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Wendake : évolution des pratiques entrepreneuriales et perspective sociétale en ce début de XXIe siècle

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Texte intégral

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Wendake : évolution des pratiques entrepreneuriales et

perspective sociétale en ce début de XXI

e

siècle

Mémoire

Pierre Bédard

Maîtrise en anthropologie

Maître ès Arts (M.A.)

Québec, Canada

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Résumé

Sur fond de trame conceptuel du changement et de l’adaptation, on observe, chez les collectivités

humaines, une constance de mutations dans le temps où tout se définit et se redéfinit par le biais

des relations avec l’autre. Force est de constater que la Nation huronne -wendat ne fait pas

exception à cette règle. Or, l’étude constituant la substance de ce mémoire se veut un argumentaire

démontrant, chez la société huronne-wendat, la constance d’un certain esprit entrepreneurial adapté

aux diverses conditions d’époques échelonnées depuis bien avant les premiers contacts avec les

pionniers européens. Et cette constance ne s’est pratiquement jamais démentie jusqu’à nos jours.

Ainsi, ce mémoire se veut-il, à partir d’un portrait diachronique de l’entrepreneuriat chez les

Hurons-wendat de Wendake, une analyse de la perspective sociétale qui en a résulté chez eux, en

ce début de XXIe siècle. L’objectif, ici, consiste donc essentiellement à comprendre

l’accomplissement, aujourd’hui, d’une articulation interactive bien intégrée et mûrie de longue date,

où s’harmonisent, en une vision d’ensemble, les activités économiques, le vécu socioculturel et le

cadre administratif de la Nation huronne-wendat de Wendake, dans une perspective à la fois

d’ouverture à la modernité, de distinction identitaire, et d’affirmation des droits.

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Abstract

Based on a conceptual principle of change and adaptation, a systemic constancy of mutations through times is observed among human populations, by which everything is defined and redefined by means of each other’s relationship. Should it be recognized the huron-wendat Nation is not an exception to this rule. The study that makes up the substance of this master’s thesis, is an argumentation demonstrating a constant evolution of an entrepreneurial spirit having characterised that society since long before first contacts with European pioneers, till our present days. This master’s thesis presents a diachronic portrait of entrepreneurship among huron-wendat population of Wendake and an analysis of their social perspective, in this early 21st century. The objective is thus to understand a long-standing accomplishment of well integrated and mature interactive structuring, forming a harmonious overall vision of economic activities, socio-cultural living and a Nation’s administrative organisation at Wendake, toward a perspective, at once, of openness to modernity, of identitary distinction and rights’ assertion.

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Table des matières

Résumé...iii

Abstract ... v

Table des matières... vii

Liste des tableaux ...xi

Liste des figures ...xi

Remerciements...xiii

Introduction : la Nation huronne-wendat, une singularité ... 1

Chapitre 1 - Cadre conceptuel ... 5

1.1 De la polysémie des termes... 5

1.2 Agencéité et adoption du changement ... 8

1.3 Modernité et identités autochtones... 10

1.4 Point de vue d’une anthropologie économique ... 12

1.4.1 Rationalité, culture et économie au regard de la société ... 12

1.4.2 Vers un nouvel esprit du développement et de la réussite ... 16

1.4.3 Fondements de l’acte entrepreneurial ... 20

1.4.4 De «centralité» et d’économie : ... 22

1.4.5 Le concept de «maturité économique» ... 23

1.5 Conclusion sur le cadre conceptuel : ... 25

Chapitre 2 - Cadre méthodologique ... 29

2.1 À la frontière de l’art et de la science ... 29

2.2 La démarche éthique ... 30

2.3 Organisation de l’étude sur le terrain : ... 32

2.3.1 Une collecte de données dans l’optique des questions et objectifs définis ... 32

2.3.2 Contraintes et facteurs impondérables... 33

2.3.3 La sélection des participants... 33

2.3.4 Profil des répondants ... 35

2.4 L’échantillonnage... 36

2.4.1 Les entrevues ... 36

2.4.2 Les sources audio-visuelles ... 37

2.4.3 Les Archives et centre de documentation de la Nation huronne-wendat :... 38

(8)

2.4.5 Conclusion sur l’échantillonnage ...40

2.5 L’analyse des données et informations :...40

2.6 Classification des données...41

2.6.1 Les liens interactifs entre les trois polarités ...41

2.7 Conclusion ...42

2.8 Questions et objectifs ...44

Chapitre 3 – Quelques antécédences historiques ...45

3.1 Les «Ancêtres hurons» des premiers contacts...45

3.2 Ils ont été porteurs de leurs usages et traditions...47

3.3 Les péripéties d’une adaptation difficile ...49

3.4 D’artisans commerçants à entrepreneurs ...55

3.4.1 Le contexte des affaires, à Wendake, aux XIXe et début XXe siècles ...56

3.4.2 Quelques figures marquantes ...57

3.4.3 Les hauts et les bas d’une époque difficile ...59

3.5 Conclusion sur ces quelques antécédences historiques : ...63

Chapitre 4 – La loi sur les indiens et les voies du capitalisme...65

4.1 Traumatisme et résilience ...65

4.2 Les tribulations de la politique ...67

4.3 Encadrement juridique des Premières Nations...67

4.4 Droits économiques et droits de propriété chez les Premières Nations ...74

4.4.1 Le modèle dit «séparatiste-paternaliste» de droit des biens selon la Loi sur les Indiens ...77

4.4.2 Le modèle de la cooptation selon la Loi sur la gestion des terres des Premières Nations ...78

4.4.3 Le modèle de l’Assimilation selon la proposition de réconciliation des Gitksans de 1999 ...79

4.4.4 Le modèle de la Souveraineté-association selon l’accord définitif Nisga’a de 1998 (ADN) ...79

4.5 Conclusion : l’empire d’une loi sur la vie des personnes ...80

Chapitre 5 - L’Organisation supérieure de la Nation et la conduite des affaires...81

5.1 L’Organisation supérieure de la Nation ...81

5.1.1 Code de représentation de la Première Nation huronne-wendat...83

5.1.2 Le volet administratif à incidence socio-économique...84

5.1.3 Autres accomplissements et prospectives ...86

5.2 Le fonctionnement des affaires, aujourd’hui, à Wendake ...86

5.2.1 Exiguïté et morcellement du territoire d’occupation ...90

(9)

5.2.3 Une dynamique d’efficacité opérationnelle ... 95

5.2.4 Amour de créativité entrepreneuriale et mission sociale... 96

5.3 Maturité socio-économique de la Nation ... 97

5.4 Conclusion sur l’entrepreneuriat d’aujourd’hui, à Wendake ... 99

Chapitre 6 – Profil sociétal de la communauté huronne-wendat en ce début de XXIe siècle...101

6.1 Les attraits de la culture occidentale et de la modernité :...101

6.2 La question identitaire chez les Hurons-Wendat : ...104

6.3 Pour une revitalisation de la culture et de l’identité ...107

6.4 Un esprit de solidarité sociale, à Wendake ...108

6.4.1 Les manifestations de l’esprit de solidarité sociale ...109

6.4.2 Le Centre de développement et de formation de la main-d’œuvre (CDFM)...109

6.5 Conclusion sur le profil sociétal...111

Conclusion...113

Bibliographie ...119

Annexe 1: Lettre au Grand Chef Konrad Sioui...135

Annexe 2 : Lettre de recrutement et formulaire de consentement...137

Annexe 3: Profil du (de la) répondant(e) ...149

Annexe 4: Schémas d’entrevue semi-dirigée ...151

Annexe 5: Liste des institutions de Premières Nations dont le siège social est installé à Wendake ...159

Annexe 6: Territoire de Wendake...161

Annexe 7: Plan d’organisation supérieure, Nation huronne-wendat ...163

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Liste des tableaux

Tableau 1 : Organisation des données par composantes et leurs variables en lien avec chacune des trois

polarités... 43

Liste des figures

Figure 1 : Schéma du rapport interactif des polarités ... 41

Figure 2 : Panneau d’identification des noms de rue en langues huronne-wendat et française ...165

