L’évolutionpsychiatrique80(2015)501–513
ScienceDirect
Article
original
La
sécurité
affective
chez
l’enfant
en
milieu
résidentiel
:
des
soins
du
corps
au
bien-être
émotionnel
夽
Affective
security
in
institutionalized
children:
From
body
care
to
emotional
well
being
Pauline
Aprile
(Psychologue
clinicienne)
∗,
Jérôme
Englebert
(PhD)
(Psychologue
clinicien,
Maître
de
conférences)
,
Jean-Marie
Gauthier
(PhD,
MD)
(Pédopsychiatre,
Professeur)
Servicedepsychologiecliniquedel’enfantetdel’adolescent,départementpersonneetsociété,facultédepsychologieetdessciencesdel’éducation,boulevardduRectorat,bâtimentB33,SartTilman,4000Liège,Belgique
Rec¸ule17octobre2012
Résumé
Objectifs.–Cetteétudeexaminelanotiondesécuritéaffectivechezlejeuneenfantplacéendehorsdeson
milieufamilial,viauneanalysedecasenmilieuinstitutionnel.Lebutestdemontrerqu’unesécuritéaffective
suffisantepeutêtreatteintemêmechezl’enfantplacé,ébranlédanssescapacitésd’attachement.
Méthode.–Nouscommenceronsparaborderlanotiondesécuritéaffectivedanssonacceptionpremière,
viaunerevuethéoriquedesonévolutiondanslalittératureàtraverslesannées.Nousévoqueronsensuite
lesquestionsconcernantlebien-fondédel’institutionnalisationautraversdelasécuritéaffective,viala
présentationd’uncascliniqueillustrantlaproblématique.Noustermineronsparunexposédesprincipales
implicationspratiquesconcernantl’optimalisationdelasécuritéaffectivechezl’enfantvivantenmilieu
résidentiel.
Résultats.–C’estavanttoutparlesactesprévisiblesetanticipésduquotidienposésparlesintervenantsen
institutionquel’enfantpeuttrouverunesécuritéaffectivesuffisante,engendrantainsilebien-êtreémotionnel
et,infine,undéveloppementglobaladéquat.
Discussion.–L’enfantséparédesonmilieufamiliald’origineetplacéenmilieurésidentielestleplussouvent
carencéauniveaudesonattachementàautrui.Danscecontexte,lechallengedel’institutionestd’amener
夽Touteréférenceàcetarticledoitportermention:AprileP,EnglebertJ,GautierJM.Lasécuritéaffectivechezl’enfant
enmilieurésidentiel:dessoinsducorpsaubien-êtreémotionnel.EvolPsychiatr2015;80(3):pages(pourlaversionpapier) ouURL[datedeconsultation](pourlaversionélectronique).
∗Auteurcorrespondant.
Adressese-mail: paulineaprile@gmail.com,line38@hotmail.com(P.Aprile).
http://dx.doi.org/10.1016/j.evopsy.2014.08.008
l’enfantà(re-)trouverunesécuritéinternesuffisanteafindeluipermettredeseconstruiresurdesbasesplus
oumoinssolides.Lavieeninstitutionquisesubstitueàlaviedefamillepourl’enfantplacéestavanttout
unestructureorganisationnellequichercheàrendrelequotidiendel’enfantleplusprévisiblepossible,afin
quecelui-cidisposederepèresjournalierspertinentspourseconstruireadéquatement.
Conclusion.– Lejustemilieuaucœurdel’interventionsetrouvedansunéquilibreaffectivo-corporelque
tented’atteindrel’institutionàtraverssespratiquespsycho-éducativesquotidiennesauprèsdel’enfant.
©2014ElsevierMassonSAS.Tousdroitsréservés.
Motsclés:Psychologie;Enfant;Attachement;Institution;Placementdel’enfant;Séparation;Établissementd’accueil pourenfants;Priseencharge;Développementaffectif;Éducateurspécialisé;Pratiquedusoin
Abstract
Objectives.–Thisreviewstudiestheconceptofaffectivesecurityinchildrenlivingoutsideoftheirfamily
environmentbyabriefexpositionofitspracticalillustrationininstitution.Wewanttoshowthatsufficient
affectivesecuritycanbeachievedeveninchildreninstitutionalizedwithmajorattachmentdifficulties.
Method.–Wewillfirstexaminetheoriginalmeaningoftheconceptwithatheoreticalreviewofitsevolution
over the yearsin the literature.Then,wewill considervariousquestionsconcerningthe legitimacy of
institutionalizationin linkwithaffectivesecuritythroughacase analysisillustratingthe issue.Wewill
finallyendbymentioningthemainpracticalimplicationsregardingtheoptimizationofaffectivesecurityin
childreninstitutionalized.
Results.–Itis foremostthroughthe predictable and expecteddailyactsconducted by the professional
caregiversininstitutionthatthechildmayfindsufficientaffectivesecurity,generatingemotionalwell-being
andultimately,anoveralladequatedevelopment.
Discussion.–Childrenseparatedearlyfromtheirfamilyhometobeplacedinaresidentialinstitutionmost
oftensufferfromseriousdifficultiesintermsofattachmentto others.Inthiscontext,theinstitutionhas
todealwithaspecificchallenge:thatis,tohelpthechildto(re-)findsufficientinternalsecuritytoallow
him/hertodeveloponsolidfoundations.Theinstitutionallifethatreplacesfamilylifeprimarilyconsists
ofanorganizationalstructurethatseekstomakethechild’slifeaspredictableaspossiblesothatithasthe
necessarydailybenchmarkstoevolveadequately.
Conclusion.–Inthe everydaylifein institution,the professionalsstrugglingwithchildren’sattachment
disordersconstantlytrytoachieveacorrectemotion-bodybalancethroughtheirpsycho-educationalpractices
withthechilddeprivedofsecureattachmentstrategies.
©2014ElsevierMassonSAS.Allrightsreserved.
