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Rhétorique de la non-violence active - une analyse des discours socio-politiques des évêques de la R. D. Congo

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Rhétorique de la non-violence active

Une analyse des discours socio-politiques des évêques

de la R. D. Congo

Mémoire

JOSEPH MUNDUVUYIRA KAKULE

Maîtrise en théologie

Maître ès arts

(M. A.)

Québec, Canada

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Résumé

La quête de la paix hante l’esprit de plus d’un Congolais d’autant plus que le pays est en proie à des violences de guerre depuis plus d’une dizaine d’années. Pour les uns, la guerre est un moyen d’accéder au pouvoir, et pour les autres un moyen d’exploiter illégalement les ressources, voire une aubaine pour balkaniser la RD Congo. En conséquence, elle est source de tueries, de viols des femmes, d’enrôlements forcés d’enfants dans des milices pour servir de chair à canon, de pillages, de conflits interethniques, de corruption, de misère, etc. Bref, elle porte atteinte à la dignité de la personne et détruit le bien commun. Pourtant, le respect de ces principes moraux garantit la consolidation de la paix. La non-violence gandhienne inspire les évêques de la CENCO dans leur quête de reconstruire la paix en RD Congo. Ce faisant, par l’analyse rhétorique du discours socio-politique de ces évêques, nous tentons de dégager la posture de la non-violence en tant que moyen pour bâtir un État de droit, un État pacifique.

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Table des matières

RÉSUMÉ... III AVANT-PROPOS ... ERREUR ! SIGNET NON DEFINI. TABLE DES MATIÈRES ... V

INTRODUCTION ... 1

1.UNE SITUATION QUI POSE PROBLÈME ... 2

2.LA QUESTION SPÉCIFIQUE ... 2

3.DÉFINITION DE LA NON-VIOLENCE CHEZ GANDHI ... 3

4.LE CORPUS À LA PORTÉE DE LA COMMUNAUTÉ DES CHERCHEURS ET LA MÉTHODE DE TRAVAIL ... 5

CHAPITRE PREMIER : APPROCHE DE LA NON-VIOLENCE SELON LE MAHATMA MOHANDAS GANDHI ... 9

1.GANDHI ET LA NON-VIOLENCE ... 11

1.1 Mise au point sur la notion de non-violence ... 11

1.2 Bref aperçu de la violence ... 12

1.3 La Non-violence : une lutte contre la violence ... 15

1.4 La non-violence en deux volets ... 18

2.LIEN ENTRE LA NON-VIOLENCE CHEZ GANDHI ET DANS LE CHRISTIANISME ... 24

2.1 Gandhi et son inspiration chrétienne ... 24

2.2 Bref aperçu sur le Sermon sur la montagne (Mt 5-7) ... 26

3.NOTION PRÉLIMINAIRE DE LA DIGNITÉ DE L’HUMAIN ET DU BIEN COMMUN ... 27

3.1 Dignité de la personne ... 27

3.2 Le Bien commun ... 31

CONCLUSION PARTIELLE ... 34

CHAPITRE DEUXIÈME : ANALYSE RHÉTORIQUE DES DISCOURS DE LA CENCO ... 37

1.CHOIX DE LA RHÉTORIQUE PERELMANIENNE ... 39

2.LES ÉVÊQUES FACE À LA RÉSURGENCE DE LA GUERRE À L’EST DE LA RDCONGO ... 41

2.1 De la persuasion de l’auditoire sur la gravité des crises ... 41

2.2 Engagement des évêques face à la violence de la guerre ... 47

2.3 Sources de la guerre et recommandations des évêques ... 52

3.COMBAT CONTRE LA POLITIQUE DE LA BALKANISATION ... 55

3.1 Définition du néologisme «Balkanisation » ... 55

3.2 Les évêques face à la balkanisation ... 57

4.ENGAGEMENT DES ÉVÊQUES DANS LES PROCESSUS ÉLECTORAUX ... 60

4.1 De l’engagement en matière d’éducation civique et électorale ... 61

4.2 Défis auxquels l’Église fait face ... 65

CONCLUSION PARTIELLE ... 67

CHAPITRE TROISIÈME : VERS LE RAPPORT ENTRE LA NON-VIOLENCE GANDHIENNE ET CELLE DES ÉVÊQUES? ... 71

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2.RAPPORT ENTRE LE PACIFISME GANDHIEN ET CELUI DES ÉVÊQUES CONGOLAIS ... 79

2.1 Le pacifisme gandhien ... 79

2.2 Le pacifisme des évêques ... 81

CONCLUSION PARTIELLE ... 93

CONCLUSION GÉNÉRALE ... 95

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Avant-propos

Pour réaliser ce travail, plusieurs personnes m’ont soutenu de près ou de loin. Je me dois de les remercier pour leur assistance. Mes sincères gratitudes au professeur Guy Jobin, qui, en dépit de multiples occupations, a accepté de diriger les recherches pour la réalisation de ce travail. Ses conseils et suggestions m’ont aidé non seulement à mûrir les idées sur lesquelles s’appuyait le projet, mais aussi grâce à lui, ce dernier parvient à son aboutissement.

Je salue Mme Monique Lortie et Mr Jean de Dieu Itsieki qui ont donné de leur temps à lire nos manuscrits et à en corriger le style.

Je remercie également mes frères Assomptionnistes et la communauté chrétienne du Montmartre (Québec-Canada) qui m’ont accueilli et m’ont donné la possibilité de poursuivre mes études supérieures.

Un grand merci à mes parents, à mes frères et sœurs qui ne cessent de m’encourager malgré la distance. Un merci tout particulier à mon papa Ferdinand Bambisa Muhuwo. J’aurais aimé qu’il voit ce travail, hélas il nous a quittés plus tôt. Paix à son âme.

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1. Une situation qui pose problème

Lorsqu’en 1990, le vent de la Pérestroïka oblige les dictatures africaines à la démocratisation, le combat pour la justice et la paix en RD Congo1 devient l’affaire de

tous. Force est de constater que ses objectifs sont déviés chaque jour davantage et les moyens deviennent de plus en plus hypothétiques. En résultent, des phénomènes récurrents et inquiétants, tels les guerres, la pauvreté, le mépris des droits humains, la violence, les viols des femmes, les massacres sans merci, les conflits interethniques, les menaces de balkanisation du territoire, l’exploitation illégale des ressources minières, la corruption et la destruction de l’environnement.

La divergence des intérêts des élites politiques et du peuple, celles-là se nourrissant au détriment de celui-ci, creuse un fossé entre la classe dirigeante et la population. La dictature et le recours aux armes deviennent le moyen de se maintenir au pouvoir. Ainsi assiste-t-on à l’accentuation des conflits et des violences, ce qui suscite dans l’esprit de plus d’un Congolais des questions telles que : Est-ce là le destin du Congolais vivant en démocratie? La « pacification », est-elle essentiellement une ruse de la classe politique pour instrumentaliser le peuple? La nation (RD Congo) n’est-elle que la chasse-gardée de certains gouvernants qui jouissent seuls de ses ressources et abandonnent le peuple à la misère? Quel avenir peut avoir ce pays si chaque citoyen se fait complice de la prédation du bien commun?

2. La question spécifique

Face aux lamentations et aux souffrances du peuple congolais, les évêques engagent une lutte non-violente pour tenter de reconstruire la paix et la justice bafouées par l’abus du pouvoir. C’est sur cet aspect de lutte non-violente que portera notre attention dans ce travail. La question qui retiendra notre attention peut se formuler ainsi : comment la notion de non-violence active est-elle présente dans les discours et les déclarations des évêques de la CENCO2 sur la crise socio-politique congolaise ? À tout le moins, il s’agit de dégager en

tant que telles l’éthique de la non-violence et la posture qu’elle implique chez ceux qui la

1 Dans ce travail, RD Congo ou RDC désigne la République Démocratique du Congo. 2 CENCO est la forme abrégée de la Conférence Épiscopale Nationale du Congo.

