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La co-élaboration des notions scientifiques dans les dialogues entre apprenants : le cas des interactions médiatisées par ordinateur

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Academic year: 2021

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Submitted on 30 Nov 2016

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La co-élaboration des notions scientifiques dans les

dialogues entre apprenants : le cas des interactions

médiatisées par ordinateur

Michael Baker, Daniel Brixhe, Matthieu Quignard

To cite this version:

Michael Baker, Daniel Brixhe, Matthieu Quignard. La co-élaboration des notions scientifiques dans les dialogues entre apprenants : le cas des interactions médiatisées par ordinateur. Josie Bernicot, Alain Trognon, Michèle Guidetti, Michel Musiol. Pragmatique et psychologiquee, Presses Universitaires de Nancy, pp.109-138, 2002, 2-86480-876-5. �halshs-01405804�

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Dans J. Bernicot, A. Trognon, M. Guidetti & M. Musiol (éds.), 1

La co-élaboration des notions scientifiques dans les

dialogues entre apprenants : le cas des interactions

médiatisées par ordinateur

Michael BAKER

Daniel BRIXHE

Matthieu QUIGNARD

Introduction

Dans le prolongement de la pensée vygotskienne, nous considérons que c'est dans l'intersubjectivité que se joue, en partie au moins, chez les élèves, la construction des concepts scientifiques qui prennent appui sur les concepts quotidiens pour les dépasser. L'idée que les cognitions et les représentations des états de choses se construisent dans l'interaction sociale était déjà défendue par Vygotski (1934/1985, 1978). Selon une conception un peu moins exigeante, c'est de l'interaction conversationnelle qu'émergent, sinon (toutes) les représentations et les cognitions, du moins leur expressivité ou leur communicabilité (Trognon, 1993). Depuis une quinzaine d'années, de solides arguments empiriques et expérimentaux en psychologie sociale cognitive (Mugny, 1985 ; Perret-Clermont & Nicolet, 1988) ont démontré les bénéfices cognitifs que des sujets apprenant pouvaient tirer d'interactions entre pairs. Les recherches actuelles sur l'apprentissage coopérant (Pléty, 1996) s'accordent sur le fait que certains types d'interactions entre les apprenants peuvent être des facteurs causaux du développement cognitif (Mavarech & Light, 1992 ; Resnick, Levine & Teasley, 1991) au cours duquel les cognitions constituent fondamentalement une activité distribuée, construction conjointe émergeant de la dynamique interactive (Trognon, Saint-Dizier-De Almeida & Grossen, 1999).

La problématique selon laquelle l’interaction verbale constitue un moteur potentiel de la co-construction des concepts scientifiques se heurte à un constat fondamental, issu des recherches sur l’enseignement des sciences : les élèves, y compris au niveau de l'université, traitent rarement des notions fondant l'explication des phénomènes ou des procédures, même s'ils résolvent avec succès de nombreux problèmes ou réalisent des activités expérimentales. Par exemple, les recherches en didactique de la physique, menées dans le domaine des « conceptions » (Driver et al., 1985 ; Mc Dermott, 1984 ; Tiberghien, 1994 ; Viennot, 1993) ont montré que les élèves ne prennent pas en

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compte les principes explicatifs de base de la physique, comme la conservation des charges dans un circuit ou le phénomène vibratoire dans la propagation du son.

Ainsi, un problème essentiel des recherches sur l’apprentissage des sciences, abordé dans ce chapitre, est de comprendre les caractéristiques des situations qui favorisent la mobilisation et la co-élaboration des notions sous-jacentes au problème à résoudre, dans les interactions entre apprenants. Un tel projet nécessite une analyse fine des processus par lesquels les notions scientifiques se construisent dans et par l’interaction, comme préalable à l’identification des conditions de leur mise en œuvre. Les recherches menées sur l'apprentissage coopérant nous conduisent à orienter l’étude vers l’analyse des processus cognitifs et discursifs particuliers — comme la négociation du sens, la différenciation conceptuelle, l’étayage langagier et la reformulation — mis en œuvre dans des types ou genres d’interactions spécifiques, dont les interactions argumentatives entre élèves et les interactions entre professeur et élève(s).

Dans ce cadre, tout en privilégiant l’étude de la complexité de la construction cognitive de l’interaction dans des situations dites « écologiques », nous constatons qu’il est nécessaire d’élaborer de nouveaux outils de recherche qui permettent de modéliser la situation d’interaction et de recueillir des données sur les connaissances des apprenants antérieures et postérieures à celle-ci. À cette fin, nous décrivons de nouveaux dispositifs informatiques fondés sur l’interaction écrite au travers Internet (Baker, de Vries & Lund, 1999 ; de Vries, Lund & Baker, sous presse ; Quignard, 2000). Ces dispositifs permettent le recueil d’un corpus d’étude très complet et de structurer la communication au sein d’une séquence de tâches, dans l’objectif d’étudier les relations entre situations, processus interactifs et connaissances mises en jeu.

Les recherches présentées ici ont été élaborées en relation avec le projet de recherche « Etude de la Mise en Œuvre et de l'Elaboration des Notions Fondatrices dans les situations d'Enseignement »1

. Le projet prenait comme point de départ une hypothèse double : d’une part, les connaissances antérieures des élèves, même si elles s’écartent des savoirs savants et enseignés, constituent néanmoins des « systèmes » qui obéissent à leur cohérence propre ; d’autre part, certaines connaissances des élèves, que nous appelons notions fondatrices, peuvent constituer des bases (ou « socles ») à partir desquelles seront construites les explications des phénomènes, les notions scientifiques. Par exemple, « la vibration » est une notion fondatrice à partir de laquelle les élèves pourront construire un sens à tous les concepts physiques permettant d'interpréter les diverses situations mettant en jeu le son (fréquence, amplitude, longueur d'onde, vitesse, onde, etc.).

Nous discuterons tout d’abord des caractéristiques générales des situations propices à la production d’interactions sur le plan conceptuel, puis nous décrirons deux situations spécifiques, comportant de nouveaux dispositifs informatiques de recherche. Ces dernières constituent le cadre empirique des analyses présentées par la suite, de processus cognitivo-discursifs de co-élaboration

1

Ce projet a été financé par le Comité National de Coordination des Recherches sur l'Education (CNCRE) entre 1997 et 1999, sous la co-direction d'A.Tiberghien et de M.Baker, de l’UMR 5612 GRIC (Groupe de Recherches sur les Interactions Communicatives), CNRS & Université Lumière Lyon 2, en collaboration avec le GRC (Groupe de Recherches sur les Communications), Université de Nancy 2, et l’équipe EIAH (Environnements Informatiques d'Apprentissage Humain ), Laboratoire Leibniz, Institut IMAG, Grenoble.

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de notions scientifiques dans deux types d’interactions : les interactions argumentatives entre élèves et les interactions entre un professeur et des dyades d’élèves. En guise de conclusion, nous dégagerons quelques pistes de recherches ultérieures.

Caractéristiques des situations favorisant la mobilisation des notions

scientifiques dans les interactions

Partant de l'hypothèse selon laquelle certains types d'interactions communicatives impliquant des professeurs et des élèves seraient des sites privilégiés pour la co-élaboration de notions scientifiques, la caractérisation plus précise des situations favorisant cette co-élaboration doit prendre en compte non seulement des contraintes liées à la nature du problème à résoudre, mais aussi celles qui sont liées la production des interactions elles-mêmes. Comme l’a souligné Golder (1996) pour le cas spécifique du discours argumentatif, on ne peut pas argumenter sur n'importe quoi, n'importe comment, avec n'importe qui et dans n'importe quelle situation. Les caractéristiques de telles situations d’interaction peuvent être cernées selon un ensemble de quatre « espaces » : référentiel, intersubjectif, social et physique. À la suite des travaux de Ohlsson (1996), nous appellerons interactions épistémiques les interactions communicatives produites dans des situations de résolution coopérante de problèmes et mobilisant des notions sous-jacentes à ces tâches. Les interactions argumentatives et explicatives, portant sur les fondements (explications, justifications, arguments, …) des propositions, constituent des cas prototypiques dans ce genre.

