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Philippe Vincke
To cite this version:
Philippe Vincke. La modélisation des préférences. [Rapport de recherche] Institut de mathématiques
économiques (IME). 1985, 24 p., figures, bibliographie. �hal-01526540�
DOCUMENT DE TRAVAIL
INSTITUT DE MATHEMATIQUES ECONOMIQUES
UNIVERSITE DE DIJON
FACULTE DE SCIENCE ECON OMIQUE ET DE GESTION
LA MODELISATION DES PREFERENCES
Philippe VINCKE
Université Libre de Bruxelles
Les préférences sont essentielles dans la vie des
individus aussibien que des collectivités. Leur modélisation constitue une étape indispensa
ble dans des disciplines comme l'économie, la recherche opérationnelle, la
théorie de la décision, la psychologie, la sociologie,
comme le montrent
d'ailleurs les travaux, aussi nombreux que variés, consacrés à ce thème.
La présentation de tous les aspects de la modélisation des préféren
ces nécessiterait un cours de plusieurs dizaines d'heures. Notre but est d'in
troduire le sujet en définissant les concepts de base que l'on retrouve dans la
plupart des travaux consacrés à ce domaine de recherche en pleine expansion.
2. TROIS ATTITUDES FONDAMENTALES D ’
UN INDIVIDU DANS LA COMPARAISON DE DEUX
OBJETS
Confronté à la comparaison de deux objets a et b, un individu aura,
le plus souvent, l'une des trois réactions suivantes:
¡préférence pour l'un des 2 objets,
| indifférence entre les 2 objets,
¡refus ou impossibilité de comparaison.
Nous noterons:
a P b (resp. b P a) si a est préféré à b (resp. b préféré à a),
ia I b s'il y a indifférence entre a et b,
»
|a R b s'il y a absence de comparaison entre a et b.
Ce sont les 3 situations que l ’
on retrouve le plus souvent dans la littérature
traitant de modélisation des préférences ([28], [29]).
3. STRUCTURE DE PREFERENCE SUR UN ENSEMBLE D'OBJETS
Etant donné un ensemble A d'objets, l'ensemble des couples (a, b)
tels que a P b constitue la relation de préférence, notée P; il est naturel de
considérer que cette relation est asymétrique, c'est-à-dire que l'on n'a jamais
a P a et que si a P b, alors b P a est exclu. L'ensemble des couples (a, b)
tels que a I b constitue la relation d'indifférence, notée I; il est naturel de
considérer que cette relation est réflexive (on a toujours a I a) et symétrique
(si a I b, alors b I a ) . L'ensemble des couples (a, b) tels que a R b consti
tue la relation d'incomparabilité, notée R; il est naturel de considérer que
cette relation est irréflexive (on n'a jamais a R a) et symétrique (si a R b,
alors b R a ) .
Nous dirons que les trois relations {?, I,
r} constituent une struc
ture de préférence sur A si elles ont les propriétés indiquées ci-dessus et si,
étant donné 2 éléments a, b quelconques de A, l'on a une et une seule des pos
sibilités suivantes: a P b o u b P a o u a l b o u a R b .
Nous traiterons dans un paragraphe ultérieur d'autres situations qui
peuvent se présenter; on peut néanmoins affirmer que la majorité des travaux
consacrés à la modélisation des préférences concernent des structures de préfé
rence, au sens défini ici.
4. REPRESENTATION GRAPHIQUE D 'U N E .STRUCTURE DE PREFERENCE
Nous adopterons les conventions graphiques suivantes pour représenter
une structure de préférence:
moyen d'un tableau (d'une matrice) comme dans l'exemple ci-dessous.
Il arri
vera souvent que l'on définisse un codage permettant de remplacer les P, I, P
et R par des nombres, de manière à simplifier l'application d'algorithmes sur
ordinateur.
Mous verrons dans un paragraphe ultérieur que le choix d'un bon
codage peut être capital.
b
b
a
a
a P b
a I b
a R b
5. REPRESENTATION MATRICIELLE D'UNE STRUCTURE DE PREFERENCE
Il peut être commode de représenter une structure de préférence au
Représentation matricielle
b
a b c d e
a
I I P P I
b
I I I P R
c
P I I P P
d
P P P I R
e
I R P R I
e
6. STRUCTURES DE PREFERENCE LES PLUS USITEES
6.1 L'ordre total
La structure de préférence est un ordre total lorsqu'on peut ranger
les éléments de A du "meilleur”
au "moins bon”, sans qu'il y ait d'ex aequo.
