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ARTheque - STEF - ENS Cachan | Informatique en contexte scolaire, enseignement, diffusion : quelles recherches ?

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INFORMATIQUE EN CONTEXTE SCOLAIRE,

ENSEIGNEMENT, DIFFUSION :

QUELLES RECHERCHES ?

Éric BRUILLARD

1. INTRODUCTION

Alors que les discours autour des TICE (technologies de l’information et de la communication pour l’éducation) sont omniprésents, leur abondance et leur nature posent question lorsque l’on veut porter sur ces technologies et leurs usages éducatifs un regard de chercheur. En effet, les modes de présentation usuels, mélangeant types et niveaux de discours, fournissent un cadre de pensée difficile à appréhender. Une sorte de déconstruction apparaît nécessaire pour établir des questionnements de recherche ayant quelque chance d’aboutir à des problématiques intéressantes et de rendre intelligibles les processus en cours.

Ensuite, même si beaucoup de discours institutionnels tentent de la faire disparaître, l’informatique, discipline universitaire bien reconnue tant au plan français qu’au plan international, demeure la référence sous-jacente aux technologies qu’elle contribue à façonner. Mais l’informatique a évolué et évolue encore, vers de nouveaux paradigmes encore peu pris en compte dans les réflexions centrées sur l’éducation. Mieux les appréhender est important pour asseoir la réflexion.

Sur cette base, on peut essayer de poser un certain nombre de questions sur l’apprentissage en liaison avec l’informatique ou aux instruments

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informatiques. Enfin, il s’agit de construire un cadre de recherche, qui ne pourra qu’être qu’esquissé dans ce texte.

2. LES TICE : UNE NOTION À DÉCONSTRUIRE ?

Cerner ce que recouvre l’expression TICE est pour le moins une gageure : un fatras d’outils, de techniques, plus ou moins associé à l’informatique, censé être adapté pour l’éducation. Mais en quoi ces technologies sont-elles

pour l’éducation. Parle-t-on de papier pour l’éducation, de stylos pour

l’éducation, de cahiers ou de livres pour l’éducation ? Certes, des livres et des cahiers sont conçus spécifiquement pour l’éducation, mais ce qui caractérise l’aspect éducatif est lié à une intention : celle du concepteur, du prescripteur, de l’« utilisateur »…, et nombre d’objets disponibles dans notre environnement peuvent être utilisés, voire détournés, à des fins éducatives. Les technologies sont avant tout adaptées pour des tâches ou des activités plus ou moins spécifiques (par exemple, on différencie le papier musique, le papier quadrillé, le papier buvard, le papier Canson, etc.), activités qu’elles contribuent à modifier. Ainsi, c’est en réfléchissant sur les activités humaines, modifiées par les instruments informatiques, en liaison avec la nature même de ces instruments, que l’on a une chance de comprendre les transformations possibles de l’éducation.

2.1. Discours et « compétences »

Concernant les multiples discours, il y a certainement un enjeu dans leur analyse, notamment autour des plans institutionnels, dans leurs déclinaisons nationales et locales, travail assez typique en sciences de l’information et de la communication, avec des méthodes éprouvées. Mais s’agissant de discours de prescription, autour desquels les praticiens rapportent leurs actions, il est important de voir quelle image des technologies informatiques ils véhiculent. Or, s’adressant à des publics très divers (décideurs politiques, prescripteurs intermédiaires, enseignants, voire parents) véhiculant des enjeux politiques et économiques, ils attestent d’une forme de consensus mou, lié à la nécessité de s’adapter aux représentations communes. Cela conduit à entourer toutes les questions dans un halo de confusion.

En particulier, ranger tout ce qui est issu de l’informatique et des télécommunications sous l’unique bannière TICE, c’est-à-dire avec une seule expression, n’est pas de nature à rendre intelligible l’ensemble des processus qui se déroulent. Si les mots peuvent apparaître comme des indices d’une connaissance, d’une compréhension, on constate d’ailleurs (Normand et Bruillard, 2001), autant chez les élèves que chez les enseignants, un manque de mots spécifiques pour désigner des éléments ou des processus intervenant dans l’utilisation des technologies informatiques. L’expression TICE, dans la façon dont elle est déclinée, oriente vers des

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formes particulières d’utilisation pédagogique (une technologie éducative), pas si éloignées de « pédagogies officielles ». On peut préférer l’acronyme TICC, technologies de l'information et de la communication et de la création1, utilisée par les disciplines artistiques, donnant une autre dimen-sion aux apports et utilisations possibles.