Quatre espaces

L’espace référentiel

Il s’agit d’une part, de la nature intrinsèque du référent ou thème, et d’autre part, de la représentation que le locuteur s'en fait (ce dont il va parler). Ainsi, certains thèmes se prêtent plus à l’explication ou au débat que d’autres ; les thèmes axiologiques, renvoyant aux jugements personnels, ou les questions qui peuvent être abordées selon différents points de vue théoriques, faciliteront davantage la discussion que les thèmes factuels, ou les questions qui n’admettent qu’une seule réponse adéquate. Dans le cas qui nous préoccupe ici, l’espace référentiel comporte habituellement une séquence de problèmes à résoudre, qui doivent partir des problèmes qui s’appuient délibérément sur les connaissances antérieures des élèves — et notamment, certaines notions fondatrices — pour progresser vers les savoirs enseignés (voir la description ci-dessous de la tâche « chaînes énergétiques »). On postule, avec Brousseau (1998), qu’une notion ne sera apprise que dans la mesure où elle sera effectivement utilisable, c'est-à-dire seulement si elle est solution d'un problème. Enfin, les différentes représentations sémiotiques (Duval, 1995) impliquées dans la tâche de résolution de problèmes (problèmes exprimés et/ou à résoudre sous des formes langagières, symboliques, graphiques, picturales, …) peuvent freiner ou faciliter la « mise en mots » et, par voie de conséquence, l’apprentissage conceptuel. L’activité cognitive de « traduction » entre des différents types de représentations sémiotiques du problème, lorsqu’elle est réussie, peut être un facteur d’apprentissage en soi (Cox & Brna, 1995).

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L’espace intersubjectif

Il est constitué de l’ensemble des différences intersubjectives entre les représentations (subjectives) des apprenants individuels, au sein d’un groupe de travail, par rapport à l’espace référentiel. En effet, partant de points de vue théoriques piagétiens (Doise & Mugny, 1981) et vygotskiens (Rommetveit, 1979, 1985 ; Forman, 1992), de nombreux chercheurs ont démontré que l’existence, la mise en discussion et le dépassement dans le dialogue de réponses ou de points de vue conceptuels divergents peuvent être des facteurs de l’apprentissage coopérant. Dans une tâche spécifique, une différence intersubjective « optimale » est la plus bénéfique, car en cas d'une différence trop grande, un des apprenants dominera l’interaction et empêchera tout véritable dialogue, et si la différence est minime la confrontation constructive sera exclue. Mêmes les difficultés d’intercompréhension peuvent présenter un côté positif dans la mesure où le travail cognitif nécessaire pour se comprendre est susceptible d'amener à une compréhension mutuelle accrue par rapport à l’espace référentiel (Schwarz, 1995 ; Baker, Hansen, Joiner & Traum, 1999). Ainsi, l’élaboration des situations qui favorisent la co-élaboration de notions scientifiques nécessite une constitution soignée des groupes selon les différences intersubjectives, notamment dans le cadre d’interactions argumentatives (voir plus loin).

L’espace social

Il comporte d’une part la nature de la relation interpersonnelle (amicale, conflictuelle, irénique, etc., voir Kerbrat-Orecchioni, 1992) et d’autre part, les contraintes socio-institutionnelles qui pèsent sur cette première (Marc & Picard, 1998/1996), en relation avec les positions sociales (par ex. « professeur », « élève »). C'est ainsi que le cadre institutionnel conditionne l’espace des discours exprimables ou recevables : par exemple, un discours raciste n’est pas (heureusement) recevable dans un cadre scolaire. Il est également la source d’un « contrat didactique » (Chevallard, 1991) implicite, entre professeur et élèves, qui conditionne une grande partie de l’activité de ces derniers (par exemple, les élèves supposent que tout problème posé par le professeur a un sens, et peut être résolu — « quel est le plus lourd : un kilo de plumes ou un kilo de plomb ? »). Avec Perret-Clermont et ses collègues (Perret-Perret-Clermont, Perret & Bell, 1991, p. 50)2, nous considérons que les dimensions sociales et cognitives de l’interaction sont indissociables. Aussi la nature de la relation interpersonnelle est-elle un facteur à double tranchant par rapport au conflit cognitif. D’un côté, l’interaction sociale oblige les élèves à se préoccuper des divergences cognitives, et à les empêcher d’ignorer des faits qui invalideront leurs solutions ; d’un autre côté, l’approfondissement du désaccord constitue une menace pour la « face » des uns et des autres, et par voie de conséquence, pour la stabilité de leur relation interpersonnelle.

L’espace physique

Il renvoie à l’ensemble des objets et des artefacts disponibles pour la résolution de problèmes, et pour la communication, mais qui peuvent, a priori, influencer ces activités. Dans le premier cas, la

2

« … research paradigms built on supposedly clear distinctions between what is social and what is cognitive will have an inherent weakness, because the causality of social and cognitive processes is, at the very least, circular and is perhaps even more complex … » (Perret-Clermont, Perret & Bell, 1991, p. 50) … « Intelligence, [then] can be considered as intrinsically a sociability. » (op. cit. p. 55)

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possibilité ou non de pouvoir partager l’utilisation des ressources est un facteur qui détermine très largement la nature de l’activité collective. Par exemple, si les apprenants ne disposent que d’un seul ordinateur, cette contrainte produira très probablement une division des rôles transactionnels en relation avec la tâche : un des apprenants utilisant l’ordinateur pour réaliser la solution du problème, et son partenaire jouant le rôle de celui qui « produit les idées » et critique les réalisations de son partenaire. En général, les outils utilisés (par exemple, écriture ou lecture sur papier, ou bien sur ordinateur) influencent les activités cognitives et communicatives effectivement mises en œuvre.

Dans le cas des interactions médiatisées par ordinateur (voir plus loin), la nature du canal de communication constitue un facteur très important dans la mise en œuvre de l’activité collective (voir, par exemple, Clark & Brennan, 1991). Tout d’abord, la production d’énoncés par l’écriture sur clavier peut évidemment freiner l’expression « libre ». De plus, avec la plupart des interfaces, il est impossible d’effectuer en parallèle des actions sur les interfaces relatives à la tâche (par exemple, la réalisation d’un schéma graphique) et des actions communicatives, ce qui rend l’interaction peu économe. Enfin, l’absence de la co-perception directe exclut la communication non-verbale, et nécessite une recréation de la relation sociale à distance.

Néanmoins, les environnements informatiques conçus pour l’activité collective par Internet, dont il est question ici, offrent de nouvelles ressources qui peuvent pallier certaines difficultés de l’interaction. Par exemple, ces environnements fournissent habituellement un historique des messages échangés, communément visible sur l’écran partagé, et qui peut servir de support à la réflexion et à la référenciation aux énoncés précédents.

Synthèse : un ensemble d’équilibres délicats

L’élaboration des situations d’apprentissage coopérant, qui favorisent la production d’interactions épistémiques, requiert la prise en compte des facteurs relevant de la nature intrinsèque du domaine de référence, des différences intersubjectives en référence à ce domaine, de la situation relationnelle et socio-institutionnelle, et enfin, de la situation physique, notamment en ce qui concerne le canal de la communication. Cependant, un tel projet se heurte à la difficulté d’atteindre un délicat point d’équilibre entre des facteurs présentant parfois un caractère paradoxal.

Premièrement, les conditions nécessaires pour la production d'un discours argumentatif et les conditions nécessaires pour l'apprentissage conceptuel peuvent être en contradiction. Dans une situation conçue pour l'apprentissage conceptuel, l'objet d'apprentissage est évidemment à construire, dans la zone proximale de développement (VYGOTSKI) des élèves. Or, l'interaction argumentative présuppose des prises de position relativement stables, afin que les positions opposées puissent s'affronter discursivement. Aussi est-il peu probable que les apprenants puissent adopter de telles positions, ou attitudes, stables par rapport à des connaissances qui, par hypothèse, sont en cours d’élaboration (Nonnon, 1996). Face à ce « paradoxe épistémo-cognitif », l'apprentissage coopérant de notions fondamentales repose sur un équilibre délicat : proposer des tâches d'apprentissage conceptuel suffisamment “ proches ” des connaissances antérieures des apprenants afin qu'ils puissent en discuter, mais suffisamment éloignées afin qu'il y ait un enjeu d'apprentissage.

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Deuxièmement, les dimensions socio-relationnelles et cognitives de l’interaction, spécifiquement en relation avec le conflit verbal, peuvent interagir d’une manière complexe. Le dialogue ayant pour but la réalisation d’une tâche qui lui est externe, il est nécessaire d’approfondir les divergences de points de vue par rapport à cette tâche, afin que le dialogue puisse préserver son intérêt. Or, comme tout approfondissement d’un conflit verbal constitue une menace pour la relation sociale, peut naître la tentation d'éviter la poursuite de la discussion. Ainsi, l’interaction va osciller entre la menace pour la relation et la perte de son intérêt propre.

