PREMODELES ET MODELES (personnels et
historiques) A PROPOS DU CHAMP
CONCEPTUEL DE RESPIRATION.
André GIORDAN
LDES Université de Genève
MOTS-CLEFS : Modèles optimaux, respiration, champ conceptuel RESUME:
Un ensemble d'études sur les modèles des élèves de différents niveaux scolaires
et sur les modèles des chercheurs des siècles précédents nous a conduits
à
faireune série d'hypothèses didactiques sur l'intérêt d'un apprentissage de la
modélisation, sur le choix des modèles "optimums" et sur les activités
fa vorisantes.
Cet article se limitera toutefois
à
présenter quelques modèles d'élèves pourfaire surgir des obstacles aujourd'hui en jeu, au niveau de la classe et à
proposer les grandes lignes de construction historique des idées dans ce
domaine.
En conclusion, un certain nombre de pistes d'investigations didactiques seront suggérées, en relation avec des essais dans les classes .
SUMMARY:
A body of researches on the models of pupils at various school levels anJ on the
models of researchers of past centuries has led us ta make a series of
didactical hypotheses on the value of learning modelisation, on the choice of
optimum models and on facilitating activities.
This article will restrict itself to introducing a few pupils' models in arder ta point out the obstacles at work in present day classes and to suggesting an oulline of historical ideas in this field.
ln short a certain number of directions for didactical investigations will be
Il nous a toujours semblé intéressant d'étudier simultanément les modèles des élèves et les modèles historiques des chercheurs, non pas pour
faire un paralléli::'II1e étroit mais parce que ces deux approches s'éclairent
mutuellement.
Le but de ces travaux est, au-delà d'une catégorisation, de repérer comment les divers modèles fonctionnent, par rapport à quel type de questions, de cadres de références ou de contextes.
Il est également de faire des hypothèses sur les évolutions et les
conditions inhérantes. Dans le contexte didactique, des retombées très
pragmatiques peuvent en découler au niveau de la classe, des possibles
pédagogiques apparaissent au niveau des stades de formulation (objectifs
optimaux), au niveau de la connaissance des publics, ou encore en ce qui
concerne les situations, les types d'interventions ou les environnements
favorables.
Ce texte présente une synthèse rapide d'un ensemble de travaux réalisés
dans le cadre de l'équipe du LDES (1) sur le champ conceptuel de respiration.
1- Les modèles des élèves
Il est difficile de repérer une évolution par une série de stades comme certaines études les ont cherchés au niveau des mécanismes opératoires, tant
ces modèles restent semblables de 4-5 ans à 14-16 ans (et parfois ... 18 ans).
On pourrait montrer sur ce point que les phénomènes de maturation avec l'âge n'interviennent pratiquement pas (2). L'enseignement non plus, n'a pas été très efficace : en classe terminale de l'enseignement secondaire, certains élèves ont eu jusqu'à 4 ou 5 cours sur le sujet, pourtant leur modèle reste pratiquement identique.
Globalement, les modèles sont relativt;jf1lent pauvres, car la respiration n'a pas d'illtérêt en elle-même. Par contre, elle est le "modèle" de la vie : "tant
qu'on respire, on vit", "ça montre qu'on vit", "elle est vitale ".
(1) Recherche didactique:
· niveau IIldternelle el primaire: A. Giordan, Ecole Acqueduc, Ecole Saint Merry, D.Noël, Ecole française de Genève.
· niveau 6éme (10 - 12 ans) : C.Dubois, collège Condorcet, A.Giordan, collége Carnot. · niveau terminale (18 ans) : J.Guyon, lycée de St Quentin, A.Giordan, lycée Carnot.
Sondage étudiant en sciences humaines, U. de Genève:R. Gagliardi et A.Giordan.
Sondage étudiant en biologie, U. de Paris VI, A. Giordan et D. Coutant. Recherche historique:
· Synthèse du colloque d'Ischia (1984) dirigé par ie Professeur Grmek.