La vision dominante actuelle tend à restreindre l’étude des TICE autour de questions d’accès, dans une acception plutôt matérielle, et de « compétences », décrites dans des brevets et des certificats. Mais ce que l’on entend par « compétences » cache, sous des expressions parfois sibyllines, une difficulté récurrente à prendre en compte les aspects conceptuels des technologies numériques.

Quand on en extrait quelques-unes (C2i niveau 12), il n’est pas si aisé de leur attribuer une signification claire :

- « Travailler dans un esprit d’ouverture et d’adaptabilité » (compétence A1-3)

- « Maîtriser son identité numérique » (compétence A2-2)

- Se connecter aux différents types de réseaux… (compétence B1-7)

À la lecture, il apparaît que ceux qui utilisent les technologies de réseau sont amenés à maîtriser les « compétences » ainsi déclinées, alors que ceux qui ne les utilisent pas sont bien en peine de savoir ce qu’elles recouvrent. En tout cas, cela ne renseigne en rien sur la manière de les acquérir.

2.2. Des rôles et des processus très différents

Dans les nombreux travaux que nous avons menés avec Georges-Louis Baron, nous avons notamment essayé de caractériser les différents rôles possibles de l’informatique et des technologies associées dans l’éducation. Laissant de côté ce qui pourrait caractériser une discipline informatique dans l’enseignement du second degré, nous avons distingué trois rôles principaux :

• Technologie éducative : cela a trait aux manières d’enseigner et aux méthodes d’enseignement. Cet aspect est le plus souvent mis en avant dans les discours officiels, mais si on en croit les analyses historiques sur l’impact des technologies dans l’éducation (Cuban, 1986), ce dernier ne peut être que faible.

• Production et accès aux documents, communication : cela réfère aux outils et à l’environnement de travail, des enseignants et des élèves. • Instrumentation disciplinaire : modifications opérées au cœur des

disciplines elles-mêmes, dans leur contenu et dans leur enseignement.

1 http://www.education.gouv.fr/bo/2000/hs6/artistique.htm - Enseignements artistiques,

Préambule commun aux programmes, BO HS N° 6, 31 août 2000

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Quand on veut regarder les modalités de diffusion et d’usage des technologies informatiques, il est important de comprendre que, associés à chacun de ces rôles, les processus sont très spécifiques.

Concernant l’aspect « technologie éducative », la possible motivation ou re-motivation des élèves est souvent invoquée, mais elle n’est certainement pas pérenne. Enseigner autrement est au cœur du slogan « généralisation des usages »3. Mais, sans curriculum défini, on ne peut s’attendre à des compé-tences effectivement maîtrisées par les élèves, à un niveau de classe donné, et tout repose sur les choix individuels d’enseignants sauf à imposer une sorte de « pédagogie officielle », c’est-à-dire d’affirmer qu’il y a de meilleures façons d’enseigner que les praticiens doivent adopter.

Les questions de production et d’accès aux documents, et plus généralement de communication sont traitées par des disciplines « jeunes » au sein des collèges : technologie et documentation. Il y a, pour ces disciplines, un curriculum à « conquérir » (au-delà d’une approche des outils). Enfin, s’agissant d’instrumentation disciplinaire, le curriculum est à construire dans et par les disciplines elles-mêmes.

Analyser des utilisations ou des processus d’intégration, sans tenir compte de ces divers rôles, introduit des confusions (Baron et Bruillard, 2004). Ainsi, considérer l’intégration comme un processus linéaire, une succession de niveaux à franchir est peu fondé (sauf pour des prescriptions). En particulier, la modification des cadres de travail sous l’impact de la diffusion sociale des technologies et d’une banalisation partielle de ces technologies, ne dit rien sur les utilisations en termes de technologie éducative. Mélanger les différents rôles aboutit à des analyses erronées. De nombreuses études, au plan international, tentent d’analyser les obstacles à l’« intégration ». Mais cette notion d’intégration induit un cadre de pensée holiste, sous-tend une sorte de bon modèle et de vision linéaire intéressant les gestionnaires de l’éducation. Cela conduit même à des études que l’on peut juger suspectes, donnant des résultats d’« intégration » peu crédibles (Bruillard, 2005)4.