Keywords: Psychology;Child;Attachment;Institution;Childplacement;Separation;Residentialhostinstitution; Inter-vention;Affectivedevelopment;Hosteducator;Caregiving
1. Leconceptdesécuritéaffective,d’hieràaujourd’hui
«Àcescréaturesnaissantes,ilmanqueunindiciblesoin...»(SullyPrudhomme,XIXesiècle). Déjààcetteépoque,onécrivaitàproposdecessombresorphelinatsoùlesenfants,placésdès leurnaissance,recevaientlessoinsducorps,uniquement.Cecinousrappelleaussilecasextrême de ces orphelinats monstrueuxde Roumanie [1].C’esten lien avec ce constat quela notion desécuritéaffectiveavulejourpourprendreprogressivementdeplusenplusd’ampleurdans lechampdelapsychologiedu développement.Ce, au-delàdetout cequiaété conceptualisé
sur la «thématique-mère» de l’attachement et de ses troubles depuis les premières décou-vertesthéoriquesdeBowlby[2–4],jusqu’ànosjoursdansdemultiplesétudescontemporaines
[5–7].
On peutraisonnablementavancerquelesintervenantsissusdes institutionsd’hierse trou-vaient dansunesortedelogiquedesurvie:lebutpremierétant dedonnerauxenfantsplacés lessoinslesplusélémentairesafin deleurassurer aminimaunecertainehygiène devieplus oumoinsacceptable[8,9].Auxdépens del’affectif,c’estlesomatique quiaalorslapriorité. Aujourd’hui,onestenquelquesortetoujoursrattrapéparcettelogique:c’estl’organisationnel et les préoccupations du quotidien qui prévalent, avec le risque que l’importance accordée au versant émotionnel ne soit reléguée au second plan [10]. L’intervenant voudrait certai-nement pouvoir sortir de ce schéma, mais souvent, se retrouve cadenassé par la réalité du moment. On saitpourtant àquel pointles carences affectives ont uneinfluence sur le déve-loppementdel’enfantquirisquealorsdeprésenterdescomportementsinadaptésàdiversniveaux
[11–14].
Qu’entend-onalorsparsécuritéaffective?EnsuivantNicoleGuédeneyetAntoineGuédeney
[15],on pourraitdéfinirce concept entant quebesoinfondamentalpourl’enfant dese sentir dansdesconditionsdebien-êtreaffectifminimalpourpouvoirsedévelopperleplusnormalement possible.Onsaitquelejeuneenfantaccueillienpouponnièreouenmaisond’enfantsestlaplupart dutempsgravementcarencéàceniveau[16,17].Parailleurs,sansquece soitnécessairement lecas,ilestsusceptibled’avoirvécuprécocement desexpériencestraumatisantesquil’auront fortementfragilisé:maltraitancephysiqueoupsychologique,négligences,abandons...[18,19]. Cevécuétant émaillédemultiplesruptures,onpeutdirequesa sécuritéexterneouobjective aura été ébranlée, toutautant quesonsentiment desécurité interne ousubjective.Ce double versant,objectifetsubjectif,delasécuritéestuneconditionsinequanonpourundéveloppement socio-affectifharmonieuxchezl’enfant[20,21].
Bienqu’ilnes’agissepasdel’objectifdeladémarche,lesmesuresdeprotectiondel’enfance telsqu’unéloignementfamilialouunplacementeninstitutionreprésentent,ellesaussi,une rup-ture [22,23].Ainsi, l’effet du placement induit un vécude discontinuité: aprèsles multiples rebondissementsvécus danssa jeune histoire,ilse retrouvebrutalement séparéde cetancien milieudevie,plongédansunnouvelenvironnementdanslequeliln’apasderepères[24].Au nomdesaprotectionetdesonéducation,commentluifairecomprendrealorsqu’ilnepourra pas grandir dans sa famille [25]? Lesrepères et lesanciennes habitudes–bien que souvent trèspéjoratifs–sont unenouvellefois bouleversés;la confiancedéjà vacillanteàl’origine se voit de nouveau ébranlée. En effet, l’enfant est désormaisprivé du contact avec ses parents auxquels on peut supposer que, adéquatement ou non, il demeure cependant toujours pro-fondément attaché. Il devra pourtant apprendre à se (re)-construire dans cette configuration nouvelle avec des modes d’adaptation qui lui sont propres. Cependant, il pourra cette fois s’appuyer sur une base solide, à savoir un cadre institutionnel cohérent, ce qui constitue le fondement, le pilieressentiel inhérents au développement d’un sentiment de sécurité interne
[26].
C’estpourquoifaceàlavariétédesdiversessituationsrencontréeseninstitution,leplacement estet doit resterunemesure fondamentale etmêmeparfois vitale pour garantirla protection des enfants [27,28].On n’en parle quetrop peu, mais le placement est dans de nombreuses situationsleseulmoyenpossiblepourl’enfantdereprendrelecoursdesondéveloppementetpar là,degrandiretdesereconstruireharmonieusement[29].Danslecascontraire,leprocessusde constructiondelapersonnalitérisqueraitdepoursuivresastructuration,endéveloppantunefoule demécanismesd’adaptationdontl’objectifseraitd’éviterunesouffrancetropinsupportable[30],
etceaudétrimentdel’épanouissementpsychiquedusujet1.Onconnaîtlerisquepourl’enfant fragilisé d’évoluerversun niveau dedéveloppement extrêmementcarencéà l’âgeadulte: en quêtepermanented’affectionetdereconnaissance–cequiresteunbesoinpermanentcheztout unchacun–,toutenétantcertaindenepaslesmériter–seulepossibilitéappriseetintégrée[32]. Chezlesindividusenproieàuntelfonctionnement,touttypederelationexpérimentéerisquera d’êtremisenéchec,defac¸onvolontaireounon,conscienteounon[33].Cequiserasusceptiblede s’exprimerdedifférentesmanières,selonl’individumaisaussiselonlecontextedeviedanslequel ilévolue:toxicomanie,alcoolisme,dépression,passageàl’acteplusoumoinsgrave,reproduction decemodedefonctionnementautraversdelagénérationsuivante...[34].Toutcelasansévoquer lesévidentsrisquesderetardauseindesautresregistresdéveloppementaux:intellectuel,moteur, cognitif...risquespotentiellementencourusdetoutenfantenréelétatd’insécuritéaffective[35].
