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(<" ATHENA! SE» DE KATE CHOe! N
suivi de
PRISMES DE LA TRADUCTION LITTERAIRE
by
Sylvie MCKay
A thesis submitted to the
Facul ty of Graduate Studles and Research ln partia l ful f 1llment of the requ 1 rements
for the degree of Master of Arts
Department of French Language and Li terature McGl11 university, Montreal
March 1990
Je remercie la professeure Annick Chapdelaine qui a bien voulu diriger ce mémoire et dont l'encouragement et les critiques judicieuses ont soutenu mes efforts.
Je remercie 'gaIement M. E. Popescu et M. S. Amnotte de leur aide précieuse.
•
..
.
Gyl Vle MeKay
Maitrise ~9 Arts - Univerôlt' MCGill
Département de langue et littérature françaises
RESUME
La partie création de ce mémoire est une traductlon de
la nouvelle «Athénaïse» tirée du recueil A Night in Acadie
de l'auteure américaine Kate Chopin. Cet te trad Ilct ion, dp.
type 11tt'raliste, se veut f idèle au t(';·:te de' d~p.-at.
orientse ver:::. 1.:;, <'--lettre>-' et l'e:::.prit de la nOllvelle
abordée, elle en reproduit la majorité des caractéristiques.
En tenant compte du style littérai~e propre A l'auteure et
du rythme de l'écriture, cette traduction transmet au lecteur
les particularités culturelles et stylistiques du texte
origlnal et lui donne le~ indices voulus pour situer le texte
tradui t par rapport.5. la langue de l'allteure et son conte:<te
culturel.
Nous nous proposons de montrer, dans la part il_' Gr 1 t 1 que
de ce mémoire, comment introduire dans la langue traduis~nte
«l'étrangeté» du texte original. c'est au travers de
diff'rents prismes de la traduction littéraire que nous
parvenons à transmettre la gpsclficlté de l'original:
connaissance de l'allteure Kate Chopin, de son oeuvre, de sa
culture et analyse de son style littéraire et de~ technjqucs
(
qu 1 elle.:;t été él.3.borÉ>e par Antoine Berman, des tJ:O 1:3 figures
traditionnelles de la traduction en Occident. Nous faiôons
une analyse critique de notre propre traduction, exercice à
la tols linguist1que et sociOlinguistique, pour d8montrer que
nous .3.VOnB évit.É> la e.ystélilatlque de dÉlform.3.tion dn te:-:te afin
.... ABSTRACT
..
The creative section of this thesis 1s a translation of the short story "Athénaise" drawn from the anthology A Nlght ln Acadie by the Amerlcan author Kate Chopin. This piece of work claims to be a "llterallst" translation true te the original text. It is oriented towards the literary aspect
and once the essence of the short story has been c1eal t \ri 1 th,
it reproduces mest of the characteristlcs from the originai.
Thle. tran~.lat1on conveys the cultural and styl1stlc feature~.
of the or iglnal text by taking into account the 03uthor' s 1 iterary style. l t also g ives the proper hints to set the translated text in perspective wlth the original's cultural context and tlle a uthor 1 f:. language.
l 1"1 the segment of this thes i s devoted to t he cr i tique,
we propose to demonstrate how to br Ing the particular i t les of the original text Into the flnished work. It ls through various prisms of literary translation that \rie can convey
(the author), her work, her culture and an analy::;d~ of her
liter.="ry style and IHitlng technique. 'fie will also an.:l.lyze
the translation through a systematic critique as developed by Antoine Berman in liis work on three traditional devices of translation ln the Western hem1sphere. We w111 do a critique
(
J inguistlc and sociolinguj:3tic, to demonstrate that 'Je
avoidf:d the systematic misrepresentation of the text in order to achleve a true translation.
..
1
TABLE DES MATIEREa
TRADUCTION de la nouvelle «Athénaise» Lexique
PRISMES DE LA TRADUCTION LITTERAIRE
INTRODUCTION Notes
Chapitre un - Connaissance de l'auteure Kate Chopin
A- Son pays, sa culture
B- Détails biographiques
C- Son oeuvre Notes
Chapitre deux - Le style littéraire de Kate Chopin
A- Le rythme
B- La couleur locale
C- L'art de la description Notes
Chapitre trois - Les conceptions de la traduction littéraire
A- L' ethnocentr isme
B- L'hypertextualisme
C- Le platonisme
Notes
Chapitre quatre - Etude de problèmes spécifiques dans l'oeuvre de Kate Chopin
6 53 55 56 60 61 63 69 7(., 77 80 83 89 91 95 105 108 A- Le créole 111 B- Le dialogue 115 Notes 124 CONCLUSION 126 Notes 129
Annexe: la nouvelle «Athénaïse», te:·:te angl.=d::. 13~
«ATHENAISE» DE KATE CHOPIN
l
A..théna ise
l .
Athénaise s'en alla ce matin-là rendre vlsite à ses parents qui habitaient.) dix milles de chez-elle au rlg01et de Bon Dieu. Elle ne revint pas le soir et Cazeau, son mari, se faisait du mauvais sang. Il ne s'Inqulétait pas tellement d'Athénaise, qui, soupçonnait-il, se reposait bien à l'aise dans l'intlmlté de sa famille; 11 se soucialt plutô-c du poney, sa monture. Il était convaincu que les frères d'Athénaise, ces «gros paresseux »), étaient bien capables de le négliger. Cazeau fit pert de son inquiétude à sa servante, la vieille Félicité, qui lui servait le souper.
Il avait une voix grave et même plus douce que cell~ de Félicité. Il était grand, robuste, brun et somme toute, paraissait sévère. Ses noirs cheveux, épais et ondulés, lu isa i ent comme le plumage d'un corbeau. Sa moustache, qu i n'était pas aussi noire, soulignait les contour s de sa bouche. Sous la lèvre inférieure poussait une petite touffe de poils qu'il avait l'habitude de tortiller et qu'lI ne semblait laisser pousser que dans ce but. Les ye~x de Cazeau étalent bleus foncés, petits et sombres. Ses mains calleuses
éta ient ra id ies par le maniement des out i 13 de ferme; auss i
manipulait-Il sa fourchette et son couteau avec maladresse.
Ma 15 11 éta 1 t d ls t ingué, 5ava 1 t imposer le respect et par fo i s même l a cr ai n te.
Il mangea son repas seul à la lumi ère d'une lampe à
huile qui éclairait faiblement la grande pièce au plancher dénudé et aux larges chevrons, aux meubles massi fs,
indi~tincts dans la pénombre. Félicité, attentive aux beso i ns de g on ma î tre, tourna l t autour de la table, te Ile une
petite ombre courbée et agitée.
Elle lui servit un plat de po1sson de lune fr1t, croustillant et doré. Il n'y avait sur la table que du pain et du beurre et la bouteille de vin rouge qu'elle remi t
50 igne useme nt dans le bu ffet fermé à c le f dès qu' il se fut
versé un deux lême verre. Elle s' i nqu 1éta l t de l 'abse nce de sa maîtresse et y faisait allusion dès qu'il exprimait son inquiétude au sujet du poney.
«Ca c'est l'comble! Ça fai deux mois qu'c'est marié et Ça a dl:!';' dans l'idée de pat1' loin d'la maison. C'est pas Chrét l en, ténezl»1
•
-11-En guise de réponse, après avoir bu son vin jusqu' . .,. 1.) dernière goutte et repoussé son assiette, Cazeew haussa les épaules. Cela ne lui importait 9uère que Félicité juge.;t pell chrétien que sa femme le laissât seul après deux mois de vic commune. I l avait l'habitude de la solitude et de rester seul une nuit ou deux ne le dérangeait guère. Apr ès la mor l
de sa première femme, il avait VéCI1 di:-: ans seul, si bieu que
Félicité aurait bien pu deviner qu'une escapade de cc genre ne le dérangeait pas outre mesure. "Sotte, va," lui dit-il. Cette épithète, dite d'une voix harmonieuse et caressante, était presque un compliment. Elle se mit à desservir la table en grommelant pt C-:lzeau se leva, et se dirigua ver!:~ la
galerie; ses éperons, qu'il n'avait pas retirés en arrivant h
la maison, cliquetaient à chaque pas.
