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Rendez-vous avec Julien Gracq

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Academic year: 2021

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HAL Id: hal-01573910

https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-01573910

Submitted on 10 Aug 2017

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Étienne Brunet

To cite this version:

Étienne Brunet. Rendez-vous avec Julien Gracq. E. Foulon. Mélanges Georges Cesbron- Hommage à Georges Cesbron , pp.363-372, 1997, 2-903 075-69-5. �hal-01573910�

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Etienne Brunet

Les présents Mélanges constituent un colloque virtuel où se sont donné rendez-vous les amis de Georges Cesbron – ils ont fini par se connaître, au bout de trente colloques bien réels et tous cesbroniens (vu l’activité de l’homme, on a envie d’écrire cesbrowniens). Voilà une manifestation qui s’ajoute à la longue série des rencontres organisées par lui dans la bonne ville d’Angers et qui a la particularité rare d’exister sans son concours, sinon inerte, et sans son aveu, sinon tacite. Le voilà réduit à l’immobilité de la pierre tombale, tandis que pleuvent les fleurs et l’eau bénite. Comme je me trouve moi-même dans la même situation, je mesure mieux son bouillonnement intérieur et je me garderai d’ajouter à son étouffement par d’intempestives embrassades. Il serait oiseux de détailler un parcours universitaire, à la fois concentrique et rayonnant (ces deux propriétés sont celles de la lumière). Me permettra-t-on cependant d’évoquer les débuts moins connus de cette carrière, en cette aube obscure où la larve découvre qu’elle est chrysalide. Nous étions des larves, c’est-à-dire des étudiants. Et nous faisions chaque jour, en rampant, un long trajet de 200 mètres entre la Cathédrale et le Château. Au milieu du parcours Georges avait sa chambre en surplomb au-dessus des remparts qui eux-mêmes surplombent la Maine. La chambre n’était pas chauffée, sinon, par grands froids, au vin. Au printemps on partait « au bout du monde », juste à côté. On aurait pu rejoindre par les toits cette célèbre promenade angevine, qui est mille fois moins longue que la Promenade des Anglais mais mille fois plus suggestive. Car ce haut lieu qui jouxte le Château dominait les taudis et les bordels établis en contrebas depuis des temps immémoriaux et rasés, faut-il dire hélas, maintenant. Du promontoire on voyait déferler les vagues des passions et l’envie montait sourdement de s’y fondre. Il suffisait d’un cri, d’un appel.

1. Article paru dans Mélanges Georges Cesbron, Angers, Presses de l’Université d’Angers, 1998, p. 362-372.

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On répondait d’en bas. Le rendez-vous était pris. Grand branle-bas dans l’imagination et les entrailles. Grande panique aussi. On osait certes descendre sur les quais mais on n’osait pas croiser le regard de celle qui attendait. Ces rendez-vous manqués, on s’en souvient toujours. Faut-il dire comme Frédéric et Deslauriers, au sortir de leur escapade manquée chez la Turque dans la dernière page de l’Éducation sentimentale, que « c’est là ce que nous avons eu de meilleur » ?

Je n’ose invoquer le témoignage de Julien Gracq qui ne cache pas sa préférence pour Nantes et avoue une indifférence « sans équité » pour la ville d’Angers. Mais cette promenade « du bout du monde » trouve pourtant grâce à ses yeux et il « aime à monter, à droite des douves du château, jusqu’à l’impasse du mail exigu qui se termine en à-pic au-dessus des jardins de la Maine, établis sur l’emplacement de l’ancienne et laide rangée de maisons du quai. »2 L’intérêt sourd et nostalgique qui s’attache à ces maisons, Gracq le réserve au quartier nantais de Graslin et de la rue Scribe : « L’association intime, inscrite sur le terrain même, de l’exaltation violente que me donnait l’opéra, et de la fascination-répulsion émanée du monde, pour la première fois soupçonné, de l’érotisme le plus cru, faisaient pour un adolescent de ce quartier Graslin le vrai point d’ignition, une zone à haute tension, électrisée par ses pôles contradictoires. »3 Si Gracq surgit dans mon propos pour en devenir bientôt l’objet, c’est qu’il s’inscrit, bon gré mal gré, dans un cercle angevin4 où l’air qu’on respire, les nuages qui passent, éphémères et permanents, les paysages qu’on fixe ou qu’on traverse, les rencontres répétées, les expériences accumulées au fil des jours, contribuent à particulariser les sensibilités, et parfois à les aiguiser, des plus fines aux plus épaisses. Ce point de vue géographique justifie l’entreprise de Georges Cesbron vouée à la littérature de l’Anjou et des Bocages5. Il est certainement partagé par Julien Gracq, témoin la faveur dont jouissent dans son oeuvre les écrivains du pays, principalement Jules Verne et André Breton. Il semblait aussi autoriser les approches que j’ai tentées auprès de Gracq et que ma maladresse a rendues vaines.

