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L' autobiographie et le personnage de fiction chez Simone de Beauvoir

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;::

....,

L'aulobiographe el le personnage de lïelion chez Simone de Beauvoir

par

Heather Lynn Fudge

Mémoire de maîtrise soumis à la

Faculté des études supérieures et de la recherche en vue de l'obtention du diplôme de

Maîtrise ès Lettres

Département de langue et littérature françaises Université McGiIl

Montréal, Québec

Mars 1995

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1+1

National Library

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Ottawa. Ontario Ottawa (Ontario)

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0-612-05384-9

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I.'aulobiographe ct le personnage de fiction chez Simone de Beauvoir

Ce mémoire a pour corpus l'ensemble des cinq volumes ,des Mémoires de Simone de Beauvoir: Mémoires d'une jeune fille rangée, La force de l'âge, La force des choses l,La force des choses li et Tout compte fait. Dans notre étude, nous avons examiné les problèmes associés à l'auto-analyse; les limites, les insuffisances et les exigences du genre autobiographique.

Nous avons étudié la distance qui se manifeste entre l'identité de l'auteure et celle du personnage qu'elle crée pour se représenter dans ses écrits, et la manière dont Simone de Beauvoir elle-même tient compte de cette distance. Dans

l'entreprise autobiographique, il ne s'agit pas :>remièrement de dévoiler des faits ou une vérité singulière historiques, mais de révéler une certaine vérité intérieure p::rsonnelle. Nous avons découvert que la valeur de ses écrits autobiographiques

-, . :;

'; n'est pas dans l'exactitude de l'information donnée par notre auteure, mais dans la vérité de son image de soi .

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L'autohiographe et le pe;sonnagc de liction

chez Simonc dc Beauvoir

The corpus of this project consists of the five volumes of Simone de

Beauvoir's memoirs: Mémoires d'une jeune fille rangée, La l'orce de l':ige, La force des choses 1, La force des choses Il and Tout compte fait. In this study, we have considered the difficu1ties of self-analysis and examined the limitations and demands of the genre of autobiography.

A memoir is not simply the reconstruction of the author's past, but a personal interpretation of this past which often inc1udes discrepancies between the narrativc and the reality of his or her life. The autobiographer's pri

l11

ary objcctivc is not to deliver the historical facts of his or her existence, but to show a self bencath the person that appears to the world. In our research, we have found that thc valuc and tmth of Simone de Beauvoir's autobiography arise from. her creation of a charactcr she sees as embodying her own distinct personality.

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.

Je tiens à exprimer ma gratitude au Professeur G. Pascal pour son encouragement et ses conseils dans l'élaboration de mon travail.

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l

Simone de Beauvoir a écrit cinq volumes autobiographiques: Mémoires d'une jeune fille rangée, La force de l'âge, La force des choses J, La force des choses Il et Tout compte fait. Elle nous y livre l'histoire de sa vie. Mais dans son projet autobiographique le lecteur trouve aussi un univers multiforme dans lequel son histoire privée se conjugue avec toute l'histoire de son époque. A la recherche de . son moi, Simone de Beauvoir donne le spectacle du développement de sa

conscience, de la volupté de la réminiscence et de l'angoisse de l'avenir. Elle se mesure au temps et cherche à trouver un sens à sa vie.

Le sens de la littérnture pour l'autcure

«L'écriture c'est un labeur pénible;» écrit~elle, c'est «autre chose qu'un métier; une passion ou, disons, une manie.»1 Pour elle, le langage exprime la substance des choses et la littérature peut éclaircir les mystères de la vie. Elle confie que ce sont toujours des livres qui l'ont rassurée contre la peur du néant;

.

même très jeune elle pensait que le monde ne contenait rien de pluspréc~eux. Dans Mémoires d'une jeune fille rangée elle précise: «Tant qu'il y aurait des livres le bonheur m'était garanti.>l En lisant, elle élargit son horizon, en écrivant, elle

1 Simone de Beauvoir, La force des choses 1 (Saint-Amand: Gallimard, 1990),

p.372.

2' Simone de Beauvoir, Mémoires d'une jeune fille rangée (Saint-Amand:'

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metamorphose l'ignorance en savoir.

Voulant donner à la litterature une place importante dans sa vie, Sinwnc de Beauvoir la voit jouer le rôle principal de «Manifester des verites ambiguës, separees, contradictoires.»' Dans La Force des choses II, elle ecrit que son but primordial est d'accorder «du prix aux mots et à la verite,»4 Son projet de connaître le monde reste toujours étroitement lie à celui de l'exprimer. La littérature lui ouvre le monde et lui penn et de le démystifier; elle lui penn et aussi d'atteindre des

horizons jamais explores. Ecrire est pour elle la manière la plus importante de faire face aux autres, et le moyen le plus important de connaître lu vie.

Par ailleurs, la littérature constitue aussi pour elle une manière de sunnonter ses problèmcs. Dans son livre Simone de Bcauvoir Robert Cottrell ecrit: «Huppy she is sterile, indignant, she can write ...since 1939 Beauvoir has cultivatcd a sense of outragc; it is thc sine quo non of much of hcr litcrary work.»' C'est dans Tout compte fait que Simone de Beauvoir eonfinne son point de vue sur la fonction de l'écriture dans sa vie: «Dans les périodes difficiles de ma vie, griffonncr des

phrases-dussent-elles n'être lues par personne-m'apporte le même réconfort que la prière au croyant: par le langage je dépasse mon cas particulier, jc communic avec toute l'humanité...»" En essayant de neutraliser ainsi ses contrariétés, sa tristesse, ses

, Simone de Beauvoir, La force de l'âge (Saint-Amand: Gallimard, 1993), p. 358.

4 Simone de Beauvoir, La force des choses Il (Saint-Amand: Gallimard, 1990), p.120.

5 Robert D. Cottrell, Simonc de Beauvoir (New York: F. Ungar Pub. Co.,

1975), p. 28.

" Simonc de Beauvoir, Tout compte fait (Saint-Amand: Gallimard, 1989), p. 168-169.

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inquiétudes. Simone de Beauvoir veut en même tcmps pcrmettrc aux lecteurs de la connaître; en livrant ses expéricnces au public, clic souhaitc les univcrsaliscr; clic croit faire découvrir ainsi à scs Iccteurs <mn fond de lcurs malhcurs individucls, lcs consolations dc la fraternité.'" Scion clic, ccci cst un dcs principaux bénéficcs dc la littératurc: «La préscncc Cil chaque hommc des autres hommes, c'est par le langage

qu'clic sc matérialise ct c'est une des raisons qui me font tenir la littérature pour irremplaçablc.,," En écrivant, clle tente de luttcr contre la solitude qui nous est communc à tous.

7', Dans La Force de l'âge, Simone de Beauvoir nous fait remarquer que, pour clle, la littérature n'apparaît que lorsque quelque chose dans la vie se dérègle.9 Elle explique que dans les moments de sa vie où elle sé trouve submergée ou abattue, hi littérature lui semble une entreprise vaine; de la même façon, lorsqu'elle trouve la vie trop facile elle n'éprouve aucune envie de créer. Pour écrire, explique-t-elle,il

-. "-..'.:'

faut prendre du recul, il faut s'écarter un peu du sujet pour pouvoir le voir sous des angles nouveaux.

La littérature comme entreprise philosophique

o Les oeuvres autobiographiques de Simone de Beauvoir sont écrites à partir d'une optique philosophique; force nous est de noter que cette auteure a tenté toute sa vie de suivre les grandes lignes de la pensée existentialiste pour vivre et pour

, Ibid., p. 169. " Ibid., p. 263 .

9 Simone de Beauvoir, La force de l'âge (Saint-Amand: Gallimard, 1993), p. 416.

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construire son avenir. SCSOClIVfCSne sont pas écrites pour illuminer les do~tril\Cs sartriennes. qui sont aussi les siennes. Mais peut-être Simone de Beauvoir

cssaic-l-elle dans ses Mémoires de nous montrer comment une vie peut étrc nr~aniscc :\ partir des données de l'existentialismc.

Dans son article Simouc de Bcauvoir: Autobiography as Philosnphy, Eleanore Holveck se concentre sur l'aspect philosophique de ses oeuvres

autobiographiqucs: «ln these works, Beauvoir using herself as an ex:unple, reveals her final philosophical statement about one existing individual eonsciousness and its relations to others and to time, place, history and death.»10 Selon elle, notre

autobiographe a été influencée par plusieurs philosophes tels Husserl, Merleau-Ponty, Heidegger, et Sartre. Robert Cottrell, lui, voit dans ees recueils une «illustration of the key tenets of existentialist doctrine.»Il .