L.:i n1l1t s'obscurcle.s.::tit et e .. :-t nOll:Cel.U enveloppait lefJ
bouquets d'arbres et d'arbustres dans la cour. Debout dans
le rayon de lumière qui passait par la porte de la cuisine, un petit Noir nourrissait une paire de chiens affamés qui grondaient férocement; un peu plus loin, sur les marches
d'une cabane, que lqu' un :.1 oua 1 t de l'accordéon; al11~ur5
encore, un petit bébé noir pleurait vigoureusement. Cazeau
fit le tour de la maison jusqu'à l'entrée. C'était un b&timent carré, lourd et qui n'avait qu'un étage.
un chariot qui avait du retard passa le portail et le
charretier impatient injuriait d'une voix rauque son boeuf
épuisé. curieuse, Félicité sortit sur la galerie, un verre
et une serviette à la main, inspecta les alentours et se
demanda aussi qui pouvait bien chanter à la rivière. c'était
un groupe de jeunes gens en canot qui, en attendant le lever
de la lune, chantaient <~Juanita», leurs voix lointaines
assourdies et mélodieuses dans l'obscurit~.
Le cheval de Cazeau attendait, sellé, prit à itre monté,
car Cazeau avait beaucoup de choses à faire avant de se
coucher. Tant et si bien qu'il n'avait mime pas le temps de
penser à Athénaise. Son absence lui causait toutefois une
douleur Bourde et persistante.
Et avant de s'endormir cette nuit-là, il fut visité par
la pensée d'Athénaise et par la vision de son jeune et joli
visage aux l~vres boudeuses, aux yeux tristes et au regard
furtif. Ce mariage avait été une bitise. Il n'avait qu'~ la
regarder dans les yeux pour éprouver, pour déceler l'aversion
qui grandissait en elle. Mais il était impossible de revenir
en arrière. Cazeau était décidé à réussir son mariage et
exigeait qu'elle y mit aussi du sien. Moins elle visiterait
-13-un moyen de la garder à la maison.
Ces désagréables pensées empêchèrent Cazeau de dormir
une bonne partie de la nuit en dépit du fait que son corps
avait besoin de repos et de sommeil. La lune brillait et sa
faible lumière baignait la pièce Où filtrait aussi un peu de
l'air frais de cette nuit printanière. Un calme inhabituel
régnait aux alentours; on n'entendait gue les notes
lointaines, inlassables et plaintives de l'accordéon. II.
Athénaise ne revint pas le lendemain, bien que son marI
eût chargé son frère Montéclin, qui passait par là le matin pour aller au village, de lui en donner l'ordre.
Le troisième jour, Cazeau sella son cheval et décida
d'aller lui-même la chercher. Elle n'avait envoyé ni mot, ni
message pour expliquer son absence et Cazeau estimait qu'il
avait raison d'être offensé. Il était plutôt ennuyeux de
laisser son travail, même s'il était tard dans l'après-midi,
Cazeau avait toujours tellement A faire. cependant, ramener
sa femme
a
son devoir lui semblait d'une suprême importanceet devait se faire sans délai.
du vieux Gotrain. Ils n'en étaient pas propriétaires; ils s'occupaient de la maison po~r un marchand d'Alexùndria. La maison étaIt beaucoup trop grande pour eux. Une des chambres du bas servait à entreposer du bois et des outils; la personne qui «occupait» la maIson avant les MIChé, estimant qu'il était impossible de le réparer, avait défait le plancher. Les chambres du haut étalent tellement grandes et vides qu'elles représentaient, pour les passionnés de la dùnse, une tentation constante et Madame Miché était assez bonne et généreuse pour les recevoir. Une soirée de danse chez les Miché et un plat de filé gombo préparé par Madame Miché et servi à minuit étaient des petits plaisirs non négligeables que seuls les êtres sérieux comme Cazeau dédaignaient.
On avait pu observer l'arrivée de Cazeau bien avant qU'lI n'atteIgnit la maison, car rien n'obstruait la vue de
route;
1(1
v.{l'3';T.:ÔT.: lOf! li '''?T.:ëiiT.: k1at
tencore
rI: ~5i l n'y .:'lv.:d t que de3 r.:HI9B de C otOl1 et de bl.?,
inégal1:': et dispersés, dans le champ du père Miché.
Madame Miché, qui était assise sur la galerie dans une
Ch~18P ber~ante, 8e leva pour aller 0 Ba rencontre. Petite
et ronde, elle portait une jupe noire et une large blouse de mousseline dont le col .?tait épinglé d'une broche ~ cheveux.
-15-Ses cheveux, bruns et brillants, n'avaient que quelques
mèches d'argent. Elle avait un visage rond et rose et des
yeux pétillants et enjoués. Mais il était évident que la
venue de Cazeau la perturbait et la rendait mal à l'aise.
Montéclin, qui était aussi là, n'était pas mal à l'aise
et ne fit rien pour dissimuler l'aversion que son beau-frère
lui inspirait. Montéclin était un jeune homme de vingt-cinq
ans, mince, nerveux, de petite taille comme sa mère à qui il
ressemblait beaucoup. Il était en manches de chemise,
mi-appuyé, mi-assis sur la fragile balustrade de la galerie,
s'éventant avec son feutre à large bord.
«Cochon!»2 marmonna-t-il dans sa barbe tandis que
Cazeau montait l'escalier, - «sacré Cochon!»~
Ce qui lui avait valu d'être traité de cochon, c'était
d'avoir un jour refusé de prêter de l'argent à Montéclin.
Mais quand ce mime homme avait eu l'audace de demander sa
soeur bien-aimée, Athénaise, en mariage et obtenu l'honneur
de se faire dire oui, Montéclin décida de choisir une
épithète pour bien qualifier l'opinion qu'Il avait de Cazeau.
2 . En français dans le texte (N.d.T.) 3 . en français dans le texte (N.d.T.)
1
"
Le
p~reMlChé et son ainé étalent abeent6.
r16avaient
beaucoup d'06tlme pour
Ca~eaudont i16 vantaIent le6 qualltéô
de coeur et d'esprit et appréciaient l'excellente réputation
dont il jouissait chez les marchands de la ville.
Athl€maÏSë g'était enfermée dans sa chambre. Cazeau
] 'av,] 1 t vue se lever et entrer dans la ma i son quand elle
l'eut aperçu. Il était plutôt perplexe, mais personne
n'aurait pu s'en apercevoir quand il serra la main de Madame
Miché. Il salua seulement Montée] ill de la tête, en
marmonnant un «Comment ~a va?»·
«Tiens!~ quique ch6se m'disait que vous viendriez
aujourd'hul!>~ s'exclama Madame Miché, un peu fanfaronne,
voulant paraître cordiale et à l'aise en invitant Cazeau à
s'asseoir. Il s'assit et risqua un petit rire .
. <Vous s.:wez, yavait rien ô faire,
-,>
continua-t-elle,gesticulant de ses petites mains potelées, « y avait rien à
faire, Athénaise d'vait rester hersoir pour danser un tit
brin. Les garçons voulaient pas qu'leur soeur s'en va».
4 . en français dans le t~xte (N.d.T.'
-17-cazeau haussa les 6paules, signifiant ainsi aussi bien que par des paroles qu'lI n'était au courant de rien.
«Comment!~ Montéclin n'vous a pas dit qu'nous gardions Athénaise?» Montéclin n'avait évidemment rien dit.
«Et l'aut nuitt avant,» demanda cazeau, «et hersair? c'est pas possible! vous dansez tous les soi lcite au Bon
Dieu!»
Madame Miché se mit à rire, qoûtant l'esprit du sarcasme et se tournant vers son fils, lui dit, «Montéclln, mon garçon, va dire à ta soeur qu'Monsieur Cazeau est
icite.l',..-Montéclin ne bougea que pour changer de position et s'installer avec plus d'aplomb sur la balustrade.
«As-tu comprênne, Montéclin?»
