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Constantes universelles chez Chrétien de Troyes

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Texte intégral

(1)

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CONSTANTES UNIVERSELLES CHEZ CHRETIEN DE TROYES

by F. S. Lichtarge A Thesis

....

$ubmitted to

the Faculty of Graduate Studies and Research McGill University

in partial

fulfilme~t

of the requirements'

'.

for the degree of_

Master of Arta ~:r:_.ftt of French Laftguaqe ~ L1MJ.'atue, "

.

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(2)

l

Université McGill

Département de langue et

de

culture françaises

Maîtrise ès arts

Fernand Lichtarge

CONST~S UNIVERSELLES CHEZ CHRETIEN DE TROYES

RESUME

Persuadé qu'une étroite parenté continue d'unir;

par delà les siècles, l'homme du présent à celui du passé,

l'auteur s'est efforcé d'expliciter ce lien en étudiant le

témoignage que l'oeuvre de Chrétien de Troyes constitue sur

son époque, sur lui-même •.• et sur nous.

Après avoir tenté de cerner l'homme, d'abord

l'iné-vitable

et~passif

produit de son époque, en examinant

succes-sivement les techniques des médiévistes, les renseignements

biographiques, les événements et les idées de son temps,

l'auteur retrace, au fil des "romans", le cheminement

libê-/

rateur par lequel l'artiste fait une utilisation originale

et de plus en-plUS contestataire de la mythologie arthurienne,

pour finalement aboutir

l sa

définition anti-courtoise

q~

Il

couple-fid'li

té" .

(3)

l

,-1

ie

1

,

Ce long effort d'émancipation artistique débouche sur l'impossible quête de Perceval

dont.:

l' inachàvemen~/' propose un sens à l'oeuvre de Chrétien de Troyes, comme à

toute destinée humaine que l'amo~r, l'aventure et la mort nourriront et rajeuniront sans cesse jusqu'à la

consomma-, \

" tion des temps.

"

j

1

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..

(4)

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.. }

McGi11 University

Department of French

Language and Literature

Master of Art.

Fernand Lichtarge

CONSTANTES UNIVERSELLES CHEZ CHRETIEN DE TROYES"

ABSTRACT

Prornpted by his conviction that a narrow

relation-ship keeps binding, through

th~centuries,

the man of today

to the man of the past, the author endeavours t6 single out

this tie by studying the testimony, the works of Chrétien

.

de Troyes bear on his time, on himself •.. and on us.

The author first attempts to portray the man as a

natural and passive product of his century by considering

medievalists' techniques, biographical information, events

and thoughts at the

ti~,

then follawa, novel after novel,

the path along which the artist freed himself through an

\

original and inqreasingly dissentiàg use of the Arthurian

, ~

Amythology, to finally state his anti-cOurtly definition of

.

the Itfaithful couple

lt

(5)

"

Il

(f

This long" journey towards artistic emancipation

..

leads to the impossible quest of Perceval, the very incom-pletion of which lends a forceful meaning to the warka of

1 Chrétien de Troyes, as weIl as to any human deatiny that

love, adventure and death will endleasly feed and re-juvenate until the end of tirne.

,

,

" , t'\~t t. ( , ) , .'." ... -1 ~>-'b<l .... ~ <1-n'...,; .. , • .' ~.~.!'J..<,;I ."

.

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(6)

.

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,

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.

"j.;

SOU$ l'apparence chevaleresqùe,

c'est la grande aventure de l'homme qui est ici expos6e

(

...

)

.

Albert paÇPhilet, Etudes sur la queste deI Saint Graal.

~ n.. . '<" -~

! ~1r.' . :~:.~~ .-.:. 1

..

(7)

.

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l ,

TABLE DES MÀTIERES

page

INTRODUCTION.

.

.

.

. .

.

. .

.

.

.

.

.

.

. .

. . .

.

.

1

Chapitre premier:

A

LA RECHERCHE DE CHRETIEN DE

Chapitre II:

Chapitre III:

Chapitre

IV:

Chapitre V:

BIBLIOGRAPHIE

\ 4

L'HOMME DANS SON SIECLE . • • • • • • 27

L'ARTISTE DANS SON TEMPS . • •

.

.

/

\

LE CHEM-IN DE

LA

LIBERTE: PERCEVAL

41 80 ~.

CHRETIEN LIBERE •

~,.

• • • • • • • • 10

1 ~1 .' t

. .

. . . .

.

.

. .

.

.

. .

.

~

• • • • • 107

i l

..

(8)

...

---~~~

••

.~

INTRODUCTION

A peu près

à

l'époque où les bâtisseurs médiévaux

commençaient

à

construire Notre-Dame de Paris, Chrétien de

Troyes, poète de son état, entreprenait son oeuvre.

Est-ce

à

dire que nous sommes redevables de la grande

~

cathédrale

à

la

se~le

foi du prêtre et

à

la seule technique de

l'architecte qui en posèrent la première pierre?

De

même,

devons-nous voir en

Chré€~en

de Troyes l'inventeur des romans

bretons et le prem;er zélateur de l'amour courtois?

~

.

Non.

Car de même que l'exigeante foi de l'évêque

Maurice~de

Sully ne fit que recouvrir de vieux

sanctuai~es

dédiés

à

St~Etienne

et

à

la Vierqe, eux-m3mes dressés sur les

ruines pa!ennes d'un temple

à

Jupiter, Chrétien de Troyes

(9)

2

longue de poètes, troubadours, jongleurs, harpeurs, batte-leurs, bouffons et autres divertisseurs de rois, de grands ou de peuples.

Ainsi la pierre est-elle indifféremment cathédrale gothique, vestig~an, colonne grecque, pyramide égyptienne, temple Khmer ou menhir, selon l'endroit ou l'époque, alors que sa signification à travers les âges demeure unique: la foi donnée, transmise et témoignée.