Acontrario,unmilieuaccueillant,bienveillant,stimulant,quichercheavanttoutàrépondre auxbesoinsindividuelsdechaqueenfant,peutleurpermettreuneévolutionparfoisremarquable, etdansunlapsdetempsétonnantpourcertains[36].Denombreusesobservationssontlàpourle démontrer,mêmesicelanécessitedes’inscriredansunelogiqueprogressivedepasàpas[37]. Lescapacitésderésilience,ouplusjustementd’adaptation,dontl’enfantestsusceptibledefaire preuvesonteneffettoutàfaitsurprenantes.Toutefois,l’enfantnepourraréalisercelongtravail dereconstructionaveclesadultesquis’occupentdelui,ques’ilsesentunminimumensécurité àleurcontactauseind’unenvironnementperc¸ucommeunrefugesuffisammentsûr[38].
Onpourraitbienévidementparleraussidecequefavorisela(re)-naissanced’unsentiment desécuritéinternechezl’enfant[39].Lesconditionspourquel’enfantbénéficiedepotentialités supplémentairessontlemaintiendel’interactionvisuelle,demeilleuresrégulationsémotionnelles etunmeilleurcontrôledesimpulsions,uneexplorationdel’environnementpermiseparunmodèle internestabledesrelationshumaines,uneappétenceàl’interactionfavorisantleslienssociauxet doncl’intégrationsociale,unmeilleurdéveloppementdescapacitésludiquesetdel’imaginaire,la diminutiondel’agressivité,unemeilleureintégrationdesfonctionsdepensée(espace–temps),un degrésuffisantd’autonomiedansl’activité[40].Cesfacteursprédisposentàunematuritéàlafois émotionnelle,affective,relationnelle,comportementaleetcognitive.Cesbénéficespermettentle développementdescapacitésd’individuationautraversd’unprocessusderétroactionpositive. C’estlàtoutel’originedelasocialisation[41].
2. Sécuritéaffectiveetbien-fondédel’institutionnalisation:analysedecasetréflexion clinique
On connaît l’urgence relative avec laquelle les intervenants en institution sont obligés de composer[42].Seulsfaceàunequinzained’enfantsenmoyenne,ilfautpouvoirassumerla ryth-micitéduquotidien.Leschosesdoiventsefairevitemaisbien.Lecerclevicieuxdel’agissement machinalestleurépéedeDamoclès.Silespréoccupationscorporellessemblentavoirlapriorité, lesémotionsméritentellesaussiuneplacedechoix.Nousverronsdanslepointsuivantcomment cetypedepréoccupationssetraduitdanslesfaits,grâceàl’exposéd’uncasclinique.
Cettesectionapourbutdediscuterd’unemanièreintégrativediverspointsrelatifsàl’analyse cliniqueducasdeBarth,jeuneenfantdequatreansplacéenServiced’Accueiletd’Aideéducative
1 Observonsqueleprocessusd’adaptationpeut,notammentdanscessituations,êtreparadoxal.Lesujet,endéveloppant
desmécanismesd’«adhésion»àsonmilieu,peutrencontreruninconfortpsychologiquequirisqueradesemarquersur leplandéveloppemental[31].
depuis maintenant plusieurs mois. Nousnous attacherons globalement àpasser en revue les quelquesélémentsanamnestiqueslesplusessentielsdel’histoiredusujet.Laplacedelademande, du pointde vuedes parentscomme de celuides autorités mandantes,sera abordée.L’aspect évaluatif,évoquantlesgrandeslignesdubilanréaliséavecl’enfant,seraappréhendébrièvementau traversdeceparcoursdescriptif.Demême,laprogressionéventuelle,àsavoirlestransformations, lespotentialitésévolutives,serontabordées.Nousauronsaussirecoursàuneamorcederéflexion quant à desessais d’hypothèses relativesau fonctionnement psychologique dans ses grandes lignes,enparallèleaveccequel’ondéfinitcommeétantlaproblématiqueprésentéeparl’enfant. Cetteanalysedecasnouspermettrad’appuyernotrequestionnementenlienavecl’élaborationde lasécuritéaffectivechezlesenfantsenmilieurésidentieletdel’étayeravecdesdonnéescliniques. Barthestunpetitgarc¸ondequatreansetdemi,actuellementen2ematernelle.Ilestarrivéen institutionenmai2012,sousmandatdel’autoritédeplacementduServicedeProtectionJudiciaire (SPJ).Cettemesured’interventionestsurvenuesuiteàdegrossesdifficultésrencontréesdansla famillepardesparentssouffrantdetoxicomanie(errance,négligences,laisser-aller...)etdans uneimpassefinancière–leursrentréesinsuffisantes neleurpermettantplusdesubveniràleur consommationdesubstances.Cesontpourtantcesmêmesparentsquiàlabase,sesentantdémunis faceàlasituationetayantpureconnaîtreleurincapacitéàs’ensortirseuls,onteux-mêmesfait appel auServiced’AideàlaJeunesse(SAJ)afinqu’ilintervienneenurgence.L’institutionde placementaalorsétémandatéepourunplacementàcourttermedansunpremiertemps,afinde permettreauxparentsderetrouverunestabilitédeviesuffisante.Trèsvite,différentséléments alarmantsdelasituationdeviedesparentslaisserontprésagerleprolongementduplacement.
