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Frontières poreuses : cosmopolitisme, plurilinguisme et traduction dans «O Cidadán» d’Erín Moure et «My Paris» de Gail Scott

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Academic year: 2021

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(1)Frontières poreuses : cosmopolitisme, plurilinguisme et traduction dans O Cidadán d’Erín Moure et My Paris de Gail Scott. Mémoire de maîtrise Sous la direction de Professeure Catherine Leclerc. Par Julie Côté Département de langue et littérature françaises Université McGill Août 2014 .

(2) Résumé Ce mémoire propose d’étudier le message cosmopolite de deux œuvres expérimentales, soit le recueil O Cidadán d’Erín Moure et le roman My Paris de Gail Scott. Bien que le cosmopolitisme ne soit explicitement conceptualisé dans aucune de ces œuvres, on y retrouve des réflexions sur le rapport entre l’universel et le particulier qui rappellent les formes de cosmopolitisme élaborées par les penseurs contemporains Kwame. Anthony. Appiah. (rooted cosmopolitanism),. Michael. Cronin. (micro-. cosmopolitisme) et Bonnie Honig (cosmopolitisme démocratique). On abordera également la manière dont ce message cosmopolite, qui dans les deux cas s’ancre dans le particulier, se traduit dans la forme de chacune des deux œuvres, dans leur plurilinguisme et dans leur rapport à la traduction. Alors que chez Moure on trouve une volonté de s’extraire des schèmes nationalistes essentialistes, on voit chez Scott une critique de l’effet homogénéisateur sur la différence qu’a le républicanisme français. L’expérience de lecture des deux œuvres fait écho aux réflexions qu’elles proposent en amenant les lecteurs à remettre en question leurs habitudes de lecture. Néanmoins, cette expérience n’est pas à la portée de tous, car leur niveau de difficulté élevé compromet leur accessibilité. En ce sens, malgré leur visée particulariste, les deux œuvres reproduisent certains des schèmes universalistes qu’elles critiquent, entre autres parce qu’un haut niveau d’instruction est nécessaire pour comprendre le message qu’elles portent et qu’en ce sens elles excluent certaines formes de différence. La tentative de renouveler les formes et les modèles de pensée comporte ainsi un risque élitiste qui contredit en partie le cosmopolitisme particulariste mis de l’avant dans O Cidadán et dans My Paris.. Mots-clés : cosmopolitisme, plurilinguisme, traduction, écriture expérimentale, littérature anglo-québécoise, Erin Mouré, Gail Scott. . .

(3) Abstract This thesis explores the cosmopolitan message found in two works of experimental writing, the poetry collection O Cidadán by Erín Moure and the novel My Paris by Gail Scott. While these works do not explicitly conceptualize cosmopolitanism, the reflection on the relation between the particular and the universal found in both of them evokes the concept of cosmopolitanism as it is theorized by Kwame Anthony Appiah (rooted cosmopolitanism), Michael Cronin (micro-cosmopolitanism) and Bonnie Honig (democratic cosmopolitanism). We also aim to study how their particularist approach to cosmopolitanism impacts the genre, the multilingualism and the discourse on translation specific to each work. While Moure seeks to rid citizenship of essentialist nationalist thinking, Scott criticizes French republicanism for its homogenizing effect on difference. Moreover, both works create reading experiences that encourage their readers to question their own reading practice, an effect that can be associated with the reflection on cosmopolitanism that is at their core. However, reading O Cidadán and My Paris is not accessible to everyone, as the difficulty both texts present makes them hard to comprehend, even partially. The fact that a high level of instruction is required to decipher these texts makes them exclusive and therefore reproduces some of the universalist schemes Moure and Scott both criticize. The attempt at producing a different way of thinking entails an elitist tendency that somehow contradicts the particularist approach to cosmopolitanism present in O Cidadán and My Paris.. Key words: cosmopolitanism, multilingualism, translation, experimental writing, AngloQuébec literature, Erin Mouré, Gail Scott. . .

(4) Remerciements J’aimerais remercier Catherine Leclerc d’avoir accepté de diriger ce mémoire et d’avoir cru en ce projet, même lorsqu’il ne semblait pas très prometteur. De même, je tiens à remercier le Département de langue et littératures françaises de l’Université McGill pour le soutien financier, mais également pour toutes les expériences très formatrices qui m’ont été présentées au fil des années. Je ne remercierai jamais assez Jim Gordon. Pour les relectures, l’aide avec certains concepts philosophiques, les conseils et les conversations qui ont fait avancer mes idées ainsi que pour tout le reste, mille mercis. Merci à André Côté, Johanne Robitaille et Marie Côté pour leur présence et leurs encouragements. Je remercie également Josée Bernier, dont l’aide m’a permis de passer à travers plusieurs étapes difficiles. Enfin, même s’il peut sembler bizarre de le faire, je tiens à exprimer ma sincère gratitude aux deux auteures que j’ai eu la chance d’étudier dans le cadre de ce mémoire, Gail Scott et Erín Moure. Leur travail continue de m’habiter et a grandement contribué à former ma pensée, ce pour quoi je leur suis redevable.. . .

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(19) . Introduction Le recueil de poésie O Cidadán d’Erín Moure1 et le roman My Paris de Gail Scott sont des œuvres expérimentales qui appartiennent à la fois à la littérature angloquébécoise et à la littérature féministe québécoise. Cette appartenance à différents milieux littéraires transparaît dans les écrits des deux auteures que nous étudierons ; on y ressent la difficulté des sujets écrivant à se définir par rapport aux sociétés et au lieu géographique où ils se situent, car ils ne s’identifient pas qu’à un seul groupe ou à un seul endroit. Plutôt, leur identité est floue, morcelée et multiple, similairement aux œuvres qui ne cadrent pas dans les catégories littéraires habituelles, autant en ce qui a trait au genre qu’à la langue. Publiés à quelques années d’écart, ces deux titres, plutôt différents de par leur facture et de par l’expérience de lecture qu’ils produisent, présentent néanmoins bon nombre de caractéristiques communes qui méritent qu’on s’y attarde. L’éclatement des genres littéraires, entre autres, se fait frappant à la lecture, tout comme le plurilinguisme qu’ils présentent tous deux, lequel vient subvertir la langue principale des deux textes, l’anglais. Mais plus que tout, la similitude dans le propos tenu dans les deux œuvres est criante; la critique du modèle nationaliste qu’on y trouve se traduit autant dans O Cidadán que dans My Paris en une visée cosmopolite surtout implicite, puisqu’on ne fait directement référence au cosmopolitisme qu’une seule fois dans chacune des œuvres. Également, les messages qui y sont véhiculés font écho aux formes de cosmopolitisme développées dans les dernières décennies par plusieurs penseurs. Ainsi, une proximité idéologique se dessine entre les œuvres des deux auteures, ce qui peut expliquer que ces dernières soient souvent associées l’une à l’autre dans le.  1. Au fil des ans, Moure a beaucoup joué avec la graphie de son nom, l’écrivant Erin Mouré, Erín Moure et Eirin Moure. Dans le cadre de ce travail, nous utiliserons surtout la graphie Erín Moure d’une part parce que c’est celle utilisée sur la couverture d’O Cidadán et, d’autre part, par respect pour la démarche de l’auteure. Le protocole de présentation que nous suivons pour les notes de bas de page et la bibliographie est celui du Département de langue et littérature françaises de l’Université McGill, disponible au http://litterature.mcgill.ca/protocole_travaux.html.. . *.