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cultivent. Ainsi nous considérerons la non-violence non seulement dans l’essence de la notion, mais également au niveau pragmatique – et plus spécifiquement dans la lutte pour la reconstruction d’un État de droit; un État où règnent la paix et la justice. Nous commencerons donc par préciser ce qu’est la non-violence.

3. Définition de la non-violence chez Gandhi

La référence à la non-violence active gandhienne est fondamentale dans ce travail, non seulement parce qu’elle a inspiré nombre des militants3, mais aussi parce qu’elle inspire

largement les discours des évêques4 et surtout, fournit à ces derniers son langage et son

contenu conceptuel.

Il n’y a pas de définition univoque de la non-violence chez Gandhi, qui l’interprète tantôt comme force de l’âme, tantôt comme force de la vérité5, laquelle consiste à accepter la

souffrance plutôt que de faire souffrir son adversaire6. Autrement dit, la non-violence est

«l’abstention pure et simple de brutalité physique7 ». Cette conception gandhienne séduit

les Congolais depuis la lutte pour l’indépendance. « En lisant les textes de ce livre8, indique

Philippe de Dorlodot, je me souvenais des déclarations courageuses publiées par l’Alliance des Bakongo (Abako) dans ses journaux Notre Kongo et Kongo Dieto d’avant 1960, intimant aux masses "l’ordre de boycotter dans la non-violence absolue et le sacrifice de

soi à l’égard de l’adversaire" ou encore ses affiches : "Dans le calme et la non-violence

3 Notons d’emblée que la doctrine de la non-violence est débattue par biens des penseurs. Nous voulons juste

à titre d’exemple, en nommer deux grands militants. Il s’agit ici de Martin Luther King et de Jean-Marie Muller.

4 Au cours d’une session de formation sur « l’éducation civique et électorale » organisée par la Conférence

épiscopale nationale du Congo (CENCO) dans le cadre de préparation aux élections en RD Congo, les évêques écrivaient à propos du combat contre la violence : « comme le dit Gandhi, " les seuls démons de ce monde sont ceux qui grouillent dans notre cœur, et c’est là que doivent se livrer tous nos combats".» (CENCO, Élections et questions majeures de gouvernance. Module d’éducation civique et

électorale, Kinshasa, Éditions du Secrétariat Général de la CENCO, juin 2011, p. 29.)

5 Suzanne LASSIER, Gandhi et la non-violence, Paris, Seuil (coll. Maîtres spirituels), 1977, p. 137. 6 Ibid., p. 141.

7 Ibid., p. 140.

8 Philippe de Dorlodot fait allusion au livre sur les luttes non-violentes que Gandhi menait et que le groupe

Amos a utilisé pour animer un séminaire de sensibilisation sur la non-violence en RD Congo. Donc ce livre

avait beaucoup inspiré le groupe Amos lors de la rédaction de la lettre qu’il avait adressée au président Mobutu le 26 mars 1990 intitulée « Doléances du groupe Amos ».

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nous sourions à la mitraillette" puis chaque semaine sa "profession de foi politique" avec

une page de Gandhi9. »

Dans ce travail, nous adopterons la définition de la non-violence comme force de la vérité et moyen pour dénoncer, condamner, combattre le mal au sein d’un système politique comme celui de la RD Congo, enraciné dans la dictature et toujours enclin à l’usage des forces armées. Cette non-violence s’inspire bien attendu de Gandhi, telle qu’on peut la lire dans ce qui suit à propos de l’expérience douloureuse imposée par le racisme:

Supporter passivement les injustices dont les Blancs accablaient les Indiens n’était que lâcheté; il fallait combattre. Par la violence? Il [Gandhi] ne le pouvait ni ne le voulait : vanité lucidement reconnue d’une lutte trop inégale, dégoût instinctif devant la brutalité, et plus encore, générosité foncière d’un être pour lequel rendre le bien pour le mal est seul digne de l’homme. Il fallait trouver un substitut de la force physique, une force morale, spirituelle, capable d’établir la justice. La justice était la vérité des rapports sociaux et politiques, elle exigeait l’authenticité des hommes en présence, une emprise de la vérité telle que les adversaires, au lieu de s’entre-déchirer, chercheraient le vrai d’un commun accord et se reconnaitraient les uns les autres au plan des institutions comme au plan des relations quotidiennes10.

En fait, la force dont il est question ici, c’est la non-violence qui ne se substitue pas à la lâcheté, moins encore l’impuissance face à la tyrannie. C’est en d’autres termes la non-violence constructive qui, somme toute, vise le rétablissement du citoyen dans ses droits après des années de dictature, comme celle à l’origine de la crise socio-politique en RD Congo. Ainsi, la non-violence devient une résistance active au mal et à l’injustice11. En ce

sens, la non-violence gandhienne se rapproche d’autant plus étroitement de celle des Évangiles que l’idéal messianique est d’essence non-violente; ainsi que l’indique Jean-Marie Muller12. « Certes Gandhi n’était pas chrétien, souligne Jean-Marie Muller, mais il

9 Philippe de DORLODOT, « Marche d’espoir » Kinshasa 16 février 1992. Non-violence pour la démocratie

au Zaïre, Préface de Jean Van Lierde, Paris, L’Harmattan, 1994, p. 6.

10 GANDHI cité par Suzanne LASSIER, Gandhi et la non-violence…, p. 141. 11 CENCO, Élections et questions majeures de gouvernance…, p. 32.

12 « Gandhi, en effet, nous presse de redécouvrir que l’idéal évangélique est un idéal de non-violence, il nous

force à refaire nos mentalités et à repenser nos engagements dans cette nouvelle perspective. » (Jean-Marie MULLER, L’Évangile de la non-violence, Paris, Fayard, 1969, p. 13.)

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admirait Jésus et il voyait dans le Sermon sur la Montagne la charte même de la non-violence qui inspira toutes ses pensées et gouverna toutes ses actions13. »

Ainsi spécifiée et articulée sur le christianisme, l’éthique de la non-violence nous servira de grille d’interprétation pour analyser les principes et les propositions d’actions citoyennes libératrices que recèle le discours sociopolitique de l’épiscopat congolais.

4. Le corpus à la portée de la communauté des chercheurs et la

méthode de travail

Le corpus sur lequel nous nous appuierons sera constitué de l’ensemble des lettres que les évêques de la RD Congo adressent aux autorités politico-administratives et aux hommes et femmes de bonne volonté, dans le contexte précis de crise socio-politique congolaise. Soulignons, en passant qu’en RD Congo, les autorités ecclésiales assument encore pleinement une mission de « porte-parole du peuple ». On peut le lire dans cette interpellation de Mgr Malula14 à l’endroit de Mobutu15 en août 1966: « Je voudrais être ici

le porte-parole de ce peuple qui souffre, de ce peuple qui reste pauvre au milieu de tant d’abondance […]. Nous voulons […] vous dire à vous, gouvernants : sachez que notre peuple attend de vous un peu de soleil. Notre peuple attend de vous un peu de joie de vivre16. »

Prononcés et publiés au nom de la CENCO – la Conférence Épiscopale Nationale du Congo –, les discours des évêques sur lesquels porte spécifiquement ce travail, sont ponctués par cette lutte non-violente. Par-dessus tout, celle-ci vise la restauration d’un ordre socio-politique juste et, mieux, la reconstruction d’un État de droit, fondé sur la paix, la justice, la concorde, etc., ainsi que nous le verrons dans la rhétorique que met en lumière ce travail. Nous pouvons citer, par exemple, la lettre intitulée : « Levons-nous et bâtissons! »

13 Ibid., p. 13.

14 Monseigneur Joseph Malula était archevêque de Kinshasa à l’époque de cette déclaration. Il deviendra

cardinal le 28 avril 1969.

