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Représentations personnelles et expérience émotionnelle de la sexualité chez des femmes offrant des services d'escorte

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Academic year: 2021

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Texte intégral

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Représentations personnelles et expérience émotionnelle de la

sexualité chez des femmes offrant des services d'escorte

Thèse

Jacqueline Comte

Doctorat sur mesure en sexologie

Philosophiae Doctor (Ph.D.)

Québec, Canada

(2)

Représentations personnelles et expérience

émotionnelle de la sexualité

chez des femmes offrant des services d'escorte

Thèse

Jacqueline Comte

Sous la direction de :

Myreille St-Onge, directrice de recherche

Maria Nengeh Mensah, codirectrice de recherche

(3)

Résumé

Bien que la sexualité soit au cœur du travail du sexe, la recherche s'est peu intéressée à l'expérience qu'en font les personnes travailleuses du sexe. C'est donc à partir d'arguments idéologiques que se confrontent différents discours concernant les conséquences morales, émotionnelles et sexuelles découlant de la vente de services sexuels, certains soutenant qu'il y a nécessairement aliénation, d'autres que non. Cette étude a eu pour but de mieux comprendre, à partir des témoignages de femmes offrant ou ayant offert des services d'escorte, comment se construit et s'organise l'expérience qu'elles font de la sexualité. J'ai ainsi rencontré 16 participantes dans le cadre de deux entrevues semi-dirigées afin d'explorer les représentations et l'expérience émotionnelle qu'elles ont de la sexualité. La première entrevue s'est centrée sur la perception et l'expérience que les participantes ont de la sexualité dans le cadre de prestations sexuelles rémunérées ainsi que lors de relations sexuelles personnelles. La deuxième entrevue a permis d'approfondir ces thèmes en explorant leur expérience de l'érotisme dans ses composantes génitale et fusionnelle, leur sentiment de féminité et, finalement, leur manière d'interagir au quotidien avec les hommes et les femmes. L'analyse des données s'est réalisée à l'aide de la méthodologie de théorisation ancrée. L'échantillon est surtout composé de femmes recherchant ou acceptant le plaisir sexuel lors de la performance rémunérée de sexualité, tout en incluant quelques participantes qui évitent de ressentir du plaisir sexuel dans ce cadre. Les participantes de cet échantillon ont choisi, parmi différentes possibilités d'emploi qui s'offraient à elles, de s'engager dans l'industrie du sexe. De plus, la plupart d'entre elles offrent leurs services de manière indépendante, exerçant ainsi un plus grand contrôle sur leurs conditions de travail que celles travaillant en tant qu'employées.

Les résultats montrent que l'expérience émotionnelle ressentie lors d'une performance rémunérée de sexualité est liée au type de représentations de la sexualité que soutient la travailleuse. Celles qui recherchent ou acceptent le plaisir sexuel partagent un ensemble de représentations dans lequel la sexualité est perçue comme pouvant être saine, nourrissante et satisfaisante lorsqu'elle est exprimée en dehors du couple amoureux et dans le cadre d'un service rémunéré. Elles croient en la légitimité de leurs services et souhaitent faire du bien aux clients qu'elles rencontrent. Faisant un travail de deep acting sur les émotions (Hochschild, 1983) et créant un espace professionnel d'authenticité limitée (Bernstein, 2007), elles mettent l'accent sur la création d'un contact empathique envers le client, investissent une part d'elles-mêmes dans ce contact et se sentent à l'aise devant la montée d'excitation se produisant chez le client de même qu'à en ressentir une elles-mêmes. Ce faisant, elles retirent différents types de plaisir dans le cadre de leur travail (quant au travail bien fait; lié à la performance sexuelle; ressenti de plaisir sexuel) ainsi qu'un sentiment de satisfaction personnelle, voire d'accomplissement de soi à travers le travail. De leur côté, les participantes qui évitent le plaisir sexuel partagent un autre ensemble de représentations dans lequel la sexualité est perçue comme devant être exprimée uniquement dans un cadre amoureux afin de demeurer morale et normale. Elles s'engagent dans le travail du sexe dans le but d'en obtenir un revenu intéressant mais, afin de maintenir une signification de la sexualité comme expression du lien amoureux, elles doivent faire en sorte que la sexualité au travail soit vidée de toute ressemblance avec la sexualité amoureuse. Le travail qu'elles font sur les émotions diffère totalement du premier groupe. Elles jouent un rôle en surface – surface acting (Hochschild, 1983) – en faisant semblant d'être sexuellement intéressées par le client tout en évitant tout ressenti sexuel ainsi que tout contact émotionnel avec celui-ci. Elles se dissocient du rôle mais cette distanciation ne les protège pas contre la honte et le dégoût, et la rencontre avec le client est vécue comme stressante et déplaisante. Elles ressentent ainsi leur travail comme étant aliénant même s'il apporte des revenus intéressants. Bref, cette étude a identifié deux ensembles différents de représentations personnelles de la sexualité et du travail du sexe, lesquels sont liés à deux processus différents de travail sur les émotions qui, à leur tour, conduisent à deux types différents d'expérience quant au travail, soit de plaisir et de satisfaction personnelle ou de déplaisir et d'aliénation.

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Abstract

Even though sexuality is at the heart of sex work, research has not yet focused on how sex workers experience it. It is therefore from ideological positions that different discourses argue about the moral, emotional and sexual consequences arising from the sale of sexual services, some maintaining that there is necessarily an alienation, others saying this is not the case. The aim of this study was to better understand, through testimonies from women offering or having offered escort services, how their experience of sexuality is constructed and organized. I thus individually met with 16 participants through two semi-directed interviews in order to explore the representations and the emotional experience they have regarding sexuality. The first interview focused on the perception and experience that the participants have regarding sexuality within the frame of paid sexual performances as well as during personal sexual relationships. The second interview gave space for an in-depth exploration of these themes through a discussion of their experience of eroticism in its genital and fusion aspects, of their feeling of femininity and, finally, of the way they interact in their daily life with men and women. Data analysis has been done using grounded theory methodology. The sample is mainly composed of women pursuing or accepting sexual pleasure during the paid performance of sexuality, while also including some participants who avoid feeling sexual pleasure in this circumstance. Participants from this sample chose, among different work possibilities that were offered to them, to engage themselves in the sex industry. Furthermore, most of them offer their services as independents, thus exerting more control over their work conditions than those working as employees.

Results show that the emotional experience felt during a paid performance of sexuality is linked to the type of representations regarding sexuality that is being held by the sex worker. Those who pursue or accept sexual pleasure share a set of representations in which sexuality is perceived as holding the possibility of being healthy, nourishing and satisfying when expressed outside love relationships and within the frame of paid services. They believe in the legitimacy of their services and wish to bring wellness to the clients they encounter. Doing emotion work of “deep acting” (Hochschild, 1983) and creating a professional space of “bounded authenticity” (Bernstein, 2007), they put emphasis on the creation of an empathetic contact with the client, investing a part of themselves in this contact and feeling at ease regarding the increase in sexual arousal that is happening for the client as well as regarding the one that they are experiencing within themselves. As a result, they experience different types of pleasure from their work (regarding work well done; related to sexual performance; sexual pleasure) as well as a feeling of personal satisfaction and even of personal self-accomplishment through work. For their part, participants who avoid sexual pleasure share another set of representations in which sexuality is perceived as having to be expressed only within a love relationship in order to remain moral and normal. They engage themselves in sex work for its good income but, in order to maintain the significance of sexuality as an expression of the lovers' bond, they have to ensure that work sex is emptied of all similarities with private sex. The emotion work they perform is completely different from the first group. They do “surface acting” (Hochschild, 1983), playing a role in which they pretend to be sexually interested in the client while avoiding all sexual sensations as well as all emotional contact with him. They dissociate from the role but this distancing does not protect them from shame and disgust, and the encounter becomes stressful and displeasing. They therefore experience their work as being alienating even though it brings good income. In sum, this study identified two different sets of personal representations of sexuality and of sex work, these being linked to two different processes of emotion work which, in turn, lead to two different types of experiences regarding work, whether of pleasure and personal satisfaction or of displeasure and alienation.