2. La forme d’une ville, José Coin, 1988, p. 16. 3. Ibid. p. 89.

4. Le « petit Liré » que Joachim du Bellay préfère au mont palatin (Gracq n’est pas plus tendre pour la Ville aux sept collines) baigne dans la « douceur angevine ». A plus forte raison la petite patrie de Gracq, Saint Florent le Vieil, située en amont sur le cours de la Loire et plus près d’Angers.

5. Voir par exemple : Georges Cesbron, Dix siècles de littérature angevine, Presses de l’Université d’Angers, 1985, 268 p.

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J’ai été mis en présence de Louis Poirier (c’est ainsi qu’on le connaissait alors dans la région) quelques semaines avant ma naissance. C’était à l’occasion d’un deuil ; le jardinier des Poirier appartenait à ma famille et venait de mourir. Cette visite au mort dans la maison de Gracq ne m’a laissé aucun souvenir. J’étais dans le ventre de ma mère et je n’ai pas pipé mot. La même timidité m’a poursuivi vingt ans plus tard lors d’une conférence faite par Julien Gracq à l’École Normale Supérieure en mai 1960. J’étais parmi les élèves et je me souviens de l’acte courageux de fidélité qui fut le sien à l’endroit d’un surréalisme passé de mode6. Je n’ai pas eu son courage et n’ai pas tenté de l’aborder. Autre occasion manquée (et là je retrouve Georges Cesbron) : un colloque sur Gracq, tenu à Angers en 1979, où je fus absent. J’étais alors retenu par Chateaubriand et Proust, qui auraient dû être pourtant de bons intercesseurs mais ne souffraient guère le partage. Dix ans plus tard, c’est Georges Cesbron qui me servit d’intercesseur auprès de Gracq, à l’occasion d’un colloque qu’il organisait sur (et avec) le poète Edmond Humeau. On suivit Humeau dans son pays natal, à Saint Florent le Vieil, où l’attendait son camarade d’école, Julien Gracq. Présentation à Gracq puis rendez-vous.

Cette fois j’osai parler de mon projet de cédérom. Il s’agissait de mettre l’oeuvre de Gracq sur un support informatique et de la soumettre aux investigations hypertextuelles. Rien de tel n’existait encore pour aucun auteur français. Le seul précédent concernait Shakespeare. L’idée ne déplut pas et, fort d’un consentement prudent et non exempt de réserves, je me lançai dans la réalisation. L’éditeur José Corti m’envoya les éditions de Gracq les plus faciles à scanner, à l’exception des Carnets

du grand chemin dont la publication restait à venir. Les opérations de

saisie, de contrôle et de traitement furent prestement menées et dès l’année suivante, la base Julien Gracq était constituée, dans un état provisoire. Je m’étais fondé sur l’édition Corti, mais un système de double pagination permettait de se référer à l’édition de la Pléiade, dont le premier volume venait de paraître. Le résultat fut présenté aux spécialistes de Gracq, lors d’un colloque qui se tint à Cerisy, en août 1991, à l’initiative de Michel Murat, et qui faisait suite à celui d’Angers.

6. Cette conférence a été publiée dans le recueil Préférences sous le titre : « Pourquoi la littérature respire mal. », José Corti, 1961, p. 71 et la Pléiade, vol. l, p. 857.

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La base n’était alors disponible qu’au format Apple, ayant été réalisée dans un environnement Hypercard propre à ce standard. L’écran principal se divise en deux : à gauche les fonctions documentaires, à droite les fonctions statistiques. Dans la version Windows, réalisée plus tard et représentée ci-dessous (figure 1), le même partage distingue les programmes de recherche (dans la marge supérieure) et ceux de calcul (dans la marge gauche).