15 Mobutu Sese Seko Kuku Ngbendu Wa Zabanga fut président de la 2e République (1962-1997).

16 Mgr Joseph MALULA cité par Saint MOULIN et GAISE N’GANZI, Église et société. Le discours

socio-politique de l’Église catholique du Congo (1956-1998), tome 1, Kinshasa, Facultés Catholiques de Kinshasa,

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(Ne 2,18) pour un Congo nouveau17. Les évêques y rappellent que « tant d’années après

l’accession de notre pays à la souveraineté internationale, […] notre peuple ne mérite guère de continuer à porter ce lourd fardeau d’incertitude du lendemain, d’insécurité grandissante et de misère intolérable18 ». Bien plus, les évêques mettent en évidence quelques signes

d’espoir et les situations préoccupantes sur les plans sécuritaire, politique et social. L’enjeu ? Montrer que le temps est venu où chacun des fils et filles de la RD Congo doit réaliser qu’il est concerné au premier chef par la question de la reconstruction du pays. Tel est le combat mené par les évêques. On y reviendra dans d’autres discours.

Il apert donc que le combat mené par les évêques est porteur de sens, non seulement pour la rééducation des citoyens au bon déroulement des élections19, mais également dans la

dénonciation et la condamnation du mal d’un système politique qui écrase le droit et la dignité de l’humain. Ce combat vise aussi à persuader les Congolais de s’impliquer dans la lutte non-violente contre un gouvernement tyrannique. Tel est également l’objectif que les évêques assignent à leur engagement dans l’éducation civique : « l’Église a pris la mesure du défi de l’éducation tant spirituelle, morale que civique aux fins de former le nouvel homme congolais capable de résister face à la dictature d’un gain facile et de l’avoir. Elle s’engage à poursuivre son programme d’éducation civique axé sur la participation des citoyens à la gouvernance locale20 ».

Même si, dans leur ensemble, ces lettres ne traitent pas de façon spécifique de la non-violence, l’analyse montrera que leur enjeu, leur objectif et donc, leur contenu, leur langage et leur choix des termes construisent une rhétorique de la non-violence. En d’autres termes, nous considérerons les arguments constitutifs du discours dont l’objet est de persuader et

17 Cette lettre est présentée comme une « déclaration du Comité Permanent des Evêques de la RDC adressée

aux fidèles catholiques et aux hommes de bonne volonté » 3 mars 2006. Dans cette lettre, les évêques alertent les congolais de prendre bien conscience du tournant décisif de l’histoire du pays qui bientôt sera marqué par un changement de régime par voie électorale – précisons-le bien; les premières élections (le 30 juin 2006) depuis plus de 45 années de dictature –. (Faustin-Jovite MAPWAR BASHUTH, Église et société. Le discours

socio-politique des Évêques de la Conférence Épiscopale Nationale du Congo (CENCO) Tome 2 : Messages, déclarations et points de presse des évêques de la Conférence Épiscopale Nationale du Congo (1996-2006) et la transition politique, Kinshasa, Facultés catholiques de Kinshasa, 2008, p. 149.)

18 Ibid., p. 149.

19 BENOÎT XVI, L’engagement de l’Afrique. Africae munus. Exhortation apostolique sur l’Afrique, Préface

de Monseigneur François Garnier, Paris, Bayard/Fleurus/Mame, 2011, no 23.

20 CENCO, « La justice grandit une nation » (cf. Pr. 14,34). La restauration de la Nation par la lutte contre

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susciter l’adhésion de l’auditoire à l’action pour bâtir la paix. En d’autres termes, l’analyse rhétorique permettra de voir comment les évêques eux-mêmes militent déjà pour l’avenir de la paix par la prise de parole. Nous verrons également diverses techniques argumentatives de discours épiscopaux dont l’objet est l’adhésion de l’auditoire aux thèses qu’on présente21. Nous nous servirons de deux types d’analyse : l’analyse de contenu et l’analyse

rhétorique.

L’analyse de contenu nous permettra de cerner de près les conditions socio-politiques dans lesquelles ces discours ont été prononcés. Cette méthode se rapportera principalement à la dimension sémantique du discours. L’analyse rhétorique, quant à elle, s’attachera à leur dimension pragmatique étant donné que ces discours ne composent pas un traité de non-violence mais veulent promouvoir l’action de la non-non-violence. En d’autres termes, le locuteur – en l’occurrence, les évêques – vise à orienter l’action vers l’avenir22 tel qu’on

vient de le voir dans le discours cité plus haut. Ceci dit, nous inscrirons surtout nos analyses dans deux genres de la rhétorique : le genre délibératif et le genre épidictique.

Certes, la lutte que mènent les évêques s’étend sur une longue période. Mais dans le cadre de ce travail, nous nous penchons sur les années 2006 à 2012. Ce choix est dû au fait que cette période comprend trois grands évènements dans l’histoire de la RD Congo. En 2006, s’organisent les premières élections démocratiques portant Joseph Kabila au pouvoir. En 2011, se déroulent les deuxièmes élections démocratiques, très contestées, mais par lesquelles le même Joseph Kabila conserve le pouvoir. L’année 2012 a été marquée par la montée de la crise dite de « balkanisation ». Il importe aussi de souligner qu’en cette période se produit une abondante littérature de dénonciation et de combat, qui condamne la mauvaise gouvernance du pays, sensibilise le peuple à la vigilance et appelle à la prise de conscience en vue de la bonne gouvernance. Par ailleurs, il sied de préciser que l’analyse déployée dans notre travail ne porte pas explicitement sur la justice ni la paix. Nous nous intéressons plutôt à la non-violence comme moyen pour reconstruire la paix et la justice en RD Congo.

21 Chaïm PERELMAN et Lucie OLBRECHTS-TYTECA, Traité de l’argumentation. Nouvelle rhétorique,

Préface de Michel Meyer, 5e Édition, Bruxelles, Université de Bruxelles, 1992, p. 59.

22 Guy JOBIN, « Vatican II, le style et la rhétorique », dans Vatican II comme style. L’herméneutique

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Trois points constituent l’ossature de ce travail. Dans le premier chapitre, nous tâchons de définir la non-violence selon Gandhi, d’en dégager le rapprochement avec le discours chrétien et d’en repérer les influences dans certains discours et déclarations de la CENCO. Le deuxième chapitre est consacré à l’analyse de contenu et à l’analyse rhétorique de ces discours afin d’en dégager la posture de la non-violence. Enfin, le troisième chapitre trace un aperçu général de la paix. Il tente d’établir le rapport entre le pacifisme gandhien et celui des évêques.

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Chapitre premier : Approche de la non-violence

selon le Mahatma Mohandas Gandhi

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Dans ce chapitre, nous tentons de définir la non-violence telle que l’entend Mohandas Karamchand Gandhi, c’est-à-dire comme « la force de l’âme » mieux « la force de la Vérité», ainsi que nous l’avons indiqué plus haut. Nous focaliserons davantage sur cette dernière approche qui dérive du satyagraha.

En parlant de la non-violence, nous aurons en vue « une manière spécifique d’agir [plutôt qu’] une argumentation contre la violence23 », car notre question de recherche consiste à

repérer les arguments attestant la permanence de lutte non-violente dans le mode d’action des évêques de la RD Congo. La non-violence active dont il est question tout au long de cette investigation est à situer dans une perspective de lutte : lutte par une prise de parole épiscopale contre des situations de crises politiques génératrices de violences débordantes, mais aussi lutte contre les injustices qui portent atteinte à la dignité et bafouent les droits du Congolais.

Mais, pour mieux déployer cette analyse, il convient d’examiner au préalable la « force de vérité » qui anime les évêques et les amène à dénoncer, condamner la violence24, voire à

proposer des voies alternatives pour sortir le pays de la crise sans recours à des moyens violents dans l’action publique25. En définissant la non-violence de cette façon, nous

relèverons le rapport étroit qu’un Gandhi, par exemple, établit entre la non-violence en tant

23 À en croire Christian Mellon, la « notion de non-violence renvoie davantage à une manière spécifique

d’agir qu’à une argumentation contre la violence. » (Christian MELLON et Jacques SEMELIN, La

non-violence, Paris, PUF (coll. « Que sais-je? »), 1994, p. 3.)