S’agissant d’usages, l’injonction insistante de « faire des TICE en classe avec les élèves » ne conduira pas à des utilisations croissantes bien attestées. Une perspective uniquement « usages », sans que ces derniers ne soient catégorisés, ne permet pas de comprendre. Ainsi, on confond

3 Voir par exemple, http://www.educnet.education.fr/equip/archives/triennaux.htm 4 http://www.education.gouv.fr/stateval/dossiers/listedossiers2004.html : « Les

attitudes des enseignants vis-à-vis des technologies de l’information et de la communication dans les premier et second degrés – édition septembre 2004 ». En particulier, le taux d’usage des TIC avec les élèves apparaît peu crédible et son calcul provient sans doute des façons particulières d’interroger les enseignants.

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l’instrumentation dans les disciplines, partie prenante de l’évolution même des disciplines ou de leurs modalités propres d’enseignement, avec des utilisations de type technologie éducative, qui ne sont pas de même nature. Comment les disciplines « assument » leurs instruments est bien la question qui se pose. Il y a là un champ d’investigation largement ouvert pour les différentes didactiques disciplinaires.

Mais au-delà des rôles que l’on peut attribuer aux technologies, c’est l’informatique elle-même qui se transforme.

3. L’INFORMATIQUE ET SES ÉVOLUTIONS

L’informatique est un domaine de recherche complexe aux contours multiples. Pour en donner une image, on peut considérer que trois grands attracteurs la structurent :

• Matériels, c’est-à-dire les aspects réseaux, architecture, proches d’aspects électroniques, physiques, etc.

• Programmes et algorithmes, complexité, c’est-à-dire ce qui est proche des mathématiques

• Activités humaines, les utilisateurs et les applications : linguistique, interfaces personne-machine, EIAH (environnements informatiques et apprentissage humain…

C’est bien évidemment dans ce dernier champ que les recherches autour de l’éducation prennent leur place.

Mais, si l’informatique, en tant que champ scientifique, s’est énormément développée, sa nature s’est également transformée. En effet, selon une définition officielle, c’est la « science du traitement rationnel, notamment

par machines automatiques, de l'information considérée comme le support des connaissances humaines et des communications dans les domaines techniques, économique et social »` (B.O.E.N., 26 février 1981, no 8). Ses sphères d’application privilégiées sont d’abord le calcul et la gestion ; les machines effectuent, sur des données qu’on leur transmet, des traitements fournissant des résultats. Comme l’illustre la figure 1, il y a éventuellement une boucle, les résultats devenant des données pour de nouveaux traitements, mais le processus est essentiellement linéaire, sans faire intervenir un quelconque utilisateur.

Traitement

Données Résultats

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La place de l’utilisateur, quand on le considère, est « au-dessus ». C’est lui qui « code » les données dans une forme traitable par la machine et qui interprète les résultats fournis par cette dernière après traitement. On oppose alors le traitement formel opéré par la machine et la gestion de la signification des informations, opérée par les humains. On obtient alors un modèle de traitement (figure 2) très classique.

traitement formel codification interprétation Connaissance des données Informations données informations résultats Connaissances résultats

Figure 2 : modèle de traitement

Cependant, le déploiement actuel des applications issues de l’informatique, invite à repenser ce modèle. Les logiciels et leur utilisation dans de nombreuses activités humaines conduisent à un schéma assez différent, dans un cycle continu action – traitement – perception. En effet, avec la haute interactivité des applications, les boucles sont d’une durée extrêmement courte.

L’utilisateur lit ce que lui fournit l’interface, analyse l’état courant et agit sur le périphérique d’entrée. L’action déclenche un traitement qui fournit un nouvel état visuel, etc. Si deux processus coexistent, le traitement machine et l’interprétation humaine, le pilotage est assuré par l’humain, sur la base de l’interprétation de ce que lui donne à voir la machine. Ce qui est présenté à l’utilisateur prend une importance cruciale : cela fonde son processus d’interprétation et ses capacités d’action.

L’exécution du logiciel combine l’activité humaine à l’activité de la machine, conduisant à une vision contextuelle et située du processus qui les associe, pour lequel le temps et la situation sont à prendre en compte (contrairement aux processus atemporels et hors contexte décrits précédemment). En ce sens, le cognitif et le social deviennent partie prenante des problèmes techniques, et l’informatique fournit une technologie socio-cognitive, à travers des artefacts sémiotiques. D’où l’importance des modèles d’ergonomie cognitive et des processus de genèse instrumentale.