Figure 3 : genre d’habitation à prix modique ...165

Figure 4 : Quartier neuf de Wendake...166

Figure 5 : Centre commercial de Wendake ...166

Figure 6 : Esthétique soignée de certains secteurs du Vieux-Wendake ...167

Figure 7 : Entrée dans le Vieux-Wendake ...167

Figure 8 : Église Notre-Dame-de-Lorette ...168

Figure 9 : Chute Kabir Kouba...168

Figure 10 : Rivière Saint-Charles en amont des chutes Kabir Kouba ...169

Figure 11 : Artère commerciale du boulevard Bastien à Wendake ...169

Figure 12 : Piste cyclable «Couloir des cheminots»...170

Figure 13 : Station-service propriété du Conseil de la Nation huronne-wendat ...170

Figure 14 : Centre administratif de la Nation huronne-wendat ...171

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Remerciements

Ce projet de maîtrise en anthropologie est l’aboutissement d’un parcours très inhabituel : celui d’un géographe retraité de l’enseignement collégial aux intérêts autrefois professionnels touchant davantage les sciences de la Terre et la cosmographie que les sciences humaines. Un lien n’existe pas moins entre ces domaines, dans la pensée autochtone. Il s’agit bien de ce lien d’intimité profondément ressentie d’une appartenance à la Terre et à l’Univers, tel une pénétrance au plus profond de l’intériorité et qu’il m’a été donné de partager, à diverses occasions de mes proximités auprès d’Innus, de Hurons, de Cris et d’Inuit.

Que d’émouvants souvenirs m’habitent, depuis lors, et m’ont mené aux Études autochtones et à la fréquentation de diverses personnalités, dont les contributions m’ont valu davantage de compréhension et d’intérêt pour le monde autochtone. À ces personnes, je dois toute ma reconnaissance.

Un profond et sincère remerciement ira particulièrement à la professeure Sylvie Poirier. Elle m’a fait franchir ce seuil du dilettantisme à l’approfondissement en me proposant l’aventure d’une maîtrise. Elle m’a guidé des lumières d’une didactique formative, sur les chemins cahoteux de mes essais et erreurs, lesquelles ont donné les résultats que voilà. Mais viennent aussi d’autres antériorités, sans lesquelles je ne serais pas en train d’écrire ces lignes, et auxquelles je dois beaucoup. À ce titre, le professeur Louis-Jacques Dorais m’a fait mieux connaître la Nation huronne-wendat de Wendake, m’en a fait découvrir les singularités et a semé en moi l’intense désir d’en savoir plus sur cette courageuse Nation. Un remerciement, également, va au professeur Martin Hébert, qui m’a efficacement orienté, en prévision de cette étude, par une correction minutieuse de mon «Projet de mémoire 2» et par la pertinence de ses recommandations.

Mes meilleurs sentiments vont également aux participantes et participants recrutés, pour la générosité de leur accueil et la qualité de leurs témoignages, contributions sans lesquelles cette étude n’eût pas été possible. La précieuse collaboration de monsieur Stéphane Picard, Archiviste, mérite également d’être citée, pour le rôle d’intermédiaire qu’il a joué en étant le premier à m’accueillir à Wendake, à titre de mandaté par le Conseil de la Nation; il en est de même pour Jean-François Richard, M.A., anthropologue et attaché au Bureau du Nionwentsïo, dont les avis et conseils m’ont guidé dans la bonification de certains éléments sensibles et importants du contenu de mon texte. De belles rencontres, en somme, qui ont éveillé en moi un tendre attachement à cette Nation et d’autant plus d’amitié à ces personnes que je salue chaleureusement.

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(15)

Introduction : la Nation huronne-wendat, une

singularité

Parmi les Premières Nations du Québec et du Canada, apparaît la Nation huronne -wendat de

Wendake. Voilà une petite population de 3 845 individus

1

pour la plupart urbanisés et dont 1 345

habitent à l’intérieur des limites de la réserve, tandis que les 2 500 autres sont répartis ailleurs, aux

alentours en région, ou même plus loin jusqu’aux États-Unis. Le territoire extrêmement confiné et

morcelé de 2,0 km² (comprenant les 0,5 km² récemment ajoutés) de cette réserve, située à 15

kilomètres au nord du centre-ville de Québec, a la particularité d’avoir été progressivement enclavé

au cours du long processus d’expansion périphérique de la Capitale-nationale.

Modèle singulier entre tous que cette nation autochtone, non seulement en raison de son caractère

urbanisé et de sa maturité socio-économique, aujourd’hui bien établie, mais aussi en raison de la

vénérable mémoire de ses ancêtres.

Une mémoire habitée du meilleur et du moindre, devrait-on attester, puisque se logent, chez les

Hurons-Wendat, aussi bien le souvenir de la place centrale que les ancêtres occupaient sur le

continent nord-américain, bien avant l’époque des premiers contacts avec les explorateurs

européens, que celui, à l’opposé, des tribulations d’une histoire coloniale mouvementée et

passablement lourde de conséquences qui ont suivi. Alliances problématiques, à certains égards,

pour ces ancêtres wendat ayant fraternisé de trop près avec ces missionnaires et pionniers français,

probables vecteurs de maladies épidémiques dévastatrices, auxquelles se sont ajoutés de durs

conflits avec leurs traditionnels ennemis iroquoiens : néfastes conjonctures, que ces conséquentes

alliances et rivalités, dont le résultat fut, en 1649, la chute de la puissante confédération qui unissait

les communautés du Peuple wendat, suivi de la dispersion ou, tout simplement, de l’intégration des

populations restantes au sein d’autres Nations. L’année d’après ce brutal effritement et de cette

dispersion, soit en 1650, bon nombre de familles wendat regroupant 600 individus se retrouvèrent

sur le territoire de l’ancien Stadaconé — considéré par la descendance huronne-wendat

d’aujourd’hui, comme ayant été, jusque vers la fin du XVIe siècle, l’un des chefs-lieux d’ancêtres

iroquoiens nommés «Wendat-Iroquoiens du Saint-Laurent» (Sioui 1989 : 56-62). Incidemment,

depuis le début du siècle, en 1608, venait d’être fondée et érigée sur ce même territoire, par Samuel

(16)

de Champlain, la «bourgade de Kébec» (Falardeau [1939] 1996 : 65-66), qu’habitait la petite colonie

de leurs alliés et partenaires commerciaux français. C’est, en quelque sorte, auprès de ce voisinage,

que les Hurons ont planté leur village et organisé leur vie.

Depuis plus de trois siècles et demi, la descendance de ces ancêtres toujours établie sur ce territoire,

depuis lors vastement urbanisé de l’ancien Stadaconé, a réussi à se reconstruire grâce aux acquis

de ses traditions, ainsi qu’à ses capacités de résilience et à la souplesse d’adaptation que cela

supposait.

À ces singularités de l’histoire, s’ajoute donc celle de l’étonnante survivance identitaire de la Nation

huronne-wendat, qui n’en a pas moins su judicieusement profiter de toutes les opportunités

conjoncturelles qui se sont offertes à elle, ainsi que des avantages structuraux d’une spatialisation

liée à la proximité du centre urbain qu’est devenue la ville de Québec.

Ainsi découvre-t-on, aujourd’hui à Wendake, une société urbanisée à même l’enclavement de

l’expansion périphérique de Québec et, à sa manière, ouverte à la modernité et à l’économie

marchande. Elle est non seulement commerçante depuis toujours, mais également éduquée,

proactive, industrieuse et, somme toute, vouée à l’entre preneuriat. Ainsi est-elle socio

économiquement développée, sans pour autant renoncer à ses prérogatives identitaires et à

l’affirmation de ses droits reconnus par la Cour suprême du Canada. À l’instar de la plupart des

autres Premières Nations du pays, elle n’est pas moins soumise aux contraintes de l’encadrement

juridique de la «Loi sur les Indiens», institué depuis 1876 et avec laquelle elle réussit néanmoins à

composer. Héritière de ses lointains et durables acquis, cette Nation a toujours su entretenir une

pratique de bon voisinage auprès de la communauté allochtone régionale, pratique dont l’ex

GrandChef, Max GrosLouis (2004 :8891), ne manquait jamais l’occasion de faire mention et que le Grand

-Chef d’aujourd’hui, Konrad Sioui, poursuit toujours avec conviction.

