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Analyse et étude littéraires de Huon de Bordeaux.

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Academic year: 2021

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(1)

ANALYSE ET ETUDE LITTERAIRES DE

HITON DE BORDEAUX

A Thesis

Presented to the French Department of Mc Gill U:hive:rsi ty

In Partial Fulfilment of the Requirements of the Degree of H.a.ster of Arts

by

J ean-M8.rcel Paquet te

August

(2)

lNTRODUCTIOff

•••••••••••••~•••••••••••••••••••••••••••••••••~~ P~

1 PREMIERE PARTIE: MATIERE

CHAPITRE PREMIER: De l'histoire

A

la légende

••••••••••••••••••

CF..APITRE DEUXIEMEt Autour de Charlemagne ... ~~~ ... ~~. p~ tb

DEUXIEME PART!Et CON JOINTURE

CHAPITRE TROISIENE: Les éléments romanesques ••••••••••••• ••... P• a.~ CHAPITRE QUATR~Œ: Les éléments féeriques ••••••••••••••••••~• p~~

TROISmΠPARTIE: SENEFIANCE"

CHAPITRE Cn:IQ~Œ: L'aventure et ses symlx>les •••••••••••• ••.. P•

5

s-CHAPITRE SIXIEME: Colœlusion: La conta:mihation des genres • • • • • p~ ~

1-NOTES" ••••••••••••••••••••••••• ·-· •••••••••••••••• ·-···... p. q

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'

BIBLIOGRAPHIE •·• •. • • .... •• • • • • • • • • • • • • • • • •• • • • •. •. • •. •. • • • •• • • • • P• \ 0

(3)

INTRODUCTION

n

semblera- d1abord paradoxal que les trois mots de

MATIERE,

de CONJOTh"TURE et de SIDTEFIANCE, appartenant au vocabulaire du roman cour-tois, servent, chacun, de titre aux trois parties de cette étude

eon-sacrée

à

une chanson de geste du cycle carolingien~

Cela est d'O., en partie, A ce que, Huon de Bordeaux constituant une oeuvre complexe, l'objet de la présente th~se sera d'établir jus--qu•·~. quel point l'oeuvre, d'apparence épique, a subi la contaminatfon du genre romanesque.

Les médiévistes désignent par le mot de

MATIERE,

11 ensemble des sources, historiques ou littéraires, dont ont pu s'inspirer les po~tes et les romanciers du Moyen Age. Ainsi parle-t-on de "mati~re bretonne" pour les romans arthuriens, et de "mati~re antiquen pour les romans, tel que le Roman d'Alexandre, inspirés des oeuvres et des th~es de r•·antiqufté.

Dans une premi~e part.tê, sous le mot de Mati~re, nous verrons de quelles sources historiques l'auteur de Huon de Bordeaux a pu tirer les personnages et l'action de son oeuvre; ce sera l'objet d'un premier

(4)

chapitre. Dans un second chapitre, nous nous occuperons l considérer I1'état de la si tua ti on littéraire au XII~ si~cle: 1' entrée en sc&e

des th~mes arthur:f:ens et alexandrins, ainsi que 11'état de la chanson de geste qui, depuis le XI~ si~cle, a vu sensiblement modifié le sens de l'action et des personnages épiques.

Le romancier du XII~ si~cle, Chrétien de Troyes, faute du mot "esthétique" qui n'existait pas encore, utilisait le mot CONJOINTURE pour désigner 11'art d'animer le monde de th~mes et de personnages nés d'abord de l'histoire, puis redonnés dans une oeuvre par une conscien-ce littéraire. tt·expression stylistique et l'organisation des struc-tures d1'une oeuvre ont bien-tet été considérées comme faisant partie de cet art, qui est aussi une science: la CONJOlliTURE.

Au chapitre troisi~me, nous verrons comment l l'int~rieur de Huon de Bordeaux, éléments épiques et éléments romanesques se sont manifestés. Un chapitre subséquent sera zonsacré à l'élément qui cons-titue la plus grande part d'original:ité dans l'oeuvre: la Nêrie.

La

troisième partie a pour titre SEN~TCE, autre mot de Chré-tien de Troyes, désignant le sens caché que l'auteur a voulu donner à son oeuvre

A

travers l'Aventure d1'un héros. $ymboles et all8gories servent

A

traduire ce sens. Dans le cinqui~me chapitre nous nous at-tacherons

h

révéler ce sens, pour finalement tirer, au chapitre si:x:i~ me, les conclusions générales qui s'impo-sent sur 1 •·ensemble des

(5)

élé-mente (source,·. esthétique et sens) que nous aurons étudiés.

Nous avons utilisé, pour les fins de cette étude, la récente édition du texte primitif de Huon de Bordeaux. que vient de dormer Pierre Ruelle, aux Presses Universitaires de France, en 1960.

Depuis le Moyen Age, le texte original n'avait été' édité qu'une seule fois, soit en 1S60, par François Guessard et Charles Grandmai~

son. Cette édition, comme celle de Ruelle, s'appuyait sur les trois manuscrits de Tours, de Paris et de Turin. Le manuscrit de Tours:, le plus ancien des trois, et conservant vraisemblablement 11.oeuvre ori-ginale, ne révèle aucun nom d 1 auteur. Le poème anonyme aurait été

(6)
(7)

CHAPITRE PREMIER:

DE L'HISTOIRE A LA LEGENDE

"Il est un temps pour établir les sources de 1' oeuvre; un temps pour, en 11 oeuvre m3me, se désalt~rer." (1) Ces muts de Gaétan Picon faisaient sans doute allusion aux études médiévales que trois gén&-rations d'érudits, penchés laborieusement sur les textes anciens et leurs ~st~res, avaient petit

A

petit ~enées à une stagnation quasi totale. Cependant, on ne contestera pas la nécessité, voire la valeur des travaux d'histoire littéraire effectués vers la fin du XIX~ si&-cle et du début du xx~.

On ne contestera pas non plus que 11 av~nement d 1une quatri~me génération de médiévistes aura été le salut de la littérature du moyen âge. Avec Reto Bezzola, notamment, cette génération a rendu au domaine de la littérature ce qu1il Y' avait de littéraire dans les oeu-vres du moy-en Age. D'historique, la_ critique universitaire devenait ce qu 1 elle devait ~tre: une cri tique esthétique. C1 est avec son ~tude, sur le Sero~ d~ 11 Aventure et de 11 Amour dans les Romans de Chrétien de Troyes,

(8)

que Bez zola ouvrait une ~e nouvelle des études médiévales. Les sour-ces de l'oeuvre qui avaient été jusque lA la principale préoccupation des médiévistes ne devenaient objets d'étude que si elles apportaient quelques indications sur la valeur littéraire de 1' oeu:vTe~

Ainsi le procédé qui consiste, pour l'auteur du moyen !ge, A faire passer des peraonnages du plan de 1 1historici té au pla.'rl de la. légende n'est-il' plus considéré comme objet d'étude purement historique, mais: bien comme un des principes fondamentaux de l'esthétique littéraire,

particuli~rement en ce qui concerne l'éla.~ration des po~mes épique~~ Aussi remarque-t-on que, dans Huon de Bordea.tpc, les sources historiques transformées en valeurs littéraires, constituent une part important de l'économie littéraire de l'oeuvre.

Ces sources historiques de Huon de Bordeaux ont été longuement étudiées par G. Paris et A. Longnon; nous retenons pour les ·chapitres subséquents 1'1

étude des sources purement littéraires établies par les travaux de Voretzsch, de Scheludko et de Krappe, et que nous signa-lerons au passage A mesure que ces sources s' av~reront utiles à 1 t

a."'la-lyse de 11 oeuvre. Bornons-nous ici aux sources historiques et au pro-cédé qui les fait passer de l'histoire

A

la légende littéraire~

"La. légende a le désir pour p~re, pour m~re la circonstance" (2), écrit GUnter dans son étude sur l'origine ps.ychologique des légendes.