La pensée de Chrétien est pareillement multiple. Elle est antique lorsqu'elle puise Philoména aux Métamorpho-~ d'Ovide~ elle est bretonne dans ses évocations mythiques

de la cour du roi Arthur; elle est provençale avec Lancelot ou le procès que la suffragette noble du 12e siècle intente au male ,féodal plié sans rémission au service courtois; elle est universel mysticisme enfin, gon~ pure humanité, dans le symbolique Conte du Graal, sorte de symphonie naturellement inachevée où Chrétie~ conduisant Perceval, en

quête

pour lui-même d'ultime et crainte vérité, reçoit avec la mort le veto de sa destinée.

Mais

elle est finalement une par

le

souffle de

(10)

" 3

écrites ou parlées, se sont évertués à expliquer l'homme à

1

l'homme dans le désir de l'amùser, de 11 instruire ou: de le moraliser.

Notre-Dame de Paris, oeuvre collectiv

r,

en plusieurs styles, et même ~nachevée, nous apparait à h~it siècles de distance, comme la marque sensible par laquelle des hommes dl une époque ont choisi de Si identifier à ceux qui les avaient

précédés et à ceux qui devaient leur succéder. L'oeuvre de Chrétien de Troyes nlest que la forme temporelle et pour ainsi dire accidentelle--par la naissance--d'un génie perma-nent de l'humanité.

Nous espérons montrer comment Chrétien de Troyes, né sous Théopompos ou peut-être Phédon à Sparte ent pu et voulu écrire 11 Illiade et l'Odyssée7 comment i l ent pu et voulu, sous le Second Empire, brosser la fresque de La Légende des siècles ou le tableau de Notre-Dame de parisr et comment de

1

nos jours il ent pu et voulu combler le vide laissé par les grandes sagas des Thibaud ou des Hommes de bonne volonté •

(11)

~

, , 1 :. ~ ...

-•

~,

l

o

Chapitre premier

A LA RECHERCHE DE CHRETIEN DE TROYES

'"

, Qui est Chr'tien de Troyes,?

('

Au mC(ment de

SOUleve~e voile du monument qu.' il

représ~nte

dans la littérature édiévale, permettons-nous

up

<-instant de réflexion.

,

Chrétien, c'est surtout l'image incertaine ou

fausse-ment précise que burinent patiemfausse-ment de savants médiévistes

au fil de leurs méticuleuses exégàses.

Leur technique relàve

de nombreuses

discipline~

1tttéraires et scientifiques comme

l'analyse, la critique,

l~histoire,

l'archivistique.

Il n'est

,

-pa. jusqu'à la statistique qui ne permette, au'prix ae

la~~

rieux calculs opér6a sur

de.

tables de fr6quence relative.

l

p ' 4'

.-

'

,"

(12)

••

,

"

5,

la métrique, la phonétique,

l,~

syntaxe et la sémantique d'un

i

texte d'en confirmer ou parfois découvrir l'auteur gr3ce

à

la "signature" .ainsi élaborée.

,

".

Déjà,

en 1932, deux érudits rompaient'force lances,

dans le champ clos d'élection des spécialistes que constitue

depuis plus de cen,!: ans la revue Romania,

à

propos "D'une

application du

calc~~

des probabilités

à

un

probl~me

d'his-toire littéraire,,:l '\

J ~

Mario Roques, qui publiait alors la revue,

y

réfute

la: tentative faite par "M. Bolbrook avec l'aide de

c61l~gues

m'athématiciens",2 d'attribuer

à

Guillaume Alecis la paternité

de la farce de Maistre Pathelin.

La

'~preuve mathématiqu~n , 3

4

c:!onsistai t

à

découvrir douze

"concordance~"

numériques,

les-quelles, avec "six trillions de trillions" de chances contre

une, révélaient:

,

l'artifice '[ de] mettre dans une oeUvrE!

à

l

des places définies des

~ppels~d'une

,

,

.

1

IRoma!)ia, t. 58, Paris,

~on,.

1.932,

\~. 88-99wat

574-591.

\

2

1

t,

~., p. 90 •

3Le. 'guilleaeta .ont de Mario Roques.

4Ibid.

-

,

(13)

-•

,

.

...

1,1, .. ' 6

autre oeuvre [dans] le dessein de pouvoir un jour révéler cet 'engin' mystérieux pour un avantage quelconque. l

M. Holbrook affirmait en clair que Guillaume Alecis ..

,.-~ ....

, ... ~i}

entendait revendiquer, à son heure, "ses" vers anonymes de Pathelin en introduisant dans le poème dûment signé, les Faintes, des vers qui, à des rangs correspondants,

expri-maient la mime idée.

,

La réfutation de M. R0ques, consistait à rejeter six des douze concordances comme "non recevables", faute de rap-ports démontrables, à souligner "l'élasticité" de deux

..

autres, pour n'en retenir que quatre dont voici un exemple: Qu'estoit ce ung bon marchant et saige!

Tel est renommé bien saige homme

M~me "mot, même numéro de vers. 2

Path 123 F 123

Soulignons que M. Holbrook n'usait des mathématiques que pour illustrer la tr~s faible probabilité de colncidences purement fortuites. d'où la tentative de M. Roques qui se paie le luxe de r4duire le poids de "l'argument massue" avant de ltli dénier ensuite toute port'~. Il "exécute" en effet la

1 Roumania, p. 90.

2Ibid., p. 93 •

(14)

---~---

... ...

'.

7

"preuve" 'par l'absurde en découvrant malicieusement, au cours d'une lecture parqllèle, sept concordances entre Pathelin et

~

le Roman de la Rose dont l'au~ur, Guillaume (1) de Lorris est trèpassé depuis deux siècles, et sept concordances encore entre les Faintes et--comble d'ironie--le Tartuffe d'un

Molière encore à naître à deux siècles de là.