24 Nous entendons par « force de vérité » le courage, la véhémence des évêques à travers leur prise de parole

pour dénoncer, condamner ouvertement des exactions perpétrées par l’autorité de l’État sur le peuple congolais considéré ici comme un « sans voix » au nom de la vérité. Nous voulons donc signifier ici le courage de dire la vérité aux dirigeants politico-administratifs lorsque ces derniers faillissent à leur engagement. Par exemple dans la lettre intitulée Encore le sang des innocents en RD Congo! (cf. Jr 19,4), les évêques écrivaient que « [la] CENCO condamne avec véhémence [la] manière ignoble de considérer la guerre comme un moyen pour résoudre des problèmes ou assouvir des ambitions inavouées. Elle dénonce tous les crimes commis sur des paisibles citoyens et condamne […] le recrutement des enfants aux fins de les impliquer de force dans les hostilités. » (« Encore le sang des innocents en RD Congo! (cf. Jr 19,4) no 2 »,

dans CENCO, Appel à l’engagement pour la paix dans la vérité. Déclarations et Message des évêques de la

CENCO sur la guerre dans l’est et dans le Nord-Est de la RD Congo, Kinshasa, Éditions du Secrétariat

Général de la CENCO, 2009, p. 7.)

25 « Nous invitons nos fidèles catholiques et le peuple congolais dans son ensemble à la non-violence car la

violence appelle la violence. Elle engendre la destruction et la misère. En ce sens, nous demandons à nos compatriotes vivant à l’étranger, avec qui nous partageons le souci pour un Congo nouveau, et dont nous reconnaissons les sacrifices qu’ils endurent pour venir en aide à ceux qui sont au pays, de ne pas recourir à la violence et de trouver les voies pacifiques pour apporter leur contribution à la construction d’un Congo réellement démocratique. À l’exemple de notre divin Maître, nous devons répondre à la violence par l’amour (cf. Mt 5, 43-44). » (CENCO, Le peuple congolais a faim et soif de justice et de paix. Le courage de la vérité

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que force de l’âme, mieux force de l’amour, et beaucoup plus force de vérité; et la non-violence dans le christianisme. La non-non-violence ainsi comprise vise à sauvegarder des valeurs inaliénables telles que le bien commun26, les droits de la personne, la dignité

humaine, etc. Pour ce faire, nous insérerons quelques détails notionnels de la dignité humaine et du bien commun. Notre réflexion sera axée sur les contenus de la doctrine de la violence gandhienne. Il ne s’agit pas de présenter ici toute la doctrine de la non-violence, rappelons-le. De ces contenus, nous dégagerons la structure des notions clés de la lutte non violente qui reviennent comme des arguments27 dans les discours des évêques

congolais. Ainsi, ce premier chapitre portera sur trois points : 1. tentative de définition de la non-violence chez Gandhi, 2. vers le rapport de la non-violence gandhienne et le christianisme, 3. notions préliminaires de quelques principes de la Doctrine sociale de l’Église – entre autres la dignité de la personne et le bien commun.

1. Gandhi et la non-violence

La non-violence est une notion fondamentale chez Gandhi, qui en a fait un moyen efficace de lutte contre l’injustice. Sur le plan politique, Gandhi précise que la lutte non violente menée en faveur de la population consiste essentiellement à s’opposer à l’erreur des lois injustes28. Elle évite d’infliger de la souffrance à l’adversaire. Pour comprendre la

particularité de cette conception gandhienne, il importe sans doute de définir la notion de non-violence en tant que telle.

1.1 Mise au point sur la notion de non-violence

La non-violence est une notion complexe. Nous ne prétendons pas en faire une analyse descriptive. Dans le Dictionnaire d’éthique et de philosophie, Giuliano Pontara précise de prime abord que la non-violence est « essentiellement définie par rapport au terme

26 En parlant du bien commun, nous voyons ici l’idéal qui anime tout pouvoir en quête de démocratie,

c’est-à-dire comme le notait Vatican II : l’« ensemble de conditions sociales qui permettent, tant aux groupes qu’à chacun de leurs membres, d’atteindre leur perfection d’une façon plus totale et plus aisée, […] [Le bien commun] recouvre des droits et des devoirs qui concernent tout le genre humain. » (Concile Vatican II,

Constitution dogmatique Gaudium et spes no 26, §1.) C’est selon Jean XXIII, le « devoir qui incombe à tous

de servir avec empressement les intérêts communs. » (« Pacem in terris », dans L’Église et la question

sociale. De Léon XIII à Jean-Paul II, Québec, Éditions Fides, 1991, no 47.)

27 Par arguments nous attendons ici l’analyse de la question « comment les évêques parlent » au sens

rhétorique du terme (et non de style langagier) dans leur engagement décisif dans la lutte non-violente.

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"violence"29. » Étymologiquement, donc, elle se définit d’abord comme un contraire et une

résistance à la violence, puis comme méthode de lutte contre la violence. Autant dire que c’est la « négation de », mieux l’« opposition à », bien plus le « refus de » la violence30.

Avant de devenir la méthode de lutte sans recours à la force tant physique qu’armée, la non-violence est donc un état d’esprit, une prise de position éthique et philosophique. Cette posture se comprend mieux au regard de ce à quoi elle s’oppose : la violence. D’où la pertinente question : qu’est-ce que la violence?

1.2 Bref aperçu de la violence

La violence peut être définie et vécue, non seulement à plusieurs niveaux mais aussi en des contextes différents. Le Dictionnaire critique de théologie en énumère certains. La violence touchant l’intégrité physique : c’est l’agression physique de l’individu (meurtre, viol); la violence dans le langage31 : celle consistant, par exemple de proférer des menaces verbales,

la diffamation, la médisance32. La violence, c’est aussi des « actes sans réalité physique

produisant un tort psychologique et spirituel; [la violence peut être] sociale (esclavage, racisme, sexisme); [elle peut également être entendue au sens de] génocide; […] tout usage d’instruments de destruction de masse33 », etc. Thomas Breidenthal est persuadé que

«[s]ous tous ces sens en tout cas, c’est une même négation de l’homme par l’homme qui se dit, au sein d’un réel qui n’a plus que la dureté comme qualité34. » Étant donné les multiples

visages de la violence, on peut dire comme Gandhi, que l’on est entouré de la violence. D’après lui, « les relations humaines, toute société, tout État comportent inexorablement une part de violence impossible à éliminer, quels que soient nos efforts35. » Il ne s’agit pas

là de notre sujet comme tel mais, cette précision est essentielle pour comprendre son opposé, la non-violence. Ainsi, la description que nous faisons de la violence éclairera le bien-fondé de la lutte non-violente que mènent notamment les évêques du Congo.

29 Giuliano PONTARA, « Non-violence », dans Monique CANTO-SPERBER (dir.), Dictionnaire d’éthique

et de philosophie, vol 2, Paris, Quadrige/PUF, 2004, p. 1350.

30 [s.a.], Non-violence : éthique et politique…, p.9.

31 On peut parler de la violence dans le langage quand, lors d’une discussion l’usage du langage se transforme

en une profération de menaces à l’endroit de l’interlocuteur ou quand l’on veut contraindre celui-ci à l’adhésion sans tenir compte de ses opinions.

32CENCO, Levons-nous et bâtissons…, no 26.

33 Thomas BREIDENTAL, « Violence », dans Jean-Yves LACOSTE (dir.), Dictionnaire critique de

théologie, Paris, PUF, 1998, p. 1232, col. 1.

34 Idem.

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La violence a toujours eu des conséquences funestes dans l’histoire des nations en général, et de la RD Congo en particulier. On peut citer les guerres incessantes, les viols des femmes, les structures et systèmes socio-politiques injustes, les mépris des droits et de la dignité de la personne, etc. Ainsi que l’explique un des modules d’éducation civique et électorale élaborés par la CENCO, la RD Congo est la scène de toutes ces violences :

l’approche des élections nous impose un devoir de mémoire. Nous [évêques et l’ensemble du peuple congolais à qui incombe le devoir d’élire leurs dirigeants] portons dans la chair de notre histoire récente un lourd tribut payé à la violence et nous ne pouvons oublier de sitôt ni les 6 millions de morts, victimes de la guerre, ni les violations massives des droits des Congolais et Congolaises! Nous ne pouvons oublier ni les centaines des milliers de femmes violées, ni les populations déplacées, ni les enfants arrachés à l’affection de leurs parents pour servir de chair à canon, etc. Nous ne pouvons oublier ni les morts du processus électoral de 2006 ni les violences post-électorales36!

