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Rembrandt, l'amour et le marché : Vers le dépassement du nationalisme culturel ?

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Rembrandt, l’amour et le marché : Vers le dépassement

du nationalisme culturel ?

Alexandre Palanco

To cite this version:

Alexandre Palanco. Rembrandt, l’amour et le marché : Vers le dépassement du nationalisme culturel ?. ”Les droits culturels fondamentaux dans l’ordre juridique de l’Union Européenne”, Oct 2018, Nantes, France. �hal-03203204�

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Rembrandt, l’amour et le marché :

Vers le dépassement du nationalisme culturel ?

1

Alexandre Palanco

Enseignant-chercheur en droit public (Université Catholique de Lyon) UR Confluences Sciences et Humanités Membre associé de l’I.D.E.D.H. (EA 3976)

1. « Les arts et les sciences appartiennent à toute l’Europe, et ne sont plus la propriété exclusive d’une Nation »2. Plus de deux siècles après ces propos du célèbre artiste, théoricien de l’art et homme

politique Antoine QUATREMERE DE QUINCY, les conflits nationaux restent nombreux en Europe autour de la question de l’appropriation et de la restitution des objets culturels déplacés3. Au milieu de ces

conflits, l’acquisition en 2016 de deux chefs d’œuvre du grand maître hollandais REMBRANDT ouvre pourtant des perspectives pour la coopération européenne en matière d’acquisition des œuvres d’art. Cette acquisition inédite marque l’aboutissement de deux mariages qui auront chacun marqué leur temps.

2. Le premier mariage est celui de Maerten SOOLMANS et Oopjen COPPIT, un couple appartenant à la plus haute bourgeoisie d’Amsterdam. Maerten est le fils d’un réfugié anversois et il épouse, en 1663, Oopjen, décrite comme l’un des meilleurs partis de la ville. Ils sont donc jeunes, riches, heureux et attendent leur premier enfant. A cette époque, REMBRANDT a 28 ans. Il est déjà un portraitiste très demandé mais il cherche à décrocher une commande très importante, celle qui fera prendre un tournant décisif à sa carrière : un tableau monumental représentant l’une des milices bourgeoises d’Amsterdam – et qui deviendra la célèbre Ronde de Nuit. Il accepte donc de réaliser un double portrait de plain-pied du couple SOOLMANS pour convaincre la milice commanditaire. Incontestablement, les Portraits de Maerten et Oopjen comptent parmi les grands chefs d'œuvre de REMBRANDT, par la qualité de la représentation des tissus et la maîtrise de l’harmonie du noir et du blanc dont fait preuve le maître du clair-obscur. Dernier détail important : à l’origine, la toile qui a servi pour les portraits était une toile unique que l’artiste a lui-même coupée en deux.

3. Le second mariage est celui de la France et des Pays-Bas, qui, plus de 350 ans après la réalisation des œuvres et 150 ans après leur départ vers la France, ont conclu un accord visant à l’acquisition conjointe et à l’exposition commune des deux portraits alternativement au musée du Louvre et au Rijksmuseum. Les œuvres faisaient partie des collections ROTHSCHILD avant que la France n’acquière le portrait d’Oopjen et les Pays-Bas celui de Maerten. Si l’annonce du retour du couple dans

1 Article issu d’une communication orale présentée lors du colloque « Les droits culturels fondamentaux dans

l’ordre juridique de l’Union européenne », Nantes, le 19 octobre 2018, dans le cadre de la Chaire Jean Monnet Droit et politique de la culture de l’Union européenne.

2 A.QUATREMERE DE QUINCY, Lettres sur le préjudice qu’occasionneraient aux arts et à la science le déplacement

des monuments de l’art de l’Italie, le démembrement de ses écoles et la spoliation de ses collections, galeries, musées, etc… dites Lettres à Miranda (1796), Paris, Ed. Pommier, 1989, lettre I, 1796, p. 88

3 Parmi les contestations de la propriété d’objet culturel en Europe, le conflit entre la Grèce et le Royaume-Uni

concernant les marbres d’Elgin est sans doute le plus fameux (sur cette question voir notamment J.H.MERRYMAN,

Thinking About The Elgin Marbles : Critical Essays on Cultural Property, Art and Law, Kluwer Law international,

2nd éd., 2009). La remise en question, par la secrétaire d’Etat italienne à la culture, du prêt d’œuvres de Léonard DE VINCI au musée du Louvre à l’occasion du 500ème anniversaire de l’artiste témoigne également des tensions

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sa ville natale a reçu un très bon accueil au Pays-Bas, la position du gouvernement français a été critiquée avec véhémence à l’intérieur de nos frontières. La faute à son incapacité (ou son manque de volonté) à acquérir les deux portraits pour les maintenir exclusivement sur le territoire national. 4. En effet, dès la période révolutionnaire, un lien puissant est tissé entre l’objet d’art et la Nation souveraine, de sorte que la protection du patrimoine culturel rime avec son maintien sur le territoire. La culture, qui fût déjà au Moyen-Âge « un puissant instrument d’unification et de construction de l’Etat »4, est très vite apparue comme une fondation, un ancrage nécessaire à la construction d’une

société nouvelle5. La conscience culturelle de certains politiques ainsi que l’utilité des Beaux-arts à la

chose publique ont entraîné les prémisses de la protection du patrimoine culturel par l’Etat. Une des premières problématiques ayant fait naître ce besoin de protection fût précisément la fuite du territoire français d’un nombre important d’objets culturels précieux à la suite de la vente par les révolutionnaires des biens ecclésiastiques6. La volonté de prévenir et d’endiguer cette fuite des

richesses culturelles a entraîné la première vague de nationalisation d’œuvres d’art7, permettant leur

maintien sur le territoire. Dans le même temps, l’existence de ce « droit du sol » est étendue aux biens étrangers et vise à légitimer un droit de prise sur les objets d’art, notamment en Italie et en Belgique8.

L’idée défendue est que l’ensemble des œuvres majeures de l’Europe ont vocation à converger sur le territoire national, la France se présentant comme la seule vraie patrie des arts et sciences9. Il faudra

tout de même attendre la loi du 31 août 1920 pour qu’apparaisse la possibilité pour l’Etat de retenir certains biens culturels par la mise en place d’un véritable contrôle des exportations10. L’universalisme

(ou l’européanisme) illustré par la déclaration de QUATREMERE DE QUINCY11 ne reflète donc point les orientations de la politique culturelle française. Le droit de la culture reste, encore aujourd’hui, « dans une large mesure un droit essentiellement national et territorial »12.

5. De même, au cours du XXème siècle et aujourd’hui encore, la protection internationale du patrimoine culturel témoigne d’une volonté de concilier deux façons pourtant radicalement distinctes de penser la propriété culturelle : le « nationalisme culturel » et l’« internationalisme culturel »13.

L’internationalisme culturel est décrit par le professeur J. H. MERRYMAN comme une approche cosmopolite et protectrice du patrimoine culturel appréhendé comme un patrimoine commun14. A

l’inverse, le nationalisme culturel est présenté comme une conception nationaliste et surtout

4 A.-H.MESNARD, L’action culturelle des pouvoirs publics, Paris, LGDJ, 1969, p. 30.

5 F.CHAMOULAUD, Moyen de rendre les Beaux-Arts utiles à la chose publique et aux artistes, présenté à la

Convention nationale, 2 brumaire an III : « Les Beaux-Arts sont les plus fermes appuis d’une Nation qui se régénère par l’heureuse influence qu’ils ont sur les bases essentielles d’un gouvernement, la morale publique. On peut les regarder comme la charpente nécessaire pour élever un édifice politique ».

