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Faut-il remettre en cause la politique familiale française ?

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familiale française ?

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Henri Sterdyniak

OFCE, Centre de recherche en économie de Sciences Po Université Paris-Dauphine

La Revue de l’OFCE est ouverte aux chercheurs et à tous les spécialistes en économie et en sociologie. La revue s’assure de la rigueur des propos qui sont tenus mais les jugements et opinions exprimés par les auteurs, y compris quant ils appartiennent à l’OFCE, n’engagent qu’eux-mêmes et non les institutions auxquels ils appartiennent.

* Je remercie l’Union des Familles Laïques (UFAL) et Thomas Piketty qui m’ont incité à écrire cet article. Je reste seul responsable des opinions émises ici, que ceux-ci ne partagent pas. Je remercie aussi l’École Nationale Supérieure de la Sécurité Sociale, et ses élèves, avec qui j’ai pu discuter de versions antérieures de ce texte.

henri.sterdyniak@ofce.sciences-po.fr

La politique familiale française réalise un arbitrage délicat

entre trois objectifs : assurer un niveau de vie minimal à chaque

enfant, assurer aux familles le même niveau de vie qu’aux

personnes sans enfant, favoriser l’emploi féminin. Malgré ses

réussites en termes de taux de fécondité et de taux d’emploi des

femmes, la politique familiale française est souvent remise en

cause : elle serait trop coûteuse, profiterait aux plus riches et

nuirait au travail des femmes. L’article montre que ces critiques

ne sont pas pertinentes. Le quotient conjugal et le quotient

familial sont des composantes nécessaires de l’impôt progressif.

Cibler les prestations sur les plus pauvres affaiblirait la

cohérence de la politique familiale. La politique familiale

transfère des masses relativement importantes aux familles ; la

prise en charge du coût des enfants est totale pour les familles à

bas revenus et diminue quand le revenu augmente. Une grande

réforme, qui remplacerait l’ensemble des prestations familiales

et des dispositifs fiscaux, par une allocation uniforme par enfant

affaiblirait la politique familiale, éloignerait de la parité

familiale et nuirait aux familles nombreux.

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n quart des Français ont moins de 20 ans. Pour assurer la parité de niveau de vie entre les enfants et les adultes, la politique familiale devrait transférer 12,5 % du revenu des ménages en utilisant les unités de consommation de l’OCDE (voir section 2.5). Le traitement des familles par le système socialo-fiscal est donc crucial pour la justice sociale.

La politique familiale française résulte d’un arbitrage délicat entre trois objectifs : – Assurer à chaque enfant un niveau de vie minimal. Cet objectif nécessite des transferts verticaux en faveur des familles les plus pauvres. Il faut réduire au maximum le nombre d’enfants pauvres. En plus des services gratuits (santé, éducation), il faut leur fournir des services spécifiques (suivi scolaire, activités péri-scolaires) pour compenser leur absence d’héritage culturel.

– Assurer aux familles avec enfants le même niveau de vie que les couples ou personnes sans enfant, de mêmes revenus primaires. C’est le principe de l’équité familiale horizontale. Cet objectif nécessite des transferts horizontaux des célibataires et couples sans enfant aux familles avec enfants, ceci à tous les niveaux de revenu. Valable en lui-même, il contribue aussi au maintien d’un taux de fécondité satisfaisant.

– Permettre la conciliation emploi/enfants pour favoriser l’emploi des femmes. Celui-ci est d’abord un instrument essentiel d’égalité entre les femmes et les hommes. C’est aussi un rempart contre la pauvreté et la précarité.

Malgré ses réussites en termes de taux de pauvreté des enfants, de taux de fécondité, de taux d’emploi des femmes, la politique familiale française est actuellement remise en cause (encadré 1) : elle serait trop coûteuse et profiterait trop aux plus riches. Elle nuirait au travail des femmes. Certains préconisent de supprimer le quotient familial et même d’individualiser complètement le système fiscal et social ; d’autres remettent en cause l’universalité des prestations familiales ; d’autres enfin proposent de remplacer les prestations monétaires par des dépenses collectives. Faut-il remettre en cause la politique familiale française ?

Encadré 1 : Quelques textes récents

Le rapport Attali (janvier 2008)

Décision 268 : Conditionner les prestations familiales aux revenus des ménages. Cette mesure rendra la politique familiale plus redistributive et permettra de réduire le coût des politiques familiales de 2 milliards d’euros.

La révision générale des politiques publiques (avril 2008)

La politique familiale fait l’objet d’un effort financier de la nation de plus de 80 milliards d’euros. Il est donc impératif, avant de créer de nouvelles dépenses pour la branche famille, de prendre en compte les besoins de financement récurrents d’autres branches de la protection sociale (dépendance, retraites, santé,…).

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Il faut renforcer la lutte contre la pauvreté dans l’évolution de la politique familiale. L’objectif fixé par le président de la République d’une réduction d’un tiers du taux de pauvreté en cinq ans conduit à privilégier l’objectif de redistribution verticale par rapport à celui de redistribution horizontale. Ceci suppose de questionner systématiquement l’intérêt et l’équité de prestations ou de dispositifs fiscaux.

Projet de résolution de la CFDT (avril 2010)

Le barème de l’impôt doit être appliqué aux revenus des personnes, et non plus à ceux des ménages. Rien ne peut justifier que l’aide fiscale apportée aux ménages par le biais du quotient familial soit d’autant plus importante que leurs revenus sont élevés. Il doit être remplacé par une allocation forfaitaire par enfant.

Convention du Parti socialiste (2010)

Afin de moderniser l’impôt et de le mettre en phase avec des évolutions sociologiques importantes, dues notamment à l’accroissement du travail des femmes dans notre société, nous souhaitons aller vers une individualisation progressive de l’impôt et des prestations sociales, qui est la condition nécessaire de l’instauration du prélèvement à la source.

Un impôt citoyen pour une société plus juste (Pierre-Alain Muet, 2010)

Indéniablement, l’existence d’une imposition commune au sein des ménages exerce un effet négatif sur l’activité des femmes, dès lors qu’elle réduit le gain final lié à l’augmentation du salaire du conjoint dont la rémunération est la moins élevée dans un couple. La réflexion devrait également s’engager sur l’opportunité d’un remplacement du quotient familial par un mécanisme de crédit d’impôt d’un montant total équivalent, assurant un effort en faveur des familles indépendant du revenu.

Un point de vue écologique (Yves Cochet, député du Parti des Verts)

Un enfant européen ayant « un coût écologique comparable à 620 trajets Paris-New York », il faudrait faire voter une directive baptisée « grève du troisième ventre » qui inverserait l’échelle des prestations familiales. En d’autres termes, dissuader financièrement les familles qui envisageraient de concevoir un trop plein d’enfants. « Aujourd’hui, plus on a d’enfants, plus on touche. Je propose qu’une famille continue de percevoir des aides pour les deux premiers enfants, mais que ces aides diminuent sensiblement à partir du troisième ».

Une politique familiale généreuse… mais inégalitaire (Anne Chemin, Le Monde, 20 octobre 2009)

La politique familiale française est généreuse mais elle a son talon d'Achille : paradoxalement, elle bénéficie en priorité... aux familles les plus riches. Selon le ministère de la Santé, pour les 30 % des foyers les plus aisés, les transferts annuels liés à la politique familiale représentaient, en 2004, 3 500 euros par enfant, alors que les 5 % des familles les plus pauvres n'en touchaient que 2 800 et les classes moyennes environ 2 000. « Les ménages ayant les revenus les plus élevés sont les plus grands bénéficiaires », résumait le Centre d'analyse stratégique en 2007. Cette redistribution à l'envers est principalement liée au mécanisme du quotient familial. Ce système fiscal, qui réduit les impôts des familles ayant des enfants grâce à un système de parts, bénéficie essentiellement à la moitié des Français les plus riches – ceux qui payent des impôts. Il est en outre très inégalitaire : plus la famille est aisée, plus l'avantage fiscal est important. Selon le service statistique du ministère de la Santé, il dépasse ainsi 2 400 euros par an chez les 30 % des familles les plus riches, contre... 5 euros pour les 5 % les plus pauvres.

Pour une révolution fiscale (Landais, Piketty et Saez, 2011)

Il n’existe aucune raison ni du point de vue de l’équité, ni du point de vue de l’efficacité, pour justifier une politique familiale qui donne en moyenne une fois et demie à deux fois plus par enfant aux 10 % des individus les plus riches.

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1. Les principes de la politique familiale

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L’entretien et l’éducation des enfants représentent une charge dont le partage entre les parents et la collectivité dépend de la conception que se fait la société du rôle de la famille et de la place de l’enfant. Deux modèles polaires peuvent ainsi être définis.