Dans ses Mémoires, Simone de Beauvoir insiste sur la manière dont elle a fait usage de sa liberté et sur le rôle que celle-ci a joué dans sa vie. «L'auteur écrit pour s'adresser à la liberté des lecteurs et il la requiert de faire exister son oeuvre.»12 écrit-Sartre dans Qu'est-ce gue la littérature? A travers ses volumes

autobio-graphiques, Simone de Beauvoir réitère ce même thème. «La liberté était notre unique règle.>P écrit-elle dans La Force de l'âge. D'après les doctrines

10 Eleanore Holveck, "Autobiography as Philosophy", Simone de Beauvoir Studies, 8, (1991), p. 107.

Il Robert D. Cottrell, Simone de Beauvoir (New York: F. Ungar Pub. Co.,

1975), p. 4.

12 lean-Paul Sartre, Qu'est-ce gue la littérature? (Saint-Amand: Gallimard, 1990), p. 58.

13 Simone de Beauvoir, La force de l'âge (Saint-Amand: Gallimard, 1993), p. 54.

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existentialistes. l'homme est libre de se raire et de sc définir, il est responsable de ee qu'il est et de ce qu'il devient; il se crée tel qu'il se veut être. Pour assumer celle libérté l'homme doit agir; il s'invente librement à partir de ses actes et doit se projeter hors de lui-memc en accomplissant des projets.

Pour Sartre, écrire c'est aussi une façon d'assumer sa liberté et de transcender sa situation: «Un écrit est une entreprise, puisque nous estimons que l'écrivain doit s'engager tout entier dans ses ouvrages...»14 écrit-il dans Qu'est-ce gue la littérature? Dans scs écrits autobiographiques, ainsi que dans l'ensemble de tous ses autres ouvrages, Simone de Beauvoir nous fait entendre qu'elle partage ce point de vue sur l'écriture: «Nous mesurions la valeur d'un homme d'après ce qu'il accomplissait: ses actes et ses oeuvres.»IS écrit-elle dans La Force de l'âge. Et élie précise: «Moi,

mon entreprise, ce fut ma vie même, que je croyais tenir entre mes mains.»16 Simone de Beauvoir nous montre aussi que pour elle l'essence d'une vie naît des actes qu'on accomplit et, dans son cas, de ce qu'on écrit. Précisant les relations de la liberté et de l'écriture, elle dit: «C'est essentiellement dans le domaine de la création littéraire que j'ai fait usage de ma liberté; on écrit à partir de ce qu'on s'est fait être,

maisc'est toujours un acte neuf>;17~. .,_.

j. \

Dans son livre Design and

Tru~h\in

Autobiography, Roy Pascal écrit: «The

14 Jean-Paul Sartrc.",Qu'est-ce gue la littérature? (Saint-Amand: Gallimard, ~ 1990), p. 40.

IS cSimone de Beauvoir, La force de l'âge (Saint-Amand: Gallimard,! 993), p.

54.

16 Ibid., p. 409.

17 Simone dei;Beauvoir, Tout compte fait (Saint-Amand: Gallimard, 1989), p.

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author's range of intcrest and rclevance is dcfincd not only by the actual fonn of his life but al$o consciousl)', delibcrately. by his l'onnulation (Ira philosophy.»IS Dans cette perspectivc. l'autobiographie ne nous livre pas simplement la vie de l'auteur, racontée à partir des circonstances et des relations avec les autres qui l'ont surtout marquées: elle nous donne. en plus. unc certainc définition de cettc existence ct de la vision qui l'a nourrie. L'êvolution de la vie d'un auteur comprend aussi l'évolution

.'

de sa pensée. C'est ce que Simone de Beauvoir elle-même nOlis dit dans Que peut la littérature?: «La réalité n'est pas un être figé: c'cst un dcvcnir.. c'est jc le répètc. un tournoiement des expérienèes singulières qui s'enveloppcnt les unes lcs autres tout en restant sép::lrées.»llJ Comme le dit Philippe Lejeune dans l.e p;lcte

alllohio-I!raphique: «Toute autobiographie est l'expansion de la phrase: "je suis devenu moL" »~Il

L'existentialisme est une philosophie tournée vers le concret. vers l'action. Dans ses Mémoires, Simone de Beauvoir nous parle de son besoin d'agir et de se réaliser. Même très jeune, il lui a fallu un but àatteindre, des difficultés à vaincre. Pour la jeune Simone de Beauvoir tout devait mener quelque part: «Toutes mes joumées avaient désonnais un sens: elles m'acheminaieni vers une libération

définitive.»~t Elle abesoin de se sentir chargée d'une mission, qu'elle appcllc une

111 Roy Pascai. Design and Truth in Autobiography (London: Page Bros. Ltd.,

1960), p. 96..

l') Simone de. Bemlyoir et ali;, Olle peut 1<1 littérature?, (Paris: Union Génér<ll

d'Éditions, 1965), p. 80.

~n Philippe Lejeune, Le pacte autobiographique (Paris: Éditions du Seuil, 197.5J,

p. 241. "

21 Simone de Beauvoir> Mémoires d'une jeune fille rangée (Saint-Amand:

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/

7

entreprise fondamentale d'appropriation du monde, une vocation. «Ma vic à moi conduira quelque part.»" écrit-elle dans Mémoires d'une jeune fille rangée.

L'existentialisme est une philosophie toumée vers l'avenir dans laquelle l'homme sc construit à travers ses choix ct ses actes. Dans celte perspective, un projet ou une oeuvre peut aussi signifier le refus du passé. Madeleine Deseubes écrit à cc sujet: «Liquider son passé personnel avait été pour Simone de Beauvoir une chose somme tout bien simple puisquè le pa~sé-elle s'en est expliquée-s'était détaché d'elle plus qu'elle n'avait eu à s'en arraeher.»23 D'après la philosophie existentialiste, l'homme se crée à partir de sa situation et pour la transcender il la surmonte. Ce que Simone de Beauvoir nous montre dans son essai Pvrrhus et Cinéas, elle nous le montre aussi dans ses écrits autobiographiques. Son désir de refuser son passé nous est présenté de façon implicite et explicite dans les cinq volumes autobiographiques; on le trouve plus accentué peut-être dans le premier Mémoires d'une jeune fille rangée, où elle décrit son enfance, son adolescence et le milieu qui est le sien. Selon Robert Cottrell, Beauvoir veut nous faire voir un parallèle entre l'ignorance dans laquelle se refugient les membres de la classe bourgeoise et celle de l'enfant.24

Dans sa description de ce milieu étouffant, on voit une tentative de liquider son passé; elle veut nous montrer comment elle a transcendé sa «situation», c'est-à-dire sa famille et sa classe sociale. Dans ses autres volumes autobiographiques

22 Ibid., p. 145.

-23 Madeleine Descubes, Connaître Simone de Beauvoir (paris: Resma, 1974),

p.62.

24 Robert D. Cottrell, Simone de Beauvoir (New York: F. UngarPub. Co., 1975), p. 8.

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Simone de Beauvoir nous parle clairement de sa notion de l'engagement, ct de l'importance de s'insurger eonlre les injustices du système de classes. Scion

Eleanore Holvcck, «Beauvoir secs her own writing as a concrete act which aims to unite her existence with others in an allempt to promote the freedom of ail, tirst of ail by changing the capitalist system of eeonomie exploitation.»~'

Un autre concept existentialiste qui mérite considération dans celle étude est celui de l'intersubjectivité. Les Mémoires nous donnent l'occasion de voir où Simone de Beauvoir se place par rapport au monde. Dans La Force de l'âge, elle note comment ses idées sur ses relations avec autrui ont changé depuis sa jeunesse: «J'admettais, enfin, que ma vie n'était pas une histoire que je me racontais, mais un compromis entre le monde et moi...»~6 Elle se rend compte que la présence des autres qui limite sa propre liberté influence parfois ses pensées et ses actions. Voulant la liberté, écrit-Jean-Paul Sartre, «nous découvrons qu'elle dépend

entièrement de la liberté des autres, et que la liberté des autres dépend de la nôtre.»~7

Il précise que cette dépendance conditionne aussi la pensée: «Pour obtenir une vérité quelconque sur moi, il faut que je passe par l'autre [...} l'autre est

indispensable à mon existence...»28 Dans ses Mémoires, Simone de Beauvoir nous montre à plusieurs reprises la fascination qu'elle a pour se voir du dehors, pour voir

25 Eleanore Holveck, "Autobiography as Philosophy", Simone de Beauvoir

Studies, 8, (1991), p. 107.