Jusqu’à récemment, relativement peu d’études ont été consacrées, au Québec, à l’entrepreneuriat

chez les autochtones et particulièrement aux portées sociales qui en émanent au sein de leurs

communautés. Étude d’autant plus pertinente, chez les Hurons-Wendat de Wendake, si l’on se

rapporte à leur étonnante performance en cette matière. Cela tant et si bien qu’il y a lieu de

pressentir l’existence de quelconques liens entre les manières dont cette Nation a fait évoluer ses

(17)

activités économiques et l’adaptation qui en a résulté de son identité et de son profil sociétal, en

même temps que son intégration au paradigme de la modernité.

Autant d’orientations et d’activités s’opèrent en effet chez cette Nation, si bien qu’une originalité

socioéconomique, justement, est peut-être en train de s’y définir : une «wendatisation de la

modernité», en quelque sorte, dirait sans doute Marshall Sahlins. Ainsi, «accueillerait-on, [chez les

Hurons-Wendat], les commodités usuelles de l’ordre culturel occidental do minant, mais dont on se

distancierait tout autant en évitant de s’y assimiler» (Sahlins 2007 : 292-293). C’est peut-être là ce

qu’aura su accomplir cette Nation, en se constituant une personnalité culturelle à la fois moderne et

distincte.

Ci-après, ce mémoire sera divisé en six chapitres. Le Chapitre 1, «Cadre conceptuel», discutera de

quelques grands concepts en usage dans le discours anthropologique et devant permettre la bonne

conduite et l’approfondissement de l’étude de cas constituant l’objet de cette recherche. Le Chapitre

2, «Cadre méthodologique», présentera tous les aspects du cheminement dont dépendront la rigueur

et la scientificité de la recherche; seront enfin formulés les questions et objectifs reliés à l’étude de

cas constituant l’objet de cette recherche. Le Chapitre 3, intitulé «Quelques antécédences

historiques», amorcera un portrait diachronique de pratiques entrepreneuriales échelonnées tout au

long de l’histoire de la Nation huronne-wendat. Le Chapitre 4, intitulé «La Loi sur les Indiens et les

voies du capitalisme», fera ressortir les principales incidences de cette loi sur la conduite socio

-économique de la communauté huronne-wendat dans son ensemble et particulièrement sur la vie

des individus qui la composent. Le Chapitre 5, intitulé «L’Organisation supérieure de la Nation et la

conduite des affaires», traitera des suites ordonnées du temps présent ayant pour effet de marquer

conjointement les spécificités des pratiques entrepreneuriales et du profil sociétal de la communauté

de Wendake, en ce début de XXIe siècle. Enfin, le Chapitre 6, intitulé «Profil sociétal de la Nation

huronne-wendat, en ce début de XXIe siècle», fera état des principes directeurs de la pensée

politique et sociale coordonnant les interactions entre les diverses instances et acteurs de la

communauté; un bilan sera dressé des valeurs communautaires et de solidarité sociale tenant lieu de

référence identitaire de la Nation. La Conclusion couronnera le tout, laquelle dressera un résumé de

ce vaste ensemble parcouru au cours de cette exploration et d’où se dessinera une perspective

sociétale de la Nation, en ce début de XXIe siècle.

(18)

Remarque importante : Les entrevues réalisées dans le cadre de cette recherche, l’ont toutes été au

cours de l’été 2014. Conformément aux règles prescrites par le Comité d’éthique de l’Université

Laval, l’anonymat des participants(es) de cette recherche est rigoureusement respecté. Tout au plus,

les groupes de référence sont-ils mentionnés lorsque cela s’avère nécessaire. Quant aux propos

recueillis à partir de publications déjà en circulation, qu’elles soient écrites, sonores ou audio

-visuelles, leurs locuteurs ou locutrices sont clairement identifié s(es) et les sources sont dûment

citées.

(19)

1.

Chapitre 1 - Cadre conceptuel

L’ethnicité n’est pas figée dans une série de traits culturels uniques, à jamais imprimés dans les neurones et par le «sang» : c’est plutôt un souvenir vivant, plus ou moins incarné dans des façons typiques de réagir au monde, donc sujet à de constantes réinterprétations à mesure qu’évoluent les conditions de vie environnantes. Les éléments particuliers auxquels une génération reconnaît son identité ethnique ne sont pas les mêmes que privilégiaient ses parents ou ancêtres… (Simard, J.-J. 2003 : 225)

Cet extrait de l’argumentaire de Jean-Jacques Simard, dans son ouvrage «La Réduction, l’Autochtone inventé et les Amérindiens d’aujourd’hui», a pour effet d’appuyer une réalité indéniable selon laquelle l’«ethnicité», ou l’«identité ethnique», chez toute collectivité humaine, où tout se définit et se redéfinit par le biais des relations avec l’autre, est soumise à de constantes mutations dans le temps, au point d’y causer moult transformations socioculturelles.

Sur la base de ce constat, les occurrences de transformation économique et les portées socioculturelles qui en ont résulté constituent l'axe principal de la trame de fond conceptuelle de ce mémoire, faisant apparaître, au fur et à mesure de l’argumentaire, divers concepts fondamentaux dont l’anthropologie a l’habitude de faire usage. Ce sont, entre autres : la «société», la «communauté», la «culture», la «rationalité», la «tradition», l’«identité», l'«ethnicité», la «modernité», la «centralité» et combien d'autres assortis des processus qui les accompagnent en tentant de leur attribuer une concrétisation opérationnelle. De la même façon, il convient d’emblée d’interpréter le concept de «perspective sociétale» de Wendake comme se voulant un portrait vivant des transformations à travers le temps de la société huronne-wendat, de ce qu’elle était dans le passé, de ce qu’elle est devenue aujourd’hui et de la vision d’avenir qu’elle se fait d’elle-même. Concept à distinguer, donc, de celui de «profil sociétal» de Wendake, lequel traduit simplement un instantané de ce que cette société est aujourd’hui.

Teinte diffuse que cette composite conceptuelle, en somme, dont est colorée cette trame de fond : elle est toujours là, imposant sa présence dans les valeurs inspirées tant de la tradition que de la transformation des pratiques caractérisant les univers autochtones.

1.1 De la polysémie des termes

Terme polysémique entre tous, au gré des commodités du temps, et du plan de l’expérience humaine auquel il se réfère : l’«identité». Le concept d’«identité» peut a priori se révéler aussi difficile à cerner que le champ de sa couverture est vaste. Le problème tel que posé par Louis-Jacques Dorais, le mène d’emblée à exclure

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toute imperméabilité d’une frontière épistémologique «entre l’étude des identités individuelles et celle des identités collectives» (2010 : 261), ainsi qu’ont pour un temps tenté de le proposer les sciences humaines. Car l’humain est fondamentalement un être social, dont l’individualité n’a de sens que par l’environnement social dont il est issu; il en est imprégné et en intime interaction avec lui. C’est donc en cet environnement qu’il «se bricole une identité aux dimensions sociales» (Dorais 2010 : 263), que sa personnalité se définit et qu’il se reconnaît.

Par conséquent, le concept d’«identité» n’aura de sens que par sériation avec d’autres, tels l’identification, l’image, l’appartenance (Brubaker 1956) ou la territorialité, eu égard au plan de l’expérience humaine, qu’il s’agisse de patrimoine, de tradition, de mémoire, ou d’ethnicité : traitées conjointement, ces notions ajoutent donc une diversité de sens au concept d’«identité».

Et voilà que pourrait apparaître le concept de «territoire» en tant que relié au sentiment identitaire. Le «territoire», cet éléments concret qui tombe sous le sens du tangible en même temps que représentation politique d'unification de l'hétérogène chez l'être collectif en formation. «Là se tient le génie d'un territoire», dira le sociologue Jacques Beauchard (2003). Car «le lieu ne doit-il pas être porteur de l'identité, son image et son point d'appui, la mémoire de ses propriétés?» (Beauchard 2003 : 10). D'où le «désir de territoire» dont nous parle François Thual (1999), pour qui «la libido territoriale, véritable constante anthropologique des peuples, ne peut être comprise et analysée qu'en remontant en amont de ses désirs politiques vers des sources complexes de l'identité collective» (Thual 1999 : 183). Identité collective, faut-il préciser, fondée sur le principe des différences entre les cultures, aspect de la réalité qui impose quelque réserve à cet autre principe qui se voudrait, en toute primauté, celui de l'unité psychique de l'humanité préconisé par «les évolutionnistes anglo-saxons, héritiers du rationalisme des Lumières» (Conte et al. 2003: 9-10).