(20) discours critique2. Pourtant, leurs œuvres n’ont jamais été analysées en parallèle, et elles sont par ailleurs généralement étudiées sous des angles différents. Par exemple, certains critiques ont déjà fait état de la visée cosmopolite d’O Cidadán3, alors que très peu ont étudié le plurilinguisme de l’œuvre. Du côté de My Paris, les usages linguistiques en ont été abondamment étudiés, mais le cosmopolitisme n’a pas retenu l’attention des critiques. L’absence d’études se penchant sur les liens entre ces deux œuvres – qui possèdent tant de points communs, notamment dans leur articulation du plurilinguisme et du cosmopolitisme – justifie l’entreprise de ce mémoire. Notre objectif, dans le cadre de ce travail, est de montrer l’incidence de la pensée cosmopolite thématisée dans O Cidadán et My Paris sur les usages linguistiques, qui englobent également le discours sur la traduction, ainsi que sur les genres littéraires du roman et de la poésie. Plus précisément, nous avancerons que les formes de plurilinguisme et d’hybridité générique présentées dans les deux textes à l’étude servent à illustrer et à mettre en pratique le cosmopolitisme articulé dans chacun des titres. À l’instar du cosmopolitisme présenté dans ces œuvres qui visent à rendre poreuses les frontières nationales, le plurilinguisme et l’hybridation des genres littéraires poussent la réflexion plus loin en cherchant à extraire les langues et les genres littéraires de certains schèmes qui sont à la base de la pensée nationaliste. Néanmoins, bien que les articulations du cosmopolitisme présentées dans les deux œuvres soient issues d’une racine commune sur le plan de l’idéologie, reposant dans les deux cas sur une critique de certains fondements de la pensée nationaliste (souvent abordée sous le couvert du républicanisme français dans My Paris et du fascisme dans O Cidadán), la manière d’approcher la question diffère considérablement d’une œuvre à l’autre; chez Moure, le sujet écrivant se fait incitatif et revendicateur, alors que celui de Scott est contemplatif et impuissant. Qui plus est, le plurilinguisme, à la fois exhibé et thématisé dans les deux textes, s’y présente différemment ; il est morcelé chez Moure, où plusieurs langues sont abruptement incorporées à l’anglais, alors qu’il apparaît plus filé . 2. Voir Linda Leith, Writing in the Time of Nationalism. Frome Two Solitudes to Blue Metropolis, Winnipeg, Signatures Edition, p. 107-108, ainsi que « Zones de contact » par Catherine Leclerc et Sherry Simon, dans Voix et images, vol. XXX, no. 3 (90), printemps 2005, p. 21. 3 Voir L. Moyes, « “Global/Local” : Montréal dans la poésie de Robyn Sarah, Mary di Michele et Erin Mouré ».. . +.

(21) dans le récit de Scott, où seul le français vient subvertir la langue anglaise. Le discours sur la traduction se présente comme inhérent à la réflexion sur le plurilinguisme dans My Paris, car la juxtaposition des deux langues y crée des effets de traduction4. Chez Moure, en revanche, soit la traduction est un synonyme de « lecture », soit elle est perçue comme une tâche qui peut s’avérer dommageable si elle vise à annihiler la particularité de la culture de départ. Quant à l’hétérogénéité générique des deux œuvres, le fait qu’elles appartiennent à deux genres différents, la poésie pour O Cidadán et le roman pour My Paris, produit forcément des résultats distincts. Pourtant, la réflexion sur le genre littéraire, plus développée chez Scott, est similaire chez les deux auteures à plusieurs égards, ce que nous serons amenés à constater. Avant de nous lancer dans l’analyse du corpus, nous effectuerons dans notre premier chapitre une étude du cosmopolitisme tel qu’il est articulé dans les œuvres de Moure et de Scott, ce qui implique que nous fassions un survol historique de cette notion que nous nous arrêtions sur la relation qu’elle entretient avec le nationalisme, qui est souvent présenté comme son antipode. Le cosmopolitisme des deux auteures conteste certaines formes de nationalisme tout en se basant sur d’autres, ce qui justifie la nécessité de définir les différentes conceptions du nationalisme. De même, parce qu’il est parfois considéré comme une solution aux dérives du nationalisme, nous souhaitons montrer que le cosmopolitisme comporte également des risques qui doivent être pris en compte dans son articulation ; c’est pourquoi nous nous suggérons d’analyser quelques formes, dites from above parce qu’elles sont à tendance universaliste, qui reproduisent les mêmes méfaits de la pensée nationaliste telle que la conteste nos deux textes à l’étude. Nous définirons ensuite la forme de cosmopolitisme présentée par Scott et Moure à l’aide de trois concepts d’horizons divers qui, chacun à leur manière, font écho à nos œuvres, soit le micro-cosmopolitisme du traductologue Michael Cronin, le rooted cosmopolitanism du philosophe et éthicien Kwame Anthony Appiah et, dans une moindre mesure, le cosmopolitisme démocratique de la théoricienne de la démocratie Bonnie Honig. Puis, nous verrons comment le cosmopolitisme est lié au plurilinguisme, au genre littéraire et à la traduction et comment ces derniers peuvent être pensés en dehors des schèmes de la nation. . 4. . S. Simon, Le trafic des langues, p. 178.. ,.

(22) Dans les deuxième et troisième chapitres, nous procéderons à l’analyse des deux textes, un à un, afin de démontrer en quoi le propos qu’ils tiennent rappelle les formes de cosmopolitisme vues auparavant. Puis, en lien avec leur cosmopolitisme, nous observerons l’hybridation des genres littéraires, le plurilinguisme et le discours sur la traduction présentés par les œuvres. Même si nous souhaitons comparer dans une certaine mesure les deux œuvres, nous voulons faire en sorte que chacune d’elle conserve sa particularité ; certes, les deux œuvres sont cosmopolites, mais leur cosmopolitisme est exprimé différemment. C’est ce qui explique qu’elles seront analysées dans des chapitres séparés. En conclusion, nous nous arrêterons sur les liens frappants existant entre elles. Le plurilinguisme, notamment, s’il se manifeste différemment dans les deux titres, témoigne d’une même intention de minoriser l’anglais et d’extraire les langues de la pensée nationaliste. De même, l’expérience de lecture créée par les deux auteures est assez similaire en ce qu’il s’agit d’une entreprise exigeante qui n’est pas à la portée de tous. Nous reviendrons également sur les éléments qui, malgré la proximité idéologique des deux auteures, diffèrent entre les deux œuvres. Entre autres, même si les formes de cosmopolitisme qu’elles présentent s’ancrent dans le particulier, la cible de leur critique n’est pas la même : alors que Moure s’en prend à toute conception essentialiste du nationalisme, Scott s’attaque plutôt au républicanisme français, ce qui suggère que cette dernière craint davantage les excès de l’universalisme que la première, qui redoute surtout les abus du nationalisme. Également, la manière dont le cosmopolitisme est articulé lui confère un rôle différent dans chacune des œuvres. Dans O Cidadán, le cosmopolitisme, qui se veut participatif et optimiste, s’avère un antidote à la pensée nationaliste. Dans My Paris, en revanche, il ne prend forme que dans la pensée, l’action n’étant pas à la portée de la narratrice, ce qui suggère que le cosmopolitisme n’est pas une solution, mais tout au plus un moyen de rendre compte de la réalité d’autrui.. . -.