26 Simone de Beauvoir, La force de l'âge (Saint-Amand: Gallimard, 1993), p. 554.

27 Jean-Paul Sartre, L'existentialisme est un humanisme (Paris: Les Éditions

Nagel, 1967), p. 83. ,

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ses experienccs ec\airees par le regard des autrcs. Dans son livrc Simone de Beauvoir Revisited, Catharine Savagc Brosman ecrit: «Literature is an existential projet that overcomcs the distancc between her consciousness and others.»'·

L'autohiographie et la connaissance de soi

Si l'autobiographe désire faire voir et comprendre qui il est au lecteur, plus important peut-être encore est le besoin de se connaître lui-même par cet exercice. On peut voir là la raison primordiale pour laquelle l'auteur entreprend de se dire et de se décrire. Selon Roy Pascal par exemple, l'autobiographie authentique ne peut être écrite que si c'est cette motivation qui l'emporte: «The purpose of the true

auto-.

biography must be "Selbstbesinnung" a search for one's oWll inner standing.»30 L'autobiographe se sent poussé par un besoin personnel de se trouver; on écrit l'histoire de sa vie pour comprendre qui l'on est et pourquoi l'on existe. Dans The Conscience orthe Autobiographer John D. Barbour commente aussi ce

phénomène: «An important motivation for writing autobiography is a person's need for further 'self-invention' [...] the discemment of the selfsidentity, integrity,and consistency.»31 Dans ses écrits autobiographiques, Simone de Beauvoir elle-même semble reconnaître que son entreprise de se donner à voirà tout le monde n'est pas dépourvue d'un but intéressé. Dans Tout compte fait elle écrit: «Mon désir de

'9 Catharine S. Brosman, Simone de Beauvoir Revisited (Boston: Twayne.

Publishers, 1991), p. 14~.

30 Roy Pascal, Design and Truth in Autobiography (London: Page Bros. Ltd., 1960), p. 182.

31 John D. Barbour, The Conscien~eof the Autobiographer (New York: St.: Martin's Press, 1992), p. 9. .

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connaître, est-ce de l'ouverture de l'esprit ou une curiosite frivole') Quant li moi ie m'accepte sans réticences. Quand je me «reconnais», je m'amuse.»'" Selon elle, toute oeuvre littéraire est essentiellement une recherche; ecrirc c'est creer le mùnde li neuf en le découvrant.

Selon Simone de Beauvoir, une oeuvre réussie peut transtigurer ct justi lier la vie- de son auteur. Pour elle, la littérature a pour but d'assurer son salut devant. le moude. Dans Conditions et limites de l'autobiographie Geoq;es Gusdorf écrit: «L'homme qui se raconte se recherche lui-même à travers son histoire; il ne se livre pas à une occupation désintéressée, mais à une oeuvre de justification personnelle.»'u Dans Mémoires d'une jeune fille rangée Beauvoir nous décrit son goût pour les auteurs tels, Barrès, Gide, Valéry, Claudel:

Refus des paroles creuses, des fausses morales et de leur confort: celle attitude négative, la littérature la présentait comme une éthique positive. De notre malaise, elle faisait une quête: nous cherchons un salut. Si nous avions renié notre classe, c'était pour nous installer dans l'Absolu:'"

Elle reprend ainsi les idées de Gusdorf sur l'autobiographie: <da tâche de l'autobiographe est d'abord une tâche de salut personnel [...] Il s'agit, pour celui qui tente l'aventure, de conclure un traité de paix et comme une nouvelle alliance, avec soi-même et avec le monde.»3s C'est nous qui notons que dans ses oeuvres

"

32 Simone de Beauvoir, Tout compte fait (Saint-Amand: Gallimard, 1989), p. 57.

33 Cité en annexe par Philippe Lejeune dans L'autobiographie en France (Paris:

A. Colin, 1971), pp. 227-228.

34 Simone de Beauvoir, Mémoires d'une jeune fille rangée (Saint-Amand: Gallimard, 1991), p. 270 .

3S Cité en annexe par Philippe Lejeune dans L'autobiographie en France (Paris: A. Colin, 1971), p. 228. (C'est nous qui soulignons)

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autobiographiques, Simone de Beauvoir semble vouloir créer une nouvelle entente entre clle-même ct ses lecteurs, essayant de justifer ses actions et ses pensées devant le public ct aussi dans son for intérieur pour son propre bien.

Dans son livre, S~monc de Beauvoir ou l'entreprise d'écrire, Ann Marie Lasocki mentionne: «On pourrait dire en son cas: justification par l'écriture, comme

011 disait autrefois: justitication par la foi.»3(' Ayant renoncé à la foi chrétienne,

pendant sa jeunesse notre' autcurc voit dans la littérature la quête d'un salut. Elle écrit en effet dans ce sens dans Mémoires d'une jeune fille rangée quand·elle parle .de la littérature comme du moyen d'assurer une immortalité qui compenserait

l'éternité perdue:

«il

n'y avait plus de Dieu pour m'aimer, mais je broIerais dans des millions de coeurs_»~7 Plus tard dans son troisième volume autobiographique, La force des choses 1, Simone de Beauvoir nuance-cette confidence et dit que non . seulement son attitude envers la mort a changé depuis sa jeunesse mais qu'elle n'a

jamais cru au caractère sacré de la linérature:

Dieu étuit mari quandj'a....ais quator=e ans, rien ne l'avait remplacé: l'absolu n'existait qu'au négatif. comme un horizon àjamais perdu. J'avais souhaité devenir, comme Emily Brontë ou George Eliot, une légende~ mais j'étais trop convaincue qu'une fois mes yeux fennés plus rien ne serait rien pour tenir >

fortement à ces rêves. Je périrais avec mon époque, puisque je mourrais: il / n'y pas deux manières de mourrir. Je souhaitais être lue de mon vivant par

beaucoup de monde, qu'on m'estimât, qu'on m'aimât.311

Certains, comme Ph. Lejeune par exemple, ont vu dans l'autobiographie une

.ll' Ann M. Lasocki. Simone de Beauvoir ou l'entreprise d'écrire (La Haye: M.

Nijhoff. 1974), p. 1. ' : .

. i . . .

.l7' Simone de Beauvoir, Mémoires,d'une jeune fine rangée (Saint-Amand:

Gallimard, 1991)~ p. 197. 1

li,

311 Simone de Beativoir,

L~force

des choses l ,(Saint-Amand: Gallimard. 1990),

; pp.,70-71. (C'est nous qui soulignons).'

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soif d'éternité .. Simone de Beauvoir nie tout désir de celle sorte: elle prétend croire trop radicalement à la mort pour sc soucier de cc qui arrivera. après:'" Mais si notre auteure ne se soucie guère de cc qu'elle laissera à la posterité. elle se sent tout de même obligée dans ses écrits autobiographiques de dissiper certains malentendus qui circulaient de son vivant à propos de sa personne ct de ses oeuvres. Dans La Force des choses Il, elle explique «Je savais que plus la presse parlerait de moi, plus je serais défigurée: j'ai écrit ces Mémoires en grande partie pOlir rétablir la vérité...

»'"

Ses oeuvres autobiographiques ainsi que ses entretiens constituent pour elle un moyen important de s'expliquer et de montrer dans quels sens elle a souvent été mal comprise par son public.

Le désir de se faire connaître

Pour Simone de Beauvoir, l'écriture est un moyen de faire compter son existence pour autrui. A travers ses oeuvres autobiographiques, elle tente de se faire connaître dans le monde. Georges Gusdorf commente ce désir d'affirmation devant les autres: «Chacun d'entre nous a tendance à se considérer comme le centre d'un espace vital [...] En racontant ma vie, je m'atteste par-delà ma mort, afin que se conserve ce capital précieux qui ne doit pas disparaître.»41 Certes, l'écrivain se sent poussé à écrire l'histoire de sa vie par un certain sentiment de sa propre importance, mais Simone de Beauvoir veut nous faire entendre que le but de son projet

39 Simone de Beauvoir, La force des choses II (Saint-Amand: Gallimard, 1990),

p.57.

40 Ibid., p. 496. (C'est nous qui soulignons)

41 Cité en. annexe par Philippe Lejeune dans L'autobiographie en France (Paris: A. Colin, 1971), p. 218.

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autobiographique dépasse cc besoin de construire une image de soi-même. Elle précise fennement son point de vue spécifique sur ce sujet: «Celle vaine et d'ailleurs impossible entreprise ne m'intéresse pas. Ce que je. souhaiterais c'est me faire une idée de ma situation dans le monde.»4~

Dans L'autobiographie en France, Philippe Lejeune cherche à écarter le jugement de vanité ct d'amour-propre que le lecteur peut porter sur l'autobiographe. Certes, l'auteur est poussé, dans une certaine mesure, par une impulsion narcissique. Dans le cas de Simone de Beauvoir, toutefois, son besoin de sentir le regard d'autrui sur elle-même peut être interprété comme une intention non pas de mettre l'emphase sur sa propre importance dans le monde, mais de vouloir accéder à une certaine fonne d'être pour assurer son existence devant autrui .