Que dire de tout cela? Sinon qu’une cohérence s’impose, relativement au concept d’«identité» et au regard du propos tenu sur l’«ethnicité» par Jean-Jacques Simard, puisqu’il y est question de «souvenir vivant», de «réaction au monde», de «constantes réinterprétations à mesure qu’évoluent les conditions de vie environnantes» (2003 : 225). Il y a par conséquent transformation, ici, changement. Ces notions doivent donc aussi être dotées d’une certaine souplesse, composer avec des réalités nouvelles et, par conséquent, échapper à toute conception fixiste par essence inappropriée.

Une voie possible pourrait consister à redynamiser ces notions en les inscrivant directement dans un processus : «construction des identités», «politique de mémoire», «invention de tradition», «patrimonialisation», autant d’expression constructivistes opposées au registre de l’immuable et du sacré, au point que «les deux registres, irrémédiablement séparés, font rapidement passer pour fausse les identités, les

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traditions, les mémoires analysées par le chercheur» (Cavazza 2003 : 113 cité dans Avanza et al. 2005 : 137).

Il faut donc refléter cette réalité selon laquelle, dans les faits, il y aurait intériorisation, appropriation, auto définition de soi par les populations en état de conscientisation d’un principe d’unité. Une unité tangible, concevable, légitime en un désir d'enchaînement entre le présent et le passé et d’idéation projetée vers le futur. Une appartenance, en somme, dans la continuité et l’évolution! C’est du moins dans cet esprit que Jean-Jacques Simard s’inscrit en insertion dialogique avec tout aspect de transformation sociale dans le temps lorsqu’il propose sa définition du concept d’«identité» :

L'identité est un rapport subjectif à l'«autrui privilégié» et un projet dans la situation, appelant en retour des révisions sélectives des trajets mémoriels; ses référents particuliers se construisent par un processus dialectique d'interaction symbolique, dans un contexte structuré de rapports sociaux; ce n'est pas une «essence», mais une interprétation, l’œuvre d'un imaginaire partagé qui évolue avec la situation et s'arrime à l'action (les revendications politiques de reconnaissance et d'autodétermination, par exemple) (Simard 2006 : 87).

Voilà qui exclut toute proposition étroite et rétrograde associée aux «théories primordialistes» sur l’ethnicité − théories prônant la pureté du sang en lien avec l’appartenance ethnique » (Sioui 2011 : 14). Linda Sioui se réfère ainsi à Frederick Barth, lequel se réfère à la réalité des interactions multiethniques et selon qui : «Les groupes ethniques sont définis et vus en tant qu’unités et types organisationnels porteurs de culture [et que] les interactions sociales sont le fondement à partir duquel se développent les systèmes sociaux, qui aident à la persistance des différences culturelles» (Barth 1969 : 18 cité dans Sioui 2011 : 15).

Au concept d’«identité», s’associe de quelque manière celui de «communauté», et portant à diverses interprétations, selon Bonte et Izard (2010 : 165-166). «What do communities look like», s’interroge George A. Hillery jr (1968: 02). Autant d’élaborations conceptuelles prennent forme, ici,

Suivant que les définitions proposées procèdent d’une approche culturaliste du fait de communauté, ou bien qu’elles traduisent le choix fait pour son étude d’une démarche historique. Dans le premier cas, ce sont les aspects psychosociologiques de la communauté qui sont soulignés (la nature des relations entre ses membres), dans le second, les dimensions institutionnelles et économiques (Chiva 1958 cité dans Bonte et Izard 2010 : 165).

Sans doute ces deux volets sont-ils concordants chez certaines collectivités, ainsi qu’il en est, à divers degrés, chez la Nation huronne-wendat. Règle générale, la communauté est, en quelque sorte, «a social fact», dirait George A. Hillery jr (1968 : 01), ou plus précisément un «groupement naturel […] produit de processus historiques» (Bonte et Izard 2010 : 166). Un certain caractère holiste s’inscrit dans le concept de «communauté», dans le sens où l’entité qu’il représente constitue en soi un système social constitué à diverses échelles de dimension. Ce serait, en quelque sorte, un «tout humain dont les membres vivent pour et

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par elle» (Redfield 1965 cité dans Bonte et Izard 2010 : 165), en fonction de cet «agir au nom du bien commun» (Guay 2014), dont parle le politologue Jean-Herman Guay2: long processus, souvent litigieux entre groupes d’intérêt au sein du corps social, vers la meilleure harmonisation possible. Là où les variations s’imposent et où entre en scène la taxonomie de ces divers regroupements, suivant la hiérarchie ou autrement, réside dans les degrés de cohésion communale d’après la résolution du statut établi et le contrat qui lie ses membres (Maine 1889 cité dans Bonte et Izard 2010 : 165), ou d’après la qualité du rapport «solidarité mécanique/solidarité organique» (Durkheim 1938 cité dans Bonte et Izard 2010 : 165). Ce sont là autant de distinctions pouvant caractériser la configuration d’un tel lien social; autant d’oppositions susceptibles de déterminer, chez celle-là, la frontière entre ce qui lui confère le statut de communautaire — suffisance de cohésion relationnelle — et celui de non-communautaire — discontinuité ou absence de cohésion relationnelle — (Hillary jr 1968 : 15-17), dans un contexte de dynamique évolutive. Car autant une communauté peut-elle se constituer dans le temps, autant peut-elle aussi se disloquer, tout dépendant de son histoire, du statut de sa territorialité, ainsi que de ses efforts de cohésion et «de pérennisation de son existence» (Chiva 1958 cité dans Bonte et Izard 2010 : 166). Ainsi, la communauté huronne-wendat a-t-elle eu ses hauts et ses bas, au cours de son histoire. Sous le jeu de concurrence quasi constante entre forces de cohésion et de dislocation, s’opposait cet intense besoin de survie, tant sur les plans de la subsistance que de l’identité, contre les pressions de confinement, de poussées colonisatrices allochtones et de recul forestier, d’épidémie et de dépeuplement (section 3.3) et même d’antagonismes internes (section 5.1). Mais, l’auront enfin remporté, envers et contre tout et en faveur d’une certaine cohésion communautaire, cette fierté d’être membre de la Nation huronne-wendat, une fierté d’autant mieux étayée par l’atteinte d’un état optimal d’organisation socio-économique (section 5.3), le tout en conformité avec une culture revitalisée et une identité bien affirmée (section 6.3).

1.2 Agencéité et adoption du changement

Il appert que les représentations sociales, les pratiques constituantes et tout autre substrat ontologique de la culture, «cet ensemble complexe incluant les savoirs, les croyances, l’art, les mœurs, le droit, les coutumes, ainsi que toute disposition ou usage acquis par l’homme vivant en société» (Tylor 1871 cité dans Bonte, P. et M. Izard 2010 : 190) seront toujours inspirés par de multiples avatars, ne seraient-ce que les transformations technologiques et sociopolitiques depuis le milieu du XVIIe siècle liées aux idéologie coloniales, quand ils n’y seront pas confrontés dans la coercition et l’«appauvrissement» (Cerna 2003 : 39). Cela ne se fera donc pas

2 À ce sujet, on peut visionner l’entrevue accordée par le politologue, Jean-Herman Guay, le dimanche 13 décembre 2014, dans la série «Se faire une tête», au canal «Savoir». Il répond à la question : «Que veut dire aujourd’hui agir au

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sans traumatisme à intensité variable, mais en contrepartie sans une essentielle «résilience» (Laugrand 2011 : 3-12), ce «réalisme de l’espérance» (Vanistendael 1996), chez ces êtres ou ces communautés «qui encaissent des chocs, des épreuves, des ruptures et les surmontent, continuant à fonctionner et à vivre, souvent à un niveau supérieur, comme si le traumatisme subi et assumé avait développé, parfois même révélé en eux des ressources latentes, voire insoupçonnées» (Manciaux 2001 : 9). Avatars, donc, qui les transformeront, de façon parfois graduelle, parfois soudaine, le plus souvent d’origine externe, mais aussitôt intériorisés, ré-ingéniés, et absorbés par arrimage aux façons d’être et de faire. On parle de dynamisme et de flexibilité, ici, d'«adaptation des traditions [...], reflet de conceptions particulières du monde» (Jérôme 2010 : 11), en même temps que de « [négociation] des identités, [...] dans la continuité à travers les multiples transformations [...] et innovations [issues] de contacts avec d'autres traditions et [...] échanges [...] avec d'autres groupes» (Jérôme 2010 : 24). Changements sociaux, par conséquent, au regard des identités collectives, des institutions, des hiérarchisations et de certains rituels particuliers; au regard, aussi, de la «théorie de la pratique» de Sherry B. Ortner, selon laquelle «la culture est en soi génératrice de cadres sociaux, dont les acteurs eux-mêmes, dans leur vie de tous les jours, sont des agents transformateurs par l’intégration de continuels nouveaux acquis» (2006 : 129).