(23) 1. (Re)définir le cosmopolitisme 1.1. Cosmopolitisme et nationalisme Le cosmopolitisme est généralement associé à l’idée de citoyen du monde, que l’on doit à Diogène le Cynique. Selon lui, « “all wise men” made up a single, moral community, a city of the world, a city defined by mental compatibility rather that by physical geography 5 ». Plus tard, Zénon le Stoïque se risqua à une articulation du cosmopolitisme se basant sur une communauté exponentielle, allant de la famille à l’humanité entière, communauté dans laquelle l’État était remplacé par la raison pure6. Même si le projet cosmopolite prend ses sources à l’Antiquité, il n’a retenu l’attention que de quelques philosophes au fil des siècles et n’a jamais connu de période de grande popularité jusqu’à récemment. À mesure que le nationalisme se construit en Occident vers la fin du 18e siècle, le cosmopolitisme retrouve de sa pertinence. Les deux courants de pensée sont souvent opposés l’un à l’autre; alors que le nationalisme prône une appartenance à un groupe défini, le cosmopolitisme pense le monde dans son ensemble et encourage une appartenance à l’humanité. Pourtant, opposer de la sorte le cosmopolitisme et le nationalisme ne leur rend pas justice, car c’est faire fi de leur évolution au fil des siècles et de l’absence de consensus sur leur définition respective ; notons, par exemple, que la définition actuelle de la « nation » diffère grandement du sens qu’on lui attribuait dans l’Europe monarchique où elle a vu le jour. Encore de nos jours, la définition de la nation est contestée, chaque théoricien y allant d’une approche différente. Benedict Anderson, penseur dont nous étudierons la définition de la nation, s’est pour sa part intéressé aux fondements du nationalisme7 . Il définit la nation comme « an imagined political community – and . 5. M. Cronin, Translation and Identity, p. 7. M. Cronin, Translation and Identity, p. 7-8. 7 Il est à noter que le travail d’Anderson a beaucoup été contesté par les théoriciens de la nation et du nationalisme. On lui reproche entre autres de s’intéresser davantage au nation building qu’au nationalisme, ce qu’il prétend pourtant étudier. À ce sujet, voir A. Dieckhoff et C. Jaffrelot (dir.), Repenser le nationalisme. Théories et pratiques, p. 41-47. On retrouve également chez Anderson un flou définitionnel 6. . ..

(24) imagined as both inherently limited and sovereign8 ». Selon cette définition, la nation est d’abord imaginée 9 , car il n’est pas possible pour chacun des membres de cette communauté de se connaître personnellement ; elle est l’image d’une communion entre ses membres : « […] all communities larger than face-to-face contact (and perhaps even these). are. imagined.. Communities. are. to. be. distinguished,. not. by. their. falsity/genuineness, but by the style in which they are imagined10 ». Ensuite, elle est pensée comme limitée, c’est-à-dire qu’elle comporte des frontières qui la délimitent, qui la séparent des autres nations mais, surtout, qui lui confèrent une impression de relative homogénéité11. Puis, la nation est imaginée comme souveraine, puisque, comme l’écrit Anderson, « the concept was born in an age in which Enlightenment and Revolution were destroying the legitimacy of the divinely-ordained, hierarchical dynastic realm12 ». La souveraineté de la nation se présentait alors comme un emblème de cette liberté nouvellement acquise13. Enfin, la nation est imaginée comme une communauté dont les membres possèdent des caractéristiques communes, lesquelles sont généralement une langue, des lois, mais surtout un territoire. Comme le relève Anderson, malgré le fait que des membres de la nation ne soient pas traités égalitairement, la nation est néanmoins imaginée comme une « camaraderie horizontale14 » où tous sont des égaux ; c’est cette dernière caractéristique qui explique la grande portée de la pensée nationaliste selon l’auteur. Bien qu’il conserve un certain flou entre la nation et le nationalisme, le portrait de la nation dessiné par Anderson présente celle-ci telle qu’elle s’est développée au fil des années dans l’imaginaire collectif des Occidentaux – les journaux et les romans ayant  quant à la nation et au nationalisme, ce que remarque Anthony D. Smith (Nationalism, p. 11). Dans notre étude, le travail d’Anderson nous permettra néanmoins de comprendre l’imaginaire de la nation et de voir en quoi l’articulation du cosmopolitisme peut à la fois intégrer et altérer le nationalisme. 8 B. Anderson, Imagined Communities, p. 6. 9 Ibid. 10 Ibid. 11 À cet égard, Kwame Anthony Appiah remarque la tendance répandue chez les théoriciens politiques à avoir recours à l’île pour exemplifier leurs théories de la nation. Il commente: « If islands locales are scènes à faire in normative political theory, it isn’t because normative political theorists are unsociable fellows ; it is because the conceit is helpful in thinking about a well-ordered society might look like », The Ethics of Identity, p. 219. 12 B. Anderson, Imagined Communities, p. 7. 13 Ibid. 14 Traduction de « horizontal comradeship ». Ibid.. . /.

(25) grandement contribué à renforcer et à propager l’idéologie nationaliste*. à une période où la croyance religieuse était en déclin*/. Cette nation limitée et souveraine contraste avec la société monarchique, notamment dans la répartition des pouvoirs. À la manière d’un universalisme, le pouvoir dans une monarchie est centralisé et divin, alors que dans la nation (démocratique), c’est la population qui détient le pouvoir, ce qui explique que le nationalisme soit alors considéré comme une forme plutôt particulariste. On voit déjà ici comment cette progression du concept de nation est intimement associée à une réflexion sur l’essence, dont il surtout question dans O Cidadán. L’universalisme monarchique reposait sur une conception essentialiste du pouvoir, où la royauté était imbue d’une dimension transcendante qui ne pouvait être contestée, contrairement à la nation démocratique, où le pouvoir est accessible à tous (théoriquement) et contestable. Cela dit, il arrive que le nationalisme s’érige en universalisme et donc qu’il tombe dans l’essentialisme, une tendance critiquée par Moure et par certains théoriciens, comme nous le verrons plus bas. Notons ici que le concept d’essence renvoie au vieux concept platonicien d’ « idée », qu’Aristote a développé et qui a été érigé en dogme incontestable au Moyen-Âge. Ainsi, dans cet ordre des choses, le concept d’essence renvoie à l’universel17. Or, la modernité a mis la hache dans cette vision du monde ; selon la célèbre formule de Sartre, « l’existence précède l’essence », c’est-à-dire que nous ne venons pas au monde avec une « forme » préétablie, une « essence » qui viendrait déterminer ou fixer notre existence18. La nation, dénuée des pouvoirs divins de la monarchie, s’est basée sur un imaginaire collectif et a pris différentes formes, ce qui pourrait expliquer que les nations . 15. B. Anderson, Imagined Communities, p. 25. Le terme idéologie est néanmoins contesté par Anderson pour faire référence au nationalisme, car il relève que, contrairement à des idéologies comme le fascisme ou le libéralisme, il n’existe pas de grands penseurs du nationalisme. C’est pourquoi Anderson effectue le rapprochement entre le nationalisme et la religion plutôt que de le considérer comme une idéologie. B. Anderson, Imagined Communities, p. 5. 16 Pour l’auteur, le déclin de la religion a contribué au gain de popularité de la nation: « The century of Enlightment, of rationalist secularism, brought with it its own modern darkness. With the ebbing of religious beliefs, the suffering which belief in part composed did not disappear. Disintegration of paradise : nothing makes fatality more arbitrary. Absurdity of salvation : nothing makes another style of continuity more necessary. What then was required was a secular transformation of fatality into continuity, contingency into meaning. […] [F]ew things were (are) better suited to this end than an idea of nation. If nation-states are widely conceded to be “new” and “historical,” the nations to which they give political expression always loom out of an immemorial past, and, still more important, glide into a limitless future. It is the magic of nationalism to turn chance into destiny ». B. Anderson, Imagined Communities, p. 11-12. 17 J. Grondin, Introduction à la métaphysique, p. 58-61. 18 J. Grondin, Introduction à la métaphysique, p. 340-345.. . 0.