Même s’il n’est pas exhaustif, l’inventaire de la violence et des effets de la violence que dresse cette citation montre clairement que la violence est « une atteinte à la vie ou à l’intégrité physique, morale ou psychologique d’un individu, dès lors qu’une responsabilité humaine y est engagée37. » Par conséquent, la violence tue non seulement l’humain ou les

êtres vivants, mais également elle lèse la dignité et la vérité38.

Bien plus, dans ce discours des évêques, l’état de la situation revêt un caractère persuasif sur la gravité de la violence à laquelle est confronté le peuple congolais. En usant du «nous», de « notre » dans cet extrait, non seulement, le locuteur souligne la communion des esprits autour de mêmes valeurs entre le locuteur et l’allocutaire, mais également il « se présente comme le défenseur, non seulement du peuple opprimé, mais des intérêts communs à tous les êtres humains victimes de la violence et de la guerre […]. Il est aussi et surtout celui qui défend les intérêts39 » des peuples. Donc, non seulement le locuteur –

c’est-à-dire la commission des évêques de la RD Congo – témoigne ainsi de son

36 CENCO, Élections et questions majeures de gouvernance…, p. 29. 37 [s. a.], Non-violence : éthique et politique…, p. 10.

38 Paul BEAUCHAMP, « Violence. Théologie biblique », dans Jean.-Yves LACOSTE (dir.), Dictionnaire

critique de théologie, Paris, Presse Universitaire de France, 1998, p. 1230. Col. II.

39 Ruth AMOSSY, L’argumentation dans le discours. Discours politique, littérature d’idées, fiction.

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ressentiment vis-à-vis de la violence perpétrée sur la nation congolaise, mais il convie également celle-ci à la mémoire du drame causé par la même violence. En ce sens, l’on peut se convaincre, surtout du point de vue de la morale, que la violence est une négation de l’homme par l’homme40. Ainsi souligné, l’appel à la mémoire vise à convaincre de la

gravité des affres de la violence afin que l’on adhère à la position du locuteur, qui est ici de voir comment se libérer de la violence. C’est ce qui transparaît un peu plus loin dans le même discours en ces termes : « un regard lucide sur notre histoire nous oblige à dire à l’unissons : "Plus jamais ça"41! ».

Néanmoins, on constate que, pour la plupart des idéologies dominantes, la violence serait inhérente à l’action politique42. Les sciences politiques soutiennent cette acception en

définissant l’État comme le groupement politique qui, dans une société, possède le monopole de la violence physique43. Tel est le cas des régimes dictatoriaux, despotiques,

tyranniques qui ont prévalu dans l’histoire de la politique. Au XXe siècle, on peut citer

entre autres les régimes de Hitler, de Staline, de Kadhafi et, en RD Congo, de Mobutu Sese Seko qui est resté pendant 32 ans (1965-1997) au pouvoir. À terme, la violence génère des lois injustes auxquelles le peuple est le plus souvent contraint d’obéir.

En démocratie, par contre, le but premier de la politique est de vivre en paix et donc de lutter, s’il le faut, contre la violence. Ce qui veut dire que la violence doit être extirpée de la loi44. Dans la même logique, Suzanne Lassier; commentatrice de Gandhi, cite celui-ci en

indiquant que « la violence étant inhérente à l’État et à ses systèmes de contrainte, les réformes institutionnelles ne servent à rien; ce sont les hommes qu’il faut réformer pour assurer, vierge de toute violence, la cohésion de la société, l’entente mutuelle, par le lien

40 Thomas BREIDENTHAL, « Violence. Théologie morale », dans Jean-Yves LACOSTE (dir.), Dictionnaire

critique de théologie…, p. 1505, col. II.

41 CENCO, Élections et questions majeures de gouvernance..., p. 29. 42 [s. a.], Non violence : éthique et politique…, p. 22.

43 En reprenant l’argument de Trotski selon lequel « tout État se fonde sur la violence », Max WEBER

soutient que la violence est vraiment indispensable dans les structures sociales de l’État. À défaut, le concept de l’État n’existerait pas. En revanche, l’État se substituerait en « anarchie ». Ceci dit, la violence s’avère être un des moyens normaux de l’État. Mieux; son moyen spécifique. Par conséquent, la violence et l’État sont intimement liés. (Max WEBER, Le savant et le politique. Une nouvelle traduction. La profession et la

vocation de savant. La profession et la vocation de politique, Paris, La Découverte, 2003, p. 118).

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moral, intérieur de l’amour45. » Dans cette visée du vivre ensemble s’inscrit aussi la

non-violence gandhienne au sens de satyagraha – la vérité des êtres dans leur dignité, qui prône le respect et consiste en l’amour désintéressé. Pour pressentir la vérité, il faut donc devenir capable de ce respect et de cet amour. Il faut vaincre en soi la volonté de possession qui transforme l’autre en objet, et la peur, vite tournée en haine; qui le transforme en bouc émissaire46. L’amour est, pour ce faire, fondamental aux yeux de Gandhi.

Ce détour par son contraire permet de définir la non-violence comme un combat sans armes mené contre la violence au sein de la société.

1.3 La non-violence : une lutte contre la violence

Dans cette logique de lutte, Giuliano Pontara distingue avant tout deux acceptions de la non-violence : d’une part, elle est une méthode de lutte ou une stratégie contre les conflits; d’autre part, elle constitue une doctrine éthique et politique qui s’identifie essentiellement avec le gandhisme47. Le premier cas met en évidence les moyens non-violents pour arrêter

la guerre ou les conflits. On peut citer, entre autres moyens, le pacifisme48. La non-violence

en tant que méthode de lutte ne se confond pas avec le pacifisme : elle ne s’identifie à aucune des trois formes de pacifisme, relevées par Pontara : le pacifisme éthique, le pacifisme juridique et le pacifisme économique. Elle reste quand même compatible avec chacune d’elles49 en ce sens que le pacifisme au tant que la non-violence visent la

restauration de la paix, le respect de la dignité et les droits de la personne.

45 Suzanne LASSIER, Gandhi et la non-violence…, p. 33. 46 Mahãtmã GANDHI, Ma non-violence, Paris, Stock, 1973, p. 7.

47 Giuliano PONTARA, « Non-violence », dans Dictionnaire d’éthique et de philosophie morale…, p. 1350,

col. 1.

48 Giuliano Pontara distingue trois types de pacifisme : le pacifisme éthique – entendu comme « la position

qui rejette la guerre pour des raisons morales » –, le pacifisme juridique – c’est celle qui prône comme « seule façon de garantir une paix stable et durable [l’instauration d’] un ordre juridique international dans le cadre duquel le pouvoir des États individuels se voit limité par une autorité supérieure pouvant mettre fin aux conflits entre ces États. » On peut citer à titre d’exemple la création de l’ONU, le pacifisme économique : dans ce cas, la cause principale de la guerre est à rechercher dans la forme de production capitaliste qui conduit nécessairement au colonialisme, à l’impérialisme et à la conquête de marchés de plus en plus vaste. De cette façon, l’auteur en vient à conclure que le remède pour une paix stable et durable n’est possible que si l’on en vient à abolir le système de production capitaliste et instaurer une économie planifiée à l’échelle mondiale. (Ibid., p. 1350.)

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La seconde acception, celle de Gandhi, distingue la non-violence – le satyagraha – des autres formes de lutte non violente sans bien-entendu les réfuter : la résistance passive, la désobéissance civile50, la non-coopération51, etc. Nous y reviendrons dans le troisième

chapitre. Dans cette acception, la non-violence fait référence à une énergie, mieux, une force qui incite à l’action subtile contre le mal, contre l’injustice. C’est donc la force de vérité. Les principes les plus simples de la vérité, écrit Gandhi, sont : l’adhérence à la vérité et la défense intégrale de cette vérité52. Ceci pose effectivement la question de savoir ce

qu’est la vérité!