Leprojetdetravailaveclesparents,plusparticulièrementlacoopération,restentdoncdifficiles puisqu’onesticidansunparadoxe:ladémarcheàl’origineprovientd’eux,orilsnes’attendaient pasàcequeleplacements’éternisedansletemps.LeServiced’Aideàlajeunesseaurarapidement dûpasserlamainauServicedeProtectionJudiciaireétantdonnélaréticencedesparentsàaccepter unplacementdésormaisannoncéàmoyenterme,etàcoopéreravecdifférentsservicesdeseconde lignemandatésafindeleurvenirenaide.L’objectif ultimeduplacementestenréalitéqueles parentspuissentparveniràseprendreenmain,qu’ilsentreprennentlesdémarchesnécessaires afin deprocéderàunenouvelletentativededésintoxication etqu’ilsdeviennentainsiàmême de proposer uncadre familial «sein»–dans lesensmaternel, suffisamment bon–, sécurisant etprotecteurpourleurstroisenfantsviadelaguidanceparentaleàdomicile.Eneffet,Bartha égalementunepetitesœurdetroisansetdemiainsiqu’unpetitfrèred’unan,lapremièreplacée auseindelamêmeinstitutionqueluietlesecondplacéenpouponnièredansunpérimètreproche. Lescontactsaveclesparentssontrestéssoutenusdepuisledébutduplacement.Ilsétaientde l’ordredetroisfoisdeuxheuresparsemaineaudépart,maisdepuislemoisdeseptembre,les enfantsrentrentenfamilledumardimatinaujeudisoir,ainsiqueledimancheenjournée.Nous avonsplussouventaffaireaupapaquinoussembleêtredebonnevolonté,davantagemotivéet s’investiravecplusdedétermination.Lamamansemontrefuyanteetévitante.Elleestincapable defaireconfianceetrestelepluspossibleàdistance.Cependantetmalgréleurrelativerégularité, tousdeuxrestentméfiantsetrevendicateurs,sedécourageantsouventdevantl’éventualitédene paspouvoirrécupérerleursenfantsdansundélairaisonnableàleursyeux.Ilsnereconnaissent quedifficilementleurserreurs,prétendantfairedeleurmieuxetnepaspouvoirfairedavantage. Deleurpointdevue,lafauteestextérieureetlesdifférentsservicesmandatésn’agissentenrien dansleurintérêtmaischerchentsimplementàlesenfoncerafindelesempêcherderetrouverleurs enfants.
Barth,lui,demandetrèssouventaprèssesparents,illesréclame,illesattendtoujoursavec impatience.Ilsemblemanifestementtrèsheureuxdelesretrouverlorsdechaquevisite,surtout
samamanquinecachepaslepréféreràsesdeuxautresenfants.Audébut,Barthétaittrèsexcité etdisperséenleurprésence,demêmequelesretourseninstitutionétaientfortdifficileset accom-pagnésdegroschagrins,decrisesàlaséparation.Maisaujourd’hui,Barthrevientrégulièrement danslesmursdel’institutionaveclesourireetlasatisfactiond’avoirpasséunmomentagréable danssonmilieufamilial,auprèsdesesparentsetdesa fratrie.Ilcommencetoutdoucementà s’adapteraurythmedecesretoursmêmesilesensdesesallersetvenuesrestesansdoutequelque chosedecompliquéàcomprendrepourunenfantdesonâge.
Àsonarrivéeeninstitution,onsentqueBarthestunenfantquiabeaucoupétélivréàlui-même. Iln’estpaspropreetprésenteplusieursretards,bienqu’ilsoitcependantscolarisé.Ainsi,audébut duplacement,onluitrouveuncomportementétrange:lesourire figé,ilestdifficileàdécoder etpeutbeaucouperrerauseindugroupe.Barthestaussitrèsobservateur.Ilesttimide,unpeu inquietetsurladéfensive,ilsembleavoirdumalàselivrer.Ilexprimepeudechoses,estplutôt effacéparmilesautresenfants,pasvraimentinvesti.Danscesens,l’équipeletrouveénigmatique, moinsauthentiquequesasœur.Ilcollebeaucoupl’adulte,mêmeceluiqu’ilneconnaîtpas,ilest assezdésinhibéenversl’étranger.
Aprèsunebonnesemaine de placementdéjà, nouspouvons observer queBarth recherche désormaisavecinsistancelecontactavecl’adulteetcommenceàtesterleslimitesimposées: mettredusenssurcequiluiestpermisetcequiluiestinterdit.Ilpeutalorsleverlavoix,faire unepetitecolère.Danslemoisquisuitsonarrivée,ilestfréquentqueBarthrefusecequ’onlui demandeainsiquelasanctionqu’onluidonne.Ildevientalorsimpératifdemaintenirlecadre plusfermement.Aufuretàmesure,nousobserveronsuneévolutionparrapportàcelacarBarth acceptedemieuxenmieuxlapunitionquandonluienexpliquelesraisons,ilpeutsecalmerplus rapidementetsemblemieuxcomprendrelesrèglesquel’ontented’établiraveclui.
Plusletempspasse,plusBarthrecherchelecontactavecl’adultequ’il atendanceàsuivre partout.Il aimerendreservice etêtre valorisé,ilen esttrèsfier.Ilestégalement soucieuxde l’imagequel’onadelui:ilbaisselatête,cachesonvisagelorsquenousl’interpellonsparrapport àsesbêtises, leregarddel’adultepeutmêmesuffireàlefairerenoncerouàlerendreconfus. Nousavonsdoncaffaireàunpetitgarc¸onquicherchelarelation,quisaitàlafoistesterlecadre maiségalementlerespecterselonlemoment,mêmes’ilpeutencorefairedespetitescolèreset s’opposeràl’adultedetempsàautres.Cecôtéfortprochedel’adultepeutparfoisdeveniragac¸ant lorsqu’ilrépètetoutletempslamêmechoseouqu’iljouesansarrêtaupetitrapporteur.
UnélémentquinouslaissepenserqueBarthabesoinetestenrecherchedeconfianceetde permanencepour pouvoircréerlelien ets’investirdanslarelationestjustementlaproximité qu’ilentretientaveclacuisinièredel’institution.Aprèsunmoisetdemid’hébergement,ilreste delongsinstantsauprèsd’elledanslacuisine,discutevolontiersavecelleplusqu’avecd’autres, chercheàl’aiderdanssestâches.Quandellenetravaillepas,illaréclame.Illuiarrivemêmedese laisserréconforterparellelorsqu’ilesttristedequittersesparents,alorsqued’autreséchouentà leconsoler.Cependant,lesintervenantssequestionnent:selonleséducateurs,ilestimpératifde resterattentifàmaintenirunejustedistancenécessaireentreeuxafind’éviterdecréerunerelation dedépendancequiaufinal,nepourraitquenuireàl’enfant,voiremêmeàl’adulteconcerné.