(26) européennes actuelles reposent sur des conceptions différentes de la nation. Parmi les différents modèles nationaux en Europe, desquels découlent autant de formes de nationalisme, on oppose généralement le modèle français au modèle allemand, lesquels méritent notre attention étant données les critiques qui en sont faites dans les œuvres que nous nous apprêtons à étudier. Dans cette opposition, le modèle allemand a souvent été perçu comme inférieur au modèle français au fil du temps, comme le suggèrent les définitions suivantes de chacun des modèles. Le modèle français, issu de la Révolution française, est la plupart du temps considéré comme « rationne[l], progressiste et démocratique 19 », alors que le modèle allemand est généralement décrit comme « réactionnaire et fond[é] sur l’émotion20 ». Ces deux conceptions antagonistes de la nation ont engendré deux formes de nationalisme que l’on oppose également l’une à l’autre. Le modèle d’ascendance française est appelé, selon les auteurs, nationalisme civique, politique ou inclusif, et la nation qu’il imagine se base sur « un territoire historique, une communauté légale-rationnelle, l’égalité des membres, une culture et une idéologie civique partagée21 ». En contrepartie, le nationalisme qui découle du modèle allemand est qualifié d’ethnique, culturel ou exclusif et repose sur « la généalogie, des liens de descendance présumés, la mobilisation populaire, les langues vernaculaires, les coutumes et les traditions22 ». Bien entendu, cette opposition entre les deux nationalismes est caricaturale dans la mesure où « […] elle a été présentée comme un idéal-type, c’està-dire un modèle théorique qui doit servir à analyser la réalité sociale, mais sans qu’elle lui corresponde pleinement23 ». Quoi qu’il en soit, les deux œuvres à l’étude présentent une critique du nationalisme dans l’une ou l’autre de ces formes. La narratrice d’O Cidadán s’inquiète de toute résurgence de nationalisme ethnique à cause des liens de . 19. A.-M. Thiesse, « La fabrique du nationalisme », dans A. Dieckhoff et C. Jaffrelot, Repenser le nationalisme. Théories et pratiques, 194-195. 20 A.-M. Thiesse, « La fabrique du nationalisme », dans A. Dieckhoff et C. Jaffrelot, Repenser le nationalisme. Théories et pratiques, 195. 21 A. Dieckhoff, « Nationalisme politique contre nationalisme culturel ? », dans A. Dieckhoff et C. Jaffrelot, Repenser le nationalisme. Théories et pratiques, p. 110. Citation originale de Anthony Smith, National Identity, Londres, Penguin Books, 1991, p. 11-12. 22 Ibid. Citation originale de Anthony Smith, National Identity, Londres, Penguin Books, 1991, p. 11-12. 23 Ibid. Daniel Sabbagh rappelle d’ailleurs que « le nationalisme a toujours une composante culturelle » dans la mesure où « l’État promeut activement la diffusion d’une langue commune et d’une culture nationale ». D. Sabbagh, « Nationalisme et multiculturalisme », dans A. Dieckhoff et C. Jaffrelot, Repenser le nationalisme. Théories et pratiques, p. 110. Citation originale de Anthony Smith, National Identity, Londres, Penguin Books, 1991, p. 178.. . 1.

(27) celui-ci avec le fascisme – doctrine qui, nous le savons, a mené à la Shoah. Si la critique de la narratrice vise surtout le modèle nationaliste allemand, elle attaque également l’ancrage du nationalisme dans le territoire, une caractéristique que l’on attribue généralement au modèle nationaliste français. Comme le relève Raphaël Canet, le nationalisme allemand tend à rejeter l’altérité pour se replier sur un « particularisme défensif », entraînant un figement de « l’identité nationale en des traits immuables [qui] conduit à son essentialisation et ainsi à la négation de son caractère évolutif24 ». My Paris, que nous étudierons dans notre troisième chapitre, s’en prend pour sa part au républicanisme français; la narratrice expose les failles de ce modèle qui, sous le couvert de l’égalité, n’accorde que très peu de place à la différence25, compromettant ce même présupposé d’égalité. C’est que ce nationalisme « cherch[e] à réduire l’altérité par l’assimilation, du fait de la prétention universaliste de son modèle26 ». Ainsi, bien que l’articulation du cosmopolitisme que l’on retrouve dans les deux œuvres soit très similaire, chacune d’elles critique des éléments différents du nationalisme. Notons que la dichotomie entre les nationalismes français et allemands omet d’autres formes de nationalisme, dont celui de la minorité, qui « n’illustre pas la division idéal-typique entre nationalisme “civique” et “ethnique” […]27 ». Or, autant dans O Cidadán que My Paris, la relation entre la minorité et la majorité occupe une place prépondérante, ce qui explique que leur vision du cosmopolitisme comprend une défense du nationalisme des minorités et que leur critique du nationalisme vise les formes issues de la « majorité ». Dans les deux démarches, comme nous le verrons, cette critique semble justifiée par les excès occasionnés par différentes formes de nationalisme qui portent parfois davantage préjudice aux citoyens qu’elles ne les protègent. . 24. R. Canet, Nationalismes et société au Québec, Outremont, Athéna éditions, 2003, p. 133. Les caractères gras sont de l’auteur. 25 Canet adresse deux critiques que l’on peut formuler du modèle nationaliste issu de la Révolution française : « La première critique met l’accent sur la nécessaire prise en considération de l’inégalité des conditions économiques et sociales au sein de la population, que la fiction de l’égalité citoyenne tend à dissimuler. La seconde critique pointe l’indispensable reconnaissance de la différence culturelle que la prétention universaliste de ce modèle de citoyenneté tend à gommer. Ces deux positions revendiquent donc une plus grande reconnaissance politique de la diversité (soit socio-économique, soit culturelle) qui se traduit en premier lieu par l’élargissement de la citoyenneté à de nouveaux types de droits. » R. Canet, Nationalismes et société au Québec, p. 193. 26 Ibid. 27 A. Dieckhoff, « Nationalisme politique contre nationalisme culturel ? », dans A. Dieckhoff et C. Jaffrelot, Repenser le nationalisme. Théories et pratiques, p. 110. Citation originale de Anthony Smith, National Identity, Londres, Penguin Books, 1991, p. 11-12.. . 2.