6 Voir notamment l’adresse de l’Académie de peinture et de sculpture à ce sujet. Archives Parlementaires, t.XVI,

séance du 20 juin 1790, p. 393 cité par A.HERITIER, « Patrimoine et souveraineté. La France et son patrimoine culturel, de la Révolution à la Restauration », in M.CORNU,N.MEZGHANI (dir.), Intérêt culturel et mondialisation, Harmattan, 2005, p. 43 : « La vente des biens ecclésiastiques, des maisons et communautés religieuse, peut exposer la Nation à perdre un grand nombre de chefs-d’œuvre de peinture et de sculpture qui existent dans ses maisons, s’il n’est pris aucune précaution pour les conserver ».

7 A.HERITIER, « Patrimoine et souveraineté… », préc., p. 54. 8 Idem, p. 55.

9 Idem, p. 56.

10 Sur l’action de l’Etat, de la Révolution à nos jours, en faveur de la protection du patrimoine culturel par le

contrôle des exportations, voir P.TOSI, La notion française de trésor national, thèse dactylographiée de la Faculté de droit et de science politique d’Aix-Marseille, p. 100 et s.

11 Voir supra note 2.

12 J.FROMAGEU, « Mondialisation et culture : les interrogations d’un juriste », in », in M. Cornu, N. Mezghani

(dir.), Intérêt culturel et mondialisation p. 14

13 J.H.MERRYMAN, « Two Ways of Thinking About Cultural Property », The American Journal of International

Law, 80/4, 1986, p. 831.

14 Idem : « [o]ne way of thinking about cultural property (…) is as components of a common human culture,

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rétentrice du patrimoine culturel appréhendé comme un patrimoine avant tout national15. L’auteur

illustre notamment cette analyse binaire par référence à deux conventions internationales de protection du patrimoine culturel. La Convention de la Haye de 1954 pour la protection des biens culturels en cas de conflit armé16 s’inscrit clairement dans le paradigme de l’internationalisme culturel.

Son préambule propose notamment un véritable fondement idéologique à la protection internationale des biens culturels. Les parties contractantes constatent ainsi que « les atteintes portées aux biens culturels, à quelque peuple qu'ils appartiennent, constituent des atteintes au patrimoine culturel de l'humanité entière, étant donné que chaque peuple apporte sa contribution à la culture mondiale ». Dès lors, « la conservation du patrimoine culturel présente une grande importance pour tous les peuples du monde et [il] importe d'assurer à ce patrimoine une protection internationale »17. Surtout,

la convention consacre le principe de la responsabilité individuelle pour les atteintes portées au patrimoine culturel ainsi qu’une compétence juridictionnelle dépassant le seul Etat ayant subi ces atteintes. La Convention Unesco de 1970 concernant les mesures à prendre pour interdire et empêcher l'importation, l'exportation et le transfert de propriété illicites des biens culturels présente quant à elle une nature quelque peu différente18. Dès le préambule, l’accent est mis par les parties sur

l’importance des biens culturels comme « éléments fondamentaux de la civilisation et de la culture des peuples »19. Surtout, l’objet même de la Convention est de lutter contre le trafic illicite, la définition

de l’illicéité étant laissée à l’appréciation de chaque Etat parti20. La protection des biens culturels par

leur rétention est donc l’objectif principal visé par le texte21. La lecture de ces deux textes permet donc

de comprendre l’ambivalence d’une protection internationale des objets culturels visant à concilier une lecture nationaliste et une lecture cosmopolite de la propriété culturelle.

6. L’analyse de la protection de la culture par l’Union européenne démontre son incapacité à dépasser cette dualité22. Les débuts de la construction témoignent d’un certain désintérêt pour les

questions liées au patrimoine culturel : « [l]e traité CEE ne reçoit en effet expressément la culture que comme une valeur nationale dont il appartient à chaque Etat d’assurer la protection »23. La dimension

essentiellement économique et l’influence du GATT ont en effet conduit à reconnaître aux Etats la possibilité d’apporter des restrictions à la libre circulation des marchandises pour assurer « la protection des trésors nationaux ayant une valeur artistique, historique ou archéologique »24.

15 Idem, p. 832 : « [a]nother way of thinking about cultural property is as part of a national cultural heritage. This

gives nations a special interest, implies the attribution of national character to objects, independently of their location or ownership, and legitimizes national export controls and demands for the "repatriation" of cultural property »

16 Convention de la Haye pour la protection des biens culturels en cas de conflit armé, 7 août 1956. Il s’agit de la

première convention internationale exclusivement consacrée à la protection du patrimoine.

17 Idem.

18 Convention concernant les mesures à prendre pour interdire et empêcher l’importation, l’exportation et le

transfert de propriété illicites des biens culturels, Paris, 14 novembre 1970

19 Idem.

20 Cette liberté constitue évidemment un « chèque en blanc » pour la mise en place d’une législation protectionniste

des nations « source ». Les nations « marchés » ont au contraire tout intérêt à adopter des législations plus libérales en la matière. Sur la distinction entre Etats « sources » et Etats « marchés », voir notamment L.PROTT,P.O’KEEFE,

National Legal Control of Illicit Traffic in Cultural Property 2, UNESCO, 1983

21 Cet objectif ne répond pas uniquement à des impératifs purement « nationalistes ». Il est aussi lié à la question

de la décontextualisation des biens, notamment pour les biens archéologiques qui quittent illégalement le territoire d’origine en entrainant une perte d’information scientifique (perte d’information relative au site fouillé mais aussi relative à l’objet lui-même).

22 En cohérence avec le thème du colloque, la présente contribution entend se concentrer sur le système de l’Union

européenne. La protection de la culture et la valorisation d’un héritage culturel commun s’inscrivent également dans les objectifs du Conseil de l’Europe et font l’objet d’un corpus normatif important dans ce cadre. Voir notamment Patrimoine culturel européen. Volume I : Coopération intergouvernementale (recueil de textes), Conseil de l’Europe, 2003.

23 C.BLUMANN,L.DUBOUIS, Droit matériel de l’Union européenne, LGDJ, 6ème édition, 2012, p. 234.

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L’adoption d’instrument de droit dérivé va par la suite confirmer cette tendance à l’épanouissement d’une vision nationale de la propriété culturelle25. D’abord, le règlement n°3911/92 relatif à

l’exportation de biens culturels vers les pays tiers26 est adopté. Il confirme dès son préambule la

compétence de chaque Etat membre pour définir ce que constitue un « trésor national »27. D’autre

part, la directive n°93/7 du 15 mars 1993 organise le régime juridique de la restitution des biens culturels ayant quitté illicitement le territoire d’un Etat membre28. S’il peut sembler naturel que la

protection interne de la culture soit historiquement nationale et territoriale, ces dimensions sont plus décevantes s’agissant de la construction européenne.

7. Ce n’est qu’à partir de l’adoption du traité sur l’Union européenne qu’une autre dimension de la politique culturelle européenne voit le jour à travers la notion d’ « héritage culturel commun » : « [l]a Communauté contribue à l'épanouissement des cultures des États membres dans le respect de leur diversité nationale et régionale, tout en mettant en évidence l'héritage culturel commun »29. Ainsi,

l’action de l’Union vise notamment à encourager la coopération entre Etats membres, voire à l’appuyer et la compléter, notamment pour la « conservation et la sauvegarde du patrimoine culturel d’importance européenne »30. Surtout, le traité de Lisbonne assigne à l’Union européenne la mission

générale de veiller « à la sauvegarde et au développement du patrimoine culturel européen »31. L’idée

d’un patrimoine commun, qui transcende les patrimoines nationaux, est au fondement de l’émergence d’une politique culturelle commune, compétence d’appui de l’Union européenne et qui repose essentiellement sur l’adoption de textes non-contraignants, des actions ou manifestations symboliques et une contribution financière dans le cadre de programme pluriannuel32.