Dans ce cas, la relation d'incomparabilité est vide, la relation d'indifférence
est limitée aux couples identiques (du type (a, a)) et la relation de préféren
ce est transitive ( a P b e t b P c impliquent a P c).
Lorsque la'structure de préférence est un ordre total, on peut asso
cier, à chaque élément a de A, une valeur numérique g(a) telle que:
a P b
&
g(a) > g(b),
tous les éléments de A ayant des valeurs numériques différentes.
Exemple :
Un capital peut être investi de 5 manières différentes (a, b, c, d,
e); il rapporte respectivement 2000, 1700, 1400, 1100 et 1000 $ par an. Si
aucun autre élément n'intervient dans la comparâison des 5 investissements, la
structure de préférence sera évidemment l'ordre total ci-dessous:
a
b
c
d
e
a
I
P
P
P
P
b
P~ I
P
P
P
c
P~ p" I
P
P
d
p" p” P~ I
P
e
p" p" P- P~ I
6.2 Le préordre total
La structure de préférence est un préordre total lorsqu'on peut ran
ger les éléments de A du "meilleur" au "moins bon”, avec des ex aequo.
La
différence avec l'ordre total réside donc dans l'existence de classes d'élé
ments indifférents 2 à 2.
d'indifférence est transitive (a I b et b I c imliquent a i e ) et la relation
de préférence est transitive également.
Lorsque la structure de préférence est un préordre total, on peut
associer, à chaque élément a de A, une valeur numérique g(a) telle que:
nue dans tous les problèmes d'optimisation, c'est-à-dire dans la plupart des
travaux classiques de recherche opérationnelle, d'économie, de théorie de la
décision, d'actuariat, ... :
la fonction g est celle qu'il faut maximiser et
s ’
appelle, selon le contexte, fonction économique, fonction de valeur, fonction
d'utilité, critère, fonction objectif, ... Il est remarquable de constater que
l'on ait traité aussi longtemps les problèmes de décision de cette manière sans
se demander si la fonction g utilisée représentait les préférences des déci
deurs de façon adéquate.
respectivement de 2000, 2000, 1400, 1100 et 1100 $, la structure de préférence
sera le préordre total ci-dessous:
Dans ce cas, la relation d'incomparabilité est vide, la relation
<
; a P b <=> g(a) > g(b),
(j a I b «-> g(a) * g(b).
Le préordre total est la structure de préférence implicitement
conte-S i , dans l'exemple des investissements, les rapports annuels sont
b
a b c d e
a
e
d
c
c
P P I P P
d
p”
p" P~ I I
a
I I P P P
b
I I P P P
e
P P P I I
6.3 Le quasi-ordre total
La transitivité de l'indifférence est incompatible avec l'existence
d'un seuil de sensibilité en-dessous duquel l'individu (ou l'appareil de mesure
dont il se sert) ne perçoit pas de différence entre deux éléments. Ce fait fut
déjà mis en évidence par H. Poincaré*'^ et, avant lui, par les philosophes
grecs, mais c'est Luce ([15]), en 1956, qui introduisit cette remarque fonda
mentale dans la modélisation des préférences. On a donc cherché à caractériser
une structure de préférence qui donnerait lieu à une représentation numérique
du type suivant :
[a
P b <=> g(a) > g(b) + q,
ja I b <=> I g(a) - g(b) 1 < q,
q étant une constante positive caractérisant le seuil d'indifférence (moyennant
un changement d'échelle, on peut toujours choisir q = 1).
La structure de préférence obtenue est appelée quasi-ordre total et
est caractérisée par les propriétés suivantes:
- la relation d'incomparabilité est vide,
- a P b , b l c e t c P d impliquent a P d (en particulier, P est tran
sitive) ,
- on ne peut avoir simultanément a P b, b P c et a I d, d l e .
Cette structure a été largement étudiée dans la littérature ces dernières
années (voir par exemple [10], [17], [18], [37]).
Exemple :
Supposons que les rapports annuels des 5 investissements soient de
2000, 1960, 1920, 1850 et 1800 $ mais que la présence de commissions, charges
et frais divers, non connus avec précision, rende non significative une diffé
rence inférieure ou égale à 50 $.