Enfin, les caractéristiques physiques du canal de la communication, dans le cas des interactions médiatisées par ordinateur, influencent la nature de l’activité discursive et cognitive mise en œuvre dans ce cadre. Nous constatons, avec Tiberghien et de Vries (1997), que l’interaction écrite et « au ralenti » au travers Internet, peut amener les élèves à une réflexion accrue sur leur propre activité, en comparaison avec les dialogues oraux, et les contraindre à « filtrer » leurs énoncés pour privilégier l’expression des activités cognitives de modélisation les plus complexes. Ainsi, le problème pour le concepteur de ce type de situation est d’imposer un degré de contrainte sur la production d’énoncés qui favorise l’activité cognitive, sans pour autant l’inhiber.

C’est dans la perspective de maîtriser la complexité inhérente à nos situations d’étude que nous avons élaboré des dispositifs de recherche fondés sur Internet, décrits dans la section suivante du chapitre.

Dispositifs de recherche et cadre empirique

Les environnements informatiques fondés sur l’interaction médiatisée par ordinateur constituent des dispositifs de recherche utiles et innovants à plusieurs égards. D’une part, ils permettent le recueil automatique d’un protocole d’étude très complet, intégrant les messages échangés avec les actions effectuées sur diverses interfaces, avec leurs temps de réalisation et les autocorrections. D’autre part, ils permettent une expérimentation portant sur les relations entre des caractéristiques des situations d’interaction, et les processus interactifs mis en œuvre, grâce à la possibilité de structurer la communication et la séquence d’activités des apprenants. Enfin, il va de soi que de tels environnements peuvent servir, à terme, de points de départ pour l’élaboration de nouveaux dispositifs d’enseignement à distance.

Nous présentons ci-dessous deux environnements de ce type — CONNECT et DAMOCLÈS — ainsi que les tâches de résolution de problèmes en sciences avec lesquelles ils ont été expérimentés, en insistant sur les caractéristiques des situations d’apprentissage qu’ils réalisent, selon les quatre « espaces » abordés dans la section précédente.

CONNECT : l’apprentissage du son

CONNECT3

(Baker, de Vries & Lund, 1999 ; de Vries, Lund & Baker, sous presse) est un environnement informatique qui permet la critique et la rédaction collective de textes, à distance à travers le réseau Internet. Il est conçu spécifiquement pour favoriser les interactions épistémiques

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(argumentatives et explicatives) par rapport à une tâche de résolution de problèmes, avec laquelle il forme un tout indissociable.

b. Que deviennent les molécules qui sont près du tambourin 1, les molécules qui sont entre les deux tambourins, et les molécules qui sont près du tambourin 2 (A, B, C dans le schéma) ?

c. Qu'est-ce qui change dans le comportement de la petite boule quand on frappe plus fort ?

d. Nous prenons deux autres tambourins avec un son plus grave, dont la peau est beaucoup moins tendue, qu'est-ce qui change dans le comportement de la peau du deuxième tambourin quand on frappe le premier ? Nous prenons deux tambourins identiques. Mettons délicatement une

petite boule suspendue au contact de la peau du tambourin 2. Si nous heurtons le tambourin 1 avec la baguette, il émet un son. Tout de suite, la petite boule au contact avec le tambourin 2 commence à sauter.

milieu de propagation (air) tambourin 2 tambourin 1 Tambourin 1 Tambourin 2 A B C

a. En utilisant tes connaissances et celles contenues dans le film, comment expliquer ce qui se passe dans l’air pour que la petite boule en contact avec le tambourin 2 se mette à sauter ?

Figure 1. Le problème des « deux tambourins »

Du point de vue de l’espace référentiel, le problème est choisi pour créer un espace de discussion étendu. Ainsi, nous avons expérimenté (avec 4 dyades) en classe de seconde de lycée, un problème de physique conçu pour l’apprentissage du son (voir Figure 1 ci-dessus)4, dont la résolution nécessite la mise en relation de plusieurs types de connaissances, et par rapport auxquelles les élèves ont typiquement des systèmes conceptuels variés, des modèles mentaux divers et opposés. Par exemple, certains élèves conçoivent le son comme une quasi-substance, un type de « vent », qui se déplace dans l’espace ; d’autres ont compris qu’il s’agit d’un mouvement de molécules, mais ils pensent que le son passe d’une molécule à sa voisine (Linder & Erickson, 1989). En réalité, ce qui est en jeu est de comprendre que le son est produit par la propagation d’une vibration. La propagation et la vibration étant deux types de mouvement, une difficulté essentielle serait de dissocier les notions de « vibrer » et de « bouger » (voir plus loin).

Dans la première phase de la séquence-tâche associée à CONNECT, chaque élève dans une classe écrit un texte court en réponse au problème des deux tambourins. Du point de vue du chercheur, cette phase a pour but l’élaboration d’un modèle mental initial du son de la part de chaque élève, en relation étroite avec la tâche, qui fournira la base d’une discussion ultérieure.

Par la suite, les dyades sont constituées à partir d’une analyse des textes, afin de mettre ensemble des élèves ayant des modèles mentaux du son différents, ce qui devrait créer un espace intersubjectif propice à la confrontation conceptuelle. Il est à noter, du point de vue de l’espace social, qu'étant tous issus tous de la même classe, les élèves se connaissent mutuellement, ce qui satisfait la dimension sociale de l'interaction. Les élèves sont connectés en dyade à travers le réseau, sur un premier écran de « discussion critique », reproduit ci-dessous (Figure 2).

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Figure 2. L’écran de « discussion critique » (CONNECT)

Afin de permettre aux élèves d’atteindre une meilleure connaissance et compréhension des différences intersubjectives, chacun est invité à exprimer ses attitudes — « OUI », « NON » ou « ? » — par rapport à chaque segment de son propre texte ainsi qu'à celui de son partenaire (grâce aux menus dans la partie inférieure, à gauche, de l’écran). Selon les différentes combinaisons d’attitudes, une consigne est produite automatiquement, sur le type de discussion à mener. Par exemple, dans le cas d’attitudes opposées (« OUI » et « NON ») par rapport à un segment de texte, les élèves sont invités à discuter, chacun défendant son point de vue, et critiquant celui de son partenaire, en vue d’atteindre un accord. Une fois la discussion terminée, les textes d’élèves sont reproduits sur un deuxième écran, conçu pour la rédaction collective de textes.

Du point de vue de l'espace physique, sur ces deux écrans nous fournissons des moyens de communication conçus pour minimiser la charge psychomotrice de la production d'écrits et de la gestion de l'interaction à distance. Ainsi, la partie supérieure des écrans comporte un ensemble de « boîtes de dialogue » pour chaque intervenant, dans lesquelles ils peuvent inscrire et envoyer des messages (qui s’ajoutent à l’historique de l’interaction, montrée sous les boîtes de dialogue). Pour faciliter l’interaction, des boutons sont disponibles pour sa gestion sur les plans de la mise en accord (Oui, Non, D’accord ?, Pas d’accord), la coordination (J’y vais, Vas-y toi), le maintien de l’interaction (Coucou !) et la tâche (On a fini ?). Une fois qu’un élève clique sur un bouton, la phrase correspondante est ajoutée à l’historique de l’interaction. Enfin, il est à noter que la structuration de la réalisation de la tâche en deux phases distinctes — discussion et critique, puis rédaction collective — est un facteur important dans l’espace physique, car elle permet (ou impose) une discussion hors l’activité de rédaction.

Une première étude avec quatre dyades d’élèves a produit des résultats encourageants du point de vue de l’interaction épistémique (argumentative et explicative), qui constituait 56 % de

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l’interaction (argumentation = 23 % ; explication = 33 %) dans la phase de discussion critique (voir Baker, de Vries & Lund, 1999, pour des détails de l’analyse). Ce corpus est analysé du point de vue de l’argumentation dans la section principale ci-dessous.

Enfin, malgré ces caractéristiques de situation favorisant les interactions épistémiques, on a pu constater que les apprenants ne reconnaissent pas toutes les contradictions entre leurs points de vue et, dans le cas où ils les reconnaîtraient effectivement, ce fait ne les amène pas nécessairement à s'engager dans une interaction argumentative. Aussi, l'interaction argumentative présuppose-t-elle une compréhension claire de l'enjeu de la discussion. Cette procédure de clarification implique un « étayage » dans le milieu d'apprentissage, sous la forme, par exemple, de conseils donnés par le professeur-médiateur (Weil-Barais & Dumas-Carré, 1998). Ainsi, à la suite de la séquence-tâche décrite ci-dessus, nous avons demandé à un professeur d’analyser l’interaction entre les élèves, enfin de mener avec eux « en trilogue » une séance de correction de leur travail5

. Ce deuxième corpus est analysé plus loin dans ce chapitre du point de vue des actes de reformulation dans leur fonction d’étayage.