8. En matière d’acquisition et de propriété des biens culturels, le paradigme du nationalisme culturel reste toutefois dominant, autour de la notion européenne et française de « trésor national ». Les politiques culturelles de l’Union européenne peuvent favoriser la circulation des biens culturels à des fins non-commerciales33. Mais l’européanisation des musées ne se traduit pas par des mécanismes

de copropriété ou d’acquisition conjointe. Les accords inter-muséaux pour acquérir une œuvre présente dans les collections privées existent, mais essentiellement entre des institutions implantées sur le territoire d’un seul Etat. En cela, l’acquisition conjointe des œuvres de Rembrandt – conséquence d’une coopération purement bilatérale – est une expérience innovante et qui témoigne de l’intérêt que pourrait présenter cet approfondissement d’un « européanisme culturel » (II.). Toutefois, force est d’avouer que dans le cas présent, la coopération est surtout apparue comme un pis-aller. Le processus chaotique ayant conduit à l’acquisition conjointe des portraits du couple Soolmans illustre

fonctionnement de l’Union européenne (TFUE).

25 On retrouve les deux types de réglementation internationale en matière de circulation des biens culturels : le

contrôle de l’exportation (Convention concernant les mesures à prendre pour interdire et empêcher l’importation, l’exportation et le transfert de propriété illicites des biens culturels, préc.) et restitution des biens culturels volés ou illégalement exportés (Convention d’Unidroit sur les biens culturels volés ou illicitement exportés, Rome, 14 juin 1995)

26 Règlement (CEE) n° 3911/92 du Conseil du 9 décembre 1992 concernant l'exportation de biens culturels, codifié

par le Règlement (CE) n°116/2009 du Conseil du 18 décembre 2008 concernant l’exportation des biens culturels.

27 Le seul élément d’harmonisation est constitué par une liste en annexe précisant les catégories de biens pouvant

recevoir cette qualification.

28 Directive 93/7/CEE du Conseil du 16 mars 1993 relative à la restitution de biens culturels ayant quitté

illicitement le territoire d’un Etat membre, modifiée par les directives 96/100/CE et 2001/38/CE. Aujourd’hui abrogée et remplacée par la Directive 2014/60/UE du Parlement européen et du Conseil du 15 mai 2014 relative à la restitution de biens culturels ayant quitté illicitement le territoire d'un État membre.

29 Ancien article 151§1 du TCE, nouvel article 167 du TFUE 30 Idem.

31 Article 3 du Traité sur l’Union européenne (TUE)

32 C.BLUMANN,L.DUBOUIS, Droit matériel de l’Union européenne, préc. p. 234 et s. 33 Article 167 TFUE

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surtout les difficultés croissantes que connaissent l’Etat et les institutions muséales pour maintenir sur le territoire des œuvres présentant un « intérêt artistique ou historique majeur » (I.)

I.

Les portraits du couple Soolmans, symbole des limites du nationalisme culturel en

matière d’acquisition publique d’œuvres d’art

9. Le nationalisme culturel français s’exprime avec le plus d’évidence à travers le régime juridique des trésors nationaux. Si plusieurs catégories de biens culturels entrent automatiquement dans le champ de la notion au sens de l’article L111-1 du Code du Patrimoine, la catégorie résiduelle des « autres biens présentant un intérêt majeur pour le patrimoine national au point de vue de l’histoire, de l’art ou de l’archéologie »34 est particulièrement intéressante pour la question de l’acquisition. Cette

catégorie permet en effet au Ministère de la Culture de refuser de signer le certificat d’exportation d’un bien culturel se trouvant dans les collections privées, après consultation de la Commission consultative des trésors nationaux, entraînant la rétention de l’œuvre sur le territoire national35. Cette

réglementation repose sur la recherche d’un équilibre entre deux objectifs : faciliter l’acquisition publique des œuvres d’intérêt majeur sans créer d’entrave excessive au développement du marché de l’art. Ces deux objectifs transparaissent dans les travaux parlementaires36 ayant précédés l’adoption

de la loi du 10 juillet 2000 relative à la protection des trésors nationaux37. Ainsi, la raison d’être

principale du dispositif est d’aboutir à l’achat par l’Etat des œuvres s’étant vu refuser la délivrance du certificat d’exportation. L’autorité publique bénéficie d’un délai de trente mois pour soumettre, « dans l’intérêt des collections publiques », une offre d’achat38.

10. Le respect de cet équilibre est susceptible de soulever deux difficultés pour les autorités publiques souhaitant maintenir un bien culturel sur le territoire. La première difficulté, parfaitement illustrée par le cas des portraits du couple Soolmans, est d’ordre financière. Le refus de signer le certificat d’exportation s’accompagne en théorie d’une volonté acquisitive de la part de l’Etat. Or, l’état actuel du marché international de l’art rend toute acquisition extrêmement complexe s’agissant d’œuvres ou d’objets d’un intérêt exceptionnel (A.). La seconde difficulté, dont on peut affirmer qu’elle n’a eu que très peu d’influence dans le cas des portraits du couple Soolmans, tient en la nécessité de ne pas entraver de façon excessive la libre circulation des marchandises. Cet impératif devrait impliquer une certaine retenue dans la pratique de la rétention (B.).

A. Les limites financières à l’acquisition des « trésors nationaux »

11. Le choix du gouvernement français de ne pas refuser le certificat d’exportation des deux œuvres de Rembrandt n’est de toute évidence pas lié à la qualité des œuvres et à leur intérêt artistique. Incontestablement, les portraits de Maerten Soolmans et d’Oopjen Coppit constituent des

34Article L111-1 du Code du patrimoine.

35 Cette procédure concerne les biens culturels dont la valeur dépasse un certain seuil (sauf pour les objets

archéologiques provenant directement de fouilles, de découvertes terrestres et sous-marines ou de sites archéologique) : annexe 1 aux articles R-111-1 et s. du Code du patrimoine. Le refus de signer le certificat n’entraine le versement d’aucune indemnité au propriétaire. En revanche, les biens importés licitement depuis moins de 50 ans se voit accorder automatiquement le certificat requis (L111-4 du Code du patrimoine).

36 Voir notamment le Rapport n° 169 (1999- 2000) de M. S.LAGAUCHE, fait au nom de la Commission des affaires

culturelles du Sénat, déposé le 24 juin 1999.

37 Loi n°2000-643 du 10 juillet 2000 relative à la protection des trésors nationaux et modifiant la loi n°92-1477 du

31 décembre 1992 relative aux produits soumis à certaines restrictions de circulation et à la complémentarité entre les services de police, de gendarmerie et de douane

38 Durant ce délai de 30 mois suivant le refus de certificat, toute nouvelle demande est irrecevable (art. L.111-6 du

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œuvres exceptionnelles, « présentant un intérêt majeur pour le patrimoine national au point de vue de l’histoire, de l’art ou de l’archéologie »39. D’une part parce qu’ils sont les seuls portraits en pied

grandeur nature connus dans l’œuvre du maître hollandais du Siècle d’or. D’autre part, en raison de la perfection de la représentation des matières et de la maîtrise de l’harmonie dans l’utilisation des noirs et des blancs. La position du Ministère de la Culture, exprimée dans une réponse à une question parlementaire écrite contestant la délivrance du certificat, confirme cette évidence40. L’absence de

classement au titre des trésors nationaux41 est en réalité essentiellement – voire exclusivement –

justifiée par des considérations d’ordres économiques.

12. Ainsi que le rappelle le Ministère de la Culture, « [l]es modalités de fonctionnement pour les décisions de refus de sortie ne sont pas indépendantes de contingences financières »42. L’équilibre du

régime juridique des trésors nationaux, exprimé à l’article L121-1 du Code du Patrimoine43, implique

l’existence d’une volonté publique d’acquérir le bien culturel visé : le refus de délivrer le certificat est en principe suivi de la présentation, par l’autorité administrative, d’une offre d’achat tenant compte des prix pratiqués sur le marché international. Si le propriétaire n’accepte pas l’offre d’achat, l’autorité administrative peut faire procéder à une expertise pour fixer le prix du bien. Dans un premier temps, l’autorité administrative et le propriétaire du bien désignent chacun un expert à leurs frais. En cas de divergences entre ces experts, le prix du bien est fixé par un troisième expert désigné conjointement par l’autorité administrative et le propriétaire ou, à défaut d’accord, par le président du TGI. Le prix du bien étant finalement fixé, l’autorité administrative dispose d’un délai de deux mois pour adresser une offre d’achat à valeur de l’expertise44.