«Oh oui, j'ai ben comprênne,» répondit son fils, «mais vous savez aussi ben qu'moi qu'ça sert à rien de dire quoi qu'ça soit à 'Thénaise. Vous avez parlé avec elle
d'puis lundi et pa l'a tant sermonnée qu'il a fini par g'enrouer et vous avez même mandé à mon oncle Achille de venir icite hier pour
qu'elle n'mettait plus
la raisonner. les pié
Quand 'Thénaise a dit chez Cazeau, c'était
Ce discours, que Mont6clin prononça avec un sang-froid absolu, jeta sa mère dans un embarras extrime et la laissa plut6t h~b't'e. Les joues de Cazeau se color~rent d'un rouge ardent et pendant un moment, il eut l'air vraiment faché. Ce qu'avait dit Montéclin était bien vrai, mais il avait manqué de jugement et 11 avait mal choisi l'endroit et le moment pour le dire. Athénaise, dès son arrivée, avait annoncé et qu'elle n'avait pas la sous le toit de Cazeau. Cette qu'elle revenait pour de bon
moindre intention de retourner
nouvelle jeta la consternation dans sa famille comme elle l'avait prévu. On l'avait implorée, réprimandée, suppliée, disputée tant et si bien qu'elle s'était sentie devenir une voile dressée
trop secouée. Cazeau? son
contre tous les vents du ciel qui l'avaient pourquoi, nom de Dieu, avait-elle épousé
p~re lu1 avait rebattu les oreilles avec cette question une douzaine de fois. pourquoi donc? Elle ne savait pas pourquoi elle s'était mariée sinon, supposalt-elle, que c'était la coutume pour les jeunes filles de se
"."
-19-marier quand l'occasion se pr'sentait. cazeau, elle le savait, rendrait sa vie plus agréable; et puis, 11 lui avait plu et elle avait même été quelque peu troublée quand il avait serré ses mains et les avait embrassées, et avait balsé ses lèvres, ses joues, ses yeux quand elle eut accepté de le fréquenter.
Montéclin l'avait amenée ~ l'écart pour lul parler un peu plus longuement de la situation. La tournure des événements l'enchantait.
'Thénaise, tu dols tout m'raconter pour
qu'on règle une bonne affaire et qu'on obtienne l~
séparation. T'as-t-il maltraitée et a-t-il abusé de toi, le sacré cochon?»? rIs étaient tous les deux seuls dans ]a chambre d'Athénaise où elle s'était réfugiée, voulant éviter encore une scène de famille.
prie Montéclln, n'dis pas ces choses si «J'ten
méchantes. soit.»
Non, il n'a pas abusé de moi d'aucune façon qu'ce
«Se soûle-t-il? Allez 'Thénaise, réfléchi' ben. Lui en français dans le texte (N.d.T.)
arrlve-t-l1 de 5'5061er~>'
<~s'soûler! Oh, de grâce, non, Cazeau ne s'soûle jamais.»
<~Je vois; tu r'ssens tout simplement la même chose que mol; tu l'd'testes.»
('NOn, je l'd'teste pas,>~ r'pliqua-t-elle pensivement; elle ajouta, prise d'une impulsion soudaine, ~<c'e5t d'itre une femme mariée qu'je peux pas gupp~ter. Je déteste
m'appeler Madame
Cazeau
et J'voudrals redevenlr Ath'naise
Miché. Je n'suppbte pas d'vivre avec un homme; d'l'avoir tOUJours à mes côtés; ses manteaux et ses culottes suspendus dans ma chambre; ses affreux pié nus - les laver dans ma
baignoire sous mes propres yeux, pouah!» Elle frissonna d'avoir évoqué ces souvenirs et reprit, d'un soupir proche du sanglot: «Mon Dieu, mon Dieu!Q Soeur Marie-Angélique avait raison; elle me connaissait bien. Elle disait qu'le Bon Dieu m'avait envoyé une vocation et qu'j'faisais la sourde oreille. Quand j'pense ~ cette vie heureuse au couvent, en paix! Oh! à quoi ai-je pensé!» et elle se mit à pleurer.
-21-Mont6clin fut tout
&
fait déconcerté et très déçu d'avoir obtenu ce témoignage qui ne ferait jamais le poids au tribunal. Le Jour o~ une jeune femme pourrait demander ~ la Cour la permission de retourner chez sa maman, donnant pour toute explication qu'elle a l'institution sacrée du mariage en aversion, n'~talt pas arriv~. Mais s'tl n'y av~it au~unmoyen de dénouer ce noeud gordien du mariage, il y avait sarement un moyen de le couper.
«Eh ben, 'Thénaise, j'suis pas mal déçll qu't'aies pas une meilleù explication à donner. Mais tu peux compter sur moi. J'sui~. avec toi quoi qu'tu fasses. Dieu ::lait betl
qu'j'n't' bl&me pas de n'pas vouloir vivré avec Cazeau.·)
Ca=ea~ ~tait touJours l~, un rouge vIf colorant 5e8 joues bistrées, décidé à donner une bonne correction 3 Montéclin pour lui montrer le respect des convenances. Il se leva brusquement, s'approcha de la chambre où 11 avait vu sa femme entrer, cogna ~ la h&te et ouvrit la porte tout d'un coup. Athénaise, qui se tenait à la fenêtre au fond de la pl'ce, se retourna lorqu'il entra.
Elle ne parut ni fach~e, ni effrayée, mals profondément trlBte. Ses doux yeux bruns suppliants et ses l'vres
tremblantes parurent ~ Cazeau comme l'expression de reproches injustes, ce qui le blessa et le fâcha en même temps. Mais quels que fussent ses sentiments, Cazeau ne connaissait qu'une manière d'agir avec le~ femmes.
«Athénaise, t'es pas prite?» lui demanda-t-il d'une voix calme. « y s'fait tard; nous n'avons pas d'temps à
perdre.»
Elle savait que Montéelin n'avait pas m&ché ses mots tout A l'heure, aussi avait-elle espéré une altercation tumultueuse, une scène orageuse ad elle aurait pu se défendre comme elle l'avait fait ces trois derniers jours contre sa famille avec l'aide de Montéclin. Mais elle ne possédait
!
,aucune arme pour se défendre subtilement. Le regard de son mari, le ton de sa voix, sa forte présence éveilla chez elle un sentiment de désespoir Boudain. Elle réalisa d'instinct qu'une rébellion contre une institution sociale et sacrée se révélait futile.
Cazeau n'en dit pas plus; il attendait dans l'embrasure de la porte. Madame Miché était allée jusqu'au bout de la galerie et feignit d'itre occupée à chasser une poule de Bon parterre. Montéclin resta
lA,
exaspéré, furieux, prêt A
-23-exploser.
Ath'naise alla chercher ôa Jupe
d'amazone
qUl 6taltaccrochée au mur. Elle était assez grande, parfaitement
proportionnée, quoique de constitution peu robuste. <',La
f 111 e des 0 n p ère .:. ~, lIa p P é la l t -r) n :3 (t1J ven t ; c 1 è t.;\ 1 t t 1) u tUt 1
compliment pour le père Miché. Ses cheveux bruns, fourni::.,
brossés en arrière, dégageaient ses tempes et son front bas.
Sous les traits et l'expression de son visage se
dissimulaient la douceur, la joliesse, la fraicheur. Ces
attributs étaient peut-être trop enfantins; empreints d'un
soupÇon d'immaturité.
Elle passa la jupe d'amazone en alpaga noir par-dessus
:3a tête et d'un geste impatient, l'agraffa .~ 1,) t.Jille sur :3'.Î
robe de lin rose. Puis elle attachd sa capeline bJanche et
saisit ses gants sur la tablette de la cheminée.
«S1 tu veux pas y aller, tu sais c'qu't'as à faire,
Thénaise,» dit Montéclin avec rage. «Tu r'mets pas les p16
&
Cane River, Bon Dleu, 51 tu l'veux pas, - pas tant que j'serai vivant.»(
Cazeau le regarda comme s'il était un singe dont les
singeries n'amusaient plus personne.
Athénaise ne répondit rien, ne dit pas un mot. Elle
passa rapidement devant son mari, devant son frère; sans dire
~u revoir à personne, ni même à sa mère. Elle descendit
l'escalier et sans l'aide de personne, monta le poney qui
avait été 5ell~ sur l'ordre de cazeau b son arriv6e. Ainsi,
en quittant tout de suite la maison, elle eut une bonne
longueur d'avance sur son mari qui se pressa beaucoup moins
et pendant une bonne partie du voyage, elle parvint à garder
une distance appréciable entre eux. Elle fit d'abord courir
sa monture avec acharnement; le vent gonflait sa jupe
jusqu'aux genoux comme un ballon et sa capeline tombait sur
ses épaules.