DAMOCLÈS : l’apprentissage de l’énergie

DAMOCLÈS6

est un dispositif conçu afin de modéliser l’impact cognitif du dialogue argumentatif sur les connaissances des participants, élèves de lycée, âgés de 16 à 18 ans, en classe de seconde (Quignard, 2000). Ainsi, le dispositif permet de recueillir des données très précises sur les connaissances initiales et finales des participants par rapport à la tâche ou le problème à résoudre (ici, un exercice sur les chaînes énergétiques). De plus, ce dispositif présente la particularité de constituer les dyades en fonction des connaissances initiales des participants, en vue de mettre en place pour chaque dyade une situation de dialogue propice à l’émergence de l’argumentation.

La tâche des chaînes énergétiques (voir Tiberghien, 1994) propose aux élèves de modéliser les phénomènes énergétiques se produisant dans un système (en l’occurrence un circuit électrique composé d’une pile et d’une ampoule reliées par deux fils conducteurs) au moyen de réservoirs, transformateurs et transferts d’énergie (voir Figure 3 ci-dessous).

Pile (réservoir) Environnement (réservoir) Ampoule (Transformateur) Travail électrique Rayonnement Chaleur

Figure 3 : La solution du problème des chaînes énergétiques

Bien que cette tâche mette en scène une situation très simple et fréquemment traitée en sciences physiques, les élèves éprouvent de réelles difficultés à parvenir à la bonne solution, sachant qu’il leur faut d’une part renoncer à leurs raisonnements habituels d’électrocinétique (à la différence du courant, l’énergie ne peut revenir à la pile) et mettre en jeu un objet invisible : l’environnement

5

Voir la boîte de dialogue au milieu de la partie supérieure de l’écran montré dans la Figure 2.

6

DAMOCLÈS est un acronyme pour « Dialogues Argumentatifs Médiatisés par Ordinateur pour la Compréhension de L’Energie en Sciences ».

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comme réservoir final de l’énergie rayonnée de l’ampoule. Pour les aider, deux règles leur sont données : pour qu’une chaîne énergétique soit complète, elle doit commencer et finir sur des réservoirs et ces réservoirs doivent être différents.

L’expérience se déroule en quatre temps qui se succèdent dans une demi-journée. Huit élèves issus d’une même classe de seconde (cf. espace social) travaillent individuellement à la résolution du problème. Cette phase se déroule sur une interface dédiée, qui leur permet de construire graphiquement la solution et de visualiser en temps réel une description sommaire des éléments construits. Cela les aide à se forger une double représentation de leur solution, l’une graphique, adaptée à la résolution du problème, l’autre langagière, qui les prépare à l’activité argumentative durant laquelle ils auront nécessairement à la verbaliser (espace physique de la discussion). Les élèves sont ensuite conduits à réfléchir sur la solution produite, dans une seconde interface qui présente les éléments de leur solution et les invite à choisir une attitude critique dans un menu déroulant et à formuler une explication sous la forme d’un texte libre. L’intérêt de cette phase est multiple :

 aider les élèves à stabiliser les solutions individuelles par l’activité critique (espace référentiel) : ils peuvent

librement revenir sur la construction graphique s’ils souhaitent la consulter ou la modifier ;  aider les élèves à préparer des arguments en faveur des divers composants de leur chaîne ;

 aider les élèves à se forger une représentation langagière cohérente avec leur représentation (travail sur l’espace

physique de la discussion) ;

 recueillir des informations précises sur le statut épistémique des élèves à l’égard de leur solution, afin de repérer et

évaluer la diversité des situations de conflits que l’on pourra mettre en place entre les participants (espace intersubjectif).

La seconde phase consiste à rassembler les informations précédemment recueillies sur chacun des postes de travail et à construire les situations de dialogue. Cette phase est entièrement automatisée afin de pouvoir démarrer les discussions à chaud, après une phase de traitement voulue la plus brève possible. Les informations individuelles sont ainsi rapprochées et comparées : on mesure les différences entre les conceptions sous-jacentes (par exemple modèle énergétique vs. modèle électrocinétique), entre les règles appliquées et celles qui ne le sont pas, et la différence de notes attribuées par le professeur. On évalue ainsi pour chaque couple de solution, le potentiel argumentatif résultant de ces différences (Quignard & Baker, 1999 ; Quignard, 2000). On applique ensuite un algorithme de couplage optimisé afin de sélectionner les meilleurs appariements possibles (ceux qui attribuent à chaque participant le meilleur partenaire sans défavoriser les autres). Les dyades étant ainsi choisies, on construit la situation de dialogue de façon à focaliser l’attention des participants sur la résolution du conflit qui les oppose. Les solutions sont brièvement résumées sous la forme de deux paragraphes stigmatisant les points de convergence et de divergence. On prépare ainsi l’espace intersubjectif de l’argumentation.

La troisième phase est celle de la discussion. Elle se fait en ligne sur une interface partagée, structurée comme l’interface de CONNECT (figure 4). La partie supérieure présente le conflit et la consigne : « Discutez ensemble, en défendant chacun votre point de vue, afin de trouver une

solution commune à l’exercice ». La partie inférieure comporte deux espaces personnels pour

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Figure 4 : Interface de dialogue de DAMOCLÈS

La dernière phase fait miroir à la première : les élèves reconstruisent individuellement la solution commune et la critiquent par le biais d’expression d’attitudes et d’explications. Nous pouvons ainsi mesurer le degré de compréhension ou d’accord sur la solution commune en observant les différentes reconstructions et les attitudes fournies. Nous mesurons également l’évolution cognitive des participants entre le début et la fin de cette activité et qui est imputable à l’activité dialogique.

DAMOCLÈS a été testé avec quatre dyades de seconde. Leurs discussions ont duré environ une heure (64 minutes pour 35 à 60 tours de parole). L’émergence de l’argumentation fut très rapide dans trois cas sur quatre : trois minutes en moyenne, ce qui représente le temps d’un échange. La dyade qui a fait exception prit 30 minutes pour comparer les solutions et se trouver un conflit présentant plus d’enjeu argumentatif que celui choisi par le système, ce qui confirme l’importance de l’espace intersubjectif dans les situations argumentatives. Dans les trois dyades qui ont bien fonctionné, la phase d’argumentation représente près de 48 minutes ; la phase de clôture demeure assez longue (10 minutes environ) du fait qu’elles sont tributaires d’un tiers pour rompre le contact communicationnel (contrainte de l’espace physique). Du point de vue de la résolution de problème, la qualité moyenne des solutions individuelles a progressé sensiblement sous l’effet de la discussion (de 6/20 à 10/20). Mais pour évaluer un éventuel progrès dans leur compréhension des notions en jeu, il faut regarder la qualité de leurs dialogues. Nous présenterons quelques éléments de réponse à ce sujet dans la partie suivante, grâce à la mise en œuvre d’une analyse pragmatique des interactions entre les élèves.

Synthèse

Nous avons présenté deux environnements informatiques qui constituent des dispositifs pour les recherches portant d’une part sur les caractéristiques des situations qui favorisent les interactions

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épistémiques en relation avec des notions scientifiques, et d’autre part, sur les processus interactifs mis en œuvre dans ces interactions.

Une première remarque s’impose quant à la complexité de ces environnements informatiques, avec les séquences de tâches qui y sont associées. La complexité des interactions épistémiques tient à la fois de la richesse des connaissances en jeu et des processus interactionnels qui s’y produisent. Un environnement informatique souhaitant favoriser de telles interactions doit donc être riche et complexe, tant dans les types de représentations sémiotiques qu’il propose que dans la variété des tâches, discursives ou non, coopératives ou non, ou bien dans la variété des points de vue des partenaires. Une organisation méticuleuse de la séquence complète des activités est exigée, pour que les interactions épistémiques puissent y trouver une place spécifique.

L’analyse des corpus a montré (s’il en était besoin) combien les aspects sociaux et cognitifs de l’argumentation sont inextricablement liés. En absence de co-perception, la technologie permet d’être ensemble tout en étant séparés, de réfléchir tout en interagissant : concevoir des activités de collaboration cognitive, c’est nécessairement concevoir une interaction sociale.

Dans les deux sections suivantes du chapitre, nous présentons quelques éléments d’analyse des corpus recueillis avec CONNECT et avec DAMOCLÈS, des points de vue de l’argumentation dialoguée entre élèves, et des actes de reformulation et d’étayage des professeurs.