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Perception (lecture)ActionTraitementInterprétationEntréeSortie

Figure 3 : cycle continu action – traitement – perception

Comme le décrit Anne Nicolle (2003), il s’agit là de processus interactifs de durée indéfinie, processus qui communiquent entre eux et avec les humains. Ainsi, on passe de théories du calcul, sur des processus terminatifs avec des fonctions, à des théories de l’information autour des flux et des traces jusqu’à des théories, encore à construire, concernant les processus.

En outre, ces processus ne sont pas limités aux interactions avec un logiciel tournant sur un ordinateur. C’est aussi le lien avec d’autres (humains ou agents artificiels, d’autres processus) via les réseaux mais c’est également une informatique ubiquitaire, invisible, pervasive (du latin per-vadere, se répandre partout), associée aux objets de tous les jours, qui se développe, une informatique transparente, inscrite dans notre environnement, accessible partout et en tout lieu à l’aide de multiples périphériques.

Cette informatique omniprésente, dans les objets quotidiens, transforme notre expérience du monde, nous plongeant dans une réalité « augmentée », dans le sens où un monde informationnel est associé au monde physique. Les informations sont (ou plutôt devraient être, il s’agit ici d’une description de potentialités) accessibles en contexte, pour tous, adaptées (plus ou moins) à des caractéristiques individuelles (Bruillard, 2004), un grand nombre d’informations potentielles, accessibles via des objets communicants… On peut notamment mentionner les travaux développés autour des villes numériques et de l’art dans la ville5.

Un dispositif mobile donnant accès à Internet tout en se déplaçant a ainsi été développé à l’Université de Columbia. Muni d’une tablette de saisie, d’un

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stylet, d’une balise de localisation et d’une paire de lunettes sur laquelle s’incrustent les informations, on peut parcourir le site (réel et non web) de l’université et obtenir des informations sur un certain nombre de monuments (voir figure 4).

Figure 4. Une fenêtre fournit des informations sur l’objet sélectionné (Bell et al., 2002)

Dans ce contexte, l’opposition un peu facile entre réel et virtuel n’est plus très opérante. Et si on n’a pu mettre en exergue certaines difficultés de formations entièrement à distance via les réseaux, les personnes privées de leur corps étant peu engagées (Dreyfus, 2001), les expériences d’apprentissage étant alors limitées, ce n’est plus le cas avec le développement de l’informatique ubiquitaire. Notons d’ailleurs que l’image de l’adolescent quasi autiste, génie de l’informatique renvoie à Don Quichotte et aux romans de chevalerie, ce qui montre que ce n’est pas un problème nouveau.

Tout cela pose des questions nouvelles, ou renouvelle des questions sans doute déjà anciennes, vis-à-vis des apprentissages.

4. INFORMATIQUE ET APPRENTISSAGES

On peut distinguer plusieurs ordres de question, s’agissant des modalités de formation, du rapport à l’informatique et de son apprentissage, et des potentialités dans l’éducation.

4.1. Nouvelles modalités de formation voire de scolarisation

Pour certains, ce nouveau contexte, les technologies de communication s’étant grandement déployées, conduit à de nouvelles visions de l’organisation de l’éducation : « Être, c’est être connecté ». Avec les

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possibilités d’accès sans fil, la mobilité peut favoriser les apprentissages, au travers de travaux collaboratifs dans des communautés d’apprentissage interconnectées. En liaison avec des tuteurs (dans des formes d’enseignement institutionnelles) ou des experts prêts à faire partager leurs connaissances, on entrevoit la possibilité d’un apprentissage ouvert, hors des campus et des écoles, avec un accès direct aux informations.

Une partie de ces promesses est déjà à l’œuvre dans des formes d’enseignement à distance ou hybrides (alternant les phases en présence et à distance). L’apprentissage collaboratif à distance offre ainsi des potentialités intéressantes (Bruillard, 2004 ; Baron et Bruillard, 2006), notamment en formation des enseignants.

Mais cela conduit (ou peut conduire) à des formes nouvelles de scolarisation, qu’il faudrait interroger. En France, la décentralisation amène une nouvelle répartition des compétences entre les collectivités et l’État. Alors que les réseaux favorisent le parascolaire (offres de soutien et d’entraînement à distance), que le déploiement des espaces numériques de travail (ENT) consacre une privatisation d’un certain nombre de prérogatives autrefois à la charge de l’État, les technologies conduisent à investir un espace intermédiaire : celui entre le temps scolaire et le temps privé. Ce brouillage facilite la multiplication des offres privées d’éducation, également le développement de l’apprentissage à la maison (h o m e

schooling, voir par exemple Brabant, 2004).