13. La finalité du classement au titre des trésors nationaux est donc bien l’acquisition, mais surtout une acquisition aux prix du marché international. C’est bien là que réside la principale faille à l’efficacité du dispositif. En effet, depuis plusieurs décennies déjà, un fossé se creuse de plus en plus entre les prix du marché de l’art et les moyens dont dispose les institutions culturelles pour l’enrichissement de leurs collections. Ce constat, déjà alarmant à la fin du siècle dernier45, était précisément l’un des deux

motifs46 principaux à l’origine de la révision législative de 200047. La financiarisation du marché de l’art

et l’émergence de nouveaux acteurs mondiaux (multiplication des musées et du nombre de collectionneurs, notamment chinois) n’ont fait qu’aggraver la situation. Le marché de l’art mondial représente en 2017 environ 63,7 milliards de dollars par an, dont une hausse notable de 125% pour la

39 Article L. 111-1 du Code du patrimoine

40 Question AN n°77649, 14ème législature, posée par Mme V.LOUWAGIE (Les Républicains – Orne). Réponse

publiée au J.0., 30 juin 2015, p. 4999 : « Les deux portraits en pied de Rembrandt, représentant Maerten Soolmans et son épouse, sont sans conteste des pièces majeures détenues en mains privées, que le ministère de la culture et de la communication aurait, tout comme le Louvre, vivement souhaité voir entrer dans les collections nationales. Le ministère a cependant dû se résigner à délivrer le certificat d'exportation ».

41 Techniquement, la qualification n’est pas le résultat d’un « classement », mais simplement de la conséquence

juridique d’une décision individuelle défavorable du ministre de la Culture.

42 Question AN n°77649, préc.

43 Article L121-1 du Code du patrimoine. 44 Idem.

45 Voir notamment la Question écrite n°16639 du sénateur M.MOREIGNE (Creuse – SOC) publiée dans le JO Sénat

du 27 mai 1999, p. 1724 : « [L]e dispositif mis en place par la loi nº 92-1477 du 31 décembre 1992 nécessite la mobilisation de fonds publics exceptionnels (…). La valeur des œuvres majeures de notre patrimoine dont le refus de certificat d'exportation arrive à échéance en 1999 est estimée à plus de 500 millions de francs. Le ministère de la culture est dans l'impossibilité de mobiliser une telle somme. Ainsi, il lui demande si la puissance publique compte assurer le maintien en France de ces trésors artistiques et augmenter durablement le budget du ministère précité ».

46 Le deuxième tenant à la désuétude de la procédure de classement des œuvres aux Monuments historiques à la

suite de l’arrêt Walter. Voir infra, §22 et s.

47 Le rapport n° 184 (1999- 2000) de M. Y.GAILLARD fait au nom de la Commission des finances du Sénat et

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vente des œuvres de plus de 10 milliards de dollars48. De plus en plus, des œuvres pour lesquels un

certificat d’exportation est demandé ont une valeur difficilement compatible avec les moyens actuels du ministère de la culture et des institutions muséales.

14. Quelques exemples choisis permettent de mesurer l’ampleur de l’écart existant entre la valeur des chefs d’œuvre présent sur le territoire national et la capacité budgétaire de l’Etat ou des institutions muséales. La paire de Portraits de Maerten Soolmans et d’Oopjen Coppit par REMBRANDT était estimée à 160 millions d’euros par les experts. La Fuite en Egypte dePOUSSIN, pour lequel l’Etat a refusé de délivrer un certificat d’exportation en 2004 était estimé entre 15 et 17 millions49. En 2012,

une peinture sur bois de l’artiste français Jean MALOUEL représentant une Pietà avec saint Jean et deux anges est acquise par l’Etat pour la somme de 7,8 millions d’euros50. La Table de Breteuil est acquise

en 2015 par le musée du Louvre pour la somme de 12,5 millions d’euros51. En comparaison, le Fonds

du patrimoine, qui est la ligne de crédits spécifiques du Ministère de la Culture affectée à l’acquisition d’œuvre considérées comme trésors nationaux ou reconnues « d’intérêt patrimonial majeur » pour les institutions muséales, s’élevait pour le budget de 2017 à 3,6 millions d’euros puis pour le budget de 2018 à 1,09 million d’euros. En 2017, le budget consacré par le musée du Louvre à ses acquisitions s’élevait à 5,2 millions d’euros52.

15. Plusieurs réponses possibles peuvent être apportées à ce décalage. Les dons d’œuvres, dont les dations en paiement, représentent toujours une source importante d’enrichissement des collections nationales53. Le mécénat reste également l’une des principales sources de financement

pour l’acquisition des trésors nationaux. Le législateur a d’ailleurs bien saisi la nécessité de favoriser la participation des opérateurs économiques privés par l’instauration d’incitation fiscales particulièrement intéressantes. Ainsi, depuis la loi du 4 janvier 2002 relative aux Musées de France prévoit pour les entreprises une réduction de l’impôt sur les sociétés égale à 90% de la somme versée en faveur de l’acquisition d’un trésor national ayant fait l’objet d’un refus de délivrance de certificat d’exportation et pour lequel l’Etat a fait une offre d’achat54. La loi du 1er août 2003 relative au mécénat,

aux associations et aux fondations élargit cette mesure « aux versements effectués en faveur de l’achat des biens culturels situés en France ou à l’étranger dont l’acquisition présenterait un intérêt majeur pour le patrimoine national au point de vue de l’histoire, de l’art ou de l’archéologie », après avis motivé de la Commission des trésors nationaux55.

16. Ces dispositifs fiscaux ont permis des acquisitions prestigieuses et le mécénat est aujourd’hui quasi-systématique dans la procédure d’acquisition d’une œuvre d’intérêt majeur ou d’un trésor national. L’acquisition du Portrait d’Oopjen Coppit en costume à la française a été rendu possible par le mécénat de la Banque de France à hauteur de 80 millions d’euros, soit l’intégralité du prix d’achat de l’œuvre. L’œuvre devenait ainsi l’acquisition la plus importante jamais réalisé par un musée français. De même, l’acquisition du tableau de Jean MALOUEL a été intégralement supporté par le mécénat de l’entreprise AXA56. Plus fréquemment, le mécénat de grandes entreprises permet de

48 C.MCANDREW, The Art Market 2018, Rapport publié par Art Basel et le Groupe UBS, disponible en ligne 49 L’acquisition a été réalisé en très grande partie grâce à plusieurs opérations de mécénat.

50 L’acquisition a entièrement été financé par le mécénat d’AXA.

51 L’acquisition a été réalisé en partie grâce à l’opération désormais annuelle « Tous mécènes ».

52 Ce budget doit être comparé à celui des nouvelles institutions muséales qui concurrence les musées européens.

A titre d’exemple, le Louvre Abu-Dhabi dispose d’un budget d’acquisition d’environ 40 millions d’euros par an.

53 En 2017, la valeur des dons d’œuvres pour le musée du Louvre s’élève à un peu plus de 6 millions d’euros. 54 Article 238 bis-0 1 du Code général des impôts. Concomitamment, une réduction fiscale à hauteur de 40% de la

somme versée par les entreprises pour acquérir elle-même une œuvre ayant fait l’objet d’un refus de certificat d’exportation est prévue à l’article 238 bis-0 AB.