11 existe selon Philippe Lej.~une plusieurs façons de suggérer au lecteur que l'on n'écrit pas parce qu'on se plaît à parler de soi-même mais «par nécessité, par vertu: on affinne d'abord le caractère exceptionnel, privilégié de la situation d'intériorité pour la connaissance de l'homme.>>43. Dans les oeuvres

;llltobiographiques de Simone de Beauvoir, on remarque le désir de l'auteure de faire profiter les autres de son expérience; devenant en quelque sorte pédagogique, elle essaie de transmettre au lecteur les vérités de la vie, de communiquer «le goût de [sa] propre vie...»44

Elle veut que les gens.l'écoutent, qu'ils apprennent quelque chose à travers

4~ Simone de Beauvoir, Tout compte fait (Saint-Amand: Gailimard, 1989), p.

58.

4.' Philippe Lejeune, L'autobiographie en France (Paris: A. Colin, 1971), p. 81. 44 Simone de Beauvoir, Tout compte fait (Saint-Amand: Gailimard, 1989), p. 634.

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'.

14

ses propres expériences; dans ses écrits, elle conlie surtout le besoin de communiquer les événements pour les arracher à l'oubli:

J'avais toujours cu le gOllt de la communication. [... ) j'étais loquace. Tout ce qni me frappait au cours d'une joumée, je la racontais, ou du moins j'essayais (...) J'aimais, à quinze ans, les correspondances. les journaux intimes [...] qui s'efforcent de retcnir le temps:'

Pour Simone de Beauvoir, c'est par les mots qu'on se fait connaître et comprendre. Elle s'explique souvent sur son besoin intense de se dire ct de se décrire, de donner sa vie à voir, de raconter ses cxpéricnees aux autres au point que pour Ann Marie Lasoeki, «C'est par sa passion de communiquer qu'elle restera sans doute à la postérité. Le Mal est essentiellement pour elle de ne pouvoir se dire et de se faire entendre.»46 Elle veut communiquer ses expériences aux autres non

seulement pour se voir sous le regard de l'Autre, mais parce que cela lui donne du plaisir de revenir sur ses propres préoccupations et de ramener à soi tous les autres problèmes qu'elle a trouvés chez les autres. Elle a la passion de communiquer et sc' taire, vivre dans le silence lui semble insupportable: «Ce que je rêvais d'écrire, c'était un «roman de la vie intérieure»; je voulais communiquer mon expérience.»47

En écrivant, notre auteure se sent liée al1lé autres; ses expériences

s'universalisent. Dans un entretien avec Madeleine Gobeil, en 1965, Serge Julienne-Caffié obtient de cette amie de Beauvoir, la remarque suivante à l'égard de son oeuvre autobiographique: «Ses Mémoires qui l'occupent de'puis sept ans, c'est un

4S Simone de Beauvoir, Mémoires d'une jeune fille rangée (Saint-Amand: Gallimard, 1991), p. 197.

46 Ann M. Lasoeki, Simone de Beauvoir ou l'entreprise d'écrire (La Haye: M.

Nijhoff, 1974), p. 1.

47 Simone de Beauvoir, Mémoires d'une jeune fille rangée (Saint-Amand: Galimard, 1991), p. 288.

(22)

15

pcu unc manièrc dc rccupércr unc scnsibilité qui s'en va vers l'autre, sans aucune déviation et sans secre!.»4K

Dans Que peut la littérature? Simone de Beauvoir nous explique le rôle de celte recherche: «Chaque homme est fait de tous les hommes et il ne se' comprend qu'à travers ce qu'ils livrent d'eux et à travers lui-même.»49 Cette idée est partagée par Sartre: «Pourquoi lit-on des romans ou des essais? Il y a quelque chose qui manque, dans la vie de la personne qui lit et c'est cela qu'il cherche dans le livre.»50 Selon Sartre, ce qui manque au lecteur, e'est le sens qu'il va donner au livre qu'il lit, et ce sens qui manque c'est aussi le sens de sa vie, «cette vie qui est pour tout le monde mal faite, mal vécue, exploitée, aliénée, dupée...)}51

Comme nous dit Roy Paseal: «The autobiography is a story, the story of a li(e;in the world.»52 L'auteur ne nous

d6~~:::pas

simplement sa propre histoire, il

.

.

nous livre aussi les histoires des. autres, ainsi que l'histoire de son époque. Il incite les autre~à penser à leur propre vie, à en chercher des parallèles, à trouver dans la 'vie de l'auteur une signification à leur propre existence. Selon Sartre, le lecteur

trouve la signification de sa propre vie dans l'oeuvre qu'il lit. Il saisit la vision du monde de l'auteur et y trouve sa propre réalité: «mais d'une part cette vision du

48 Cité par Serge Julienne-Caffié dans Simone de Beauvoir (paris: Gallimard, 1966), p. 43.

49 Simone de Beauvoir et alii. Que peut la littérature? (paris: Union Général d'Éditions, 1965), p. 92.

50 Jean-Paul Sartre et alii. Que peut la littérature? (paris: Union Général

d'Éditions, 1965), p. 121. ~

51 Ibid., p. 122.

52 Roy Pascal, Design and Tmth in Autobiography (London: Page Bros. Ltd., 1960),p. 184.

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16

monde VOliS vous y collez, vous vous y coulez, vous· la faites, VOliS la rcalisez...»~J

Oans La Force de l'âge, Simone de Beauvoir constate la même chose: «lm(1(I,\'sihic

de. (aire la lumière slir sa l'ie sans éclairer. ici 011 lù, ('clle cles (W'1t~.\,.»~·1

Simone de Beauvoir voit dans ses oeuvres une sorte de devoir social: la litterature lui p~~rmet de servir l'humanité: (Quel plus beau cadeau lui faire que ses livres? [...} j'acceptais mon «incantation» mais je ne voulais pas renonceril .l'universel: ce projet concilia toUt...»S5 Pour Simone de Beauvoir, la littérature

constitue un moyen de réunir l'universel et le singulier; elle est une mission, un

mandat qui implique le souci de soi ainsi que le souci des autres.

Notre auteure veut transmettre sa propre expérienceen espérant être utile à

autrui. Elle précise ce projet dans Mémoires d'une jeune fille rangée: «Mc

perfectionner, m'enrichir, et m'exprimer dans une oeuvre qui aiderait les autres à vivre.»5G Se faire aimer, se faire connaître, aider les autres; à la fin elle constate qu'elle y a réussi: qu'elle a obtenu ce qu'elle voulait: «Elle [la notoriété}

m~l:donné

ce que je souhaitais: qu'on aimât mes livres et moi àtravers eux;que des gens m'écoutent, et leur rendre service en leur montrant le monde tel que je le voyais.»57

53 lean-Paul Sartre et alii, Que peut la littérature? (Paris: Union Général d'Éditions, 1965), p. 122.

54 Simone de Beauvoir, La force de l'âge (Saint-Amand: Gallimard, 1993), p.

12. (C'est nous qui soulignons)

55 Simone de Beauvoir, Mémoires d'une jeune fille ran~(Saint-Amand: Gallimard, 1991), p. 197.

56 Ibid., p. 265. ~'...-'.:

57 Simone de Beauvoir, La force des choses II.(Saint-Amand: Gallimard, 1990),

(24)

17 L'autobiogmphie et la fiction

Dans Simonc dc Beauvoir ou l'entrcprisc dc vivrc Francis Jcanson écrit: «Prcsquc tous scs livrcs pcuvcnt êtrc considérés commc autobiographiques...,,5. Simonc dc Bcauvoir précisc souvcnt quc Ic gcnrc autobiographique et le genrc romanesque lui apportent les plus grands satisfactions, bien qu'ils soient aussi les plus difficiles à écrire. On peut se demander si ses romans se situent sur le même plan que ses écrits autobiographiques en ce qui concerne son projet de nous raconter sa vie. Dans Tout compte fait, Beauvoir écrit qu'à travers toute oeuvre littéraire, peu importe le genre, l'écrivain cherche à établir une communication avec autrui à partir

:'--.~~,

de son expérience vécue. Par cette oeuvre, l'auteur se donne une'«constitution fictive.,,59 Dans cette perspective, on peut dire que dans toute oeuvre littéraire, l'auteur nous livre des aspects de lui-même. Le roman ainsi que l'autobiographie pennettent à Simone de Beauvoir de s'exprimer sur les multiples aspects du monde auquel elle appartient ainsi que sur elle-même, mais ni le roman, ni

l'autobiogra~hie

ne doivent être pris comme un fidèle calque de la réalité.