Les interactions argumentatives et la co-élaboration des notions scientifiques

Les recherches actuelles sur l’apprentissage coopérant (produits grâce à l’activité collective en petit groupes, par ex. Pléty, 1996) tentent d’identifier d’une part quelles formes d’interactions communicatives produisent quels types d’apprentissage, et d’autre part, les caractéristiques des situations et des tâches qui favorisent la mise en œuvre de ces interactions. Du point de vue des recherches sur les interactions, il s’agit d’analyser les différents processus discursifs, portant sur le domaine de référence, en relation avec des types ou genres d’interactions particuliers. Pour des raisons que nous précisons ci-dessous, nos travaux nous conduisent à privilégier l’étude des interactions argumentatives, produites en situations d’apprentissage coopérant potentiel.

L’argumentation dialoguée et l’apprentissage coopérant

Dans la continuation des travaux princeps de W. DOISE et de ses collègues (par ex. Doise & Mugny, 1981) sur le conflit socio-cognitif, de nombreuses recherches s’accordent pour identifier l’interaction argumentative, déclenchée par la prise de conscience du conflit verbal, comme une source potentielle d’apprentissage. Les travaux actuels s’orientent vers la recherche de mécanismes à la fois cognitifs et interactionnels, susceptibles d'expliquer comment on apprend en s’engageant dans l’interaction argumentative.

Nos travaux antérieurs (Baker, 1996, 1999), sur l’interaction argumentative en situation de résolution coopérante de problèmes, nous conduisent à privilégier trois mécanismes cognitifs-interactifs dans ce cadre.

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Premièrement, l’interaction argumentative ne saurait se réduire à un échange conflictuel de propos contradictoires et figés : elle impose une « pression » socio-interactionnelle particulièrement aiguë, qui oblige les apprenants en interaction à négocier le sens des « thèses » débattues, et plus généralement, à différencier les notions (Perelman & Olbrechts-Tyteca, 1958/1988) les unes des autres dans l’univers de référence. En effet, ces mécanismes, analysés dans des dialogues réels, trouvent leurs corrélats dans les recherches sur l’argumentation menées en philosophie du langage : les débats amènent souvent les participants à préciser (Naess, 1966) et à généraliser l’enjeu du conflit verbal (Walton, 1992), ce qui, dans le cas présent, peut correspondre au sens à attribuer à une notion scientifique.

Deuxièmement, vue comme une activité coopérante, l’interaction argumentative peut être le lieu de la co-élaboration des connaissances, soit en cours du dialogue, quand elle bascule vers la résolution de problèmes, ou bien à son issue, en vue d’élaborer des solutions de « compromis ». Si ces processus peuvent être constructifs sur le plan des connaissances, rien ne garantit la qualité des solutions produites sur le plan normatif. Il restera à déterminer par des méthodes ultérieures dans quelle mesure les connaissances élaborées seront intériorisées par les élèves, au-delà de l’interaction elle-même.

Enfin, la mise en œuvre de l’argumentation dans l’interaction ne se réduit pas à une simple explicitation des connaissances déjà élaborées lors de la résolution de problèmes ; au contraire, elle suscite une nouvelle recherche d’informations dans la situation qui peuvent servir à l’étayage des thèses. Ce processus peut amener les élèves à prendre en compte un champ de validation plus étendu de leurs propositions. Ces processus discursifs se situent dans le cadre plus général de deux « opérations de la pensée critique » fondamentales (Quignard, 2000), mises en œuvre lors de l’interaction argumentative : la production d’arguments et l’évaluation des propositions.

Dans les deux prochaines parties de cette section du chapitre, nous illustrerons la mise en œuvre de ces opérations discursives dans des séquences argumentatives extraites des corpus CONNECT et DAMOCLÈS, en relation avec les processus de co-élaboration des notions scientifiques.

Éléments d’analyse d’une séquence du corpus CONNECT sur le son

La séquence d’interaction médiatisée par ordinateur, reproduite dans le Tableau 1 ci-dessous, a été tirée du corpus CONNECT, dont les conditions de recueil ont été décrites précédemment. Cette séquence porte sur les deux phrases des élèves A et B (Alexandre et Jean, les noms ont été changés), reproduites dans le Tableau 2 avec les attitudes exprimées.

Tableau 1 : Séquence d’interaction médiatisée par ordinateur (corpus CONNECT)*

T (m:s) Loc Dialogue / actions sur l’interface

43 16:19 Alexandre Si la peau bouge plus pourqoi est ce que la boule bouge moins?

44 19:15 Jean la peau bouge plus car elle est moins tendue mais la pression qu'exerce l'air est la meme .Cette peau "epouse" donc la forme de la boule.

45 21:24 Alexandre Pas d'accord.A mon avis la peau de T2 bouge moins (voir ma 7).

46 27:20 Jean difficile de savoir lorsque l'on regarde la peau ,on la voit plus bouger que celle qui a la peau plus tendue lorsque tu tappes sur quelque chose de dur ,qui est stable dans l'espace,il ne bougera pas tandis qu'un chiffon non tendu ,par exemple,oui.

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47 33:14 Alexandre Autre explication:prends une corde non tendue.Si tu la touches elle va bouger beacoup mais elle vibrera peu.Par contre,une corde tendue,genre guitare,elle bougera peu mais vibrera beaucoup.

48 36:37 Jean je suis d'accord avec ta 7 mais je pensais a un moment que tu ne l'etait pas avec la mienne.Pour moi les deux phrases sont justes,elles n'expliquent simplement pas la meme chose(vibrations et mouvements)

49 39:23 Alexandre NON.Si une peau moins tendue vibre moins elle bouge plus , alors la boule doit bouger plus aussi.

50 40:34 Alexandre pardon,tu as compris?

51 43:29 Jean Hypothese: avec la même force d'air exercée sur T2: une peau tendue vibrera plus qu'une peau moins tendue mais bougera moins que cette derniere

52 43:44 Alexandre Oui

53 43:47 Alexandre Oui

54 47:55 Jean pour la boule ,je pense qu'elle bougera moins avec la peau non tendue car celle ci vibrera moins donc elle "transmettra "beaucoup moins de vibrations.

55 48 :28 Jean D'accord ?

56 49 :45 Alexandre Peut etre

* [L’extrait est reproduit tel qu’il a été tapé sur l’écran par les apprenants A et B, avec leurs propres fautes de frappe ou

d’orthographe].

Tableau 2 : Les phrases discutées par les élèves et les attitudes exprimées

Phrases discutées Attitudes d’Alexandre Attitudes de Jean

Alexandre (7) : La peau moins tendue du tambourin 2 absorbe plus

les vibrations, et donc vibre moins elle- même

OUI NON

Jean (7) : La peau moins tendue, il est plus facile pour les molécules

de la faire bouger mais la boule bouge moins

? OUI

L’analyse de cette séquence d’interaction argumentative s’efforce de décrire les processus de co-élaboration des connaissances en relation avec les notions fondatrices.

Tout d’abord, décrivons la trame dialectique de la séquence, car elle fournira le cadre dans lequel les négociations du sens opèrent. Pour cela, nous nous fondons sur une extension de la théorie pragma-dialectique de l’argumentation — elle englobe la logique dialogique7 de Barth & Krabbe (1982) et les recherches sur les actes de langage dans les débats, de van Eemeren & Grootendorst (1984) — comme cadre général, et comme langage de description.

L’interaction argumentative, conçue comme un « jeu de dialogue » normé, s’amorce grâce à la mise en place de rôles dialectiques — proposant, opposant — en relation avec une situation de conflit verbal. Cette dernière comporte une diversité d’attitudes exprimées par rapport à une ou plusieurs propositions, qui deviennent des thèses à défendre (selon le rôle de proposant) ou à attaquer (selon le rôle d’opposant). Typiquement, il s’agit soit d’un « conflit simple » dans le cas où une seule thèse serait exprimée, et les deux interlocuteurs adoptent les deux rôles dialectiques opposés par rapport à celle-ci, soit d’un « conflit mixte », dans le cas où chaque interlocuteur exprimerait sa propre thèse, la conçoit comme étant incompatible avec celle de son partenaire, et chacun adopte le rôle de proposant de sa thèse, et opposant par rapport à celle de son partenaire.

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Néanmoins, les notions d’interlocuteur et de rôle dialectique doivent être distinguées, car dans certains types d’interaction argumentative à caractère coopératif, chaque interlocuteur peut jouer les deux rôles par rapport à une thèse donnée, en vue d’examiner son degré d’acceptabilité (Walton, 1989). En fonction des rôles dialectiques, les interlocuteurs produisent des interventions dialectiques (attaques et défenses), en se servant d’un ensemble d’actes de langage déterminé. Les arguments se fondent sur un ensemble de propositions communément admises qui évolue lors du dialogue. Le jeu dialectique est régi par un ensemble de règles, souvent implicites dans des dialogues réels, qui fonctionnent pour faire converger le débat vers une issue déterminée et explicite (par exemple, interdiction de “ tourner en rond ”, de ne pas admettre sa défaite).