55 Idem.

(9)

compléter les sommes réunies par la mobilisation des fonds propres des institutions muséales voire l’intervention à la marge de collectivités publiques57.

17. Malgré l’importance du mécénat, il reste très largement insuffisant pour l’acquisition de toutes les œuvres d’intérêt majeur présentes sur le territoire national58. Pour les institutions muséales

françaises, acquérir, c’est avant tout choisir.

B. Les difficultés liées au risque de protectionnisme excessif

18. Outre les considérations d’ordre budgétaire, d’autres aspects du régime français des trésors nationaux sont susceptibles de limiter son efficacité. En effet, l’Etat se doit de rechercher un équilibre entre l’acquisition des œuvres d’intérêts majeurs et la préservation du libre marché. La pratique conduit toutefois à s’interroger sur les risques potentiels d’excès dans le choix de refuser la délivrance d’un certificat d’exportation. Deux questions doivent ici être discutées séparément. D’une part, et en raison des difficultés budgétaires précédemment évoquées, la procédure de classement au titre des trésors nationaux pourrait être détournée de son objectif acquisitif au détriment des droits du propriétaire (1.). D’autre part, la définition très extensive d’un « trésor national » en droit interne et européen permet d’y inclure des œuvres dont le rattachement avec l’identité ou la culture « nationale » est loin d’être évident (2.).

1. Un usage dissuasif du classement au titre des trésors nationaux ?

19. Les limites budgétaires de l’Etat affectent grandement l’efficacité du régime du trésor national et les possibilités d’acquisitions publiques des œuvres d’intérêt majeur. A l’origine, une autre procédure permettait à l’administration d’interdire l’exportation d’un bien culturel sans être contrainte d’acheter le bien : il s’agissait de la procédure de classement aux Monuments historiques. 20. En effet, au sens de l’article L622-1 du Code du Patrimoine, « [l]es objets mobiliers, soit meubles proprement dits, soit immeubles par destination, dont la conservation présente, au point de vue de l’histoire, de l’art, de la science ou de la technique, un intérêt public peuvent être classés au titre des monuments historiques par décision de l’autorité administrative ». Ce classement entraîne notamment l’interdiction de l’exportation hors de France des biens culturels visés59, à l’exception des

exportations temporaires aux fins de restauration, d’expertise, ou d’exposition60. Dans l’hypothèse

57 C’est le notamment le cas pour la Fuite en Egypte ou la Table de Teschen, voir supra. Voir également les

opérations de mécénat collaborative « Tous Mécènes » du Louvre (à titre d’exemple, l’acquisition du Livre

d’Heures de François 1er, trésor national, a été rendu possible par cette opération à hauteur de 1, 4 millions et par

le mécénat du groupe LVMH à hauteur de 7,9 millions) ou récemment pour le musée du Prado (qui a lancé en septembre 2018 une souscription pour acquérir un tableau de Simon VOUET représentant une Jeune fille avec une

colombe, v. 1620)

58 Cette insuffisance se traduit par la fuite de certains trésors nationaux. Pour des exemples récents, voir la vente

de deux sculptures de l’ancienne cathédrale d’Arras, classées trésors nationaux en 2014 mais finalement vendues en 2018 à New-York alors même que le musée des Beaux-Arts d’Arras possède déjà 4 autres statues appartenant au même ensemble décoratif qui se trouvaient dans les niches de l’autel. Voir D.RYKNER, « Deux sculptures de l’ancienne cathédrale d’Arras, ‘trésor national’ en ventre chez Christie’s New-York », La Tribune de l’Art, 12 avril 2018.

59 Article L622-18 du Code du patrimoine : « L'exportation hors de France des objets classés au titre des

monuments historiques est interdite, sans préjudice des dispositions relatives à l'exportation temporaire prévue à l'article L. 111-7 ». D’autres obligations sont notamment prévues à l’article 622-7 du Code du patrimoine : « Les objets classés au titre des monuments historiques ne peuvent être modifiés, réparés ou restaurés sans l'autorisation de l'autorité administrative compétente ».

60 Article L111-7 du Code du patrimoine : « L'exportation des trésors nationaux hors du territoire douanier peut

être autorisée, à titre temporaire, par l'autorité administrative, aux fins de restauration, d'expertise, de participation à une manifestation culturelle ou de dépôt dans une collection publique ».

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d’un bien culturel se trouvant dans une collection privée, le classement au titre des monuments historiques s’articule donc en théorie parfaitement avec la procédure d’acquisition des trésors nationaux pour permettre à l’administration d’interdire la sortie du territoire national dans le respect des droits du propriétaire : le premier entraîne l’interdiction d’exportation d’une œuvre d’intérêt majeur sans volonté publique d’acquisition tandis que le second permet de refuser temporairement le certificat d’exportation dans l’attente de l’acquisition publique.

21. Toutefois, le classement aux Monuments historiques d’un bien mobilier est aujourd’hui tombé en désuétude et ce depuis une décision de 1996 de la Cour de Cassation relative au tableau de Vincent VAN GOGH intitulé Le Jardin à Auvers. En effet, le classement d’office aux Monuments nationaux, c’est à dire sans le consentement du propriétaire, était susceptible de soulever un problème au regard de son droit au respect de ses biens. Interprétant l’article 16 de la loi de 1913 relatif à l’indemnisation du préjudice résultant de l’application de la servitude du classement d’office, la Cour de cassation considère que le classement d’office de l’œuvre crée un préjudice résultant précisément du refus d’autorisation d’exportation notifié au propriétaire. Surtout, elle considère que ce préjudice doit se calculer en comparant le prix de vente de l’œuvre en France au prix de vente d’œuvres comparables sur le marché international61. Cette décision a rendu de fait le classement d’une œuvre inintéressante

pour l’Etat puisqu’il lui fait courir le risque d’une indemnisation très importante tout en maintenant la propriété de la personne privée sur l’œuvre62.

22. Cette jurisprudence a constitué, avec les limites budgétaires précédemment évoquées, l’autre justification principale à la réforme de la procédure d’acquisition des trésors nationaux de 200063. Elle

a également des conséquences sur l’utilisation que peut faire l’administration de cette procédure. Schématiquement, face à une demande d’exportation d’un bien culturel considéré d’intérêt majeur, le gouvernement peut choisir deux approches : soit une approche prudente, libérale soit une approche dissuasive.

23. L’approche prudente ou libérale est parfaitement illustrée par l’attitude de l’Etat français dans le processus d’acquisition des Portraits du couple Soolmans. Face à la difficulté de boucler un financement à hauteur de 160 millions d’euros sur trente mois, le directeur du département des peintures du musée du Louvre en sa qualité de conseiller du ministère, a jugé inopportun de refuser d’accorder les certificats d’exportations pour les œuvres. La Commission des trésors nationaux n’a donc pas été consultée (ce qui est sans doute regrettable) et les deux tableaux ne se sont pas vu reconnaître le caractère de trésor national. Un tel choix est fondé sur l’idée que cette reconnaissance doit impliquer l’acquisition par l’Etat mais également que l’Etat doit avoir la certitude d’être en capacité financière d’acquérir lesdites œuvres. Il s’agit donc d’une lecture très libérale des dispositions législatives pertinentes. La justification du ministère face aux critiques entraînées par la délivrance du certificat s’inscrit parfaitement dans cette ligne d’interprétation : « Le statut de trésor national conféré par le refus de délivrance du certificat d’exportation est provisoire, valable pour une durée de 30 mois et étroitement corrélé à une perspective d’acquisition par un musée de France ou une autre institution patrimoniale publique, qui, seule, assure le maintien définitif du trésor national sur le territoire. La décision de prononcer une mesure de refus du certificat d’exportation peut donc difficilement être conçue en faisant abstraction totale du prix des œuvres concernées. L’Etat doit en effet être en capacité financière d’acquérir ces trésors nationaux, à une valeur respectant les prix du marché

61 C. Cass., civ. 1ère, 20 février 1996, Walter, n°94-17029. L’équilibre de cette solution a été validé par la Cour

européenne des droits de l’homme sur le fondement de l’article 1 du Protocole n°1 (Cour EDH, déc., 20 mai 1998,

Walter c. France, req. n°32035/96.