Selon le modèle individualiste, les enfants sont une affaire privée des parents, qui n’ouvre droit à aucune prestation ou réduction d’impôts. Élever des enfants est un choix privé, comme collectionner des timbres, qui n’ouvre aucun droit social. Les parents ont, en apparence, un niveau de vie plus faible que les personnes sans enfant, mais cela est compensé par l’utilité qu’ils retirent de leurs enfants. Dans ce modèle, les familles ont un niveau de vie beaucoup plus faible que celui des célibataires et couples sans enfant ; les enfants sont en moyenne plus pauvres que les adultes.

Selon le modèle collectif, les enfants sont l’avenir de la société ; la société a besoin d’enfants et d’enfants bien élevés et bien éduqués ; les parents remplissent une fonction sociale ; ils assurent la survie et le développement de la société ; la prise en charge du coût des enfants doit être collective.

La politique familiale française partage la charge des enfants entre parents et société. Ce partage est donc sujet à discussion. Deux logiques peuvent être mises en œuvre.

Selon la logique de l’équité horizontale familiale, les familles avec enfants doivent avoir le même niveau de vie que les personnes sans enfant, de même revenus primaires, ceci à tous les niveaux de revenus. Un couple d’ouvriers qui choisit d’élever trois enfants doit avoir le même niveau de vie qu’un couple d’ouvriers qui choisit de rester sans enfant ; ce doit être la même chose pour un couple de cadres. La politique familiale (le soutien aux familles) doit être indépendante de la politique sociale (de redistribution des riches vers les pauvres).

Selon le modèle paritariste, les prestations sociales et la fiscalité doivent assurer

que les couples de même niveau de salaire aient le même niveau de vie quel que soit leur nombre d’enfants, c’est-à-dire le même revenu disponible par UC (unité de consommation). La politique familiale couvre alors totalement le coût de l’enfant. Mais l’aide semble augmenter avec le revenu des parents.

Considérons que les besoins d’un enfant sont la moitié de ceux d’un adulte. Ce modèle impliquerait que tout salarié paie 20 % de cotisations familiales ; chaque enfant donnerait droit à 20 % de salaire supplémentaire pour chacun de ses parents. Avec des salaires bruts de 100 chacun, un couple de personnes sans enfant aurait 160 de revenu ; avec un enfant, il aurait 200 ; avec deux enfants, 240.

Si ce modèle apparaît équitable du point de vue des parents, il pose problème du point de vue des enfants puisqu’il entérine les inégalités de niveau de vie entre les 1. Pour des approches similaires, mais divergentes sur certains points, voir Thévenon (2009) et Elbaum (2010).

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enfants qui ont eu la chance de naître dans des familles aisées et ceux qui ont eu la malchance de naître dans des familles pauvres.

Selon le modèle familialiste, les prestations doivent aller au-delà de la compensation du coût de l’enfant. D’une part, les parents devraient être rémunérés pour la fonction sociale qu’ils remplissent en élevant leurs enfants. D’autre part, la politique familiale doit encourager la natalité. Ce modèle nécessite que la politique familiale ait un poids très important. En sens inverse, il garantit que les enfants aient bien un niveau de vie supérieur à celui de la moyenne de la population.

Dans le modèle égalitariste, la société doit fournir la même aide à chaque enfant, quel que soit le niveau de revenu de ses parents. Mais quel doit être le niveau d’aide ? Dans ce modèle, l’aide est relativement plus importante pour les pauvres que pour les riches. Les familles pauvres sont plus riches que les couples ou célibataires pauvres. C’est l’inverse pour les familles de niveau de revenu moyen ou élevé. La politique familiale réduit les inégalités de revenu parmi les familles, mais elle n’assure pas la parité horizontale pour les familles de revenu moyen. Il faut choisir entre ces deux objectifs.

Selon la logique de la solidarité (ou de l’assistance), chaque enfant doit avoir un

niveau de vie minimal. Aux plus bas niveaux de revenus, les familles avec enfants

doivent avoir un plus haut niveau de vie que les personnes sans enfant pour trois raisons :

– Les enfants (et donc obligatoirement leurs familles) ont droit à un niveau de vie minimal supérieur à celui assuré aux personnes sans enfant puisque les enfants ne sont pas responsables de la faiblesse des revenus de leurs parents. – Leurs parents, même sans emploi, exercent au moins la fonction sociale de

parents.

– La société doit fournir à chaque enfant une éducation lui permettant de s’intégrer dans la société de demain, de développer les capacités qui seront nécessaires pour avoir un emploi au milieu du 21e siècle. Ceci suppose qu’il

bénéficie d’un certain nombre de dépenses collectives (en matière d’éducation), mais aussi que lui et donc sa famille vivent dans des conditions satisfaisantes.

Dans un modèle de solidarité pure, l’aide aux familles est concentrée sur les plus pauvres, les enfants des classes moyennes et aisées étant à la charge exclusive de leurs parents. Le système est familialiste pour les pauvres et tend au modèle individualiste pour les riches.

Ce modèle a le défaut d’encourager spécifiquement les plus pauvres à avoir des enfants tout en décourageant les autres (qui subissent de lourdes pertes de niveau de vie en ayant des enfants). Finalement, les enfants vivent dans des familles pauvres. Les inégalités de revenus sont accrues entre les cadres qui peuvent choisir le modèle

dink (double income, no kids) et les pauvres qui sont incités à avoir des enfants.

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trappe à pauvreté pour les mères célibataires : elles sont incitées à avoir des enfants, à ne pas travailler et à ne pas se remettre en couple.

Le système français effectue un équilibre entre ces modèles

– Le Modèle égalitariste inspire les allocations familiales universelles, la gratuité de l’enseignement et de la couverture médicale.

– Le Modèle de solidarité inspire les allocations sous conditions de ressources

(complément familial, allocation logement, allocation de rentrée scolaire), le RSA et sa composante familiale, les bourses scolaires, les prestations à prix réduits (cantines, colonies, activités périscolaires).

– Le Modèle paritariste justifie les aides à la garde des enfants et le quotient

familial.

– La politique familiale française est donc en principe une politique équitable, différenciée selon les besoins des différentes familles. Il faut cependant comprendre et accepter les contradictions entre les objectifs de la politique familiale.

– L’équité horizontale induit des transferts en faveur de familles relativement riches comparées à la moyenne des familles, mais plus pauvres que les couples sans enfant de même revenu primaire alors que l’objectif de redistribution verticale demanderait de concentrer l’argent public sur les plus pauvres, surtout en période de contraintes financières.

– L’objectif de redistribution verticale, de revenu minimal des familles avec enfants, amène à aider massivement les familles les plus pauvres, celles à zéro ou un actif et les familles mono-parentales, ce qui rend moins rentable pour elles l’emploi, et tout particulièrement celui des femmes.

– Une politique trop centrée sur les plus pauvres (les exclus et les précaires) se priverait du soutien des classes populaires et moyennes ; une politique familiale trop redistributive se priverait du soutien des classes supérieures.

1.1. Politique familiale et natalité

La politique familiale se justifie avant tout par l’exigence de justice sociale qui fonde la société française, tant du point de vue redistributif que du point de vue de la solidarité. Le traitement fiscal et social des familles doit être équitable, indépendamment de toute considération nataliste.

Par ailleurs, la France a besoin d’enfants. L’Europe se caractérise par de très bas taux de fécondité dans les pays germaniques, méditerranéens et les pays de l’Est : en 2009, 1,3 enfant par femme au Portugal et en Hongrie, 1,35 en Allemagne, 1,4 en Italie, Espagne, Autriche, Slovaquie, Roumanie et Pologne ; 1,5 en Tchéquie et en Grèce. La fécondité est restée satisfaisante dans les pays scandinaves, les pays anglo-saxons et en France : 1,8 aux Pays-Bas, 1,85 en Belgique, au Danemark, Finlande 1,95 au Royaume-Uni et Suède ; 2 en France, 2,1 en Irlande. Le taux de fécondité global de l’UE n’est que de 1,6 enfant par femme.

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Les préoccupations familiales devraient être prises en compte dans les politiques européennes. Ce n’est guère le cas jusqu’à présent. La fécondité ne figure pas parmi les indicateurs structurels de l’UE (contrairement à la population des oiseaux des champs !). La France se situe au-dessus de la moyenne européenne ; il faut protéger cet avantage comparatif.

L’élevage des enfants représente une lourde charge pour les parents, en termes financier certes, mais aussi en termes de temps et de perte de liberté. La parenté est un « esclavage volontaire ». Pour les jeunes adultes, la constitution d’une famille est concurrencée par les soucis de carrière, les exigences de la vie intellectuelle, le charme des loisirs, les plaisirs du libertinage. Le natalisme ne doit pas influencer la politique familiale, mais il faut éviter toute réforme qui marquerait que la société n’a pas la préoccupation de la famille.