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Table des matières

Résumé...3 Dédicace / épitaphe...11 Remerciements...12 Avant-propos...13 Chapitre 1 Introduction...1 1.1 Point de départ...1

1.2 Utiliser sa subjectivité en tant que ressource pour une plus grande objectivité...3

1.3 La sexologie comme point d'ancrage du développement de la problématique...5

1.4 Problématique de la sexualité dans le travail du sexe...8

1.4.1 Recension des écrits...8

1.4.2 D'une déviance sexuelle chez la femme, à l'exploitation sexuelle de la femme...10

1.4.3 Stratégies sexuelles déployées afin de contrer les stigmates...13

1.5 Pertinence d'explorer les représentations personnelles de la sexualité...17

1.6 But, question de recherche et objectifs...21

1.7 Posture épistémologique et méthodologie de recherche...23

Chapitre 2 Stigmatisation du travail du sexe et identité des travailleurs et travailleuses du sexe...28

Introduction...28

Définir la prostitution et le travail du sexe...29

Définir la stigmatisation...31

Stigmatisation de la prostitution...34

Quand les stigmates se rencontrent...38

Faire face au stigmate de la prostitution...40

Sexualité et manipulation de soi...46

Contrôle sexuel des femmes et identité...52

Contrôle sexuel des hommes et identité...54

Identité sexuelle, identité personnelle et travail du sexe...55

Chapitre 3 Decriminalization of Sex Work: Feminist Discourses in light of Research...57

Sex work and oppression of women...58

The abolitionist argumentation...59

The sex-positive feminist argumentation...63

The argumentation in favor of decriminalization...65

Reality as it is studied by scientific research...69

Sexual control of women and identity...79

Decriminalizing and getting rid of the whore stigma...82

(6)

Chapitre 4

Méthodologie de la recherche...83

4.1 Choix de la méthodologie de théorisation ancrée...83

4.2 Construction du projet de recherche en théorisation ancrée...84

4.3 Recrutement...86

4.3.1 Processus de recrutement...86

4.3.2 Échantillonnage initial et échantillonnage théorique...89

4.4 Considérations éthiques...91

4.5 Collecte des données par entrevues semi-dirigées...92

4.5.1 Développement d'un canevas d'entrevues...92

4.5.2 Développement des thèmes de la première entrevue...94

4.5.3 Développement des thèmes de la deuxième entrevue...96

4.6 Processus d'analyse des données...98

4.6.1 Codification...98

4.6.2 Catégorisation...99

4.6.3 Mise en lien des catégories...101

4.6.4 Théorisation...106

4.7 Biais, forces et limites de la recherche...108

4.7.1 Sur le plan épistémologique et théorique...108

4.7.2 Sur le plan méthodologique...110

4.7.2.1 Théorisation ancrée...110

4.7.2.2 Processus d'analyse des données...113

4.7.3 Échantillonnage...114

4.7.3.1 Taux de participation...114

4.7.3.2 Échantillonnage boule de neige...115

4.7.3.3 Échantillonnage théorique et saturation des données...116

4.7.3.4 Degré de généralisabilité de l'échantillon obtenu...117

4.8 Degré de transférabilité des éléments de théorie développés...118

Chapitre 5 Portrait des femmes rencontrées...120

5.1 Introduction...120

5.2 Caractéristiques des participantes lors des entrevues...120

5.3 Activités dans l'industrie du sexe...122

5.4 Scolarité et emplois en dehors du travail du sexe...126

5.5 Motivations à entrer et sortir de l'industrie du sexe...129

5.6 Situation de couple et familiale des participantes...131

Chapitre 6 Parcours de travailleuses du sexe offrant des services d’escorte au Québec...136

Introduction...136

Présentation de l'étude...139

Motivations à offrir des services sexuels rémunérés...141

Parcours dans le travail du sexe...146

Expérience des différents milieux et types de travail...149 vi

(7)

Choix et degré de contrôle personnel sur les conditions de travail...151

Partenaires et travail du sexe...157

Consommation d’alcool ou de drogues...161

Conclusion...166

Chapitre 7 Expérience du plaisir sexuel et représentations de la sexualité chez des femmes offrant des services d'escorte...169

7.1 Introduction...169

7.2 Différentes manières d'aborder le plaisir sexuel...170

7.2.1 Rechercher le plaisir sexuel...170

7.2.2 Accepter le plaisir sexuel...172

7.2.3 Éviter le plaisir sexuel...172

7.2.4 Avoir de la difficulté à ressentir le plaisir sexuel...172

7.2.5 Accepter et éviter le plaisir, selon la situation...174

7.2.6 Groupes distincts quant aux représentations de la sexualité...175

7.3 Intégrer sa propre sexualité dans le service offert...176

7.3.1 Prendre plaisir à la sexualité fait partie de la vie...177

7.3.2 Développer une juste mesure quant au ressenti de plaisir sexuel...180

7.3.3 Avantages sexuels à offrir du service d'escorte...182

7.3.4 Intégrer le plaisir à travers une éthique d'expérimentation et d'authenticité...185

7.4 Séparer sa propre sexualité du service offert...189

7.4.1 Avoir du plaisir sexuel en tant qu'escorte : anormal, honteux et coupable...191

7.4.2 Dangers à accepter le plaisir sexuel dans le service d'escorte...193

7.4.3 Le plaisir sexuel, cela peut être correct... pour les autres...195

7.4.4 Positionner la sexualité dans le service d'escorte comme étant totalement différente de celle de la vie privée...197

7.5 Séparer – parfois – sa propre sexualité du service offert...202

7.5.1 Demeurer professionnelle même quand le désir est intense...202

7.5.2 Être en couple et offrir des services d'escorte...203

7.5.3 Répondre à la demande (raisonnable) du client : une priorité...204

7.5.4 Simuler le plaisir lorsque nécessaire...207

7.5.5 Faire du bien au client apporte une satisfaction personnelle...208

7.6 Représentations à la base de l'expérience de plaisir sexuel dans le service d'escorte...210

7.6.1 Deux représentations très différentes...210

7.6.2 Deux types très différents d'expérience...211

7.6.3 Gestion des risques émotionnels pouvant découler de l'offre de services sexuels...220

7.6.4 Travail sur les émotions dans le service d'escorte...224

7.6.5 De la représentation à l'expérience, processus différents...228

7.7 Similitudes et différences entre travail du sexe et vie privée quant à l'expérience de sexualité ...231

7.7.1 Pratiques sexuelles, plaisir et orgasmes semblables...232

7.7.2 Rencontres sexuelles semblables à une rencontre d'un soir...234

7.7.3 Rencontres sexuelles parfois semblables à celles avec un amant ou une amante...235

7.7.4 Intention différente...236 vii

(8)

7.7.5 Pratiques sexuelles réservées pour la vie privée...239

7.7.6 Différences quant aux sensations génitales et au sentiment amoureux...242

7.7.7 Différences dans le degré d'exploration de la sexualité...245

7.8 Deux ensembles de similitudes et de différences...247

7.9 Conclusion...252

Chapitre 8 Types of pleasures occurring through paid sexual performances among women offering escort services...256

Introduction...257

Methodology...260

Interview content...260

Data analysis procedure...261

Sampling procedure...261

Participants...262

Doing performance...264

Skills necessary for a good work performance as an escort...267

Self-presentation...267

Listening skills...269

Sexual competence...271

Comfort with sexual arousal while doing a paid performance of sexuality...272

Types of pleasures experienced in a paid performance of sexuality...275

Pleasure resulting from work well done...277

Pleasure resulting from performing sexuality...281

Sexual pleasure...284

Performing sexuality with a type of pleasure that is without sexual pleasure...287

Conclusion: Remaining authentic versus distancing from the role...288

Chapitre 9 Conclusion...292

9.1 Contribution originale aux connaissances...292

9.2 Définition de la sexualité et modélisation de l'expérience...296

9.3 Transférabilité de la théorie développée...298

9.4 Quelques nouvelles pistes de recherche à explorer...300

9.5 Recommandations...305

Références bibliographiques...309

Annexe 1 : Textes de présentation...324

Annexe 2 : Feuillet d’information...328

Annexe 3 : Listes de ressources...330

Annexe 4a : Courriel de validation du modèle développé...333

Annexe 4b : Présentation de ma compréhension aux participantes...334

Annexe 5 : Canevas d’entrevue...336

Annexe 6 : Fiche signalétique...344

Annexe 7 : Liste des catégories développées dans la grille de codification et leurs définitions...345 viii