(28) 1.2. Citoyenneté, mondialisation et cosmopolitisme from above La nation a subi de grandes transformations au XXe siècle où, avec l’émergence de l’État-nation, elle s’est ancrée dans le territoire. Selon Benedict Anderson, la nation précède l’État-nation28. Ce serait lors du dernier siècle que les frontières culturelles et politiques seraient venues à concorder et à se fixer, achevant de concrétiser le projet national ; l’État-nation devient alors une entité politique mondialement reconnue. Chaque État-nation étant souverain, il est libre de déterminer les critères d’attribution de la citoyenneté, lesquels varient considérablement d’un État à l’autre. Bien qu’on la définisse généralement comme « un ensemble de droits civils, sociaux et surtout politiques conférés par un État à des individus vivant (en majorité) sur un territoire sur lesquels il exerce son contrôle29 », la citoyenneté prend différents sens selon qu’on la retrouve dans sa conception « libérale », dans laquelle l’individu est libre de choisir ses valeurs et de prendre part, ou non, à la vie publique, ou dans sa conception « républicaine », qui se base sur l’engagement de l’individu à un projet commun30. Dans O Cidadán, le sujet écrivant s’oppose au fait que le statut légal d’une personne puisse dépendre de son lieu de naissance, qui relève du hasard. Il propose donc une forme de citoyenneté qui puisse se mettre en pratique, rappelant la conception républicaine, permettant à l’individu d’agir plutôt que simplement se faire attribuer un statut. Car le statut conféré par l’État, qu’il s’agisse de nationalité ou de citoyenneté, ne garantit pas le respect des droits de ses citoyens ; l’exemple de la Shoah vient souvent soutenir ce fait dans le recueil de Moure, qui rappelle le nombre de juifs ayant été déportés malgré leur citoyenneté française. La narratrice de Scott, de son côté, relève les inégalités qui sévissent entre des citoyens français supposément égaux selon le précepte républicain. De même, elle expose la réalité des immigrants « from the South », provenant surtout du Maghreb, qui sont, pour plusieurs d’entre eux, d’anciens colonisés français obligés de vivre dans l’illégalité parce qu’on leur refuse la citoyenneté française. Ces injustices auxquelles sont en proie des habitants de la nation causent un malaise fort chez les sujets écrivant, malaise qui les pousse à repenser l’État-nation.  28. Il nous incombe de mentionner qu’il n’y a aucun consensus quant à l’ordre dans lequel ont vu le jour la nation et l’État-nation. 29 J. Leca, « De quoi parle-t-on ? », dans Serge Cordellier (dir.), Nations et nationalismes, p. 18. 30 J. Leca, « De quoi parle-t-on ? », dans Serge Cordellier (dir.), Nations et nationalismes, p. 18.. . *).

(29) Si les modèles d’État-nation disponibles présentent autant de limitations, c’est entre autres qu’ils ont été mis à rude épreuve vers la fin du XXe siècle, qui a vu se produire une intensification des relations internationales sur les plans économique, technologique et politique ainsi qu’une possibilité accrue de traverser les frontières nationales pour certains, une réalité communément appelée mondialisation31. Or, ce phénomène fragilise la valeur de l’État-nation comme entité limitée et souveraine, pour reprendre les termes d’Anderson, car l’accroissement des interactions entre les pays a eu pour effet de créer une « structure d’interdépendance plus importante entre les État32 ». De même, la création de nombre d’organismes transnationaux et supranationaux vient compromettre la suprématie de l’État-nation. On reproche souvent à la mondialisation son effet dominateur et unificateur, car elle encourage les tendances impérialistes de certains États, accentuant de fait les inégalités entre les États-nations et entre leurs citoyens. Pourtant, comme le rappelle Appiah, la mondialisation, bien qu’elle modifie la vision de la communauté, n’a pas pour autant. donné. lieu. à. une. homogénéisation. du. monde :. « Our. increasing. interconnectedness—and our growing awareness of it—has not, of course, made us into denizens of a single community, the proverbial “global village33” ». Au contraire, les affiliations sont amenées, plus que jamais, à se multiplier et à excéder les confins de l’État-nation, comme le constate Jocelyn Maclure : Sans sous-estimer l’importance des identités nationales, il est maintenant impossible de tenir pour acquis que la nationalité vient nécessairement avant les autres filières identificatrices du sujet telles que l’ethnicité, le genre, l’identité sexuelle, l’appartenance de classe, etc.34. Ainsi, le modèle nationaliste dont Anderson dresse le portrait se fragilise et a besoin d’être redéfini, « ré-imaginé »; les limites de la nation sont constamment franchies, les  31. On associe souvent la mondialisation à une réalité récente, ce que Kwame Anthony Appiah conteste. S’il reconnaît l’existence de la mondialisation, il avance que l’on doit demeurer critique quant à la nouveauté du phénomène : « Over the past few decades, it is true, the ratio of what is settled to what has traveled has changed everywhere. Ideas, objects, and people from “outside” are now more—and more obviously— present everywhere than they have ever been. Calling this process “globalization,” as we often do, is all very well but tells us very little about how it is either novel or significant. For, as I have suggested, you could describe the history of the human species as a process of globalization: the globalization, if you like, of the longue durée—in fact, of the longest humanly possible durée, that of the period within which we have been fully human. », K. A. Appiah, The Ethics of Identity, p. 215-216. 32 R. Chung et G. Nootens, Le cosmopolitisme : enjeux et débats contemporains, p. 7. 33 K. A Appiah, The Ethics of Identity, p. 216. 34 J. Maclure, Récits identitaires. Le Québec à l’épreuve du pluralisme, Montréal, Québec Amérique, 2000, p. 192.. . **.