1.2. Politique familiale et travail des femmes

Favoriser le travail des femmes est devenu l’un des axes essentiels de la politique familiale française. Le travail des femmes est le facteur principal d’égalité des genres, tant sur le plan privé que public. Les comparaisons internationales montrent que les taux de fécondité se sont maintenus à des niveaux satisfaisants dans les pays où les femmes peuvent le plus facilement concilier vie professionnelle et vie familiale (pays scandinaves) et se sont effondrés dans ceux où cela est difficile (pays germaniques et méditerranéens).Le modèle de la famille à deux actifs à plein temps, avec un nombre restreint d’enfants, devient de plus en plus le modèle dominant en France. Il permet de respecter le désir d’autonomie et de carrière professionnelle des deux parents. En même temps, c’est un élément crucial de la lutte contre la pauvreté et la précarité : une famille où les deux conjoints sont actifs a un niveau de vie plus élevé ; elle ne sombre pas dans la pauvreté si l’un des conjoints perd son emploi. La femme active est moins frappée financièrement par le divorce. La prise en charge publique de la garde des enfants, l’égalisation des carrières et des rémunérations des femmes et des hommes sont donc cruciaux.

À côté de ce modèle dominant, il demeure des cas où la mère réduit ou cesse son activité professionnelle pendant la période où la famille comporte un ou plusieurs enfants en bas âge (tableaux 1 et 2). Elle peut ensuite avoir de grandes difficultés à retrouver un emploi. Il demeure des cas où le couple décide d’élever une famille nombreuse, ce qui implique que la femme renonce à travailler. Ces ménages mono-actifs sont déjà les plus pauvres. Cette organisation crée des situations de dépendance, qui peuvent se révéler dramatique pour le conjoint dépendant en cas de rupture du lien qui l’unit à son partenaire.

Le système français reconnaît la solidarité au sein des couples. Il traite équitablement les couples où l’un des conjoints travaille et où l’autre ne travaille pas, en considérant qu’ils partagent le revenu du conjoint actif (quotient conjugal), en offrant au conjoint inactif une assurance-maladie et une pension de réversion. Faut-il faire une réforme fiscale et sociale, qui rendrait beaucoup plus coûteux ce choix, ce

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qui certes pourrait réduire le nombre de femmes qui le font, mais qui dégraderait fortement la situation des familles mono-actives, qui ont déjà un niveau de vie relativement bas ? Peut-on sanctionner le non travail des femmes pour les inciter à travailler ? Alors que la France reste en situation de chômage de masse, faut-il sanctionner ceux qui ne trouvent pas d’emploi ? Le souci d’élargir l’écart de revenus entre ceux qui ont un emploi et les autres (rendre le travail rentable) risque de creuser les inégalités et de s’effectuer en baissant relativement les revenus d’assistance plutôt qu’en augmentant le revenu des familles de travailleurs pauvres.

Tableau 1 : Taux d’activité en 2006 (30-45 ans en couple)

Hommes Femmes

Sans enfant 96,2 90,0

1 enfant de plus de 3 ans 95,4 88,4

1 enfant de moins de 3 ans 97,3 82,6

2 enfants de plus de 3 ans 98,2 86,4

2 enfants dont au moins 1 de moins de 3 ans 97,1 62,6

3 enfants ou plus de plus de 3 ans 97,1 68,7

3 enfants ou plus dont 1 au moins de moins de 3 ans 96,9 37,5

Source : INSEE, 2010.

Tableau 2 : Niveaux de vie relatifs en 2008

Population en million Revenu relatif *

Hommes seuls actifs 2,4 93,9

Femmes seules actives 1,8 95,1

Femmes actives avec enfants 3,4 71,7

Femmes inactives avec enfants 0,9 54,5

Couples mono-actifs sans enfants 1,1 125,8

Couples mono-actifs avec 1 enfant 1,1 102,8

Couples mono-actifs avec 2 enfants 1,2 85,2

Couples mono-actifs avec 3 + enfants 2,4 73,0

Couples bi-actifs sans enfants 5,0 129,0

Couples bi-actifs avec 1 enfant 6,4 112,7

Couples bi-actifs avec 2 enfants 9,8 106,2

Couples bi-actifs avec 3 + enfants 4,7 100,5

Individus de moins de 65 ans 49,2 100

* Base 100 = Ensemble de la population. Source : INSEE, 2010.

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2. Les prestations en faveur des familles

Les transferts de protection sociale en faveur des familles représentaient, en 2008, 53,2 milliards d’euros, soit 2,75 % du PIB (tableau 3).

Ce chiffre résulte de nombreuses conventions : nous incluons uniquement les transferts destinés aux familles avec enfants induits par la présence d’enfants. Nous n’incluons donc pas les dépenses liées à la maternité autres que la PAJE ; nous n’incluons que les suppléments de RMI, d’API et d’allocations logement versés induits par la présence d’enfants. Le quotient familial, tant qu’il correspond aux UC, ne fait qu’appliquer le principe de l’équité fiscale familiale (voir plus bas) ; ne sont donc incluses que la demi-part supplémentaire à partir du troisième enfant, ainsi que les réductions d’impôt pour frais de scolarisation et de garde. Nous n’incluons pas les dépenses de l’école maternelle (car pourquoi ne pas inclure alors toutes les dépenses d’enseignement ?). Nous n’incluons pas les avantages vieillesse (AVPF, supplément de pension liés au fait d’avoir élevé des enfants), qui ne

Tableau 3 : La politique familiale en 2008

En milliards d’euros

Valeurs retenues Chiffrage élargi

PAJE/ Maternité 0,7 6,8

CLCA 2,3

Allocations sans conditions de ressources 21,1

dont : - Allocations familiales 12,3

- PAJE : garde 4,5

- SFT 2,5

Allocations sous conditions de ressources 10,3 10,6

dont : - API 0,3 1,0

Assistance et action sociale 9,6

Allocation logement lié à la présence d’enfant/AL total 5,4 15,5

RMI lié à la présence d’enfants / RMI total 0,9 8,5

Dépenses fiscales :

Taxe d’habitation 0,7

PPE 0,3

Quotient familial 0,7 10,0

Réduction d’impôt : - pour frais de scolarité 0,4

- pour frais de garde 0,8

Contribuables ayant eu des enfants à charge 1,7

Enseignement pré-élémentaire 12,0

Avantages familiaux retraites 9,7

Total pris en compte/Total étendu 53,2 110

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bénéficient à des retraités qui ont eu des enfants, mais pas à des familles avec enfants. Une convention plus large pourrait aller jusqu’à 110 milliards, soit 5,7 % du PIB.

Les transferts représentent donc 278 euros par mois par enfant de moins de 20 ans. Comme le fait remarquer Michel Godet, une nourrice reçoit de la DDASS 1 300 euros par enfant dont elle a la charge.

Les jeunes de moins de 20 ans représentent 25 % de la population. En utilisant l’échelle de l’OCDE, c’est 12,5 % du revenu des ménages qui devrait être fourni par des prestations familiales pour assurer aux familles avec enfants le même niveau de vie qu’aux personnes sans enfant. Or l’ensemble des prestations sous critères familiaux ne représente que 4,2 % du revenu des ménages. La parité familiale n’est pas assurée.

De 1984 à 2010, le pouvoir d’achat des allocations familiales a diminué de 3,8 % (tableau 4). La BMAF valait 33,6 % du revenu médian en 1984 ; 28,3 % en 2000 ; 25,3 % en 2009, soit, une baisse de 24,4 % en valeur relative. Sur le long terme, la dégradation est encore plus nette. Pour avoir le niveau relatif de 1954 (tableau 5), les prestations pour 2 enfants devraient être de 495 euros par mois (elles sont de 126) ; pour 3 enfants de 834 (elles sont de 451 avec le complément familial, de 287 sans complément familial). Cette dégradation marque un recul du caractère redistributif et familial du système français.

Tableau 4 : Pouvoir d’achat des Prestations

Base 100 = 1998 BMAF et API 1984 102,8 1990 101,5 1998 100 1999 100,2 2000 100,8 2001 99,2 2002 99,3 2003 99,0 2004 98,5 2005 98,9 2006 98,9 2007 99,3 2008 97,5 2009 100,3 2010 98,9

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2.1. La part des prestations familiales dans le PIB a légèrement diminué

De 1990 à 2008, la part des prestations familiales dans le PIB est passée de 2,9 à 2,6 %. La diminution relative des vieilles allocations (allocations familiales et complément familial) (tableau 6) a financé la hausse de l’ARS, du complément de libre choix d’activité et surtout du complément de libre choix de mode de garde. Les gouvernements préfèrent introduire de nouvelles mesures plutôt que de garantir le pouvoir d’achat des anciennes. La politique familiale a été appauvrie au profit de la politique de l’emploi, que ce soit pour inciter les femmes à rester au foyer, ou au contraire pour les inciter à travailler.