(9)

Etymologiquement le mot légende vient de legenda,"choses devant 3tre lues".La légende prit naissance dans le réfectoire des monast~res

o~ le moine devant faire lecture de la vie des saints pendant le repas, · était convié ~ en rédiger lui-m3me le texte d'apr~s les faits histori-ques contenus dans les Acta Sanctorum. Le clerc avait 11 enti~re liber-té de traiter le suj~t comme il l'entendait, et l'on ne tarda pas à se livrer aux jeux de l'imagination. Puis ces légendes entr~rent dans la vie profane, probablement par les pélerins, h8tes des monast~es

qui entendaient au réfectoire ces récits merveilleux. LA encore, on peut facile:nent se 11imaginer, la légende devait subir quelques modi-fications au point qu 1 entre les données historiques des Acta et 1' "his-toire vraie" que 11 on pouvait se faire raconter

à

l'auberge, il n'y

avait plus A s~~ reconna!tre: le saint qui avait été dévoré par les lions finissait par manger lui-m3me les lions, et la sainte brdlée sur un btlcher avait tat fait de devenir un cierge d'autel. Ce qui était coutume monastique n1a pas tardé

A

devenir coutume littéraire, le

mo-nast~e et le salon Ii ttéraire co!ncidant tr~s souvent au moyen B.ge~

Le po~te de notre légende raconte comment Huon iua le fils de Charlemagne, Charlot, apr~s que celui-ci l'eut attiré dans un guet-apens. C'est lA le premier ressort de l'oeuvre qui lancera dans une s-3rie d'aventures le con:tte Huon et son entourage. Les critiques des sources historiques ne voient aucun rapport entre le Charlot de 1'

(10)

oeu-vre et Charles le Jeune, fils atné de Charlemagne, qui mourut de ma-ladie, ~gé de pr~s de quarante ans~ Aucun détail de la vie du person-nage historique ne concorde avec notre Charlot, léger et insoumis,

qui mourra de mort tragique des mains d'Ruan. Cependant les Annales Bertiani nous parlent d'un certain Charles, roi d'Aquitaine, fils de Charles le Chauve et de la reine Errnentude qui aurait vécu de S47 ~

S66.

Frivole et insoumis ~ l'autorité paternelle, il aurait trouvé la mort ~ la suite d'un drame avec un noble du pays. Le Reginonis Chronicon est plus explicite sur l'incident et raconte les circonstan-ces précises de la mort de Charles: jaloux de la bravoure et de la haute renommée d'Un noble du pays, le fils de Charles le Chauve l'au-rait provoqué au combat en lui tendant une embuscade. Le jeune prince aurait reçu au cours du combat un coup d'épée mortel dont il serait mort deux ans plus tard. Le jeune noble apprenant que son assaillant et victime était le fils du roi, se serait enfui pour éviter d'être traduit devant le roi et supplicié pour son crime.

L' év~nement de la chronique, qui peut être considéré comrne véri-dique, a donc pu servir de base historique ~ l'élaboration de la lé-gende de Huon~ On pourra toutefois remarquer des modifications subs-tantielles: le fils de Charles le Chauve devient par l'alchimie des cadres préétablis de l'épopée carolingienne, Charlot, fils de Charle-magne. L'histoire fait mourir Charles des suites de sa blessure, deux

(11)

ans après le combat, alors que pour les besoins du moment et pour ne pas trainer la chanson en longueur, le poète fait mourir Charlot ins-tantanément. Il était, de m3me, évident que la tttite du jeune noble a-près son crime ne pouvait 3tre prise en considération pour la forma-tion de l'oeuvre littéraire, et que celUi quf devenait Huon dans 11 oeuvre littéraire se devait· de para!tre devant Charlemagne, lui

avouer son forfait et de là s1'engager dans 11 aventure qui forme le corps de 1' oeuvre. Le nom du noble est toutefois révélé par la chro-nique coTllT'l.e étant Albuin, Or I.ongnon fait état de la rencontre en Italie d'Albuin avec un certain comte Huon, lequel servit de modèle à l'auteur dea Loherains.

n

est donc fo:bt possible qu'une tradition orale ait fini par confondre les deux voyageurs et que 11 on pr3tAt à

Huon l'aventure d'Albuin, Notre poè:be tenait donc vraisemblablement l'histoire de la Reginonis Chronicon par une tradition orale.

Quant au nom du père d'Huon, le comte Séguin, l'histoire de Fran-ce en régèle quatro dont un seul pourrait offrir quelque concordanFran-ce chronôlogique avec les faits rapportés par la Reginonis Chronicon,et nous permettre de croire qu'ïl fut ou le père d1:Albuin ou le père du

comte Huon, Et cela d'autant plus que le dit comte Séguin gouverna à Bordeaux de 8.39 à 845, Un quatrième Ségui.h, vicomte de Bordeaux, a été· signalé par Mlle.

x.

Pamphilova (3 ). Son nom est mentionné dans la chronique Gallia Christiana comme fondateur de l'abbaye d'~sses

(12)

d'Orient, se rend A l'abbaye Saint-Maurice-ès-prés, sur le chemin de Bordeaux. Il ne faudrait pas toutefois conclure trtV brusquement sur la parenté possible des deux personnages puisque le vicomte Séguin a vécu vers 977; le comte Huon de l'histoire était donc disparu depuis longtemps. Il reste cependant plausible que notre poète ait pu ras-sembler 1' abbaye, le vicomte Séguin, le nom du comte Huon et 1' aventu-re d1Albuih et établir entre des éléments une généalogie toute lit-téraire qui servit de gen~se

A

son oeuvre.

La figure du petit roi Aubéron semble pouvoir Atre également re-pérée dans l'histoire. Ecartons toutes les sources littéraires o~ aurait pu figurer 1' elfe féerique pour ne nous en tenir qu

t:A

un é·cri t historique, les Annales historiae illustrium principum Hannonie, {4) datant du XIV~ siècle et reproduisant la chronique, aujourd'lmi · per-!ue, d'tm certain Hugues de Toul qui vécut vraisembla.blement au XIIè

siècle. On y li t que le roi des Francs, Clodion avait un fils, Albé.;.. rie, que les Mérovingiens avaient chassé du royaume en l'·accusant d' ~tre un enchanteur et d •·avoir commerce avec les esprits sataniques~ Albéric

(5)

se réfugia dans la for~t, fonda des villes, éleva des autels aux dieux et fit ériger

A

Mons une tou:b quï porta son nom et que 1' on retrouve encore au XVIIe si~cle sous le nom de Tour d'Au-héron. Cette tour a été· détruite en 1618, et selon les archéologues ·(6), aurait fait partie d'une enceinte construite entre 1120 et

1195,

dates

(13)

qui rendent possible la rencontre de notre auteur avec le chroniqueur ou une tradition orale déjA en formation de légende. Ce n•·est vrai;.. semblablement qu'A partir de cette date que l'on rencontre le nom d1:Aubéron dans les oeuvres littéraires. Il semble en dernière analy-se que le personnage d1Aubéron n'ait pas d1antéc,;~dent nominal en lit-térature; il est par lA, la seule création vraiment authentique de Huon de Bordeaux, tout en constituant un élément nouveau dans l'évo -lutian de la chanson de geste comme nous le constA.terons dans un cha-pitre subséquent.

Lea autres éléments historiques de Huon de Bordeaux se réduisent à très peu de choses. Signalons la figure de Charlemagne qu8 11on

re-trouve dans toutes les chansons de geste appartenant au cycle caro-lingien. Un seul détail historique cependant visant la personne de l'Empereur Charlemagne mérite d'être signalé~ Aux vers 10273

à

10277, il est question du péchr~ de Charlemagne A cause duquel 1 t empereur

ne

peut boire dans le hanap magique d'Aubéron. Le roi· de féerie rappelle à Charlemagne qu'il

"( ••• )en sai un pecié mortel

Que vous fe si stes moult a lonc tans passé".

Or Gaston Paris dans son Histoire poétioue de Charlemagne (7) rappelle les légendes o~ il est question du péché de Charlemagne: Saint Gilles r8çoit d'un ange une lettre lui révélant que 1 'Empereur avait omis d'accuser un péch3 en eonfession. La Karlamagna Saga iden-tifie ce pôc~1 ay,ec l'amour de l'Empereur pour sa soeur Gille.