(30) organisations supranationales remettent en question sa souveraineté, et la pluralité d’affiliations morcelle l’image d’une communauté nationale homogène. Par ailleurs, la mondialisation entraine son lot de conséquences indésirables, comme la porosité sélective des frontières nationales en fonction de la nationalité et du statut économique des personnes. Devant ces injustices, perpétrées par le modèle nationaliste et accentuées par la mondialisation, le cosmopolitisme retrouve sa cohérence car il s’intéresse aux « enjeux éthiques de l’ordre mondial [qui] suscitent un malaise moral particulier aux yeux de notre génération [le texte a été publié en 2010 et ses auteures sont nées en 1967]35 ». Il s’avère donc un outil approprié pour repenser la situation mondiale actuelle, d’autant plus qu’il avance l’idée d’une citoyenneté qui ne se rattache pas uniquement à l’État-nation, donc une appartenance davantage élargie. Le cosmopolitisme comporte néanmoins ses risques ; d’abord, son caractère abstrait fait qu’il est davantage un idéal qu’une solution mais, surtout, ses aspirations universalistes ne sont pas toutes positives. Plus que le nationalisme, il peut être lié à l’impérialisme et au colonialisme. Le cosmopolitisme que l’on retrouve dans les œuvres de Moure et de Scott est ancré dans l’éthique ; pourtant, la connotation généralement rattachée à cette notion n’implique pas toujours de questionnement moral. D’ailleurs, la définition commune du cosmopolitisme tirée du Petit Robert l’associe à « la disposition à vivre en cosmopolite », c’est-à-dire de « vi[vre] indifféremment dans tous les pays, s’accommode[r] de tous » (ce dernier segment est la définition de cosmopolite). L’auteur Pico Iyer incarne cette vision dans le portrait qu’il dresse de Toronto, où il accumule les contacts avec d’autres cultures, pas tant parce qu’il apprécie chacune d’entre elles, mais parce qu’il aime l’ensemble hétérogène qu’elles forment36. Ce récit du multiculturalisme torontois ne fait pas mention de véritables contacts entre les cultures, lesquelles sont . 35. R. Chung et G. Nootens, Le cosmopolitisme : enjeux et débats contemporains, p. 7. « During my early days in Toronto, I found myself spinning through cultures as if I were sampling World Music rhythms on a hip-hop record. Everyday, I’d wake up early, and hand my laundry to the woman from the Caribbean who guarded the front desk of the Hotel Victoria with an upright demeanor worthy of a Beefeater. Then I’d slip around the corner to where two chirpily efficient Chinese girls would have my croissant and tea ready almost before I’d ordered them. I’d stop off in the Mövenpick Marché down the block—run almost entirely by Filipinas (the sisters, perhaps, of the chambermaids in the Victoria)— and buy a copy of the Globe and Mail, which nearly always had news on its front page of Beijing. Then, not untypically, an Afghan would fill me in on the politics of Peshawar as I took a cab uptown, consulting an old-fashioned newspaper that (with its Grub Street column and its “Climatology” section) seemed to belong to Edwardian Delhi », P. Iyer, The Global Soul. Jet Lag, Shopping Malls, and the Search for Home, p. 124. 36. . *+.

(31) souvent stéréotypées, voire réifiées, dans les mots d’Iyer 37 . Pour ce dernier, le cosmopolitisme implique que tous doivent délaisser un peu de leur particularité afin de créer un résultat harmonieux38, ce qui se traduit dans le récit par une adoption de l’anglais comme langue de partage. Le cosmopolitisme d’Iyer est donc foncièrement universalisant et rappelle à cet égard le républicanisme français dont on verra qu’il est contesté dans My Paris. Cette forme de cosmopolitisme est également liée à la difficulté, voire à l’impossibilité, de s’identifier au lieu où l’on vit, une sorte de malaise identitaire qui se manifeste notamment par le déni de ses origines39. D’ailleurs, les identités nationales, surtout lorsqu’elles se font revendicatrices comme au Québec, sont jugées négativement par Iyer, ce qui confirme son penchant universaliste. Ce refus de s’identifier à un lieu se retrouve dans plusieurs articulations du cosmopolitisme, dont celle de Guy Scarpetta, qui s’oppose à toute forme d’enracinement, qu’il trouve dérisoire : « […] adieu patrie, paternité, patois, vieux pathos, adieu terroir, territoire et terrines. D’une certaine façon, on peut rire de ceux qui se définissent comme Occitans, Corses ou Celtes. De ceux dont l’identité ramène à du territoire40 ». Comme nous le verrons dans le prochain chapitre, Moure s’oppose à l’idée de rattacher l’identité au territoire, car après tout, c’est l’ancrage au sol de la nation qui a mené aux formes les plus dommageables du nationalisme. Scarpetta, en revanche, va plus loin et tient à arracher du territoire toute identité, quitte à s’arracher du monde41. Autant dans la vision du cosmopolitisme présentée par Scarpetta que dans celle présentée par Iyer, les petites cultures sont laissées pour compte, ne bénéficiant d’aucune reconnaissance, ce qui est contraire à la position de Scott et de Moure. Scarpetta réfute carrément leur existence,  37. Le cosmopolitisme d’Iyer s’apparente à ce que Michael Cronin nomme consumerist cosmopolitanism, une forme de cosmopolitisme de l’ « hyperbourgeoisie » où l’universalisme repose en fait sur un « social and material self-interest », où « everything from international eateries to the mix’n’match of world music seems eloquent confirmation of a post-nationalist utopia. », M. Cronin, Translation and Identity, p. 10. 38 « The hope of a Global Soul, always, is that he can make the collection of his selves something greater that the whole ; that diversity can leave him not a dissonance but a higher symphony », P. Iyer, The Global Soul. Jet Lag, Shopping Malls, and the Search for Home, p. 121. 39 Alors qu’il est en conversation avec une autre global soul comme lui, l’auteur affirme : « I suppose ultimately you’re a cosmopolitan […] I mean, you don’t really identify yourself with any of the places where you’ve lived », P. Iyer, The Global Soul. Jet Lag, Shopping Malls, and the Search for Home, p. 136. 40 G. Scarpetta, Éloge du cosmopolitisme, p. 19-20. 41 Scarpetta écrit : « […] il ne suffit pas de franchir ou d’abolir quelques frontières pour que tout aille mieux – et que de nouvelles frontières, de nouvelles limites et de nouvelles exclusions [sont] toujours susceptibles de se réinstaller, parfois plus barbares encore que les anciennes. Il n’y a pas à être « citoyen du monde » si le monde, précisément, est ce dont il faut s’arracher. », Éloge du cosmopolitisme, p. 22.. . *,.

(32) affirmant qu’« […] il n’y a de “culture minoritaire” ou, pour parler comme Deleuze et Guattari, de “littérature mineure” que pour qui croit à la communauté, c’est-à-dire, au fond, à l’inconscient collectif42». En ne reconnaissant pas l’existence des minorités, Scarpetta affirme que tous sont égaux devant l’universel, sous-estimant les inégalités relatives au pouvoir politique entre les peuples et entre les gens. Cette affirmation de Scarpetta nous amène à voir que, s’il ne tient pas compte des minorités, le cosmopolitisme s’avère un universalisme étouffant, comme l’ont été à d’autres époques les missions chrétiennes et les missions civilisatrices. De contraindre les petites nations à une forme d’universel définie par les groupes dominants est de les assujettir à un double bind43, c’est-à-dire les forcer à choisir « […] between the false universality of a ‘world culture’ promised by more hegemonic varieties of globalization and the romanticism of the particular44 ». Ainsi, dans les formes de cosmopolitisme présentées par Iyer et Scarpetta, les cultures minoritaires se retrouvent devant une alternative où, d’un côté comme de l’autre, elles sont perdantes : Either you abandon any form of national identification, seeing it as associated with the worst forms of irredentist prejudice, and you embrace the cosmopolitan credo or you persist with a claim of national specificity and you place yourself outside the cosmopolitan pale, being incapable of openness to the other45.. Pourtant, le besoin de se représenter par ses particularités et d’être reconnu par elles, si on l’associe maintenant au nationalisme, existait bien avant que la nation soit imaginée ; Anderson rappelle que les vitraux et les sculptures des églises médiévales italiennes présentaient des personnages créés à l’image des Italiens de l’époque, autant dans les traits que dans l’accoutrement46. Ainsi, le particulier était un moyen d’accéder, du moins dans la représentation, à l’universel. Cet exemple prouve également que l’universel comporte toujours une certaine dose de particulier. À cet égard, Appiah remarque que . 42. G. Scarpetta, Éloge du cosmopolitisme, p. 21. L’expression est attribuée à Gregory Bateson. Pour plus d’informations, voir G. Bateson, « Double Bind », Steps to an Ecology of Mind, Londres, Paladin, 1973, p. 242-249. 44 M. Cronin, Translation and Identity., p. 23. 45 Ibid. 46 Anderson décrit les représentations de personnages bibliques que l’on pouvait trouver dans les églises : « The shepherds who have followed that star to the manger where Christ is born bear the features of Burgundian peasants. The Virgin Mary is figured as a Tuscan merchant’s daughter. In many paintings the commissioning patron, in full burgher or noble costume, appears kneeling in adoration alongside the shepherds. What seems incongruous today obviously appeared wholly natural to the eyes of mediaeval worshippers. » B. Anderson, Imagined Communities, p. 22. Dans la même lignée, la représentation de Jésus en homme blanc dans les églises occidentales pourrait être attribuée au même phénomène. 43. . *-.