(9)

Index des tableaux

Tableau 5.1 : Nombre d'entrevues et durée, pour chaque participante...122

Tableau 5.2 : Activités dans l'industrie du sexe...125

Tableau 5.3 : Scolarité et emplois hors travail du sexe...128

Tableau 5.4 : Motivations à entrer et sortir de l'industrie du sexe...132

Tableau 5.5 : Situation de couple et familiale...134

Tableau 7.1 : Représentations de la sexualité et expérience du plaisir sexuel dans le service d'escorte...212

Tableau 7.2 : Ressemblances et différences entre l'expérience de sexualité faite dans le cadre du travail du sexe et celle faite dans le cadre de la vie privée...242

(10)

Index des schémas

Figure 1 : Types of pleasure that can be present or not during a paid performance of sexuality...272

(11)

Dédicace / épitaphe

Je dédie cette thèse à l'homme de ma vie, Pierre Bédard, qui m'a encouragée et soutenue tout au cours de ce travail de longue haleine mais qui, terrassé par un cancer généralisé, n'a malheureusement pas pu en voir le produit final.

(12)

Remerciements

Mes remerciements vont tout d'abord aux femmes qui ont bien voulu explorer avec moi une part de leur vie la plus intime et me confier non seulement ce qu'elles pensaient de la sexualité mais aussi comment elles la vivaient dans leur quotidien, que ce soit au travail ou avec leurs amoureux et amoureuses. C'est avec une immense gratitude que je reconnais le courage dont elles ont fait preuve et jamais je ne pourrai les remercier suffisamment.

Mes remerciements vont ensuite aux directions de thèse avec qui j'ai travaillé au cours des années. À Michel Dorais, sans qui ce projet n'aurait pu voir le jour et qui, à travers des suggestions de lecture, m'a permis de mieux connaître le monde des hommes travailleurs du sexe. À Madeleine Pastinelli, qui m'a ouvert une fenêtre sur toute la richesse des travaux sociologiques sur le concept d'identité de soi; c'est avec un grand plaisir que je m'en suis nourrie. Et enfin, à Myreille St-Onge et Maria Nengeh Mensah qui, en acceptant de m'accompagner jusqu'à la fin de ce parcours, en m'offrant généreusement leurs conseils et en faisant preuve de patience à mon égard, m'ont ainsi permis de compléter ce projet de longue haleine.

Mes remerciements vont également au Fond de recherche du Québec, Société et Culture (FRQSC), ainsi qu'au département de service social de l'Université Laval (bourse de soutien au doctorat), pour leur soutien financier.

Finalement, je tiens à remercier toutes mes amies et tous mes amis qui m'ont sans relâche encouragée à maintenir le cap malgré les tempêtes qu'un voyage d'aussi long cours n'a pu manquer de rencontrer.

(13)

Avant-propos

Cette thèse doctorale a engendré la production de cinq articles publiés dans différentes revues scientifiques. Les deux premiers articles publiés ont été écrits à la suite de la recension des écrits et du développement de la problématique. Dans le cheminement du doctorat, cela correspond à la période où la direction de thèse était assumée par le professeur Michel Dorais en tant que directeur et par la professeure Madeleine Pastinelli en tant que codirectrice. J'ai fait tout le travail nécessaire à la production de ces deux articles en retravaillant le matériel présenté à l'examen rétrospectif (lequel constitue une recension discutée des écrits) afin d'en faire des articles et de les soumettre pour publication. Ces deux articles sont inclus dans la présente thèse avec quelques modifications mineures afin de leur ajouter quelques précisions et d'adapter le français aux normes de l'Office québécois de la langue française. Il s'agit de :

COMTE, J., 2010, Stigmatisation du travail du sexe et identité des travailleurs et travailleuses du sexe. Déviance et Société. 34(3), 425-446.

COMTE, J., 2014, Decriminalization of sex work: Feminist discourses in light of research. Sexuality & Culture. 18(1), 196-217.

Puis j'ai entrepris le travail de recherche sous la direction de la professeure Myreille St-Onge en tant que directrice et de la professeure Maria Nengeh Mensah en tant que codirectrice. Trois articles ont été écrits à la suite de l'analyse des données colligées dans la présente étude.

J'ai écrit un article traitant de la perception que les participantes ont de leurs clients. Il ne fait toutefois pas partie de la thèse puisque le thème qui y est abordé n'est pas lié à la question de recherche de la thèse.

COMTE, J., 2015, Les clients des services d'escorte tels que perçus par des femmes offrant ces services. Revue canadienne des études supérieures en

sociologie et criminologie. 4(1), 27-41.

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Les deux derniers articles, quant à eux, font partie de la thèse et forment les chapitres 6 et 8.

COMTE, J., 2016, Parcours de travailleuses du sexe offrant des services d’escorte au Québec. Déviance et Société. 40(2), 203-228.

COMTE, J., 2017. Types of pleasure occurring through paid sexual performances among women offering escort services. Journal of Social

Sciences Studies. 4(1), 207-235.

J'ai fait tout le travail nécessaire à l'écriture de ces articles, c'est-à-dire que j'ai fait la recension des écrits, fait les entrevues, analysé les données, développé le plan de l'article et discuté des données. Mes directrices m'ont par contre guidée dans l'écriture des deux derniers articles insérés dans la thèse en m'offrant leurs commentaires sur les textes que je leur ai d'abord soumis avant de les soumettre ensuite aux revues devant les publier.

La thèse comporte neuf chapitres.

Le premier constitue une introduction. J'y présente d'abord les bases épistémologiques et les points d'ancrage théorique de la thèse. Vient ensuite un premier développement succinct de la problématique de la sexualité dans le travail du sexe qui justifie la question de recherche, la justification elle-même, puis je définis le but de cette étude, la question de recherche et les objectifs poursuivis. Finalement, je donne un très bref aperçu de l'approche méthodologique utilisée tout en identifiant ma propre posture épistémologique.

Les deux chapitres suivants, sous forme d'articles, présentent la problématique de manière approfondie. Dans le premier article, je le fais sous l'angle de l'expérience de stigmatisation qui est rattachée au fait d'offrir une performance de sexualité dans le but d'en retirer un revenu. Dans le deuxième article, je discute des différentes positions féministes quant au travail du sexe en les confrontant aux résultats d'études publiées concernant différents aspects du travail du sexe, prenant ainsi moi-même position à cet égard.

(15)

À la suite de cette discussion approfondie de la problématique je présente, au chapitre 4, les différentes étapes de la recherche selon la méthodologie de théorisation ancrée. Ce faisant, je décris et justifie la manière dont j'ai adapté ces étapes à la présente étude. Finalement, j'examine les forces et les limites de la présente étude.

Ensuite, au chapitre 5, je brosse un portrait des participantes en présentant, de manière détaillée et à l'aide de plusieurs tableaux, l'échantillon qui a été constitué à la suite du recrutement. Ce chapitre est suivi d'un article, au chapitre 6, concernant le parcours des participantes. Je reprends certaines informations déjà présentées lors du cinquième chapitre, mais je les présente différemment en donnant une plus grande place à la parole des participantes, en comparant les résultats à ceux que l'on retrouve dans des travaux publiés antérieurement et en discutant de la portée de ces résultats.

Par le chapitre 7, je réponds directement à la question de recherche en présentant les résultats concernant les représentations et l'expérience émotionnelle de la sexualité, en les discutant et en développant des éléments de théorie quant à un processus qui lierait l'expérience de sexualité dans le travail du sexe aux représentations que les participantes ont de la sexualité. Avec le chapitre 8, je présente un dernier article. Bien que ses bases découlent quelque peu du chapitre précédent, j'y développe un thème qui lui est propre et qui offre un autre élément de théorie quant au plaisir dans une performance rémunérée de sexualité.

Puis vient finalement le chapitre de conclusion, dans lequel je discute de la contribution originale apportée aux connaissances par cette thèse, des considérations à prendre concernant la transférabilité de la théorie développée, de nouvelles pistes de recherche à envisager ainsi que des recommandations pouvant être faites à la suite des résultats obtenus par la présente recherche.