Cazeau ne fit l'effort de la rattraper qu'au moment
o~ ils traversèrent un vieux terrain en friche qui était plat
et dur comme une table. La vue d'un grand chine solitaire,
aux contours précis et immuables, qui avait ét' un point de
repère depuis fort longtemps - ou était-ce l'odeur des baies
de sureau qlli montai t du ruisseau au sud? Qu'est-ce qui
ramenait, tout à coup, par quelque association d'idées, le
souvenir d'une scène qui s'était passée il y a longtemps? Il
-
-25-était passé devant ce vieux chêne des centaines de fois mais
ce n'était qu'aujourd'hui que le souvenir d'un certain jour
lui revint. C'était un jour où, encore tout petit garçon, il
était assis devant son père sur le cheval. Ils avan~aient
lentement et Black Gabe trottinait devant eux. Black Gabe
s'était enfui et avait été retrouvé dans le marécage de
Gotrain. Ils s'étaient arrêtés sous le gros chine pour
perfuettre au Noir de reprendre son souffle. Car le père de
Cazeau était bon et prévenant pour ses esclaves et tous
avaient été d'accord à l'époque pour dire que Black Gabe
était un sot, un idiot vraiment, d'avoir voulu s'enfuir de
chez son maître.
Ce souvenir lui fut, pour une raison quelconque, trè~
désagréable et afin de le chasser, il éperonna son cheval
pour le faire galoper. Il rattrapa sa femme et chevaucha ~
ses cStés en silence pendant le reste du voyage. rI était
tard quand ils arrivèrent à la maison. Féliclté les
attendait dans l'herbe, sur le bord de la route, au clair de
lune.
Cazeau, une fois de plus, prit son repas seuli car
i
(
rI l .
Ath~n~iBe n'étdit pas femMe A accepter l'inévitable avec une p~tlente résignation, talent ancré dans l'Ame de bien des
femmcs. Elle ne l'accepta i t pas non plus avec philosophie,
t.uE.ceptlble, elle
(' Olllltle Ill·]. r 1 . Tr~s fl~re, très
r6agissalt vivement A n'importe quelle circonstance. Elle
qout~it aux plaisirs de la vie avec spontanéité et liberté et
refusait de ~e plier des conditions désagréables.
L'hypocrisie était contraire A sa nature comme elle l'est ~
l'enfant qui vient de naitre. Dans ses bouffées de
rébellion, plutôt fréquentes, Athénaï:3e avait, jusqu'.;
présent, toujours joué cartes sur table. On disait souvent
qu'Athétlaï:3e était une jeune femme au caractère indécis. Un
jou.r, elle apprendrait .~ mieux se C'Ollnaïtre. ceL:; ne viendr.1i t pas aprè:=. mûre
suhtilf', ni même .'lprès
réfle:-,:ion,
avoir pesé
ni après une analyse
les raisons de ses
Jgl~8ement8. Non, cela viendrait tout natur~lleruent comme le
chant vient A l'oiseau, comme le parfum et la couleur
vie n n e Il t .~ la fIe ur. Ses parents avaient espéré - non sans
r.=tison ni justice que le mar lage apporterait la
pondération, la conduite souhaitable chez une jeune femme qui
manquait si évidemment au caractère d'Athénaise. Le mariage,
(1I:3a1ellt-il:3, contribuait largement'; développer ,~ et former
.'
-27-souvent pour en dOl1ter.
<
<Et si ce mar iage ne sert qu 1 à une chose,> >
s 1 exclamale père Miché, exaspéré «ce sera de nous débarrasser d'Athéna ise car je suis à bout de patience! tu n'as jamais été assez ferme avec elle,» - i l parlait à sa femme, - «je
n'ai pae eu de tempe b consacrer b Bon ~ducatlon et le peu de bien que nous avons réuss l ,~
Montéclin - de toute façon,
lui inculquer, ce maudit Cazeau est notre homme! c~ prend une main ferme pour plier un caractère comme celui d'Athéna ï se, une mal n de ma Hre, une ma in de fer qui va la forcer à obéir.»
Et ma 1 ntenant, a lors qu' 11s avaient eu tant d' espo 1 r , cette dernière, avec une véhémence impétueuse et grandissante, plus forte encore que lors de ses cr ises précédentes, avait déclaré qu'à aucun prix elle ne voulait jouer le rôle de la femme de Cazeau. Si au moins, elle avait
une bonne raison! se l,~mentait Madame Miché; mals 11 n'y
avait aucune raison valable. Cazeau ne s'était jama}g querellé avec elle, n'a va i t j a ma i s été cru el, ne l' a va i t jamais privée de quoi que ce soit et i l n'était coupable' d' aucun des nombreux actes condamnables souvent a t tr ibués à
(
r
ne la négligeait en rien. En fait, Cazeau était coupable d'a il!ler sa femme, mais Athéna ise n'était pas de ce lles qui se laissent a imer contre leur gré. Les jeunes filles, par ignorance et par imprudence, se laissaient prendre au piège du mar iage , cr oya i t-e Ile,
reproches à sa mère en un
et de plus, elle avait fait des langage qui manqua i t de retenue, l'accusant de perfidie et de fourberie.
«J'te l'avais dit que Cazeau était notre homme,» dit le père Miché, pouffant de rire quand sa femme lui décrit la scène qui s'étai t passée et qui avait provoqué le c1épar t d'Athéna ïse .
Ce matin-lb, Ath~~nai5e e~péra, une folB de plus, que Cazeau se fâchera itou :~erai t une scène. Mais apparemment,
11 ne le désirait pas. C'était exaspérant! Cazeau considérait l'.::tffaire comme classée. Cazeau s'était levé tôt, avait parcouru les champs, traversé la rIvière et étal t revenu à la maison bien avant qu'Athénaise fut sortie du l i t . Il avait probablement pensé à autre chose, ce qui n'était pas une excuse. Dans un sens, cela aggravai t plutôt la situation. pourtant, au déjeuner, 11 lui avait bien dIt,
-
-29-Par e:<emple!:' ,1."
Athénaïse, JSSiSe en facC" de :Jon mari, étail vêtue d'un peit]noir blanc. E I l e b 1) 11 da l t Il n p e IJ , i l c: ~3 t v r ,.lI, (' t ::; e
montrait offensée - une attitude bien connue pClr certains maris ma is l' e:-:press ion de son visage n' él,l i t pa':, s uf fi samment prononcée pour gâcher le cha rme de sa Er Cl î che jeunesse. Elle n'avait pas très f;üm, jOllait avec 1.1
nourr i ture dans :;,on assiette et en voulait.~ son mar i de' le
voir manger avec tant d'appétit.
i1ülItéclln,,':' rÉl.:dflrl(1Ft-t-ll: .- ,/ (' , f'~: t u t 1
ernmerdeur de prem 1er ordre i t'es mieu:-: de lui dire,
Athènaïse, - . : : l moins qu'tu veuille::, que j'le fa~:-::'.'-',·· qll'!}
s'occupe de :=:es a f fa ires. .Je n' veu:< plus qu' il me t te son nez
dan ~3 C' P qui n' r e q a r d e que toi e t m () j • ;. >
I l cl i t ('>-::1.'1. avec une rude::.se illlJab i tuelle. C' !>t., i t
l'occasion qu'Athénaïse avait attendue et elle 111i lança:
tu épousé sa soeur?" Elle savait qu'elle venait de clire' Imp.
bêtise et ne fut pas 5urprise qu'il lui en Ct la rem.:Hque.
Cela lui permit néanmoins d'enchaîner. «Pourquoi m'as·tu
:l.QJ en français dans le texte (N.d.T.)
protesta-t-cll(:: comme si elle l'aC'cusait de la persécute'r.
"11arl.~IIt1r:.:.1 flirté avec toi plu~ de clncl ans que ',.:1 en était
m&me déplac6 et n'importe 'quelle des filles Dortrand aurait
été heureu:::e de t'épouser. Mais non, ç.3. n'faisait pa::..
l'.-:tffaire- rI a fallu qu'tu viennes me chercher au
r igolet. " " Elle se lamentait mais d'un autre côté, c'était
drôle et Cazeau ne put s'empêcher de sourire.