(33) toute forme exacerbée d’universalisme tend à omettre l’arbitraire de l’être humain dans ses relations aux autres 47. Bannir tout particularisme revient donc à dire que notre traitement des autres doit être le même, quelle que soit la relation qui nous relie à eux, car « [i]f persons are of equal worth, as liberals claim, what could justify favoring members of your particular group over others?48 » Pour éviter le double bind et rendre le projet cosmopolite accessible autant aux minorités qu’à la majorité, il faut donc reconnaître et intégrer certains particularismes. De fait, les minorités qui luttent pour leur reconnaissance ou les groupes dont le nationalisme s’est forgé au fil des siècles n’ont pas à délaisser leurs allégeances pour adhérer aux formes de cosmopolitismes que nous nous apprêtons à voir. Plutôt que de viser à atteindre un universel homogène, ce cosmopolitisme a le nationalisme comme condition de possibilité: […] ni l’État-nation ni le nationalisme qui l’accompagne ne sont près de disparaître, même à une époque marquée par l’existence de cas concrets d’intégration économique et politique au niveau mondial, que l’on appelle dans le langage courant la mondialisation. Il s’ensuit que toute forme réaliste de cosmopolitisme devra s’appuyer sur les formes d’identité solides que sont celles créées par l’attachement à la nation49.. Or, les formes de cosmopolitisme présentées dans O Cidadán et My Paris se basent sur certaines formes de nationalisme tout en en critiquant d’autres expressions, de manière à inclure les petites nations et les nations opprimées sans tout à fait délaisser un idéal universel. Voyons dans le détail ces quelques formes de cosmopolitisme qui nous paraissent proches de celles présentées dans les deux œuvres.. 1.3. Un cosmopolitisme repensé Les types de cosmopolitisme que l’on retrouve dans les œuvres de Scott et de Moure rappellent trois différentes articulations du cosmopolitisme qui ont beaucoup en  47. Appiah donne l’exemple qu’il appelle « blouse and spouse » ; alors qu’on peut très bien changer un chemisier pour un autre, en autant qu’il n’ait pas de valeur sentimentale, on verrait mal quelqu’un qui changerait de conjoint(e) comme il changerait de chemise : « You don’t value your wife because you value wives generally, and this one happens to be ours. […] Actual existing partiality admits of no happens to. » The Ethics of Identity, p. 226-227. 48 K. A. Appiah, The Ethics of Identity, p. 221. 49 P. Resnick, « Cosmopolitisme et nationalisme », dans A. Dieckhoff et C. Jaffrelot, Repenser le nationalisme. Théories et pratiques, p. 110. L’auteur emprunte lui-même la citation à Anthony Smith, National Identity, Londres, Penguin Books, 1991, p. 397.. . *..

(34) commun, soit le micro-cosmopolitisme, qui nous provient des études traductologiques et qui a été élaboré par Michael Cronin, le rooted cosmopolitanism, défini par Kwame Anthony Appiah et qui prend ses racines dans l’éthique, et enfin, tiré des sciences politiques et plus précisément de la théorie de la démocratie, le cosmopolitisme démocratique de Bonnie Honig. Le micro-cosmopolitisme, comme le suggère son appellation, se définit par rapport au macro-cosmopolitisme, c’est-à-dire un cosmopolitisme qui est pensé en fonction des grandes entités, comme les États-nations ou les organisations internationales (pensons à l’ONU). Plutôt que d’être une forme de cosmopolitisme prônant l’instauration d’un universalisme fort, dit from above, le micro-cosmopolitisme a pour visée de permettre aux petites entités, qu’il s’agisse de petites nations ou de cultures mineures, de pouvoir adhérer au cosmopolitisme sans être soumises au double bind. Il n’est pas pour autant l’opposé du macro-cosmopolitisme car, comme le stipule Cronin, « [it] shares a number of macro-cosmopolitan core ideals – such as a concern for freedom, an openness to and tolerance of others50 ». Là où il diffère du macro-cosmopolitisme, c’est dans son refus d’opposer les grandes entités aux petites entités; les allégeances, qu’elles soient régionales, provinciales ou internationales ont toutes la même validité, pour autant qu’elles respectent les valeurs cosmopolites de tolérance et d’ouverture à la différence. L’auteur explique : The micro-cosmopolitan dimension helps thinkers from smaller or less powerful polities to circumvent the terminal paralysis of identity logic not through a programmatic condemnation of elites ruling from above but through a patient undermining of conventional thinking from below51.. Cronin se base sur son concept de « différentialisme fractal » (fractal differentialism) pour montrer que la différence et l’hétérogénéité se trouvent autant dans les grandes entités que dans les petites. À l’image de la géométrie fractale, le concept de Cronin permet de présenter « a cultural complexity which remains constant from the micro to the macro scale. That is to say, the same degree of diversity is to be found at the level of entities judged to be small or insignificant as at the level of large entities52 ». En n’opposant pas l’universel au particulier, l’auteur reconnaît que : « […] human beings not . 50. M. Cronin, Translation and Identity, p. 14. M. Cronin, Translation and Identity, p. 16. 52 M. Cronin, Translation and Identity, p. 15. 51. . */.