Les références bibliographiques ont toutes été rassemblées à la fin de la thèse, y compris celles provenant des articles.

(16)

Chapitre 1

Introduction

1.1 Point de départ

Tout sujet de thèse a son origine dans l'histoire du chercheur ou de la chercheure. Celle-ci ne fait nullement exception. Il y a maintenant plus de 25 ans, à la suite d'une prise de conscience d'un fantasme sexuel que j'avais de faire de l'escorte, j'ai décidé d'offrir mes services à une agence d'escortes. Cela fut, pour moi, le début d'une des meilleures années de ma vie : une année heureuse faite d'expérimentation, de découvertes et de développement de ma confiance personnelle et de mon estime de moi. Cette exploration de ma sexualité et de celle des autres à travers l'offre de services d'escorte m'a ensuite amenée à me diriger vers la sexologie. Je voulais comprendre la sexualité humaine et aider les hommes et les femmes à mieux vivre leur sexualité. Après un baccalauréat et une maîtrise en sexologie clinique, j'ai donc travaillé pendant plusieurs années dans le domaine clinique. En outre, m'appuyant à la fois sur des lectures et sur l'expertise acquise à travers une pratique clinique, j'ai commencé à écrire mon premier livre « Pour une authentique liberté sexuelle », lequel a été complété et publié alors que j'étais étudiante au doctorat. Je n'avais jusque-là gardé aucun lien avec les milieux du travail du sexe. De plus, reconnaissant le stigmate et les préjugés sociaux rattachés à ce type de travail, j'avais pris soin de ne pas divulguer mes anciennes activités d'escorte à mes collègues des milieux universitaire et professionnel, à l'exception de quelques rares personnes de confiance.

Désireuse de poursuivre mon cheminement universitaire au doctorat, j'ai d'abord hésité quant aux problématiques à explorer; certaines à portée clinique me souriaient. C'est à ce moment que j'ai appris qu'une professeure de l'Université du Québec à Montréal osait ouvrir publiquement le débat sur la décriminalisation du travail du sexe et j'ai alors compris qu'il était possible de traiter de cette

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problématique dans le cadre d'un doctorat, autrement qu'en présentant les travailleuses du sexe comme d'éternelles victimes. En décidant de porter mon projet de doctorat sur la problématique du travail du sexe, je souhaitais apporter ma contribution aux connaissances tout en favorisant une meilleure compréhension sociale de cette problématique. Par ailleurs, en tant que sexologue, j'ai tout naturellement centré mon projet sur la sexualité telle qu'elle est émotionnellement vécue et représentée par les personnes qui offrent des services sexuels.

Mais pourquoi me dévoiler à ce moment précis? À la fois parce que toute étude d'un phénomène comporte nécessairement une part de subjectivité et que pour identifier la source de la mienne, il me faut nommer mon expérience et ce que j'en ai retenu. Mais également parce que le fait d'approfondir cette problématique m'a fait prendre conscience qu'une des forces du stigmate de la prostitution provient de ce que beaucoup d'entre nous s'y soumettent en gardant secrète cette part stigmatisable de soi (Goffman, 1963). J'en ai donc conclu qu'un coming out public serait utile. Je sais que je prête ainsi le flanc aux critiques qui considèrent que le travail du sexe est indigne de toute personne qui se respecte. Néanmoins, en me dévoilant personnellement, je prends exemple sur la démarche qu'ont endossée nombre de personnes homosexuelles afin de libérer du stigmate l'orientation sexuelle qui est la leur. Car c'est, entre autres, en montrant que nous sommes des personnes par ailleurs tout à fait semblables aux autres, qu'il devient graduellement possible de dissoudre les préjugés, jugements et mépris existant à notre égard.

Alors que l'expérience personnelle acquise dans le travail du sexe constitue le point de départ du questionnement sous-tendant la problématique étudiée dans cette thèse, la formation en sexologie en constitue le point d'ancrage théorique. Dans les prochaines sections de ce chapitre d'introduction, je discuterai en quoi une expérience personnelle peut constituer un avantage lorsque la problématique étudiée est celle d'un groupe de personnes socialement marginalisées, tout en soulignant la nécessité de ne pas s'appuyer que sur cette seule expérience

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puisque celle-ci ne peut être que partielle. Je présenterai ensuite les bases sexologiques de la thèse ainsi que la définition de la sexualité ayant orienté mes travaux.

Puis je développerai très succinctement la problématique de la sexualité dans le travail du sexe afin d'établir la nécessité de mieux comprendre les représentations et l'expérience émotionnelle que les personnes travailleuses du sexe font de la sexualité. Considérant que les chapitres 2 et 3 développent cette problématique en profondeur, chaque chapitre le faisant sous un angle particulier, je ne ferai ici qu'un résumé de cette problématique sans en développer longuement l'argumentaire afin d'éviter d'inutiles répétitions.

Finalement, je présenterai très brièvement la méthodologie de recherche utilisée afin que les lecteurs et lectrices puissent en avoir une première idée, et j'exposerai ma posture épistémologique dans un même temps. Je reprendrai ensuite la présentation de la méthodologie de recherche dans un chapitre ultérieur qui lui sera entièrement consacré.

1.2 Utiliser sa subjectivité en tant que ressource pour une plus

grande objectivité

En tant que chercheure, il me faut évidemment reconnaître ma subjectivité, qui est celle d'une ancienne escorte ayant trouvé l'expérience humainement et sexuellement enrichissante. Ce faisant, je suis mieux à même d'identifier mes a

priori et de m'assurer qu'ils ne fassent pas écran à tout ce qui ne correspond pas à

ma vision personnelle du travail du sexe (Bourdieu, 2000).

En même temps, je constate qu'une telle subjectivité enracinée dans l'expérience constitue un plus, car elle fournit une ressource susceptible d'offrir une « forte objectivité » (a strong objectivity) (Harding, 1987, 1993). Les travailleurs et travailleuses du sexe appartiennent à un groupe très fortement stigmatisé dans nos sociétés, ce qui les marginalise et leur laisse peu de possibilités de faire entendre leurs expériences. Cette situation donne ainsi le champ libre à d'autres,

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chercheurs ou intervenants, pour parler en leur nom. Or, ces chercheurs et intervenants sont plus susceptibles de comprendre la problématique du travail du sexe à partir des représentations sociales ayant cours, lesquelles sont construites à partir de préjugés sociaux, plutôt qu'à partir de l'expérience qu'en ont les travailleurs et travailleuses du sexe. C'est dans ce sens que l'expérience que j'ai acquise en tant que travailleuse du sexe, en m'offrant une perspective provenant de l'intérieur même de la situation, me donne la possibilité de développer une problématique, des questions de recherche et une analyse des données potentiellement plus pertinentes – et plus près de la réalité vécue par les personnes travailleuses du sexe – que je ne l'aurais pu si je n'avais que les représentations sociales habituelles pour me guider.

Par ailleurs, consciente de ce que mon expérience personnelle n'est pas nécessairement typique de ce que vivent les autres personnes travaillant dans le domaine du sexe, j'ai planifié ma recension des écrits de manière à la rendre la plus vaste possible en matière de diversité d'expériences et de points de vue. J'y ai ainsi inclus des documents concernant la prostitution de rue, la danse érotique, le massage érotique, la production pornographique et les services d'escorte, des documents concernant l'expérience du travail du sexe que font les hommes qui offrent leurs services à des femmes ou à des hommes, et des documents concernant l'expérience de ceux et celles pour qui le travail du sexe est d'abord et avant tout un moyen de survie (ce qui a inclus des textes au sujet de personnes mineures), tout autant que de l'expérience des travailleurs et travailleuses du sexe pour qui offrir ce genre de service constitue un choix parmi différentes possibilités d'emploi, sans qu'ils aient nécessairement eu comme motivation d'y explorer la sexualité. Et, finalement, j'ai quelque peu voyagé à travers différentes régions du monde au gré des articles que je trouvais dans les bases de données, me permettant ainsi de mieux saisir comment l'expérience du travail du sexe peut également se colorer de culture locale. Je voulais ainsi sortir des limites de ma propre expérience et mieux saisir la multiplicité des expériences dans le cadre du

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travail du sexe. Cette façon de procéder m'a offert une intéressante base sur laquelle appuyer le développement de mon projet de recherche.