62 Dans l’affaire Walter, la valeur de la toile fixée par le propriétaire au moment du classement était de 200 millions

de francs. L’œuvre ayant été vendu pour 55 millions d’euros, le préjudice subi s’est élevé à 145 millions de francs hors intérêts.

(11)

international »64. Cette pratique est donc sous-tendue par l’idée que l’interdiction de sortie du

territoire d’un bien sans certitude quant à la capacité d’acquisition serait un dévoiement du dispositif. 24. Le scandale provoqué par l’autorisation d’exportation des chefs d’œuvres de REMBRANDT pourrait voire une nouvelle pratique se développer. Le refus de signer le certificat d’exportation du bien serait simplement utilisé pour forcer son maintien sur le territoire, sans qu’une véritable volonté d’acquisition publique ne soit établie. Il y aurait là une pratique beaucoup plus contestable et qui s’apparenterait à une instrumentalisation du dispositif français. Tel est la manœuvre dénoncée par certains propriétaires d’œuvres ayant essuyé un refus récent d’exportation. Sans doute, cette façon de procéder présenterait-t-elle un intérêt certain : redonner à la catégorie des trésors nationaux une dimension purement artistique, reposant sur la valeur intrinsèque de l’objet et non sur sa valeur marchande ou sur les capacités budgétaires immédiates des institutions publiques. Les avis de la Commission consultative des trésors nationaux retrouveraient donc un rôle majeur et constitueraient le fondement principal de la décision d’autoriser ou non l’exportation65. Elle présente toutefois deux

problèmes majeurs. D’une part, elle apparaît particulièrement attentatoire des droits du propriétaire et fait obstacle à la libre circulation des biens culturels. Dans le cas de la vente récente d’une œuvre des frères LE NAIN représentant un Christ enfant méditant devant une croix, le classement de l’œuvre a refroidi les ardeurs de potentiels acheteurs étrangers, sans que le Ministère de la Culture ne se manifeste pour faire une offre66. D’autre part, cette solution pour maintenir l’œuvre sur le territoire

national ne peut qu’être temporaire, l’absence d’offre d’achat de la part des institutions publiques entraînant à terme la signature du certificat d’exportation67. Ainsi, plusieurs œuvres pourtant classées

trésors nationaux se retrouvent en vente publique à l’étranger à défaut d’offre publique d’acquisition dans le délai imparti par la procédure68.

2. Une appréhension extensive de la notion de « trésor national »69

25. Au-delà de l’atteinte qu’elle aurait fait subir aux droits du propriétaire en l’absence de volonté de l’Etat français d’acquérir les deux œuvres, un refus de certificat d’exportation aurait soulevé une autre question : l’œuvre d’un artiste hollandais, peinte en hollande et représentant un jeune couple de bourgeois d’Amsterdam, peut-elle être décemment qualifiée de trésor « national » par l’Etat français ?

26. La notion de « trésor national » constitue en elle-même un paradoxe qu’il importe à ce stade de souligner : dans la mesure où un bien culturel constitue un « trésor », comment peut-on considérer que cette valeur est dépendante d’un contexte national déterminé ? Il y a là une position relevant

64 Question AN n°77649, préc.

65 Aujourd’hui, les consultations aboutissent systématiquement à un avis positif. De plus, lorsque l’Etat juge les

capacités budgétaires insuffisantes au regard de l’intérêt de l’œuvre, la Commission n’est tout simplement pas consultée.

66 Cette lecture doit toutefois être nuancée dans la mesure où le propriétaire l’œuvre a également un intérêt la voir

« classée » pour augmenter sa valeur. Un double jeu possible : feindre la volonté de vendre l’œuvre à l’Etat pour entrainer le refus de signer le certificat d’exportation, et profiter de ce refus pour obtenir un meilleur prix en vente aux enchères, malgré l’impossibilité d’exporté. En l’espèce, la directrice du service des acquisitions du Louvre, contactée dans le cadre de la rédaction de cet article, a confirmé l’intérêt initial de l’Etat. L’absence d’offre d’achat s’expliquant par la somme, jugée trop importante, demandé par le propriétaire. L’œuvre a finalement été vendue à un acquéreur privé pour la somme de 3,6 millions d’euros (frais compris), soit un record pour une œuvre des frères LE NAIN.

67 Article L121-1 du Code du patrimoine. 68 Voir supra, note 55.

69 Sur cette question, voir notamment M.GRAZIADEI,B.PASA., « The Single European Market and Cultural

Heritage : The Protection of National Treasures in Europe » in A.JAKUBOWSKI,K.HAUSLER,F.FIORENTINI (dir.),

Cultural Heritage in the European Union – A Critical Inquiry into Law and Policy, à paraître. ; P.TOSI, La notion

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clairement d’une lecture nationaliste de la propriété culturelle. La question cruciale est de savoir ce que l’Etat cherche véritablement à protéger à travers cette qualification : son identité ou son patrimoine ? 70. Plusieurs options s’ouvraient donc au législateur, bien que la solution retenue ne

semble finalement pas avoir prêté à de grandes controverses.

27. La première option était d’inscrire cette catégorie spécifique dans la perspective d’une protection contre l’éloignement des biens culturels ayant un intérêt particulier pour la Nation ou pour son identité. Dans cette optique, la définition des trésors nationaux aurait pu répondre à un certain nombre de critères objectifs et/ou de critères subjectifs. Les critères objectifs pourraient tenir dans l’identification du lieu de création de l’œuvre (l’œuvre a-t-elle été créée sur le territoire national ?) ou de l’auteur de l’œuvre (l’auteur de l’œuvre possède-il la nationalité de l’Etat revendiquant la qualification ? A défaut, a-t-il été formé ou a-t-il vécu sur le territoire de l’Etat ?)71. Les critères

subjectifs pourraient viser en l’identification d’un lien spécifique entre l’œuvre et l’histoire ou l’identité culturelle de l’Etat revendiquant la qualification. Ce modèle est celui qu’a notamment retenu le Japon dans sa législation visant à la protection de ses trésors nationaux72. La conception qui y prévaut conduit

à la protection des biens culturels présentant un intérêt exceptionnel pour la nation japonaise, pour la compréhension de l’identité culturelle du pays. Les œuvres classées comme telles sont donc pour la très grande majorité des œuvres japonaises73. Certains biens non-japonais peuvent également recevoir

la qualification dans la mesure où ils ont pu avoir une influence sur la construction de la culture ou de l’identité japonaise74. En toute hypothèse, la notion de « trésor national » implique au Japon, comme

désormais au Canada, l’existence d’un lien étroit entre le trésor, et la nation qui le revendique75.

28. La seconde option, retenue par le législateur français, vise moins à la protection d’une identité culturelle qu’à la protection d’un patrimoine. Ce choix s’inscrit dans la tradition législative française qui liait la protection des biens culturels à l’objectif d’éviter la fuite des objets et leur exportation massive76. Contrairement à la conception japonaise, la qualification de trésor national dans le système

juridique français vise des objets présentant un intérêt particulier dans une perspective universelle. La recherche d’un lien de rattachement national, autre que la présence du bien sur le territoire national, n’est donc pas nécessaire. Ainsi, plusieurs œuvres réalisées à l’étranger par des artistes étrangers ont pu voir leur demande de certificat d’exportation refusé : une tempera sur panneau de FRA ANGELICO77, des huiles sur toile de CANALETTO78, de CASPAR DAVID FRIEDRICH79 ou DU CARAVAGE80, des dessins de GOYA81, des études de MICHEL-ANGE82 ou de LEONARD DE VINCI83 pour ne citer que les plus illustres. Il est sans

70 P.TOSI, La notion française de trésor national, préc., p. 8

71 Ces critères seraient de toute façon partiellement arbitraires tant l’histoire de l’art en général, et le parcours d’un

artiste en particulier, peut se construire par des jeux de circulations et d’influences. Voir infra, §44.