(14)

Cependant les Acta Sanctorum

(8),

les plus fid~lement historiques des chroniques, relatent les assiduités amoureuses de Cherlemaene

au-pr~s de sainte Amouherge. Paulin Paris, pour sa p3rt, fonde, dans son Histoire littéraire de la France (

9 ) ,

le péché de Charlemagne sur les complots auxquels l'Empereur a d~ se livrer pour arriver à former son empire. Quoiqu'il en soit cette laute semble ne pe.s ~tre sans fon-dement historique, et l'auteur de Huon de Bordeaux a été l'un des ra-res à l'utiliser comme valeur littéraire. L'incident du hanap en effet permet

A

l'auteur de condamner discrètement l'attitude de Charlemagne envers Huon. Quant aux détails qui nous font voir un Charlemagne assez indigne de sa grandeur, rappelons que nombre de chansons lui prêtent

les mêmes traits libinideux et vio-lents. Nous verrons plus loin eomment ces traits ignominieus sur la figure de 11 Empereur servent la thèse de

l'auteur et comment maintes chansons ne sont souvent que des manières de pamphlets•

Lorsqu'en route pour l'Orient, Huon s1arr3te

A

Rome et rend vi-site au Pape, l'aventurier découvre que l'Apôtre est son cousin:

"Dix te croisse bontél

Dont es tu, trere, et de quel parenté" (v.2509-10)

Or à Rome, du 8 janvier 1198 au 16 juillet 1216, un Français siéGea sur le tr8ne de Saint-Pierre sous le nom dt Inno-cent III.

(15)

De plus les dates limites entre lesquelles a pu 3tre composée notre chanson concordent avec celles du pontificat d'Innocent

ni.

Nous n'apportons cependant aucune conclusion à ce fait. Ce n'est peut-3tre pas sans raison d'ailleurs qu1aucun critique des sources historiques d'Huon de Bordeaux n'a soulevé cette question. Nous ne devons surtout pas conclure

A

la parenté' réelle du Huon historique avec le Pape; cet-te parenté n'aurait d'ailleurs aucun fondement puisque les personnages historiques, autres que le Pape, et qui ont pu servir de modèle à l'auteur, ont tous vécu deux ou trois siècles avant la date de 119S. Nous voulons simplement relever ce détail historique que l'auteur, fier de ses origines nationales conununes avec 11 Ap6tre de Rome, a voulu rappeler à ses auditeurs. Il se peut bien aussi qu'ïl st:agisse là tout simplement du procédé co'l.ltant dans les oeuvres de 1' époque et qui consiste à apparenter tous les personnages entre eux. Les liens généalogiques sont très forts au moyen ~ge, surtout dans les chansons de geste; signalons seulement que dans le cas de Huon de Bor-deaux, 21 des· 32 personnages figurant dans 1' épopée ont entre eux quelque lien de parenté. Sur la signification de cette tendance, nous reviendrons plus loin.

Sauf ceux· que nous venons d 1 étudier ici, tous les autres élé-ments de la geste d1Huon sont d'origine littéraire, et nous signale-rons leus sources au :t'ur et à mesure que nous les rencontrerons au

(16)

cours des analyses qui vont suivre aux chapitres II et III.

VoilA donc pour les circonstances qui ont pu servir de matériaux élé-mentaires· dans la formation de Huon de Bordeaux. Reste A voir quel

"désir" a pu présider

A

la mise en oeuvre de ces circonstances. Rappe-lons d 1 abord ce mot de Joseph Bédier:

"Nos po~tes n'ont pas combiné des évooements historiques, mais des th~mes poétiques". (10)

Ces·mots,

A

l'époque, firent choc tant les médiévistes avaient, semble-t-il, oublié cette vérité fondamentale, A savoir que les chan-sons de geste sont des oeuvres littéraires et non des chroniques. Que des· études historiques aient donné lieu de croire que de la chronique

A

la chanson il y avait échange constant, il ne fait plus aucun doute.

Qu'à

partir de circonstances historiques réelles, les po~tes aient rédigé des oeuvres indéPendantes de l'histoire qui les a fait nattre, voilA qui fait moins de doute encore. L' articulation haute-me:at littéraire que les auteurs ont donné

A

leurs oeuvres nous rensei-gne assez bien sur laur If désir", lequel n 1 est pas différent de celui

des auteurs d'aujourd'hui, et participe

A

l'activité artistique de toujours: Créer. Si de la Chanson de Roland

A

Huon de Bordeal.'!fÇ;, il y a une divergence de motifs évidente, (ce que nous verrons au prochain chapitre) le procédé créateur qui va de l'histoire A la légende, en l'une et 11autre des deux oeuvres, n'en est pas moins le m3me, celui d'une

(17)

conscience qui saisit ce qui fait irruption en elle et l'exprime sous la forme d11.me oeuvre. Créer, c''est le "désir" dont parle Gnnter; c'est

lui qui donne

A

la circonstance sa forme sensible.

(18)

C H A P I T R E D E U X I E M E: AUTOUR DE CHARLEMAGNE

Depuis la Chanson de Roland, écrite vers 1080, jusqu 1 au premier

tiers du XIIe si~cle, l'Empire carolingien constitua la matrice sur laquelle se dé-œeloppaient tous les monuments littéraires de la poésie narrative de langue française. Cette époque constitue !"!ge d'or de 1 t:épopée de Brance. Le grand cycle carolingien se subdivise en trois cycles:

A) La Geste de !•·empereur Charlemagne proprement dite, avec ses aventures de guerres saintes: d'Italie (Chansons d'Aspremont,d1otinel,

(19)

de Palestine (Chanson de Hira.n, Pélerinage A Jérusalem, Le Chevalier au Cygne, Chanson d'Antioche); de Bretagne (Chanson d''Aigufn),contre: les· Saxons (Chanson de Saisnes); d'Espagne (Chansons de l'Entrée en Espagne, de la prise de Pampelune, de Fierabas, d'Agolant, de Roland, de Gali.'en, d'Anse!s).

B) La Geste de Garin de Monglane, racontant les exploits de Louis, fils de Charlemagne, soutenu par le chevalier Guillaume d'o-range et son lignage: (Le Couronnement de Louis, le Charroi de N1mea, la Chanson de Guillaume, A.vmeri de Narbonne, Département des enfants d 1 Aymeri, Girard de Vienne, les Enfances de Vivien, Faucon de Candie, la Bataille Loouifer, Rénier, Bouvon de Comrnarcis, le si~ge de Barbaste, Guibert' d''Andrenas, Aliscans).

C)La Geste de Doon de Mayence; c'est le récit de la r~ volte des chevaliers contre Charlemagne; (Chevalerie d110gier, les

Quatre fiis Aymon, M:>ugis d'llgremont, Chansons d'Aubri le Bourguignon, de Basin, de Girard de Roussillon, de Germond, de Raoul de Cambrai, Les Lorrains).

Chacun de ces trois cycles délimite une attitude que le po~te a pris devant le motif spirituel et le th~e central de 1' aventure caro-lingienne. Chacun correspond à la manifestation d'une tendance parti~ culi~re vis-à-vis de la conception que la société se fait de la féoda-lité, de la défense de l'empire contre les forces extérieures ou contre les tendances anarchiques de 1 ''intérieur, Le cadre des trois cycles

(20)

reste cependant toujours le m3me: l'exploit guerrier.

Au milieu de ce foisonnement de chansons de geste, Huon de Bordeaux pourrait figurer dans le cycle de Doon de Hayence, bien que les au-teurs de manuels éprouvent toujours une grande difficulté A classer cette oeuvre. On la retrouve,

A

tout hasard, sous la rubrique des· chansons diverses, des épopées fantaisistes, des légendes épiques ou· des· épopées· romanesques. Nous verrons subséquemment comment ces auteurs de manuels ont pu 3tre placés devant une oeuvre litigieuse. Néanmoins le fait que Charlemagne y soit une des figures dominantes· et que l''histoire raconte 1.m dém3l:é entre 11!empereur et un de ses sujets suffit pour que l'oeuvre soit inscrite dans le grand cycle carolin-gien sous la geste de Doon de Mayence. Un si~cle environ sépare...lh!Qn de Bordeaux de la Chanson de Roland.

Voici qu'au premier tiers du XIIe siècle, un autre prince fait son entrée sur la scène littéraire: Alexandre le Grand.

n

amène avec lui les décors de 1' Antiquité qui font dèà' lors leur premi~e appari-tion dans les oeuvres en langu.Jt française; les littérateurs de

lan-gtœ latine, limités

A

la docte société des clercs, gardaient depuis

longtemps dans le a oeuvres les éléments antiques, mais se gardaient bien de les confier aux· auteurs écrivant en langu e vulgaire. Or la vie parallèlle des deux littératures française et latine devait fné-vi tablement les mettre en contact et déboucher sur un réseau d

''in-fluences réciproques. C'est ainsi qu'Alexandre a pu na~tre

A

la

(21)

térature de langue f'ran~aise.