Toutefois,' cette plaisante démonstration de l'inap-plicabilité des probabili~és dans un cas précis ne devait nullement dissuader d'autres lettrés férus de mathématiques,

.

'

à tei po~nt qu'il lexiste aujourd'hui des manuels de statisti-que linguististatisti-que à l'usage des Fhilologues.l Ainsi les

probabilités puis la mécanographie, indispensable base des 2

travaux de Charles Muller" auront-elles frayé le chemin à

l' ordinateur.

On le conçoit, l'abondance et la co~lexité croissante des recherches suffisent à légitimer l'inquiétude du néopnyte pour qui l'étude d'un texte ancien finit par relever de

lCitons de Charles Muller, In;tiation à

~itatisti-gue linquistique, Paris, Larou8se, 1968. ~

2 Charls8 Muller, Etude 'tl. statistiqu~ lexicale. Le vocabulaire 4u th,atre

4.

Pierre Corneille, Paris, Larou8se, 1967, Avant-propos.

(15)

8

l'arch~ologie. Il prend soudain conscience que seul le paléo-graphe moderne a le droit de s'absorber dans la d~licate exhumation d'un poète que chacun de ses vers recouvre comme la bandelette d'une momie. Lui seul peut alors retrouver et tenter de nous faire partager toute l'exaltation qui naguère habitait aussi Chrétien, parmi les clercs, lorsqu'il soule-vait, avec d'infinies précautions les larges papyrus où

palissaient des noms qui l'emplissaient de révérence: Virgile, Ovide, Sénèque . . . . Sous les strates successives, où le

novice aperçoit et condamne sommairement une accumulation de maladresses, d'erreurs, de na1ves prétentions d'ignorants copistes à la science, i l sait, lui, découvrir et reconnattre le latin, le gallo-romain, le franc, le breton, le normand. Et la gangue se fait or.

;-Ecoutons alors Jean Frappier, un peu alchimiste,

~

mais surtout hagiographe, au sens noble du terme, puisqu'il se défend de toute complais'ance "inexacte, inutile à la juste gloire de Chrétien"l nous présenter ce Il grand auteur":

p.

3.

Il est assez riche et assez varié pour que

l'~clairage de son oeuvre se modifie de

1Jean

Frappier,

Chrétien de

Troyea, Hatier,

1968,

,

(16)

Cd

'.

9

génération en généra tien • ..,. Des aspects nouveaux de son talent se découvrent à

mesure qu'on l'étudie davantage. Un

examen plus attentif des tendances morales, intellectuelles et esthétiques de son

temps, a~si que de ses sources

d'inspira-tion permet de mieux définir en quoi i l s'affir.me créateur ( ... ), poète artiste,

peintre de caract~re, romancier de toute

une société, moraliste d'une civilisation

raffinée ( .•• ) [Il n'a pas créé] le roman

breton ••• [mais il] éleva un genre incer-'tain encore à une qualité très haute et,

s'il n'a pas imaginé la matière de Bretagne, i l l'a pourvue d'un attrait inconnu avant lui. l

/

c'est bien ce qui nous intéresse et que nous

pressen-tions. Chrétien de Troyes suscite l'intérêt parce qu'il est

un continuateur doublé d'un novateur. Il porte la marque de

tous les poètes inspirés de Homère à Hugo jusqu'à la fin des

3ges. Il parle au public de son temps d'un passé, réel ou

légen~aire, connu, mais il l'enrichit par son talent d'une

nouvelle dimension qui est la condition mAme du passage à la

,.

postlrité.

Quel était ce poète, nécessairement engendré par, son

,

.

époque et son terroir afin de nous transmettre le flamb~au

d'une culture qui, sans lui,perdue ou transformêe, nous serait étrangère?

..

(17)

-.

(

10

Chrétien de Troyes a produit son Geuvre entre 1165 et 1185 nous dit encore J. Frappier.1 Mais on peut, comme cer-tains ouvrages2 qui ne mentionnent pas de source assurée, assigner les bornes 1135 (?) - 1191 à son existence. Deux repères nous y invitent: /

1) Le ton du prologue de Lancelot et la complicité qui semble lier le poète à Marie de Champagne permettent de conJecturer que le poète appartenait sensiblement à la géné-

.

\

ra~i6i

de sa protectrice; or celle-ci est née en 1138.

2) La dédicace de Perceva1 au comte Philippe de

,

Flandres, son dernier protecteur, est nécessairement

anté-rieure à la mort de celui-ci, survenue en juin 1191, à la Croisade. Or le roman étant resté inachevé et nulle oeuvre ne lui succédant, on peut supposer que Chrétien est mort autour de cette date.

Chrétien de Troyes aurait donc vécu, entre 1135 et 1191, d'abord l la cour de Champagne puis à celle de Flandre,

IJean Frappier, Amour courtois et Table ronde, Genève, Droz, 1973, p. 129.

2La pléiade, Histoire

de.

littératures,

III,

Paria,

(18)

/

Il

sous le r~gne du Capétien Louis VII, ép6ux de la brillante

Aliéno~ d'Aquitaine dont maints écrivains briguaient le patro-nage.

Avant de suivre Chrétien de Troyes dans ces bril-lantes assemblées, attardons-nous un ins~ant, avec Edmond Faral, sur la longue évolution à laquelle les écrivains du

Moyen Age étaient redeva~le$ de leur statut social particulier.

,

L'~crivain, c'est à~l'origine, si nous acceptons la thèse de Faral,l "un jongleur [c'est-à-dire, l'un] de ceux

qui

faisaient profession de divertir les hommes".