(35) only have rights and obligations, they also have relationships and commitments53 ». Ainsi, le particulier et l’universel sont pensés dans une logique inclusive, car le premier est ce qui permet d’accéder au second. Cette caractéristique du micro-cosmopolitisme rejoint particulièrement les deux œuvres à l’étude dans leur souci d’accorder de l’importance aux cultures minoritaires sans délaisser les idéaux universels. Cette forme de cosmopolitisme est également antiessentialiste, en tant qu’elle n’est ni fixe ni permanente; plutôt que d’être une nouvelle appartenance ou identité figée, elle se redéfinit constamment. De même, le micro-cosmopolitisme n’est pas synonyme d’harmonie et de consensus, il est plutôt « an enabling frame for thinking about the porousness and the capacity for dissent of translation and the role it plays in the lives of individuals, communities and larger polities 54 ». Or, on retrouve ce refus de fixer l’identité dans O Cidadán, alors que My Paris, sans aborder la question aussi directement, présente l’identité comme insaisissable. La première œuvre rompt avec toute harmonie, autant dans la manière dont les idées sont véhiculées (qui se refusent à toute généralisation), que dans la mise en page et dans l’entrechoquement des langues. La deuxième œuvre, quant à elle, expose les contradictions et les questions non résolues qui tenaillent la narratrice et transparaissent également dans la forme du récit. Le rooted cosmopolitanism d’Appiah partage plusieurs points avec le concept de Cronin, notamment en ce qui concerne le respect, voire de la célébration de la différence. Appiah cherche à éviter que son articulation du cosmopolitisme soit un outil pour juger de la valeur des allégeances : « [it] doesn’t seek to destroy patriotism, or separate out “real” from “unreal” loyalties. More important, it isn’t exhausted by the appeal to moral universalism 55 ». Comme le micro-cosmopolitisme, le rooted cosmopolitanism ne détermine pas ce qui est moral ou amoral, car la conversation entre les différents peuples y est le seul moyen de construire et de négocier l’universel. Bien qu’Appiah ancre son cosmopolitisme dans le particulier56, il croit, contrairement à Cronin, qu’une essence humaine est possible, du moins dans la biologie humaine, qu’il qualifie d’universelle. . 53. M. Cronin, Translation and Identity, p. 19. M. Cronin, Translation and Identity, p. 20. 55 K. A. Appiah, The Ethics of Identity, p. 222. 56 Appiah affirme : « […] humans live best on a smaller scale […]. They should, in short, endorse the right of others to live in democratic states, with rich possibilities of association within and across borders, states of which they can be patriotic citizens. And, as cosmopolitans, they can claim that right for themselves. » The Ethics of Identity, p. 246. 54. . *0.

(36) Ainsi, malgré la connotation négative associée à l’ « essence humaine » à cause de son utilisation dans les discours universalistes oppresseurs par le passé, l’auteur avance que la véritable question quant à l’essence n’est pas tant relative à sa réalité, qui lui apparaît indubitable, qu’au sens qu’on lui donne : I happen to believe that there is such a thing as universal human biology, that there is a biological human nature. […] So I don’t think what’s wrong with the older argument is the appeal to a human essence. The problem that becomes clear in real cases is that the many interests that people have in virtue of our shared biology do not function outside their symbolic context. […] A shared biology, a natural human essence, does not give us, in the relevant sense, a shared ethical nature57.. Selon Appiah, les êtres humains ont une biologie commune, certes, mais elle n’est pas garante d’une cohésion entre eux sur le plan éthique. Il demeure que les êtres humains, en plus de partager une même biologie, ressentent le besoin de se représenter le monde à travers le récit et la narration, une caractéristique qu’Appiah place au centre de son rooted cosmopolitanism. Le cosmopolitisme présenté par l’auteur est le fruit de l’imagination de différents peuples et prend forme au fil des conversations entre ceux-ci, avec tous les malentendus que cela implique : Cosmopolitanism imagines a world in which people and novels and music and films and philosophies travel between places where they are understood differently, because people are different and welcome to their difference. Cosmopolitanism can work because there can be common conversations about these shared ideas and objects. But what makes the conversations possible is not always shared “culture”; not even, as the older humanists imagined, universal principles or values […], not shared understanding […]. What works in encounters with other human beings across gaps of space, time, and experience is enormously various. For stories—epic poems as well as modern forms like novels and films, for example—it is the capacity to follow a narrative and conjure a world: and it turns out, there are people everywhere more than willing to do this. This is the moral epistemology that makes cosmopolitanism possible58.. À travers l’échange de récits, le monde se forge et les conversations entre les peuples s’engagent. Appiah précise toutefois que le type de conversation à la base de son rooted  57. Pour expliquer sa position au sujet de l’essence humaine, Appiah affirme : « I would say, for example, that it [the biological human nature] is shaped by the more than 99 percent of our genes that we all share, by the fact that our closest common ancestor may have lived a little more than a hundred thousand years ago. Such central events as the old triad of “birth, copulation and death”—“all the facts when you come to brass tacks, ” as T.S. Eliot has it—are, in obvious ways, reflections of that biology », The Ethics of Identity, p. 252. Par ailleurs, Appiah dit qu’il préfère entrer en conversation avec les Lumières plutôt que de critiquer leurs idées: « If there is a critique of the Enlightenment to be made, it is not that the philosophes believed in human nature, or the universality of reason : it is rather that they were so dismally unimaginative about the range of what we have in common » (p. 258). 58 Ibid.. . *1.

(37) cosmopolitanism n’est pas synonyme de dialogue entre des entités homogènes et fermées ; il ne s’agit pas, comme il l’écrit, d’une « celebration of the beauty of a collection of closed boxes59 ». À cet égard, le cosmopolitisme d’Appiah s’oppose à celui présenté par Pico Iyer, car non seulement repose-t-il sur une véritable conversation, plutôt qu’un échange basé sur un rapport économique (donc nécessairement un rapport de force), mais il implique également une certaine réciprocité. Similairement, Appiah se méfie du relativisme moral, qui veut que les valeurs morales soient relatives à chaque culture et qui refuse ainsi tout absolu moral60. Selon Appiah, le relativisme moral a l’inconvénient de limiter les échanges et dès lors de confiner au silence plutôt que de favoriser la conversation et les débats. Pour Appiah, l’expérience cosmopolite peut aussi bien être vécue dans la vie de tous les jours que dans la lecture, un moyen qui permet d’entrer en contact avec l’autre et avec sa réalité. Le rapport entre le récit et notre construction du monde est double : d’une part, notre capacité à saisir une logique narrative nous permet d’imaginer, donc de construire, le monde dans lequel nous vivons61 ; de l’autre, nous donnons un sens à nos vies en les inscrivant dans un récit plus grand que nous62. Ce trait propre aux êtres humains fait partie, selon Appiah, de l’expérience et de l’essence humaines63. My Paris et O Cidadán présentent plusieurs éléments qui rappellent le rooted cosmopolitanism. D’abord, les deux textes exposent les conversations que les deux auteures entretiennent avec d’autres écrivains et penseurs. Également, les œuvres incorporent à la trame narrative principale différents types de récits qui rendent compte de différentes réalités, comme celle des immigrants illégaux, permettant aux lecteurs d’en prendre conscience. Le rooted cosmopolitanism, s’il défend le droit à la différence, peut sembler moins particulariste que le micro-cosmopolitisme dans la mesure où il s’oppose à l’antiuniversalisme, qui « protects difference at the cost of partitioning each community into a moral world of its own64 ». Malgré tout, le cosmopolitisme d’Appiah se penche  59. K. A. Appiah, The Ethics of Identity, p. 256. Définition inspirée de l’article « Moral Relativism », de la Stanford Encyclopedia of Philosophy. 61 K. A. Appiah, The Ethics of Identity, p. 257. 62 Ibid. 63 Appiah écrit : « […]the basic human capacity to grasp stories, even strange stories, is also what links us, powerfully, to others, even strange others. », The Ethics of Identity, p. 257. 64 K. A. Appiah, The Ethics of Identity, p. 249. Notamment, Appiah croit que la diversité, dont le respect doit être l’une des grandes préoccupations du cosmopolitisme, n’est pas une valeur en soit : 60. . *2.

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