Tableau 5 : Prestations relativement au revenu médian

En % BMAF API 1984 33,6 51,7 1990 31,1 47,8 2000 28,3 43,5 2001 27,5 42,3 2002 26,9 41,4 2003 26,8 41,2 2004 26,8 41,2 2005 26,4 40,6 2006 25,9 39,8 2007 25,4 39,0 2008 24,8 38,1 2009 25,3 38,8 2010 24,7 37,9

Source : Calcul de l’auteur.

Tableau 6 : Part des prestations sociales dans le PIB

En % 1990 1995 2000 2008 Santé 9,1 9,7 9,7 10,3 Vieillesse 11,3 12,6 12,4 13,4 Famille-Maternité 2,9 3,1 2,9 2,6 Emploi 2,3 2,3 2,0 1,7 Logement-Pauvreté 1,0 1,3 1,3 1,2 Total 26,5 29,0 28,3 29,3

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2.2. Quelques caractéristiques du système français

La politique familiale française présente des caractéristiques discutables : – Le complément de libre choix d’activité fournit une allocation de 331 euros

par mois au parent (la femme, de fait) qui décide de se retirer du marché du travail alors que le complément de libre choix du mode de garde finance une partie importante du coût de la garde d’enfants. Le système encourage à la fois les mères à travailler et à se retirer du marché du travail. Cela peut être considéré comme un défaut (les femmes qui se retirent du marché du travail auront les plus grandes difficultés pour y revenir ; leur carrière sera durablement affectée ; cette possibilité est prise en compte par l’employeur au moment de l’embauche et nuit à l’emploi des femmes jeunes) ou une qualité : les femmes de faibles salaires peuvent choisir de ne pas travailler quand leurs enfants sont en bas-âge sans subir de pertes de revenus trop importantes. – Le système des prestations familiales, fruit de l’histoire, n’a guère de

cohérence. Les allocations familiales sont faibles ; les nouvelles allocations (ARS, PAJE) sont sous conditions de ressources, ce qui compense l’universalité des allocations familiales ; les conditions de ressources sont disparates ; le complément familial semble arbitraire (pourquoi une prestation uniforme à partir de 3 enfants et rien en dessous ? En fait, il s’agissait de compenser le fait que les mères de familles de bas revenus cessaient de travailler à partir de 3 enfants). Il n’y a pas de cohérence entre le RSA et les allocations familiales.

– Trois allocations mensuelles ont vocation à cibler les familles pauvres : le RMI-API devenu RSA, les allocations logement et la PPE. S’y ajoutent le complément familial, l’ARS, le PAJE. L’ensemble est compliqué.

– Les prestations familiales ne sont pas indexées sur les salaires, mais sur les prix. Le système perd de sa générosité au cours du temps de façon incontrôlée. L’objectif de parité horizontale est progressivement abandonné au profit du soutien à l’emploi des femmes et de la redistribution verticale.

Le système français a, de plus, deux spécificités que nous allons discuter plus longuement : les prestations ne sont pas uniformes selon le nombre d’enfants, le quotient familial.

2.3. Les prestations doivent-elles être uniformes ?

Les allocations familiales sont nulles pour le premier enfant, s’élèvent à 126 euros pour deux enfants, puis 160 euros par enfant supplémentaire. Est-il légitime que tous les enfants ne bénéficient pas de la même prestation ? Nous allons montrer que oui.

Considérons un pays où tous les adultes vivent en couple et travaillent (tableau 7). Le salaire brut, uniforme, vaut 0,5. Nous supposons qu’il y a 30 % de couples sans enfant (représentant 1’unité de consommation), 10 % de familles avec

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un enfant (1,25 uc), 30 % de familles de deux enfants (1,5 uc), 20 % de familles de trois enfants (1,75 uc) et 10 % de famille de quatre enfants (2 uc).

Le système idéal, qui assure l’équité familiale, le même niveau de vie pour les familles et les couples, comporte un taux de cotisation de 29,8 % et une prestation uniforme par enfant de 0,175. Tous les foyers ont le même revenu par unité de consommation, soit 0,702.

Imaginons que la société refuse un taux de cotisation si élevé et limite ce taux à 10 %. La prestation uniforme par enfant ne peut plus être que de 0,059. Il n’est plus possible d’égaliser les niveaux de vie des couples et des familles. Le niveau de vie d’un foyer est d’autant plus faible qu’il compte beaucoup d’enfants. L’égalité de prestations se traduit par des différences d’égalité de niveau de vie.

L’objectif peut être alors de réduire les disparités de niveaux de vie entre les familles. Dans ce cas, il faut des prestations différenciées, 0,03 par enfant pour les familles de deux enfants, 0,073 par enfant pour les familles de trois enfants, 0,095 par enfant pour les familles de quatre enfants. Les familles avec un enfant ne touchent pas de prestations, leur niveau de vie étant supérieur à celui des familles avec enfants.

La différenciation des prestations familiales selon le nombre d’enfants à charge est donc justifié : il est légitime de faire porter l’effort sur les familles nombreuses qui, sinon, auraient un niveau de vie relatif, très bas.

2.4. Famille et fiscalité

La France est le seul pays à pratiquer le système du quotient familial, qui pourtant est le seul conforme au principe de l’équité familiale horizontale. Chaque famille se voit attribuer un nombre de part, P, et est taxée comme P célibataires de revenu R/P. Ainsi, le traitement fiscal des familles ne nécessite aucun arbitrage spécifique : le

Tableau 7 : Une économie imaginaire

UC Part Sans Presta-tion Equité familiale Cotisations limitées Prestations uniformes Cotisations limitées Prestations différentiées Taux de cotisation 0,298 0,100 0,100

Prestation par enfant 0 0,175 0,059 0/0,03/0,073/0,095

Revenu par UC Couple 1 30 % 1 0,702 0,900 0,900 Famille 1 enfant 1,25 10 % 0,8 0,702 0,767 0,720 Famille 2 enfants 1,5 30 % 0,66 0,702 0,679 0,640 Famille 3 enfants 1,75 20 % 0,57 0,702 0,615 0,640 Famille 4 enfants 2 10 % 0,5 0,702 0,568 0,640

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barème des familles se déduit de celui des célibataires. Une fois en place, il fonctionne automatiquement : il n’est pas nécessaire de le rediscuter ou de l’indexer chaque année ; il est protégé des aléas de la politique budgétaire.

Le degré de redistribution assuré par le système fiscal, l’équité verticale, est déterminé par le barème, qui définit la progressivité du système fiscal ; celle-ci est la même pour toutes les catégories de ménages.

Ainsi, le quotient familial est-il une composante logique et nécessaire de l’impôt progressif. Le quotient familial ne fournit ni aide, ni avantage spécifique aux familles ; il garantit seulement que le poids de l’impôt est équitablement réparti entre des familles de taille différente, mais de niveau de vie équivalent. Le QF n’est

pas une aide arbitraire aux familles, qui augmenterait avec le revenu, ce qui serait

évidemment scandaleux.

La famille Durand avec 2 enfants paie 3 009 euros d’IR de moins que la famille Dupont (tableau 8). Est-ce un avantage fiscal de 3 000 euros ? Non, car les Dupont sont plus riches que les Durand : ils disposent de 3 000 euros par UC au lieu de 2000. Par contre, les Durand paient autant, par UC, que les Martin qui ont le même niveau de vie.

Le quotient familial tient compte de la taille des foyers ; cette prise en compte est certes discutable, mais on ne peut considérer qu’un système d’imposition qui ne tient pas compte de la taille des foyers est la norme et que tout écart à cette norme est une aide. Rien ne justifierait de faire payer le même impôt sur le revenu aux Dupont sans enfant et aux Durand avec 2 enfants, qui ont certes le même niveau de salaires, mais pas le même niveau de vie.

La société peut choisir d’accorder ou non des prestations sociales ; mais elle n’a pas le droit de remettre en cause le principe de l’équité fiscale familiale. Ce serait inconstitutionnel, contraire à la Déclaration des droits de l’homme : « Chacun doit contribuer aux dépenses publiques selon ses capacités contributives ». La loi garantit le droit des couples à se marier, à fonder une famille, à mettre en commun leurs ressources. L’impôt doit donc être familialisé et doit évaluer la capacité contributive de familles de composition différente. Par ailleurs, chacun reste libre de ne pas se marier ou se pacser et être imposé séparément. Si le législateur s’estime incapable de comparer le niveau de vie de familles de tailles différentes, il doit renoncer à la progressivité de l’impôt.

Tableau 8 : Famille et impôt sur le revenu

Revenu par mois Impôt annuel

Dupont Couple 6 000 euros 9 520 euros

Durand Couple + 2 enfants 6 000 euros 6 511 euros

Martin Couple 4 000 euros 4 340 euros

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La seule critique du système du quotient familial, socialement et intellectuellement recevable, doit donc porter sur ses modalités et non sur son principe. Les parts fiscales correspondent-elles bien aux unités de consommation (compte tenu d’une obligation de simplicité) ?