,';Je n'vois pas c'que les filles Dortrand ou Marianne
ont à faire avec nous,» répliqua-t-il et très sérieux, 11
ajouta, ('j't'ai épousée parce que j 't'aimais; parce que
t'étais la seule femme que j'voulais épouser. J't'ai dijà
dit tout Ça avant. J'ét.ü:=. stupide! j'croyais qu' l'affaire
6tnjt conclue et que j 'te rendrais heureuse et qu'ta vie ici
5cr~lt plus confortabl~ et plus agréable. J'étais tellement
~tllpic1e! je \-royais qu'ta présence ici serait comme le
501eil qui perce les nuages et qu'la vie ensemble serait
comme celle qu'on raconte dans les livres d'histoires et les
contes de fée. Je m'suis trompé et je m'demande pourquoi tu
m'a~ épousé. Peu importe, j'crois qu'toi aussi tu t'es
trompée. Je n'sais pas ce qu'il faut faire sauf peut-ète
tire'r le meilleù de cette mauvaise affaire et s'serrer la
main en signe d'accord.» Il se leva, s'approcha d'elle pour
-31-lui tendre 1.:\ m.:\in. Bon dle.coure. avalt ~t~ pluttlt banal lI\a1s
de la part de Cazeau, qui n'avait pas l'habitude d'e-xprimer
t.eB 5entlmentB 51 ouvertement, il ét.::\lt slgnlflc.:\tlf.
Athénaise feignit de ne pas voir la main tendue vers
elle. Elle avait le menton appuyé dans la paume de sa main
et gardait ses yeux hagards fixés sur la table. Il posa sa
main, celle qu'elle refusait de toucher, sur sa tête, pendant un moment, puis il sortit de la pièce.
Elle l'entendit donner de5 ordre::. .:nn: ouvriere. qU1
l'attendaient sur la galerie, puis s'éloigner à cheval.
Tellement de choses le distrairaient et lui occuperaient
l'eÔplit
pendantla
Journ~er Elle crutque, p
I3IJt-èrr(i,Cazeau avait-il cessé de penser à elle,.;' :3on ch.:\grln, .)11
moment oà il avait franchi le seuil de la porte; alor~
qu'elle ...
La vieille Félicité étai t là, son seau d'étain à la
main, scintillant, pour lui quémander de la farine, du
sa indoux, des oeufs de la réserve et du gra 1 n pour les
poulets.
Athénaise saisit le trousseau de clefs accroché à sa
-
-32-ceinture et le jeta aux pieds de Félicité .
... -(TIens! tu vas leB garder comme tu as jadis fa! t. Je
ne veux plus de ce train là, moi! » 1 . 1 .
La vieille femme se pencha et ramassa les clefs.
Sa ma î tresse lui remetta i t le trousseau de cIe fs et re fusa i t
dorénavant de g' occuper de Bon ménage. cela lui importait
peu.
IV.
Montécli n éta i t devenu le seul ami qU'Athéna ise ava i t
au monde. Son père et sa mère l'abandonna ient au moment où
elle avait vraiment besoin d'eux. Ses amies se moqua ient
d'elle et ne prena ient pas au sér ieux les propos qu' elle
tenait sur le mar lage. Athénaïse désirait seulement savoir
51 le nlEtriage dÉlpl.:t15ai t autant au!.: autre::. femmes. seul
Montéclin la comprenait. Il était toujours là, prêt à la
dÉlfendre et ., l'aider, .; la réconforter et .~ la consoler, luI
offrant son aide et son soutien. Le seul espoir d' échapper à
son sort se fondait en Montéclin. Seule, elle se sentai t
1 ncapable de trouver, d' envisager un moyen de se sort ir de
cette impasse dans laquelle, lui sembla-t-il, le monde entier
1.1. en frança 1 s dans le te:<te (N. d. T. )
i
-33-l'avait poussée violemment.
Elle avait vraiment envie de voir son hère. Elle lui écrit pour lui demander de venir la voir. Mais i l était plus honorable se Ion Montée l i n 1 qu i ava 1 t l'es pr it aventureux 1 de
fixer un lieu de rencontre au tournant d'un chemin, où Athéna ise l'air et randonnée. se Où promènerait pour le Montéclin passerai t
pla i sir et pour prendr e
par hasard, en simple
rI avait plu, une averse soudaine, aussi soudaine que brève et qui avait amené de la poussière sur la route. L'averse avait fraîchi les pointes de feui Iles des ch8nes (·t
éclairci les grands champs de coton des deu:< côtés du chemin, qui devinrent comme recouverts de perles vertes et seint i lIantes.
Athéna ïse se promena it sur le bord he r beux de la route, tenant d'une main ses jupes pimpantes et faisant tournoyer de l'autre une jolie ombrelle au-dessus de sa tête. L'odeur des champs après la pluie était exquise. Elle aspira de bonnes bouffées de cet air frals et parfumé, ce qui, pendant un moment, l'apaisa et la calma. Des oiseaux barbotaient et
.(
perC'1I8:-~ ~Ilr 1.'1 clôture. Ils poussaient de petit:". cri'3 .=119113,
des p(:.pl!~mcnls, de perçantes rhapsodies de joie.
101n, lOin, .jll
tournant des bois. Elle n'était pas certaine qu~ c'était
LJÏen lui; l'homme semblait
l l est vrai qu'il monta i t
trop grand pour être Montée lin. un grand cheval. Elle lui fit elle était si heureuse de le
:')igne, agitant son parasol;
voir. aamai::: elle n'avait été si heureuse de voir Montéclin.
Elle était plus heureuse encore que le jour Où il était 03119
la chercher au couvent, contre le gré de ses parents, parce qu'elle ne voulait plus y rester. Pour elle, i l semblait
Incarner, .:'.ill fur f't b mee.ure qll ' 11 ô'.3pprocha1t, b la foie la
gentillesse, la br a voure, l' honneur C'heva leresq1..le et la
sager;:::;e. Elle connaissait bien Montéclin et savait qu'il
II ' ~ t.j 1 t J ·=I(ll·j i -::. .~ mb.j t L .:1 ':'.;::.8 '11).:Hld d'un mauvais pJs. I l descendit ma r cha a \lX côtés de chevo3 l de sa
et tenan t la bête par la br ide,
soeur, après l'avoir embrassée a f f cctue usemen t et lui avo i r demandé pourquo i elle pleur ait. Elle protesta, 1111 dit qu'elle ne pleurait pas, qu'elle riait plutôt. En même temps, elle sècha ses yeux à l'aide de son mouchoir qui ét.Jit délicatement roulé afin de lui faciliter
',.
-35-la tâche. Elle prit le hra:, de Montéclll1 et
prompnèrent tranquillement dans lc chemin; nulle- pdrt il~ ne' pouvaient s'asseoir pour parler un peu comme 11:3 l'aurdl«'nt souhaité, car l'I'wrhe, h p ris s !, (> t-.! t mir 0 11. a n te, .? t d lt t r () r mou i lIée.
Oui, elle était. plus malheurcuse que Jamais, lui conf1a
t-elle, La semaine qUI s'était. écoulée, depuIs 1.3 dernIère fois Où ils s'étaient vus, n'avait aucunement allée)é le p()ld!~
de sa dou leur. Elle avait dü supporter d'autres provocation~
et elle les raconta à Montéclin, elle parla du troussedu de
Félicité dans
clefs, par exemple, qu'elle .1v.:;lit remi!':),) un mouvement de colère. Elle raconta comment Cazeau le lui avai t rendu, prétextant qu'elle l ' .} V.l 1 r
SImplement perdu et qu'il l'avait trouvé par hasard. Elle
raconta aussi qu'il 11.11 avait dit, d'un ton grave, que ce
n'était pas la trad i t Ion à Cane Riv(>r de laisJer
trousseau;.: de clefs an:< esclaves quand maîtresse de maison.
l l Y a v.) i L 1 JlI!~
Mais Athénaïse ne pouvait rien raconter de nouveau qui puisse attiser la haine que Montéclln éprouvait déJà pour :3on
beau-frère, C'est à ce moment-lb qu' ! 1 lui e:-:posa un proJ,-'t
<Ju'll .~v.:\lt COll'sU pOUt d~ltvrer B.:I !30éllr d!:
1
..