La premi~re oeuvre alexandrine remonte ~ 1125 environ; nous n'en possédons qu'Un. fragment de 105 octosyllabes signé par Aubri' de Brian-çon. Mais c1'est dans la deuxi~me moitié du m3me si~cle que le roman

alexandrin prit de l'ampleur. Le Roman d'Alexandre composé de 20,000 vers par un consortium d1'auteurs (Lambert le Tort, Eustache, Alexandre

de Bernai et Pierre de saint-Cloud) connut un grand succ~s non seule-ment en France mais dans presque tous les pays européens

00.

1 ''illus-tre prince devint le sujet de maintes oeuvres allemandes, italiennes, espagnoles et yougoslaves. L'on sait que c'est en 1177 qu t Alexandre de

Bernai mit la derni~re main au Roman d'~Ale.:x:andre,soit vers l'époque ob. Huon de Bordeaux t'ut vraisemblablement composé~

Le héros et conquérant de l'Antiquité grecque appara.tt, aux yeux àe !''auditoire féodal du me siècle, comme un mod~le bien différent de celui' que ce m3me auditoire avait l'habitude de rencontrer dans les chansons de geste. Le monde antique y apparatt comme 11 opposé du monde chrétien de Charlemagne. La conqu3te est son privilège; l''épo-pée ne conquiert pas, elle défend. L'idéal du héros fortement indi-viduel, du génie fougueux de la conqu3te prend la place de 11'image-·

du héros collectif, soumis au destin que lui tracent la Providence et l'Empire. Ce nouvel idéal marque la pén.$tration du paganisme an-tique dans l'esprit chrétien de l'Empire incarné dans la légende

(22)

ca-rolingianne.

Joie nous fait l'antiquité Que tout ne soit pas vanité. (1)

Désormais nous suivons le héros non plus seulement dans seS"

ex-ploits, mais aussi dans sa vie de tous les jours depuis son enfance, comme pour mieux- montrer que le héros est celui qui se fait lui;..m&te héros depuis les plus humbles années de sa vie. Le Roman d'Alexandre nous fait assister

A

la formation du jetme héros dans son enfance et durant son adolescence, Ce trait particulier au roman alexandrin provoquera dans les chansons de geste qui cheminent parall~llement avec lui dans le temps, les multiples enfances des héros épiques: Les Enfances Guillaume, les Enfances Ogier, Mainet, Rolandino.Avant cette époque, le héros est toujours présenté in medias res; son passé est sans signification; le présmt seul de l'action est sujet à la

su--blimation épique.

C'est dans les romans alexandrins que se dessine pour la premi~e fois les éléments de la courtoi.Jlie alors· en plein essor dans les cours du Midf de la France • Beszola rév~le que dans le seul Roman d'Alexandre le mot de courtoisie se retrouve au total plus fréquem-ment que dans toutes les chansons de geste antérieures rassemblées. C'est l'injonction de la courtoisie dans la mati~re antique quf faft des oeUVTes alexandrines des oeuvres proprement médiévales. La

(23)

cour-toisie envers les dames est enseignée A AleJtandre d~s son plus jeu-ne âge, tout comme elle doit faire partie de la formation du chava-lier idéal de la société féodale du XIIe si~cle. Il n'y a rien d'an-térieur aux premief-s romans alexandrins qui puisse, semble-t-il, jus-tifier l'apparition de la courtoisie dans la littérature m9diévale.

Au vers 36g du Roman d'Alexandre, on trouve ceci: Li reis Artus 11ot man jour en bataille.

C'est l'indice qu'un nouveau centre de th~mes poétiques, indépendant du foyer d1'Alexandre, a déjà fait son apparition dans la littérature.

L''auteur poitevin indique qu'ïl connaft cet autre prince qui se pa:r-tagera d8sormais avec Alexandre et Cha.Tlemaene, le monde littéraire de la deuxi~me moitié du XIIe si~cle.

Si la légende arthurienne d'origine celtique a vraisemblablement circulée sous forme de tra.di ti on orale dans le nord de la France avant le XIIe si~cle, ce n'est qu1'en 1135 qu'elle fait son apparition dans la tradition écrite avec l'Historia rem&~ Britanniae de Geoffroi de Mbntmouth. Apr~s cette date, et notamment apr~s 1150, les th~mes ar-thuriens sont mannaie courante dans la l i ttératù.re de 11 époque~ C'est

l

cette date que la forme du roman s'impose

A

la société de cour.

Nous ne nous attarderons pas sur 11 origine des légendes arthu-riennes. Voyons plu~t ce que ce roi et sa Table Ronde ont apporté de nouveau ~ la littérature du moyen âge~ La vogue de la littérature

(24)

arthurienne, par sa nouveauté, devait disputer avec succès

A

la vieil-le chanson de geste la faveur publique. Aux entreprises e~n~rales, poursuivant un but national ou autre, succèdent les aventures in-dividuelles. L'amour, qui dans les chansons de geste, n'avait joué qu'un r8le secondaire prend dans les créations de provenance breton-ne ubreton-ne importance ca pi tale. La femme avance au premier plan. L''homme, subissant 11 infiuence de la femme et de 11 amour, n'est plus le

guer-rier brave et intrépide qui ne prend plaisir qu'au bruit des armes; il est avant tout le chevalier galant et courtois. Un intér3t tout nouveau pour la vie intérieure des personnages, pour 11 analyse des sentiments et pour les nuances psychologiques vient remplacer

"l"

ex-position tout extérieure et les grands partis pris qui caractérisent l'épopée"• (2)

Les oeuvres du cycle arthurien se manifeste d 1 abord sous la

forme celtique du lais, mais leur f~rme classique s'élabore dans le roman dit courtois avec Ma!tre Wace, auteur du Roman de Brut, et surtout avec Chrétien de Tra,res.

Avec Chrétien de Troyes le monde d'Arthur est clairement délimité: l'amour courtois, l'exploit pour mériter la dame, la réintégration du héros dans la société de ses pairs, et surtout le merveillB'I.lZ i'éerique indiquant d1'tme façon définitive que l'idéal des chansons de geste ne s'impose plus seul

A

la conscience littéraire des poètes. C1est ce-pendant au moment o~ Chrétien de Troyes écrit

(25)

Yvain, Erec et Enide, Clig~s et Lancelot que notre po~te met au point Huon de Bordeaux pour un auditoire qui vraisemblablement avait déj! entendu raconter les conqu3tes hérolques d'Alexandre et les ri-ches merveilles du roi Arthur.

Voici donc quel est 11état des grands courants littéraires en vo-gue au moment où Huon de Bordeaux fait son apparition devant l'audi-toire de château. Charlemagne n 1 est plus le seul à rassembler autour de lui tous les exploits glorieux. Alexandre, prince gr8c, est

l'ob-jet d'une haute idéalisation du prestige personnel et de la conqu3te glorieuse. Arthur, rassembleur de poésie, tient sa cour au milieu de merveilles sans nombres et ses vassaux se livrent

à

des aventures toutes empreintes de féerie afin de mériter l'amour d'une Dame.

Avec ces éléments nouveaux introduits dans la littérature, avec les formes nouvelles dans lesquelles 11 évolution a fixé les chansons de geste de la fin du XIIe siècle, il est clair que Huon de Bordeaux ne pouvait pas correspondre en tout point à la pureté esthétique de la cha.'Ylson du XIe si~cle. Nous avons vu quelle difficulté éprouvaient les-auteurs de manuels à classer cette oeuvre dans le répertoire des chansons du cycle carolingien. Cela tient peu t-Atre à ce qu' elle n'est plus tout

à fait une chanson de geste et qu1 elle s'est peut-3tre muée en autre chose.