La structure de préférence se présentera
alors sous la forme du quasi-ordre total suivant:
(1) "Il arrive que nous sommes capables de distinguer deux impressions l'une
de l'autre, tandis que nous ne saurions distinguer chacune d'elles d'une
même troisième", La Valeur de la Science, 1935.
a
b
c
d
e
a
I
I
P
P
P
b
I
I
I
P
P
c
P
I
î
P
p
d
P
P
P
I
I
e
P
P
P- I
I
6.4 L'ordre d'intervalle total
Cette structure peut s'introduire très naturellement de deux
manieres.
Supposons qu'à chaque élément a de A soit associé un intervalle numé
rique [x , y ] représentant, par exemple, l'intervalle dans lequel se situera
a
a
le bénéfice rapporté par a. Un invidivu pourra préférer a à b lorsque le béné
fice minimum rapporté par a sera supérieur au bénéfice maximum rapporté par b
et être indifférent entre a et b lorsque les 2 intervalles qui leur sont asso
ciés ont une région commune (cf. figure ci-dessous).
y„
a P b
a
y.
a I b
*b
x
a I b
Si tel est le cas, la structure de préférence de cet individu sera un ordre
d ’
intervalle total, caractérisé par les propriétés suivantes:
- la relation d ’
incomparabilité est vide,
- a P b , b l c , c P d impliquent a P d (en particulier, P est transi
tive) .
Une autre manière d 1introduire cette structure consiste à considérer un quasi-
ordre total (cf. 6.3) dans lequel le seuil d'indifférence varie ([7]); il arri
ve souvent, en effet, que ce seuil dépende de l ’
endroit où on se trouve sur
l'échelle de valeur définie par la fonction g. On a donc la situation suivan
te:
a P b <=*> g( a) > g(b) + q(g(b)),
• a I b <*> |g(a) < g(b) + q(g(b)) ,
i
jg(b) < g(a) + q(g(a)).
En posant :' g(a) = x , g(b) = x ,
a
dg(a) + q(g(a)) = y& , g(b) + q(g(b)) * yb ,
on retrouve exactement l'ordre d'intervalle total défini ci-dessus.
On peut montrer aisément qu'un quasi-ordre total est un ordre d'in
tervalle total dans lequel la situation suivante est exclue:
-3-Exemple: A cause des commissions, charges et frais divers, connus avec plus ou
moins de précision suivant le type d'investissement, on estime que les rapports
annuels des investissements a, b, c, d, e devraient se situer respectivement
dans les intervalles suivants [1900, 2000], [1930, 1960], [1840, 1920], [1860,
1870], [1800, 1850]. On obtient l'ordre d'intervalle total ci-dessous:
b
71
a
b
c
d
e
a
I
I
I
P
P
b
I
I
—
P
P
P
c
I
P
I
I
I
d
p
P
I
I
P
e
p~
P- I
P~ I
N.B.
Cet ordre d'intervalle n'est pas un quasi-ordre à cause de la présence
simultanée d e a P d . d P e e t a l c , c l e .
ô.5 L'ordre partiel
La structure de préférence est un ordre partiel lorsqu'on peut ranger
du "meilleur”
au "moins bon”
et sans qu'il y ait d'ex aequo les éléments de
certains sous
7
ensembles de A, comme dans l'exemple ci-dessous:
Dans ce cas, la relation d'indifférence est limitée aux couples iden
tiques, la relation de préférence est transitive, mais, contrairement à l'ordre
total, certains couples d'éléments sont incomparables.
. ,
Lorsque la structure de préférence est un ordre partiel, on peut
associer, à chaque élément a de A, une valeur numérique g(a) telle que:
a P b => g(a) > g(b),
tous les élémens de A ayant des valeurs numériques différentes. D'autre part,
étant donné un ordre partiel, il est toujours possible de remplacer des incom
parabilités par des préférences de manière à en faire un ordre total ([31]).
Si l'on dispose de plusieurs ordres totaux sur un ensemble A et si l'on retient
uniquement les préférences communes à tous ces ordres,totaux, on obtient un
ordre partiel.
Exemple:
Les 5 investissements a, b, c, d, e rapportent respectivement 2000,
1700, 1400, 1100 et 1000 $ mais n'offent pas tous la même garantie: l'ordre
décroissant de garantie est c, d, e, a, b. Un investissement sera donc certai
nement préféré à un autre s'il offre simultanément un meilleur rendement et une
meilleure garantie.
Dans les autres cas, une analyse plus détaillée sera
nécessaire et les investissements seront jugés (éventuellement momentanément)
incomparables.