1.3 La sexologie comme point d'ancrage du développement de la

problématique

Ayant complété une formation entière en sexologie à la fois au baccalauréat et à la maitrise, c'est donc à partir des fondements théoriques développés dans le cadre de cette discipline spécifique que j'ai conceptualisé les différents éléments à considérer par rapport à la problématique étudiée dans cette thèse. Le plus souvent, les travaux étudiant la problématique du travail du sexe le font dans le cadre de la sociologie, dont notamment la sociologie du travail, de la criminologie, des études féministes (Bruckert, 2002), mais aussi parfois dans le cadre de la psychologie (ex., Sauriol, 2013). Jusqu'à présent, je n'ai repéré qu'une étude l'ayant abordé dans une approche sexologique et ce, dans le cadre d'un mémoire de maîtrise (Messervier, 1995). Par conséquent, les assises sexologiques à partir desquelles j'ai développé mes travaux apportent une contribution originale quant à l'étude de la problématique du travail du sexe.

Mais qu'est-ce au juste que la sexologie? Cette discipline fait de l'ensemble de la sexualité humaine son objet d'étude et elle a pour objectif de développer une synthèse originale des connaissances développées dans le cadre de multiples autres disciplines, dont la biologie, la médecine, la sociologie, la criminologie, l'anthropologie et la psychologie (Crooks, Baur, & Munger, 2014; Dupras, 1989). Ce faisant, elle aborde les recherches sur les problématiques sexuelles d'un point de vue intégrant les connaissances acquises à travers toutes ces disciplines connexes, pour ensuite se centrer sur les angles pertinents à l'étude à réaliser. De son côté, Wikipedia nous informe que « La sexologie est l'étude de la sexualité humaine et de ses manifestations. Elle étudie tous les aspects de la sexualité, à savoir le développement sexuel, les mécanismes des rapports érotiques, le

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comportement sexuel et les relations affectives, en incluant les aspects physiologiques, psychologiques, médicaux, sociaux et culturels. »1

Ainsi, bien que chez l'humain l'expérience de la sexualité soit largement influencée par la construction qu'en fait la société, ce que certains auteurs ont relevé dans le cadre de leurs travaux (par ex., Foucault, 1976; Gagnon & Simon 1999; Le Breton, 2002 [1992]; L’Hommond, 2000), elle est également tributaire de la biologie humaine ainsi que du développement psychosexuel. De mon côté, étant intéressée par l'expérience émotionnelle et les représentations personnelles de la sexualité qu'ont des personnes travailleuses du sexe, j'ai privilégié une définition de la sexualité qui s'adresse essentiellement à sa dimension psychosexologique. Cette définition appartient à la sexoanalyse, une approche théorique spécifiquement sexologique utilisée en pratique clinique et dont l'auteur est Claude Crépault.

Selon Crépault (2007 [1997]), la sexualité inclut trois composantes : 1) la fonction érotique, dans laquelle on retrouve la génitalité, le désir de rapprochement et la fantasmatique sexuelle; 2) la genralité, par laquelle une personne se définit dans son identité de genre en rapport à ce qu'elle perçoit être une identité féminine ou masculine; et 3) le rapport à l'autre en tant qu'être sexué de même sexe ou de l'autre sexe. Ces trois composantes s'expriment dans la perception que l'on a de soi et des autres en tant que personnes appartenant à un sexe ou à l'autre, ainsi que dans les attitudes et les comportements sexuels. Elles sont intimement liées aux représentations de la sexualité qu'une personne a développées à travers son histoire personnelle, de même qu'à l'expérience qu'elle fait de la sexualité. C'est pourquoi cette définition, en offrant des éléments précis d'exploration concernant la sexualité, est apparue comme la plus intéressante dans le cadre de cette étude. Mon emprunt à la sexoanalyse s'arrête toutefois à cette définition puisque, d'une part, les entrevues étaient des entrevues de recherche et non pas de sexothérapie et que, d'autre part, l'analyse des données s'est faite à partir d'une méthodologie

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de théorisation ancrée, laquelle s'appuie sur les données elles-mêmes plutôt que sur un cadre théorique spécifique.

Tenant compte du fait que le travail du sexe est fortement stigmatisé et que les personnes travailleuses du sexe doivent continuellement composer avec ce stigmate qui marque – ou est susceptible de marquer – leur identité, j'ai également appuyé ma réflexion de départ sur les travaux d'auteurs concernant le processus de stigmatisation (Becker, 1985 [1963]; Goffman, 1986 [1963]) et son lien avec le phénomène de déviance (Becker, 1985 [1963]), concernant la présentation de soi (Goffman, 1959), concernant la construction de l'identité de soi (self-identity) (Giddens, 1991; Kaufmann, 2004; Taylor, 1998 [1989]) et, finalement, concernant la construction des liens d'intimité à travers la sexualité (Giddens, 2004 [1992]). C'est, entre autres, grâce à ces travaux que j'ai pu développer le chapitre-article concernant la stigmatisation et l'identité des personnes travailleuses du sexe et que j'ai avancé quelques arguments concernant l'identité des femmes travailleuses du sexe dans le chapitre-article concernant les différents discours féministes.

Plus tard, lors du travail d'analyse et de discussion des données, observant qu'une auteure, Arlie Hochschild (1983), était fréquemment citée par d'autres chercheures et chercheurs discutant de données semblables aux miennes, j'ai consulté ses travaux. À mon avis, ceux-ci constituent une suite aux travaux de Goffman concernant la présentation de soi, dans le sens où elle s'est penchée sur l'expérience ressentie lors de la prestation de services aux clients dans laquelle une impression d'authenticité doit transparaître. Finalement, c'est en partie en m'appuyant sur les travaux de Hochschild que je suis parvenue à créer des éléments de théorie concernant les processus conduisant soit à une expérience d'aliénation ou soit à une expérience de réalisation de soi à travers l'offre de services sexuels.

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1.4 Problématique de la sexualité dans le travail du sexe

1.4.1 Recension des écrits

Tout d'abord, définissons le terme de « travail du sexe ». Celui-ci en réfère à toute activité de travail, qu'il soit autonome ou fourni par un employeur, dans lequel il y a échange de biens ou d'argent contre un service sexuel, celui-ci pouvant demeurer sur le plan de l'évocation (par exemple, téléphone érotique, caméra-web, ou danse érotique sans toucher génital) ou encore être agi, ce qui englobe tous les cas où il y a un toucher génital entre une personne travailleuse du sexe et un client ou une cliente (par exemple, massage érotique, prostitution sur la rue ou services d'escorte). Pour sa part, le terme « prostitution » en réfère plus spécifiquement à l'échange de biens ou d'argent contre un service sexuel agi c'est-à-dire, encore une fois, dans lequel il y a un toucher génital entre une personne offrant la prestation et un client. Ce terme étant porteur d'un stigmate, je préfère utiliser le terme « travail du sexe », lequel est plus neutre.

Ainsi, bien que la sexualité se trouve au cœur du travail du sexe, les recherches ne se sont que rarement directement intéressées à cette dimension centrale, lui privilégiant les dimensions sociales du pourquoi, du comment et des conséquences de ce type de travail, étudié en tant que phénomène déviant. J'ai donc exploré divers aspects du travail du sexe à travers une recension des écrits, mais ce n'est qu'à partir d'études centrées sur des aspects autres que la sexualité comme telle que j'ai pu obtenir quelques informations concernant les représentations et l'expérience de la sexualité que font les personnes travailleuses du sexe.

Je me suis familiarisée avec ce qui relève des différentes représentations du travail du sexe ayant cours dans nos sociétés et plus particulièrement de celles associées aux différentes positions féministes; avec ce qui a trait aux pratiques sexuelles liées au travail du sexe et aux relations avec la clientèle; avec ce qui concerne les relations amoureuses et la sexualité des travailleurs et travailleuses du sexe; et finalement, avec ce qui touche à l'expérience du stigmate lié au travail

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du sexe. Plutôt que d'exposer tous ces aspects dans cette section, certains ayant été amplement développés dans les deux premiers articles publiés dans le cadre de ce doctorat, je ne présenterai succinctement que les éléments de compréhension de la problématique qui sous-tendent mon projet de recherche.