(2) A 4-5 ans, de nombreux élèves ont déjà des idées bien établies sur la respiration.? Par contre dans les milieux défavorisés, à 10-12 ans, certains élèves n'ont pas encore conscience qu'ils respirent, ou seulement en gymnastique 1
Il s'agit le plus souvent d'un modèle très prégnant et redondant, et par là limitant car il crée ses propres obstacles, en empêchant tout questionnement :
les élèves ont l'impression de connaître : "respirer, ça sert
à
vivre". Au mieux(30 % des élèves), ce modèle se présente comme un modèle mécanique très
simple qui relie vie et mouvement : "ça fait bouger", avec apport de quelque
chose : "ça apporte le souffle de vie", "l'air entre, ça nous aide
à
vivre".Ce modèle est associé d'abord
à
l'ensemble du corps, puis très vite il estlimité
à
un organe précis les poumons ou le coeur.Le r61e de la respiration est divers. Il est le plus souvent un rôle de ventilation (1) où l'air est l'élément actif : "il fait gonfler les poumons" (2). Il
actionne le coeur "ça sert
à
faire battre le coeur" (3). Il alimente (4) le sang:"ça apporte des vitamines", "l'air rentre, il (le corps) s'en sert un peu pour garder le bon sang" (conserve le sang en bon état de marche) ; ou encore il
purifie le sang "la respiration nettoie", "purifie le sang", "le sang sale passe
dans les poumons et devient propre".
L'évolution au cours de la scolarité secondaire se fait dans ce dernier cadre, seul l'oxygène et le gaz carbonique vont être intégrés sous l'espèce d'une
sorte de duo infernal : l'oxygène est chargé de toutes les "vertus" positives: "la
respiration sert à alimenter le coeur en 02 et à le faire battre, 02 fait circuler le sang", "l'oxygène est une vitamine", tandis que le gaz carbonique se charge de
valeurs négatives "gaz carbonique = air sale", "les poumons respirent des
impuretés, le gaz carbonique est rejeté, le sang devient propre".
(1) L'école primaire renforce celte idée: 50 % des élèves de 10-12 ans la meltent enavant.
(2) Les poumons jouent parfois le rôle de soufflel, l'air entre dans une cavité générale.
(3) fi esl intéressant de noter la cohérence de certains modéles :"si on court, on est essoufflé
... pendant la course, on n'a pas le temps de respirer. On doit respirer plus vite (ensuite), ça fait battre
le coeur plus rapide(ment)".
Cette induction débouche parfois sur l'idée de tri (40 % à16 ans) par les
poumons "les poumons gardent l'oxygène de l'air, ils rejettent le gaz
carbonique".
Cette évolution apparaît toutefois très limitée, un certain nombre de
sondages montre que 90 % de la population adulte en reste à un modèle
"pré-Iavoisien" la respiration est une affaire de ventilation au niveau des
poumons, avec une entrée et une sortie d'air (dont la composition est peu préc:~:2e, quand elle est perçue) et de gaz (le plus souvent sur un mode de "tout
ou rien" : "entrée d'oxygène et sortie de gaz carbonique').
L'aspect énergétique n'est évoqué que chez 10 % des étudiants qui ont
réussi au baccalauréat. La respiration tissulaire (à l'exception des besoins en
oxygène des muscles) n'est envisagée que chez les étudiants de maîtrise de biologie.
2 - Les modèles des chercheurs antérieurs.
Dès les premiers textes en notre possession (poèmes homériques), on
constate également que la respiration est liée manifestement
à
la vie, et mêmeaux réactions supérieures de celle-ci (la pen:>ds) (1). Elle est mêlTH" le
symptôme du bien être ou des maladies (Hippocrate).