Sans prétendre répondre exhaustivement à cette question, Gandhi soutient que la vérité est ce à quoi tout homme aspire comme un bien. Elle est, dans sa considération la plus profonde, Dieu53. Gandhi le précise mieux en indiquant que la vérité, « c’est ce que nous dit

la voix intérieure », tout en reconnaissant que la question de la vérité est toujours très controversée54. On retiendra que, selon Gandhi, « [l]a Vérité est donc la source et le

fondement de tout ce qui est bon et grand […]. Tout véritable progrès est impossible sans une poursuite acharnée de la vérité55. » La recherche de la vérité a hanté l’esprit de Gandhi

dans sa lutte contre la domination anglaise. Le seul et inéluctable moyen pour y parvenir, écrit-il, ce fut l’amour, c’est-à-dire la non-violence56.

En effet, le contexte dans lequel Gandhi a émis ces principes est celui du racisme sans nom dont les Indiens étaient victimes, tant en Afrique du Sud qu’en Inde, ainsi que l’avons-nous déjà indiqué. Pour lui, face à l’énigme de vouloir sortir de la violence, seule la force de la

50 À en croire Gandhi, la « désobéissance civile » se manifeste par « une résistance de masse, sur une base non

violente, contre le gouvernement, lorsque les négociations et les méthodes constitutionnelles ont échoué. » Il sied toutefois de préciser que c’est cette forme de lutte non violente qui a fait connaitre Gandhi à travers le monde. (Mahãtmã GANDHI, Résistance non violente…, p. 9).

51 La non-coopération dont il est question ici n’est pas synonyme du refus de coopérer avec l’adversaire,

c’est-à-dire l’auteur des mauvaises actions. Elle refuse plutôt de coopérer avec les actes mauvais eux-mêmes. Autrement dit, « le satyagrahi [le non-violent] coopère avec celui qui a pu mal agir dans le cadre de ce qui est bon, car il ne le hait pas. Au contraire, il n’éprouve pour lui que de l’amitié. En coopérant avec lui dans le cadre de ce qui n’est pas mauvais, le satyagrahi l’amène à renoncer au mal. » (Ibid., p. 9.)

52 Mahãtmã GANDHI cité par Suzanne LASSIER, Gandhi et la non-violence..., p. 143.

53 En soutenant que vérité et non-violence sont synonymes de Dieu, Gandhi déduit également que la « Vérité

est Dieu ». (Ibid., p. 145).

54 GANDHI cité par Jean HERBERT, Ce que Gandhi a vraiment dit…, p. 80. 55 Ibid., p. 82.

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vérité était envisageable57. Autrement dit, il fallait avoir la hardiesse de dénoncer le mal, de

dénoncer l’injustice par la parole. Les divers discours des évêques dont nous traitons dans ce travail empruntent la même voie.

En faisant leur l’appel du Pape Benoît XVI stipulant qu’« [à] cause du Christ et par fidélité à sa leçon de vie, notre Église [l’Église catholique] se sent poussée à être présente là où l’humanité connaît la souffrance et à se faire l’écho du cri silencieux des innocents persécutés, ou des peuples dont des gouvernements hypothèquent le présent et l’avenir au nom d’intérêts personnels58 », les évêques de la RD Congo, déçus de la façon dont les

élections du 28 novembre 2011 s’étaient déroulées59, avaient écrit : « Nous ne nous

lasserons pas de dénoncer tout ce qui met en péril l’édification d’un État démocratique. L’on ne construit pas un État de droit dans une culture de tricherie, de mensonge et de terreur, de militarisation et d’atteinte flagrante à la liberté d’expression60 ». Les évêques

font ici preuve de détermination au service de la vérité. Ils vont même jusqu’à sous-titrer ce discours « Le courage de la vérité (cf. 2 Co 7,14) ». D’ailleurs, la portée théologique de cette considération serait que la vérité – qui est Dieu chez Gandhi, et Jésus Christ chez les chrétiens – est chez les humains une force libératrice. Elle est, au demeurant, le chemin sur lequel on doit marcher ; c’est après tout le gage des actions de tout humain en quête d’un ordre social juste et pacifique.

Par ailleurs, en précisant que la non-violence n’est pas une violence moindre, Gandhi fait une mise en garde contre la tentative de réduction de la non-violence à l’impuissance ou à la lâcheté. Pour Gandhi, c’est l’arme des forts entre les forts61. Ce genre de discours laisse

57 Ibid., p. 141.

58 BENOIT XVI, Exhortation apostolique post-synodale Africae munus, no 30, Cité par CENCO, Le peuple

congolais a faim et soif de justice et de paix. Le courage de la vérité (cf. 2 Co 7,14), no 7.

59 Il sied de préciser que les élections du 28 novembre 2011 ont créé un tollé à tel point qu’elles ont été

contestées de plusieurs Congolais affirmant qu’elles étaient, non seulement entachées des irrégularités, des fraudes, mais également des violences. Dans la même lettre, les évêques le précisent en ces termes : «Aujourd’hui, il ressort du rapport final de la mission d’observation électorale de la CENCO et des témoignages recueillis de divers diocèses et d’autres sources que le processus électoral s’est déroulé, à beaucoup d’endroits, dans un climat chaotique. L’on a noté plusieurs défaillances, des cas de tricheries avérées et vraisemblablement planifiées, de nombreux incidents malheureux entrainant mort d’homme, des cafouillages, et, à certains endroits, un climat de terreur entretenu et exploité à dessein pour bourrer les urnes». (CENCO, Le peuple congolais a faim et soif de justice et de paix…, no 5).

60 Ibid., no 8.

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entendre le type de conception de la non-violence dont les auditeurs de Gandhi étaient familiers. C’est effectivement la non-violence passive.

Non seulement Gandhi fait l’éloge de la non-violence active en soulignant la force qui lui est inhérente, mais il cherche également à persuader ses auditeurs et ses lecteurs de s’en servir dans leurs actions. Au demeurant, la non-violence est toujours active dans son action contre la violence. Gandhi précise d’ailleurs que « [l]a non-violence, sous sa forme active, consiste par conséquent en une bienveillance envers tout ce qui existe. C’est l’Amour pur62.» D’où l’idée de la non-violence comme force de l’amour, force de l’âme, force de

vérité, en un mot le satyagraha.

Dans la même perspective, la vérité se rapporte, par extension même, à l’âme ou à l’esprit. «Par conséquent, écrit Gandhi, on […] appelle [vérité] la force de l’âme63 ». Autrement dit,

« [la] signification fondamentale [du satyagraha] est l’adhérence à la vérité, par conséquent : la force de la vérité. Je [Gandhi] l’ai également appelé force de l’amour ou force de l’âme64. » Ainsi, amour, vérité et non-violence deviennent des synonymes. Là, se

tisse aussi le lien fondamental avec le christianisme. Nous y reviendrons.

Somme toute, le terme non-violence couvre une diversité de sens, non seulement dans l’univers des militants de la non-violence en général, mais aussi chez Gandhi en particulier. Nous ne prétendrons pas les décortiquer ici. Toutefois, il importe d’indiquer que la non-violence, telle que pratiquée par Gandhi, comprend deux volets qu’il faudra exposer brièvement.

1.4 La non-violence en deux volets

Nous l’avons souligné, Gandhi est un militant convaincu de la lutte non-violente. Il convient maintenant de préciser qu’il a mené cette lutte en deux volets qui, selon lui, sont complémentaires. Il s’agit de la non-violence constructive – éducation, formation de l’individu et des masses – et de la non-violence agressive – combat économique et

62 Ibid., p. 48.

63 Mahãtmã GANDHI, Résistance non violente…, p. 17. 64 Ibid., p. 21.

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politique. À en croire Gandhi, la non-violence constructive est à la non-violence politique ce que la préparation militaire est à la guerre65.