Figure 1. Le menu principal (version Windows)

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Les premiers donnent accès aux textes, au dictionnaire et aux index et permettent la circulation des uns aux autres, chaque mot étant lié directement à tous les contextes où il se trouve employé. Les méthodes hypertextuelles sont désormais familières et il n’est plus nécessaire d’expliquer ce qu’est une concordance, dont on aura reconnu un exemple dans la figure 2 (emplois du mot paysage). Les critères de sélection varient au gré de l’utilisateur à qui le dialogue ci-dessous est proposé.

Un dialogue semblable commande la recherche des contextes, ce mot désignant le paragraphe, c’est-à-dire une unité de segmentation moins étroite que le découpage arbitraire d’une ligne de 100 caractères7. On peut d’ailleurs étendre autant qu’on veut les limites du contexte restitué. L’illustration de cette recherche est empruntée à la version Windows.

Figure 3. Recherche de contextes (version Windows) C’est le mot statistique qui sert de prétexte à la démonstration. Des cinq emplois qu’on relève dans le corpus, le premier semble justifier notre entreprise, puisqu’il invite à répertorier et à compter les formules chères à Breton, et plus généralement les habitudes ou tics d’écriture à quoi l’on reconnaît la marque d’un écrivain ou d’une époque. Ainsi voit-on Gracq s’interroger sur la fortune incertaine d’un signe de pvoit-onctuativoit-on, les deux points : « Une étude statistique révèlerait sans doute le peu d’usage qu’en ont fait les auteurs anciens (jusqu’où d’ailleurs son usage

7. Chaque ligne de la concordance est cependant liée à la page correspondante, à laquelle on accède par un simple clic. Et cette facilité est offerte aussi à chaque mot du dictionnaire et même à chaque mot du texte. HYPERBASE (c’est le nom de notre logiciel) est un hypertexte généralisé et exhaustif, où tous les mots sont indexés et sensibles au clic de la souris.

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remonte-t-il ?), tout comme sa fréquence grandissante dans les textes modernes. »8 Il utilise la notion de mots-clés en l’appliquant à Mallarmé comme à Breton : « Comme pour la plupart des poètes (on l’a fait pour Mallarmé) et peut-être plus aisément que pour beaucoup d’entre eux, on pourrait dresser à partir de ses livres une liste de mots-clés qui ne manquerait pas d’être instructive (les vocables mallarméens : azur, neige,

cygne, diamant, glacier, s’y verraient remplacés par une série non moins

nettement orientée : "courant" – "sensible" – "magnétique" – "électif" – "désorientant" – "aimanté" – "champ" – "conducteur" – et bien faite pour mettre l’accent sur cette structure imaginative particulière que nous avons cru déceler) »9. C’est effectivement ce que révèle le calcul des spécificités, appliqué sinon à l’écrivain André Breton, du moins au texte de Gracq qui porte ce titre. Il s’agit d’une liste des mots-clés, constituée et ordonnée mécaniquement par rapport à l’ensemble du corpus. De semblables listes sont générées pour chacun des 17 textes du corpus.

8. En lisant en écrivant, p. 258. Une étude à grande échelle, réalisée sur le corpus de FRANTEXT (soit 3000 textes de la littérature nationale), montre en effet que la ponctuation

n’est pas stable. Le point virgule tombe en désuétude et rien ne semble devoir arrêter le progrès du point (et donc le raccourcissement de la phrase). Par contre les chiffres ne confirment pas tout-à-fait le sentiment de Gracq à l’égard des deux points, lesquels se maintiennent sans vraiment progresser.

9. André Breton, p. 147. Autre exemple à propos de Flaubert : « Il y a peu de tics, nés de l’énervement du styla artiste, qui me gênent autant – et chez Flaubert comme chez Zola – que l’emploi réitéré au pluriel des termes abstraits précédés de l’article indéfini : « Des langueurs flottaient...» « Des tendresses le prenaient... » (En lisant en écrivant, p. 74), ou encore à propos de Stendhal : « L’adverbe fort (employé systématiquement à la place de très) et l’adjectif sublime, appliqué aussi bien au physique qu’au moral, aux paysages qu’aux traits de caractère, sont deux des maîtres-mots de l’écriture de Stendhal »

(En lisant en écrivant, p. 69).

