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Quesnay, l’équilibre et la croissance
Elie Sadigh, Jean-Marie Huriot
To cite this version:
Elie Sadigh, Jean-Marie Huriot. Quesnay, l’équilibre et la croissance. [Rapport de recherche] Institut
de mathématiques économiques( IME). 1991, 22 p., ref. bib. : 2 p. �hal-01542107�
INSTITUT DE MATHEMATIQUES ECONOMIQUES
LATEC C.N.R.S. URA 342
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UNIVERSITE DE BOURGOGNE
FACULTE DE SCIENCE ECONOMIQUE ET DE GESTION
4, boulevard Gabriel -21000 DIJON - Tél. 80395430 -Fax 80395648
9108
QUESNAY, L’EQUILIBRE ET LA CROISSANCE
Jean-Marie HURIOT - Elie SADIGH
septembre 1991
I n s t i t u t de Mathématiques Economiques
Q U E S N A Y ,
L ' E Q U I L I B R E
E T
L A
C R O I S S A N C E
Jean-Marie HURIOT et Elie SÁDIGH
PRESENTATION.
"Depuis l’origine du monde il y a eu trois grandes
découvertes ... La première, c ’est l’invention de l’écriture ... La seconde est l’invention de la monnaie... La troisième est le Tableau Economique, le résultat des deux autres, qui en est le complément.." (Marquis de Mirabeau).
Le jugement de Mirabeau montre la fascination q u ’a pu exercer le Tableau de Quesnay sur la secte physiocratique. Adam Smith ironise sur
cette hyperbole. Karl Marx la considère avec beaucoup plus de
sympathie. Le Tableau est devenu aujourd’hui un passage obligé de tout apprentissage de l’histoire de l’analyse économique et se retrouve, parfois au prix de quelques discrètes distorsions, dans l ’héritage des courants analytiques les plus variés.
L ’économiste contemporain, confronté à cette "troisième
découverte" et troublé par son évidente imperfection, est placé devant l’alternative suivante.
Il peut se tourner vers l’exégèse, lire et relire les textes de Quesnay, y compris quand ils sont signés Mirabeau, et chercher entre les lignes une rigueur cachée ou le signe encore non entrevu d ’une signification ou d ’une cohérence nouvelles. Cela peut apporter deux résultats: le premier est l’échec; nous en avons fait l’expérience. Quesnay a été tant lu et relu que tout a été dit de ce q u ’ il a dit, de ses intuitions, de sa vision de l’économie (au sens schumpeterien) beaucoup plus complète et nuancée que ce qui transparaît dans le Tableau, mais aussi de ses naïvetés ou de ses contradictions. Mais il faut laisser à Quesnay le droit à l’imperfection dans un domaine que l’analyse contemporaine ne rend encore pas parfaitement lumineux. Le
"relecture", parfaitement inapproprié puisqu’il s ’agit généralement*
d ’une interprétation hautement sélective et déformante, rendue
d ’autant plus aisée par l’existence dans les nombreuses versions du
Tableau d ’une pensée évolutive et parfois contradictoire. De
nombreuses questions peuvent alors recevoir les réponses les plus divergentes avec les meilleurs arguments du monde, comme le montrent les exemples suivants.
- Quesnay raisonne-t-il en termes réels ou en termes monétaires?
Les partisans des deux interprétations trouveront les bonnes
citations. Un grand nombre de lecteurs voient chez Quesnay la
prédominance de la circulation réelle (bien exprimée par exemple par
Molinier, sans date). Cartelier (1984) y voit plutôt une théorie
entièrement fondée sur les seules grandeurs monétaires, interprétation qui est aussi celle de Vidonne (1986). En fait, Quesnay n ’avait pas une idée claire de la distinction réel-monétaire. Certes, ses flux sont repérés en valeur. Mais cette valeur ne fait que refléter la
dimension réelle sans rien y ajouter. La croyance en un surplus
exclusif dans l’agriculture fait penser que le produit net aurait plutôt une origine réelle. Mais dès que ce produit net circule, il n ’est plus possible de séparer ce qui est réel et ce qui est monétaire.
- Faut-il deux ou trois unités de monnaie pour assurer la circulation du produit net? Là encore les deux réponses peuvent recevoir des arguments. Molinier (sans date et 1958) montre bien que les deux réponses sont possibles et tout aussi compatibles avec l’esprit général de l’analyse de Quesnay.
On pourrait multiplier les exemples, ces ambiguités sont bien sûr inhérentes à l’imperfection de l’analyse de Quesnay face aux exigences de l’analyse contemporaine. Il est vain de vouloir lui faire dire plus q u ’il n ’a pu dire.