Comment se distingue par exemple, l'autobiographie du roman dit

autobiographique? Dans Le pacte autobiographique Ph. Lejeune a.ffirme sans hésiter que «si l'on reste sur le plan de l'analyse interne du texte, il n'y a aucune

différence.,,60 Mais il précise que le genre autobiographique se fonde sur une

58 Francis Jeanson, Simone de Beauvoir ou l'entreprise de vivre (paris: Éditions. du Seùil, 1966), p. 196.

Simone de B~auvoir,Tout compte fait (Saint-Amand: Gallimard, 1989), p.

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affinnation dans le texte de l'identité de l'auteur qui renvoie au nom de celui qui se trouve sur la couverture. Cette affinnation qu'il nomme «/~ l'(/('I~ (/1I1"hi"grul'hl(/II~" peut prendre des fonnes très diverses; mais elles manifestent toutes l'intention de l'auteur de eonfirnler la véracité et la sincérité de son récit. D'après Lejeune, c'est la présence de ce pacte qui détennine le genre autobiographique. Pour Marylea

Macdonald, «Ainsi s'établit la grande diftërence entre l'autobiographie et la fiction."'"

Dans les cinq oeuvres-sur lesquelles nous nous concentrons dans ce!'e étude, on trouve cinq interventions textuelles qui servent de pactes autobiographiques entr': l'auteure et le lecteur: un prologue dans La Force de l'âge, un prologue el un intennède dans La Force des choses, un prologue et un épilogue dans l'OUI compte fait. Dans MélT,oires d'une jeune fille rangée il n'existe pas de pacte textuel fonnel comme l'explique-Marylea Macdonald, mais, «S'il a des doutcs sur les intcntions dc l'auteur, il est très clair quant à l'effet recherché par son discours: l'auteure a l'air de raconter les choses 'telles qu'ellcs furen!'»"'. 11 s'agit. donc. non pas d'un pacte explicite. mais d'un pacte sous-entendu dans ce volume.

Dans notre étude des écrits autobiographiques de Simone de Beauvoir, nOLIs allons tâcher d'examiner les problèmes associés à l'auto-analyse; les limites, les insuffisances et les exigences du genre en ce qui concerne le projet de l'auteur de livrer au lecteur l'histoire vraie de sa vie. Pour commencer, nl)us nous servirons des articulations que propose Simone de Beauvoir pour explorer l'espace

autobio-6' Marylea Macdonald, "Le pacte autobiographique dans les Méinoires de

Simone de Beauvoir", Simone de Beauvoir Studies, 9, (1992), p. 75 . •, Ibid.. p. 75.

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19

graphique. «On ne peut pas cerner une vic comme on cerne ct saisit une chose. Mais on peut sc poser à son propos certaines questions: comment sc fait une vic?»"·' ecrit-elle dans Tout compte fait.·

La question principale que nous nous poserons dans celle etude concernera le regard que porte Simone de Beauvoir sur elle-même. Bien qu'elle réitère eonstam-ment sa volonte de peindre la réalité sans fard, le lecteur de son autobiographie peut trouver facilement des contradictions, des omissions, et même des mensonges. Nous tenterons de découvrir si ces déformations de la réalité nuisent à son projet de se connaître et de donner «la vérité» de sa vie au lecteur. Nous prendrons garde de tomber dans les dangers potentiels que signale Lejeune: «Il faut lutter contre l'illusion de la permanence, contre latentation normative, et contre les dangers de l'idéalisation: à vrai dire, il n'est peut-être pas possible d'étudier un genre, à moins

--: ~

d'accepter d'en sortir.»64

L'autobiographe choi~it lui-même sa propre manière de voir et d'écrire sur les circonstances de sa vie. Pour procéderà nos analyses nous garderons constamment en mémoire que l'autobiographie est d'abord un texte littéraire et qu'il s'agit d'étudier le fonctionnement de ce texte. Notre analyse de l'autobiographie de .Simone de

Beauvoir se développera dans deux directions; celle d'une description théorique de la forme et celle d'une lecture interprétative de ses textes. Nous adopterons

successivement dans les deux chapitres qui suivent ces deux perspectives; la première pour analyser les formes esthétiques que prennent les Mémoires de notre

63 Simone de Beauvoir, Tout compte fait (Saint-Amand: Gallimard, 1989), p.

12.

~'F

64 Philippe Lejeune, Le pacte autobiographique (paris: Éditions du Seuil, 1975), p.7.

(27)

20

ameure. et 1:1 deuxième pour établir. un répertoire des thèmes et des idées qui apparaissent dans ces textes. Dans notre troisième chapitre nous examinerons le contrat de lecture autobiog.raphique et le rôle que notre auteure voit jouer au lecteur de ses Mémoires.

(28)

CHAPITRE PREMIER

Analyse des [onnes prises par l'autobiographie chez Simone de Beauvoir

(29)

Dans les cinq volumes autobiographiques de Simone de Beauvoir. les événements et les faits de sa vie nous sont relatés dans un récit qui est très limpide et rigoureusement structuré. On note chez notre auteure le soin qu'elle apporte à donner les plus petits détails de son histoire, ainsi que son intention de livrer au lecteur sa vie dans sa totalité. Au sujet du modèle que choisit de Beauvoir, certains signalent que ses oeuvres autobiographiques se rapprochent le plus souvent du genre documentaire; ils n'y voient pas un grand effort de la part de l'auteure pour se

connaître et se comprendre.

A plusieurs reprises, l'auteure elle-tnême semble reconnaître et parfois regretter qu'il manque à son oeuvre une certaine qualité affective. Mais elle se défend contre ceux qui écrivent qu'elle manque de scrupules sur le plan esthétique, et nous explique que pour elle, le genre autobiographique nécessite la rigueur. Tout en niant que son travail soit un «documc:nftmb>6s, Beauvoir nous dit néanmoins

. :.~ .

qu'elle ne considère pas son autobiographie comme «une oeuvre d'art»66. Mais ceci ~~

n'implique nullement

qu;el1~e

pas ses oeuvres sur le plan litté;aire. Elle précise son point de vue sm' ce sujet dans La Force des choses J:

Certainement ce livre sIen trouvera déséquilibré: tant pis. De toute façon je ne prétends pas qu'il soit-non plus que le précédent-une oeuvre d'art: ce

~-',\

'.\

'\

65 Simone de Beauvoir, Tout compte fait (Saint-Amand: Gallimard, 1989), p. 162.

(30)

mot me fait penserà une statue qui s'ennuie dans le jardin d'un villa; e'est un mot de collcctionneur, un mot de consommateur et non de créateur

1".1

Non; pas une oeuvre d'art, mais ma vie dans ses élans, ses détresses, ses

soubresauts, II/li vie qui esslIie de se dire et /10/1 de servir de prétexte iides

." (.7

e egances.

Selon Simone de Beauvoir, la critique attaque souvent ses oenvres au niveau de la fonne sans tenir compte de son dessein principal qui est de se limiter à la vérité des faits. Même si on n'a vu dans son histoire qu'une sorte de reportage flegmatique, elle nous explique que son oeuvre donne toutefois l'impression du vécu, une impression qui est nécessaire pour livrer l'histoire de sa vie à ses lecteurs. Selon Simone de Beauvoir, si on entreprend vraiment de se dire et de se donner tout.entier, peu importe le modèle que l'on suit-l'essentiel c'est qu'on décrive sa vie dans sa totalité.

L'orote chronologique

Pour nous livrer l'histoire de son existence, Simone de Beauvoir choisit, dans ses quatre preri'iiers volumes at:tobiographiques, de respecter l'ordre chronologique. Vivre, explique notre auteure, a toujours été pour elle une entreprise clairement orientée et donc, pour en .rendre compte il lui faut en suivre le cheminement. C'est pour cela qu'elle opte pour donner une structure linéaire logiqueà son récit:

Ce qui compte avant tout dans ma vie, c'est que le temps coule; je vieillis, le monde change, mon rapport avec lùi varie; montrer les' transformations, les mûrissements, les irréversibles dégradations des autres et de moi-même, rien ne m'importe davantage. Cela m'oblige à suivre docilement le fil· des

années." .

67 Simone de Beauvoir, La force des choses 1 (Saint-Amand: Gallimard, 1990),

p.8.