Vocabulaire spécifique Breton(forme) N° Ecart Corpus Texte Mot 5 32.8 321 220 breton 5 17.0 1718 263 ) 5 16.8 1727 262 ( 5 16.4 182 79 phrase 5 15.2 213 79 pensée 5 12.8 109 49 surréalisme 5 11.5 2391 258 nous 5 10.8 61 32 manifeste 5 10.3 35 24 automatique 5 10.3 31 23 syntaxe 5 10.2 17321 1183 à 5 10.0 30 22 nadja 5 9.7 307 63 mot 5 9.2 76 30 idées 5 9.1 21 17 trouvaille 5 8.8 29 19 logique 5 8.8 14299 966 d’ 5 8.7 187 44 force 5 8.5 95 31 langage 5 8.5 71 27 groupe 5 8.5 261 52 poésie 5 8.4 344 60 manière 5 8.4 1406 149 être 5 8.2 77 27 poétique 5 8.1 93 29 écriture 5 7.9 4840 374 plus 5 7.9 38 19 tenté 5 7.8 35 18 surréaliste 5 7.8 19 14 magnétiques

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5 7.8 16 13 communicants 5 7.7 5661 422 qu’ 5 7.7 20 14 adhésion 5 7.6 6465 471 est 5 7.6 184 39 amour 5 7.5 66 23 fou 5 7.5 4876 370 se 5 7.5 18 13 influx 5 7.4 45 19 système 5 7.3 19 13 surréalistes 5 7.3 13 11 logiques 5 7.1 74 23 problème 5 7.1 24 14 vases 5 7.0 41265 2427 de 5 7.0 14 11 monnerot 5 7.0 1022 108 peut 5 6.9 4282 325 on 5 6.9 380 55 point 5 6.9 167 34 mots 5 6.9 151 32 conscience 5 6.9 131 30 agit 5 6.8 42 17 exigence

Figure 4 Le vocabulaire spécifique du texte André Breton

Les caractéristiques lexicales propres à Gracq lui-même (par rapport aux autres écrivains de son siècle) sont également relevées par une fonction du programme, dont le résultat est trop riche pour prendre place ici. Les thèmes de son oeuvre romanesque se distinguent de ceux de ses publications critiques, les uns et les autres se mêlant aux leitmotive qui parcourent ce qui dans sa production correspond aux « fragments ». Les intuitions des critiques sont généralement confirmées comme celles de Murat à l’endroit des adjectifs nu, pur, froid, haut, vide, cru10. La

récurrence des constructions syntaxiques est plus difficile à saisir lorsqu’elle s’exerce sur les mots grammaticaux. Elle n’échappe pourtant pas à la vigilance de la machine qui souligne l’abondance des comme, des

semblait, des presque, des plutôt, une préférence donnée à la catégorie

des noms et des adjectifs plutôt qu’au verbe, aux relatives plutôt qu’aux conjonctives, etc. La figure 5, où sont réunis quelques-uns de ces mots de relation, montre dans la colonne 3 (sous la rubrique z) les excédents ou déficits constatés, dont le signe révèle les goûts de Gracq en matière syntaxique.

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Figure 5. Quelques mots grammaticaux Les phénomènes liés à l’évolution qui préoccupent l’écrivain (« L’écrivain devant ses livres, nous dit Gracq, est sensible surtout à son évolution, le lecteur à ses constantes »11) apparaissent lorsqu’on soumet les mots à des calculs de corrélation chronologique, et donnent lieu à deux listes où figurent les mots dont l’emploi va croissant, et ceux qui déclinent. Une courbe12 peut aussi être dessinée pour tout mot, expression ou groupe de mots dont on souhaite illustrer le profil au cours du temps, comme la route et le chemin dans la figure 6.

On peut multiplier les histogrammes, à propos de toute série lexicale que l’on constitue (les regroupements sont possibles). On peut aussi, par la même voie, isoler un texte et dresser son profil à travers les mots qu’il recherche ou qu’il fuit dans la liste qu’on soumet au programme. Ces coups de sonde sont utiles mais peuvent conduire à l’émiettement de l’information.

11. En lisant en écrivant, p. 260.

12. L’histogramme prend appui sur les fréquences relevées dans chaque texte (on en voit le détail dans la figure 5) les transforme en écarts réduits, compte tenu de l’étendue de chaque texte, et les utilise comme abscisses dans la représentation graphique.