Reste alors la deuxième branche de l’alternative. Acceptons
délibérément' de voir le Tableau avec nos propres critères, nos propres instruments d ’analyse, nos propres préoccupations, sans abriter cette vision partiale et déformée sous le parapluie d ’une "relecture". Que
pouvons-nous dire aujourd’hui, à partir de ce que
nous
considéronscomme les principales hypothèses de Quesnay, et dans la perspective de ce qui est devenu important
depuis
Quesnay?Beaucoup de lecteurs attentifs et scrupuleux de Quesnay ont
disserté sur la morphologie et le fonctionnement de son état
stationnaire. Beaucoup aussi l'ont reformulé à leur manière. Moins* nombreux sont ceux qui se sont attaqués à sa conception de l'évolution économique. Un des meilleurs commentateurs de Quesnay, Molinier (sans date), écarte avec prudence cette question délicate. L'interprétation la plus pénétrante de l'évolution chez Quesnay est réalisée par la reformulation qu'en donne Eltis (1984), même si on peut considérer qu'elle n'est pas entièrement satisfaisante.
On touche là ce que nous considérons à la fois comme une faiblesse majeure et comme un paradoxe fondamental de l'oeuvre de Quesnay.
Une faiblesse majeure, car seul l'état stationnaire est l'objet d'une analyse rigoureuse chez Quesnay. Le Tableau n'atteint son plus
haut degré d'élaboration (la "Formule") que dans un schéma de
reproduction à l'identique. Les considérations sur l'évolution
économique sont cantonnées à des recommandations de politique
économique, par exemple dans des séries de "maximes" que l'on retrouve dans de nombreuses publications, ou sont illustrées formellement dans le cadre d'une des premières versions du Tableau, le "zig-zag", qui ne peut fonder une véritable théorie de l'évolution puisqu'il ne prend pas en compte l'ensemble des flux du système.
Un paradoxe fondamental, car Quesnay avait regroupé les éléments théoriques suffisants pour élaborer cette théorie de l'évolution. Un des apports essentiels de Quesnay est en effet d'avoir mis l'accent sur le rôle du capital dans la production de richesse. Les "avances" sont la condition sine qua non de la production. Leur augmentation est
celle de la croissance du produit. Même dans le cadre d'une
distinction entre activités productive et activités improductive qui prête aujourd'hui à sourire, Quesnay a eu le génie de jeter les
éléments de bases d'une théorie de l'accumulation du capital.
Cependant il n'a pas constitué ces éléments en théorie et ne leur a pas donné une forme claire et une organisation systématique dignes de celles de la Formule. Tout ceci, joint à son peu d'attention pour l'épargne, fait qu'il est passé à côté de l'analyse de l'accumulation que les classiques, puis Marx, développeront à peu près sur les mêmes bases. En termes marxiens, Quesnay a réussi une analyse rigoureuse de
la reproduction simple, mais il a manqué celle de la reproduction élargie. La "troisième découverte" du monde est restée une ébauche.
Nous voudrions non pas résoudre mais seulement illustrer ce* problème formellement, à l’aide d ’une traductions moderne de l’analyse de Quesnay.
On sait que Quesnay a détecté plusieurs sources de perturbation de l’équilibre du Tableau, chacune étant génératrice d ’évolution du produit. Les principales sont la répartition des dépenses entre les
produits agricoles (de la classe "productive") et les produits
manufacturés (de la classe "stérile"), les différentes modalités
d ’imposition et les restrictions à la liberté commerciale. Pour
simplifier notre propos, nous nous limiterons à l’examen de la
première source, traduite sous forme d ’une variation des propensions à consommer les deux produits.
Nous présenterons d ’abord les éléments du problème en rappelant comment il se pose en termes des différentes versions du Tableau. Puis nous tenterons de mieux expliciter la problématique de l’accumulation. Nous utiliserons des éléments de l’analyse entrée-sortie, complétés pour tenir compte du capital fixe. Puis nous donnerons un exemple numérique et terminerons par quelques commentaires.
LE TABLEAU, LA FORMULE ET L ’EVOLUTION ECONOMIQUE.
Ce q u ’on appelle couramment le Tableau Economique de Quesnay se
présente en fait sous trois formes sensiblement différentes. La
première est celle du "Tableau" proprement dit, ou, de façon plus imagée, le "Zigzag" ou encore "Zizac". Quesnay en a réalisé trois éditions, la première en 1758, les deux suivantes en 1759. Le Zigzag a
été également largement utilisé dans
L'ami d e s hommes de
Mirabeau(1762), dans la septième partie:
Tableau
économique
avec
s e s
e x p l i c a t i o n s
, écrite en collaboration avec Quesnay. La seconde forme est une présentation condensée du Zigzag: le "Précis", q u ’on trouve dans plusieurs chapitres de laP h ilo s o p h ie r u r a l e
de Mirabeau écrits avec l’aide de Quesnay. Enfin la forme achevée est la "Formule", utilisée par Quesnay dansV Analyse de l a form ule a r ith m é tiq u e du
ta b lea u économique
(1766)*. Les meilleures descriptions détaillées de ces multiples versions se trouvent dans L ’édition des oeuvres deQuesnay par l’INED (1958) et dans Meek (1962). Suaudeau (1958).
regroupe un grand nombre de représentations figurées du Zigzag et de la Formule.
Nous ne ferons que résumer les fondements de l’analyse de
Quesnay, en général assez bien connus. Ils concernent la création et la circulation d ’un surplus, le produit net.