Tentons de si tuer le point exact que tient Huon de Bordeaux dans le lignage des chansons du cycle carolingien. Trois chansons anté-rieures

à

Huon de Bordea~ semblent d~limiter, tant par leurs carac-tères généraux que par leur st,yle respectif, le cheminement 9Z 11

(26)

évo-lution de la chanson de geste; elles nous aideront

A

situer notre oeuvre dans cet ensemble. Ce sont la Chanson de Roland, la Chanson de Guillaume et Raoul de Cambrai. Chacune d'elles se manifeste comme l'oeuvre type de chacun des trois cycle••

Ce qu'ont en commun ces trois oeuvres ne dépasse pas le cadre de l'aventure guerri~re, et ce qui fait l'Un.ité fondamentale de la Chanson de Roland se dissout

A

mesure que l'on se rapproche de

Raoul de Cambrai. A la défense de l'Empire qu'assurait Roland se subs-ti tue la défense du lignage féodal par Guillaume pour aboutir fina•· lement à la seule défense du fief dani Raoul de Cambrai. De l'empi-re au fief, le cadl'empi-re guerrier se rétrécit et les motifs de 11

héro!s-me s'ahéro!s-menuisent sensiblehéro!s-ment. Dans Huon de Bordeall.'A c'est égalehéro!s-ment pour la possession du fief d'Huon qu'Ama.ury consent

à

la. Da.ssesse· du complot guerrier, et c'est pour s'assurer la possession du même fief que Huon se livre ensuite aux: exploits exigés par Cha:rlemagne •

.tl!!2!l

de Bordeaux entre donc dans la ligne des chansons où 11 empire réduit ses frontim.es aux limites du fief seigneurial.

L'Empereur, objet d'idéalisation dans la Chanson de Roland, prin-ce tout puissant, sans défaut et pour lequel leshéros se font martyrs, àubi t également des modifications dans 1' évolution des cycles. Char-lemagne, défenseur de tous les droits, est empereur et oncle de Roland; dans la Chanson de Guillaume, Vivien doit faire appel, pour sauvegarder ses droits,

A

son oncle-seigneur d'une part, et

A

l'Empereur d'autre

(27)

part. L'unité du pouvoir théocratique qu'exerçait Charlemagne dans la Chanson de Roland est divisée et amoindrie dans la Chanson de Guil-laume. Le pouvoir impérial devient chez Raoul objet de sa révolte.

-Raoul se révolte contre Charlemagne p1rce que celui-ci, injustement, lUi a enlevé son fief au profit d1un autre seigneur. Dans Huon de

Bordeaux l'Empereur n'a plus la figure infaillible du Charlemagne de la Chanson de Roland. C'est m3me lui, tout roi qu'il est, qui finit par 3tre vaincu d'tine part dans son orgueil parce que Huon rel~e son défi, d 1 autre part par les puissances non plus huma.ines et guerri~res comme dans Raoul, mais féeriques et magiques incarnées par le petit roi Aubéron.

Le

pathétique chrétien et l'amour de la patrie qui meuvent

cha-mm des héros de la Chanson de Roland n'a plus d 1 importance dans la ~ son de Guillaume o~ l'honneur guerrier et la rudesse virile ~ l'état

brut ont :pris toute la place. Raoul pour sa part n1·est que par la force que lui.donnent les motifs de sa vengeance; il ne recule devant aucune lAcheté comme en font preuve le m~xrtre de la mère de Bernier et l'incendie des monastères. Huon est un 3tre plus faible encore, qui ne pourra finalement triompher qu'en faisant appel aux forces surhumaines d1.Aubéron envers lequel il ne pourra m3me pas témoigner

sa fidélité; n 1 enfreint-il pas l'ordre d 1 Aubéron de ne pas sonner le cor magique sans motif sérieux? N'enfreint-il pas même 1' ordre mora! chrétien qui lui interdit toute relation avec Esclamonde avant d'avoir

(28)

reçu la bénédiction nuptiale? Seul le duc Naimes, fidèle à la sages--se étennelle, reste le m~me depuis la Chanson de Roland jusqu'à Huon de Bordeaux.

Ce que le héros Roland a d'individuel servait

à

établir un équi-libre entre les forces èxtérieures de l'action dramatique; le person-nage est mû par un principe qui le gouverne; il est l'incarnation de 11héro!sme.

Danë

Raoul de Cambrai déjA, le héros est individualisé au point de ne tenir à défendre que sa propre vie. La. lutte pour l'rdre intérieur de la communauté est remplacée par la lutte pour un or-dre intérieur dans la personnalité de l'individu. Huon est 1.m héros mené· par tous ses caprices intérieurs et nulle loi ne veille

à

11 or-ganisation de son t:ersonnage; il est livré à une liberté qui n 1'a rien de dramatique.

L'objet proprement chrétien de la défense de l'Empire qui entrat-nait les héros dans une série d'aventures guerrières ne réside plus dans Huon de Bordeaux qu'en un fétichi_.Bme puéril que symbolisent les quatre dents et la barbe de Gaudisse et pour lesquelles Huon a dd :franchir tant d 1 épreuves. Ce n 1 est pas me croisade que Huon va mener' en Oritnt,.c1est un défi oreueilleux qu'il va relever.

Roland est accompagné d'Olivier, de Turpin et des autres pairs; Guillaume n 1 a plus que ses neveux et ceux de sa. famille; Raoul est

(29)

Charlemagne ordonne à Huon d'aller seul, depuis la Mer Rouge jusqu•·au palais de Gaudisse, accomplir l'exploit qu'lllui a imppsé. Au drame né d1tm confiit de volonté, tel qu'on le trouve dans la Chanson de Ro-land, s'oppose la trame d'aventures inouies que rien, semble-t-il, n'a présagées.

La. dissolution de 11 espace épique (1 1 Empire) et de la dimension héro!que des personnages constitue donc le lieu de la métamorphose profonde de 'la chanson de geste de Roland à

!i'!:!2n·

1-fais cette métamor-phose peut-elle 3tre autre chose que la désagrégation d'un genre? C'est en analysant les ressorts littéraires de Huon de Bordeaux que nous pour-rons répondre à cette question.

En plus des changements apportés au niveau des motifs de 1' aven-ture guerri?n-e, la modification est aussi décelable au niveau de l'or-ganisation esthétique de l'oeuvre. L'articulation des phases dramati-ques et leur agencement, le ton général de l'oeuvre, la composition proprement littéraire et ses structures, autant d'objets qu'il impor-te d 1 analyser dans leurs fonctions épiques en voie de devenir

ro-manesques. Et les éléments que nous avons signalés plus haut, soit l'entrée en scè:le au milleu du nie si~cle des romans alexandrins et arthuriens, a111ec leur somme d'aventures nouvelles, ne sont pas étran-gers à cette transformation.

(30)
(31)

C H A P I T R E T R 0 I S I E :H E: LES ELF.:M:Er-TTS RO:HANRSIJ!§

Nous vons dèjA laissé soupçonner que notre projet était de fai-re voir en Huon de Bordeaux une oeuvfai-re complexe, ni tout-~-rait

chan-son de geste (bien que se rattachent au cycle carolingien), ni tout-~-fait roman (bien que comportant un certa.in nombre d'éléments ro-manesques). C'est donc A ces éléments propres à la forme du roman médiéval que nous consacrons le présent chapitre, tout en tenant compte d'éléments épiques qui serviraient

A

distinguer, dans Huon de Bordeaux, le roman de 11 épopée.

En juxtaposant ce qui fait de la Cha."lson de Rolrnd une geste, A

ce qui, dans Huon de Bordeaux) en fait une oewrre complexe, nous nous trouvons devant deux sensibilités litt.:?raires différentes. C'est

dans la for'Tie que prennent ces sensibilit,';s que l'ppposition se ma-nifeste davantage. Par forme, il faut entendre, le cadre spécifi-que• ~ chacun des !~ genres, soit: la dur9e de l'oeuvre, l'économie

(32)

des fonctions psychologiques qui animent les personnages, la tonali-t~ et 1•· style édictés par une motivation particulière, enfin la struc-ture proprement litt~raire: la laisse. Chacun de ces segments forme le cadre de Huon de Bordeaux en fonction de la. composition archétypique et traditionnelle de l'épopée d'une part, de la composition libre et inovatrice du roman courtois d'autre part, Voyons en quoi la compo--sition de ces deux genres s'oppose

A

première vue~

Le roman Jjtédiéval est

A

1' épopée du XI et XIIe siècles, ce que le cinéma est

A

la photographie; les rapports de l'un

A

l'autre sont des rapports de durée. Posons donc comme postulat que le temps cons-· titue la mesure différantielle entre le roman et l'épopée,

L''épopée centre 1' int~r3t sur la façon dont se sont déroulés des faits irrémédiablement consomm~s; aussi l'intrigue est-elle très simple, afin de ne pas nuire

A

la clarté de l' év~ement principal.