(31)

23

Mais, même si clic croit que pour nOlis livrer ses expériences celte approche soit nécess.1irc, elle semble néanmoins regretter la linéarité de son réci"t. EUe rejoint ainsi Philippe Lejeune qui voit là quelque chose qui «simplifie la complexité du vécu.»!"}, D'après lui, l'autobiographe doit à son public quelque chose de plus qu'une collection de souvenirs agréables racontés de façon intelligible. Son oeuvre doit certes obéir aux exigences de la cohérence car l'auteur doit savoir garder ct organiser ce qui est lié à la ligne directive de sa vie. Mais Lejeune précise que l'auteur ne peut pas adhérer aux lois de'la cohérence du récit au détriment de la recherche du sens de sa vie.

Bien que Simone de Beauvoir croie qu'il lui est nécessaire de suivre la chronologie historique pour écrire une oeuvre qui révèle le déroulement de sa vie, elle pense néanmoins qu'une telle stratégie ne peut donner une impression suffisante du vécu. Pour elle, le temps ne se présente pas comme une unité en elle-même~ elle ne voit pas le passé comme une entité figée. Elle refute l'idée qu'on puisse posséder son passé comme un bien propre et pense que vivre c'est se fabriquer d'instants en instants:

Dans une autobiographiec[:,.l les événements se présentent dans leur gratuité, leurs hasards, leurs combim:,isons parfois saugrenues, tels qu'ils ont été [...

1

De même qu'il est impossibl't" au physicien de définirà la fois la position d'un corpuscule et la longeur

l'onde qui lui est attachée, ['écrivain n'a pa... le moyen de dire en même temps les faits d'une vie et son sens.70

Pour Simone de Beauvoir, c'est la totalisation des expériences qui est

(-,

essentielle dans l'autobiographie; c'est à travers cette totalisation qu'on dégage leur

70 Simone de Beauvoir, La force des choses II (Saint-Amand: Gallimard, 1990»

(32)

Lejeune blâme ce choix de

~

/ - <

24

unité cl leur sens. Elle cst conscicntc quc l'ordre chronologiquc comme moyen d'accumuler ct de livrer au lecteur les événemcnts d'une vie peut paraître artificiel et clic avouc qu'clic cn connaît les inconvénicnts~

Mon récit fait de mon histoire une réalité finie. qu'elle n'est pas. Mais aussi il l'éparpille. la dissociant en un chapelet d'instants figés. alors qu'en chacun passé. présent ct avenir étaient indissolublement liés (...] J'ai donc échoué à donner aux heures révolues leur triple dimension.'!

Mais scIon Chantal Moubachir. le déroulement temporel dans l'oeuvre 'autobiographique de notre auteure n'est pas un déroulement uniforme constitué par

une suite d'instants. Elle explique que la notion du temps dans l'oeuvre de Simone de Beauvoir ressemble à une «édification constante,.édification présente qui s:..~ppuie

'''''

sur le passé en se projetant vers l'avenir.»72 Pour Simone de Beauvoir,la vie doit s'accomplir par des actes; dans ses Mémoires ses expériences s'ajoutent à d'autres dans une existence qu'elle voyait comme une sorte d'ascension.

Ce modèle de. l'autobiographie, que choisit Simone de Beauvoir, dans lequel la narration suit l'ordre de J'histoire, est le modèle classique adopté.par la plupart des auteurs qui entreprennent de raconter leur vie. Mais, si l'on en croit Lejeune, il est difficile à l'autobiographe de dégager le vrai sens de savie en suivant le récit linéaire pour livrer son histoire.

n

n'apprécie pas le récit autobiographique

traditionnel et il fournit justement comme exemple de l'échec de cette technique, les écrits autobiographiques de Beauvoir. Selon lui, elle ne réussit pas à.établir un

. ',~~ .

éqUIlibre entre l'unité du sens, et la nature du vécu.

'1 Simone de Beauvoir, Tout compte fait (Saint-Amand: Galllimard/1989), pp.

9-10. / '

72 Chantal Moubachir, Simone de Beauvoir: ou le souci de ,différence (paris:

Seghers. 1972), p. 43. /1

li

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notre auteure et il s'étonne, entre autres, de voir que malgr~ son adhérence aux doctrines existentialistes qui donnent au temps vécu unc naturc tridimensionnelle, et en dépit de sa connaissance de l'autobiographie au sens inno\'atif de Sartre (Les mots), Beauvoir construise ses propres textes sur une conception un peu simple du

passé-en-soi. Il précise: «Elle imagine visiblement I.e passé comme une succession de présents ayant chacun son être en soi (c'est·à-dirc, un passé et un futur ù

l'intérieur de chaque présent).»7J Lejeune concède que, d'un point de vue

existentialiste, Simone de Beauvoir a raison de penser quc. chaque préscnt est ainsi quand il est présent. mais tort de penser que le passé est fait d'un ensemble de présents-en·soi. Lejeune voit ce passé décrit par l'auteure comme essentiellement coupé de son présent. La vie, explique-t-il, n'est pas lIne série de passés-en-soi isolés et indépendants l'un de l'autre.

Il pense que tout récit qui suit l'ordre chronologique implique une conception de la causalité qu'il considère étriquée.7~ Selon lui, la décision que prend Simone de Beauvoir de nous livrer sa vie à travers le modèle linéaire de l'autobiographie montre

à quel point elle n'est pas consciente des problèmes du genre qu'elle pratique. D'autres critiques se montrent moins sévères à cet égard. Par exemple, dans L'autobiographie Georges May écrit que la tentation d'introduire après coup un mécanisme causal dans une description de sa vie se fait sentir avec une force

presque irrésistible chez les autobiographes épris de rationalisme, comme Simone de 7__~ Philippe Lejeune, Le pacte autobiographique (Paris: Éditions du Seuil, 1975),

p. 235. ~ 7.1 lb'd1 ., p. ""'7_."l • \ '~ '.-

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(34)

26

Beauvoir.75 Renee Winegarten, dans Simone de Beauvoir: A Critical View, compare aussi, comme le fait Ph. Lejeune, les écrits autobiographiques de notre auteure avec celui de Sartre. Mais elle croit que sa façon de procéder diffère de celle de cc dernier en raison du but qu'elle cherche à atteindre; Sartre veut que son autobiographie éclaire sa philosophie, tandis que Simone de Beauvoir cherche premièrement à se décrire à ses lecteurs:

She was not primarily concerned with the analysis of what Sartre called a literary 'neurosis', but with trying to account for the substance of her own existence and development (...] Given her intention ta record, she was naturally drawn ta a more traditianal fann of autabiagraphy.76

L'onlre thématique

Dans Tout compte fait, Simone de Beauvoir abandonne l'ordre chronologique, et choisit une organisation thématique. Dans son récit, elle revient à ce qu'elle a écrit dans les volumes précédents pour s'expliquer plus clairement sur son passé et pour dissiper les malentendus qu'elle a pu créer.. Cette manière d'organiser le récit n'est pas vue par Lejeune comme étant supérieureà celle qu'elle choisit pour écrire les autres volumes. Ilconstate que même si l'autobiographe sent que l'ordre linéaire

historique n'est pas suffisant, il arrive qu'il choisisse des solutions qui ne valent guère mieux, comme l'essai par rubrique, ou la démultiplication du récit en séries linéaires juxtaposées.

fait.

C'est ainsi que procède Simone de Beauvoir dans Tout compte

//'

: ~.J'~

1979), p. 58.75 Georges May, L'autobiographie (paris: Presses Universitaires de France, 76 Renee Winegarten, Simone de Beauvoir: A Critical View(New York: Berg Publishers Ltd., 1988), p. 4: (C'est nous qui soulignons)

(35)

'27

Celle opinion est partagée par d'autres critiques qui écrivent sur les oeuvres autobiographiques dc notre auteure. Par cxemple. Rence Winegarten écrit au sujet de l'ordre thématique selon lequel cc demier volume est construit: «Such a treatment actual1y l'raves much more repetitive and less allractivc th'lIl the ehronological method employed in the earlier volumes.»"

Il nous semble donc que l'ordre thématique pas plus que l'ordre

chronologique ne réussit à capter tout à fait ce que doit être le but primordial de l'autobiographie, la recherche du sens de la vic. L'autobiographe doit essayer de concilier la narration pittoresque et l'analyse systématique et rigourcuse dc sa vic. On sait néanmoins que, si un récit collait vraiment à la réalité, il scrait discontinu ct inintelligible. Selon Georges Gusdorf le «péché originel» de l'autobiographic cst celui de la cohérence logique et de la rationalisation: «Le récit est conscicncc, ct comme la conscience du narrateur mène le récit, il lui paraît invinciblemcnt qu'elle a mené sa vie.»78 Mais d'après lui, ce problème est insurmontable car ricn ne peut empêcher le narrateur de connaître toujours la fin de son histoire, «c'est-à-dire de partir e~ quelque sorte du problème résolu.»79. C'est ce que pense aussi Sartre lorsqu'il écrit La Nausée:

Quand on vit, il n'arrive rien [...] Les jours s'ajoutent aux jours sans rime ni raison, c'est une addition interminable et monotone [...] Mais quand on raconte la vie, tout change [...] . les événements se produisent dans un sens et nous les racontons en sens inverse [...] J'ai voulu que les moments de ma vie se suivent et s'ordonnent comme ceux d'une vie qu'on se rappelle. Autant

77 Ibid., p. 1.

78 Cité en annexe par Philippe Lejeune dans L'autobiographie en France (paris:

A. Colin, 1971), p. 231. 79 Ibid., p. 232.

(36)

28

vaudrait tcntcr d'attrapcr Ic tcmps par la qucuc.'"