Quesnay se place dans le cadre d ’une économie capitaliste de
grande propriété (Faure-Soulet, 1964), mais encore marquée par le
féodalisme (Marx, 1974). Son analyse mélange la construction d ’un
système idéal et la description d ’une époque.
La production est réalisée grace à des avances en moyens de production: avances annuelles (capital circulant), avances primitives (capital fixe ou d ’exploitation) et avances foncières (opérations permettant de rendre la terre cultivable). Cette production engendre un produit net, différence entre la richesse créée et la richesse
dépensée, dans l’agriculture exclusivement. Il y a une vertu
particulière et exclusive de la terre à créer de la richesse qui fait de l’agriculture la seule activité "productive". L ’énoncé est absurde
mais il donne au concept de surplus une place centrale q u ’il
conservera pendant plus d ’un siècle; Marx ne s ’y est pas trompé même s ’il est allé un peu loin en faisant de Quesnay le découvreur de la
plus-value. Les activités non agricoles ne créent rien, mais
transforment, déplacent ou échangent.
La dépense du produit net est le point de départ d ’un circuit
entre trois classes de nature fonctionnelle: la classe des
agriculteurs ou classe productive, qui gère les avances annuelles et
primitives, la classe stérile qui regroupe toutes les autres
activités, et la classe des propriétaires fonciers qui reçoit sous forme de "rente foncière" la contre-valeur du produit net.
Nous ne rappelerons ici que le Zigzag et la Formule.
(1) Le Zigzag décrit une circulation partielle fondée sur les
Suaudeau (1958) mentionne que la Formule est apparue dès 1759 dans une édition du Tableau Economique.
effets multiplicatifs de la dépense du produit net par les propriétaires fonciers. Chaque classe (productive et stérile) utilise 2 unités d ’avances annuelles (en valeur). L ’amortissement du capital* fixe n ’apparaît pas. La classe productive tire de ses avances un produit net au taux de 100% , versé aux propriétaires qui initialisent sa circulation. Quesnay suppose au départ une propension à consommer des biens agricoles égale pour toutes les classes à 0,5. Le Zigzag se présente alors sous la forme de la figure 1.
Figure 1: le Zig-zag à l’état stationnaire.
Dépenses Dépense du Dépenses
productives produit net stériles
2
1 , 0 0 0 r e p r o d u i s e n t 1 , 0 0 0 1 , 0 0 0 0 , 5 0 0 r e p r o d u i s e n t 0 , 5 0 0 0 , 5 0 0 0 , 2 5 0 r e p r o d u i s e n t 0 , 2 5 0 0 , 2 5 0
2 , 0 0 0 2 , 0 0 0 2 , 0 0 0
Pour deux unités dépensées par les propriétaires, chacune des
classes productive et stérile reçoit deux unités. Les flux ainsi
engendrés sont souvent considérés comme des revenus, mais cette
interprétation n ’est pas compatible avec l’idée de Quesnay selon
laquelle le revenu s ’identifie avec le produit net, égal à deux
unités. Nous les nommerons ici "recettes".
Chaque fois que la classe productive reçoit x, elle l’utilise pour reconstituer ses avances et engendrer un produit net de x. Finalement, la classe productive a reconstitué ses avances initiales qui permettent de reproduire le schéma à l’identique. On a bien un
système stationnaire. Mais les choses ne sont q u ’apparamment
évidentes. Faisons le bilan des entrées et sorties de chaque classe:
■ La classe stérile produit deux unités qui sont vendues l’une à
la classe productive (qui dépense ainsi la moitié de ses recettes), l’autre aux propriétaires. Mais avec ses deux unités de monnaie, elle
n ’achète q u ’une unité de biens agricoles, ce qui ne lui permet pas de reconstituer physiquement ses avances.
■ La classe productive produit quatre unités (Deux unités *
d ’avances plus deux unités de produit net). Elle en vend une aux propriétaires et une à la classe stérile (qui dépense ainsi la moitié de ses recettes). Les deux autres sont conservées à titre d ’avances pour la période suivante. Mais de ses recettes, il ne lui reste q u ’une unité non dépensée et elle ne pourra payer intégralement la "rente" aux propriétaires.
On a donc un double problème de cohérence (noté en particulier
par Meek, 1962, 275-277) qui sera résolu dans la Formule. C ’est
2
cependant le Zigzag et sa version réduite, le Précis , qui sont
utilisés par Mirabeau-Quesnay pour montrer les effets d ’une variation des propensions à consommer des biens agricoles.
Le Zig-zag de la figure 2 nous montre les effets d ’une propension à consommer des biens agricoles qui passe de 0,5 à 0,4.