Auniveaudesescapacitésgénérales,audépart,nousnel’entendionspasbeaucoup.Barthétait sitimidequenousnousdemandionss’ilavaitmêmeétéintroduitàlaconnaissancedeschoses élémentaires pour un enfant de son âge: distinguer lescouleurs, reconnaître diversanimaux domestiques,nommerdesalimentsaumomentdurepas...Petitàpetit,nousnoussommesrendu comptequ’ilétaitcapableremplirdenombreusesactivités.Parexemple,ilnommelespartiesdu corpsetlesimagesdansunlivre,ilsaitlesreconnaîtrelorsquenouslescitons,ilcommenceà compterens’aidantdesesdoigts,ilnousmontrequ’ilconnaîtnosprénomsaprèsmoinsdedix
jours... Ilestdeplusenplusbavard,ils’exprimedavantagesur cequiéveillesacuriosité.Il épateparfoisl’adulteparsesconnaissancesqu’ilprendplaisiràmanifesterenfaisantremarquer leschosesqu’ilconstate,eninterpellantnotreregardetnotreattention.
Cependant,nousavonsviteconstatéunretarddansleregistredulangageetprincipalement del’articulation.Mêmesilefaitqu’illuimanquesesdentsdedevantl’handicapepourle posi-tionnementdesalangue,nouspensonsqueleproblèmenesesituepasseulementàceniveau-là. Àl’école,l’institutricenousrejointparrapportaufaitqueBarthabeaucoupdecapacitésmais quesonlangage,etparticulièrementsonarticulation,laissentfortementàdésirer.C’estpourquoi l’équipeenvisagedemettreenplaceunsuiviorthophonistepouryremédier,maisattenddevoir commentleschosessuiventleurcoursafindenerienprécipiter.Parcontre,ilparaîtimportantde resterattentifàreformulercequ’ilditoumêmecequ’ilressentafindel’encourageràévoluersur cepoint.
Danslaviequotidienne,Barthsemontre débrouillardetautonome.Ilsaitsedéshabilleret s’habiller ainsiqueselaver seuldanslabaignoire etse brossersesdents.Ilestpropre,même s’ilporteunlangelanuitdanslequelilnevacependantpasàlaselleetqu’ilnemouillepas systématiquement.Ilmangeproprementetutilisemêmelecouteau.Ilsaitattendresontourpour différentesactivitéstelsquelesrepas,lebain,lecoucher...Ilestcapabledetenirsoncrayon correctement.Ilpeutégalementracontercequ’ilafaitdanslajournéemêmes’iln’estpastoujours évidentpournousdecomprendrecequ’ilessaiedenousdire.Audébutduplacement,ilestarrivé plusieursfoisqueBarths’endormedanslasalledeséjourenfind’après-midi.Parcontre,ilne s’endormaitpasdirectementlesoirdanssonlit.Était-ilinsécurisé?Nousavonschangésonlit deplace,etmaintenantqu’ilsembleplusposéauseindel’institution,celan’arriveplus.Ilpeut parfoisfaireunpeu«chambard»,cherchantàcequelesautresenfantsdesachambreviennent àleurtoursecoucher,maisilselaissefacilementrecadrer:ilestfortprobablequeleurprésence lerassure.
Encequiconcernesesjeuxetsescompagnonsdejeu,onpeutdirequ’ilssontplutôtdiversifiés. Barthpeuts’occuperseul,cequiétaitsurtoutlecasaudébutduplacement.Maispetitàpetit, il s’estaussihabitué àprendrepart àdesactivités ludiquesencompagniedesautres,en petit groupe.Onpeutl’observerdansdiversjeuxmoteurs,levoirdessiner,découper,colleroulireun livre,jouerautricycleouaumoduleàl’extérieurdanslacours,s’appliqueràsespremiersjeuxde constructionetmêmeparfoiscommenceràavoirrecoursàdesjeuxdetypesymbolique,comme le«faire-semblant»,quecesoittoutseulouenprésencedesautres,garc¸onsoufilles,petitsou grands.
Ensoirée,il préfèrejoueraveclespluspetitsoumêmeavecl’unoul’autrecamaradeplus grandqueluiplutôtquederegarderlatélévision.Parfois,l’excitationestgrande,ilpeutfairele petitfouavecd’autresenfants.Danscescas-là,iln’écoutepas,ilrigole,ilnefaitpasattentionaux remarquesquiluisontadressées.Parcontre,lorsqu’ilarriveaussiqu’ilsuivelesautresdansdes bêtises,ilestplusattentifauxinterpellationsetleregarddel’adultepeutfortementlefreiner.Ilest fortprochedesasœur,mêmes’ilsepeutparfoisqu’ilssoientenconflit.Ilsemontretrèsprotecteur enverselle:ilprévientl’adultequandellesefaitmal,etmêmequandelleestalléeàselle!À présent,onvoitqu’ilsaitàlafoistesterlarelationauxautresenfants,serapprocher,s’adapter, sedisputer,s’accommoder...Bref,seconduiredefac¸ondavantagemoduléeetbeaucoupmoins figée.
Auniveaumédical,Barthestsuiviparunpédodentistecarsespetitesdentssonttrèsabîmées. Eneffet,iln’aplusaucunedesesdentsdedevant.Celaestdûaubiberoncacaotédonné quotidien-nementenguisederepasdepuissanaissance,cequiaprovoquédenombreusescariesdebiberon. Iladéjàsubiuneinterventionchirurgicalequineserasansdoute pasladernière.Nousavons
égalementconstatéàplusieursreprisesdemauvaisessellesainsique,pendantunepériodeplus courte,desvomissements,surtoutdurantsonsommeil etaudébutduplacement.Celapourrait êtreliéauchangementdemoded’alimentationlorsdesespassagesàlamaison:nourriturepeu adaptéeetàdesmomentsirréguliersquandilrentreenfamille;menussains prédéterminésà heuresfixeseninstitution.Sonpetitestomacnesupportepastoujourslechocdelatransition.