6.6 Le préordre partiel
La structure de préférence est un préordre partiel lorsqu'on peut
ranger du ’
'meilleur" au "moins bon", avec des ex aequo, les éléments de cer
tains sous-ensembles de A. Il est caractérisé par les propriétés suivantes:
(- P est transitive,
| - I est transitive,
( - a P b e t b l c impliquent a P c,
| - a I b et b P c impliquent a P c,
certains couples d'éléments sont incomparables.
Lorsque la structure de préférence est un préordre partiel, on peut
associer, à chaque élément a de A, une valeur numérique g(a) telle que:
a P b »> g(a) > g(b) ,
a I b =*> g(a) * g( b ) .
D'autre part, étant donné un préordre partiel, il est toujours possi
ble de remplacer des incomparabilités par des préférences ou des indifférences
de manière à en faire un préordre total.
Exemple:
Les 5 investissements a, b, c, d, e rapportent respectivement 2000,
2000 , 2000, 1800 et 1800 $ et la garantie donne a, b, d ex aequo et meilleurs
que e, lui-même meilleur que c.
Un investissement est meilleur qu'un autre
s'il a un meilleur rendement sans présenter une plus mauvaise garantie ou s'il
présente une meilleure garantie sans avoir un moins bon rendement. Deux inves
tissements sont jugés ex aequo s'ils ont le même rendement et la même garantie.
Ils sont incomparables dans les autres cas.
Les structures de- préférence précédentes sont les plus usitées. Dans
le paragraphe 7, nous introduirons quelques structures plus récentes.
ô.7 Résumé des définitions
; p asymétrique,
Structure de préférence:/ I réflexive et symétrique, j^R irréflexive et symétrique.
STRUCTURES DE PREFERENCE LES PLUS USITEES
Nom Propriétés particulières
Ordre total P transitive
I limitée aux couples identiques R vide
Préordre total P transitive
I transitive R vide
Quasi-ordre total a P b , b l c , c P d => a P d
a P b , b P c , a l d =>non d I c R vide
Ordre d'intervalle total a P b , b l c , c P d »> a P d
R vide
Ordre partiel P transitive
I limitée aux couples identiques
Préordre partiel P transitive
I transitive
a P b , b I c =>a P c a l b , b P c = > a P c
7. AUTRES STRUCTURES DE PREFERENCE
Aucune des structures précédentes ne permet la présence simultanée
d'incomparabilités et d'intransitivités dans l'indifférence. Des travaux
récents, effectués dans cette voie, ont proposé des définitions de quasi-ordre partiel et d'ordre d'intervalle partiel (voir par exemple [24]).
B. Roy [28] a mis en évidence le fait que, dans un processus de déci
sion, il n'est pas toujours possible de trancher entre la préférence et l'in
différence (le seuil d'indifférence est rarement une valeur précise). C'est la
raison pour laquelle il a introduit une quatrième attitude fondamentale pour un
individu confronté à la comparaison de deux objets: l'hésitation entre la
préférence et l'indifférence, appelée préférence faible et notée Q. Une expé
rience récente ([38]) a montré que l'introduction de cette 4ème possibilité était loin d'être superflue.
Introduisant alors un seuil d'indifférence q (plus grande valeur en- dessous de laquelle il y a indifférence) et un seuil de préférence p (plus petite valeur au-dessus de laquelle il y a préférence), B. Roy a proposé le modèle suivant : a P b <=> g(a) > g(b) + p (g(b)), a Q b<*> g(b) + p(g(b)) > g(a) > g(b) + q(g(b)), fg(b) + q(g(b)) > g(a) , a I b <*> ( ig(a) + q(g(a)) > g ( b ) .
Les propriétés de P, Q et I sous-jacentes à un tel modèle sont main tenant bien connues ([30], [37]) et ont donné lieu à la définition du concept
de pseudo-ordre total, déjà utilisé dans certaines méthodes multicritères
([27]).
L'analyse du modèle précédent a également conduit à l'étude de modè
les plus généraux, faisant intervenir plusieurs degrés de préférence: c ’est le
cas des familles d ’ordres d'intervalles et de quasi-ordres, des relations valuées ou floues de préférence, ... ([19], [22], [25], [35]).
Lorsqu'on demande à plusieurs individus de comparer des objets 2 à 2, on peut affecter, à chaque couple d'objets (a,b), la fréquence relative de
préférence de a sur b. On obtient ainsi une relation fréquentielle (ou proba-
biliste) de préférence dont les propriétés ont été largement étudiées ([9], [25]).