Le

roman, par contre, concentre l'attention sur les faits qui vont se dérouler, et qui rel~ent de la fantaisie de l'auteur; aussi la

complication de l'intrigue peut-elle ~tre poussée A l'extr~me. Or,

de toute évidence, Huon de Bordeaux participe

A

la seconde des deux esthétiques. L'auteur, en effet, n'insiste pas sur la véracité his-torique de l'aventure de Huon comme le fait, par exemple, l'auteur de la Chanson de Roland, L'aventure fantaisiste ne s''est pas déjA déroulée dans le passé, mais se fait au fur et A mesure que les héros progressent dans 11 action. L''attention est soutenue par une

(33)

sui te d'intrigues compliquées

A

souhait et que rien n 1 annonce.

La geste découpée en tablea~~, laisse l'mmpression de scènes et de personnages précis et bien circonscrits. Huon de Bordeaux, au con-traire, se d~roule dans une continuité; aucun des moments de l'aventu-re du Héros n•·est omis. 0' est précisément pour ne pas omettre ces moments, pour ne pas briser la continuité de l'oeuvre, que le po~te

doit les remplir par des aventures interm~diaires, fantaisistes et sans rapport avec le th~me central. Le sujet de Huon de Bordeaux, s'il avait ét.~ traité à la façon d'une chanson de geste primitive, n'aurait pas eu la description préliminaire de la cour de Charlemagne. Seule la trahison d'Amaury aurait reçue un traitement littéraire. Auraient également été supprimés, les préambules du combat judiciaire, le récit du voyage de Huon de Paris

A

Rome, de Rome à Brindisi, de Brindisi à la l·fer Rouge en ~ssant par la F.eméhie et la Terre de Foi. Seul un héros du type art.nurien pouvait s'attarder, comme le fait Huon, à chacune des étapes du voyage en chargeaat chacune d'elles d1un sens

symbolique ou allégorique.

L'épopée don.'l'le immédiatement dans 1' in medias reis, p~nètre au coeur de l'év~nement~ Le roman a besoin d'Une préparation à l'aventure. Ainsi, des 10,553 vers qui composent Huon de Bordeaux, 5,435 vers

prè-c~ent l'arrivée de Huon à Babylone, ville qui constitue le vérita-ble coeur de l'oeuvre. La différence entre les deux gen»es réside précisément dans le fait que 11 épopée est un évènement (lin

instan-tané), le roman, une aventure (une durée).

(34)

La durée, dans Huon de Bordeaux, ne diff~re en rien de la durée des romans de Chrétien de Troyes. Avec la Chanson de Rola.nd,la

.Qhml-son de Guillaume ou le Pélerinage de Charlemagne, notre oeuvre ne présente aucun point commun quant ~ l'articulation des phases. Les héros romanesques partent de la cour de leur roi, décrivent un cer-cle pour enfin revenir ~ la cour d1

ôh

ils étaient partis. Le h.}ros épique, pour sa J:art, est pris sur le vif, au milieu de ses actions et y meurt; la mort est sa seule issue. L'aventurier romanesque, au contraire, cherche dans l'aventure une source de vie nouvelle; il survivra atUi é~es qui pourraient s1 interposer entre lui et le but

A

atteindre. Huon qui part de la cour de Charlemagne, s'engage dans le cycle de l'aventure, revient, sain et saur, ~ la cot~ de l'Empereur, ne diff~re en rien d1Yvain, de Perceval, de Clig~s ou de Lancelot; la durée dans l'aventure est le temps conunun A tous ces héros.

L'épopée ne cherche pas à exciter la curiosité en faisant ap-pel

à

l'incertitude. Le roman cache son dénouement, en laissant espé.:.. rer 11 intervention de quelque fait surprenant. Dans Huon de Bordeaux, rien, dans la premi~re partie ne surprend: nous savons que Huon tue-ra Charlot, qu'Amaury setue-ra puni, que Huon devtue-ra ~tre banni; les res-sorts littéraires de cette premi~re partie, la durée romanesque mise

à

part, relèvent du domaine épique, Mais aussi t8t engagé dans 1' aven-ture, Huon ne répondra qu'à l'imprévisible. Ainsi, malgré l'avertis-sement de Gériaume lui interdisant de parler à Aubéron, Huon

(35)

adres-sera la parole au roi de féerie pour voir les prévisions de Gériau-me s1'évanouir. Aubéron, en effet, n 1 est pas 11 enchanteur satanique

11 Il

que Gériaume annonçait, mais un faé d'origine divine, aupollur plein de bonté.

Plus tard, chez Oede, ~ Tormont, comme au ch~teau de 11 0rgueil-leux, nous sentons tr~s bien que la victoire dll héros est la seule issue possible, mais les combats n'en restent pas mons pleins de

pe-ti ts détails qui compliquent 11 intrigue essentielle et surprennent

l'attention. L'imprévisible se manifeste lorsque Huon est fait pri-sonnier dans la tour du palais de Gaudisse, mais l'arrivée inattendue du géant Agrapart venant venger la mo;yt de son :rrm.e sert de prétex-te ~ 11 auteur pour· sortir de 1' impasse. Huon sort de sa prison pour

combattre Agrapart. Voyons maintenant comment la psychologie des per-sonnages évolue dans 1 '''épopée et dans Huon de Bordeaux.

D~s 1' apparition de Ganelonf dans la Chanson de Roland , 11

au-teur nous avertit de ce que sera le personnage pendant toute !''action de 1 'oeuvre:

Guenes i vint, ki la tra!sun fist

(0,

laisse 12) 'f.fa.is rien, dans Huon de Bordeaux, ne laisse prévoir que Gérard se ré-voltera un jour contre son :fr~re, et sera finalement pendu comme un trattre. Gérard n'est pas le Trattre, il devient trattre. Les h0ros du roman sont toujours en devenir, alors que, dans l'épopée, le hé-ros est preux eu sage ou tra!tre d~s les premiers mots et le restera

(36)

jusqu'a la fin de 11 oeuvre.

D'autres personnages dans Huon de Bordeaux ~TÔluent d'une façOn plus ou moins inattendue, pour ne pas dire incohérente. GAriaume, con-sacré ! la vie pf.lnitente, isolé dans la :f.lor~t, e.e fera finalement

:ehe\!alier de comba.t armf c6tés de Huon.

Esclarrnonde, présentée d'abord sous des traits tyranniques, de-viendra le soutien de son prisonnier, Huon. Le duc Naime cependant est un personnage md par une psychologie proprement épique. On le voyait déjà figurer, dans le~estes primitives, comme conseiller de

Charlemagne.

n

incarne, dans Huon de Bordeaux, la sagesse et la pondé-ration et cela sans subir d~odification psychologiqqe dans la com-position de sa personnalité.

Huon lui-m~me évolue. Aucun adjectif ne le qualifie d'une façon constante, comme Roland était qualifiéde preux, Olivier, de sage. L'auteur l'appelle quelques fois "noble cavaliern ou "l'enfans Hues", mais aucun trait ne le saisit d'une façon typique. D'abord fort, et vainqaur de Charlot èt d'Amaury, Huon deviendra faible et ne pourra plus re!!lporter de victoire sans 11 aide des puissances féeriques incarnées par Aubéron.

Charlemagne n' ·est plus le personnage sans faille des gestes du XIe si~cle. Toujours, dans Huon de Bordeaux, ses décisions seront mo-difiées ou compl~tement reaversées par Nairne, par Huon ou par ses pairs.

(37)

Bu.veur, violent, parfois injuste, aucun motif épique ne le conduit.

Si tous les autres personnages ne sont pas soumis ~ des flotte-ments psychologif!UeS, c'·est que leur r~le n'est qu'accessoire. Char-lot, Guirré de Gironville, l'abbé Leitris, Gloriant, Hondré, Jofrai, Sébile et beaucoup d 1 autres, viennent tour ~ tour, parfois sans

rai-son apparente, changer le cour de 1 'aventure. Au total trente-deu::Jr personnages figurent dans Huon de Bordeaux. N'est-ce pas là le signe que nous sommes loin de la simplicité de la Chanson de Roland où à peine une demi douzaine de personnages jouent un rSle important? Nous nous retrouvons dans la m3me atmosphèE"e luxuriante qui pr0side aux romans arthuriens; nous n'arrivons plus ~. retenir les noms de tous les figurants. ~me parmi ces figurants presque inactifs, il y an a qui recevront un traitement ps.ychologique analogue à celui de Huon ou de Gériaume.