Dans Thc Conscicncc of thc Autobiographcr John D. Barbour aFfinnc quc l'autobiographic n'cst pas unc sim pic dcscription d'états dc consciencc, mais <mn cxcrcisc and cxtcnsion of thc writer's still-developing conscience.»KI. L'autcur postulc toujours le sens dcs événements lorsqu'il se les remémore, et quand il entreprend de décrire sa vic, il retient ou rejette ces événements selon sa façon de percevoir leur sens dans le présent. Pour Georges Gusdorf, la reconstitution de l'unité d'une vie à travers le temps dépend donc, non pas des faits extérieurs, mais des «éléments constituants de la personnalité.»82. Selon Gusdorf, l'autobiographie n'est qu'un moment de la vie qu'elle raconte; elle doit s'efforcer de dégager le sens de toute cette vie en ce moment. Il précise ce point de vue ainsi: «Une partie de

l'ensemble prétend refléter l'ensemble, mais elle ajoute quelque choseà cet ensemble dont elle constitue un moment.»83 Dans toute autobiographie, donc, pour que

l'auteur réussisse à capter le sens de sa vie, il faut qu'il comprenne que son passé est reconstruit à partir du moment où il écrit.

Autobiographie et mémoire

Les écrits traitant l'analyse de soi sous la forme du genre autobiographique

80 Jean-Paul Sartre, La Nausée (paris: Gallimard, 1938), pp. 57-59..

81 John D. Barbour, The Conscience of the Autobiographer (New York: St.·

Martin's Press, 1992), p. 8.

82 Cité en annexe par Philippe Lèjeune dans L'autobiographie en France (paris: A. Colin, 1971), p. 226. .

(37)

peuvent être classés scion dcux catégories principales. soit comme {/lIlohio~rrtl'hie,

soit comme mémoire. Il nous faut étudier la dil1ërencc cntre ces deux formes d'écrits autobiographiques pour mieux approfondir la t<Ïchc que Simonc de Bcanvoir s'cst donnée à travers son projet. Catharinc Savage Brosman nous aide à

comprendre la distinction qui existe entre ces deux modes d'écriture: «The common purpose of tme autobiogrol'hies lis] not just to recount a life but to illuminate it. By that is meant identifying and scmtinizing those clements which shape a destiny and thereby plumbing the meaning of the self in its temporal trajectory,»'" Dans une oeuvre dite autobiographique, l'auteur ne nous livre pas simplement l'histoire de sa vie et sa situation dans le monde;. il nous donne premièrement son image de lui-même. Son projet de se dire et de se décrire naît de son désir de se connaître.

En revanche, dans un texte qui peut être défini comme un mémoire, le but de l'auteur est de raconter ses expériences et les événements personnels et historiques qui l'ont affecté sans chercher premièrement à se fonner une image de soi. A ce sujet Brosman écrit: «Memoirs are principally the record of what happens to and

around the self, not the interpretation of the self.»·' Dans L'autobiographie en France Lejeune a déjà précisé ces nuances: «Dans les mémoires, l'auteur se

comporte comme un témoin: ce qu'il a de personnel, c'est le point de vue individuel· [...] Dans l'autobiogrophie, au contraire, l'objet du discours est l'individu

lui-même.»86

84 Catharine S. Brosman, Simone de Beauvoir Revisited (Boston: Twayne

Publishers, 1991), p, 134-135, 0

., Ibid., p. 135.

(38)

30

Scion celle distinction, Catharine Savage Brosman trouve que les écrits de Simone de Beauvoir qui traitent de J'histoire de sa vic devraient être vus comme des mémoires et non comme des autobiographies. Elle écrit que le premier volume, Mémoires d'une jeune fille rangée est celui qui sc rapproche le plus du modèle autobiographique; dans ce livre, Beauvoir tente de récréer son enfance et d'analyser les circonstances qui l'ont surtout marquée à ce premier stade de sa vie. Elle écrit au sujet de sa première tentative autobiographique: (~'ai prêté ma conscience à

.l'enfant, à la jeune fille abandonnée au fond du temps perdu, et perdues avec lui. Je les ai fait exister en noir et blanc sur du papier.»87

Dans Les Mémoires d'une jeune fille rangée. Simone de Beauvoir semble vouloir revenir au monde de son· enfance pour le revoir dans l'optique qui a été la sienne alors. C'est dans ce volume que notre auteure se livre le plus intimement et peut-être le plus honnêtement au lecteur. Elle tente de revivre les expériences liées à cette periode de sa vie afin de se faire mieux comprendre par le lecteur. Elle s'exprime sur sa situation sur un ton très personnel. Elle nous livre ses émotions; nous apprenons l'amour qu'elle éprouve pour sa soeur, l'angoisse qu'elle ressent dans sa relation avec son cousin Jacques, les' sentiments qu'elle porte à Zaza, sa meilleure amie d'enfance, et la manière dont cette amitié l'a influencée toute sa vie. Elle nous décrit aussi les désespoirs de son adolescence, la froideur avec laquelle elle a été. traitée par ses parents, la solitude qu'elle a éprouvée dans la maison familiale, et ses raisons pour sa rupture avec la classe bourgeoise qUI était la sienne. Le lecteur 'assiste à son initiation à l'âge adulte, à sa découverte des violences de la chair et des

87 Simone de Beauvoir, La force de l'âge (Saint-Amand: Gallimard, 1993), p. Il. "

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désirs qui la tourmentent li la veille de la puberté. C'est dans Mémoires d'une jeune I1l1e rangée que Simone de Beauvoir décrit sa prem ière déception en amour ct sa perle de la foi chrétienne.

Dans cc volume, le lecteur trouve une jeune I1l1e s'interrogeant sur les grandes questions de la vie; Simone de Beauvoir semble se donner librement ùson public sans trop se soucier de la manière dont ses cxpérienees vent être reçues ct jugées par lui. A propos de sa première rencontre avec Sartre, par exemple, elle avoue: «C'était la première fois que je me sentais intellectuellement dominée par quelqu'un.»'8 Constatation qui étonnerait bien des féministes qui imaginent que l'entente entre ces deux écrivains était fondée sur un parfait équilibre intellectuel.

Dans son deuxième volume autobiographique cependant, Simone de Bcauvoir commence à se dire et à se décrire avec plus de réserves. Dans le prologue à La Force de l'âge elle-même s'en explique:

rai raconté sans rien omettre mon enfance, ma jeunesse; mais si j'ai pu sans r gêne, et sans trop d'indiscrétion, mettre à nu mon lointain passé, je -n'éprOllve

pas à l'égard de mon âge adulte le même détachement et je ne dispose pas de la même liberté. Il ne s'agit pas ici de clabauder sur moi-même et sur mes amis; je n'ai pas le goût des potinages. Je laisserai résolument dans l'ombre beaucoup de choses."·

Dans ce livre, le lecteur ressent une certaine volonté de la part de l'auteure de se distancier de son public. A travers les Mémoires d'une jeune fille rangée, les expériences d'une jeune fille de cette époque et de ce milieu social spécifiques . s'universalisent sous la plume de l'auteure; son histoire d'enfance peut être J'histoire

.88 Simone de Beauvoir, Mémoires d'une jeune fille rangée (Saint-Amand: Gallimard, 1991), p.480 .

13.

8. Simone de Beauvoir, La force de l'âge (Saint-Amand: Gallimard, J993), fi.

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3::!

de Ioule jeune fille. Mais, à partir de La Force de l'âge, le projet autobiographique de Simone de Beauvoir esl orienté par son besoin de livrer sa situation en tant que femme-écrivain française dans le monde. Son but n'est pas de constuirc unc image d'elle-même, entreprise qu'elle considère d'ailleurs vaine ct impossible, mais de se faire une idée dc sa situation dans le mondc.'Xl Après avoir raconté l'histoire de son cnfance et de sa jeunesse, clic se sent obligée d'cxpliquer comment sa carrière d'écrivain s'est incarnée et de tracer le voyage qu'elle a fait pour acquérir la notoriété.