La séquence reproduite dans le tableau 1 porte sur les relations entre le comportement de la peau du deuxième tambourin et de celui de la boule qui la touche (voir la figure1). On y discute essentiellement les notions de « vibration » (V), de « bouger » (B), avec sa version plus scientifique de « mouvement » (M) et de « tension » (T), dans les modalités « plus » (+) ou « moins » (-) (par exemple « V+(peau) » représente « la peau vibre plus »). En simplifiant de cette manière, l’analyse est présentée dans le tableau 3 ci-dessous. Le symbole « è » représente « si, alors », qui correspond souvent à une proposition d’une relation causale, et le symbole « ⊕ », l’acceptation d’une proposition.

Tableau 3 : Analyse dialectique de la séquence Ligne Interlocuteur A

(Alexandre)

Interlocuteur B (Jean) Commentaires, caractère dialectique de l’intervention

[a] [b]

T-(peau) è B+(peau) B+(peau) maisè B-(boule)

La phrase n° 7 du texte de B ; nous la divisons en deux parties, [a] et [b], car elles sont critiquées successivement dans le dialogue

43 [b] ? Demande de justification de [b]

44a 44b

B+(peau) car T-(peau) la peau « épouse » la boule

Défense de [a] Défense de [b] 45a 45b B-(peau) T-(peau) è V-(peau)

Attaque sur [a]

Défense de « B-(peau », à partir de la phrase n° 7 du texte de A.

46a 46b

T+(x) è B-(x) T-(x) è B+(x)

Défense de [a] par généralisation et par analogie (x = peau, chiffon, quelque chose de dur)

47a 47b

T-(c) è B+(c) & V-(c) T+(c) è B-(c) & V+(c)

Proposition de compromis, par combinaison de la proposition [a] de B et de 45b de A (raisonnement analogique : c = corde) 48a 48b ⊕ 45b M ≠ V Concession de 45b

Proposition sur l’issu du dialogue, par dissociation ; transition de la langue courant (« bouger ») à la langue scientifique (« mouvement »)

49 [T-(peau) & V-(peau)è B+(peau)] è B+(boule) Attaque sur [b] 51 ⊕ [T+(peau) è V+(peau) & B-(peau)] Répétition (concession) de 47b 52,53 ⊕ 51 Acceptation de 51

54 V-(peau) & T-(peau) è

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Toute la séquence porte sur la thèse complexe de l’interlocuteur B, exprimée dans sa phrase numéro 7 (voir le tableau 2), selon laquelle avec une faible tension de la peau du deuxième tambourin, sa peau « bouge beaucoup », mais la boule suspendue sur celle-ci « bouge moins ». Il s’agit d’un conflit simple dans la mesure où l’interlocuteur « A » attaque successivement les deux parties de la thèse de B : dans la première sous-séquence, c’est la relation entre la tension de la peau et son comportement qui est critiquée (lignes 44 à 48), et dans la deuxième sous-séquence (lignes 49 à 54), la relation entre les comportements de la peau et de la boule.

L’analyse est certes réductrice ; elle se limite aux relations logico-causales entre des propositions, les expressions référentielles et les fonctions dialectiques, au détriment d’une analyse linguistique fine. Elle permet néanmoins de mettre en évidence les “ jeux ” sur les notions et les registres langagiers, au sein d’une trame dialectique.

Premièrement, la thèse de B, ainsi que l’ensemble des raisonnements des deux élèves, sont sous-tendues par une notion fondatrice si répandue chez les élèves en classe de physique, quelle que soit la situation expérimentale, qu’elle mérite le titre de « méta-notion fondatrice ». Il s’agit de « la causalité linéaire simple » (Tiberghien, 1996 ; Viennot, 1993), selon laquelle « à un effet (patient) correspond une cause unique (agent) ». Dans le cas présent, nous avons deux chaînes causales successives : de l’air ou ses molécules à la peau, et de la peau à la boule.

Deuxièmement, les relations entre des connaissances provenant de la vie quotidienne sont ici prépondérantes, d’une part sur le plan des raisonnements analogiques (les cordes d’une guitare, les chiffons, …) et des modèles mentaux (« la peau épouse la boule »), et d’autre part, sur le plan des registres langagiers. Sur ce dernier point, il est significatif que la thèse de B est exprimée avec un verbe provenant de la langue courante — « bouger » — et que la transition chez B vers le terme plus « mouvement » ne se fait qu’à la fin de la première séquence d’argumentation (ligne 48), où il propose de différencier les notions de “ mouvement ” et de « vibration ».

Troisièmement, et en relation avec le point précédent, il en ressort que l’enjeu de la première sous-séquence est de négocier le sens de ce que B entend par « bouger », et de différencier cette notion de celle de vibration. Ce processus s’effectue en comparant les grandeurs (plus, moins), en relation avec la tension de la peau. Une fois le conflit d’opinion explicité, en effet, l’élève A propose d’identifier « bouger » et « vibrer » (ligne 45), afin de critiquer la thèse de B selon laquelle, avec une tension basse de la peau, elle bougera plus : (selon A) la peau bougera moins car elle

vibrera moins. Il semble, du point de vue de notre analyse, que ce que B entend par “ bouger ”

correspond à l’amplitude de déplacement de la peau. Face à la défense de B (les valeurs de la tension de la peau et sa façon de bouger sont opposées), c’est l’élève A qui accède à la différenciation de « bouger » et « vibrer » en proposant (ligne 47) que leurs valeurs sont opposées, quelle que soit la tension de la peau : si elle bouge plus, elle vibre moins, et si elle bouge moins elle vibre plus. Cette différenciation semble être mutuellement acceptée ; c’est sur le comportement de la boule que le débat se déplace, sans possibilité d’accord.

Enfin, comme nous l’avons déjà indiqué ci-dessus, dans ce cas, les élèves s’approchent de la question clé, du sens de la notion de vibration, fondatrice de la compréhension du son en physique,

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sans pour autant pouvoir l’expliciter, ni la transférer de la peau (objet tangible) aux entités non perceptibles que constituent les molécules de l’air. L’interaction entre les élèves comporte donc ses limites en tant que moteur de l’apprentissage conceptuel, en l’absence d’un étayage supplémentaire dans le milieu d’apprentissage et de l’aide d’un professeur (voir plus loin dans ce chapitre).

Analyse d’une séquence du corpus DAMOCLÈS sur l’énergie

Dans quelle mesure peut-on attendre que des confrontations de points de vue contribuent à l'abandon de modèles explicatifs erronés ? C'est en particulier ce que l'analyse qui suit vise à montrer. L’analyse que nous entreprenons se positionne dans une conception pragmatique et collaborative du langage pour laquelle le dialogue a pour fonction de coordonner les cognitions des participants dans la résolution d’un problème commun : un problème « pratique » à résoudre extrinsèque au dialogue (Vernant, 1997), un questionnement (Meyer, 1982) ou une question ou dilemme (Plantin, 1990). L’analyse des interventions consiste alors à déterminer de quelle manière l’intervention d’un participant contribue à la résolution des problèmes rencontrés dans le dialogue. Cette analyse repose sur les critères suivants :

L’univers de référence du problème : le dialogue étant une succession d’actions de résolution de problème, chaque

intervention vise un acte de résolution locale d’un problème rencontré dans le dialogue. On distinguera les problèmes liés au but du dialogue (en l’occurrence la résolution de l’exercice) et ceux relevant de la gestion de l’interaction (ouverture, clôture, compréhension mutuelle, tours de parole, etc.).

L’opération de pensée critique, c’est-à-dire l’action cognitive attendue par le locuteur pour la résolution du

problème soulevé. On distingue les évaluations (EVAL) qui ont pour fonction d’apporter un jugement sur un point ou un élément de solution et les explicitations (EXPLI) qui constituent des apports conceptuels au problème. Il peut s’agir par exemple d’explication, de reformulation ou d’inférences.

L’orientation interlocutoire de la contribution : en désignant une personne pour effectuer l’action cognitive

attendue sur le problème visé, le locuteur positionne sa contribution dans l’espace interlocutoire de la résolution de problème. Le locuteur peut s’autodésigner pour le faire (il s’agira alors d’une contribution directe) ou bien désigner un interlocuteur (il s’agira alors d’une requête, REQ).