Àcesujet,Barthestsuiviparlepédiatreaprèschaqueincident.Lorsdesa premièrevisite d’entrée,ilsemontretrèsméfiant.Ilrefusedeselaisserexaminer,mêmelorsquesonéducateur référentl’accompagne.Ilcrieetsedébat.Ildevraêtrerevudeuxjoursplustardetsonéducateur luienreparlera aupréalableafin del’ypréparer.Il al’airdebiencomprendre,faitnon dela tête, sesyeuxse remplissentdelarmes,ils’oppose etlèveleton.Àprésent,il n’esttoujours pastrèsrassurélorsqu’ildoitsefaireexaminermaispeuttoutdemêmeselaissersoignerplus facilementqu’auparavant:celaestcertainementdûaufaitqueBarthpeutmaintenantparvenirà fairedavantageconfianceenl’adultequil’entoureunefoisquel’adulteenquestionaprissoin d’installerlarelation,detravaillerlelien.
En résumé,on peut dire queBarth étaitun petitgarc¸on qui se trouvait dans unelogique d’oppositionàl’égardd’autruilorsdesonarrivéeeninstitution.Ilapufairedegrossescolères lorsdefrustrationsdiverses,cequireflète lemanqued’instaurationdelimitespréalablesdela part de sesparents dans sonmilieu de vie familial.Aujourd’hui,on peuttoutefois ledécrire commes’insérantdansunajustementrelationneljusteetéquilibré.Ilsemblepositifqu’ilreste désormaisplusfacilementsurladéfensiveetsemontremoinsdésinhibéenversdespersonnes qu’ilneconnaîtpasencoretrèsbien.Unefoisquelarelationsestabilise,onalesentimentd’avoir affaireàunpetitgarc¸onqu’ilesttoutàfaitpossibled’approchertoutendouceur:Barthsedétend progressivement,iln’estalorspasraredeletrouverattachant,etl’onpeutdirequelui-même s’attachebien.
Ilpeutdoncfaireappelàl’adultelorsqu’ilsesentenmanqued’affectionetaccepterainsiune certaineproximité,etcedéjàaprèsunmoisdeplacement:venirletrouver,rechercherlecontact physique(commefairedescâlinsoudemanderàêtreporté), montrerqu’ilestcontentdevoir certainespersonnescommesonéducateurréférentoulacuisinière,êtredanslacomplicitéetdans l’échangerelationnel.Lesdifficultéspersistentcependantauniveaudelacommunicationverbale etdudialoguepuisqu’ilparvientdifficilementàse fairecomprendre,cequinel’empêchepas deparler,des’exprimerbienplusqu’àsesdébutseninstitution.Ils’agitévidemmentd’unpoint essentielàsurveillercarsusceptibled’engendrer,dansunsecondtemps,diversesdifficultésau niveausocial,notamment.
Nousavonspréféréfairegrâceaulecteurd’uneexplicitationdétailléedelasituationjuridique trèscomplexequi tourneautour decette analysedecas. Ilserait laborieux des’attacheràsa descriptionprécise,etcen’estdetoutefac¸onpaslebutici.Notonstoutefoislechaos,letumulte qui s’endégagent.L’insécurité,ledoute aussi: oùallons-nous aveccesenfants quivont, qui viennent,etdontleretourdéfinitifenfamille,auseind’unmilieusipeusûr,restetoujoursprésent entoiledefond?Entantqu’intervenants,commenttravaillerdanscetteéventualité?Comment aiderBarthetsesparentsàpréparerceprobableretour,alorsquenousnepouvonsnous-mêmes, nipersonne d’autre,l’anticiper concrètement?Comment pouvons-nousaiderl’enfant àgérer sesdépartsetretoursdeweek-endseninstitution,àleurdonnerdusens?Commentpersévérer danslacoopérationaveclesparents?Cesquelquesquestionsnesontquel’aperc¸urestreintd’une multituded’interrogationssupplémentairesquigravitentautourdecettesituation,maisqu’ilserait impossible,parsoucidecommodité,depasserenrevuedansleurentièreté.
Ainsi,malgrétouteslesdifficultésetlacomplexitéinhérentesàlasituationencause,ilsemble queBarthsoitunpetitgarc¸onquivabien.Evidemment,ils’agitderesterparticulièrementattentif
àcertainsaspects,danslalignéedesdiversobjectifsfixésàcourt,moyenetlongterme.Excepté cesquelquespointsquionttouteleurimportance,etcompte-tenudesonparcours,sansdoute Barthest-ilunenfantpleinderessourcesetquisaitapprendreàenfaireusage.Certainsenfants, dontlasituationfamilialeparaîtpourtantcatastrophique,parviennenttoutdemêmeàs’ensortir, c’est-à-direàfonctionnerdefac¸onadéquatedansl’icietmaintenant.S’adapter:onpeutpenser quebeaucoupd’enfantsyparviennent,sansforcémentdévelopperunsymptômeapparent.Quoi qu’ilensoit,certainsenfantspeuvents’attachercorrectement,établirdesrelationsadéquatesaux autres,sedévelopperplusoumoinsharmonieusementau-delàdequelquespetitesembûchesqui serésolventfacilement,avecuneaideetunsupportsoutenus:àsavoirici,desprofessionnelset unenvironnementdeviesubstitutifdequalité,notamment.IlsemblequeBarthsoitl’undeces enfants.Certes,rienn’estcourud’avanceetils’agitderestervigilant.Nousn’avonsd’ailleurs donnéiciqu’unephotographied’unpetitêtreendéveloppementamenéàévoluer.Mais,dansla perspectiveoùlasituationfamilialeresterasuivieetdanslalignedemiredesservicesd’aideàla jeunesse,cequel’onpeutlégitimementsouhaiter,ilyadeforteschancesquelepronosticévolutif del’enfantrestefavorable.