La différence de ton existant entre le .premier et les autres volumes peut être attribuée à l'obligation que ressent Simone de Beauvoir de décrire son entrée dans la , vue publique; elle doit à ses lecteurs l'histoire de son évolution comme intellectuelle

et écrivaine célèbre et elle commence à se définir à partir de ces deux termes qui décrivent le mieux son identité. Georges Gusdorf précise la raison pour lac;uelle l'auteur d'une autobiographie décrit son enfance d'une façon spécifique: «L'écrivain qui poursuit révocation de ses premières années explore 'un domaine enchanté qui n'appartient qu'à lui.»9\

Dans Mémoires d'une jeune fille rangée, il nous apparaît souvent que la jeune, Simone de Beauvoir possède une certaine image d'elle-même, une façon de se voir comme unique. Pendant son enfance, personne ne semble jouer de rôle bien définitif dans son affirmation de. soi. Elle ne prend personne comme modèle à suivre dans le développement de sa·personnalité et, même en se liant d'amitié avec

. 9O.Simone de.,Beauvoir, Tout compte fait (Saint-Amand: Gallimard, 1989), p. 58. .

9\ Cité en annexe par Philippe Lejeune dans L'autobiographie en France (paris:

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d'autres, elle sc trouve toujours seule, scparce du monde qui l'entoure.

En revanche, dans les autres volumes qui traitent de l'cvolution de sa carrière d'ceri vainc, notre auteure doit tenir compte davantage de la prcsenee des autres dans sa vic; elle commence à sc rendre compte de l'importance des impressions el des idées d'autmi. Si dans son premier volume, l'auteure semble se confier au lecteur d'une manière qui est souvent plus intime, c'est sans doute parce qu'elle trouve que la reconstuction de son propre moi donne une image qui est plus pure que dans les volumes qui suivent. Dans ce volume on a l'impression que l'auteure sc sent plusà

l'aise, plus libre parce qu'elle donne tout simplement sa propre histoire qui ne se concilie pas trop avec celle des autres ni de son époque. En nous donnant son image de soi, elle ne se trouve pas encombrée par les jugements et les impressions des autres. Cette oeuvre est plus autobiographique car elle comprend une image de soi qui 'est plus ingénue, moins défonnée par le regard de l'Autre que dans les autres volumes.

Dans un extrait de son livre Un souvenir d'enfance de Léonard de Vinci, Sigmund Freud explique que les souvenirs d'enfance, sont le plus souvent «modifiés et faussés, mis au service de tendances ultérieures: de telle sorte qu'ils ne peuvent en général pas très bien se distinguer des fantasmes.»92 Il pense que celui qui se

souvient de son enfance se trouve f':)rcément séparé d'un passé dont il ne sait en fait pas grand-chose. Ses souvenirs peuvent lui paraître clairs et vraisemblables, mais il ne faut pasy voir l'expression d'une vérité.

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..r:::!)

Dans cetteperspective donc, même si on considère le premier volume

autobiographique de Beauvoir comme plus intime,. comportant l'image de l'auteure la,

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••

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plus claire, il ne faut pas prendre cela pour l'expression du vrai. Écrivant sur ce sujet des souvenirs d'enfance, Roy Pascal précise:

1t is likely that autobiography is al its happiest when reconstructing

childhood, that is whcll it is based almost solely on memory. Yet il cannot be maintained that these memories are reiiable, either in their factual truth or in regard to their relative importance.'B

Les derniers livres aut(\~~ographigues

Dans ses derniers livres autobiographiques le portrait que donne Simone de Beauvoir d'elle-même est très soigneusement tracé~ elle semble se livrer au lecteur avec beaucoup plus de réserve. On note surtout son besoin de s'exprimer de façon plus exacte par rapport aux événements extérieurs, et plus vague en ce qui concerne ses émotions. Elle emploie un ton moins personnel en écrivant ces volumes; elle se montre plus discrète, plus soucieuse àl'égard des jugements que les autres peuvent porter sur elle et montre plus de volonté de cacher certains éléments de sa vie. A partir de La force de l'âue on a l'impression qu'il lui est nécessaire de faire plus attention à ce qu'elle écrit non pas seulement pour ne pas compromettre ses amis et sa famille, mais aussi pour se protéger contre les malentendus de ceux qui ont tendance à ne chercher que ce qui peut lui nuire.

Dans La Force de l'âge, l'auteure décrit pour le lecteur son initiation à l'écriture, ses idées, sa relation (intellectuelle et affective) avec Sartre, ainsi que les

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amitiés qu'elle nOlle avec d'autres pendant cette période de sa vie. Mais ce n'est que très rarement qu'elle se livre au lecteur d'une manière aussi intime que dans son

""~~ ~. ,~"'L

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premier volume autobiographique. Elle parle beaucoup des événementshistoriqu~s

')J Roy Pascal, Design and Tn.tth in Autobiographv (London: Page Bros. Ltd.,

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et de la politiquc dc l'époquc cn nous racontant scs voyages ct ses expérienecs pcndant la dcuxièmc Gucrrc Mondialc. Parrois on constatc ses tcntatives pour no\!s liYrer ses émotions. Par cxemple, en parlant d'unc maÎtrcssc de Sartre clIc écrit: «Elle n'avait quc quatrc ou cinq ans dc plus quc moi ct il scmblait quc sur un tas de points elle me fût supérieure. Cctlc idée mc déplaisait tout à rai!.»'''' Dc cettc raçon hâtive et brusque, Simone de Beauvoir nous donnc l'occasion dc l'imagincr comme une femme tenaillée par la jalousie. Plus tard dans ee même volume, on la voit craintive et hésitante devant l'idée d'écrire sur elle-même: «Me jetcr toute crue dans un livre, ne plus prendre de distance, me compromettre: non, cetle idée

m'effrayait.»9S Mais rares sont les exemples où notre auteure laisse voir ses

émotions. A la fin de ce livre, elle signale la difficulté que doit éprouver le lecteur à comprendre un auteur à travers ses oeuvres:

Pour comprendre d'après son oeuvre la personnalité vivante d'un auteur, il faut se donner beaucoup de peine. Quantà lui, la tâche dans laquelle il s'engage est infinie; car chacun de ses livres en dit trop et trop peu.%

..

La tentative de Simone de Beauvoir de;;~montrer imperturbable pendant Ics

~ ~

~

-moments difficiles de sa vie se manifeste aussi dal:5 son deuxième volume La Force des choses 1. Dans le prologue, elle exprime son regret que, malgré ses réserves dans le volume précédent, certains l'aient accusée de nombreuses indiscrétions. Dans ces deux volumes de ses Mémoires, si l'auteure nous donne l'occasion de la voir parfois vulnérable, elle semble se rétablir presque aussitôt après pour prouver au

94 Simone de Beauvoir, La force de l'âge (Saint-Amand: Gallimard, 1993,; p.

79.

9S Ibid., p. 360. 96 Ibid., p. 694.

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lecteur son insensibilité. Par exemple, suite à la critique négative de son ami Jean Genet pendant la mise en scène de sa pièce. Les bouches inutiles, elle avoue tout simplement <de souffris.»·17 On trouve cependant, que sa souffrance ne dure pas

très longtemps~ à la page suivante ellc rassure le lecteur en disant: <d'avalai

facilement cct échec.)}911

Lié à ce dernier exemple de son admirable capacité de surmonter les difficultés de la vie, on trouve sa façon d'accepter le comportement de Sartre à

l'égard des autres femmes, un aspect de leur relation qu'elle passe sous silence dans ses oeuvres autobiographiques. Dans La Force des choses 1 par exemple, Simone de Beauvoir semble prête àse lier d'amitié avec le lecteur en racontant un re.oment douleureux vécu par elle pendant une de ses conversations avec Sartre au sujet sa relation avec M., sa maîtresse américaine:

n

arrive souvent quand une question dangereuse vous brûle les lèvres qu'on choisisse mal le moment de s'en délivrer: nous sortions de ma chambre pour aller déjeuner chez les Salacrou quand je demandai: «Franchement, à qui <-:

tenez-vous le plus: àM. ou à moi?»99

Plus loin dans ce même livre cependant, quand Simone de Beauvoir raconte sa première rencontre avec cette femme, eUe ne semble plus du tout anxieuse, et nous dit d'un air blasé qu'elle «était aussi charmante que le disait Sartre et eUe avait le plus joli sourire au monde.»loo La description que donne notre auteure de sa

97 Simone de Beauvoir, La force des choses l (Saint Amand: Gallimard, 1990), p.77.

98 Ibid.,p. 78. 99 Ibid., p. 101.

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