Dès l'antiquité, on rencontre 3 modèles explicatifs avec de multiples
variantes : "la chaleur rafraÎchit le corps", "le coeur"; la respiration fabrique la
"chaleur intérieure "; la respiration en relation avec le sang permet l'apparition du "pneuma", le souffle de vie (2).
antiquité
XVII
XVIII
p"_
~•••
r1 .... ; 1.uo'fI. uauh nec la. . . UlM! dOu'le n . 4 • •i,
PrI"II.,
.a r",.,lnU. .p~I••I'II.'II 1'.lr ~
Qylu.HlIln
1.r'5plraUIUatIC""'".dlon m...
sur r.lr ••n.'fI"'mlnue 1. wlume .n(Ilan~'Iln..hlrt .1 1. nl.lldt ... sert" ulL. runcllon pair" 1.proprlét' d',nlrehn'r 1. Yi. .
-
--r...-tl...
.I. . . .y W_ "'1 •••' ... WWI. 1 '1• •.,.j .1_....-.&II. . .~.... 1. . ' ... 1 '·.ir.I . . . r.r• • lu e.,rh .h , 'a r••,luli ••••bar ,."1Il8 ••• hlll,I . . .II" Iha
Illpp.cr•••. Plal"., la , . .,luit••url à
4r i'l.,. ralralellt, 1.C:IIU""
--[.,ed.l. 1. cll.leur 181er ••dllcac,.L - j---~;:y·o. ~:~:~::t:~~~·:~·I~C~I~~du (u'-P5 ...e I.a. p.,.lh: ..
,.,•..
II:iIlitrtu~..
d. r.lrt.it •.Ift.f6rrnentaiiOft qui lH'"odull d. 1.
(1l.le.u-c. phtoomln. "' Import..,t 1II YI.,1 quoi p.ut-II servIr 1
JmIIlIIAIlATOIIIQIIaI 1TJl]).DI LA YIIl1'ILATIOIf
RlIIDlTAflOIll- IllISf. Illruul.
Une étude historique montre la persistance de ces idées, en parallèle, jusqu'à la fin du XIXème siècle où le consensus actuel sa met en place. Cette approche est très révélatrice pour réfuter un certain nombre d'idées erronées
qui fonctionne encore aujourd'hui chez les enfants et les scientifiques, sur les
conditions favorisant la construction d'un savoir. Elle élimine les idées
habituelles de dévoilement du réel
à
travers les sens, induction de laconnaissance
à
travers les faits, d'accumulation successive d'éléments,d'emboîtement de théories, mais également de réfutabilité de ces dernières par faits, autant de critères de scientificité idéalisés. Elle montre l'importance des
mécanismes de construction à travers les questions en jeu et les
transformations des cadres de références, le rôle fondamental des concepts
extérieurs au domaine et ou encore J'interaction faits-modèle (3).
(1) Le vocabulaire courant conserva das traces de cas modèles: na dit-on pas la "premier
souffle",ou encore "il a expiré" pour manifaster le début el la tin de la vie? Ne parla-t-on pas de reprendre un "nouveau soufffe", ou encore de "t'inspiration"des poètes.
(2) A. Giordan, Histoire du champ conceptuel de respiration in A. Giordan, (1987) Histoire
de fa biologie. Tome 1 Paris. (3) A. Giordan, ibidem.
XIX
l...,.!tter : ... le portiOll lM 1'.11' enwnl _ _ ,.• .,....~
ltvolsl.... l.la<:••
s."". :
aat"sorb4 4MlI 1.. poumons. Il " l'Ntr., ...~ 1. "'SIlI,..tiOtli.st~COfIIb4Jill. .'vll.'" r ••Uluenl •leplau!MIporUOll ,,'KI.U I ) ' ' ' '
,II. Inll". .... ' .... t'.lr nu ctoIll 1.SUf'~'Mull
---i
1
alrU.,.me prnque''iI''1 IfI VOlunM üer~U...
" 1. PQf'UOft lM 1',11'e-rnm'-..ln ...w-.... nuisible.t.la ,"'-1_ . . utla comblAll. .dé. . . dans
esl ('8l'lVerU, . .UfWIporllon
4'."..