Figure 2: le Zigzag en déséquilibre. (d’après Mirabeau, 1763) Dépenses productives Dépense du produit net 2 Dépenses stériles 0 , 8 0 0 r e p r o d u i s e n t 0 , 8 0 0 1 , 2 0 0 0 , 4 8 0 r e p r o d u i s e n t 0 , 4 8 0 0 , 4 8 0 0 , 1 9 2 r e p r o d u i s e n t 0 , 1 9 2 0 , 2 8 8 1 , 6 8 4 1 , 6 8 4 2 , 2 1 1
Les auteurs en déduisent une chute cumulative du revenu et de la production, du fait de la réduction des avances agricoles et du
surplus qui est la source de la circulation. A ce stade, une
Le "Précis des résultats de la distribution représentée dans le tableau" (Mirabeau, 1763, 44) omet la progression géométrique des flux pour ne retenir que le résultat final des transactions.
constatation s ’impose: nous n ’avons trouvé chez Quesnay et Mirabeau que l’étude des effets d ’une
b a i s s e
de la propension et jamais d ’uneh a u s s e
. Il semble que cela soit à relier à l’idée de Quesnay:"Supposons donc un grand royaume dont le territoire porté à son plus haut degré d ’agriculture ..." (Quesnay, 1766, 47),
qui cache la croyance que l’état stationnaire est une sorte d ’optimum qui ne peut être que détérioré.
L ’évolution économique est bien comprise, mais plus intuitivement que formellement. Les auteurs ont raison de faire des avances de la classe productive la clé de l’évolution. Mais l’imperfection du Zigzag ne leur permet pas de formuler ces phénomènes de façon satisfaisante.
Dans la Formule, la classe stérile dépense une unité
supplémentaire en produits agricoles, ce qui lui permet de renouveler
ses avances. Alors la classe productive dispose d ’un revenu
supplémentaire d ’une unité, ce qui lui permet de payer la "rente" à la période suivante. La Formule intègre explicitement l’amortissement du capital fixe utilisé par la classe productive. Assez curieusement, la classe stérile n ’utilise pas de capital fixe. La Formule se présente alors comme sur la figure 3.
Figure 3: la Formule. (D’après Quesnay, 1766) Avanoes annuelles de la classe productive Revenu pour les propriétaires des terres, le souverain et les décimateurs Avances de la classe stérile
2 milliards 2 milliards 1 milliard
Sommes qui servent
à payer le revenu et les intérêts des avances primitives Dépenses des avances annuelles milliard 2 milliards Total 5 milliards Total 2 milliards dont la moitié est retenue par cette classe pour les avances de l'année suivante.
■ Quesnay ne fait apparaître q u ’une unité d ’avance pour la classe stérile, mais il est plus cohérent d ’en compter deux: les subsistances*
q u ’elle achète sont une avance au même titre que les matières
premières; de plus, la classe stérile n ’engendre aucun produit net: il faut bien que le montant des avances égale celui de la production. Ainsi, la classe productive et la classe stérile détiennent chacune 2 unités d ’avances annuelles. La classe productive détient de surcroît
10 unités d ’avances primitives (capital fixe) non figurées. Les
propriétaires détiennent 2 unités de monnaie ("rente foncière" payée à la période précédente).
■ Le processus de production transforme les 2 unités d ’avances de
la classe stérile en 2 unités de produits manufacturés, et les 2
unités d ’avances annuelles plus 1 une unité d ’avances primitives
(usure du capital fixe) de la classe productive en 5 unités de produits agricoles.
■ Ces produits sont échangés:
* les propriétaires achètent 1 unité de produits
manufacturés et 1 unité de produits agricoles;
* avec la monnaie ainsi obtenue, la classe productive achète
1 unité de produits manufacturés (destinés à la reconstitution du
capital fixe);
* la classe stérile utilise alors les 2 unités de monnaie
obtenues pour acheter 2 unités de produits agricoles, l’une pour la
subsistance, l’autre comme matières premières.
■ Les avances sont reconstituées: pour la classe stérile, par les
2 unités de produits agricoles q u ’elle a achetées; pour la classe
productive, par les 2 unités de produits agricoles q u ’elle a
conservées et par l’unité de produits manufacturés q u ’elle a achetée. ■ La classe productive peut payer 2 unités de "rente foncière" aux propriétaires.
Quesnay utilise cette Formule pour résoudre deux "problèmes
économiques" relatifs à l’augmentation du prix du blé et à la
perception d ’un impôt indirect, mais pas pour rechercher les effets d ’une variation de la propension à consommer des biens agricoles.
LE TABLEAU A L ’EPREUVE DE L ’ANALYSE ENTREE-SORTIE.