,

Un repère linguistique, le passage du c de joculator et jocularis au g de jogler et jogleor2 devant une conSOAne permèt à Faral de constater l'existence de jongleurs au IXe siècle. Mais refusant avec bon sens toute génération spontanée et apr~s avoir rejeté, comme hasardeuse la filiation proposée par l'abbé de la Rue3 qui fait des jongleurs les successeurs

lEdmond Faral, Les Jongleurs du Moyen Age, Paris,

~;

Champion, 1964.

2Ibid., p. 3.

~ 3Auteur d'lib Essai historique sur les bardes, les jongleurs et les trouv~res normands et anglo-normands. Cité

(19)

.,,---..---~

---l

12

des bardes gaulois, et celle de Gaston Paris qui voit en eux '\

les héritiers des Skopas l francs, c'est-à-dire, des soldats-chanteurs épiques, eux-mêmes "parents des aèdes de la Grèce homérique et ( .•. ) des griots de l'Afrique nègre", il se , tourne vers le mimus et l'histrio du monde gréco-latin pour faire surgir de Sicile "leur première patrie, les ancêtres

h · d 1 Il 2

. aut ent1ques es Jong eurs .•• . Faral affirme ainsi leur

présence:

C'est de très bonne heure que les mimes, avec les autres produits de la civilisation romaine, s'étaient répandus sur les

terri-toire~ conquis. Dès le Ve siècle, ils sont

partout. La voix inquiète et indignée des

moralistes les dénonce, et c'est aux colères de leurs inflexibles juges plus qu'aux

applaudissements du public que ces 'amis de l'Ennemi' doivent de vivre encore dans notre souvenir. 3

Donc ils existent ces mimes ou histrions et pour sur-vivre, face à leurs détracteurs, "ils font des prodiges pour

é é . Il 4

retenir l'attention r roun ratrice du pub11c •••• On voit les

1

1

Faral, Les Jongleurs du Moyen Age,

p.

4.

2Ibid

,

p. lI.

3Ibid. ,

p.

12.

4Ibid. ,

p.

13.

, ,

(20)

'

13

joculares, "gens qui jouaient pour amuser"l élargir leur répertoire de farces grossières et d'imitations:

\

Ce sont des sauteurs (000) dompteurs et des montreurs (000) des danseurs et des mimes o.ophysiciens 0.0 escamoteurs o •• passeurs de muscade 000 charlatans 000

prestidigitateurs o •• enchanteurs '00 nécro-manciens 0.0 thériaqueurs .00 avaleurs de

feu ' 0 ' [qui] batellent [et] ont à leur

répertoire des 'sons' d'amour et de printemps, des chansons de geste, des romans, des fa-bliaux, des lais bretons. 2

Ils prolifèrent au point qu'un certain Guiraut Riquier, en 1272, exprimera en vers au roi Alphonse de Castille "son chagrin de partager avec une foule indigne le nom de )on-gleur [et suppliera] qu'on distingue par des titres convena-bles les hommes de talents différents. ,,3

Bienveillant protecteur des arts, le roi--à qui, nous dit Faral, Riquier prête sa réponse--proposera d'instituer trois classes ainsi hiérarchisées: celle des bufos qui'i selon la coutume de Lombardie, regroupe les montreurs, imi-tateurs, saltimbanques et autres amuseurs de populace, celle

IFaral, Les Jongleurs du Moyen Age,

p.

l~.

2 I bid. , p •

64.

1

3Ibid. , p. 71.

(21)

14

des jongleurs qui "savent plaire aux grands .•• jouent des instruments, récitent des nouvelles, chantent les vers et les cansons des poètes ( ••. ), et enfin les troubadours "qui

possèdent le don [supérieur] de trouver, de composer des vers et des mélodies, d'écrire des chansons de danse, des strophes, des ballades, des aubades, des sirventes (

...

)

.

1

Ceci se passait, avons-nous dit, en 1272, or nous verrons qu'un siècle plus tôt, Chrétien de Troyes dans les vers 19 à 22 d'Erec et Enide revendiquait cette même distinc-tion, ce qui fait dire à Gustave Cohen:

Voilà le coup droit porté à ces humbles confrères vagabonds et chantants, qui

1

vivent de leurs chants et avec lesquels Chrétien entend n'être pas confondu ••. 2

Comment cette hiérarchisation des jongleurs s'est-elle opérée? Faral suggère cette explication: les jongleurs qui vont partout ont distrait du service de Dieu certains moine~

qui prenant la route à leur suite et devenus "vagants" ont

\

alors enrichi le spectacle de leur culture; d'autres jongleurs,

lFaral, Les Jongleurs du Moyen Age, p. 72. 2Gustave Cohen, Un grand romancier d'amour et d'aventure au

XIIe

si~cle, Paris, Rodstein, 1948, p. 116.

(22)

-•

15

séduits par le luxe et la renommée, se sont attachés au service d'une cour seigneuriale où leur titre de ménestrel les ayant libérés des soucis matériels, ils ont eu loisir de raffiner leurs manières et de cultiver les lettres.

Mais si l'érudition, ainsi expliquée, finit par valoir au jongleur un statut social privilégié, il reste, ajoute Faral:

[qu'] on les recherchait pour le plaisir qu'ils donnaient, on les récompensait parce qu'il était de mode d'être libéral:

mais s'ils étaie~t honorés, c'~tait de la

considération qu'on a pour les bons

domes-tiques. 1 "\. ..

Ainsi, en dépit de leur prestige et d'une relative

sécurité, les jongleurs "arrivésÎ

' sont-ils voués au sort

commun de tous les artistes protégés: ils restent tiraillés

entre leur naturel besoin de liberté et la vitale nécessité de plaire.

On peut dès lors aisément se représenter Chrétien de

Troyes, passant d'un protecteur à l'autre, perpétuellement

partagé entre le souci d'indépendance et l'esprit de courti-sanerie •

IFaral, Les Jongleurs 4u Moyen Age, p. 158.

(23)

~--~---

... .