On parle alors d’«agencéité», agency selon Ortner (2006 : 129-153), cet état de capacité d’agir, d’où l’on passe du sentiment de besoin et de désir à la concrétisation inscrits dans la quotidienneté de la vie. Entre cette émergence et cet aboutissement, apparaissent des conceptualisations plus ou moins bien définies, le tout modulé selon des intentionnalités d’abord plus ou moins conscientisées à teneur économique, culturelle ou sociale, mais qui se définiront selon les qualités relationnelles à saveur tant rationnelle qu’émotive au sein d’une collectivité. Des projections s’ébauchent de cette complexité. Alors, les multiples voies de l’inventivité se dessinent dans la pensée des peuples : émergences de l’imaginaire, de l’idéalité, de l’utopie et, a fortiori, de la créativité, de l’invention, de la coordination, du déploiement d’efforts et, enfin, de la concrétisation. Ce sont là autant d’aspects mis ensemble d’un état de pouvoir, finalement, et relevant du «recevoir» et de l’«agir» dans le changement, qui ne soit pas l’apanage des seules cultures occidentales. Bien au contraire, la capacité d’agencéité est propre à toutes les cultures, ainsi que le proclame explicitement William Sewel : «a capacity for agency… is inherent on all humans» (1992 : 20 cité dans Ortner 2006 : 136), bien qu’inégalement répartie entre les individus, ainsi que le précise Sherry B. Ortner : «And agency is almost unequally distributed — some people get to ″have″ it and others not; some people get to have more and others less» (2006 : 151). Voilà qui met proprement la table à une analyse des accomplissements de la Nation huronne-wendat en matière d’esprit de pro-action, de réussite et de développement, comme on le verra aux Chapitres 3, 4, 5 et 6 qui vont suivre.

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1.3 Modernité et identités autochtones

«Modern society [is] a radical break from the past» (Wilk et al. 2007: 8). Richard-R. Wilk et C.-Lisa Cligget se réfèrent, par cet énoncé, au contraste brutal parfois, dans les cas d’accélération soudaine du changement que représente la modernité, si l’on est solidaire du passé et des façons d’être au monde qui en sont issues. Alors, les discordances apparaissent, génèrent des frictions dans les rapports aux autres, au territoire et aux ressources. Ainsi en est-il trop souvent entre les peuples autochtones et les sociétés modernes de ces États au sein desquels ceux-là sont ennoyés : «Closer to many anthropologist, […] are the conflicts that arise between Indigenous Peoples and the nation states in which almost without exception they are now embedded» (Clammer et al. 2004 : 3).

Qu’on ne s’y méprenne pas! Il ne s’agit pas, dans de tels cas, de superficiels conflits ethniques entre communautés, prévient T.H. Eriksen (1998 cité dans Clammer et al. 2004 : 3), mais bien d’oppositions entre conceptions ontologiques fondamentales, que D. Holland désigne et commente en ces termes : «figured worlds − the cosmologies or ontological conceptions upon which culture is ultimately based, and the friction between which, in a pluralistic world, conflict is generated» (Holland et al. 1998 cité dans Clammer et al. 2004 : 3).

Paradoxes et distorsions ontologiques d’autant plus grands que les reflets de la modernité séduisent. Et paradigme d’autant plus difficile à absorber que celui de la modernité, s’il est parfois «historiquement issu de la domination coloniale» (Jewsiewicki 2006 : 79). Autant de discordances et d’inégalités qui n’arrangent en rien les rapports entre cultures à ce point opposées, d’autant plus que les populations autochtone s s’en trouvent trop souvent les éternels perdantes, à l’avantage le plus souvent de conceptions de développement préconisées par les visions occidentales. «Thus Indigenous peoples continually find themselves subordinated within the nation-state and international system» (Stavenhagen 1996 cité dans Blaser 2004: 4),

La «modernité» a donc ses revers et n'est pas toujours aisément conciliable avec l’animisme traditionnel pratiqué chez bon nombre de peuples autochtones. Ontologie, en ce dernier cas, reposant habituellement sur des conceptions plutôt holistiques et immanentistes qu’autrement. Cet animisme traditionnel, que l’on découvre porteur d’une expérience «where the ontological boundaries between the human and the nonhuman are permeable and the relations between them negociable, where spiritual powers are immanent and embedded in things, or where the notion of person, and thus of social agencies, is not exclusive to humans» (Poirier 2013: 53). Contraste plutôt marqué que ce paradigme-là avec celui de la «modernité», cette «idéologie individualiste, les divisions absolues (nature/culture; corps/esprit; raison/émotion etc.). Cette idéologie du développement; l’État-nation; la démocratie; le capitalisme; l’impérialisme» (Friedman 2002 cité dans Poirier

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2006 : 83). Choc ontologique et civilisationnel par conséquent. Est-ce donc à dire qu’un tel contraste ne puisse être réconciliable?

Que faut-il comprendre, justement, des «contemporanéités autochtones» (Poirier 2000 : 138-141) au regard de la «modernité»? Ne serait-ce pas «les complexités, les nuances et les ambiguïtés des dynamiques identitaires et des rapports que les Autochtones entretiennent avec la modernité et la société dominante, sans chercher à les réduire à une forme d’anomie ou de similisation» (Poirier 2006: 81)? Une intériorisation différente de la modernité est-elle possible? Après tout, «le modèle occidental n’est devenu qu’une façon parmi d’autres de mettre la modernité à sa main» (Poirier 2006 : 83). Un amalgame modernité/traditions serait donc en principe envisageable dans la mesure des valeurs inclusives des «altérités autochtones» (Poirier 2006)? Plus précisément, une «autochtonisation de la «modernité» (Simard 2006 : 88) pourrait-elle s’opérer au point que puisse s’accomplir un enchevêtrement d’autochtonie et de modernité : une «identité ancrée dans la modernité», pour employer l’expression de l’historienne Andrée-Anne Déry (2005 cité dans Simard 2006 : 87)?

Mais cet ancrage dans la modernité, chez les mondes autochtones, ne peut intégralement s'accomplir sans guérison de la dépossession, sans «résilience» justement, et par conséquent sans réaffirmation de son identité, de son ordre social et de sa culture, sans recouvrement de sa dignité, de son autonomie et de son autodétermination (Poirier 2009).

Difficile, donc, de «pactiser avec l’innovation» (Hobsbawm et al. 2012 : 13), même au prix de concessions, parfois même d’inventions adaptatives, en dépit de ce que le passé peut comporter de normatif dans tout processus de changement orienté dans le sens d’un développement (Hobsbawm et al. 2012) vers un futur tout de même resté fidèle au passé, ainsi qu’aux changements et transformations qu’il a engendrés dans la continuité. Cela pourrait se dire ainsi.