Quatre critiques principales sont faites au système du quotient familial.

1) La plus fréquente (voir la CFDT, Muet, encadré 1) est que le quotient familial est injuste car il ne profite pas aux familles les plus pauvres qui ne paient pas d’impôt. Ceci dénote une certaine incompréhension du fonctionnement du système fiscalo-social.

La politique familiale comporte un grand nombre d’instruments. Les prestations sous conditions de ressources doivent permettre d’assurer un niveau de vie satisfaisant aux familles les plus pauvres. Les prestations universelles doivent compenser, en partie, le coût de l’enfant pour les autres. La fiscalité ne peut pas aider les familles pauvres plus qu’en ne les imposant pas. Elle doit être équitable pour les autres.

Considérons un pays imaginaire. Il existe des couples pauvres dont le revenu avant impôt est de 100 et des couples riches dont le revenu est de 500. De ces couples, certains ont deux enfants ; d’autres n’ont pas d’enfants. On attribue 2 UC aux couples ; 3 UC aux familles. La société ne taxe pas les pauvres ; donne 50 aux pauvres avec enfants ; elle impose les riches de 200 s’ils n’ont pas d’enfants et le jeu du quotient familial fait que les riches avec enfants paient 100 d’impôts. Ex post, les couples pauvres ont un revenu de 100 (soit 50 par UC) ; les familles pauvres un revenu de 150 (soit 50 par UC) ; les familles riches ont un revenu de 400 (soit 133 par uc) ; les couples riches ont un revenu de 300 (soit 150 par UC). Le système est relativement satisfaisant, du point de vue familial. La parité de niveau de vie est assurée pour les plus pauvres ; les familles les plus riches ont un niveau de vie plus bas que les couples sans enfant mais la fiscalité atténue quelque peu cet écart. On pourrait souhaiter plus de redistribution entre les riches et les pauvres, mais ce n’est pas du champ de la politique fiscale. Par contre, il serait totalement inapproprié de prétendre que le système est injuste car les familles pauvres reçoivent 50 et les riches 100 ou pire, que les réductions d’impôt sont nulles pour les familles pauvres et de 100 pour familles riches. En fait, le système pris globalement donne 50 aux familles pauvres et prend 100 aux familles riches (et 200 aux couples riches).

2) La deuxième, proche de la précédente, est que le quotient familial est une aide aux familles, d’autant plus élevée que la famille est d’un revenu élevé. Mais le QF n’est pas une aide, sauf par rapport à un système d’imposition injustifiable qui ne tiendrait pas compte de la taille de la famille. Monsieur Dupont est célibataire et gagne 4 000 euros par mois ; son collègue, Martin, gagne les mêmes 4 000 euros, son épouse ne travaille pas et élève leurs trois enfants. La famille Martin n’a pas les mêmes capacités contributives que Monsieur Dupont. On ne peut considérer que la fiscalité normale impliquerait qu’ils payent le même impôt.

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3) La troisième est que le quotient familial serait inapproprié car le revenu ne serait pas obligatoirement partagé de façon équitable entre les différents membres de la famille. Pourtant, dans l’immense majorité des cas, les parents et les enfants partagent le même logement, les mêmes repas, les mêmes vacances. Considérons une famille où le père gagne 4 000 euros par mois, la femme (qui travaille à mi-temps) 1 500 euros. Cette famille a 3 enfants et touche donc 287 euros de prestations familiales. L’hypothèse de partage équitable est plus réaliste que celle selon laquelle le mari dépenserait ses 4 000 euros, la femme ses 1 500 euros et les enfants vivraient de 97 euros par mois. Par ailleurs, le plafonnement du quotient familial tient compte du fait que la partie la plus élevée du revenu ne sert pas à la consommation des enfants.

4) Le quotient familial est un élément de la familialisation de l’impôt, auquel certains reprochent de nuire au travail des femmes. L’imposition jointe égalise le taux d’imposition des deux membres du couple. Dans un couple où les salaires sont fortement différentiés, le taux marginal de la femme (supposée la moins bien rémunérée) est supérieur à celui auquel elle aurait à faire face si elle était célibataire. Ceci la découragerait de travailler et la plongerait dans la dépendance. Passer à une imposition séparée permettrait de diminuer le taux d’imposition marginal des femmes et donc augmenterait leur taux d’activité.

Nous ne reprendrons pas ici ce débat (en renvoyant à Sterdyniak, 2004). Le taux d’activité des femmes de 25-55 ans est relativement satisfaisant en France (tableau 9). Que le système fiscal français décourage le travail des femmes n’est guère apparent. Les facilités de garde (aides financières pour la garde des très jeunes enfants, écoles maternelles) permettent de concilier un fort taux d’activité et un niveau satisfaisant de fécondité.

L’augmentation de revenu disponible à la suite d’un retour au travail est beaucoup plus fort pour les femmes mariées que pour les femmes seules (qui perdent le RSA) ; beaucoup plus fort pour les couples imposables (qui ne souffrent que d’un supplément d’impôt) que pour les couples non-imposables (qui perdent les allocations logement et parfois le RSA). L’imposition séparée n’aurait donc aucun impact dans les situations où les effets désincitatifs sont les plus forts.

Dans le cas le moins favorable, une femme mariée à un homme à salaire élevé, qui reprend un emploi au SMIC est soumise à un taux d’imposition effectif de 36 % (90 % de 40 %) ; son travail lui rapporte donc 650 euros par mois, nettement plus que les 494 euros, qui restent à une femme seule ou aux 450 euros qui restent à une femme d’un couple de bénéficiaires du RSA.

L’effet quotient familial compense souvent l’effet quotient conjugal. Une femme gagnant 2 000 euros par mois est mariée à un homme qui en gagne 4 000. Sans enfant, son taux marginal d’imposition correspond certes à celui d’une célibataire gagnant 3 000 euros. Mais, si elle a deux enfants, ce taux d’imposition à celui d’une célibataire à 2 000 euros ; si elle en a trois, son taux à celui d’une célibataire gagnant 1 500 euros. Notons que c’est précisément les femmes avec

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3 enfants et plus qui réduisent leur activité (tableau 2), et, en particulier, celles de bas niveaux de salaires ; l’effet du taux d’imposition ne doit pas être si important.

L’imposition séparée a deux avantages – favoriser l’autonomie des conjoints, inciter à l’emploi des femmes – et trois inconvénients : elle signifie que l’État ne reconnaît pas la famille, elle nuit à l’équité horizontale puisque des familles à revenu global identique sont traitées différemment, elle ne permet pas une prise en compte satisfaisant des enfants.

Deux philosophies s’opposent (voir Masson, 2009) : pour les uns, la famille est obligatoirement organisée selon le modèle de l’homme dominant, de « Monsieur Gagnepain » et « Madame Aufoyer » ; il faut détruire ce modèle pour promouvoir l’égalité des genres ; la famille contribue à la reproduction des inégalités sociales ; il faut donc collectiviser la prise en charge des enfants. Pour les autres, les enfants ont besoin d’une famille ; celle-ci a évolué vers le modèle de solidarité égalitaire entre les conjoints ; la famille reste la base de la société.

Landais, Piketty et Saez (2011) prônent l’individualisation de l’impôt : « L’administration fiscale doit cesser de se soucier de qui vit en couple avec qui. D’abord, parce que cela change tout le temps et parce que l’administration fiscale n’est pas là pour récompenser ou blâmer les différentes formes de vie familiale... L’imposition conjointe des couples aboutit en pratique à traiter les femmes comme un revenu d’appoint… Le quotient conjugal fonctionne de facto comme une machine à subventionner les couples inégaux ». Mais ce point de vue moderne, « très

Tableau 9 : Taux d’activité des personnes de 25-55 ans en 2008

En %

Hommes Femmes Écart Écart en équivalent temps plein

Finlande 91,2 85,9 5,3 8,1 Suède 93,1 87,5 5,6 10,4 Danemark 93,4 86,3 7,1 11,4 France 94,5 83,2 11,3 18,2 États-Unis 90,5 75,8 14,7 19,7 Autriche 93,0 81,7 11,3 20,9 Allemagne 92,9 80,5 12,4 21,1 Royaume-Uni 91,7 78,3 13,4 23,5 Belgique 92,2 78,7 13,5 24,0 Espagne 92,6 74,7 27,9 24,0 Irlande 91,6 71,9 19,7 28,8 Pays-Bas 93,8 81,6 12,2 29,0 Italie 91,0 65,2 25,8 32,9 Japon 96,3 70,4 24,9 32,9

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rive gauche », oublie complètement les besoins des enfants. Ceux-ci ont besoin

d’une structure stable pour leur éducation (et non de parents qui changent tout le

temps de partenaire). Le système actuel laisse le choix aux couples : se marier et

mettre en commun leurs ressources ou ne pas le faire. La fiscalité ne fait que reconnaître que les personnes mariées mettent en commun leurs ressources. L’individualisation de l’impôt aboutirait au contraire à dénier aux personnes le droit de fonder une famille et de mettre en commun leurs ressources. Rien dans la législation fiscale actuelle n’autorise à dire que le revenu des femmes est considéré comme un revenu d’appoint ; il est taxé comme tout revenu supplémentaire du couple. Le quotient conjugal fait payer le même impôt aux couples de revenu total équivalent ; il ne subventionne pas les couples de revenus inégaux. En sens inverse, considérons un couple dont un de ses membres n’a pas de ressources (il est en mauvaise santé, il est chômeur en fin de droit, il élève les trois enfants en bas âge du couple) ; la fiscalité pourrait-elle imposer son conjoint sans tenir compte du niveau de vie effectif du couple, sans tenir compte du fait que, prenant en charge son conjoint sans ressources, il fait économiser à la société des prestations d’assistance ?