Citons enfin la notion de surclassement introduite par B. Roy dans
les méthodes multicritères ([26]). De façon très superficielle, ont dit que a
"surclasse" b si a est préféré a b pour une majorité de points de vue (ou d ’in
dividus) et si la préférence de b sur a, pour les autres points de vue, n ’est
pas "trop forte". Ces termes doivent évidemment être formalisés et c'est ce
qui fait l ’objet d ’un chapitre important de l'analyse m u l t i c r i t è r e . On obtient
ainsi une "relation de surclassement" qui traduit les préférences solidement
établies entre les éléments: cette relation n'est pas nécessairement totale
(il reste des incomparabilités) ni nécessairement transitive (ce n ’est donc pas
toujours un ordre partiel). Dans certaines méthodes multicritères, la relation
de surclassement est valuée, pour traduire la plus ou moins grande intensité (ou crédibilité) de surclassement entre les objets ([4], [5], [27]).
8. AJUSTEMENT D'UNE STRUCTURE DE PREFERENCE QUELCONQUE PAR UNE STRUCTURE PAR
TICULIERE
Lorsqu'on demande à un individu de comparer 2 à 2 des objets (déci
sions, actions, candidats, ...) en termes des trois attitudes fondamentales
définies au paragraphe 2, il n'est pas toujours évident que l'on obtienne l ’une
des structures de préférence particulières définies au paragraphe 6. Il peut
alors être intéressant de rechercher quelles modifications minimales il faut apporter à la structure de préférence de l'individu pour obtenir les propriétés
voulues. Il s'agit donc d ’ajuster une structure de préférence quelconque au
moyen d ’une structure particulière, ou encore de rechercher la structure parti culière ”à distance minimum" d ’une structure quelconque donnée (voir par exem ple [23], [34]).
A titre d'exemple, voyons comment on peut rechercher l'ordre d ’inter valle total à distance minimum d ’une structure de préférence quelconque mais ne
allons voir que le choix d'un bon codage peut être important dans la résolution
de ce problème. Soit {P, i} la structure de préférence donnée et [p, î} l'or
dre d'intervalle recherché. Nous leur associons les codages suivants:
f
c(a,b) = 1 si a P b,
jO sinon,
c(a,b) = \1 si a P b,
0 sinon*
Le problème peut alors être modélisé comme suit:
/ I A
¡min | | |c(a,b) - c ( a,b)j,
! c(a,a) = 0, Va,
S c(a,b) - c(c,b) + c(c,d) < c(a,d) + 1, Va,b,c,d,
^c(a,b) = 0 ou 1, Va,b.
Moyennant quelques transformations, ce problème peut être ramené à un programme linéaire booléen pour la résolution duquel des algorithmes très performants ont été mis au point.
La fonction à minimiser représente la distance choisie entre les deux
structures de préférence: on voit que l'écart entre une indifférence et une
préférence vaut 1 alors qu'une inversion de préférence donne un écart de 2.
Bien entendu, d'autres conventions pourraient être choisies. La première con
trainte exprime la réflexivité de l'indifférence et la deuxième est l'expres sion de la condition:
A , A A v A . v A ,
a P b, b (P ou I) c, c P d =>a P d.
(N . B . : Cette condition entraîne l'asymétrie et la transitivité de $).
Dans ce problème, le choix d'un autre codage pourrait conduire à un programme non linéaire et rendrait la recherche de la solution pratiquement impossible.
9. LA COMPARAISON DES ECARTS DE PREFERENCE
Il peut arriver que l'on dispose d'informations supplémentaires sur les intensités de préférence entre les objets, c'est-à-dire que le décideur soit capable d'exprimer non seulement une préférence de a sur b et de c sur d mais aussi une plus grande préférence de a sur b que de c sur d, ce que l'on note parfois:
[a,b] > [c,d] .
Ce type de situation a été abondamment étudié dans la littérature ([14], [20], [21]); en particulier, des conditions suffisantes ont été établies pour qu'il existe une fonction g telle que Va,b,c,d:
! a P b<=>g(a) > g(b) ,
| [a,b] > [c,d] <=> g(a) - g(b) > g(c) - g(d).