16

Ses manifestations dl indépendance 11 ayant privé d'un précieux parrainage en cour d'Aquitaine où lion se défie peut-être aussi de 11 homme du nord, Chrétien obtient la

faveur de la cour rivale d'Henri 1er, Comte de Champagne, et ample compensation lorsque celui-ci épouse, deux ans plus tard, la fille d'Aliénor, Marie, également p~sionnée de lettres. Lorsqu'il perdra la faveur de Marie gagnée par la dévotion, clest vers IIl a cour la plus opulente et la plus insigne par ses traditions de protectrice des arts" 1 la cour de Flandres où règne le Comte Philippe d'Alsace qu'il se dirige. Mais il a dès longtemps manifesté son humeur à

Marie: Contraint de se déJuger, après Erec et Enide, où

li aventure triomphait de l'amour, pour se faire avec Lancelot li apologue d'un humiliant service courtois, i l déclarè agres-sivement IIPuisque ma Dame de Champagne veut que j ~ entreprenne un roman ..• 11

aux premiers mots du conte et refuse de terminer

,

celui-ci que Geoffroy de Lagny achèvera pour lui.

Ce double trait de la personnalité de Chrétien ne caractérise pas exclusivement les auteurs du Moyen Age. Bien

lChrétien de Troyes, Romans de la Table rond!, Le

livre de poche Gallimard. p. 18.

.

.

(24)

-

.,

17

des Diderot, Rousseau ou Voltaire, après lui, parcourront le monde à la recherche de protecteurs, manifestant aussi plus d'attachement aux libéralités qu'aux avis. L'exemple le plus

..

convaincant d'indépendance à l'égard du pouvoir politique

demeure toujours celui de Hugo qui, bravant Napoléon III du rocher de Jersey, ne revint jamais sur la condamnation des Châtiments.

Chrétien de Troyes aura connu les ef~ets de la deuxième croisade qui lancée en 1147 à l'appey'~d Saint

,...

Bernard conduisit Louis VII aux piteux échecs de Damas et d'Ascalon. Les conséquences ne sont pas indifférentes au poète en quête d'un public. Ce seront, avec l'essor économi-que, l'émergence d'une bourgeoisie opulente, l'élévation du niveau culturel au contact des mondes byzantins et musulmans plus évolués et enfin la perte de prestige della Chrétienté qui, A la suite de 1'1 échec de la Croisade verra l' anticléri-calisme n~sant se dresser contre le Saint-Siège et attaquer

)

..

Saint Bernard, dénoncé comme faux prophète •

..

Il a pu s'interroger sur le sens de 9rands événements

••

'~'I' contradictoires dont la Cour répercutait les échos. La France

l

Sena, à Chartres, au Mans,

A

Senlis, à paris, à Arles

ouvrait pieusement de. chantiers de cath4drales. Les Croisés

-

,.,..,

1,

J

,

) \ , \ 1

(25)

-4t

18

",

1 f i '

...

s'emparaient du caire. Mais la sévère secte des ascètes

cathares tenait assises à Caraman. Mais le chancelier Thomas Beckett, farouche défenseur de l'Eglise d'Anglete&re, contre Henri d'AnJou Plantagenet, devenu roi, était assassiné! Mais pierre Valdo--un comm~rçant!--de Lyon lance le mouvement

Vaudois dont l'idéal de perfection évangélique est la pauvreté que prônent depuis longtemps les Ordres mendiants de l'Ortho-doxie! Où va et que vaut "la religion officielle?

C'est là. sans doute, la question qui devait hanter Chrétien parvenu au faîte de sa maturité

lans "la roture mais protégé de l'absolue

,~

intellectuelle. Né

,pt&

méd~ocrité

par une

,

providentielle formation de clerc, i l s'est frayé une route au soleil entre les deux instituti0ns traditionnèlles qui

tenaient le pouvoir: l'Eglise et la Chevalerie. Il est devenu l'égal des grands en les côtoyant à la cour, puis en les ani-mant et en les recréant dans ses contes. Or la "haute

cheva-lerie" que symbolise depuis cent ans la chanson de geste, entrait alors en décadence avec la courtoisie. Ne pouvant survivre à Lancelot, elle devait chèrcher son salut dans la "Quête du Graal". C'était la solution naturelle à l'époque bù tdut commençait et finissait en bieu .

.

...

(26)

...

--~----~---~---~

19

l,

~ci encore, l'~lan mystique de Chr~tien de Troyes

trouve sa résonance dans l'Antiquit~·où les d~sordres qui

règnent chez les humains incitent Homère puis Hésiode à

ré-aménager le~ théqgonies.

Chateaubriand en donne un écho plus proche, lorsque, s'efforçant d'expliquer le Génie du Christianisme, il avance que les oeuvres classiques de l'Antiquité sont chrétiennes

dans l'âme. Il n' y a là rien que de trè's humain, constant et

univèrsel dans ces démarches de poètes qui se rejoignent à

<l

trente siècles de distance pour transcender l'homm~ dans sa

religion.

Mais surtout, si l'on cherche à cerner la personnalité de l'auteur par ce que nous savons de son temps, nous y voyons

avec Gustave Cohen Un srand romancier d'amour et d'aventure

..

au XIIe siècle.

\

Or ce titre-portrait est lourd de sens, et à deux

,

titres bien distincts si nous explicitons le sens du mot "roman", comme nous y invite le mot "romancier".

,

D'abord, si nous rèmontons avec Mario Roques, dans sa

prêface à

la

traduction de Lucien Poulet,1 à l'origine du mot

"

...

' ,

1perceval le Galloie, mis en français moderne par

Lucien Fou,let, Paria, A.G. Nizet, 1970, priface, p. viii,.