72 Loi n°214 sur la protection des biens culturels du 30 mai 1950, modifiée par la loi n°7 du 30 mars 2007. 73 P.TOSI, La notion française de trésor national, préc., p. 10

74 Ainsi, des manuscrits chinois de la dynastie Tang (618 – 907) sont considérés comme des trésors nationaux en

raison de leur influence sur le Japon.

75 Dans une décision du 12 juin 2018, la Cour fédérale du Canada a redéfini la notion d’ « importance nationale »

d’un bien culture national dans une décision relative à l’interprétation de la Loi sur l’exportation et l’importation des biens culturels [LRC (1985) c. C-51]. Le juge Michael D. MANSON considère ainsi que la Commission canadienne d’examen des exportations de biens culturels n’a pas démontré que l’œuvre « Iris bleus, jardin du Petit Gennevilliers » (1892) de Gustave CAILLEBOTTE présente « un lien direct avec le patrimoine culturel propre au Canada » : « Ni l’artiste ni l’objet n’étaient canadiens, et la peinture n’avait aucun lien avec la population canadienne ni avec l’impressionnisme canadien ».

76 Voir supra.

77 Arrêté du 4 août 2009 refusant le certificat prévu à l'article L. 111-2 du Code du patrimoine 78 Arrêté du 27 juillet 2006 refusant le certificat prévu à l'article L. 111-2 du Code du patrimoine 79 Arrêté du 13 janvier 2011 refusant le certificat prévu à l'article L. 111-2 du Code du patrimoine 80 Arrêté du 25 mars 2016 refusant le certificat prévu à l'article L. 111-2 du Code du patrimoine 81 Arrêté du 21 mars 2007 refusant le certificat prévu à l'article L. 111-2 du Code du patrimoine 82 Arrêté du 11 juin 2008 refusant le certificat prévu à l'article L. 111-2 du Code du patrimoine 83 Arrêté du 23 décembre 2016 refusant le certificat prévu à l'article L. 111-2 du Code du patrimoine

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doute possible de s’interroger sur la conformité de cette pratique, sinon avec la lettre de l’article 30 TFUE, du moins avec son esprit84. En toute hypothèse, contrairement à des pays importateurs de biens

culturels ou grandes places du commerce de l’art85, la conception française du trésor national repose

sur une interprétation extensive du traité : or, en tant qu’exception à un principe général, on pourrait s’attendre à ce que la réserve des « trésors nationaux » soit nécessairement d’interprétation stricte86.

La volonté des institutions communautaires de ne pas encadrer la définition de cette exception87, dans

un domaine particulièrement sensible pour certaines États, permet donc à la France d’en faire une « coquille vide » dans laquelle elle peut faire entrer un grand nombre de biens culturels88.

29. En pratique toutefois, il convient de constater que la grande majorité des trésors nationaux identifiés après un refus d’autorisation d’exportation sont des œuvres liées à la France (l’artiste étant de nationalité française ou ayant réalisé l’œuvre sur le territoire français). Faut-il y voir la recherche d’un équilibre par l’usage raisonnable de la catégorie lorsque l’œuvre est sans lien avec l’identité culturelle nationale ? Ou bien la simple conséquence logique de la présence plus nombreuses d’œuvres d’origine française sur le territoire national ? La justification de l’autorisation d’exportation des Portraits Soolmans par le ministère de la Culture paraît donner plus de crédit à cette seconde hypothèse.

II.

Les portraits du couple Soolmans, témoin de l’intérêt d’une coopération culturelle

pour la valorisation du patrimoine européen

30. Dans le cadre de l’acquisition des Portraits du couple Soolmans, l’adhésion à une vision relevant du nationalisme culturel transparaît dans la position initiale des différents acteurs. La volonté du propriétaire était de vendre les tableaux aux institutions françaises, afin de les maintenir sur le territoire national. Les Pays-Bas, souhaitant faire revenir les œuvres du maître hollandais sur son territoire, a annoncé dès la signature des certificats d’exportation sa volonté d’acquérir les deux tableaux pour le Rijksmuseum, où ils auraient été exposés parmi les autres chefs d’œuvre de Rembrandt, notamment la Ronde de Nuit. Sans remettre en cause l’importance diplomatique et symbolique de ce partenariat, force est de constater qu’il ne repose à l’origine donc pas sur une volonté commune des deux Etats concernés mais constitue en réalité une solution de repli. La mise en lumière médiatique de l’affaire et le scandale immense qu’aurait provoqué l’expropriation de chefs d’œuvre de cette qualité a conduit le gouvernement français à opérer un véritable rétropédalage et à se rapprocher du gouvernement hollandais pour aboutir à cet accord, non sans difficulté.

31. La coopération est donc apparue comme une option sinon contrainte, au moins subsidiaire : la solution diplomatique constituant une ultime solution de secours. La reconstruction d’un discours politique visant à présenter ledit accord comme un véritable choix, s’inscrivant dans une histoire

84 Pour un avis contraire, voir J.MORAND-DEVILLIER, « Le patrimoine monumental, patrimoine de la nation ? » in

M.CORNU,N.MEZGHANI (dir.), Intérêt culturel et mondialisation, précité, p. 88 : « [I]l apparait, une fois de plus, que l’identification nationale est plurielle, ce qui conduit aussi à ne pas prendre dans un sens trop étroit la notion de trésors nationaux de l’article 36 du traité de Rome, concernant l’importation et l’exportation des biens culturels ».

85 M.BLIN L’Europe et la culture : Rapport d'information n° 213 (2000-2001) fait au nom de la délégation pour

l'Union européenne, 1er février 2001

86 CJCE, 10 décembre 1968, Commission c. Italie, aff. 7/68, Rec. p. 617

87 En toute hypothèse, une harmonisation aurait été difficile à mettre en œuvre puisque les termes du traité de

Rome diffèrent selon les versions linguistiques. Certaines notions semblent ainsi plus diffuses ou larges que la notion de « trésors nationaux » (version française) ou « national treasures » (version anglaise) : « patrimoine artistique (…) national » (pour les versions espagnoles et italiennes) ou « biens culturels … nationaux » (pour la version allemande).GRAZIADEI,B.PASA., « The Single European Market and Cultural Heritage : The Protection of National Treasures in Europe », préc.

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culturelle commune, ne parvient pas à faire oublier les intentions originelles des deux Etats. Néanmoins, force est de constater que la solution finale, sans être parfaite, a de quoi réjouir les partisans d’un renforcement du lien culturel à l’intérieur du continent. La coopération mise en œuvre apparaît en effet particulièrement innovante en ce qu’elle étend la vision « européenne » de la culture à la question encore très nationale de l’acquisition des œuvres d’art (A.). Elle apparaît surtout prometteuse dans la mesure où le dispositif négocié met en évidence les indéniables vertus du dépassement de la contrainte territoriale pour la valorisation des œuvres mais surtout d’une identité culturelle commune (B.)