Insistonsderechefsurlefaitquel’adaptationn’estpassynonymedebien-êtrepsychologique. Ils’agitplutôtd’unprocessusquisemetenplaceparfoisaudétrimentdel’épanouissement psy-chiquedusujet,lorsquecelui-citentederépondrefavorablementauxexigencesqueluiimpose unenvironnementpotentiellementdéfavorable.Danscecontexte,cequel’enfantdonneàvoir estdonclatraductiondesmoyens quiluisontpropresafindeparveniràfonctionnerdefac¸on suffisammentadéquateauseind’unmilieuquinécessiteuneadaptation,aurisque,quenous qua-lifieronsdenécessaire,desurvie.Voiciprobablement,d’unpointdevuethéorique,l’enjeucentral etparadigmatiquedel’évolutiondel’enfantvivantlatransitionentresonmilieud’origine–qui nécessairement auraposé problème–etlemilieuinstitutionnel–àpartirduquelilestamenéà trouverouretrouverlastabilitéetl’harmonienécessaireàsondéveloppement.D’uneadaptation àl’autre,cellequioccupel’institutionetsesintervenantscherchera,làoùlemilieufamilial anté-rieuràfailli,àallieretconcilierlafacultéd’adaptationdel’enfantetsonbien-êtrepsychique.Ce processusnécessiterad’êtredéveloppemental,des’inscriredansletempsetdefavoriser,àune réactioninstantanéeetd’urgence,le«longterme»etlaprisederecul[43].
3. Quellesimplicationspratiquessurleterrain?
Dansl’optiquedeculturedulienetdelarelation,lapérioded’hébergementeninstitutionaura pourbutdetravaillersurleressentiaffectifprofond.Lafonctionpremièredel’institutionserade tenterderestaurercesentimentdesécuritéaffectivepropreàchacundesenfantsaccueillis,avecdes agissementsbasésavanttoutsurl’observationdeleursbesoinsrespectifs.Cesobservationsmettent enévidenceetdemanièreunanimelebesoinprimordialdel’enfantderencontrerrapidementdes repèresstablesetdepouvoirsereposersurunenvironnementfiable.Afindefavoriserl’émergence desfacultésd’adaptation,cecontextedeviedoitêtrelepluscontinu,cohérentetprévisiblepossible dansplusieursregistres:l’organisationdesdétailsdelaviequotidienne(àtraversprincipalement lesdimensionsdel’espaceetdutemps),lesmodesdefairedesadultesquis’occupentdel’enfant ainsiqueleursattitudesrespectives(ladimensiondelapersonnequiagit).
Ils’agiradoncd’offrirdespointsderepèresclairs,équilibrésetbienveillantsafindepermettre à l’enfant dese structurer et decontinuer à grandirconvenablement. Bien entendu,cela doit s’effectuerdansladuréeets’inscriredansunelogiqueprogressive.L’undesobjectifssera notam-ment derestreindre lamultiplicité desinterventionset desintervenants eux-mêmesainsi que defavoriserl’établissementd’unerelationdequalitéentrel’enfantetsonéducateur.Larelation
affectiveprivilégiéeentrel’enfantetl’adulteainsiquelaformequ’elleprenddansl’institution autraversd’unejustedistanceoccupedoncuneplacedechoix.Maisl’aménagementdulieude vieainsiquel’organisationpréciseduquotidiensonttoutautantessentiels.Ainsi,pourparvenir àêtredanslerelationnel,ilestindispensabledepasserd’abordparuneréflexionsurlefaireau niveaudel’organisationnel.
Touslesmoments-clésduquotidien sontdoncàexploiter:lelever, lesdifférentsrepas,la toilette,lecoucher... Lessoinsengénéral,qu’ilsrelèventdu«handling»oudu«holding»selon lestermesdeDonaldW.Winnicott[44],ontpourfonctiond’offriràl’enfantdesinstantspersonnels etpersonnalisésdurantlesquelsson/seséducateur(s)luiprocurentdestempsquotidiensdédiés àl’écoute,l’attention,l’expressionetl’échange.C’estlàl’undesfondementslespluscapitaux dutravaileninstitution.Ledéroulementd’unejournéetypeauradoncpourobjectifd’offrirà l’enfantunmaximumdesécuritéinterneenétantleplusprévisiblepossible:
• deslieuxdistinctssontréservésàdesinstantsciblésparticuliersdelajournée;
• l’éducateurencadrelesrepaspourencouragerchaqueenfantdanssesapprentissagesetfaireen sortequetouss’alimententenfonctiondeleursbesoinspersonnelsetdeleurproprerythme; • lessoinsducorpssontprodiguéschaquejouretviauntourderôlequiassureraàl’enfantqu’il
yauradroitsystématiquement;
• lamiseaulitseferaégalementdefac¸onindividuelleetàtourderôle,toujoursidentiqueet souventparlemêmeéducateurchargédestâchesprécédentes.
Plusconcrètementencore,sil’onsepositionnedupointdevuedel’enfant,celasignifiequ’il doitpouvoiranticiperetprévoir2:
• quivas’occuperdeluietcommentcesadultesenquestionvonts’yprendrepourlefaire(aspect delajustedistanceaffectivedanslapriseencharge–dimensiondelapersonnequiagit); • où il va pouvoir manger, dormir, se laver, jouer, apprendre (aspect des règles et des
limites–dimensiondel’espace);
• quandtoutescesactivitésprécisesaurontlieu,quandilseramisencontactavecsesparents/sa famille éventuels et surtoutquand il pourra bénéficier d’un moment de relation privilégié en têteàtêteavecl’undesadultes quis’occupentde lui(aspect dudéroulementdu quoti-dien–dimensiondutemps).