Quand il s'agit de sexualité, différents discours s'affrontent concernant les conséquences morales, émotionnelles et sexuelles découlant de la vente de services sexuels, certains soutenant qu'il y a nécessairement aliénation, d'autres que non. Par ailleurs, la perception traditionnelle du commerce sexuel en tant que source d'immoralité s'est transformée, en raison de certains discours féministes, pour être maintenant inscrite dans un paradigme qui conçoit ce type de commerce comme étant source d'indignité humaine et de situation d'exploitation sexuelle des femmes par les hommes. Les féministes abolitionnistes soutiennent particulièrement cette compréhension de la prostitution, exigeant par conséquent une criminalisation de l'achat de services sexuels et du proxénétisme tout en prônant une décriminalisation de la vente de services sexuels puisque les femmes sont victimes du système de prostitution (Coalition des femmes pour l'abolition de la prostitution, 2013). D'autres féministes, par contre, soutiennent que le travail du sexe doit plutôt être décriminalisé dans son ensemble, d'une part parce que les lois contiennent déjà tout ce qu'il faut pour protéger les personnes contre les abus et violences (Corriveau, 2010) et, d'autre part, parce que c'est la criminalisation elle-même et la stigmatisation des personnes travailleuses du sexe en découlant, qui constituent les principales causes d'exploitation et de violence dont les personnes travailleuses du sexe peuvent être victimes (Bruckert & Chabot, 2010; Bruckert & Law, 2013). À partir des résultats de différentes recherches, je remettrai en question la compréhension abolitionniste de la problématique du travail du sexe en dégageant la multiplicité des expériences en ce qui concerne le ressenti d'indignité et les situations d'exploitation et, d'autre part, en faisant ressortir la place qu'occupe la sexualité dans ces expériences. Je discuterai ensuite de l'utilisation stratégique que font les personnes travailleuses du sexe de l'une ou l'autre de deux principales manières d'être et d'agir par rapport à la sexualité

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impliquée dans le travail du sexe, dans un but de se protéger du stigmate associé à leurs activités. Constatant que la manière de gérer la sexualité dans le travail du sexe semble en lien avec un sentiment plus ou moins important d'aliénation2 dans

le travail du sexe, c'est-à-dire de se sentir dégradé et dépossédé d'une partie de soi au plan physique, psychologique, moral ou affectif, je conclurai à la pertinence d'explorer l'expérience et les représentations de la sexualité qu'ont les personnes offrant des services sexuels, ceci permettant de mieux comprendre comment celles-ci construisent et organisent l'expérience qu'elles font de la sexualité et possiblement d'identifier, s'il y a lieu, les processus par lesquels la manière de gérer la sexualité dans le travail du sexe se trouve liée au sentiment d'aliénation. 1.4.2 D'une déviance sexuelle chez la femme, à l'exploitation sexuelle

de la femme

Dans les sociétés occidentales, notamment au XIXe siècle et au début du XXe siècle, la sexualité hors normes, c'est-à-dire autre que la relation sexuelle de pénétration vaginale par le pénis dans le cadre du couple marié, était considérée immorale et comme susceptible de créer le désordre dans la société, en même temps que l'on expliquait la prostitution comme étant le résultat d'une tare dont les femmes prostituées étaient porteuses, laquelle tare les amenaient à être sexuellement déviantes (Coderre & Parent, 2000; Parent & Coderre, 2000). Aujourd'hui encore, nombre d'individus perçoivent la prostitution3 en tant que

conduite sexuelle immorale (Léger Marketing, 2006) et certaines factions politiques

2 Selon le Larousse (version internet), l'aliénation est « l'état de quelqu'un qui a perdu son libre arbitre »; c'est la « situation de quelqu'un qui est dépossédé de ce qui constitue son être essentiel, sa raison d'être, de vivre ». Dans le contexte du travail du sexe, ce concept est fréquemment utilisé par les féministes abolitionnistes et découle de l'idée que la prostitution est, dans tous les cas, une situation d'esclavage sexuel de la femme par l'homme. Selon cette optique, la femme est dépossédée de son corps et de son sexe, puisque ceux-ci « sont vendus » dans la transaction. Ainsi, « la prostitution est en soi une atteinte à la santé physique, psychique, morale et affective des personnes prostituées. Elle blesse profondément en touchant à l’intégrité du corps et à l’identité de l’être. » (Audet, 2008, p.9/17, italiques dans le texte original). Dans le contexte de mon étude, je définis ce concept comme étant le sentiment d'avoir perdu quelque chose d'important dans sa vie en conséquence de son entrée dans le travail du sexe, que ce soit au plan physique, psychologique, moral ou affectif. La personne se sent aliénée, c'est à dire dépossédée d'elle-même, lorsqu'elle a l'impression d'avoir perdu son libre arbitre et qu'elle ressent un sentiment de honte, de dégradation et de perte d'identité.

3 Dans les discussions concernant certaines représentations sociales du travail du sexe, le terme « prostitution » est utilisé lorsque c'est celui qui se trouve dans les discours associés à ces représentations. Dans tous les autres cas, j'utiliserai le terme « travail du sexe », celui-ci étant plus neutre.

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la considèrent également en tant que facteur de désordre social (Brock, 1998; Corriveau, 2010). Les représentations sociales de la prostitution en tant que lieu d'alcoolisme, de toxicomanie, de criminalité et de déchéance humaine continuent de nourrir cette perception de l'offre rémunérée de services sexuels, d'autant plus que ces représentations sont difficiles à remettre en question puisque les travailleurs et travailleuses du sexe les plus visibles sont généralement parmi les plus vulnérables à ce chapitre.

De leur côté, les discours tentant de durcir les lois concernant la pornographie et de modifier celles concernant la prostitution pour à la fois décriminaliser la vente de services sexuels et en criminaliser l'achat, ne se réfèrent plus tant à une notion de moralité qu'à celle de dignité humaine (Lemonde, 2008). Offrir des services sexuels en échange d'argent ou de biens serait en soi source d'indignité humaine car, selon ce point de vue, toute sexualité commercialisée ne peut faire autrement que d'être dépourvue des sentiments nécessaires pour rendre l'échange « humain » (Ogien, 2007). Dans cette optique, la femme qui s'offre comme objet sexuel et se rend sexuellement disponible à l'homme payeur devient une femme aliénée, c'est-à-dire en perte d'identité en même temps qu'en perte de son intégrité physique, psychologique, morale, et affective puisqu'elle met sa propre sexualité au service de celle de l'homme. De plus, cette utilisation sexuelle de la femme par l'homme client implique qu'il ne peut y avoir égalité dans l'échange. Notre société ayant par ailleurs reconnu la nécessité des valeurs d'égalité entre hommes et femmes, on s'appuie sur cette démonstration de l'exploitation sexuelle afin d'affirmer que nous ne devons socialement pas nous faire complices d'une telle situation (Lemonde, 2008).

Certaines travailleuses du sexe confirment se sentir utilisées par les hommes et aliénées par l'objectification dont elles sont l'objet (Farley, 2003, 2005; Raphael & Shapiro, 2002, 2004; Raymond, 2003, 2004). Par contre, d'autres travailleuses du sexe réfutent les arguments concernant la notion d'exploitation sexuelle. Soit elles affirment prendre un rôle d'actrices et jouer le rôle d'une femme sexuellement intéressée, excitée par la rencontre et y récoltant du plaisir alors qu'en réalité elles

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ne se sentent nullement ainsi, ce qui fait en sorte que le client vive une expérience sexuelle bien qu'elles-mêmes ne ressentent pas la rencontre comme étant sexuelle puisqu'elles n'y impliquent aucunement leur propre sexualité (Zatz, 1997), celle-ci demeurant dès lors intacte (Sanders, 2005). Soit elles affirment utiliser le travail du sexe afin de vivre différentes aventures sexuelles et explorer la sexualité; ce qui, selon elles, nourrit leur propre sexualité plutôt que de l'aliéner (Bell, 1995; Bernstein, 2007; Parent & Bruckert, 2005; Queen, 1997). Par ailleurs, une analyse des discours des travailleuses du sexe fait parfois ressortir des contradictions puisque certaines travailleuses du sexe déclarent se sentir confortables avec le rôle d'objet sexuel qu'elles assument à travers leur travail et parvenir à conserver leur sexualité intacte malgré la nature sexuelle de la performance à réaliser, tout en affirmant, d'autre part, se sentir aliénées des suites d'une exploitation de la part des clients (Bruckert, 2002; Sanders, 2005; Weatherall & Priestley, 2001).