La Formule comme circuit désagrégé en trois classes
fonctionnelles est la proie révée de l’analyse entrée-sortie. Leontief lui-même considérait Quesnay comme son propre précurseur. Phillips (1955) a donné la première version entrée-sortie de la Formule, dans un modèle fermé à trois secteurs repris notamment par Spengler (1958), désagrégé par Barna (1975) en neuf secteurs et neuf éléments de coût, ouvert par Maital (1972), par Pasinetti (1977) et en quatre secteurs
par Samuelson (1982). Parfois on se contente de trouver là une
représentation commode du circuit de Quesnay. Dans d ’autres cas, on utilise le pouvoir analytique du modèle (par exemple Samuelson, 1982; Delmas et Demals, 1990). Certes, cette traduction déforme, au moins sur deux points concernant le produit net versé aux propriétaires. D ’abord, ce versement sans contrepartie sous forme de "rente foncière"
devient dans le modèle entrée-sortie un versement réalisé en
contrepartie du service foncier fourni par les propriétaires à la classe des producteurs. Ce n ’est pas contradictoire avec la conception de Quesnay des avances foncières: les propriétaires ont assuré les travaux initiaux permettant l’exploitation des terres, ils en tirent donc rémunération. Ensuite, le décalage introduit par Quesnay entre le versement de la "rente foncière" et les flux de dépense q u ’elle engendre disparaît dans la simultanéité d ’un système d ’équations. Phillips (1955) y voit l’avantage d ’une circularité plus évidente. Cette transformation fait toutefois disparaître l’idée de surplus
(puisque le versement de la contre valeur du produit net se fait "en échange" (fictif) d ’un service rendu) et peut être considérée comme un
interprétation néoclassique (Walsh et Gram, 1980). Ces arguments
amènent à penser que la classe des propriétaires fonciers ne peut être considérée comme un banal secteur. Sa demande est motrice et ses propensions à consommer doivent rester exogènes. La traduction du
Tableau sous forme de modèle entrée-sortie présente encore
l’inconvénient de négliger la contrainte du capital fixe: on
complétera alors cette approche par la prise en compte de la
reconstitution de ce capital.
l’agriculture (1) et le secteur manufacturier (2). Les propriétaires fonciers émettent des demandes exogènes (vecteur de demandes finales Y) à partir de la "rente foncière" dont ils disposent et qui est supposée donnée dans un premier temps. Si l’on utilise les chiffres de la Formule de Quesnay, on obtient le tableau suivant:
1 2 Y
1 2 2 1
2 1 0 1
auquel correspond la matrice A des coefficients "techniques", où chaque terme est le rapport du flux correspondant à la production du secteur de destination:
" 0 . 4 1
0 . 2 0
Plus généralement, si a ^ est le coefficient exprimant le rapport du flux de i vers j au produit total x^ du secteur j, si r est la "rente foncière" dont disposent les propriétaires et si a est la proportion de ce revenu que les propriétaires consacrent à l ’achat de produits agricoles, le tableau entrée-sortie devient:
1 2 Y
1 a a ar
il 12
2 a a (l-a)r
21 22
L ’équation matricielle de Leontief, qui exprime le vecteur des productions X en fonction de celui des demandes finales Y, s ’écrit en général:
X = (I-A) Y ,
et prend ici la forme particulière:
(1)
X
i r 1-a11 -a12 - 1 ar
X
2 -a21 1-a22 (l-a)r
dont les solutions sont:
a (l-a)+a(l-a ) _ 12_________________ 22
Xi ~ r (1-a )(1-a )-a a x = r 2
a (a-l)+a a+l-a 11 21___________ (l-a )(l-a )-a a
11 22 12 21
(
2
)11 22 12 21
(c’est le déterminant dè la matrice [I—A ] ). Le produit total est:
x , * x2 “ r --- n ô --- • l3) ’
Dans la Formule de Quesnay, une hypothèse semble admise: le
secteur stérile dépense l’intégralité du produit de ses ventes en produits agricoles, ce qui signifie que a
^
= 1 et bien sûr a = 0 (voir la matrice A construite à partir de la Formule). Alors les résultats précédents se simplifient:« a (a-l)+a a+l-a
1 4. 11 21 ...
X ! = r
W
6t X2 = r --- D7--- * U )(avec D' = 1-a -a ). 11 21
A partir de là, une rapide analyse des propriétés des solutions permet de vérifier les conséquences de la variation des paramètres et notamment de la clé de répartition de la dépense des propriétaires, a.
On s ’étonnera peut-être que nous fassions varier la seule
propension à consommer des biens agricoles des propriétaires, alors que Quesnay fait varier simultanément et dans les mêmes proportions les propensions de toutes les classes. Nous faisons alors remarquer que Quesnay applique cette analyse au Tableau en zigzag alors que nous l’appliquons à la Formule; or dans ce cas, et de façon à boucler le circuit, la classe stérile dépense la totalité de ses rentrées en
biens agricoles. Il est donc impossible de lui appliquer une
propension variable. La seule origine reconnue des biens manufacturés
q u ’elle pourrait acheter est l’extérieur. La classe stérile peut
exporter des denrées alimentaires en échange de biens manufacturés (Meek, 1962, et Eltis, 1984, sur des "indications" de Quesnay dans Mirabeau, 1763, chapitre VII). Mais cela ne change pas sa propension à acheter des biens à la classe productive. De plus, les dépenses en biens agricoles de la èlasse productive et de la classe stérile sont d ’une autre nature que celles des propriétaires. Bien que certains commentateurs ne partagent pas ce point de vue, les premières ont tout de même un caractère plus "technique" que les secondes.
Les propriétés des solutions sont différentes selon q u ’on se situe dans la cas général d ’un modèle intersectoriel ou dans le cas des hypothèses de Quesnay.
Dans le cas général, une augmentation de a accroît le produit agricole et réduit le produit de la classe stérile, et inversement.