Concernantl’attitudedel’adulte-intervenant,c’estgrâceàsadisponibilitéetsapermanence, maisaussiviasaprésencerassurante–qualitésmajeuresdontdoitdisposertoutéducateur spé-cialisé–quecelui-ci acquerra le statut d’élément de stabilité dans la vie de l’enfant dont la connaissancedeviendrade plusen plusfine. L’undes objectifs fondamentaux del’adulteest notammentdedéfinirdesespacespotentielsaudéveloppementdelanarrativitédel’enfant,afin qu’ilpuisseparveniràsesituerdanssaproprehistoiredevie.Danscettelignée,ilseraquestionde
2 L’anticipationetlaprévisionsontdesnotionstoutàfaitfondamentalesdansleprocessusdedéveloppement
psycho-logiqueetd’adaptationdel’enfant[45].L’essentielneselimitepasàpouvoiragiretréagirenfonctiondecequenous proposel’environnement.Ilconvientégalementdepouvoirprovoquersoi-mêmelechangementetdemodifier spontané-mentsonmilieudevie.Eninstitution,lerôledel’intervenantn’estpasdefaireensortequel’environnementdel’enfantsoit complètementdépourvudechangements.Ils’agitplutôtd’aiderl’enfantàanticiperetprévoirprogressivementl’évolution potentielledesonmilieu.Ilfautapprendreàl’enfantàfairefaceàlanouveautémaiségalementàlasusciter,voireàla réclamer.
luiprocurerdesréponsesspécifiquesàsesbesoinspersonnalisés,demettrel’accentsurladuréeet lacontinuitédansl’interventionpourviseràl’établissementd’unerelationdeconfianceentreles deuxacteursenprésence.Chaqueenfantrecevraenoutrelaguidanceetl’accompagnementpar unéducateurréférent.Celui-cioccuperaalorsàsonniveauuneplacedegarantdel’intervention vis-à-vis del’équipeéducativetouteentière.Il luifournira ainsiunlieu d’écoute,d’attention, d’échangeetd’expressiondavantageprivilégié.Pourtoutescesraisons,etbiend’autresencore, c’estlerôled’éducateurquiestsansdouteleplusmisenvaleurenmilieuxrésidentiels:l’éducateur estbeletbienlapersonnequiportel’institutiondanssonquotidien.
Nous parlons de celui qui agit au quotidien avec l’enfant placé. Intervient iciune notion essentiellepourtoutprofessionneldel’enfancequelqu’ilsoit,méritantd’êtreexplicitée.Nous lui donnons le nomde «transfertcorporel» [46]. Dans letravail qu’il réalise avec l’enfant, l’intervenant en institution(éducateur, puéricultrice, psychologue) voit son corps sollicité en toutepremièreligne.Demanièregénérale,lecorpsestleprincipalvecteurcommunicationnel àtraverslevécuémotionneldesdifférentsprotagonistesd’unerelation.Maisavecl’enfantplus spécifiquementencore,l’échangepassed’abordetavanttoutparlecorps.Ilestévidentquel’adulte peutdireavecdesmotscommentilsesentetcequinevapas.L’enfant,lui,n’apaslesmots.Ildit sonressentiavecsoncorps.Onestd’embléeenpleinplongédanslelangagecorporel.Lepremier outildetravaildel’intervenantauxprisesavecunenfantestdoncsonproprecorps.Ondittoujours quelethérapeuteenrhuméetfiévreuxaurabeaucoupdemalàentrerenrelationadéquatementavec sonjeunepatient.Celuiquiapeurdesesaliroucraintlecontactphysiquerapprochéégalement. L’enfantnousmobilisespontanémentetdirectementparlecorps.Ainsi,l’intervenantdoitêtreau clairavecsonproprecorpsàluietsadimensionrelationnellepropreavantdepouvoirêtreapte às’investircorporellementdanslerapportàl’enfant.Cequenousrenvoyonscorporellementà l’enfantestdoncdelapremièreimportance.C’estcequenousappelons,encorollaire,le« contre-transfertcorporel».Vectricedechangement,cettedimension-miroirserapriseencomptecomme élémentmoteurdutravailthérapeutiqueinscritdansunerelationémotionnelleetsubjective.Et encoreunefois,lethérapeuten’estpasleseulàs’yretrouverconfrontédanssapratique.Tout intervenantquotidiennementeninteractionavecl’enfantplacéesticiconcerné.
Quoiqu’ilensoitetceciétantdit,lemessageprincipalàretenirrestequec’estenvivantdans laduréed’unenvironnementpermanent,stableetcohérentquel’enfantpourraespérertrouverles ressourcessusceptiblesd’apaisersonsentimentd’insécurité.Cen’estalorsquedansundeuxième tempsqu’ilseraamenéàreprendrelecoursdesondéveloppement:jouer,réagirauxstimulations etdoncapprendre,édifierlesentimentdeconfianceensoi,éveillersescapacitésd’autonomieetde socialisation.Laplupartdesobservationsconfirmenteneffetquec’estnotammentens’attachant àobserverlamanièredontunenfantjoueetexpérimentesesalentoursparmilesautresquel’on peutrécolterdeprécieuxrenseignementsquantàlaqualitédesonsentimentdesécuritéinterne: repérercommentl’enfantbouge,utilisesoncorpsetceluidesautres,manipulelesobjets,raconte etseraconte,faitsemblantouaucontraire,commentiln’agitpas,nerechercheounerépondpas àl’interaction,resteenretrait,dansunesortedepassivitéfigée.
Enconclusion, nous pourrions suggérer quelebutultime duplacement estderedéfinirla notion d’adaptationdans l’optiqued’allieradaptationetbien-êtrepsychiquechez l’enfant.Ce bien-êtrepsychiquenedépendpasuniquementdelaqualitédessoinscorporelsprodigués,mais aussidelaplaceaccordéeauxémotions.C’estl’originedelasécuritéaffective.Dupointdevue del’enfant,laprévisibilitéamènelasécuritéquidonnelapossibilitédes’engagersereinement dans sonactivitéce quiinduit calmeettranquillitédanslesmoments derelation. Maisil est clairquesilefonctionnementinstitutionnellui-mêmeneplacepasl’enfantetsesbesoins,tant somatiquesqu’émotionnels,aucentredesesréflexionsetdesesaménagementslesplusconcrets
possibles,leplacement ne mèneraqu’à unenouvellerupture, éminemmenttraumatique. Une rupturequineferaqueconfirmerlesexpériencesdeviepréalablesdel’enfantdurantlesquelles sesbesoinsparfois lesplusélémentairesn’ontpasété rencontrés.Pourl’institution, ils’agira doncd’accueillirpleinementl’enfantdanssonindividualité,deleconsidérerdanslerespectde sesbesoins,deveilleràsonépanouissementdanslesoucidesonbondéveloppement.Bref,de luirendresaplaced’enfant.
Déclarationd’intérêts
Lesauteursdéclarentnepasavoirdeconflitsd’intérêtsenrelationaveccetarticle.
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