-36-Elle n '.:tpprouv.:t p.:\::. ce plan lmmédlatement. Elle
hésitait car il lui demandait d'être secrète et d'agir avec dissimulation, des attitudes qui ne lui plaisaient pas du tout.
Mais elle admirait éperdument les merveilleux talents de l' i ngén ieux Montée l i n . Elle approuva f in.:\lement le projet et décida d'attendre et d'y réfléchir toute la nuit au lieu de
le mettre à exécution immédiatement.
Trois jours plus tard, elle écrivit b Montéclin pour lui dire qu'elle s'en remettait " ses conseils. Ce choi:.: 1.:'1
contrariait un peu et s'opposait ~ son sens de l'honneur, mais sa situation était si pénible qu'elle ne pouvait pas continuer à vivre ainsi, le coeur rempli d'amertume et de révolte, comme elle l'avait fait ces deux derniers mois.
v.
Quand Cazeau se réveilla, un matin, très tôt, comme à
son habitude, il trouva la place.; ses côtés inocC'upée. rI ne fut pas surpris jusqu'à ce qu'il découvrit qu'Athénaise n'était pas dans la pièce voisine, où il la trouvait souvent le matin, endormie sur le sofa. Elle était peut-être sortie de bonne heure pour aller se promener, pensa-t-il, car son
-37-let~ a va i t dCCJ: ochr,:... la nuit pro?c6denlt'.
vêtements avaient disparu, - une robe ou même deux n' ét .. dp.nt
plU:3 dan f'. l ' a rlU () 1 te,
avaient baissé et son sac de voyage n'était plus l.~, de mcme que quelques bijoux dans sô coiffeuse Ath érhl ï 5 f' H II i t part i e !
Quelle absurdité de partir pendant la nuit, comme :::i elle était une pr isonnière fuyallt le g.:trdien de ::.011 cac!tot!
Que de mystère pour un simple séjour au Bon Dieu:' Les Ml(~h(·~·. pouvalellt bien g.:trder leur HIle maintellant. Pont compagn ie d'aucune femme s ur la ter re, i l ne voudr .:t i l
éprouver, une fois de plus, ce sentiment humlliant d~' la
ho n t e qui l ' a va i t env ah i qua n d i l é ta i t passé ~ e van t l (> v i ,_. 11 ;.: chêne -:.llr le terr.jin en friche.
Un terrible 5entinlent de perte' accabla c.J.:::eau. Follt" n'était ni nouvelle, rd soudaine; il la ressentait deputs quelques semaines qui grandissait en lui et qui avait c1\lminé avec le départ d'Athénaise. Il pouvait l'obliger A revenir
C"omme il l'avait déj.~ fait,
foyer, l'obliger .'- se soumettre." sot! amour et ." ~~eg élall."1 de
nCln-{
reôpect de :301 e:3t un pd:·: trop précieux ~ payer pour
retrouver sa femme.
Il ne pouvait pas comprendre pourquoi elle avait semblé le préférer aux autres; pourquoi elle l'avait séduit avec ses jolis yeux, sa voix, ses charmes féminins; comment elle avait attiré son attention gr.;ce .; l'amour, qu'e1le semblait lui rendre timidement, '" la fa~on d'une jeune fille. Il éprouvait ce vide immense parce qu'il réalisait qu'il perdait une occasion d'être heureux, une occasion qui ne se répéteraIt pas à moins d'un miracle. Il n'imaginait pas pouvoir aimer une autre femme - et croyait qu'Athénaise ne pourra i t jama is
vraiment.
même dans un avenir lointain - l'aimer
Il lui écrivit pour lui
moindre intention de l'obl1ger
dire qu'il n'avait pas la
~ quo i que ce :3 0 i t. I l ne
désirai t plus jamais sa présence à la maison à moins qu' e1le ne décide d 'y revenir de son plein gré, sans être influencée par sa famille ou ses amies, qu' e Ile pUisse deven i r la compagne qu'il ava i t s ouhai tée en l'épousant et qu' elle puisse, jusqu'à un certain point, offr ir affection et respect contre l'amour qu'il éprouvait pour elle et qu'il éprouverait toujours. Il fit parvenir cette lettre au rigolet, par
,,..
-39-messager, tôt dans la journée. Mais elle n'était pas a1l
rlgolet et on ne l'avait pas vue.
La famille se tourna d'instinct ve r:s Montéclin et
l'accusa de ce délit afin de lui saut irer une explication; 11
n'av,:tlt l).:\S até ,; la maison cette nuit-lb. Ses réponses
étaient mystér ieuses. En jouant l'ignorant et l'innocent
avec assurance, 11 trompait tout le monde.
Mals pour Cazeau, Il n' y eut aucun doute, aucune
hés1tatton quand il accosta le jeune homme. «Montéclin, où
est Athénaise?» lui demanda-t-il carrément. Ils s'étaient
rencontrés sur la grande route, à cheval, au moment où Cazeau
III (1 n t.:t 1 t le b 0 r cl cl e la r i v i é r e de van t :3 a IIl·:t i :3 1) fi •
'··'··QUI.j;3-t:U f,:üt ,; Athénaïse:·.<.' riposta Montéelin.
«J'crois pas que t'avais ben réfléchi .~ clque tu
faisais et ql.l' tu observais les quand
t'encourageais ta soeur à prendre de telles mesures, mais
laisse-moi
t'dzire»-,,<voyon3!J..~ laisse-moi tranquille avec ta bienséance,
tes leçons d'morale, tes niaiseries. méchant avec Ath6naise puisqu'elle
J'suis sûr que t'as été n'veut plus vivre avec toi; et d'mon côté, j 'suis pas mal content qu'elle ait décidé de t'quitter.>,,'
«J'suis pas d'humeur ~ t'écouter, Montéclin, mais laisse-moi t'rappeler qU'Athénaise n'est encore qu'une enfant et plô c'est ma femme et j'te tiens responsable de 5a
sécurité et d'son bien-être. S'il lui arrivait malheur, quel qu'il soit, j't'étranglerais, Bon Dieu, comme un rat et j'te lancerais dans la rivière, même '3i j'dois t'pendre!» Il n'avait pas élevé la voix. La seule marque de colère était llne lueur de méchanceté dans son regard.
"J'crois que t'es mieux de garder tes beaux discours
pour les femmes, Cazeau,» répondit Montéclin, qui
s'éloignait sur son cheval.
Mais, apr.s cette rencontre, il s'arma jusqu'aux dents, eôtimant que de telles mesures 'talent essentielles puisque des menaces à son égard ja 1 Il iS3a lent de toute part.
VI •
,o.
... :uz: ...
-41-nerveuse, un peu effrayée mais très excitée et préoccup~p par
cette nouvelle aventure.
Sa destination était la mai~on de Sylvip, sur la rU0
[J.:'!lJph1ne, .; la Nouvelle-i)rli.?:,!/l;:. IJIle ma 150n de))t J que::. grises à trois étages, qui s'érigeait directement dcv.,nt 1,1
banquette, dotée de troU, lmmenses marches de pierre qUJ
mpnaient à une large porte d'entrée. Un petit écriLc~u,
suspendu au balcon du deuxième étage, annonçait aux pa5sant~
qu'on louait des "chambres garnies".13
C'~tait un matin, pendant la dernière semaine d'avril,
qu'Athénaise se présenta à la maison de la rue Dauphine.
sylvie l'attendait et lui montra aussitôt sa chambre, qui se
trouvait au deuxième étage, dans l'aile arrière, acrcDBtblc
par une ga 1er le ouver te sur l' extér ieur . En bas, il Y a v.:d L
l)ll e CI) tJ r , pa v ~ e et (1 r n ËI e cl e ':l r (1 e. ? et. Pi': r r (' -::.; d (. ~'. .:\ r h Il :; t (' :.~ .~I
fleurs, odorants, et des plantes qui poussaient dans une
plate-bande le long du mur opposé et cl' autres qui poussa i ont
un peu partout dans des pots et des jardinièr'=s.