Notons enfin que le système du quotient familial profite aux enfants et à leurs parents (généralement des actifs de 30 à 55 ans). Sa suppression, compensée par une baisse des taux d’imposition, comme l’a proposé, par exemple, la fondation Terra Nova, profiterait aux célibataires et aux couples aisés, donc aux plus de 55 ans.

2.5. De quelques caractéristiques du modèle français

Le plafonnement des avantages du quotient familial à 2 301 euros par demi-part

en 2010 (192 euros par mois) concerne les familles avec 2 enfants ayant un revenu égal ou supérieur à 6 720 euros par mois.

Le plafonnement est en soi justifié : à partir d’un certain niveau, le revenu n’est plus utilisé pour les dépenses des enfants. Mais le montant du plafond est arbitraire ; il peut encore être abaissé demain, comme il l’a été en 1999 quand le gouvernement Jospin avait réduit de 33 % le montant du plafond de l’avantage résultant du quotient familial ; en 2000 et 2001, ce plafond a été revalorisé de 14 % au total. Depuis, il suit l’inflation, et non le salaire ou le revenu moyen. Il serait préférable que le niveau du plafond soit fixé selon une règle précise et justifiable.

Certains avantages donnés aux ménages peuvent être considérés comme des

dispositifs dérogatoires (autrement dit des dépenses ou niches fiscales). Ce n’est pas le

cas de la demi-part par enfant à charge, ni de la demi-part supplémentaire pour les célibataires avec enfants, ni de la déductibilité des pensions alimentaires, toutes les trois correspondent à des charges effectives. La question se pose pour la part supplémentaire à partir du troisième enfant (qui coûte 550 millions d’euros) et qui ne correspond pas, selon l’INSEE ou l’OCDE, à un nombre supplémentaire d’UC (voir encadré 2) et pour la non-imposition des prestations familiales. Ces dispositifs favorisent les plus riches parmi les personnes considérées. Ils sont donc contestables.

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Certains dispositifs ne sont pas familiarisés et désavantagent donc les familles. C’est en particulier le cas de la décote pour les bas revenus. Aussi, le seuil de revenu imposable est, en prenant comme base 2 pour un couple, de 1,30 pour un célibataire (au lieu de 1 dans le logique du quotient familial) ; de 2,67 pour un couple avec 2 enfants (au lieu de 3) ; de 4,07 pour un couple avec 4 enfants (au lieu de 5). Les célibataires pauvres sont plus facilement non-imposables que les familles ; ceci compense le fait que les « vrais » célibataires sont défavorisés par le barème de l’impôt.

La Prime pour l’emploi est très peu familiarisée : en 2010, un couple à 2 fois le

SMIC avait droit à 1 921 euros ; deux enfants à sa charge lui donne un supplément de 72 euros (3,7 % au lieu de 50 %). C’est le risque de mettre la rentabilité de l’emploi au centre du dispositif.

Encadré 2 : La notion d’unité de consommation

La méthode généralement utilisée pour comparer le niveau de vie des ménages de composition différente est de définir une échelle d’équivalence, c’est-à-dire d’attribuer à chaque type de famille un certain nombre d’unités de consommation. Soit une famille de type, on dira qu’elle comporte Un unités de consommation, si on estime qu’elle a besoin d’un

revenu de UnX pour avoir le même niveau de vie qu’une personne seule de revenu. Toutefois,

l’évaluation des Un pose de nombreux problèmes.

Cette méthode n’a aucun fondement théorique puisqu’on ne peut comparer en toute rigueur la fonction d’utilité d’un individu et celle d’une famille. D’une part, le concept même de fonction d’utilité d’une famille est difficile à définir : faut-il se limiter à l’utilité des parents ? D’autre part, avoir des enfants modifie la fonction d’utilité d’un individu, aussi ne peut-on faire l’hypothèse d’une quelconque comparabilité entre la fonction d’utilité d’un individu isolé et celle d’un parent.

Sur le plan empirique, les difficultés ne sont pas moindres : les goûts, les besoins et le type de dépenses des familles et des personnes sans enfant diffèrent ; le nombre d’UC dépend de l’âge des enfants et augmente donc, en moyenne, quand l’âge d’autonomie des enfants s’élève ; il est plus faible dans les pays où les dépenses pour les enfants sont peu prises en charge collectivement. Enfin, la question cruciale de la sensibilité de l’échelle d’équivalence au niveau de revenu reste ouverte : faut-il considérer que plus une famille est riche, plus la part des dépenses consacrée aux enfants est faible ? Comment traiter l’épargne de la famille, qui peut avoir comme but de permettre d’installer les enfants ou de leur laisser un héritage ?

Devant ces difficultés, certains théoriciens ont proposé de renoncer à la notion d’échelle d’équivalence. Mais le législateur est bien obligé quand il définit le barème des prestations (par exemple du RSA ou des allocations logement) ou celui des impôts de faire des comparaisons de niveau de vie entre des familles de taille différentes. Il doit donc s’appuyer sur des règles simples, transparentes et basées autant que faire se peut sur les besoins révélés par les enquêtes sociologiques.

Plusieurs estimations de l’échelle d’équivalence ont été proposées. L’échelle de l’OCDE est celle généralement utilisée aujourd’hui. Elle attribue 1 au premier adulte, 0,5 au second adulte et aux enfants de plus de 14 ans ; 0,3 aux enfants de 0 à 14 ans. Cette échelle est constante avec le revenu, ce qui suppose que le coût des enfants augmente comme le revenu de la famille. L’échelle d’équivalence implicite au système du quotient familial est approximativement conforme à cette échelle quant au traitement relatif des couples sans

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enfant et des familles avec un et deux enfants (tableau). Il est plus légèrement plus favorable pour les familles de 3 enfants (leur donnant 4 parts au lieu de 3,4) et surtout pour les familles plus nombreuses (les familles de 5 enfants ayant droit à 6 parts au lieu de 4,4). Par contre, il désavantage les « vrais » célibataires (ceux qui vivent seuls), qui ont 1 de part fiscale au lieu de 1,33 selon l’échelle d’Oxford. Ceci est inévitable si on ne veut pas décourager le mariage, puisque le fisc n’a pas les moyens de distinguer les vrais célibataires (qui devraient avoir 60 ou 75 % du quotient des couples mariés) des cohabitants (dont chacun devrait avoir 50 % du quotient des couples mariés). La taxation séparée des époux aboutit au même désavantage que celle des vrais célibataires.

2.6. D’autres systèmes fiscaux

Les seize pays étudiés tiennent compte de façon différenciée des enfants dans le calcul de l’impôt sur le revenu (tableau 10) :

– Six pays ne tiennent pas compte de la présence des enfants. Les familles avec enfants sont donc surtaxées par rapport aux couples et aux célibataires. – Dans les pays qui utilisent les abattements, l’enfant est considéré comme une

charge d’un coût donné, que le couple (ou l’un des parents) a le droit de retirer de son revenu. Le montant de l’abattement est généralement très faible (7 % du revenu du salarié moyen au Japon).

– Le système du crédit d’impôt n’obéit lui à aucune logique. Si le crédit d’impôt n’est pas remboursable, il constitue un supplément d’allocations familiales réservé aux plus riches. S’il l’est, il fait double emploi avec les allocations familiales. Certains pays (Allemagne, Autriche) ont donc remplacé les allocations familiales par un crédit d’impôt remboursable faisant ainsi disparaître la distinction entre impôt et prestation. Dans certains pays (Italie, États-Unis), le crédit d’impôt décroît avec le revenu, ce qui ne permet pas un traitement fiscal satisfaisant des enfants.

Le système du quotient familial reconnaît que les enfants des familles aisées ont un niveau de vie satisfaisant et qu’ils doivent donc être imposés.