En outre, quelque 10 à 33%4 des personnes offrant des services sexuels sont

des hommes (Allman & Myers, 1999; Bruckert & Chabot, 2010) et une partie indéfinie, mais non négligeable, de la clientèle est constituée de femmes, surtout dans le contexte du tourisme sexuel où le travailleur prend un rôle informel de « guide touristique » (De Albuquerque, 1998; Sánchez Taylor, 2001), mais également en ce qui concerne les services d'escorte (Taylor & Newton-West, 1994). Par conséquent, la sexualité impliquée dans le travail du sexe n'est pas nécessairement celle d'une exploitation sexuelle de la femme par l'homme. Il existe d'autres types de relations de genre (travailleur du sexe avec client et travailleur du sexe avec cliente), ce qui peut potentiellement remettre en question la théorisation de la commercialisation des services sexuels comme mettant nécessairement en cause une femme prostituée sexuellement exploitée et un homme client exploiteur. Plusieurs chercheuses et chercheurs ont pu observer que l'exploitation, lorsqu'elle était présente, ne se produisait pas nécessairement que de la part des hommes envers les femmes et que de la part des clients envers les

4 Ces taux de 10 et 33% varient selon les recherches et, surtout, selon les pays. Au Canada, Allman et Myers (1999) ont rapporté un estimé de 25% provenant des travaux du comité Fraser (1985); de leur côté, Bruckert et Chabot ont rapporté un estimé de 20 à 25% provenant des travaux publiés par la Chambre des Communes du Canada (2006).

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travailleuses et travailleurs du sexe; les situations inverses pouvaient également se produire. De plus, les situations d'exploitation entre personnes travailleuses du sexe et clients ou clientes ne sont pas que de nature sexuelle mais elles peuvent également être de nature financière ou autre (affective, par exemple, dans certaines dynamiques du tourisme sexuel), bien que les différents types d'exploitation – sexuelle et non-sexuelle – semblent souvent enchevêtrés (Bruckert, 2002; De Albuquerque, 1998; De Marco, 2007; Padilla, 2007; Pasko, 2002; Sánchez Taylor, 2001; Sanders, 2005; Taylor & Newton-West, 1994).

Qu'elle soit perçue en tant que déviance sexuelle ou comme source d'indignité humaine, la commercialisation des services sexuels demeure comprise comme étant anormale (soit immorale, soit indigne de l'humain et cause de traumatisme) et, donc, comme ne devant pas faire partie des comportements humains que l'on peut socialement accepter. Ceci a pour conséquence de marquer du stigmate de putain celles (mais aussi ceux) qui offrent des services sexuels. Ce stigmate identifie alors la personne comme étant déshonorable et comme ayant perdu tout droit au respect d'autrui parce qu'elle « vend son honneur en offrant de louer son corps pour un gain infâme ou une activité indigne, spécialement la relation sexuelle » (Pheterson, 1993, p. 39, ma traduction). Dans la prochaine section, nous verrons différentes stratégies utilisées par les personnes travailleuses du sexe dans le but de réduire les impacts des stigmates liés à leurs activités.

1.4.3 Stratégies sexuelles déployées afin de contrer les stigmates

Selon Goffman (1986), la stigmatisation est un processus par lequel une personne est socialement discréditée parce qu'elle possède un attribut socialement jugé inférieur ou mauvais, et que celui-ci est présumé cacher d'autres imperfections, l'attribut en question constituant ainsi un stigmate. Rencontrant plus ou moins fréquemment des préjugés et des discriminations à son égard, la personne stigmatisée intériorise cette image sociale de personne « mauvaise » que l'on a d'elle (Goffman, 1986), ce qui mine l'image et l'estime de soi et, ultimement, porte atteinte à l'intégrité de l'identité de soi. La personne stigmatisée

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doit alors développer des moyens de rétablir une estime de soi positive malgré les messages de l'environnement proclamant l'indignité de sa personne (Kaufmann, 2004).

Le stigmate de putain marque les personnes qui offrent des services sexuels. Chez la femme, une fois attribué, un tel stigmate touche tous les aspects de sa vie et demeure même lorsque ses activités dans l'industrie du sexe ont cessé (Lewis, Maticka-Tyndale, Shaver & Schramm, 2005; Shaver, 2005; Mensah, 2010). Chez l'homme, le stigmate de putain est également présent (Morrison & Whitehead, 2007a; Schifter & Aggleton, 1999; Smith, Grov & Seal, 2008; Taylor & Newton-West, 1994), mais il semble se dissoudre lorsque ce dernier cesse ses activités dans l'industrie du sexe (Lewis et al, 2005; Shaver, 2005). Toutefois, le travailleur du sexe hétérosexuel qui offre ses services aux hommes rencontre un deuxième stigmate, celui de l'homosexualité (De Moya & Garcia, 1999; Liguori & Aggleton, 1999; Schifter, 1998; Storer, 1999). Afin de diminuer l'impact de ces stigmates et protéger l'intégrité de l'identité de soi, les personnes travailleuses du sexe adopteront l'un ou l'autre de deux ensembles de stratégies cognitives et comportementales (et parfois, l'un et l'autre). Or ces deux ensembles de stratégies se fondent ultimement sur la manière qu'ils ont d'être et d'agir par rapport à la sexualité impliquée dans leur travail.

Le premier ensemble de stratégies se centre autour d'une nécessité de repousser le stigmate aux autres afin de ne pas se le voir attribué. D'une part, la personne travailleuse du sexe bloque activement tout ressenti de désir et de plaisir sexuel lors de la performance de service sexuel. Elle peut ainsi justifier son sentiment de ne pas être putain, puisqu'elle ne fait ce type de travail que parce qu'il est plus payant comparativement aux autres emplois disponibles mais qu'elle n'en tire pas de plaisir sexuel (Bruckert, 2002; Schifter, 1998). D'autre part, elle renvoie le stigmate de putain à ceux et celles de ses collègues qui, contrairement à elle, retirent du plaisir sexuel lors de la prestation, et elle positionne les clients comme étant plus déviants et pervers qu'elle, puisqu'ils sont ceux qui sont totalement menés par leurs pulsions sexuelles, différemment d'elle (Bruckert,

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2002; Schifter, 1998). Chez les travailleurs du sexe hétérosexuels qui offrent leurs services aux hommes, il s'agit d'éviter de ressentir du plaisir sexuel, mais aussi d'éviter de prendre un rôle passif dans l'acte sexuel avec le client, de manière à se tenir éloigné de tout soupçon d'homosexualité. Ces travailleurs du sexe tendront également à mépriser les clients en les positionnant comme « moins homme » puisque ceux-ci recherchent et paient pour des relations sexuelles avec des hommes (De Moya & Garcia, 1999; Schifter, 1998).

Cet ensemble de stratégies paraît être lié à l'intériorisation des normes sociales et des stigmates associés aux comportements sexuels hors normes (dont le travail du sexe et l'homosexualité font partie). Ces normes sociales, rappelons-le, affirment la nécessité d'un ressenti amoureux entre deux personnes de sexe opposé pour que l'activité sexuelle soit considérée socialement légitime et morale. Ne pas se conformer à ces normes indiquerait que la personne ne se respecte pas et que, ce faisant, elle entache sa dignité humaine (Comte, 2010a). Ainsi, dans le but d'éviter que son identité de soi soit abîmée, la personne travailleuse du sexe niera avoir un comportement sexuel hors normes, ce qu'elle fera essentiellement en repositionnant ses activités dans l'industrie du sexe en tant que travail lui permettant de couvrir ses dépenses quotidiennes, lequel travail produit un événement vécu comme étant sexuel pour le client sans pour autant qu'elle-même le ressente comme étant sexuel (Zatz, 1997).