1.4.1 La non-violence constructive

La non-violence constructive a une visée non seulement spirituelle mais aussi éthique, dans la mesure où l’ordre social que vise la politique évite de soumettre l’histoire à la fatalité de la violence. C’est pourquoi, « la stratégie de l’action non-violente vise à réconcilier l’"éthique de conviction" et l’"éthique de responsabilité" en recherchant l’efficacité politique par d’autres moyens que ceux de la violence (meurtrière ou non)66 ». Tout le

monde se voit donc appelé à collaborer à l’harmonisation des relations entre les personnes. Pour ce faire, la non-violence constructive met en évidence la sensibilisation des masses par Gandhi à travers des articles67 de sa plume sur la situation socio-politique des Indiens. Le

but est de persuader les gens à adhérer à la lutte pour le changement tel que Gandhi le pressentait lui-même. Suzanne Lassier le précise et indique que ce que voulait Gandhi était de faire lever une nation de saints68.

En effet, dans cette action de lutte, Gandhi prend comme cheval de bataille sa posture religieuse dont la fin est l’union avec Dieu. Jean Herbert l’indique mieux en reprenant ce qu’il a retenu de Gandhi :

On peut dire que dans toute la vie de Gandhi les deux principes directeurs essentiels ont été la recherche de la Vérité et l’exercice de la non-violence (ahimsâ) et que tout le reste en a découlé. « L’ahimsâ et la Vérité sont mes deux poumons; je ne peux pas vivre sans elles. » « Je ne sacrifierai ni la vérité ni l’ahimsâ, même pour sauver mon pays ou ma région.» « Je veux

65 GANDHI cité par S. LASSIER, Gandhi et la non-violence…, p. 152. 66 [s.a.], Non violence : éthique et politique…, p. 21.

67 Suzanne Lassier énumère quelques articles dont les Lettres à l’âshram, La loi d’amour, l’Épée du sacrifice

de soi, etc. (Suzanne LASSIER Gandhi et la non-violence..., p. 152).

68GANDHI, cité par Suzanne LASSIER, Gandhi et la non-violence…, p. 152. Gandhi le dit autrement dans

son autobiographie : « Ce que je voudrais mener à bien – ce que j’ai tenté laborieusement, langui de mener à bien, ces trente années – c’est d’atteindre à l’accomplissement de soi, de voir Dieu face à face, de parvenir au

Moksha [ce mot dérive de moksa qui veut dire « délivrance », note (1) dans le même livre]. Je ne vis, je ne me

meus, je n’ai d’être que dans la poursuite de cette fin. Tout ce que j’accomplis par le moyen de la parole ou de l’écrit, comme toutes mes aventures dans le domaine de la politique, tend vers cette même fin. » (Mahãtmã GANDHI, Autobiographie ou mes expériences de vérité, Trad. de l’anglais par G. Belmont, Paris, PUF, 2012, p. 2.)

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voir Dieu face à face. Je sais que Dieu est Vérité. Pour moi, le seul moyen certain de connaître Dieu est la non-violence (ahimsâ), l’amour »69.

De cette façon, Gandhi incarne des vertus telles que l’amour, la vérité, le courage, la non-violence, l’absence de peur, etc. Mais, dans son mode d’action, il laisse à ses lecteurs, mieux à son auditoire, l’initiative d’engagement. On peut donc en déduire que Gandhi vante ces valeurs qu’il considère inébranlables pour un ordre social juste. Chaïm Perelman le clarifie autrement en indiquant que « les valeurs dont on fait l’éloge [doivent être] jugées dignes de guider [nos actions] car, comme le dit spirituellement Isocrate, "à quoi bon écrire des discours dont le plus grand avantage ne saurait être que de ne pouvoir persuader aucun des auditeurs70?". »

La vérité, le courage, la non-violence, etc. s’avèrent donc des principes moraux pour l’édification de l’ordre social. Aussi, Gandhi conseillera-t-il d’en faire matière à éducation et à formation de l’individu et des masses71. Dans cette considération, d’après Perelman,

Gandhi est lui-même éducateur de l’auditoire dont il se fait le porte-parole, et par sa propre autorité (l’ethos) et par son sens de défendre non plus son propre point de vue, mais celui de tout l’auditoire72. Cette éducation se réalise surtout dans la rédaction d’articles et de

lettres adressés aux militants de la non-violence. Ceci rejoint la méthodologie de la lutte menée par les évêques de la RD Congo à travers des discours et des lettres dont certaines constituent notre corpus. L’objectif est parfois la sensibilisation à l’éducation civique de la nation congolaise73.

L’idéal dans cette sensibilisation est donc d’aiguiser le sens de chaque patriote à l’intérêt du bien commun autour duquel se définit la raison d’être de l’autorité politique74. Tel est l’un

69 Jean HERBERT, Ce que Gandhi a vraiment dit…, p. 79.

70 Chaïm PERELMAN et Lucie OLBRECHTS-TYTECA, Traité de l’argumentation…, p. 69. 71 GANDHI cité par Suzanne LASSIER, Gandhi et la non-violence..., p. 152.

72 Chaïm PERELMAN et Lucie OLBRECHTS-TYTEC, Traité de l’argumentation. Nouvelle rhétorique…,

p. 69.

73 Au Synode des évêques africains sur « L’Église en Afrique au service de la réconciliation, de la justice et

de la paix » tenu à Rome du 04 au 25 octobre 2009, les évêques africains indiquaient que « grâce aux Commissions Justice et Paix, L’Église s’est engagée dans la formation civique des citoyens et dans l’accompagnement du processus électoral en différents pays. Elle contribue ainsi à l’éducation des populations et à l’éveil de leur conscience et de leur responsabilité civiques. » (BENOÎT XVI, L’engagement

de l’Afrique. Africae munus..., no 23.)

74 [s.a.], Compendium de la Doctrine sociale de l’Église, Città del Vaticano, Libreria editrice vaticana (coll.

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des principes-clés de la Doctrine sociale de l’Église75. On dirait même que les évêques

visent une éducation civique dont la toile de fond est la transformation de la nation congolaise en un peuple vraiment démocratique. La lettre intitulée : La justice grandit une

nation (cf. Pr 14,34). La restauration de la Nation par la lutte contre la corruption est

significative de l’objectif d’éducation civique de la nation. Nous y reviendrons dans le deuxième chapitre.

La non-violence constructive dont le regard est le combat spirituel intense au sens gandhien, est affaire d’entraînement patient et énergique ; elle ne peut se pratiquer que dans l’action sociale76. Suzanne Lassier, commentatrice de Gandhi, cite entre autres actions :

s’engager auprès de plus pauvres, partager la souffrance de ceux-ci, leurs humiliations, se faire leur serviteur, travailler avec eux77, etc. Le souhait le plus cher de Gandhi, écrit-il,

«était de servir les pauvres. Or j’ai toujours été amené à vivre parmi eux au point de m’identifier à leur cause78. » Un esprit similaire de compassion se dégage des déclarations

de la CENCO face à la reprise des hostilités à l’Est de la RD Congo en 2009. Par exemple, dans la lettre intitulée Encore le sang des innocents en RD Congo!, les évêques expriment leur profonde indignation du fait que les hostilités sèment de nouveau79 la désolation et le

deuil dans le pays. Les conséquences de ces hostilités – « des milliers de morts, des populations condamnées à l’errance dans des conditions inhumaines, des enlèvements d’enfants et leur enrôlement de force dans des groupes armés, etc. » – les stimulent à l’action. Ils condamnent avec véhémence, écrivent-ils, cette manière ignoble de considérer la guerre comme un moyen pour résoudre les conflits80.

Pour ce faire, dans la conclusion de la lettre, les évêques invitent le peuple de Dieu, les hommes de bonne volonté, les Églises sœurs et les organisations caritatives à se montrer

75 À en croire les évêques de la CENCO, la Doctrine sociale de l’Église rappelle que chaque citoyen est

convié à s’engager dans la construction de la démocratie de telle façon que toute démocratie soit participative. (CENCO, L’Église catholique en R.D. Congo et les élections. Repères et défis pastoraux, Kinshasa, Édition du secrétariat général de la CENCO, 2011, p. 32).