Tableau : Échelles d’équivalence

. Échelle de l’OCDE* Quotient familial RSA

Personne seule 1,33 1 1,33

Personne seule et 1 enfant 1,8 2 2

Personne seule et 1 enfant 2,35 2,5 2,4

Couple sans enfant 2 2 2

Couple et 1 enfant 2,45 2,5 2,4

Couple et 2 enfants 2,9 3 2,8

Couple et 3 enfants 3,35 4 3,33

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Si le système français est satisfaisant dans ses principes, il ne l’est pas quant au résultat final. D’une part, le montant des allocations familiales est trop faible (en particulier, nous le verrons, pour les familles de bas revenus, un ou deux enfants). D’autre part, le poids de l’impôt sur le revenu, le seul impôt familialisé, est trop faible : 2,6 % du PIB en 2008 contre 4,8 % pour la CSG et 10,4 % dans la moyenne de l’UE15.

En moyenne, les familles sont plus pauvres, en revenu par tête, que les couples ou les célibataires. Aussi, sont-elles gagnantes quand l’impôt est progressif ; perdantes quand il est proportionnel. Augmenter le poids de l’IR par rapport à celui de la CSG rendrait le système plus progressif et plus familial.

La fusion IR/CSG peut être la meilleure comme la pire des réformes (voir Allègre, Cornilleau et Sterdyniak, 2005). La fusion pourrait rendre le système plus progressif et plus familialisé si la CSG était considérée comme un acompte de l’IR. Le risque est que l’on passe à un système de retenue à la source, moins précis, moins familialisé (comme le propose Landais, Piketty et Saez, 2011).

Tableau 10 : Traitement fiscalo-social des enfants dans quelques pays de l’OCDE en 2009

En % du revenu disponible d’un célibataire au salaire moyen

Réduction d’impôt* Allocations familiales*

Allemagne Crédit d’impôt remb. 18,0 0

Autriche Crédit d’impôt remb. 18,6 0

Belgique Crédit d’impôt 4,2 15,5

Danemark Pas pris en compte 0 10,2

Finlande Pas pris en compte 0 9,3

France Quotient Familial 2,5 6,3

Grèce Abattement 1,2 0

Irlande Pas pris en compte 0 12,7

Italie Crédit d’impôt 6,8 5,1

Pays-Bas Pas pris en compte 0 6,2

Portugal Crédit d’impôt 2,8 5,0

Espagne Crédit d’impôt 0,8 0

Suède Pas pris en compte 0 9,9

RU Pas pris en compte 0 6,9

États-Unis CI remb. et abattement 10,0 0

Japon Abattement 1,5 3,0

Note : Voir une analyse beaucoup plus complète dans Fagnani et al. (2009). Leurs études de cas montrent que la France aide relativement peu les familles à un enfant, mais aide beaucoup les familles nombreuses, ce qui peut se justifier, comme nous l’avons vu, par le souci d’égaliser le niveau de vie ex post des familles.

* Le couple gagne 133 % fois le salaire moyen.

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3. Un bilan de la politique familiale française

Le bilan de la politique française est mitigé. La politique familiale redistribue certes des sommes importantes, mais celles-ci restent trop faibles pour assurer la parité familiale. Nous allons utiliser deux méthodes pour effectuer cette comparaison.

3.1. Les données globales

Le niveau insuffisant des prestations familiales explique que les moins de 18 ans ont en moyenne un niveau de vie plus bas que la moyenne de la population (tableau 11). Ceci pèse aussi sur le niveau de vie de leurs parents (les 30-49 ans comparé aux 50-59 ans).

Le taux de pauvreté est donc plus important parmi les enfants et les jeunes que parmi les actifs et les retraités (tableau 12). Les enfants vivent avec des parents potentiellement actifs, que la société refuse de trop aider s’ils sont sans emploi pour ne pas les désinciter à trouver un emploi. Le RSA socle ne sort pas ses bénéficiaires de la zone de pauvreté, contrairement au minimum vieillesse. Ceci augmente le taux de pauvreté des enfants.

Le taux de pauvreté plus élevé des enfants est une caractéristique générale en Europe : seuls le Danemark et la Finlande y échappent (tableau 13).

Tableau 11 : Niveau de vie relatif selon l’âge

Niveau de vie moyen Niveau de vie médian

1996 2008 1996 2008 Ensemble 100 100 100 100 Moins de 18 ans 90,9 91,1 90,7 93,4 18 à 29 ans 83,0 89,5 93,6 95,2 30 à 39 ans 98,7 98,3 100,9 101,0 40 à 49 ans 106,8 101,6 107,7 103,5 50 à 59 ans 119,3 115,9 117,2 114,5 60 à 69 ans 107,1 114,4 106,0 106,7 70 ans ou plus 102,6 99,2 101,0 94,0

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Tableau 12 : Taux de pauvreté à 60 % en 2008

Ensemble 13,0

Moins de10 ans 17,1

De 10 à 19 ans 18,1 20 à 24 ans 20,1 25 à 29 ans 12,4 De 30 à 39 ans 11,0 De 40 à 49 ans 11,6 De 50 à 59 ans 10,8 De 60 à 69 ans 7,8 De 70 à 79 ans 10,1 80 ans et plus 13,8

Source : INSEE, Enquête Revenus fiscaux et sociaux 2008.

Tableau 13 : Taux de pauvreté en Europe au seuil de 60 % en 2008

Total 0-18ans 18-24 ans

UE15 16 19 20 Danemark 12 9 34 Finlande 14 12 26 Pays-Bas 11 13 20 Suède 12 13 27 Autriche 12 15 11 Allemagne 15 15 20 France 13 17 20 Belgique 15 17 17 Irlande 16 18 14 Portugal 18 23 18 Grèce 20 23 23 Royaume-Uni 19 23 19 Espagne 20 24 20 Italie 19 25 21 Source : Eurostat, 2010.

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3.2. La méthode des cas-types

Le tableau 14 permet de comparer le niveau de vie, après prestations et impôts, d’un couple sans enfant et le niveau de vie avec 2 ou 3 enfants. Il peut être lu de deux façons :

– Soit, on regarde les gains nets par enfant, en y incluant la réduction d’IR. Ils dépendent fortement du nombre d’enfants : il semble que les enfants de familles nombreuses procurent un gain plus important. Les gains présentent une courbe en U. Il y a un trou pour les familles de revenu faible ou moyen (1,5 à 5 SMIC) de un ou de deux enfants. Le RSA activité devrait augmenter fortement l’aide pour les familles à 1 ou 2 enfants, gagnant le SMIC ou 1,5 SMIC. Selon ce point de vue, l’effort doit porter sur les familles, à 1 ou 2 enfants, des classes populaires et moyennes ; on peut économiser sur les aides aux familles de revenus supérieurs, en particulier aux familles nombreuses. – Soit on compare les niveaux de vie des familles selon leur nombre d’enfants.

Dans ce cas, il apparaît que la parité des niveaux de vie entre familles et personnes sans enfant est assurée au niveau du RMI et du SMIC. Pour les salariés de 1,5 à 10 SMIC, le niveau de vie est toujours une fonction décroissante du nombre d’enfants : au-delà de 1,5 SMIC, les familles prennent donc en charge une partie du coût de l’enfant. Il n’y a aucune raison de donner plus aux familles avec 1 enfant et moins aux familles nombreuses. Le niveau de vie relatif des familles par rapport aux couples décroît quand le revenu primaire diminue. Il n’y a plus de courbes en U. La parité familiale est d’autant moins assurée que la famille a un revenu important.

Tableau 14 : Niveau de vie d’un couple selon le nombre d’enfants et la situation professionnelle en euros par mois par UC en 2009

Personne 1 RSA SMIC 3 SMIC SMIC 2 SMIC 3 SMIC 6 SMIC Personne 2 Inactif Inactif ½ SMIC SMIC 1 SMIC 2 SMIC 4 SMIC

Sans enfant 616 915(888) 1 156 1 485 1 972 3 144 5 648 1 enfant 616 909 (803) 1 039 1 263 1 673 2 687 4 812 Gain1 184 264(125) 137 46 54 121 190 Revenu relatif 2 99,9 99,4(90,5) 89,9 85,0 84,9 85,5 85,2 2 enfants 632 892(797) 1 007 1 186 1 520 2 393 4 274 Gain1 202 251(176) 191 117 117 155 252 Revenu relatif 2 102,6 97,5(89,8) 87,1 79,9 77,1 76,2 75,7 3 enfants 665 900(890) 1 037 1 200 1 466 2 219 3 958 Gain1 217 273(272) 288 256 208 205 360 Revenu relatif 2 105,8 98,4(100,2) 93,6 84,0 75,7 70,6 70,5

1. Gain par enfant ; 2. Revenu par UC relativement à celui du couple sans enfant : 3. Les chiffres entre paren-thèses représentent les non-requérants au RSA activité.

(25)

Les familles avec enfants ont toujours un niveau de vie nettement plus bas que les couples sans enfant. Encore, ne tient-on pas compte du fait qu’avoir trois enfants ou plus oblige souvent la femme à réduire son activité ou même à la cesser.