~

(27)

()

20 ..,(--..

et de la littérature qu'il représente, nous apprenons qu'il

1

dérive de "Romanus·" ou citoyen romain, nom dont les "provin-ciaux se parèrent ( ..• ) pour se distinguer des barbares étrangers, (_ .• ) ils adoptèrent la langue [romaine] en la modifiant, à l'usage, dans leurs pensées et sur leurs lèvres,

jusqu'à la transformer en ces diverses langues vulgaires,

ancêtres des langües néolatines d'aujourd'hui (français, espa-gnol italien,

et~.)

.•• [MJls si] les lettrés continuèrent d'écrire et [parfois] de parler 'à la latine', ( ..• ), tout le monde parla à la manière des Romani, ce qui s'exprime par "

[l' ] adverbe 'romanz'. ( .•. ) Les écrits latins devenus

inac-cessibles ( ••. ) on les tourna en romanz [qui finit par désigner \ l'adaptation sinon la traduction.}"l

Or Chrétien de Troyes est bien ce clerc qui nous déclare l'enthousiaste [Huon de

M~ri) dané son Tourrtoiemerit Antécrist

( ••. ) prenait

Le bel françois tres tout à plain [si bien] qu'après lui i l ne restait plus qu'à

glaner,~

lFoulet, ~erceval

le

galloi.,

p.

viii.

-2MyrrhA Borodine,

La Femme

et l,'amour ay XIIe

.i~c1e,

Genlve, S1atkine Reprint" 1967, p. 16.

,

,

"

l'

..

1

(28)

,

••

21

.

et ,comme tel, i l s' inscrit dans la longue lignée~des

écrivains-relais qui refusèrent le latin des philosophes, des savants, des religieux et de l'administration du siècle pour

<

acheminer la langue vulgaire jusqu'à l'impulsion décisive donnée à mi-parcours au l6e siècle par les Du Bellay, Ronsard

e~

la Pl\iade, à qui le 20e siècle doit pour beaucoup le fran-çais devenu sie~. Mais Chrétien de Troyes, nous dit ensuite

,

Gustave Cohen, écrivait--au sens moderne--des romans d'amour. La cause est entendue!

Quelle que soit la conception ou la définition retenue: attrait de la bea?té, élevée par la tranquille assurance de

socrate~du

corps à

l'~e,

aux grandes oeuvres, aux sciences et Jusqu'au T~ut parfait comme éternel~ passion disciplinée p\r la raison en sentiment, selon Descartes oc Spinoza; piège Nietzchéen tendu par le génie de l'Espèce afin d'obliger

l'homme à se perpétuer; amour-provocation visant à satisfaire un banal amour propre ou l'intellectualisation d'un irrépres-sible désir charnel, l'amour, et Chrétien qui l'a chanté, sont de tous les temps et de toutes les civilisations •

(29)

...

!eWewm ,

22

Chrétien de Troyes, dit enfin Gustave Cohen, est éga-lement romancier d'aventure. __ La cause est donc jugéel Ulysse par le talent d'Homère est en effet éternellement présent au Panthéon de l'aventure où le rejoignent apr~s Roland, poussé par Turoldus, Erec, Lancelot, Clig~s et

Perceval, entraînés par ~hrétien, D'Artagnan, James Bond et les générations touJours plus denses de héros naivement sur-humains que l'homme s'invente pour étancher son inextinguible soif d'émerveillement et d'évasion. Ainsi Gustave Cohen, en nous invitant à conserver au mot "roman" son sens linguistique le plus ancien--"écrit en langue vulgaire"--mais en le char-geant lui-même de sa signification moderne--"genre littéraire" --nous permet-il de nous représenter avec force Chrétien de Troyes sous son double jour de novateur et de continuateur: de tronc qu'il était, en France, avant Chrétien, le latin entraîné par le poids des oeuvres, se fait racine après lui: mais l'arbre est toujours là, bien reconnaissable, sinon à

ses fruits du moins à l'éternelle s~ve qui le nourrit, les th~mes littéraires universels et constants que sont l'amour et l'aventure.

"

Pourtant, lorsque médiévistes, archivistes, biographes, historiens, critiques ont parlé, le vrai visage de Chrétien de

~,

(30)

Mt· h

23

Troyes toujours présent, mieux éclairé, mais caché dans son oeuvre, continue de narguer notre curiosité. "

Signant ses écrits en se citant dans le texte, sui-vant la tentation de l'époque, i l nous livre quelques rares indications dont les experts s'efforcent de tirer des conclu-sions. Celles-ci peuvent être indiscutables. Ainsi en est-il

#

des sept premiers vers de Cliges ou la Fausse Morte qui, constituant une méticuleuse chronologie, révèlent un souci

d;~chapper à l'oubli.

D'autres indices sont d'une interprétation moins évidente. On a en particulier noté la complaisance, la vanité dont semblent témoigner les vers 13 à 18 d'Erec et Enide:

( ..• ) Crest1ens de Troies

( ... ) tret d'un conte d'avanture une molt bele conjointure

par qu'an puet prover et savoir que cil ne fet mie savoir

qui s'escience n'abandone

tant con Dex la grasce l'an done.

\

Puis le m~pris des jongleurs aux vers 20 à 22: ( ••• ) l i contes

que devant rois et devant contes, depecier et corronpre sue lent cil qui de conter vivre vuelent.

Et ce retour à la charge qui fait la mesure comble ,ux vers 23 ~ 27 du prologue:

(31)

24

Des or comancerai l'estoire

qui toz jorz mes iert an mimoire tant con durra crestiantez:

de ce s'est Crestiens vantez.

Jean-Pierre Foucher,l avec quelque vraisemblance remet les choses au point:

1

[C~rétien de Troyes) tient à se définir comme un écrivain savant en son art et n'ayant rien de commun avec les jongleurs qui font pénible métier, de conter des histoires. La vanité que trahissent ces propos pourrait donner de Chrétien une

image peu sympathique. Il est bon de savoir que, se vantant ainsi, l'auteur ne

faisa~t que sacrifier à un usage hérité de l'Antiquiûé. Il rendait la pareille aux Jongleurs et autres rhapsodes qui ne man-quaient jamais de railler les 'écrivains' incapables de séduire oralement un audi-toire.