Si le présent modèle satisfait les hypothèses habituelles d ’un
modèle entrée-sortie où les
deux
secteurs engendrent un surplus("valeur ajoutée"), on a:
V a < 1 , c ’est-à-dire a +a < 1 et a +a < 1 .
r i j 11 21 12 2 2
1
Donc (1-a ) > 0 , (1-a ) > 0 , a < (1-a ) et a < (1-a )
11 2 2 21 11 12 2 2
si bien que D = (1-a )(l-a
)
- a a>
0 . n 11 22 12 21Alors la dérivée
d x r(l-a -a )
___ 1 ________ 12 22
dot
D
est positive, et la dérivée:
d x - r (1-a -a )
___ 2 ___________ 11 21
dot
D
est négative. □
Cela n ’est que la vérification d ’une loi élémentaire de l’analyse entrée-sortie. Cependant il n ’en va plus de même sous les hypothèses particulières de Quesnay:
Dans les hypothèses de Quesnay, une augmentation de a réduit le produit de la classe stérile mais laisse inchangé celui de la classe productive (Barna, 1975, et Samuelson, 1982, énoncent des résultats proches).
En effet, si a = 1 et a = 0 , on a a = (1-a ) , mais,
12 22 12 22
sauf absurdité du système, on a encore a < (1-a ) , donc D reste
J 21 11
strictement positif. Alors,
ôx
d xi n 4- 2
■=— = 0 et -5— = -r . □
doc doc
Alors le produit total baisse.
Une simple redistribution des dépenses des propriétaires est donc en elle-même insuffisante pour aboutir au résultat de Quesnay.
Ce qui fait la différence avec le cas général est l’hypothèse
qu ’un secteur est stérile et n ’engendre aucun surplus. La valeur
entière du produit de la classe stérile est dépensée en biens agricoles; ainsi
to u t e
la dépense des propriétaires est,d ir e c te m e n t
ou in d i r e c t e m e n t, une dépense en biens agricoles; la répartition
directe de cette dépense entre l’un et l'autre secteurs ne peut donc
avoir aucun effet sur le produit agricole.
Nous avons provisoirement raisonné avec un produit net r exogène, ce qui est peu satisfaisant. En réalité, r est lié au produit agricole
par un coefficient de rendement, ou de surplus noté /3 (il est
équivalent de relier formellement ce surplus au montant des avances ou à celui du produit). Ainsi:
r = [3x
(5)
1
(par définition du surplus, on a donc /3 = 1 - a - a ).
^ ^ 11 21
Cette équation, intégrée au modèle précédent,, nous ramène à un modèle fermé puisque toutes les variables sont maintenant endogènes.
Les équilibres en ligne (équilibres des emplois) de Leontief s ’écrivent alors: x - a x - a x = ar = a
Sx
1 11 1 12 2 * 1 -a x + x - a x = (l-a)r = ( l-a)/3x 21 1 2 22 2 1 ou, en réordonnant: (1-a -a/3)x - a x = 0 (6) 11 1 1 2 2 [-a + (a-l)/3]x + (1-a )x = 0 21 1 22 2Ce système homogène n ’a d ’autres solutions que la solution triviale x = 0 et x = 0 que si son déterminant est nul. Dans ce cas
1 2
il admet une solution non nulle avec un degré de liberté. Dans le cas général, le déterminant:
D = (1-a^-ap) ( 1 ~a22) + a i2[-a2i+(a-l)|3] ,
n ’aucune raison d ’être nul. Cependant, si comme le pose Quesnay
a = 1 et a = 0 , le déterminant simplifié:
12 22
D' = 1 - a - a - |3 11 21 '
est nul par définition, et le système admet une solution de niveau absolu indéterminé, deux variables quelconques pouvant être exprimées en fonction de la troisième, par exemple:
x2 = (l-a^-a/3) xi (7)
= (a2i+/3-a£) x i r = 0 x
ou, en termes de la "base" utilisée par Quesnay, c ’est-à-dire le produit net, variable motrice:
r x i = r/0 (8) *
x = (1- a ^ - apjr/p = ( a2i +p-ocp)r/p
On ne doit pas s ’étonner de cette indétermination qui est inhérente à tout système fermé et que Quesnay exploite en changeant sa "base" d ’une édition à l’autre du Tableau.
On constate par l’examen de la première égalité de (7) que lorsque a augmente, le rapport du produit de la classe stérile à celui de la classe productive baisse. A produit net fixé (8), on retrouve le résultat selon lequel une augmentation de a réduit x2 mais est sans influence sur x . Mais le
niveau
des variables est indéterminé et on1
ne peut encore tirer aucune conclusion sur l’évolution du système. Le chaînon manquant est le capital fixe utilisé par la classe productive.
LE CAPITAL FIXE.
En réalité, le flux d ’achat de produits manufacturés par la
classe productive, représenté par le coefficient a n ’a pas la nature d ’une consommation intermédiaire: c ’est un flux destiné à reconstituer
le capital fixe. Ceci est une contrainte qui restreint
l’indétermination précédente. Le produit xi n ’est pas seulement lié aux entrées intermédiares, mais aussi au capital fixe. C ’est là q u ’on trouve la clé de l’évolution.