Dans le cadre d’une phase argumentative, le questionnement est rapporté simultanément sur les thèses contradictoires en débat lors d’un conflit mixte. Il est donc nécessaire pour l’analyse argumentative de préciser quelle thèse est visée par le locuteur (« ma thèse (MT) », la thèse du locuteur ; ou bien « ta thèse (TT) », celle de l’interlocuteur). Il est également indispensable de noter l’orientation argumentative (ou valence) de la contribution, à savoir si elle se positionne en faveur (PRO) ou en défaveur (CONTRA) de la thèse visée. Par ailleurs, l’évaluation prend la valeur argumentative d’une prise de position dialectique (PPD) tandis que les explicitations ont fonction d’argument (ARG). Ainsi, nous trouvons entre autres les fonctions argumentatives suivantes8

:

 ARG-PRO-MT désigne une fonction d’argumentation en faveur de sa propre thèse,

 REQ-ARG-PRO-TT désigne une demande de justification à l’attention de l’interlocuteur par rapport à la thèse qu’il

défend,

 PPD-CONTRA-MT constitue une rétraction de la thèse jusqu’ici défendue par le locuteur,

 REQ-PPD-MT constitue une demande de prise de position adressée à l’interlocuteur vis-à-vis de la thèse du

locuteur.

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L’intérêt de cette classification est de recouvrir les catégories classiques d’analyse dialectique de l’argumentation (cf. Barth & Krabbe, 1982) et de proposer des catégories nouvelles capables de rendre compte de fonctions argumentatives de clarification que l’on trouve dans les corpus et qui ne sont prises en compte dans les modèles formels. Citons par exemple ARG-CONTRA-MT, qui justifie une rétraction, ou bien REQ-SI-PPD-PRO-MT et REQ-ARG-PRO-MT qui demandent respectivement de confirmer une acceptation de la thèse adverse et de la justifier...

Nous allons mettre à profit cette méthode d'analyse dans l'étude d'un dialogue entre deux élèves (Anna et Daisy) recueilli avec le dispositif DAMOCLÈS que nous avons présenté plus haut. Grâce à ce dispositif, nous avons à notre disposition des données très précises concernant les solutions initiales de ces deux élèves avant que ne commence le dialogue. Nous présentons ci-dessous les chaînes construites ainsi que les explications fournies par les élèves au sujet de leur chaîne (Tableau 4).

Tableau 4 : les solutions des élèves juste avant la discussion

ANNA DAISY

Explications données pour le(s) transfert(s)

"le fil conduit l'électricité" "sans celui-ci, la lampe ne s'éclairerait pas, il suit le sens du courant"

Explications données pour l'ensemble "la pile est chargée d'énergie, cette énergie est

transférée jusqu'à la lampe par le biais d'un fil électrique"

"avec la pile, la lampe et les deux fils, la lampe s'éclaire donc le courant passe"

Daisy propose la solution du modèle électrocinétique (deux flèches opposées entre la pile et la lampe, dénommées « fil positif » et « fil négatif »). Ses explications avant le dialogue reposent sur le fait que le courant permet à lampe de briller. La présence des deux transferts est justifiée par le fait que les deux fils sont nécessaires pour que le courant passe. En revanche, Anna propose une solution ne comportant qu’un seul transfert dénommé « fil ». Le fil effectue le transfert de l’énergie de la pile à l’ampoule qui la transforme en lumière. Le conflit entre Anna et Daisy repose donc a priori sur deux oppositions majeures, ce qui justifie le choix de leur appariement :

sur le plan conceptuel, Daisy raisonne en termes de courant électrique tandis qu’Anna se situe davantage dans une

vision de transfert d'énergie (transfert unique) ;

sur le plan normatif, les deux solutions sont critiquables par des règles différentes fournies dans l'énoncé du

problème : la solution d'Anna n'a pas de réservoir final ; la solution de Daisy comporte bien un réservoir final mais qui est le même que le réservoir initial.

La trace de l’interaction qui a suivi est reproduite dans le tableau 5 ci-après avec dans la dernière colonne l’analyse de l'activité argumentative des deux élèves. Le dialogue comprend une importante

(20)

phase de résolution de problème suivie d’une phase de clôture assez longue qui n’est pas rapportée ici.

Le dialogue commence immédiatement (D2,A3) par une phase d’argumentation dialectique mixte, où chaque participante maintient sa thèse (PPD-PRO-MT) contre celle de son adversaire (PPD-CONTRA-TT). L’argumentation d’Anna en A5 conduit Daisy à rétracter sa thèse (il est “ vrai ” qu’il ne faut qu’un transfert) même si elle maintient sa critique à l’égard de la solution d’Anna (il serait “ logique ” qu’il y ait les deux fils). Dans le reste du dialogue, Daisy compte sur Anna pour dissiper ses doutes (D8) et la convaincre de sa solution (D20).

Un épisode important se déroule entre les interventions D10 et A17, où, perturbée par la

reformulation (cf. l’analyse des interventions du professeur, plus loin) de sa thèse par Daisy (D10),

Anna se rétracte (A13) et Daisy incite sa partenaire à reprendre son rôle de proposante (D14 et D16). La reformulation dissimule en fait une nouvelle solution (qui s’avère être la bonne) construite comme un compromis entre la solution d’Anna (un seul transfert) et la solution de Daisy (qui prend en compte les deux fils). Lorsqu’en A17 Anna semble convaincue de cette solution, elle revient sur sa solution initiale dans laquelle le transfert ne représente que le fil positif. Daisy met à plat les deux thèses et suit le choix final d’Anna : le transfert se fait par le fil positif seulement.

Tableau 5 : Séquence d'interaction médiatisée (corpus DAMOCLÈS) et analyse*

N Mn:ss Loc Intervention Analyse

A1 0:05 Anna Coucou !

D2 1:45 Daisy Qu'en penses-tu?De cette thèse REQ-PPD-MT

A3 2:56 Anna Je pense qu'il y a un seul transfert ,le fil PPD-CONTRA-TT

PPD-PRO-MT D4 4:16 Daisy Moi,je pense,qu'il y en a 2,les fils,le fil positif et le fil négatif PPD-PRO-MT A5 6:25 Anna Le transfert c'est entre le réservoir et le transformateur donc c'est

seulement le fil positif

ARG-PRO-MT ARG-CONTRA-TT D6 7:37 Daisy Attend, je réffléchie

A7 9:17 Anna J'ATEND AUFAIT J'AI OUBLIER DE T'ACCOMPAGNER AUX

D8 14:03 Daisy TOILETTE... Bon, après réflexion,en relisant, il est vrai qu'il faud entre un réservoir et un tranformateur, un transfert.Moi, je ne trouve pas ça logique car nous avons 2 fils.Peux-tu m'expliquer pourquoi j'ai se sentiment?

ARG-PRO-TT ARG-CONTRA-TT

A9 18:19 Anna Je suis de plus en plus dans le doute.Mais je pense que quand ils disent dans la feuille que un transfert se fait sous forme de déplacement électrique c'est juste je sais pas

ARG-PRO-MT

D10 21:52 Daisy Donc,pour toi,le courant électrique,comme ils le disent, je dire qu'il se fait avec deux fils mais sous une forme appelée, TRANSFERT...

REQ-SI-PPD-PRO-TT

A11 22:09 Anna Oui PPD-PRO-MT

D12 22:28 Daisy D'accord ? REQ-SI-PPD-PRO-TT

A13 24:33 Anna je pense que je me suis trompée.C'EST TOUT CE QU'ON AVAIT

PAS EN COMMUN DONC ON A FINI

PPD-CONTRA-MT D14 26:48 Daisy NON...Car mon explication, voulait dire que je comprenais ton

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N Mn:ss Loc Intervention Analyse

A15 29:14 Anna Bon azlors c'est les deux fils qui sont appelés TRANSFERT.Donc dans ce circuit il y a un fil?

PPD-PRO-MT D16 30:49 Daisy Tu n'as pas l'ar vraiment sure de toi, et tu ne m'a pas cmoplètement

rassurée.

REQ-SI-PPD-PRO-TT PPD-CONTRA-TT A17 37:08 Anna Bah si dans ce circuit il y a un seul transfert .Les deux fils sont ces

composants. ou je vien de penser à un truc:si le transfert c'était juste le fil positif car dans la feuille ils disent que un transfert c'est du réservoir au tranformateur donc de la pile à la lampe

PPD-PRO-MT ARG-PRO-MT PPD-PRO-MT’ D18 39:54 Daisy Oui, donc,tu en déduis...Réponse A, il ya 2 transferts, réponse B,ily

en a 1?

REQ-SI-PPD-PRO-TT REQ-SI-PPD-PRO-TT’

A19 40:39 Anna Il y en a un:le fil POSITIF PPD-PRO-MT’

D20 42:56 Daisy TU M'A CONVAINCU, il n'y en a qu' un, mille excuse pour cette perte de temps qui était très sympatique

PPD-PRO-TT’

* [L’extrait est reproduit tel qu’il a été tapé sur l’écran par les apprenants A et B, avec leurs propres fautes de frappe ou

d’orthographe].