Au-delà d’un revenu de 2 fois le SMIC, les familles à 3 enfants sont celles qui ont le niveau de vie relatif le plus bas. Supprimer la demi-part supplémentaire dont elles bénéficient peut se justifier au nom de la lutte contre les « niches fiscales », mais pas du point de vue de la parité horizontale familiale. Il en va de même pour la non-imposition des prestations familiales. Ces deux dépenses fiscales compensent la faiblesse des prestations familiales pour les revenus moyens.

Ces résultats dépendent de l’hypothèse faite sur l’échelle d’équivalence, en particulier de celle selon laquelle le nombre d’unités de consommation ne dépend pas du niveau de revenu. Toutefois, les écarts avec la parité familiale sont supérieurs à l’incertitude.

Globalement, la redistribution est plus forte chez les familles que chez les couples sans enfant : le rapport des revenus disponibles entre un couple qui gagne 1 fois le SMIC et un couple qui en gagne 10 est de 6,2 s’ils n’ont pas d’enfant ; de 4,8 s’ils ont 2 enfants ; de 4,4 s’ils en ont 3. L’existence du quotient familial ne réduit pas la progressivité du système fiscalo-social pour les familles nombreuses (tableau 15).

Soit les familles perçoivent l’allocation logement, soit elles payent l’impôt sur le revenu, donc sont soumises à un transfert progressif. Le gouvernement dispose des instruments nécessaires.

Il est absurde de reprocher au quotient familial de ne pas bénéficier aux familles les plus pauvres : les plus pauvres bénéficient tous de leur non-imposition et des prestations spécifiques (allocation logement, complément familial) aident ceux qui ne sont pas imposables.

Le RSA activité améliore nettement la situation relative des familles de travailleurs pauvres avec 1 ou 2 enfants ; il comble le trou en termes de niveau de vie qui existait pour ces familles, qui ne bénéficiaient pas du complément familial. Mais il a deux défauts. Les chômeurs de faible allocation chômage avec 1 ou 2 enfants ne

Tableau 15 : La distribution des revenus est plus égalitaire chez les familles

10*SMIC/RSA socle 10*SMIC/1*SMIC

0 enfant 9,2 6,2

1 enfant 7,8 5,3

2 enfants 6,8 4,8

3 enfants 6,0 4,4

4 enfants 5,7 4,2

(26)

bénéficient pas du RSA activité. Le trou subsiste donc pour eux. La création du RSA activité a diminué le taux de remplacement net pour les salariés à bas salaires puisque la perte de l’emploi provoque la perte de RSA. Il faudrait que les allocations chômage aient le même statut que les salaires dans le calcul du RSA. Le nombre des non-recourants reste très fort : en juin 2010, il n’y avait que 620 000 bénéficiaires sur 1,7 million prévu. Ceci tient au caractère spécifique du RSA, dont le statut est ambigu. Est-ce un droit pour les personnes de faibles revenus ? Ou n’est-ce qu’une prestation temporaire accordée après examen aux personnes qui ne peuvent se faire aider par leurs familles et qui veulent travailler plus. Une famille avec deux enfants où l’homme est au SMIC et la femme ne souhaite pas travailler peut hésiter à demander le RSA de peur d’être soumise à des contrôles ou à des pressions.

Nous l’avons dit, le bilan est mitigé. D’une part, la parité familiale n’est pas assurée pour la quasi-totalité des salariés : les familles avec enfants ont un niveau de vie inférieur aux personnes sans enfant. D’autre part, le système fournit des masses relativement importantes aux familles ; il assure la parité familiale pour les bas revenus, une aide sensible pour les familles de salariés à bas salaires, aide qui se réduit en proportion quand le revenu augmente. À aucun niveau de revenu, il n’apparaît de façon évidente de familles trop avantagées ou trop surchargées.

3.3. Réponses à quelques critiques sur la politique familiale française

– De façon générale, il nous semble que le système fiscalo-social doit viser plus la redistribution que les incitations. L’accent mis sur les incitations est un prétexte pour réduire la redistributivité du système. Il est difficile de prétendre que le quotient familial induit des taux marginaux de prélèvements trop élevés qui nuisent à l’emploi des femmes sans devoir reconnaître que le taux marginal maximum de 41 % nuit à l’emploi en général. Les pays scandinaves où les taux d’imposition marginaux sont les plus élevés montrent que ceux-ci ne sont pas nuisibles à l’emploi s’ils financent des services publics de qualité.

– Quelle que soit l’opinion que l’on peut avoir sur l’utilité des familles nombreuses, les enfants de ces familles ne sont pas responsables du choix de leurs parents. Ils ont droit à un niveau de vie satisfaisant. Aussi, la proposition de Yves Cochet de les faire vivre dans la misère pour punir leurs parents de les avoir fait naître (voir encadré 1) n’est pas acceptable.

– Les hautes administrations financières préconisent le ciblage des prestations familiales. Les prestations d’assistance sont mieux ciblées (donc moins coûteuses). Le ciblage conduirait à remettre en cause l’universalité des allocations familiales et le quotient familial. En 1997, le gouvernement Jospin avait mis les allocations familiales sous conditions de ressources, avant de devoir y renoncer sous la pression des associations familiales. On retrouve cet objectif dans le rapport Attali ou la Revue Générale des Politiques Publiques (voir encadré 1). La politique familiale deviendrait ainsi une annexe de la politique sociale.

(27)

Le but des partisans du ciblage n’est pas de mieux aider les familles les plus pauvres, mais de faire des économies en matière de prestations sociales. Ils ne proposent pas un vaste plan d’aide aux enfants pauvres qui pourrait à la rigueur justifier la baisse des revenus des familles des classes moyennes ou aisées.

Comme le montre le tableau 14, ce sont les classes moyennes qui connaissent la perte de pouvoir d’achat relative la plus forte en élevant des enfants. Faut-il une réforme qui diminuerait encore leur situation relative ?

Les prestations ciblées sont socialement fragiles et font courir le risque d’une société à deux vitesses : ceux qui paient et ceux qui reçoivent. Les prestations pour les pauvres sont de pauvres prestations.

L’exigence aujourd’hui devrait être d’augmenter, et non de réduire, l’effort de la Nation pour les enfants.

– Peut-on imaginer une réforme qui rende notre système parfaitement égalitaire, qui ne bénéficie pas aux plus riches ? Supprimons les allocations familiales et toutes les prestations sous conditions de ressources (CF, ARS, API, ASF) qui représentent 40 milliards d'euros ; supprimons le RSA (8 milliards d'euros) ; supprimons les allocations logement (16 milliards d'euros). Nous pourrons alors supprimer les cotisations familles (30 milliards d'euros) et l'impôt sur le revenu, injuste en raison du quotient familial (55 milliards d'euros).

Reste à trouver 21 milliards d'euros. Chaque adulte pourrait payer un impôt forfaitaire de 360 euros par an ; chaque enfant 180 euros. Le système sera alors parfaitement égalitaire. Par rapport au système actuel, les familles de 2 enfants actuellement au RSA perdront 1 420 euros par mois, celles de revenu égal à 2 fois le SMIC perdront 430 euros par mois, celles de revenu égal à 10 fois le SMIC gagneront 2 100 euros par mois. Ne regretterons-nous pas alors notre système

inégalitaire, que dénoncent les auteurs de l’encadré 1 ?

– Chauffaut et Paris (2008) ne s’indignent pas de la baisse du pouvoir d’achat relatif des prestations familiales. Les auteurs proposent de réduire les transferts monétaires en faveur des familles, les économies ainsi réalisées pouvant être utilisées

pour étendre les services de garde aux jeunes enfants ou pour améliorer les services éducatifs, en particulier vers les enfants en difficulté. Elles proposent de supprimer les actuelles allocations familiales, le complément familial et le quotient familial. Une partie des sommes ainsi dégagées servirait à financer un service public d’aide aux études des enfants des familles pauvres. Le reste financerait une allocation forfaitaire fixe pour chaque enfant, complétée le cas échéant par une prestation sous conditions de ressources pour les familles nombreuses. Ces propositions ne sont pas acceptables. Les familles ont actuellement un niveau de vie plus bas que les personnes sans enfant. C’est particulièrement vrai pour les familles nombreuses. On ne peut financer une réforme en creusant encore cette disparité. Certes, il faut augmenter les moyens de l’Éducation nationale pour mieux aider les enfants et les adolescents en difficulté scolaire ou sociale ; certes il faut développer la garde des enfants ; certes, il faut un effort massif (en matière d’éducation, mais aussi d’équipements collectifs et sociaux)

Figure

Tableau 2 :  Niveaux de vie relatifs en 2008
Tableau 4 : Pouvoir d’achat des Prestations
Tableau 5 : Prestations relativement au revenu médian
Tableau 7 : Une économie imaginaire
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