Soit k la valeur de capital utilisé,
a^^ le coefficient de capital, égal à k/x^ ,
u le taux d ’usure annuelle du capital (1/10 pour Quesnay), La valeur du capital au début de la période t est égale à ce q u ’elle
était au début de la période t- 1 moins l’usure réalisée plus la
reconstitution opérée par l’achat de biens manufacturés: . t , t - i , t - i m t - i k = k - u k + a x 21 1 Par définition, t , t , x = k /a , 1 k l donc:
t i r / - m t - i t - i i
x = -- (l-u)k + x ;
l a Ir1 L 21 î J
k l
puisque k1’” 1 = a^x^ 1 , on obtient:
t
r a2i 1 t-ixi ■ i » - u * — j xi L k l J
(9)
L ’état stationnaire est réalisé lorsque: x^ = x^
1f
c ’est-à-dire lorsque:21
u = -- , ou a = u a . (1 0)
a ’ 21 kl
kl
Désignons par a ^ cette valeur "stationnaire" de a^.
La première conséquence de cette condition de stationarité est
q u ’à partir de (7), le rapport entre les deux produits xi et x
s ’exprime,
à 1* é q u i l i b r e s t a t i o n n a i r e
, par: x = (ua +p-afi)
x ;2 kl ' 1 1
ce rapport est fonction du taux d ’usure du capital fixe, u, du coefficient de capital fixe, a^,
du coefficient de surplus agricole,
fi,
etde la propension des propriétaires à
consommer des biens agricoles, a.
La seconde conséquence est que, à partir d ’une "ba&e" quelconque, le produit agricole, donc le produit total, ne peut s ’accroître que si
a > a* ,
21 21
c ’est-à-dire si une part plus grande de la valeur du produit agricole est consacrée à l’achat de biens manufacturés en vue d ’augmenter le capital fixe. Cela suppose non pas une modification des propensions à consommer le surplus, mais une opération distincte qui est celle d ’épargne et d ’investissement net. On sait que:
a + a +
fi
= 1 ,21 11 1 ’
avec
à
1*é t a t
s t a t i o n n a i r e ,
a ^ = a*^; L ’opération d ’épargne- investissement consiste pour les propriétaires à puiser dans lesurplus mis à leur disposition pour augmenter a ou, ce qui est
équivalent, à renoncer à une partie de ce surplus pour laisser la possibilité à la classe productive d ’investir directement; on obtient finalement:
a* + Aa + a +
fi*
+ A/3 = 1 , avec Aa +Afi
= 0 .Ce supplément de dépense en biens manufacturés est-il possible? Oui, puisque la dépense de consommation des propriétaires a diminué.
On peut noter que si la propension a ne change pas, la croissance * va s ’effectuer avec une proportion des produits plus favorable au secteur stérile q u ’à l ’état stationnaire. En effet (système 7):
x = (a +£-a/3) x ;
2 21 1
les variations de a
^
et de p s ’annulent; la baisse de /3 implique donc une augmentation dea ^ + p-ap
, donc une augmentation de x par rapport à x^. Toutefois, il suffit que a^
reste constamment supérieur àa*^
pour que le système croisse; mais si a reste constant (le taux
d ’accumulation est constant), le rapport entre les deux productions reste aussi constant, et la croissance se fait à taux constant dans les deux secteurs.
Inversement, a doit augmenter pour que l’on, conserve la même proportion des produits q u ’à l’état stationnaire.
RESUME, EXEMPLE ET COMMENTAIRES.
Le comportement du système est décrit par les équations (7) et l’équation (9). Il reste cependant une indétermination qui peut être levée si on se donne une valeur initiale de la production agricole x^, soit x° = x° . Enfin nous sommes dans le cas de Quesnay où a _ = 1 et
a22 = ^ous obtenons donc finalement le système:
a = 1 , a = 0 12 22 0 -o x = x 1 1
■ [
1 - u + 21 k lR
-= ( l - a ^ - 0 0 ) x* -= (a2i+0-oc0) x* = (3 x 12 (1 1)Les valeurs données par Quesnay aux paramètres à l’état
stationnaire sont les suivantes:
a = 0,5 ; 0 = 0,4 ; u = 0 , 1 ; a = 0,5 il a = 2 . kl a = 0,2 21
stationnaire et posons x^ = 5 . Vérifions qu'on a bien un état stationnaire et q u ’on obtient les productions de Quesnay:
xj = (1-0,1+0,2/2) x° = x° = 5 ; x1 = x° = (1-0,4-0,2) 5 = 2 ;
0 2
r1 = r° = 0,4.5 = 2 .
Comment le système engendre-t-il une croissance? Supposons q u ’à partir de la période 1 on assiste à un processus d ’accumulation: a passe de 0,2 à 0,4 et, par une variation exactement opposée,
¡3
passe de 0,4 à 0,2 . La propension à consommer des biens agricoles sur le surplus restant disponible ne change pas. L ’application des équations du système (1 1) donne alors:X2 = 5,5 X3 = 6,05 X4 = 6,655
1 l 1
x2 = 2,75 x3 = 3,025 x4 = 3,327
1 ’ 2 ’ 1
r2 = 1,1 r3 = 1,21 r4 = 1,331
On a une croissance à taux constant de 0,1 qui est le taux d ’accumulation, c ’est-à-dire le taux brut d ’augmentation du capital moins le taux d ’usure:
- u - 0.1 . a
kl
On vérifie que le rapport des productions est plus favorable au secteur stérile en régime d ’accumulation q u ’à l’état stationnaire.