L
10. PREFERENCES DANS DES ESPACES CONTINUS
La théorie du calcul économique ([6]) passe aussi par une modélisa
tion des préférences des agents économiques• Elle présente également la parti
c u l a r i t é de t r a i t e r des ensembles d ’objets qui sont des sous-ensembles de un objet (une décision) est un vecteur réel à n composantes représentant par exemple les quantités de biens produites dans différents secteurs de la vie
économique. Les préférences sont alors modélisées à l faide de fonctions conti
nues ou différentiables dans des sous-ensembles de possédant des propriétés
topologiques convenables: de nombreux travaux existent également dans cette
voie.
11. PREFERENCES DANS L yINCERTAIN
C ’est sans doute à la modélisation des préférences dans l ’incertain q u ’est consacrée la plus grande partie de la littérature traitant de préféren
ces. Un ouvrage de base dans cette voie est celui de Von Neumann et
Morgenstern ([39]), qui avait été précédé de travaux plus empiriques sur la
nous est pas possible ici de résumer tout ce qui a été fait dans le domaine mais nous voudrions attirer l'attention du lecteur sur quelques points impor
tants.
11.1 Exemple
Nous reprenons ici un exemple de problème de décision dans l'incer tain qui a fait l'objet, en Europe, d'une expérience sur la modélisation des préférences ([38]).
On considère 4 projets d'investissement a, b, c, d susceptibles de
créer des emplois dans une petite ville. Le nombre d'emplois créés n'est pas
connu avec certitude car il dépend de facteurs étrangers au décideur. On
estime que l'investissement "a" a environ 1 chance sur 10 de créer 50 emplois et 9 chances sur 10 d'en créer 10; b a environ 1 chance sur 20 de créer 110 emplois et 19 chances sur 20 d'en créer 10; c créera 50 emplois avec certitude; d a 1 chance sur 2 de créer 110 emplois et 1 chance sur 2 d'en créer 10.
On demande de comparer ces ¡4 projets d'investissement 2 à 2. Le
tableau ci— dessous résume les données du problème:
c d
50 Ik / ^ 1 0
1 0,5 0,5
11.2 Approche classique
L'approche classique de la théorie de la décision consiste tout d'abord à définir une fonction d'utilité représentant la valeur que le décideur
attribue au fait de créer 10, 50 ou 110 emplois: soit u( 10), u(50) et u(110)
les valeurs obtenues (voir par exemple [3] pour la description de techniques
permettant d'obtenir ces valeurs). On suppose ensuite qu'une décision est
d ’autant meilleure que la valeur moyenne de la fonction u est grande. Dans
l'exemple ci-dessus, les "valeurs" des projets a, b, c, d seront donc respecti vement :
Projets a b
/ \
/ \
Emplois 50 10 110 10
{ v(a) =* 0,1 u(50) + 0,9 u(10),
)
! v(b) =* 0,05 u(110) + 0,95 u(10),
' v(c) = u(50),
v(d) - 0,5 u(110) + 0,5 u(10).
Connaissant les valeurs u(10), u(50) et u(110), on en déduit l'ordre de préférence sur les projets.
Les axiomes de Von Neumann et Morgenstern donnent les propriétés que doivent posséder les préférences du décideur pour qu'elles soient représenta
bles par un tel modèle. Ces axiomes ont été étudiés en détails aussi bien du
point de vue de leur interprétation que de celui de leur généralisation ([1], [3], [8], [12], [32], [33], [36]).
Dans l'exemple considéré ici, on voit par exemple que si b est pré féré à a, alors:
v(a) < v(b)
d'où:
0,1 u(50) + 0,9 u(10) < 0,05 u(110) + 0,95 u(10),
ou encore:
0,1 u(50) < 0,05 u(110) + 0,05 u(10),
et, par conséquent, en multipliant par 10:
u(50) < 0,5 u(110) + 0,5 u(10), ce qui donne :
v(c) < v ( d ) ,
c'est-à-dire que d est préféré à c.
Le modèle classique exclut donc que le décideur préfère simultanément b à a et c à d, ce qui est pourtant une attitude tout à fait raisonnable. (L'enquête a montré qu'environ 75% des réponses obtenues étaient en contradic tion avec le modèle ci-dessus.)