L’analyse du dialogue montre de manière flagrante la nature particulièrement dissymétrique de la collaboration dans la résolution de problème :

Répartition de thèses discutées (référents dialectiques) : seulement quatre coups argumentatifs se réfèrent à la thèse

de Daisy (interventions 2 à 5) contre 19 pour celle d’Anna tout au long du dialogue. La majeure partie de l’argumentation (8 à 20) s’organise donc sous la forme d’un conflit simple, où Daisy critique ce que propose Anna.  Orientation interlocutoire : Anna n’effectue que des contributions directes. Elle reçoit donc de Daisy la charge

d’apporter des réponses aux questionnements de Daisy.

Opérations de pensée critique : l’activité cognitive des participantes est essentiellement axiologique et peu

épistémique (17 contre 6). Il s’agit donc davantage d’une argumentation délibérative que d’une argumentation étayée par des connaissances.

En fin de compte, ces résultats mettent en évidence une forme d’argumentation tout à fait originale. Il s’agit d’un conflit simple dont la résolution s’effectue non pas par l’apport d’arguments convaincants de la part du proposant, mais par l’expression d’une prise de position convaincue de ce dernier : Daisy n’accepte la thèse d’Anna que dans la mesure où cette dernière en paraît satisfaite.

Le peu de connaissances impliquées dans le dialogue et le peu d’arguments laissent finalement peu d’occasions de co-construire une solution radicalement nouvelle : l’accord se conclut sur la solution initiale d’Anna. Cependant l’activité collaborative stimulée par les opérations critiques

d’évaluation et d’expression d’attitudes a eu essentiellement pour effet d’éradiquer la conception

électro-cinétique présente dans la solution initiale de Daisy (les transferts devaient s’aligner sur le courant électrique) et d’intégrer davantage les contraintes du modèle. L’analyse des explications finales montre combien Daisy a pu évoluer sur ce point (tableau 6). La notion de transfert s’est découplée de celle du courant électrique au profit de celle de travail et la règle de complétude du modèle est rappelée même si elle n’a pu être appliquée.

(22)

Tableau 6 : les solutions des élèves juste après la discussion

ANNA DAISY

Explications données pour le transfert

"le fil positif conduit l'électricité de la pile à la lampe" "Le fil est un transfert d'énergie sous forme de travail électrique puisqu'il y a du courant électrique" Explications données pour l'ensemble

"le transfert conduit l'énergie de la pile à la lampe" "Puisque nous avons la pile, la lampe et que la lumière s'éclaire, je pense que ma chaîne est juste mais ce n'est pas une chaîne complète car elle commence mais ne se finit pas par un réservoir"

Synthèse

Les deux études de corpus de dialogues médiatisés par ordinateurs illustrent deux potentialités de l’activité argumentative dans la co-élaboration des notions scientifiques : la négociation du sens (par la dissociation des notions de mouvement et de vibration) et l’éradication de solutions ou modèles erronés (le modèle électro-cinétique pour l’appréhension des transferts énergétiques). La seconde étude montre encore davantage que la première que la co-élaboration peut avoir lieu et être constructive, en dépit d’un faible étayage des propos et donc d’une investigation approfondie ou méthodique des notions sous-jacentes. Ainsi, bien que l’apprentissage conceptuel demeure fortement contraint par le niveau de connaissance propre des participants, l’activité argumentative conduit les apprenants à clarifier les notions en jeu, à les préciser et également à mieux prendre en considération les contraintes du problème.

Actes de reformulation et étayage

Nous venons de présenter deux séquences extraites des corpus CONNECT et DAMOCLES où les espaces physiques des environnements informatiques sont spécifiquement conçus pour mettre en évidence des différences intersubjectives de conceptions dans les domaines respectivement du phénomène « son » et des chaînes énergétiques. On a cependant pu constater que malgré ces caractéristiques de situation favorisant les interactions épistémétiques, les apprenants ne reconnaissent pas toutes les contradictions entre leurs points de vue, et ne s'engagent pas, par voie de conséquence, dans une interaction argumentative. Aussi avons-nous prévu, complémentairement, un « étayage » d'aide à l'identification des oppositions de points de vue en présence et à leur clarification, assuré par un professeur-médiateur.

La séquence qui fournit le support de ce complément correspond à la dernière phase de la situation expérimentale dans l'environnement CONNECT. Il s’agit de la phase au cours de laquelle le professeur intervient « en ligne » pour corriger en trilogue le texte commun de la dyade Alexandre et Jean (Texte A ci-dessous), en réponse à un questionnement sur la propagation du son. Plus précisément, l'objectif du professeur est d'aider les élèves à intégrer le modèle particulaire du

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phénomène « son », à savoir, le son résulte physiquement d'un déplacement de vibrations, et d'en fournir un énoncé écrit.

Texte A : Quand on frappe le tambourin1, il émet un son. Ce son se propage sous forme de vibrations. Cela perturbe les molécules d'air contenues entre T1 et T2. Celles-ci s'éloignent les unes des autres, provoquant un étirement de la masse d'air concernée. Par une réaction en chaîne, les molécules A frappent les molécules B, qui à leur tour frappent les C, qui frappent ensuite T2. Puis les molécules de l'air entre T1 et T2 se repositionnent comme avant, ou alors sont “ chassées ” par d'autres qui viennent combler l'espace qu'elles ont laissé.

Comme il ne satisfait pas complètement les attentes du professeur, ce texte va faire l'objet d'une correction négociée. Au final, le texte A amendé se présentera sous cette forme B :

Texte B : Quand on frappe le tambourin 1, sa peau est en mouvement : on dit qu'il vibre. Ces vibrations se communiquent aux molécules A Celles-ci sont poussées vers T2 : elles oscillent. La vibration se propage de A vers B, puis de B vers C.

Lors de cette phase de « correction » du texte produit par les apprenants, l'activité de tuteur-médiateur (Franceschelli & Weil-Barais, 1999) du professeur se déclinera sur trois dimensions :

Une dimension cognitive : la pratique interactionnelle à fonction didactique du professeur traduit son intention de

faire construire un modèle approprié d'un phénomène : le modèle particulaire. L'enjeu est d'amener les élèves à intégrer un modèle scientifique selon lequel la propagation du son s'explique par une oscillation des molécules d'air et la propagation de ces oscillations. C'est la constatation d'un écart, repéré dans le texte commun (Texte A), entre le modèle scientifique et la “ théorie ” des élèves qui va amener le professeur à revenir sur leurs propositions, et constituer l'objet principal de la négociation de sens entre les membres du trilogue.

Une dimension discursive : la modélisation établie, le texte écrit doit être communicable.

Une dimension intersubjective : le professeur doit veiller aux conditions socio-cognitives de sa construction, se

traduisant par la prise en compte des conceptions des élèves, en s'appuyant sur les éventuelles divergences de points de vue des interactants, pour viser au rapprochement des conceptions des élèves et du modèle scientifique.

Parmi les « outils » discursifs dont dispose le professeur, nous nous intéresserons aux actes verbaux de reformulation qui offrent une trace privilégiée de l'effort langagier que les interlo-cuteurs, et en particulier le professeur, produisent pour satisfaire la triple dimension interactionnelle qu’implique la négociation de sens. Par acte de reformulation, nous entendrons soit la production d'un texte nouveau référé à un texte antérieur, soit le procédé d'engendrement du même discours qui réfère à lui-même (Gülich, Kotschi, 1987 ; De Gaulmyn, 1987 ; Charolles, 1987 ; Brixhe, 1993 ; Apothéloz & Grossen, 1996 ; Brixhe & Specogna, 1999). Nous montrerons que ces actes de reformulation remplissent diverses fonctions d'aide à la progression des négociations du sens dans les situations d'enseignement, à l'établissement d'un partage des savoirs, et qu'ils constituent des indicateurs de niveau de coopération entre les interlocuteurs dans l'apprentissage en groupe.

Structure des actes de reformulation

Les reformulations correspondent à des procédés comme le rephrasage, le paraphrasage et la correction présentant une structure commune de la forme X R Y, où X et Y sont deux segments dont le second Y (énoncé-reformulateur) est une reprise plus ou moins proche sémantiquement du premier X (énoncé-source), et où R désigne une relation sémantique entre les segments X et Y. L'énoncé reformulateur est souvent annoncé par un marqueur de reformulation MR (« disons, autrement dit, par exemple, en fait ») à fonction d'instruction de prise en compte de la

Figure

Figure 1. Le problème des « deux tambourins »
Figure 2. L’écran de « discussion critique » (CONNECT)
Figure 3 : La solution du problème des chaînes énergétiques
Figure 4 : Interface de dialogue de DAMOCLÈS
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