Orgueil justifié, allié à la connaissance--arnusée mais de bonne guerre en la circonstance--de l'esprit de l'Antiquité, font, ici encore, de Chrétien le continuateur des Anciens.

La littérature classique et moderne abonde également en

déclarations plus ·ou moins voilées d'auteurs qui s'ils sacri-fient volontiers à la pratique déontologique ,de se "renvoyer , l'échelle" n'hésitent pas plus à régler leurs comptes en toute

,

lChr6tien de Troyes, Romans de la table ronde, ,Gallimard, 1970, Introduction l Erec et Bnide, p. 29.

(32)

-- - - -- -

-25

confraternité. Citons uniquement cet aphorisme percutant de Jean Rostand:l "X trouve ma philosophie un peu courte. Moi, je trouve la sienne un peu longue."

On pourrait multiplier les parallèles entre les traits de caractère tirés de l'oeuvre de Chrétien et de celles de ses devanciers et successeurs. La "matière"

my-thologique dans l'Antiquité, épique au Ile siècle. bretonne sous Louis VII, classique sous le roi soleil, philosophique sous Louis XV, romantique sous l'Empire, surréaliste, exis-tentialiste, de nos jours, est de pure circonstance et liée à la résonance éminemment favorable qu'elle rencontre dans

1 une époque particulière.

L'homme en est nécessairement le commun dénominateur. Le Moyen Age, moins qu'une époque arbitrairement délimitée entre des paliers de connaissance représente un trait

d'union de l'homme à l'homme que nulle mutation d'ordre

bio-4t

logique ou spirituel d'importance ne semble différencier sur 30 ou 40 si~cles d'histoire dont on dispose.

1Jean Rostand, InQMi6tudes

d'un

bioloqi8~e,

Stock,

1967.

(33)

~.

/

26

L'important semble non seulement de retrouver, avec

toute la

pr~cis~on

souhaitable, la source d'une riviàre,

mais encore de constater que la riviàre coule en tel endroit

de son parcours.

,

,

"

(34)

..

,

\

Chapitre II

••

L'HO~

DANS SON SIECLE

Mais avant

~

tenter de

d~gager

parmi les indices que

r~c~le

l'oeuvre de Chrétien de Troyes, ceux qui font de cet

homme de tous les temps celui du XIIe

si~cle,

nous nous

per-mettrons une incursion dans ce siècle afin de nous représenter

le cadre historique, social et intellectuel dans lequel le

génie humain siest trouvé cristallisé en la personne de

Chrétien.

Cette exploration bien qui incertaine par les

conclu-sions qulon en peut tirer nlest pas illusoire.

Si Chrêtien

est d'jà un peu de notre temps, nous sommes encore un peu du

sien.

Victor Hugo nia pas hésit'

l

"penser" l'esprit de ses

héros de Notre-Q!m! de Paris.

Auteur

modern~

de fictions

27

~~

1",_,

(35)

..

---~-~~ -

~---•

28

moyen~geuses et pénétrante observatrice de l'époque, Zoé Oldenbourg nous assure d'ailleurs que

the information we have shows that Western man in the eleventh and twelveth centuries possessed an intelligence and sensibility very similar to our own. l

Donc, le poète vit à Troyes, centre intellectuel et commercial important, entre Flandres et Provence, c'est-à-dire au confluent de maints courants de pensées et d'annonces d'événements propres à nourrir sa verve littéraire.

Chrétien s'est-il sérieusement préoccupé des grands événements qui agitèrent le monde à son époque?

Les nouvelles étaient alors colportées de bouche à oreille par les soldats des Croisades, les commerçants et les histrions. Si l'on en juge par la déformation que subit

encore de nos jours l'actualité triturée par les différents intermédiaires de l'information, on peut imaginer la foi

qu'un Chrétien--qui dit artiste dit ~ritique--pouvait accorder

à cette 'manière de Il téléphone arabe" de son temps. Néanmoins,

lzoê Oldenbourg, The Crusades, trad. Anne carter,

(36)

29

connus dans leur exactitude ou déformés les grands événements parvinrent à son oreille.

Passées les frayeurs superstitieuses de l'an 1000, Chrétien de Troyes voit donc l'humanité en sursis s'engager

à corps perdu dans les décevantes Croisades.

Est-il tenté de céder au courant? Il le pourrait certes, car il sait tout de la Chevalerie. Il en sait tant que Gaston Paris, dans une hypothèse réfutée par Jean

. 1

Frapp1er, peut être tenté de voir en lui un héraut d'armes. Mais peu lui chaut de se croiser ou même de briller dans les

tournois. L'esprit lui vaut à bon compte l'amour qui pour le chevalier est la récompense de la prouesse.

Il apprend sans doute qu'un infidèle du nom de

Saladin conquiert successivement Damas, Alep, puis Jérusalem avant de s'établir en maître dans les Etats chrétiens. Mais i l n'en souffle mot.

Sur le plan culturel, dans un lointain passé, la

1

gra,de affaire avait été la Chanson de Rbland, puis la vie ,

1

J

(37)

30

scandaleuse et la mort d'Abélard, inventeur d'une forme inédite de contestation: la foi mise en question par la rai-son. Très près de lui, mais en terre germanique, naissaient les Niebelungen dont il n'eut pas désavoué la source mythique et l'élan chevaleresque. Mais voici qu'apparaît Le Roman de Brut, traduction par Wace, qui

Princesse Aliénor d'Aquitaine, rie"l imaginée par Geoffroy de

l' a dédiée sernble-t- il à la ..

d'une

mon~le

"superche-Monmouth et parue en 1136 sous le titre latin de Historia regurn Britanniae. Cette fois, enfin, Chrétien réagit. Repu de mythologie antique il se

jette avec délice dans la mythologie bretonne.

r

Chrétien de Troyes a-t-il été sensible au mouvement social de son temps? Qui ne l'est?