Le caract~re de Charlot, par exemple, sera influencé par Amaury; Jofroi, d'abord courtisan fidèle du duc Oede, trahira son ma!tre pour aider Huon. Yvorin, recevant l'aide de Huon, finira par le combattre. Tous ces person'Y'le.ges, à des degrés divers, sont nantis d'une grande souplesse peycholoeique qui a pour fonction d1·amener L'aventure dans une situation nouvelle. Mais, précisément, faire dévier 1' intrigue, la conduire dans un dédale inextricable, ce n'est pas jouer de 11

'épo-pée, c'est donner dans ce qui appartient en propre au roman.

(38)

du XIIe siècle n'est pas étrangère A l'orientation romanesque des oeuvres contme Huon de Bordeaux, Mais ai ·notre oeuvre a reçu d'Ar-thur et d'Alexandre le sens de la dur-?.e romanesque et la psychologie propre aux hèros de romans, elle n 1 en a pas moins rejeté consciemment ou inconsciemment --un élément primordial: l'a~our courtois~

La femme n'est pas aussi absente de Huon de Bordeaux qu'elle 11 était des chansons de geste antérieures, Mais pour avoir introduit dans son oeuvre des femmes aux r8les relativement importants, 1' au-teur de Huon de Bordeaux ne leur a pas donné la fonction qu'elles pourraient avoir dans un roman courtois, Voyon donc quelles sont les femmes que Huon de Bordeaux met en scène;~d'abord la rnère de Huon, puis la femme de Garin de Saint-Omer," viennent ensuite Sébile, jeune française captive au c~teau de l'Orgueilleux, et enfin la pri-cesse Esclarmonde, fille de 11 gmir de Babylone et une princesse, dont le nom ne nous est pas révélé, fille de l'émir Yvorin,

Signalons d'abord que le mot de courtoisie n'est proféré qu'une seule fois dans to'llDe l'oeuvre, soit lorsque la mère de Huon, faisant stw adieux A ses fils qui se rendent A Paris, leur recommande:

Soiiés courtois et larges vivandiers (v,571)

La mère-de Huon ne fait l'objet que de quelques vers et aucune atti-tude courtoise n'est prise envers elle. ~lle mourra de chagrin deux ans après le départ de Huon pour 1' Orient. Celui-ci, à son retour n'y fera nulle all~sion et ne s'enquérira m3me pas du sort de sa mère,

(39)

On sait toutefois, lorsque Huon peut endosser le haubert magique, que ses parents étaient purs; c1ea était la condition.

En ce qui concerne la femme de Garin de Saint-Omer, on la voit pleurer le départ de son mari qui a choisi de suivre Huon jusqutà la Her Rouge. Aucune sc~ne galante ou courtoise ne préside au dé-part de Garin.

A

son retour d'Orient, Huon reviendra voir la femme de Garin pour lui annoncer la mort de son mari. C'est encore une fem-me en larfem-mes que 11 auteur nous fera voir ici.

s' arr~te le r~le d'tine femme dont nous n'avons m~me pas appris le nom.

Au ch~teau de Dunostre, Huon rencontre Sébile, captive de l'Or-gueilleux. Son at ti tude envers la pucelle n 1 est pas celle du cheva-lier courtois, sans ~tre toutefois anti-courtoise. Il J'appelle 11Dame11 ou 11Doulce amie" co~me le voulait probablement la coutu_me de

l'épo-que, mais le motif courtois qui appara!t dans les romans arthuriens-lorsqu1une dame entre en sc~e, est totalement absant de ces pages. A la fin de l'oeuvre, on retrouvera Sébile; Huon la marie à un de ses chevaliers sans toutefois qui celui-ci ait d'B. la conquérir par des ex-ploits guerriers~ Sébile n'a aucune fonction essentielle dans le po~me, sinon qu'elle fait Drébucher le géant à qui Huon tranchera la t~te.

Esclarmonde est la fille de Gaudisse. A son arrivée au palais de l'émir, Huon comme 11 exigaient les conditions de sa mission, embras-se trois fois la jeune princesembras-se qui embras-se p~~e d'aise devant le beau

(40)

chevalier. Lorsque Huon sera emprisonné, c • est elle qui ira le voir dans sa prison et lui proposera de faire q'elle ce qu'il voudra. Elle lui déclare son amour, ce qi!. est une attitude assez peu

courtoi-se, 1' amour courtois exigeant une grande discrétion. Huon repousse son amour sur quoi la jeune princesse se vengera et le laissera j e'll-ner. Affaibli par le je'llne, Huon accepte!'a finalement d'épouser

Es-clarmonde si elle le laisse s'évader, ce qui constitue une condition qui ne rel~e en rien de l'amour courtois tel qu'idéalisé par les romaneiers arthuriens.

Puis Huon, reitrant en France

A

tlord d 1 un vaisseau, abusera de

sa jeune fiancée. Nous verrons d'ailleurs au cinquième chapitre com-ment l'auteur nourrit envers les femmes et l'amour une attitude net-tement anti-courtoise; c'ast ainsi du moins qu'apparaissent les sc~ nes dont les femmes sont l'objet.

Une seule fois Huon livr.éra un combat pour déliner Esclarmonde de la tutelle de Ge.lafre. 'Mais, m&te en ce combatf le Mros ne ma-nifestera en aucune manière les grands sentiments qui èevraient l'a-nimer. Le combat 11int6resse beaucoup plus que l'objet pour lequel il

livre ce combat. 1-falgr·~ tout, l'auteur fera tout pour que le couple termine son aventure en beauté, sans toutefois accorder d'importance particuli~re A ce bonheur final.

(41)

mir de Mbnbranc. Gagnant, il refusera le prL~ de sa victoire qui était d'épouser la jeune princesse. Pour sa part, la pucelle mani-feste trop d'empressement à laisser gagner le ~eau chevalier. Son attitude est trop ouvertement passionnelle pour ~tre courtoise. L''au-teur s'en moquera d'aille.urq.s en faisant dire à Huon qu'il préf~re cinq mille marcs d 1 argent à la jeune prit),cessa.

Les femmes, telles que d~crites :r:e,r l'auteur de Huon da Bordea'!i!A, n 1 ont donc rien de courtois et ne provoquent aucun sentiment courtois

chez les chevaliers. L'absence de l'amour courtois dans cette oeuvre 1' éloigne des romans écrits A la m8me époque. Ce n'est pas pour une femme mais pour son fief, que Huon s1'est engagé dans 11 aventure.

L'absence d'amour courtois toutefois ne prouve pas que Huon de Bordeaux soit une épopée à l'état pur. Trop d1'éléments encore 11'éloi:.. gnent de la chanson épique, tels que le style et la composition de la

laisse.

Si 1' on compare le début du po~me Huon de Bordeaq aux chansons de geste, la différence n1apparalt gu~re au niveau de l'intention de

l'auteur:

Segnour, oii1s, - ke Jbesus bien vous fache,

Li glorieus ki nousfist a s1ymage Boine canchon estraite del lignaire

(42)

Ecoutons l'auteur de Ogier le Danois:

Oiés, seignors, que Jesu ben vos face Le glorious, li rois esperitable

Plaist vos o!r canehan de e-re.nd barnage C'est d10gier duc de Danemarche (v.I-4)

La ressemblance est m~me frappante, et indique bien que malgré l'in-fluence des romans arthuriens et alexandrins sur Huon de Bordeaux, cette oeuvre n 1 en veut pas moins demeurer dans la lignée des chansons

de geste. Intention n1'est pas action. Le ton solennel et hiératique des prerü~es gestes a fait place à un ton beaucoup plus relaché qui ne recule souvent pas devant le burlesque. Les appels aux saints et

A

Dieu se sont multipliés; les clichés s'y trouvent en plus grand nombre. On ne peut s'emp~cher de citer ce cliché, fréquent dans lfugn

de Bordeaux et que l'on a déjà trouvé· dans les autres chansons de geste: (

...