Ath~nai5e entra dans une chambre 5imple, mats ~sgez grande, déc (1 r ~ e d ;:t ne. le:::. t (1 n e. de ver t, '::1-3 r nie cl e III e u b le::. e Il n 1) y (: r 1) 1) Il
noyer bon fuarcbé, .:lvec 1)1"1
t.:ip15
Bur le 601 et de::; rl(le.:tl_n~ endentelle de Nottingham aux fenêtres qui donnaient sur la galerie. Tout était excessivement propre et la pièce dégageait une odeur de propreté.
Athén.3.ïse se laissa tomber immédiatement dans le fauteuil berçant. Elle éprouva ce vif soulagement qU'on éprouve lorsque, compl~tement épuisé, on est venu ~ bout de tous ses problèmes. sylvie, qui entra dans la chambre derrière elle, mit le grand sac de voyage par terre et déposa le manteau sur le lit.
C'était une quarteronne d'une cinquantaine d'années, assez corpulente, vêtue d'une large «volante» de calicot mauve à l'ancienne mode si prisée par les gens de son peuple. Elle portait de grandes boucles d'oreille dorées, en forme d'anneau et ses cheveux étaient brossés simplement mais de façon ~ bien cacher qu'ils étaient crépus. Elle avait de
groô traltô, communô,le
nez
retroue5~,qui
d~vollaltde
larges narines et qui accentuait la distinction de son allure et la maitrisd de soi, - bref, une dignité, qui, vis-A-vis des Blancs, indiquait le respect et non la servilité. sylvie croyait fermement qu'il fallait maintenir la distinction entre les races et ne supportait pas qu'un Blanc, ou même un~I
j
, '\
-43-enfant, l'appel15t "Madame Sylvie» un t i t r t.:' q 11 ' r~ l 11_' exigeait religieusement, en revanch(', de la. p.:ut de eeu:.:
Ile-aimablemel1t. /(C'est la chdmbe que vote frè, M'sir:llr Mi('llr" loue ~ chaque fois yu'll vient A la Nouvelle-Orléans.
bell M'sieur Miché? J'ai reÇu sa lette la sl~llmaine dèniere,
et en même temps un genti M'sieur voulait louer cette chambe. J'ai dit, 'non', cette chambe est dijà prise. Toutt moune aime ben cette chambe pace que c'est tranquille. M'sll'tlr
Gouvernail est dans la chambe voésine, faut pas l'déral1ger!
Il loue cette chamüe depi -:. toi:::, an~, et C" e:3t ben décoré ;:'\}('C'
des beaux rueubles et des lives, Ça pas l'air d'une chambe de p~n:3ion! Je 1 y dit S 1) Il V E' nt, M l ,3 i e ur Go Il Vey na il, pou r fj u cd v (j us pre nez pas 1.3 cha nd) eau toi sie î me, e n a van t , t d Il d i :3 S q U ( • c'est l1be? Il lll'-: dit, 'les~;ez-moi tranquille, Sylvie; j'a i dijà une belle chambe, moi'».
Elle se déplaçai t avec letltcur et mnjesté dans 1.-, pièce, redressait et défroissait le lit et les 0reiller~, inspectait l'aiguière et la cuvette d'eau, jetait un oeil partout, manifestement, afin de s'assurer que tout était en place.
r
"Je vais vous voyer de l'eau fraiche, Madame,» offrit-elle avant de quitter la chambre. «Et si vous avez bésoin de quique chôse, vous sortez su la galéri~ et appelez Pousette: elle va ben comprênne, - elle est en bas, là dans la cuisine.»
Athénaïse n'était pas si fatiguée, même si elle avait toutes les raisons de l'être; en effet, Montéclin lui avait fait prendre une route indirecte, interminable, pour l'amener
à la ville.
Oubliera-t-elle, un jour, cette randonnée de minuit, si mystérieuse et vraiment dangereuse, le long de la <~côte»
jusqu'à l'embouchure de Cane River! A cet endroit, Montéclin l'avait quittée après s'être assuré qu'elle était bien montée
~ bord du paquebot qui naviguait en direction de saint-Louis et de shreveport et qui passait par lA avant l'aurore. Elle avait reÇu des instructions précises et devait descendre ~
l'embouchure de Red River et de là, prendre le premier bateau
à vapeur pour la Nouvelle-Orléans. Elle avait suivi ces instructions à la lettre et s'était même rendue immédiatement chez Sylvie dès son entrée dans la ville. Montéclin lui avait recommandé discrétion et prudence; le caractère clandestin de cette affaire avait un ton d'aventure qui
-45-plaisait 6normement ~ Mont~clin. S'enfuir avec sa soeur
était à peine moins séduisant que de s'enfuir avec la soeur
de quelqu'un d'autre.
Mais Montéclin ne jouait pas le rôle de grand selgneur1 4
.~ moitié. Il paya, un mois d'avance, la pension et la
chambre d'Athénaise à Madame sylvie. Il fut obI igé
d'emprunter une partie du montant, il e :3 t v rai, ma i :3
Montéclin n'était pas pingre.
Athénaise devait prendre ses repas h l'auberge, ce
qu'aucun des autres pensionnaires ne faisait; à l'exception
de Monsieur Gouvernail qui y prenait SOli déjeuner le dimanC'he
matin.
La clientèle de Sylvie venait surtout des paroisses du
Sud. Dans la plupart des cas, i l s' ag issa i t de gens qu i
venaient la ville pour quelques jours. Elle
s'enorgueillissait de la finesse et du caract~re respectable
de ses clients qui allaient et venaient discrètement.
Le grand parloir qui donnait sur le balcon avant était
rarement utilisé. Les invi tés ava ient la permiss i on de
~
...
en français dans le texte (N.d.T.)r
recevoir dans cet élégant sanctuaire, mais ils ne le faisaient jamais. Souvent, elle le louait à des groupes de gentilshommes, respectables et discrets, qui désiraient jouer une partie de cartes ailleurs qu'au sein de leur famille. Le hall du deuxième étage était pourvu d'une grande fenêtre qui donnait sur un balcon. Et Sylvie conseilla à Athénaïse, si elle se lassait
balcon avant, qui pourrait s~rement
bruyant de la rue.
de sa chambre, étai t ombragé se distraire
d'aller s'asseoir sur le l'après-midi et où elle " la vue du va-et-vient
Athéna ïse pr 1t un ba in pour se ra fra î chir et déballa aussitôt ses quelques affaires qu'elle rangea soigneusement dans les tiroirs de la commode et de l'armoire.
Elle tournait et retournait certains projets dans son esprit depuis environ une heure, ou
moment, elle avait l'intention
~ peu près. Pour le de vivre indéfiniment dans cette grande chambre arrière si propre et si fraîche, de la rue Dauphine. Elle avait sérieusement pensé, certains moments, à retourner au couvent, se sentant prête à prononcer ses voeux de pauvreté et de chasteté; mals d'obéissance? Elle avait l'intention, plus tard, par
de faire savoir
&
ses parents etdes moyens détournés,
1
-47-d~glralt qu'on la ].:ds::.e en paix, qu'on ne la d.?r~nge llùf .•
Il était hors de question qu'elle vive aux dépens rl~
Montéclin, si généreux, et Athénaise était décidée
dénicher un travail agréable et convenable.
Mais en attendant, ce qui était le plus urg0nt, c'ét~ll
de t.or
t
1r chercher du ti:3SU, .; pe u cl e f ra 1:3 , pOllrconfectionner une petite robe ou deux, car elle se trouvait
dans la situation difficile d'une jeune femme qui n'a
littéralement presque rien ~ se mettre sur le dos. Elle>
Ch015it un bl.3rtc pur pour l'une et un coton., flenr:::. pour
l'autre.
VII.
Le dimanche matin, deux jours après l'arrivée d'Athénai~e
.;. la ville, elle descendit déjeuner 1.111 petit pen plllS t.;nd
que d'habitude et trouva deux couverts sur la table, au lieu
d'un seul, auquel elle était accoutumée. Elle était allée à
déposé son éventail, son ombrelle et son livre ch: Ilte:3~.r·.~
côté. La salle à manger se trouvait juste au-des~ous de S~
propre chambre, et comme tOlltes les pièces de 1.:1 1IId1:31.111,
prélart luisant.