La présentation qui vient d ’être faite mérite quelques
commentaires.
(1) Nous sommes partis d ’une production initiale dans le secteur agricole et avons écrit une équation avec décalage pour l’évolution de
cette production. Nous aurions pu prendre comme base non pas la
production agricole mais le surplus dont disposent les propriétaires. Le système obtenu serait parfaitement identique au système (11), l’équation r1 = (3 x^ permettant de passer de l’un à l’autre. Cela signifie q u ’à chaque période, les trois variables x , x et r sont en interdépendance simultanée. S ’il y a une cause première, c ’est la volonté d ’épargner et d ’investir.
présentation n ’entre pas dans le domaine de la dynamique. A chaque période t nous avons un modèle d ’équilibre, et nous passons de l’un à l’autre en changeant un paramètre: le montant de capital fixe. Cette démarche relève de la statique comparative. Une approche véritablement
dynamique aurait exigé que nous montrions précisément
comment
on passede l’équilibre en t-1 à l’équilibre en t. Nous ne disons rien de la manière dont s ’ajustent les variables les unes aux autres, par quelque processus de tâtonnement. Nous montrons seulement quelles sont leurs valeurs pour chaque équilibre réalisé. Mais nous affirmons que ces équilibres existent et q u ’un processus d ’accumulation et de croissance est réalisable dans le schéma de Quesnay. Il est vrai que Quesnay et ses disciples recherchaient un processus séquentiel dans lequel on pouvait "voir" comment passer d ’une phase à une autre. Mais ils ne l’ont pas vraiment trouvé. Le Zigzag q u ’ils ont manipulé pour cela ne pouvait leur donner une réponse satisfaisante puisqu’il ne représente qu’un "sous-système". Par ailleurs les "phases" du Tableau en zigzag sont très artificielles: si on est capable d ’y voir un tâtonnement, alors on peut le voir aussi dans le multiplicateur matriciel, présent implicitement dans l’opération d ’inversion matricielle qui est à la
base de notre développement. C ’est le processus de régression à
rebours connu sous le nom de multiplicateur de Cornfield-Leontief par lequel on passe de la demande finale pour un bien successivement à la
production directement nécessaire pour la satisfaire, puis aux
productions nécessaires pour réaliser celle-ci, puis aux productions
nécessaires pour réaliser ces dernières, etc... Samuelson (1982)
montre la parenté, sinon l’identité, entre les deux processus.
(3) Les prix ne jouent aucun rôle dans notre présentation. Or le
processus d ’accumulation peut être lié à un changement de prix. Supposons que le montant de monnaie soit donné, que les propriétaires
persistent à consommer l’intégralité du produit net, mais que a
s ’accroisse: les propriétaires augmentent leur demande de biens
alimentaires. Si celle de la classe stérile ne change pas, et si la classe productive n ’entame pas la part de son produit q u ’elle consacre aux avances annuelles, le prix des biens alimentaire s ’accroît. La classe productive peut simplement se substituer aux propriétaires pour
manufacturés ne change donc pas. Cette situation a pour conséquences:
(a) la classe productive achète plus de produits
manufacturés et peut donc augmenter le montant de son capital fixe:
a augmente au dessus de sa valeur stationnaire et engendre un
processus de croissance; comme le prix des bien alimentaires a
augmenté, la "rente" réelle dont bénéficient les propriétaires
diminue: avec deux unités de monnaie, il peuvent maintenant acheter moins de deux unités de produit: P a baissé;
(b) le prix des biens alimentaires a augmenté: la classe
stérile peut en acheter moins; ce n ’est possible que si les
travailleurs de cette classe n ’étaient pas auparavant au niveau minimum de subsistance.
Nous avons là un cas particulier d ’augmentation de a
^
liée à une baisse de¡3
qui résulte cette fois de l’épargnef o r c é e
engendrée par la variation de prix et pesant sur les propriétaires et la classe stérile.(4) Peut-être que Quesnay ne se retrouverait pas dans ce que nous
disons, mais ce n ’était pas notre but. Encore une fois, nous ne
souhaitons pas nous mettre dans sa peau, encore moins lui être
rigoureusement fidèles. D ’ailleurs, à quel Quesnay faudrait-il l’être? La fidélité à un auteur d ’il y a plus de deux cents ans est un mythe, nous ne pouvons voir les choses comme il les voyait. Une telle
fidélité ne ferait que nous maintenir dans les erreurs ou
insuffisances de son analyse. Nous n ’avons peut-être pas été plus loin que lui, mais nous y sommes allés avec d ’autres outils, pour y voir plus clair. Cela nous a permis de mettre en évidence le rôle premier que doivent jouer l’épargne et l’accumulation dans la croissance.
La science économique n ’est-elle pas, comme le dit Schumpeter, un domaine de la "connaissance outillée"?
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