76 Suzanne LASSIER, Gandhi et la non-violence..., p. 153. 77 Ibid., p. 153.

78 Mahãtmã GANDHI, Tous les hommes sont frères. Vie et pensées du Mahãtmã Gandhi d’après ses œuvres,

Paris, Gallimard, 1990, p. 46.

79 Cette expression veut signifier qu’il y a eu des conflits aussi meurtriers que celui dont il est question dans la

présente lettre.

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plus solidaires et plus compatissants aux souffrances des victimes des guerres81. Non

seulement les évêques témoignent de leur compassion, mais ils persuadent leurs auditeurs d’éprouver le même sentiment, d’ailleurs beaucoup plus fortement qu’eux-mêmes. Nous reviendrons plus loin dans notre analyse sur la façon dont ils en parlent. Toutefois, il convient d’indiquer que la lettre se termine sur une note qui convie à l’inspiration par Dieu des pensées et des actions de tous pour la victoire de la paix et l’engagement dans l’œuvre de reconstruction d’un Congo de justice et de fraternité82.

Suzanne Lassier poursuit en se référant au conflit entre Indiens et Anglais lequel conflit avait émasculé l’Indien. En citant Gandhi, elle écrit qu’il faut donc que l’Indien se virilise, qu’il se forme à la vie politique, qu’il fonde désormais des institutions indépendantes, écoles, tribunaux, et qu’il crée des conditions d’une économie autonome, etc.83 Autrement

dit, c’est pour les Indiens une phase de reconstruction ou de redressement d’une nation qui a croupi longtemps sous le joug de la domination. Gandhi le dit mieux en ces termes : «Partout, nous avons insisté sur la nécessité d’entreprendre des activités constructives, pour parvenir au swaraj84. »

En définitive, la non-violence constructive consiste en un redressement de la nation vers un ordre social qui promeut l’obéissance de tous aux lois justes, un ordre social dans lequel le droit et la dignité de la personne sont respectés, un ordre social où le développement économique est l’affaire de tous.

1.4.2 La non-violence agressive

À en croire Suzanne Lassier, la non-violence agressive est celle qui, face au dilemme lâcheté et violence, choisirait paradoxalement la violence. Autrement dit, il vaut mieux combattre pour défendre la justice et la vérité que de les trahir en cédant à une loi injuste85.

Dans cette perspective, Gandhi use des moyens de pression tels que le boycott des écoles, des tribunaux, le refus de certaines prestations des services publics, la désobéissance civile, etc., l’objectif étant de se désolidariser de l’injustice.

81 Ibid., nos 7-8. 82 Ibid., no 8.

83 Suzanne LASSIER, Gandhi et la non-violence..., p.153.

84 Swaraj signifie gouvernement indépendant. (Mahãtmã GANDHI, Résistance non violente…, p. 132). 85 Suzanne LASSIER, Gandhi et la non-violence..., p. 156.

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Cependant, note Gandhi, l’épreuve de force ne peut s’engager qu’en ultime recours, lorsque les moyens légaux de lutte non-violente – pétitions, articles dans la presse, mouvement d’opinions, etc. – ont échoué86. À ce point, la vision de Gandhi se fait plus complexe.

Gandhi préconise l’acceptation de la souffrance que nous inflige le fait d’obéir à une loi injuste. Mais quand la lutte devient nécessaire, il opte pour l’amour de l’adversaire, mieux, de l’ennemi, et récuse son dénigrement. Cette posture est sous-tendue par l’obligation morale de toujours sauvegarder la dignité de la personne. D’après Gandhi, « l’adversaire n’est pas mauvais parce qu’il s’oppose à nous. Il arrive qu’il soit aussi honorable que nous prétendons l’être, tout en ayant avec nous des divergences de vue fondamentales87. »

Évidemment, le rapprochement est aisé à faire entre ce précepte gandhien et l’amour de l’ennemi prôné par le christianisme (Mt 5, 43). En somme, les deux sources soutiennent la nécessité de lutter contre le mal commis par l’adversaire et non contre la personne de l’adversaire.

Pour renforcer en lui cette disposition éthique, Gandhi s’adonne à des disciplines de sanctification, notamment, l’ascèse, le jeûne, la purification. Ce qui montre que, pour Gandhi, la souffrance conduit au triomphe ; l’homme purifié devient capable de l’action non-violente88.

Ces attitudes de piété parmi lesquelles la confiance à Dieu est fondamentale, sont présentes dans nombre de discours des évêques congolais. Ils invitent le peuple à prier pour la situation de crise dont font état leurs discours. Dans la péroraison de la plupart de ces discours, on trouve des formules telles que « nous demandons au peuple de Dieu d’accompagner ce moment89, par la prière et le jeûne90 ».

En somme, la non-violence constructive vise l’édification d’un ordre social sain pour remplacer un ordre entaché d’injustice et de conflit. Le retour d’un règne de justice, de paix, de réconciliation, d’amour, de vérité dans le temporel est perçu comme une préfiguration du bien commun ultime dont Dieu lui-même est le fondement. Ce qui

86 Ibid., p. 157.

87 Mahãtmã GANDHI, Résistance non violente…, p. 134. 88 Mahãtmã GANDHI, Ma non-violence…, p. 7.

89 C’est le moment des préparatifs et déroulement des échéances électorales du 30 juillet 2006.

90 CENCO, Pour une fin de transition apaisée. « Le peuple avait le cœur à l’ouvrage » (Ne 3,38), Kinshasa,

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implique le deuxième volet de la non-violence dont la fin, d’ordre spirituel, consiste en l’ouverture à Dieu. Chez Gandhi, ce cheminement est effectivement celui de l’homme purifié par des exercices de piété et qui, dès lors, est devenu propre à l’action non violente. Dans le christianisme, c’est le désir de s’identifier à Dieu : être parfait comme le Père est parfait91, ainsi que le lisait Gandhi dans les Évangiles.

2. Lien entre la non-violence chez Gandhi et dans le christianisme

Adepte de l’hindouisme, Gandhi a rencontré le christianisme, autant que plusieurs autres religions, dans son environnement et surtout grâce à son érudition. La personne de Jésus, son enseignement et les témoignages qui en sont faits, ont ajouté leur lumière à la conception gandhienne de la lutte non violente. Sans nous attarder à décrire le rapport de fascination et de réticence qu’entretient Gandhi avec le christianisme – rapport dont la complexité résulte sans doute de sa posture d’érudit pétri jusqu’à la moelle de sa religion –, nous nous attacherons à montrer le pôle positif de cette oscillation, à savoir : la connivence entre la lutte non-violente chez Gandhi et la non-violence dans le christianisme.

2.1 Gandhi et son inspiration chrétienne

Selon Jean Herbert, la personne de Jésus est le premier élément qui fascine Gandhi. À ses yeux, Jésus est « le prince des politiques », Il est « un non-coopérateur », Il est « le plus actif des résistants non violents de l’histoire humaine92 ». La dimension de la souffrance

qu’a vécue Jésus de Nazareth a aussi influencé Gandhi. Herbert rapporte que « l’exemple de la souffrance de Jésus est un des éléments de [sa] foi inaltérable en la non-violence qui règle les actes temporels93. » Dans cette dynamique, l’acceptation de la souffrance devient

un noble choix qui ne peut se confondre avec la collaboration à une loi injuste.

En ordre d’importance, le deuxième élément ayant marqué l’esprit de Gandhi réside dans les témoignages de certains chrétiens94. Gandhi se réfère aux militants de la non-violence.

91 Jean-Marie MULLER, L’Évangile de la non-violence…, p. 13. 92 Jean HERBERT, Ce que Gandhi a vraiment dit…, p. 70. 93 Ibid., p. 71.

94 Il faut bien le souligner, Gandhi marque une distinction nette entre l’enseignement de Jésus et les chrétiens

qui se réclament de cet enseignement. Dans son discours tenu à Lausanne, il répondit à ceux qui demandèrent son point de vue sur le christianisme : « le christianisme est très bon. Beaucoup de chrétiens sont très mauvais. » (Ibid., p. 74.)

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