Les offres de portables et d’accès internet par les conseils généraux (les opérations landesinteractives, Ordina 13 ou Ordi 35)6 sont plus orientées vers les familles que vers l’école, renforçant une certaine confusion.

4.2. Mais en tension avec l’apprentissage

En effet, les technologies utilisées à la maison et celles qui sont mises en œuvre dans des cadres d’enseignement ne sont pas de même nature. On peut même déceler quelques oppositions irréductibles. Les technologies pour le jeu ou la communication, telles qu’elles sont vantées dans les publicités, sont conçues pour l’immédiateté, la satisfaction directe des besoins. Elles sont censées répondre instantanément aux injonctions de leurs utilisateurs et rien ne doit faire obstacle à leurs désirs. En cela, elles ont un caractère immature alors que l’apprentissage nécessite le temps long, la prise de distance pour la réflexion, voire même une certaine frustration.

Une vision purement utilitariste des technologies privilégie un usage qualifié de transparent. Mais, au plan de la compréhension, le traitement

6 http://www.landesinteractives.net/ pour le département des Landes ;

http://www.ordina13.com/ pour les Bouches du Rhône ;

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opéré par la machine tend alors à devenir invisible. En effet, l’application de cette idée de transparence, ou de transparence opérative (ne donner à voir que ce qui est jugé nécessaire pour l’action) conduit à ne plus montrer beaucoup de choses. Alors qu’auparavant, rendre transparent consistait à montrer l’intérieur, le processus, afin de mieux comprendre ce que fait la machine, il s’agit maintenant de cacher tout ce qui n’est pas lié à l’action immédiate. Les interfaces de manipulation directe, qui facilitent effectivement la prise en main d’un grand nombre d’applications, permettent un meilleur engagement dans l’action, au prix d’une illusion : l’utilisateur opère directement sur des objets visibles à l’écran, qui fonctionnent selon des métaphores qu’il est censé activer facilement. Mais le traitement opéré, non visible, a tendance à disparaître. Nulle maîtrise réelle, mais de la bidouille, sans compréhension. On a pu le vérifier aussi bien sur de jeunes élèves (dans le cadre du projet européen Représentation) que sur des futurs enseignants (Normand et Bruillard, 2001). Alors que la puissance de l’informatique tient à la possibilité de « faire faire » des traitements à une machine, l’illusion du « faire », de l’action directe est certainement un obstacle important à la maîtrise et à la compréhension de ce que peuvent faire les ordinateurs.

On note d’ailleurs, un changement du rapport des utilisateurs jeunes à l’informatique : simple outil de communication et de production, ils semblent se désintéresser de son fonctionnement. Cela milite pour une médiation à assurer dans l’apprentissage des technologies, de ne pas le laisser à la sphère privée, misant sur la famille ou les pairs. En effet, l’informatique recèle des potentialités très importantes pour modifier l’enseignement et l’apprentissage.

4.3. De nouvelles activités « éducatives » instrumentées

Au plan des apprentissages, l’intrusion ou l’apport des technologies issues de l’informatique ont des effets maintes et maintes fois commentées : elles ouvrent des possibles, diminuent la technicité requise pour un grand nombre de tâches, mais incitent à aller trop vite, retirant des occasions d’apprendre. D’où une nécessaire réinvention des situations d’apprentissage, ce qui interroge les différentes didactiques disciplinaires.

Les apports principaux sont liés aux caractéristiques de l’informatique, dans la séparation de l’information et de son support matériel (par exemple, l’écriture de l’objet livre) ouvrant à de multiples matérialisations et traitements. Il est possible d’échanger, de diffuser des informations par des infrastructures de réseaux largement déployées, laissant de multiples traces que l’on peut voir, analyser et traiter. Cela ouvre à la vision et à la compréhension de processus, cela invite à des postures réflexives, à

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expérimenter et à simuler (en ce sens, l’informatique peut être vue comme la science des modèles, ces modèles étant computationnels).

Il s’agit, avant tout, d’une technologie d’amplification de nos possibilités, plus que d’éducation. Apprendre mieux, plus vite, etc. ne sont pas les enjeux majeurs. Sans doute peut-il y avoir des bénéfices de ce type, mais ils ne sont pas vraiment attestés. Le montrer est d’ailleurs difficile parce que cela nécessite un apprentissage long. Ainsi, Douglas Engelbart, sans conteste un des pionniers ayant montré comment l’informatique pouvait augmenter nos capacités, avait trouvé une astuce permettant de montrer l’inverse, c’est-à-dire comment une technologie pouvait diminuer nos capacités. Lors de conférences, il appelait quelqu’un et lui demandait d’écrire avec un crayon auquel il avait ajouté un poids. Enlever ce dernier permettait de travailler mieux !