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Figure 6. Histogramme des mots route et chemin dans l’œuvre de Gracq Il existe heureusement des méthodes multidimensionnelles qui donnent accès à des vues plus synthétiques. Nous en donnerons un exemple dans la figure 7 qui établit la carte thématique du corpus gracquien. Il s’agit d’une analyse factorielle qui reproduit la distance où les textes se situent les uns par rapport aux autres, quand on considère tous les mots qu’ils ont en commun (deux à deux) ou en exclusivité.

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La place nous manque ici pour développer les multiples fonctions du logiciel HYPERBASE. Un manuel détaillé accompagne le produit, dont les illustrations sont précisément empruntées au corpus de Gracq. Mais si Gracq est présent sur le papier du manuel, il a disparu du produit informatique dans sa version commercialisée. Et le rendez-vous avec le public a été manqué13.

Un problème lié au copyright a surgi en effet au moment de la distribution. Le cédérom a bien été réalisé (et même livré gratuitement à quelques spécialistes et à Gracq lui-même) mais l’éditeur a hésité à donner son accord, en l’absence de législation claire dans ce domaine. Le problème est facile à résoudre quand il s’agit du domaine public, et la commercialisation de notre cédérom Rabelais14 n’a pas rencontré d’obstacle, non plus que celle de la Comédie humaine, qui est en cours.15 Mais lorsqu’un texte est sous ayant droit, les éditeurs, dont les intérêts n’ont pas toujours été respectés par l’audiovisuel et le photocopieur, se méfient plus encore de l’ordinateur et de ses suppôts, principalement des deux supports les plus dangereux : le cédérom et Internet. Cette résistance a freiné la diffusion de FRANTEXT et a obéré quelque temps le lancement

de la station de lecture que la BNF a mis au point.16

La contrainte légale ne gêne guère la scannérisation, ni même l’usage individuel, à des fins de recherche, du texte enregistré. Mais la diffusion est exclue, sauf accord explicite de l’éditeur. Il ne sert à rien de crypter le texte, de le numériser, ou de le rendre seulement virtuel, par des procédures détournées d’indexation. Quel que soit l’accès au texte, simple ou technologiquement protégé, le producteur d’une telle base tombe sous le coup de la loi, dès que le texte est présent, en continuité et en intégralité, sous une forme ou sous une autre. Pour protéger le copyright, il n’est qu’une solution, il est vrai radicale : l’effacement du texte. Nous avons tenté cette voie, étant trop conscient qu’on ne lutte pas à armes égales avec les professionnels du décryptage : l’attaque est tellement plus facile que la défense dans ce domaine. Et plutôt que de s’engager dans la spirale défavorable de l’épée et du bouclier, il est

13. C’est le cas aussi de quelques autres cédéroms que nous avons réalisés sur Éluard et Saint-John Perse.

14. Réalisé en collaboration avec Marie-Luce Demonet (éditions Les Temps qui

courent, 118-130 av. J. Jaurès, 75019 Paris).

15. Réalisé en collaboration avec le GIRB (Groupe international de recherches balzaciennes). Éditions Intermédia , 12 rue Blanche, 75009 Paris.

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préférable de couper définitivement les ponts derrière soi, en supprimant intégralement le texte d’origine.

Restent des bouts de texte, des contextes, de longueur limitée, dont le statut peut être assimilé à celui de la citation et qui, étant incomplets et désordonnés, ne permettent en aucune façon la restitution d’un texte suivi. Les modifications apportées par la version cédérom concernent donc principalement les cartes-texte, qui sont vidées de leur contenu et qui ne montrent que la pagination (dans une ou plusieurs éditions), avec les cinq premiers mots et les cinq derniers de chaque page. Voir l’exemple ci-dessous.

