivante à une autre vivante. Sans omettre le
substrat religieux monothéiste qui favorise les récits d’exil. L’hégire dans le Coran en est une parfaite illustration. Autant d’exemples, autant d’approches pour un même sujet. Ne voyons pas là en filigrane des controverses et des contradictions, des confusions à mille visages ? Ou au contraire, ne serait-il, le symbole de la richesse de la pensée humaine et de sa fertilité ? Une des vocations essentielles de la littérature est de donner accès à des expériences humaines échappant aux normes du connu dans une société donnée. Dans cette perspective, une littérature dite « migrante » devra migrer langue et écriture
quel que soit le statut de l’auteur. L’expérience migratoire cherchera à être dite par des moyens reflétant les blessures et les métamorphoses de l’identité et de la
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les différentes approches littéraires possibles de l’immigration, à la lumière
d’une variété linguistique et lexicographique réelles.
11- L’objectif de tout travail de recherche est d’aborder les différentes problématiques afin d’apporter une esquisse de réponse. La spécificité du sujet exige une nouvelle méthodologie. L’effort entrepris ne peut être exhaustif que lorsqu’il quitte les sentiers battus de la doctrine et de la théorie pour se frotter à
la réalité du terrain. Le temps des grandes cathédrales doctrinales est derrière nous. La théorie à elle seule a montré ses limites. C’est certainement une impasse de faire de l’immigration un sujet de pure réflexion théorique. En
restant dans sa tour d’ivoire, le théoricien ne peut aucunement cerner ses
contours mouvant. Le recours aux hommes de terrain s’impose comme une évidence. Les praticiens de l’immigration ont participé activement à ce travail. Ils ont constitué un apport majeur. Leurs regards pragmatiques sur la question et les différentes expériences vécues dans leurs pays respectifs ont été une source
d’enrichissement scientifique de première importance. Nous somme intimement
convaincus que le thème de l’immigration ne peut être abordé sans que des
représentants d’Organisations internationales gouvernementales, des membres d’O.N.G ou d’associations ne puissent prendre part. Leur expérience nous a
donné une autre vision, parfois choquante, mais elle est indiscutablement réelle.
12- C’est donc à travers cette répartition en cinq parties que nous abordons le thème de l’immigration, en espérant que notre approche soit la plus complète possible. La participation d’autant d’universitaires d’horizons différents reflète
la prééminence de la question. Des intervenants de quatre continents ont répondue présent. Je tiens à les remercier tous pour leur dévouement et leur
contribution à l’ornement de la recherche scientifique.
Mr. Ali-Slah CHEBBI
Coordinateur du colloque Université de Sfax.