11.3 Attitude face à l'incertitude
Cette expérience (et bien d'autres analogues: [12], [32]) montre que
l'attitude d'un décideur, dans une situation d'incertitude, est un phénomène
très complexe à modéliser. Il a été démontré qu'une probabilité égale à 1
n'avait en aucun cas un statut équivalent à une autre probabilité ("effet de certitude”); il est aussi évident que des phénomènes de seuils apparaissent dans la perception des probabilités (0,1 ou 0,05 sont perçues comme des "peti
tes probabilités"). Un aspect important est également le goût ou l'aversion
«
qu'un individu peut avoir vis-à-vis de l'incertitude ou du risque. En fonction
de cet aspect, un individu préférera ou non une situation où il gagne 50 $
avec certitude à une situation où il gagne 100 $ avec une probabilité Cette
situation est illustrée par la figure ci-dessous:
La courbe en trait gras représente la courbe d'utilité du décideur, c'est-à-dire les valeurs que représentent, pour lui, les différentes sommes
comprises entre 0 et 100 $. Dans la figure de gauche, l'utilité de 50 $ est
supérieure à la moyenne des utilités de 100 et de 0 $ (peur du risque); dans la figure de droite, c'est le contraire (goût pour le risque).
11.4 La comparaison des distributions de probabilité
Représenter des préférences dans l'incertain revient en fait à compa
rer des distributions de probabilité. Ainsi, dans l'exemple présenté au para
graphe 11.1, il s'agit de comparer les 4 distributions de probabilité suivan tes :
10 50
110
10
50110
10 50110
10 50110
Plutôt que de vouloir remplacer chaque distribution de probabilité par un nombre, comme c'est le cas dans l'approche classique, on peut chercher à
comparer les distributions sur d'autres bases. C'est ainsi qu'ont été définies
des notions de dominance stochastique du 1er, du 2ème ordres, d'entropie, ... qui conduisent en général à des stuctures de préférence partielles (certaines
distributions restent incomparables). On peut également obtenir une relation
valuée de préférence en associant, à chaque couple (a,b) de distributions de probabilité, un nombre dépendant de la probabilité que a donne un résultat
meilleur que b (comme dans [5]). Ainsi, dans notre exemple, la probabilité que
c soit meilleure que b est 0,95 alors que la probabilité que b soit meilleure que c est 0,05; la probabilité que a soit meilleure que d est 0,05 alors que la probabilité que d soit meilleure que a est 0,5; ...
La comparaison des distributions de probabilité est un problème dif
ficile qui donnera lieu à encore beaucoup de travaux de recherche. En tout
état de cause, il ne faut pas perdre de vue que, dans un problème concret, la méthode à utiliser dépend en grande partie du contexte dans lequel on se trouve
et de la personnalité du décideur. De ce point de vue, les logiciels interac
tifs semblent une voie très prometteuse (voir par exemple [11]).
12. PREFERENCES MULTIATTRIBUTS
La théorie de l'utilité multiattribut ([3], [13]) vise à représenter les préférences d'un individu dans le cas où les objets (décisions) à comparer
sont évaluées suivant plusieurs caractéristiques (critères, attributs). Elle
consiste à construire une fonction d'utilité pour chaque attribut et à agréger ensuite les fonctions obtenues en une fonction d'utilité globale, le plus sou
vent additive ou multiplicative. Les propriétés sous-jacentes à une telle
démarche ont été étudiées en détails, aussi bien dans le cas certain que dans
ici car elle relève plutôt du problème de l'agrégation des préférences et de l'analyse multicritère.
13. REPRESENTATIONS GEOMETRIQUES DES PREFERENCES
Le développement de l'informatique a permis des progrès énormes dans le traitement des données, notamment grâce à des techniques statistiques telles
que l'analyse factorielle ou l'analyse discriminante. Ces techniques condui
sent à une représentation géométrique, et donc à une visualisation des données
à traiter. Elles ont été adaptées également au cas où les données concernent
les préférences d'individus ([2]).
14. LA COLLECTE DES PREFERENCES
Il n'est pas toujours aisé de recueillir, auprès des décideurs, les
informations dont on a besoin pour modéliser leurs préférences: la comparaison
par paire peut s ’avérer très longue, le type de questions à poser et l'ordre dans lequel elles sont posées peuvent avoir une influence sur les résultats (voir notamment [16] pour le recueil des préférences dans le cas incertain), l'agrégation des préférences dans le cas où les objets sont jugés suivant plu
sieurs attributs est un problème difficile, ... Beaucoup de progrès doivent
encore être faits dans cette voie. Là encore, des logiciels interactifs tels
que celui de Jacquet-Lagrèze ([11]) sont très prometteurs.
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