Dernière page du Rivage des Syrtes (version CD-ROM) Inversement des cartes-concordance ont été ajoutées à la base, dans l’ordre alphabétique. Elles délivrent les concordances de l’objet cherché (qu’on peut trier sur le contexte gauche ou droit) et, pour peu qu’on clique sur une ligne, le contexte plus large du paragraphe ou de la phrase. Ainsi préparée la base gonfle considérablement et son volume atteint celui du boeuf, tout en gardant l’agilité de la grenouille. Car la rapidité accompagne paradoxalement l’embonpoint et l’usager est conduit d’un coup à un endroit de la base où sont entreposées, dans des champs cachés, toutes les informations relatives au mot cherché. Comme les résultats ont été préparés à l’avance, ils sont délivrés à la seconde même, l’affichage suivant immédiatement le clic de la souris. En réalité une base ainsi conçue s’éloigne des procédures hypertextuelles et rejoint les réalisations documentaires et traditionnelles qu’on a produites dans le passé : ces recueils encombrants d’index ou de concordances publiés sur papier ou sur microfiches. Le cédérom offre toutefois des avantages décisifs sur les produits anciens : sa légèreté, sa disponibilité, son énorme capacité, son

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faible coût, sa pérennité et surtout son adressage direct qui conditionne la rapidité de consultation.

Cette fois rien n’empêche plus légalement la commercialisation sinon le sentiment d’offrir un produit bâtard, un hypertexte sans texte, un compromis peu glorieux devant lequel l’utilisateur peut faire la grimace. Le distributeur – on le comprend – a refusé ce nouveau rendez-vous.

Reste Internet. Ici règne la liberté avec, aux deux bouts opposés, la sauvagerie et la générosité. Le commerce sauvage, sans foi ni loi, peut s’y donner libre cours et faire fi du droit d’auteur. Mais le Web permet aussi le don gratuit, le libre accès à l’information, sans redevance et sans profit (c’est dans cet esprit d’échange désintéressé qu’il fut créé). On aurait pu mettre sur Internet notre base Gracq sans que quiconque puisse s’y opposer, puisque le créateur d’une base sur Internet garde le contrôle de ses données et peut interdire facilement la diffusion du texte. Au lieu qu’un cédérom lancé dans le public est vulnérable aux viols de toute espèce, les bases de données alimentées par le réseau sont protégées plus qu’exposées par ce même réseau. Un serveur dispose d’un espion qui enregistre toutes les communications et signale les tentatives de viol. Quand le cas se produit, il est facile de verrouiller plus sûrement les approches ou même de fermer sélectivement le robinet. Notre logiciel HYPERBASE a été adapté au réseau et a servi à offrir deux bases, l’une en

accès CGI, l’autre en accès HTML17. Une troisième pouvait être ajoutée sans problème et sans péril. On a cru devoir y renoncer, persuadé que les rencontres indéfiniment repoussées finissent par perdre leur raison d’être18.

Gracq à propos d’une oeuvre inachevée – dont il nous reste toutefois le beau fragment de La Route – confiait à un journaliste qu’il était « impossible de refaire un livre manqué. »19 Sans doute est-il aussi

17. Voici les adresses : http://ancilla.unice fr/rabelais.html et http://Iolita.unice fr/.

18

Ce renoncement n’a pas tenu : en 2016 , soit près de vingt ans après la rédaction du présent article, la base Gracq est enfin accessible au public, sous deux formes: - par internet à l’adresse http://logometrie.unice.fr/pages/bases/

- sur cd-rom, livré avec l’ouvrage Etienne Brunet, Tous comptes faits , textes édités par Bénédicte Pincemin, Champion, Paris, 2016, 417 p.

Bien entendu dans les deux cas le copyright est préservé. On a accès à tous les mots, à toutes les pages et à toutes les fonctions, hormis la lecture suivie et la copie du texte intégral.

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difficile de rattraper un rendez-vous manqué. Mais il reste un rendez-vous suprême, une sorte de Jugement dernier, où les retrouvailles ultimes effacent les rencontres avortées. FRANTEXT peut jouer ce rôle unificateur et c’est là que nous avons placé le trésor gracquien (comme aussi les textes d’Eluard et de Saint-John Perse). Ce trésor est maintenant disponible à tout un chacun à qui on offre par surcroît un millier d’autres écrivains. Musée à mille salles, FRANTEXT, en attendant la B.N.F., est maintenant ouvert sur le Web où se donnent, comme au Palais Royal jadis, mais maintenant à l’échelle mondiale, les rendez-vous.

Figure

Figure 1. Le menu principal (version Windows)
Figure 5. Quelques mots grammaticaux
Figure 6. Histogramme des mots route et chemin dans l’œuvre de Gracq

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