Y a-t-il donc décemment place au respect de l'authenticité des valeurs identitaires, en même temps qu'à la créativité et à la nouveauté dans l’univers de la modernité? Jonathan Friedman pose le problème, façon de s’interroger à savoir si la modernité est singulière ou plurielle : «There are big questions that are not easily assumed or taken for granted in discussing alternative modernities or alternative relations to a single modernity» (Friedman 2002 : 288). Même s’il est convenu de reconnaître un lieu commun à tout ce qui correspond à la modernité, est-ce à dire que l’adopter c’est n’emprunter qu’une seule avenue? La réponse de Friedman à cette question est sans ambiguïté dans sa réplique selon laquelle l’adoption de la modernité et du capitalisme qui y est le plus souvent associé n’ont absolument pas empêché la diversification sociale et culturelle des sociétés (Friedman 2002).

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Il faudrait voir ce que pensent les Autochtones de ce problème, tel que posé par Jonathan Friedman, quant à leur réalité. Quoi qu’il en soit, l’adaptation est une question de survie, d’affirmer Marshall Sahlins, et c’est ce qui importe: «Pour les peuples dominés, en effet, le syncrétisme n’entre pas en contradiction avec le culturalisme — avec les revendications indigènes d’authenticité et d’autonomie -, il en est plutôt la condition logique. Il faut avant tout survivre; et c’est là le but premier et essentiel de leur politique». (Salhins, 2007 : 292-293). On découvre, en quelque sorte, chez les Autochtones, un accommodement dans la transformation et dans une apparente assimilation en même temps qu’une attitude de distanciation par rapport à un ordre culturel dominant.

1.4 Point de vue d’une anthropologie économique

1.4.1 Rationalité, culture et économie au regard de la société

Initialement, il s’agira, ici, de se représenter une intime concomitance entre «rationalité», «culture» et «économie» au regard de la «société». De ce rapport se dessine le contexte dans lequel évolue une société, ou plus spécifiquement une communauté, qu’elle soit allochtone ou autochtone, ainsi que son exposition dans toutes ses dimensions présentes et ouvertes à l’idéalité d’un avenir : un aspect d’ensemble, en quelque sorte, — rarement homogène s’entend, tout dépendant des rapports de proximité, de politique et d’intérêts —, une perspective sociétale où le volet de l’organisation pérenne de la subsistance et de l’approvisionnement occupe une part importante. Une perspective sociétale, faudrait-il toutefois préciser, que l’anthropologue doit prendre garde d’interpréter avec trop de subjectivité, selon les schèmes de sa propre idéalité et de sa propre culture, ou de toute autre forme simplificatrice, suivant des concepts risquant d’être erronément pris pour acquis (Marcus and Fisher 1999 : 111-136).

Le terme «société» est apparu dès le départ de ce propos. Que représente-t-il? Talcott Edger Parsons résume ce concept comme désignant un «système [partiellement] clos et discret susceptible d'être ordonné selon une perspective hiérarchique» (Parsons 1966 cité dans Bonte et al. 2010 : 668). David Aberle ajoute une dimension humaine à cette définition générale proposée par Parsons : «une société consiste en un groupe d'êtres humains pourvu de la capacité à auto-reproduire son existence collective en fonction d'un système de règles pour l'action dont la durée de vie excède celle de chacun des individus qui s'y soumet» (Aberle 1950 cité dans Bonte et al. 2010 : 668-669). Or, un rapprochement entre les concepts de «société» et de «culture» fait découvrir une intimité de rapport, où se révèlent, entre autres, la dimension organisationnelle pérenne de la subsistance et les pratiques d’approvisionnement qu'il comporte. Selon des modes différenciés relevant de l’ontologie, le fondement constitutif de tout regroupement social, de sa maturation et de son déclin,

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s’expliquerait donc très souvent, bien au-delà de toute théorie particulière, par des motifs de cet ordre-là, que Richard-R. Wilk, qualifierait d’«économique» (2007: 74), cela dit dans un sens le plus large possible, bien au-delà de ce qu’en conçoit spécifiquement la pensée occidentale, laquelle se limite trop souvent à l’unidimensionnalité de la comptabilité et de la finance.

Un rapport s’installe donc entre culture et organisation pérenne de la subsistance et de l’approvisionnement (entre «culture et économie», dira plutôt Richard-R. Wilk), une concomitance en quelque sorte dynamisée par une pensée organisationnelle, par conséquent, une rationalité, commune à toute ontologie, puisée dans ce que Marshall Sahlins invoque comme étant «la logique naturelle de l’esprit» (1980 : 80). Il discute de la théorie du juriste et anthropologue américain, Lewis Henry Morgan en ces termes : «Passive et non active, rationnelle et non symbolique, l’intelligence répond de façon réflexive aux situations qu’elle ne produit ou n’organise pas elle-même, de sorte que, finalement, une logique pratique – biologique d’abord, technologique ensuite – est ce qui s’accomplit en forme culturelle» (Sahlins 1980 : 80-81).

«Forme culturelle», faut-il ajouter, dont s’imprègne toute société. Ainsi découvrira-t-on, chez l’être humain, cette «rationalité» dont parlent Richard-R. Wilk, Marshall Sahlins et C.-L. Cligget.t. Elle s’inscrirait en tant que fondement naturel de la constitution de tout regroupement en société dans une perspective de survie; elle s’inscrirait également, par extension, en tant que fondement d’une culture et d’une organisation d’un partage efficace des activités humaines coordonnées en vue d’assurer une pérennité de subsistance et d’approvisionnement, ainsi qu’une prise en charge rationnelle et avisée des biens qui en résultent de diverses façons. C’est du moins ce qu’expliquent R.-R. Wilk et C.-L. Cliggett: «Social economics defines rationality at the level of the group,[…]. Moral economists do think there are universal mental abilities, but they differ on precisely what they might be. […] The values and goals that motivate people to use these innate rational capacities are entirely relative, the province of each unique culture» (Wilk 2007: 120).

D’une part, émerge de ce constat une réflexion essentiellement «utilitariste» − que partagent Amitaï Etzioni (1988), Stuart Plattner (1975) et James Scott (1976) −, et que, suivant son approche relativiste, Karl Polanyi qualifie de «formaliste» (1957 cité dans Wilk : 7), selon laquelle les individus se regroupent sous la motivation d’une «rationalité du pour soi d’abord», traduction de l’anglais ″self interest″ (Etzioni 1988 cité dans Wilk 2007 : 70-71). D’autre part, s’oppose une position «anti-utilitariste» et «anti-individualiste» − partagée par Karl Marx (1904), Émile Durkheim (1938) et George Dalton (1974) −, et que Polanyi qualifie de «substantiviste», selon laquelle ce serait «la rationalité du bien communautaire d’abord» (Etzioni 1988 cité dans Wilk 2007 : 70-71), traduction de l’anglais ″selflessness and community,″qui prévaudrait. À l’utilitarisme et à l’anti-utilitarisme s’ajoute une troisième position pouvant être qualifiée de «moraliste», selon laquelle l’être humain

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développerait des comportements moraux inspirés de systèmes de valeurs dictés par divers conditionnements acquis dès l’enfance par la culture de l’environnement social (Wilk 2007 : 104).

Cela dit, Richard-R. Wilk, se réfère à Pierre Bourdieu (1977), lequel devait proposer aux anthropologues une approche réconciliant les trois théories, en émettant l’idée selon laquelle ces trois ordres logiques de motivation au regroupement en société pourraient fort bien se coordonner. Cela semble effectivement aller de soi, du moins chez les Hurons-Wendat, où l’individualisme, le communautaire en termes de solidarité sociale et les valeurs inspirées de leur «rapport à l’humain» se pondèrent et s’harmonisent, comme on le verra. Les individus, affirme Wilk, ont à la fois tendance à suivre les règles auxquelles ils ont été conditionnés, à prendre en considération l’intérêt commun, mais sans jamais oublier pour autant leurs intérêts personnels.

Karl Polanyi réapparaît en soutenant que, dans toute société, les activités reliées à la production, à la distribution et à la consommation de biens peuvent s’exercer de trois façons différentes : une première sur une base d’entraide et de partage avec priorisation de la qualité des rapports humains ou de tout autre principe : «le don» reciprocity); une seconde, fondée sur une base obligatoire ou simplement inscrite dans les mœurs, la «mutualité redistributive», moyennant priorisation de l’équité entre les personnes; une troisième, le «marché d’échange» sous divers modes : troc, transactions monétarisées, fixation des prix par marchandage, en conformité avec une logique du marché (exchange). Or, selon Polanyi, «toute société combine ces trois façons différentes d’exercer [l’organisation pérenne de la subsistance et de l’approvisionnement, concepts qu’il est convenu de réunir un seul terme : ″l’économie″], sous différentes proportions» (Polanyi 1944 cité dans Wilk et al. 2007 : 7), mais aussi et surtout, sous différentes formes, eu égard aux diverses dimensions des sociétés que sont les systèmes de parenté, les systèmes religieux et politiques, ainsi que les autres registres symboliques et les valeurs que tout cela comporte. Ce sont là autant de «transactions humaines dans les sociétés qui nous entourent ou nous ont immédiatement précédés» (Mauss [1925] 2012 : 65).