Chez les femmes offrant des services d'escorte, il s'agira alors se couper mentalement de son corps lors de l'échange sexuel avec le client, de manière à ce que seul le corps soit « présent » et impliqué dans cette « identité de prostituée », maintenant ainsi une coupure entre l'identité de prostituée et ce qu'elle identifie comme étant sa véritable identité (Oerton & Phoenix, 2001). Par ailleurs, le corps constitue habituellement une part importante de l'identité – on est son corps en même temps qu'on se sert de ce dernier (Marzano, 2007). En outre, dans le travail du sexe, il est fréquemment investi narcissiquement et source de fierté (Boden, 2007; Bruckert, 2002; Parent & Bruckert, 2005; Downs, James & Cowan, 2006). Ainsi, pendant les prestations ayant cours dans le cadre du travail du sexe, le

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corps ferait partie de l'identité de soi sur le plan de l'image corporelle (on est fier, fière, de son corps), mais il n'en ferait pas partie au moment de la prestation de l'acte sexuel même, le corps étant alors temporairement dissocié de l'identité de soi (ce n'est pas moi qui fait l'acte sexuel, c'est mon corps). Ce qui peut théoriquement conduire à un sentiment d'aliénation puisque, d'une part, la personne se retrouve dans une situation d'ambivalence quant à son corps (le corps étant investi en tant que source de fierté tout en étant désinvesti au moment de l'acte sexuel) et que, d'autre part, en se dissociant de son corps, elle se dissocie d'une partie d'elle-même.

Le deuxième ensemble de stratégies utilisé en est un de remise en question des attitudes sexuelles négatives ayant cours dans nos sociétés, ainsi qu'un refus des normes sexuelles répressives. Les personnes travailleuses du sexe dont c'est le principal ensemble de stratégies de gestion du stigmate normalisent le travail du sexe en tant que travail légitime pour tous les travailleurs et toutes les travailleuses du sexe, et non seulement pour elles-mêmes (Bruckert, 2002). De plus, elles tendent à s'investir émotionnellement et sexuellement dans l'échange avec le client – tout en respectant des limites professionnelles – et se permettent de ressentir du désir et du plaisir lorsque ceux-ci se manifestent (Bell, 1994; Bernstein, 2007; Newton-West, 1994; Queen, 2002; Taylor). En outre, des travailleurs du sexe homosexuels (Allman & Myers, 1999; Welzer-Lang, Barbosa et Mathieu, 1994) et des travailleuses du sexe hétérosexuelles offrant leurs services aux hommes (Bell, 1995; Bernstein, 2007; Parent & Bruckert, 2005; Queen, 2002) utilisent le travail du sexe en tant que source d'exploration sexuelle. Les personnes utilisant cet ensemble de stratégies perçoivent le travail du sexe non pas comme une source d'aliénation et d'indignité humaine, mais plutôt comme un travail légitime pouvant à la fois permettre d'explorer et d'épanouir certains aspects de soi et développer certaines habiletés professionnelles utiles dans d'autres domaines, en même temps qu'il permet de répondre à certains besoins sexuels et affectifs – tout aussi légitimes – du client (Allman & Myers, 1999; Bell, 1995; Bernstein, 2007; Parent & Bruckert, 2005; Queen, 2002; Welzer-Lang et al, 1994).

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Ce deuxième ensemble de stratégies semble être le produit d'une remise en question des normes sociales et du stigmate lui-même. Pour ces travailleurs et travailleuses du sexe, la sexualité peut être intéressante en dehors d'une relation affectivement investie, et le travail du sexe permet tout simplement une variété d'expériences qui serait autrement hors de portée. En outre, pour eux, le fait d'en tirer un revenu n'exclut pas tout sentiment pour le client et la relation avec ce dernier est comprise comme étant de la même nature que celle s'établissant entre tout client et tout professionnel (Bell, 1995; Bernstein, 2007; Chapkis, 1997; Queen, 2002; Smith & al., 2008; Taylor & Newton-West, 1994). Le travail du sexe peut alors s'inscrire dans la narration de soi et contribuer positivement à la construction de son identité. Il y aurait dès lors congruence entre expérience du corps, sexualité et identité de soi.

Par ailleurs, à mon avis, ces deux stratégies ne sont probablement pas mutuellement exclusives chez une même personne. Nombre de travailleurs et de travailleuses du sexe disent ressentir à la fois de la honte et de la fierté à faire ce qu'ils font (Boden, 2007; Bradley, 2007; Bruckert, 2002; Sanders, 2005; Taylor & Newton-West, 1994). De la honte parce que leurs comportements sexuels sont jugés négativement sur le plan social et que le stigmate est omniprésent et pour ainsi dire inévitable. Mais également de la fierté parce que, malgré tout, celles-ci et ceux-ci parviennent, malgré l'ostracisme dont elles et ils sont l'objet, à se réaliser à travers leur choix de travail. Il y aurait donc intériorisation des normes sociales et du stigmate en même temps que remise en question de ceux-ci, et ce, dans des proportions variables tout dépendant de l'individu.

1.5 Pertinence d'explorer les représentations personnelles de la

sexualité

Alors que l'offre commerciale de services sexuels est généralement perçue comme minant l'intégrité de la sexualité et, par conséquent, celle de l'identité de la personne travailleuse du sexe, il semble que la réalité décrite à travers différents

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travaux de recherche soit beaucoup plus complexe et nuancée. Certaines personnes travailleuses du sexe se sentent profondément aliénées par la prestation de services sexuels alors que d'autres ne semblent ressentir que peu ou pas d'aliénation. Par ailleurs, il semble que les types de stratégies utilisées afin de gérer le stigmate de putain (et d'homosexualité pour les hommes offrant leurs services sexuels à des hommes) puissent être en lien avec le rejet ou avec l'intériorisation des normes sociales concernant les comportements sexuels, de même qu'avec un sentiment plus ou moins important d'aliénation dans le travail du sexe. Ces stratégies amènent les personnes travailleuses du sexe soit à dissocier partiellement le corps et la sexualité de l'identité de soi lors de la prestation ou, au contraire, à maintenir le lien entre le corps, la sexualité et l'identité de soi. Ainsi, ce serait la plus ou moins grande intériorisation des normes sociales sexuelles actuelles qui conduirait, du moins en partie, à un sentiment plus ou moins grand d'aliénation dans le cadre du travail du sexe (d'autres facteurs pouvant contribuer à cette aliénation, dont les conditions de travail, par exemple (Bruckert & Chabot, 2010; Bruckert & Law, 2013)).

Les normes sociales, pour leur part, découlent des représentations partagées par la communauté. Selon Abric (2011, p. 17), la représentation est « une vision fonctionnelle du monde, qui permet à l'individu ou au groupe de donner un sens à ses conduites, et de comprendre la réalité, à travers son propre système de références, donc de s'y adapter, de s'y définir une place ». Les représentations sociales « permettent de comprendre et d'expliquer la réalité, […] définissent l'identité et permettent la sauvegarde de la spécificité des groupes, […] guident les comportements et les pratiques, […] permettent a posteriori de justifier les prises de position et les comportements » (op. cit., p. 21-24) Dans les sociétés traditionnelles, les représentations sociales concernant la sexualité étaient essentiellement fondées sur un contrôle de la reproduction et les normes sociales exigeaient de la femme qu'elle réserve sa sexualité à celui auquel elle lie sa vie par le mariage, faute de quoi sa valeur comme individu au sein de la communauté en était amoindrie (Pheterson, 1998). La baisse de la mortalité infantile et le

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Tableau 5.1 :  Nombre d'entrevues et durée, pour chaque participante  Pseudo-nymes Nombre entrevues Nombretotal d'heures d'entrevues Participationau processusde validationdu modèle développé Remarques Anna 2 3h20 Oui Béa 2 4h10 Oui
Tableau 5.2 :  Activités dans l'industrie du sexe  Pseudo nymes Âge  Âge début tds* Duréetds Premier Typetds  Âge début escorte Durée escorte Autres types tds, pendant ou aprèsescorte Débutsagenceescorte Escorte  indépen-dante
Tableau 5.3 :  Scolarité et emplois hors travail du sexe
Tableau 5.4 :  Motivations à entrer et sortir de l'industrie du sexe
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