A. Une coopération culturelle innovante pour l’enrichissement des collections

européennes

32. Entre l’annonce en septembre 2015 de l’acquisition conjointe et la signature en février 2016 de l’accord entre le gouvernement français et néerlandais relatif à l’exposition et à la gestion des Portraits du couple Soolmans89, une véritable stratégie médiatique visant à promouvoir la solution de

l’acquisition conjointe a été mise en place par les différents acteurs90. Les discours tenus, notamment

par la ministre française Fleur Pellerin et par le musée du Louvre, insistent sur le caractère inédit de cette coopération intergouvernementale pour l’acquisition et l’exposition d’œuvres indissociables. Malgré la reconstruction politique évidente du discours après la signature du certificat d’exportation, force est de constater que la coopération à laquelle les deux gouvernements (ainsi que les deux institutions muséales) ont abouti est particulièrement innovante91. D’abord, parce qu’elle dépasse la

vision purement nationale du patrimoine culturel pour s’inscrire dans la promotion d’une vision européenne (1.). Ensuite, parce que l’accord relatif à la gestion commune propose un régime juridique inédit pour des œuvres de cette valeur et visant à préserver leur indissociabilité (2.)

1. La promotion d’une vision européenne du patrimoine

33. L’européanisation et l’internationalisation du droit des musées traduit une intensification des échanges entre des institutions de différents Etats92, notamment pour la mise en place de prêts

temporaires, d’expertises ou pour l’organisation de manifestations culturelles93. Cependant, un tel

partenariat entre musées étrangers en vue de l’acquisition commune d’un bien culturel ou de biens indissociables demeure exceptionnel. Quelques exemples seulement de co-acquisition peuvent être évoqués. En 1972, le Louvre et le Metropolitan Museum of Art de New-York se sont ainsi associés pour acquérir conjointement un panneau médiéval en ivoire représentant l’arbre de Jesse94. Plus

récemment en 2004, une installation de l’artiste BILL VIOLA a fait l’objet d’un achat conjoint par le Centre Pompidou, le Tate Modern à Londres et le Whitney Museum of American Art de New-York95. Ce n’est

89 Décret n° 2016-1291 du 29 septembre 2016 portant publication de l'accord entre le Gouvernement de la

République française et le Gouvernement du Royaume des Pays-Bas relatif à l'exposition et à la gestion conjointe des portraits de Maerten Soolmans et d'Oopjen Coppit par Rembrandt Van Rijn, signé à Paris le 1er février 2016.

90 Ce plan médiatique c’est poursuivi après l’acquisition, notamment lors de la présentation officielle des œuvres,

au Louvre, en présence du président François Hollande et du roi et de la reine des Pays Bas, le 10 mars 2016.

91 Deux « précédents » peuvent toutefois être soulignés : l’exposition alternée d’une plaque en ivoire du XIIIème

représentant l’arbre de Jessé, acquis conjointement par le Louvre et le Metropolitan Museum de New-York en 1972 et l’exposition alterné d’un ensemble de mobilier d’Augsburg en argent, daté du début du XVIIIème, constitué d’un miroir réalisé par Albrecht BILLER appartenant au Louvre, ainsi que de deux guéridons de Johann I BARTERMANN et une table de Johann Philipp I STENGLIN appartenant au Maximilammuseum d’Augsbourg. Voir infra, §39.

92 J.-C.BARBATO,C.BORIES (dir.), Européanisation et internationalisation du droit des musées, Pedone, 2017 93 Cette intensification des échanges se traduit dans les exceptions prévues à l’article L111-7 du Code du

patrimoine pour l’exportation des trésors nationaux

94 Voir supra. L'Arbre de Jessé, représentation de la généalogie du Christ. Panneau en ivoire de Bamberg (?), en

Bavière, v. 1200.

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pas faire offense à l’intérêt et aux qualités de ces œuvres, que de constater qu’aucune des deux ne revêt une importance équivalente aux œuvres de REMBRANDT du point de vue de l’histoire de l’art. 34. Ainsi, pour l’essentiel, la coopération inter-muséale pour l’achat d’une œuvre est circonscrite au niveau national. A cet égard, l’acquisition conjointe des Portraits du couple Soolmans constitue un événement important en termes de partenariat entre deux institutions étrangères.

35. C’est précisément cet aspect qui a été judicieusement mis en avant dans le communiqué de presse du Ministère de la Culture ayant suivi la décision d’acquisition conjointe. Il évoque ainsi la réalisation d’un « objectif politique et culturel commun » visant à « maintenir les deux toiles sur le sol européen et les présenter au plus grand nombre, dans deux des plus beaux et grands musées du monde »96. En outre, selon ce même communiqué, l’acquisition conjointe « témoigne de la volonté

partagée des deux pays d’approfondir encore leur très riche coopération culturelle »97. Le

communiqué de presse annonçant quelques mois plus tard la signature de l’accord pousse un peu plus loin l’idée d’héritage culturel commun : « cette démarche conjointe, conclue par l’accord intergouvernemental, témoigne de l’ambition partagée de la France et des Pays-Bas pour une Europe de la culture, riche de son patrimoine commun et universel »98. La communication du musée du Louvre

joue également la carte du patrimoine commun : « [l]e travail collectif entre les deux musées et les deux ministères est un exemple inédit de coopération européenne en matière de protection du patrimoine. Il permet de conserver en Europe la paire de portraits de Rembrandt, génie européen du 17e siècle »99. La volonté affichée est donc d’inscrire ce partenariat dans une logique de valorisation

du « patrimoine commun européen », en conformité avec l’objectif affiché à l’article 3 du Traité sur l’Union européenne et développé par les institutions de l’Union européenne100.

36. La dimension territoriale apparaît toutefois toujours présente : les différentes communications mettent ainsi en avant la nécessité de maintenir les œuvres sur le territoire européen. De plus, l’accord s’inscrit dans un cadre purement bilatéral. Il apparaît difficile dans ces conditions d’y voir une adhésion au paradigme de l’internationalisme culturel : l’accent reste mis sur les liens que possèdent les œuvres avec chacun des deux Etats partis. Cependant, l’acquisition conjointe et la présentation commune participe incontestablement à la promotion d’un « européanisme culturel »101

et constitue ainsi un dépassement du nationalisme culturel toujours dominant102. A cet égard, il

pourrait constituer un jalon supplémentaire, ou une expérimentation, dans la mise en place d’une

le domaine archéologique, voir A.LIZOT, « Réflexions sur la circulation internationale des collections muséales : de l’immunité à la copropriété », in E.LAGRANGE, S.OETER,R.UERPMANN-WITTZACK, Cultural Heritage and

International Law, Springer, 2018.

96 Communiqué de presse du Ministère de la Culture, Acquisition conjointe de la paire de tableaux peints par

Rembrandt, Portrait de Maerten Soolmans et portrait de Oopjen Coppit, épouse de Maerten Soolmans, 30

septembre 2015.

97 Idem.

98 Communiqué de presse du Ministère de la Culture, Signature de l’accord intergouvernemental entre la France

et les Pays-Bas scellant l’acquisition conjointe de deux chefs-d’œuvre de Rembrandt, 1er février 2016.

99 Voir la page internet du musée du Louvre : Les portraits de Maerten Soolmans et d’Oopjen Coppit par

Rembrandt. Une acquisition exceptionnelle exposée au musée du Louvre. https://www.louvre.fr/les-portraits-de-maerten-soolmans-et-d-oopjen-coppit-par-rembrandtune-acquisition-exceptionnelle-exp (dernière consultation le 14 février 2018)

100 Voir principalement la communication de la Commission européenne COM(2014) 477 Final, Vers une

approche intégrée du patrimoine culturel européen, 22 juillet 2014.

101 L’expression est utilisée durant les débats parlementaires du 18 octobre 1991 relative au taux de taxation des

œuvres d’art par le député Jacques TOUBON (JORF p. 4710).

102 L’acquisition conjointe des deux portraits s’inscrit ainsi parfaitement dans le cadre des objectifs fixés dans le

préambule de la Convention culturelle européenne de 1954, adopté dans le cadre du Conseil de l’Europe : « Considérant qu'il est souhaitable à ces fins, non seulement de conclure des conventions culturelles bilatérales entre les membres du Conseil, mais encore d'adopter une politique d'action commune visant à sauvegarder la culture européenne et à en encourager le développement »

Références

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