Qu’il s’agisse de l’une ou l’autre de ces règles appliquées au sein de quelconque société, une organisation pérenne de la subsistance et de l’approvisionnement s’impose de soi. Et toujours une rationalité puisée dans ce que Marshall Sahlins invoque comme étant «la logique naturelle de l’esprit» est sollicitée à cette fin. Une logique, toutefois, qui diffère selon la façon d’être au monde et les systèmes qui en sont générés. C’est alors, justement, que des codes s’installent dans les rapports sociaux et en définissent les règles au fil de l’évolution des usages, eux-mêmes conditionnés par les rapports interculturels ou autrement. Ainsi en est-il des règles du don, de la mutualité ou du marché : elles diffèrent sensiblement, oscillant entre tendances utilitaristes et anti-utilitaristes passant par celles qualifiées de moralistes, le tout selon des spécificités qui leur sont propres. Denys Delâge définit de façon exhaustive la règle du don, spécifiquement pratiquée chez les Hurons du XVIIe

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souligné par un rituel centré sur la qualité des rapports humains assurant une égalité entre les membres de la communauté (Relations des jésuites 1636, vol.1 : 113 cité dans Delâge 1985 : 64). Ce sont là des systèmes cérémoniels d’échanges, parfois, désignés sous le terme «potlatch» (Bonte et Izard 2010 : 598-599). Pratique pour ainsi dire presque disparue, en tant que système chez les Hurons-Wendat, depuis la dissolution du système clanique en maisons longues, mais tout de même occasionnellement exercée de façon bien informelle, bien sûr, au sein des familles ou entre proches. Ainsi en est-il chez eux, pour qui l’accès au marché d’échange, parfois teinté d’une mutualité concrétisée par une prise en charge de tout ce qui touche la solidarité et la sécurité sociales au sein de la communauté, est devenue pratique courante.

James Greenberg (1981), quant à lui, décrit justement cet autre système qu’est la règle de la mutualité, laquelle a pour fonction d'assurer l’égalité, ou plus exactement l’équité, mais selon des modalités différentes de celles de la règle du don. Ce système est conçu sur une base de mutualité, parfois fondée sur une base obligatoire généralement contrôlée par une autorité centrale, ou parfois naturellement inscrite dans les mœurs; une redistribution, en quelque sorte, qu'il dépeint comme étant un mécanisme de nivellement : «levelling mecanism, butteressed by ideologies of egalitariannism and reciptocity, that reduces differences within the community» (Greenberg 1981 cité dans Carrier 2005 : 206). L'application de ce principe d'équité est effective tant chez certaines sociétés capitalistes modernes, dites de «sociale démocratie», où le nivellem ent s'opère selon un système de fiscalité ajusté au prorata du niveau de revenu, que dans certaines économies de sociétés traditionnelles, telles que les sociétés tribales, à l'écart du marché d'échange, par l'institution de ce qui s'apparente à un système coopératif collectiviste, ainsi que le décrit Eleanor Leacock (1982 : 159 cité dans Carrier 2005 : 196-197).

Puis, il y a la règle du marché que Mauss interprète en ces termes : «un phénomène humain qui […] n’est étranger à aucune société connue, mais dont le régime d’échange est [simplement] différent du nôtre» (Mauss [1925] 2012 : 65). Le nôtre, propre à nous Occidentaux, provient des idées dont Adam Smith fut l’un des concepteurs (Boorstin 2004 : 656). Ces idées sont pour une bonne part à l’origine de c e qu’il est convenu d’appeler le «mercantilisme».

Mais, de ce concept de «mercantilisme», tout un registre de formes d’expression du «capitalisme» se ramifie et s’étale. Il va depuis celui préconisé par Adam Smith, c’est-à-dire d’un mercantilisme vertueux dans son rapport à l’humain, soucieux de justice et de bienfaisance en même temps que d’utilité (Biziou et al. 1999), jusqu’à celui de l’extrême opposé, soit de ce mercantilisme néolibéral pouvant aller jusqu’à l’absolue libre concurrence, jusqu’à la démesure et bien au-delà de toute morale (Foucault 1979), si ce n’est celle du profit. Dénaturation idéologique que cette dernière option et que ne sont pas près d’endosser la plupart des nations autochtones du continent nord-américain, y compris la Nation huronne-wendat de Wendake.

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Dénaturation idéologique du mercantilisme que le néolibéralisme, est-il utile de préciser, au terme de laquelle «la Grande transformation», selon Polanyi (1983), allait devoir s’imposer en faveur d’un «nouvel esprit du capitalisme, [lequel] renvoie à l’ensemble des motifs éthiques» (Boltanski et Chiappello 1999 : 43). Un nouvel esprit, en quelque sorte, susceptible de mettre un frein aux dérives du système et de satisfaire de nouveau aux aspirations du monde dans la poursuite de son mieux-être. Un long processus, en somme, et encore inachevé, une quête de toutes les idéalités et de toutes les espérances, noble défi que nombre de nations autochtones du continent nord-américain et, en particulier, la Nation huronne-wendat de Wendake, semblent vouloir relever, si l’on s’en tient aux valeurs, principes et factualités dont apparaît s’être imprégnée cette société aujourd’hui.

1.4.2 Vers un nouvel esprit du développement et de la réussite

Il faut d’abord s’interroger sur ce qu’il faut généralement entendre par réussite lorsque l’on parle de développement en milieu autochtone, qu’il soit canadien, étasunien ou de quelque autre lieu. Mario Blaser rapporte le discours de Bruno Barras, leader autochtone du peuple Yshiro-Ebitoso du Chaco paraguayen, lequel résume sa pensée en ces termes: «I want to introduce you to our idea and vision of development, and to show why I propose a ‘’life project’’ instead of development projects to solve the problems of our people» (Barras cité dans Blaser 2004: 47). Ce leader autochtone parle de qualité de vie, de respect de l’environnement, de tradition et de responsabilité gouvernementale autochtone sur le territoire des ancêtres (2004 : 47-51). Aspect fondamental, en somme, à garder dans nos esprits, lorsqu’il est question de réussite et de développement chez les Autochtones du pays.

Le propos de Barras est, en quelque sorte, une reprise du discours de Ronald L. Trosper, qui invoque des principes d’esprit communautaire, d’humilité et de respect de l’humain dans son rapport d’appartenance à la nature et de transmissibilité de cette pensée à travers les générations (1995).

Dans son rapport de 1987, Stephen Cornell, de l’Université Harvard, pour sa part, reléguait déjà à un plan inférieur les critères unidimensionnels généralement retenus par les économistes que sont, le revenu per

capita, l’emploi et les succès financiers des entreprises. Les communautés autochtones étasuniennes voient

la réussite tout-à-fait sous d’autres angles, multidimensionnels ceux-là, lesquels sont d’ordres politique, culturel et environnemental, où la durabilité de l’ensemble prend tout son sens, bien au-delà du simple cumul de richesses matérielles dans la hiérarchie des valeurs (Harvard Project octobre 1987). Il en est ainsi chez

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les communautés autochtones du Canada, y compris chez les Hurons-Wendat, si l’on s’en tient aux principes qu’ils énoncent3.