U ... ....if... 1...poumonsr'p",1. PMi. continuelle" cMiIIW'II'M ns,tlnt".......u.nt Ill... 1••
p_.
nous ioprOllVOM . .l'.tmofo'''• • et ••u,.,. -.wlrVNMInts 1. nsplnllOll 'OIISOIMM lMIb)'''''~M. l "c...~Il-
roul'nU lW "lorIQUe•
FoclIIOft1
11""'1"1je .lllMlLeIl dlll... .,1 nt dlill'IW.
-4VlS l''conornl. anlmll ••hll. produU. p... 1.'IUHlnUI"'.'11J1Ii-c;i~Intl,..llnt,fUlld.lI"h ...' ..
Jf
Com'. 1. m.I,.Uool.l.
1
rOIliYlltnl p.,MI~~II.'.ntpe''''••Mnln"....I..Il . . ,.,.Uel,.,.. Ilj>t'~cktdICNI
qullli'Of!'bldllsousllOW" _ combl...,.~1.c..kfte normll. de cl\,111II'" ConlUt. .
-
... ...u conslInll . . ,..r,.oI41",."","tl"'''-Ml
1 1la c....,. du hGIMII. 'OS","M 1. Il'Z o.YG'n.
1
le
Blrn..d.Ullblt.V.llnUn. P Be,.t
1
.t ...eduU rKIct- , ...botllque U _
... '.l-tl...-_Io_'
'"*
_-l,Mn
c.nl"
CAl. . . .ü.r•••••••••••
3 • Elément pour une didactique du modèle.
A la lumière des études préalables précédentes et notamment des études
historiques en tant que référant, un certain nombre d'hypothèses ont été
énoncées que nous avons tenté de corroborer en classe à divers niveaux.
Dans l'état actuel de nos travaux, ces hypothèses peuvent être formulées ainsi:
1 - l'introduction de modèles s'avère indispensable dès que l'on souhaite "faire passer" un niveau de formulation. Cette activité apparaît complémentaire des activités de confrontation (1). les modèles constituent des points d'ancrage pour structurer les événements, les constatations enregistrées par l'apprenant,
et envisager des prévisions
à
infirmer.2 - Les modèles introduits dans l'enseignement ne doivent pas être une simplification des modèles fonctionnant dans le savoir universitaire actuel. Ils ne sont jamais une simple réduction de ceux-ci : leurs contextes, leurs finalités sont autres. Ils doivent être élaborés en fonction des questionnements et du cadre de référence de l'apprenant (2).
3 - S'ils sont fournis
à
l'élève, ils le sont en même temps que dessituations pour les faire fonctionner (3). et en tester ainsi leurs possibilités et
leurs limites.
4 - Sur un tel domaine, plusieurs modèles peuvent être proposés en parallèle pour envisager leurs intérêts respectifs en fonction des problèmes
traités, et obliger l'apprenant à se décentrer (4).
5 - La production de modèle en "kit" ou
à
compartiment devrait êtreenvisagée. Elle clarifie les mises en liaison (structure, flux etc ... ). De plus, la
possibilité de compartiment "emboîté" semble permettre une intégration
facilitant de nouveaux savoirs en liaison avec J'enrichissement du cadre
conceptuel.
(1)A. Giordan,G.de Vecchi, (1987), Les origines du savoir, Delachaux, Neuchatel.
(2) au niveau maternelle et début primaire, un ensemble d'activités ont été mises au point
pour corroborerun modèle de ventilation.
(3) L'idée qu'un modèle=outil (et non vérité intangible) semble devoir être introduite très
tôt dans l'enseignement ou la vulgarisation.
(4) au niveau secondaire, il apparaît utile de faire fonctionner 3 types de modèles sur la
respiration et de faire saisir leurs intérêts respectifs pour des situations différentes: - modèle ·ventilation" pour la gymnastique ou la piscine.
- modèle "gaz" pour la plongée sous-marine . . modèle "énergétique" pour le métabolisme.
Le schéma. ci-après traduit un modèle
à
compartiments emboîtés testéiU niveau secondaire et enrichi au niveau universitaire.