) j'en ai mon cu er irié (v. 79)

{! •• ) s'en ai mon cu er irié (v.94)

(

...

) s'en ai mon cu er irié (v-.97)

(

...

) s1'en ai mon cu er irié (v.2514)

a.~) moult oc le cuer irié (v.2546) pour ne ci ter que ces vers pris au hasard (I)

Quarante-six laisses, soit plus de la moitié de l'oeuvre, sont assonnancées en "é" ou "fé1' , ce qui explique que le cliché "cuer irié"

(43)

ait pu 3tre considéré par l'auteur comme une cheville parfaite.

Le ton parfois lyrique des gestes primitives ne se retrouve qu'une seule fois dans Huon de Bordeaux, alors que le h.5ros se voit' seul dans le verger du palais de Gaudisse ~egrettant d''avoir menti au gardien du pont:

Hel' las, dist Hues, mes cors que devendra? Dolante mere, qui neuf mois me porta, Ja mais tes cors, certes, ne me verra,

Car j'ai menti a ce pont par dela (v.

5500-04)

Or faites pais,s1il vous plaist, escoutés,

Si vous dirai, par les sains que fiat Dès Me cançon ai et dite et devisé,

!-fais saciés bien, se DL"< me doinst santé, }fa cançon tost vos ferai definer.

(v.5510-15)

Ce lyrisme quelque peu relB.ché n'a rien de commun avec celui de Ro-land, non plus d'ailleurs qu'avec celui de Tristan. Il est moins raf-finé et annonce le lyrisme quelque peu baroque de Rutebeuf.

La laisse, dans les chansons de '?,este constitue "l'unité narra-tive du poème", selon le mot du médiéviste A. Nonteverdi. Elle en est aussi l'unité dramatique et l'ttnité lyrique. Ce matériau élémentaire de l'épopée est donc appelé,.avec le changement de l'idéal épique lui-même, à subir d'importantes modifications.

(44)

La Chanson de Roland compte l?B'laisses, chacune de ces laisses compte

à.

son tour de 10 A 20 vers, la moyenne étant de 14 vers par laisse. Une seule laisse renferme 35 vers, et une seule autre,

J.

Le Couronnement de Louis, pour sa part, est composé de 106 lais-ses. Le volume de chacune d'elles cependant a augmenté pàr rapport à celui des laisses de la Chanson de Roland; 43 vers en moyenne. La laisse la plus élaborée ne compte pas moins de 152 vers, et la moins volumineuse, 3 vers. Un change;,ent substantiel s'·est o-péré à 1

tin-térieur du chant épique.

Huon de Bordeaux compte 91 laisses, soit un nombre de beaucoup inférieur à celui du Couronnement de Louis qui avait déjà sensible-ment dirûhué à c8té de la Chanson de Roland. Par. contre la moyenne de vers composant chacune des laisses a beaucoup augmentée, soft 116 vers. La laisse la plus longue compte 1,114 vers, et 22 laisses ont plus de 200 vers. Comme la Chanson de Roland et le Couronnement da Louis, Huon de Bordeaux compte 2 laisses de 3 vers. li laisses abt

moins de 10 vers.

Rappelons, jar ordre chronologique, la moyenne de vers par laisse de chansons que nous venons de voir, tout en y ajoutant d'autres ges-tes postérieures: Chanson de Roland:

14;

Pélerina.ge de Charlemawe:l6; Raoul deCa.mbrai: 22; Charroi de N!mes: 25; Prise d'Orange: JO; Couron-nement de Louis: 43; Honiage Guillaume: 63; et enfin Huon de Bordeaux

(45)

116.

01'est donc que la grande uni té métrique de la laisse dans la chanson de geste primitive s'est amenuisé sensiblement. C'est 11an~ chie strophique qui r~gne dans le po~me de Huon de Bordeaux, Que s1 est-il donc passé?

Cette extension graduelle serait-elle en rapport avec la gen~se m~me de la laisse qui, née de la strophe, en présente d''abord les àa-ractéristiqûes (nombre restreint de vers) pour les perdre ensuite, sous 11 influence du roman breton? (2) Huon n 1 arrive-t-il pas à la li ttéra-ture au moment o~ le roman arthurien a déJ:! conquis les auditoires de chAteaux? De m~me que 11év~ement épique a lentement glissé vers

l'a-venture romanesque, de m~me la forme épique tend à s''approcher de ]a

formule métrique du roman. Gela vient peut-~tre du fait que l'épo-pée était destinée ~. la récitation et le roman à la lecture, (3)

Le Roman d'Alexandre déjà, quoique composé

en

laissesJavait largement augmenté le volùme de sa laisse, Le Roman de Rou de N'attre ~·face comprend une premi~re partie composée en laisses A la façon du Roman d'Alexan-dre, et une deR~i~me partie, sans laisses, faite de vers assonnsncés~ t'es romans de Chrétien de Troyes ont totalement abandonn3 la laisse et sont composés d'tin seul bloc de vers à rimes plates,

Huon de Bordeaux n'est donc pas encore un roman par la forme bien que sa formule métrique ait évoluée vers un élariTissement de la

(46)

laisse~ L'influence du Roman d'Alexandre sur sa composition est toute-fois not.able. La laisse <'l.e !-!uon de 3ordeau:x: a également perdu sa fonc-tion d11.mit8 narrative, Chaque tableau de la Chanson de Roland

corres-pond à une laisse; dans Huon de Bo;rdeau:x:, l'on trouve jusqu''à 7 laisses pour un m3me épisode, tel celui de 1' arrtvée de Huon ~. Babylone alors que chacun des groupes de sarrasins festoyant sttr la place publique se trouve décrit par une laisse de 3 ou de

4

vers.

Nous sommes là devant un fait: Huon de Bordeaux contient, au àein m3me de sa composition, un nombre important d'él~tnents qui in-diquent sa tendance vers la composition romanesque.

Qu'il s'agisse du traitement de l'action, ou de la composition métrique, l'oeuvre a reçu d'un façon manifeste l'influence des romans du milieu du XIIe siècle sans toutefois l'avoir assimilée totalement. Une seule absence notoi~e, celle de l'amour cottrtois, contribue à ne faire de Huon de Bordeaux, un roman.

Mais l'amour courtois eftt-il été présent, que maints traits nous auraient fait hésiter à le classer parmi les romans. Ainsi, le héros Huon, qui emprunte manifestement au roman alexandrin le sens

ae

l'a-venture individuelle, ne ré11ssit pas à faire de son aventure une con-qu3te aussi glorieuse que celles du Prince grec •. De plus, le sens intérieur et souvent spirituel de l'aventure arthurienne lui échappe

(47)

Gomment donc l'auteur soutiendrait,..;il une action qui ne serait plus épique, au sens où l'épopée défend l'espace collectif de l'homme, mais qui ne serait pas non plus, an sens romanesque, une conqu3te du monde soit extérieur, soit intérieur? Bref, que l'on considère Huon de Bordeaux comme une geste contaminée ou comme un roman d1'aventures

A

cadre épiqe, en quoi réside l'essentiel de son originalité? Elle consiste en la naissance d'Un élément nouveau dans l'évolution de la chanson de geste, et qui est aussi le signe le plus évident de sa contamination: la féerie •.

(48)

6HAPITRE QUATRIEHE LES ELE!JENTS FEERIQUES

"l.e

roman courtois et arthurien, écrit Jean Frappier, inaugu-rait le dépaysement par la littérature". (1) Et c'est tr~s juste-ment que Y.IB.l'c Bloch a vu dans les romans du milieu du XIIe

si&-cle l''expression d'un ltge désormais assez raffiné pour séparer de la description du réel la pure évasion littéraire. (2)

En plus du héros en qu3te d~ l':absolu, en plus de la femme ob-jet d'amour courtois, les romans de la Table Ronde ont introduit dans le monde littéraire 1' enchanteur Herlin et la merveilleuse

fo-r3t de Brocéliande. Cette naissance du merveilleux: n'a pa.s été. sans effet sur les auteurs quï, dans la seconde moitié du XIIe si~cle, con-tinuaient à écrire des chansons de geste.

Ce n'est toutefois pas sans gaucherie que ces auteurs épiques· utilisaient·des matériaux ·jusque-là étrangers à la composition des

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