La table, petite et ronde, dressée avec un soin
impeccable, était placée près d'une fenêtre ouverte. Il Y
avait de grandes plantes dans les boîtes sur la galerie
dehors et Pousette, une petite femme très &gée, b la peau
très noire, jetait l'eau de son seau, éclaboussant le pavé,
et elle parlait A haute voix, dans son patois créole, A
personne en particulier.
Sur la table, il
Y
avait un plat rempli de petitescrevettes, sur glace; une carafe d'eau claire et cristalline,
quelques hors d'oeuvres, un pain rond français, brun-doré et
croustillant, A côté de chaque assiette. Une demi-bouteille
de vin et le journal du matin étaient placés à côté du
couvert devant celui d'Athénaise.
Elle avait presque terminé son déjeuner quand Gouvernail
entra et s'assit A la table. Il fut agacé de voir que son
intimité, si chère, était soudainement envahie. Sylvie
enlevait les restes d'une côtelette de mouton qu'elle avait
servie à Athénaise et lui donna une tasse de café au lait.
«M'sieur Gouvernail,» proposa Sylvie, avec délicatesse
1
1
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·-49-C'est la soe~ de M'sieur Mich6; vous l'avez contré deux ou tais fois, vous vous rappelez et vous êtes allé, ein jour, aux cousses avec lui. Madame cazeau, lessez-mol vous pr6senter M'Sleur Gouvernail)~.
Gouvernail se dit enchanté de faire la connaissance de la soeur de Monsieur Miché dont il n'avait pas le moindre souvenir.
rI
s'informa de la santé de Monsieur Miché et offrit poliment A Ath6naise une partie de son journal, - la partie qui contenait la page des femmes et les potins.Athénaise se rappela vaguement que sylvie lui avait parlé d'un certain Monsieur Gouvernail, qui occupait la chambre à caté de la sienne et qui vivait dans un décor luxueux, parmi une multitude de livres. Elle avait à peine pensé
A
cet homme. Elle e·e l' ét.:.\1 t f 19uré COlome Utlgentilhomme, d'un certain age, corpulent, portant une barbe touE fue et gr isonnante 1 et de grosses 1 unettes .; mon tllre
dorée sur le nez. Elle l'avait imaginé le dos un peu courb', toujours penché sur des livres et des cahiers. Elle le confondait, dans sa tête, avec une célébrité littéraire, qu'elle aurait vue, par hasard, dans les pages publicitaires d'un magazine.
Gouvernail n'avait pas un physique très frappant. De taIlle moyenne, peu corpulent, il avait l'air d'avoir entre trente et quarante ans. Il était discret, silencieux et se comportait en être solitaire. Ses cheveux brun pâle étaient peignés avec soin et séparés au milieu. Sa moustache était brune, ses yeux aussi et son regard était doux, mais pénétrant. Il était propre, bien habillé, à la mode du jour. Ses mains parurent à Athénaise, remarquablement blanches et douces, pour un homme.
Il s'était plongé dans la lecture de son journal quand il réalisa, soudaln, qu'il devrait peut-être faire plus de cas de la soeur de Miché. Il allait lui offrir un verre de VIn et fut surpris, et soulagé à la
s'était glissée hors de la pièce,
fois, de voir qu'elle sMns faire de bruit, pendant qu'il avaIt été absorbé par l'éditorIal qu'il avait r~rllgé sur la corruption des lois.
Gouvernail termina son journal et fuma un cigare sur la galerie. Il flâna, cueillit une rose pour la mettre à sa boutonnlère et fit un brin de causette à Pousette, comme tous
leE. dllll.3nchef. (lt.:ttIrIS. Il lUI donnalt un peu d'EŒgent, ehëif!1Jè :3ëmaillé, pOllr qu'ellé lui bro::.::;e ::'oe8 Ch.:HlssurO:-:3 et vêtement:::. Il aimait la taquiner et voulait marchander avec elle juste
-51-pour la voir :3 'inquiéter et ee lancer d.HW mie volubile
explication.
Il écrivait ou lisait dam~ sa chambre pendallt quelques
heures et quand il quittait la maison,
A
trois heures del'après-midi, il n'y revenait que tard dans la nuit. C'était
son habitude, bien ancrée, de passer ses dimanches soirs dans le quartier américain, avec un groupe sympathique d'hommes et
de femmes, - des esprits forts1~, tous, qui menaient des vies
irréprochables, mais dont les opinions aurai~nt même étonné
t
!
les "'-""sapeurs» traditionnels, pour qui <'-rien n'est sacré..'>.
l
Mais pour extrimes que fussent ses opinions, Gouvernail était;
un homme ., l'esprit ouvert; i l respectait les hommes COl\Ime
les femmes, même s'ils étaient mariés.
Quand il quitta la maison, dans l'après-midi, Athénaise
s'était déjà installée sur le balcon avant. Il l'aperçut à
travers les jalousies en se rendant ~ la porte d'entrée.
Elle ne se sentait ni seule, ni triste encore; la nouveauté
de ce décor suffisait A la distraire. Elle trouvait plaisant
de s'asseoir sur le balcon avant et de regarder les gens
passer, même si elle n'avait personne ~ qui parler. Et puis,
Il
1
!
il était réconfortant d'être devenue une femme libre. en français dans le texte (N.d.T.)
Elle regarda Gouvernail descendre la rue et ne trouva
aucun défaut A son allure. Il put entendre le bruit que
faisait son fauteuil ~ bascule pendant une certaine distance.
Il ~~ demandait ce gue la «pauvre petlte'~ pouvait bIen
EJlre dans cette ville et se promit de poser la question b
Sylvie, quand cela lui VIendrait à l'esprit.
1
1
DIFRO GLOPA DIFRO DIFRO DIFRO DIFRO DIFRO DIFRO DIFRO DIFRO DIFRO . DIFRO DIFRO
-",-" DIFRO DIFRO DIFRO DIFRO DIFRO DIFRO ALPA AL PA DIFRO DIFRO DIFRO DIFRO DIFRO aut - autre ben - bien bésoin - besoin chambe - chambre -53-LEXIQUEchose chose; chose est aussi employé adjectivement en
créoll~ .
cochon - personne qui se plaît dans la saleté; ordurier.
compr ênne - comprendre l' compr i s .
<
<Compr ênne> >
es t auss t unnom en créole qui signifie compréhension. contré - rencontré
cousses - courses (de chevaux)
d~niere - dernl~re oepls - depuis dijà - déjà dzlre - dire eln _. un fa! .. fait
filé gombo - la cuisine louisianaise s'enorgueillit d'un mets
très réputé du nom de «filé gombo» qui est
une espèce ~e soupe au calalou et au filet de
boeuf. frè - frère
galérie - galerie genti- gentils
hersoir - hier solr
ictte - ici; autour, ici alentour, dans ces environs.
lessez-moi - laissez-moi
lette - lettre
libe - libre
lives - livres
t' 1 OIFRO OIFRO OIFRO ALPA DI FRa DI FRa OURO OURO OIFRO AL PA DI FRO OIFRO ALPA OURO ALPA OIFRO OURO ALPA OURO DURO DIFRO DI FRO D IPPO DIFRO DIFRO ALPA mand~ - demand~ meilleù - meilleur M'sieur - Monsieur nuitt - nuIt
pace que - parce que pa t i' - pa r t 1 (e )
peut-ète - peut-fitre
plé - pieds pis -pub
qulque chbee - quelque chose seumalne - 8emalne
soeù - soeur soi - soir su - sur
suppoter - supporter, détester tand133 - tandis
ténez - tenez
tit, tite - petit, petite. Un t l t gar~on, une tHe fille. tois - trois
tolsleîme - troisième
toutt moune - tout le monde voéslne - voisine
vote - votre voyer - envoyer
voyons - cette locution annonce presque toujours une menace dans le langage des Créoles.
y - Quand le verbe avoir est précédé à la troisième personne de
«y»
ou de «yen», comme dans ces phrases: « i l y avait une fol~.», «11 y en a beaucoup», le pronom«11» di:3p2raît et on dit:
«y
a» (11 y en a), «yavait» (il Y avait), «yen» (il Y en). Ou bien i l se remplace par