Dans cet ordre d’idée, des trajectoires alternatives peuvent aussi se présenter, allant jusqu’au rejet du développement au nom de la sauvegarde de la qualité de l’environnement, s’il menace de causer trop de dommages aux yeux des collectivités autochtones. L’affaire «Innus contre Canada, Québec et Kruger» est un exemple de litige survenu au Québec, alors que la communauté innue de Pessamit «obtient de la Cour supérieure du Québec à Montréal une ordonnance de sauvegarde contre les plans d’exploitation forestière de la société Kruger sur l’île René-Levasseur» (Scott 2013 cité dans Beaulieu et al. 2013 : 377). Autre mouvement mené durant plus d’une décennie par les Innus de Mashteuiatsh pour «bloquer l’aménagement d’une centrale hydroélectrique sur la rivière Ashuapmushuan, lutte qui aboutit à sa désignation comme rivière patrimoniale par le Québec en 2002» (Charest 2008 : 268 cité dans Beaulieu et al. 2013 : 377). Voilà qui peut faire utilement contrepoids à certains courants souvent trop impétueux dont les débordements méritent d’être contenus, eu égard aux impératifs de priorisation de certaines valeurs écologiques, non seulement en raison de leurs importances pour les modes de vie traditionnels des Autochtones, mais aussi dans l’intérêt à long terme de l’ensemble des populations qui habitent le territoire.

Stephen Cornell (Harvard Project octobre 1987) distingue trois ordres de variables, soit contextuelles, relationnelles et internes. Une certaine prudence s’impose toutefois quant à l’interprétation qu’il faut en faire. Elles servent effectivement de références utiles non pas pour évaluer mais plutôt pour interroger et offrir des pistes de réflexion. À ce titre, elles deviennent aussi bien applicables à l’échelle canadienne qu’à celle des États-Unis, afin d’analyser le « développement » et ses retombées conditionnant les retombées du développement chez les communautés autochtones. Ce que Cornell considère comme étant les «variables contextuelles» sont généralement les mêmes chez toutes les communautés qu’il a étudiées aux États-Unis; par ailleurs, ce qu’il désigne sous le vocable «variables relationnelles» présente certaines différences selon les communautés; enfin, conclut-il, les leviers les plus significatifs que sont les «variables internes» sont également les plus différenciées selon les communautés, dont les choix sont essentiellement le reflet de leur profil social respectif.

1.4.2.1 Les variables contextuelles

Il s’agit bien de contextes à l’échelle nationale et des orientations de la politique fédérale des Affaires indiennes auxquelles s’ajoute l’état de l’économie nationale dans son ensemble. De ces aspects dépendent les concessions gouvernementales d’autodétermination à laquelle tiennent les communautés autochtones en matière de développement. L’expérience démontre que la réussite de développement chez la plupart des

3CONCEPTION ET MISE EN PLACE D’UNE POLITIQUE DE GESTION ENVIRONNEMENTALE WENDAT :

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communautés dans la mesure où l’économie nationale, dans son ensemble est en état de prospérité, est à la mesure du délestage de l’État de responsabilités au profit de la gouverne autochtone. Dans le cas contraire, fait observer Cornell, trop d’obstacles s’opposent au développement, tout dépendant du genre de ressources dont disposent les communautés, lesquelles sont souvent soumises à la demande, mais aussi aux fluctuations du marché et, en l’occurrence, à celles des prix de certaines ressources stratégiques (Harvard Project octobre 1987 : 5-6).

1.4.2.2 Les variables relationnelles

Les communautés autochtones évoluent dans un environnement relationnel économique, politique et social, lequel peut engendrer, de deux choses l’une, des situations de contrainte ou de facilitation selon les cas. Sur le plan économique, il est essentiel que les entreprises de la communauté, en même temps qu’elles doivent assurer une diversification de leur production, aient aussi un accès au financement (Harvard Project octobre 1987 : 7) d’une manière ou d’une autre.

Sur le plan politique, une autonomie gouvernementale induite de droit de propriété bien appuyée par des jugements ne peut manquer d’assurer une solide portée en faveur du développement de la communauté, dans la mesure, en même temps, où les rapports entre celle-là et les acteurs non-autochtones et institutions publiques de la région s’inscrivent dans l’harmonie. Il est parfois préférable qu’il en soit ainsi entre la communauté et les hauts fonctionnaires du Bureau des Affaire indiennes, dont l’expertise et le soutien technique peuvent constituer un précieux levier en faveur du développement (Harvard Project octobre 1987 : 8-9).

Sur le plan social, une densification optimale de la structure organisationnelle des rapports entre la communauté autochtone et la société régionale est éminemment souhaitable, puisqu’il est constaté que : plus les rapports sont solidement imbriqués entre ces deux instances, plus le développement au sein de la communauté autochtone est un succès. En effet, un potentiel de partenariat, d’alliances politiques, d’accessibilité au marché et au capital, et d’acquisition de savoir-faire, est d’autant meilleur que les rapports sont dynamiques et fructueux. Une certaine vigilance s’impose, toutefois, en prévision de cas où, par extension, des intérêts particuliers d’individus peuvent déborder ceux de la communauté (Harvard Project octobre 1987 : 9-10).

1.4.2.3 Les variables internes

Les variables internes dont dépendent les rapports avec la société extérieure sont d’ordres économique, sociopolitique et culturel.

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Sur le plan économique, les aspects à considérer sont : la nature, la quantité et la diversité des ressources naturelles susceptibles d’être exploitées dans un contexte de développement durable, que l’on transforme de préférence en vue de l’obtention d’une plus-value, et que l’on met en marché; la qualité du capital humain en termes d’éducation, de savoir-faire et de force du nombre, ce dernier aspect constituant en soi un marché intérieur dont l’importance est à la mesure du nombre, justement; enfin, la facilité d’accès au capital pouvant être investi directement ou indirectement moyennant l’accès au crédit (Harvard Project octobre 1987 : 10-11) ou autrement.

L’aspect sociopolitique à l’interne peut s’avérer particulièrement complexe et délicat chez certaines communautés. On ne peut que rarement détacher le lien entre le social et le politique, de sorte qu’il faut parfois définir qui peut faire quoi dans la communauté. Se posent les problèmes de la définition des lois à l’interne, de la pondération des pouvoirs au sein de la communauté et de son autonomie. Tout réside dans la structure d’exercice du pouvoir, de la décision et de l’administration, selon qu’il serait pyramidale unidirectionnel du sommet vers la base, ou démocratique à l’«athénienne» où chaque membre de la communauté serait aussi membre du Conseil, ou encore démocratique représentative, comme c’est le plus souvent le cas chez les communautés autochtones étasuniennes4 et canadiennes, où membres du Conseil sont périodiquement désignés au suffrage par la communauté (Harvard Project octobre 1987 : 11), ainsi qu’il en est chez les Hurons-Wendat de Wendake.

Stephen Cornell soumet que les aptitudes au développement sont à la mesure de l’autonomie gouvernementale, chez toute communauté. Cela dit, d’autres facteurs sont par ailleurs à considérer en matière d’aptitudes au développement chez les communautés autochtones, précise Stephen Cornell. Il reste que le politique et le social sont toujours étroitement imbriqués l’un dans l’autre, si bien qu’il arrive que les rivalités familiales s’agglomèrent aux jeux politiques internes, au point, parfois de menacer la paix sociale. Cela s’est produit à une époque pas si lointaine, chez les Hurons-Wendat de Wendake, et bien qu’elles soient toujours présentes, des corrections ont été apportées depuis lors, qui ont pour effet de mieux encadrer ce genre de problème. Des questions peuvent donc se poser, à savoir si une forte centralisation du pouvoir est souhaitable ou pas; à savoir aussi si l’allégeance de la communauté devrait s’inscrire envers les institutions du gouvernement interne ou bien aux personnalités qui exercent les fonctions du pouvoir.

Cela dit, Stephen Cornell est d’avis, selon ses observations et son expérience, que les communautés dont les structures politiques transcendent les structures familiales et s’en désolidarisent ont plus de succès en matière de développement, particulièrement lorsque les conflits familiaux sous-jacents sont le résultat d’une

4 Conformément aux dispositions de la Loi sur les Indiens (Articles et annexes 74 à 86), un même type de représentation démocratique est appliquée chez les Premières Nations du Canada.

Figure

Figure 1 : Schéma du rapport interactif des polarités
Tableau 1 : Organisation des données par composantes et leurs variables en lien avec chacune des trois  polarités
Figure 2 : Panneau d’identification des noms de rue en langues huronne-wendat et française
Figure 4 : Quartier neuf de Wendake
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