Ainsi, comme nous l’avons déjà mentionné, les technologies sont en tension avec les apprentissages. Elles sont utilisées le plus souvent pour les facilités qu’elles offrent, sans prendre le temps d’en faire des technologies de travail, ce qu’elles sont avant tout. Leur détournement comme simple technologie éducative n’est pas judicieux : on utilise leurs potentialités sans se préoccuper d’en faire acquérir une maîtrise suffisante aux élèves. Des apprentissages sont nécessaires et c’est l’activité instrumentée, dans le cadre d’enseignements et d’apprentissages, qu’il convient de regarder.

5. QUEL CADRE CONSTRUIRE ?

La question de la construction d’un cadre d’analyse se pose avec insistance. L’informatique est une discipline universitaire, mais pas une discipline de second degré. Une didactique de l’informatique, en liaison avec la formation initiale avant le baccalauréat, est ainsi difficile à mettre en place. Nous avons ainsi commencé à réfléchir à l’élaboration d’une didactique des progiciels (André et al., 2004, puis colloque Didapro27), mais ses contours restent encore flous. Peut-on fonder une didactique hors d’un champ de connaissances déjà bien installé, sans corps d’enseignants bien formé ? Question à laquelle on ne peut apporter de réponse rapide. On peut toutefois faire l’hypothèse d’une nécessaire étude de l’enseignement et de l’apprentissage des progiciels, notamment d’une vision curriculaire. Il y a sans doute des spécificités dans l’appropriation de logiciels, mais on ne sait pas encore bien comment le montrer.

Une autre approche consiste à regarder les disciplines scolaires, dans leurs transformations, à la fois dans leurs contenus et dans leurs modalités d’enseignement légitimes, sous l’impact de la généralisation des TIC. Les

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disciplines techniques et scientifiques sont certainement les premières concernées, et on peut les qualifier, au moins en partie, de disciplines informatisées. Une didactique des disciplines informatisées, posant un regard particulier sur les instruments issus de l’informatique, est en cours de construction. Elle s’intègre alors dans les didactiques disciplinaires concernées, avec quelques invariants liés à l’informatique restant à mieux expliciter.

Mais si une vision didactique est problématique, en raison même de l’absence d’enseignants ayant des buts communs et des conditions voisines, une vision plutôt épistémologique apparaît nécessaire. Comment définir un traitement de texte ? un tableur ? Leur histoire est récente (mais on peut toujours identifier des précurseurs), mais leur constitution, leur champ d’intervention sont encore peu clairs. Va-t-on vers de nouveaux noms communs comme Word ou Excel, ou reste-t-il un espace disponible ?

Comme tout va très vite, du moins si on s’attache à certains traits de surface, une vision économique proche des questions scientifiques ne peut pas être esquivée. Comment fonctionnent les moteurs de recherche, quels problèmes de compréhension et d’appropriation posent-ils ? Leur fonction-nement, leur évolution dépend autant de questions scientifiques et technologiques qu’économiques.

Enfin, il s’agit d’éviter un certain nombre de fausses questions, dont on ne peut trouver pour le moment d’ancrage scientifique. Ainsi la question « est-ce que les TIC améliorent l’apprentissage » ne peut se poser que dans des cadres extrêmement restreints, ne répondant alors pas aux interrogations des politiques et du public. En ce sens, les questions de type oui-non concernant les technologies dans l’éducation ont peu de chance d’avoir une déclinaison un tant soi peu scientifique. En revanche, étudier comment elles interviennent ou sont utilisées, même si cela conduit souvent à des narrations un peu trop descriptives, est utile, aidant à construire une expertise encore à partager des utilisations éducatives des technologies. Mais, comme nous avons essayé de le montrer, l’impact de l’informatique va bien au-delà d’évolutions des modalités d’enseignement. Anticiper ce qui peut se produire afin de mieux l’appréhender, un rôle que la recherche devrait pouvoir assumer.

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RÉFÉRENCES

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Figure

Figure 2 : modèle de traitement
Figure 3 : cycle continu action – traitement – perception
Figure 4. Une fenêtre fournit des informations sur l’objet sélectionné (Bell et al., 2002)

Références

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