On peut définir le~ouvement social comme un élan naturel ou "vital" au sens bergsonien ou marxiste du terme, ,peu importe, ~i pousse l'individu ou le groupe à revendiquer

un rang sans cesse plus élevé dans la hiérarchie plus ou moins fermée des classes. Chrétien a le choix dans une gamme Iarge-ment déployée

qui

va du serf, crotté de glèbe, au prince

IV . oJ.r p. 46.

(38)

a

31

chamarré d'or qui gouverne. Aussi n'hésite-t-il pas long-temps, comme le Julien Sorel de Stendhal, entre le "Rouge" et le "Noir". Il préfère sans conteste la "vie de château" à toute autre, fut-ce l'univers des besogne~x de la clergie.

Mais la hiérarchie sociale n'est pas uniquement constituée d'humains asexués où l'homme est censé représen-ter la femme en toutes circonstances. Il existe de fait, sinon de droit, une classe femme. Or ce qui la distingue, au Moyen Age, c'est surtout le mépris et au mieux l'indifférence.

C'est entendu, "les pères de l'Eglise ( ... ) [au]

fameux concile de Mâcon ( ... ), à une très faible majorité de voix [auraient] enfin décidé que la femme avait une âme à

l'égal de l'homme."l Mais la naissance d'une fille est sou-vent accueillie comme une malédiction dont l'unique intérêt, par voie de compensation, sera de contribuer à augmenter le

cheptel humain. On élève donc l'infortunée parmi les garçons 1

auxquels elle s'efforce de ressembler autant que le luioper-met sa force physique, d'abord dans les jeux, puis dans la vie courante •

IJ.

Lafitte-Hou.Bat, TroubadQu;. et Cours d'Amour,

Que sais-je, Paris, P.U.F., 1966, p. 6. t

(39)

32

Ce système peut produ~ des Jeanne d'Arc et autreB

r

-maltress~s

femmes, capables de remplacer au pied

lev~

le

o

maltre en guerre, mal en point ou défunt, dans l'9dministra-tion du domaine. Il produit également des jeunes filles qui

r

peuvent se mêler sans complexes aux étrangers en visite, telle Enide, conduisant Erec par la main dans la maison, telle Yseut assistant Tristan à son bain •

\ Néanmoins, la sujétion de la femme reste entière. Le noble exerce théoriquement le "droit du seigneur" parmi ses paysannes. Le mariage est une simple affaire d'intérêts où

toutes les obligations incombent à l'épouse, laquelle est

,

t également passible de correction' physique si l'on se fie à

cette savoureuse jurisprudence:

Tout mari peut battre sa femme quand elle ne veut pas obéir à son commandement, ou quand elle ~e mauëit, ou quand elle le

dément, pourvu que ce soit modérément [sans doute- afin qu'il ne se blesse pasl] et sans que mort s'ensuive. l

,

ot-f

·t

c.s.

Lewis, dans son ouvrage intitulé The Allegory

of

Love, a study in,medieval tfadition, peut ainsi juger

1 ':

(40)

exagérée, pour l'époque, la place pou~tant'minime que

l'au-"

teur de la Ch#nson de Roland consent à Alde dans son oeuvre: We are mistaken if we think that the poet

in the song of Roland shows restraint in disposing 80 briefly of Alde, Roland's betrQthed. Rather by bring~g her in at

aIl, he i8 doing the opposite, he is expatiating, filling up chinks, dragging in for our delectptio~ the most marginal interest after those "of primary ~portance have had their due. Roland does no-è\think about Alde on the battle field: he thJnks of his praise in pleasant France. The

figure of the betrothed is shadowy compared with that of the friend, Olivier. The

deepest of wordly emotions in this period is the love of man for man, the mutual love of warriors~ho die together fighting

against odds, and the affection between vassal and lord. l

Qu'on en juge:

La Chanson de Roland2 compte 4002 vers. Alde y apparalt au vers 3708:

As l i venue Alde, une bele dam[e],

"'

demande Roland

à·~tharlemagne

aux deux vers sui vants

~

~

-lC.S. Lewis, The Alle9Çry of Love, New-York, Oxford University Press, 1958, p. 9 •

2 La Chan.od de Roland. Edizione critica a cura di C •• ifr Seqre, Milano,. Riccardo Ricciardi, 1971 .

" ,

l' ' .

, \,

...

(41)

\

34

( ••. ) 0 est Rollant la catanie,

Ki me jurat cume sa per a prendre?

apprend sa mort au vers

3~~:

Soer, cher' amie, de hume mort me demandes.

reçoit l'offre compensatoire

d~

Louis fils du roi,

~

vers

_~ 1

371~,

refuse, défaille et.meurt en prononçant aux deux vers

3718

et

3719:

Ne place Deu ne ses seinz ae ses angles

Après Rollant que jo vive remaignel

Turoldus, avant de consacrer au procès de Ganelon les

quelques

280

vers qui terminent la geste, enterre la belle Aude

en Il vers dont le dernier

(3734)

constate:

Multe grant honur i 'ad'li reis dunee.

Aoi.

Vingt-six vers pour expédier l'amour juré, c'est eh effet bien

grand honneur en ce temps.

.

La remarque de C S. Lewis paraît

{ > •

fort pertinente puisque la copie d'Oxford, retrouvée au 1ge

siècle, écrite en anglo-normand, daterait du "deuxième ,quart

.

'

du XIIe siècle."l

On conçoit que la société de cette époque ait foisonné

de "mal mariées", capables d'acquérir une conscience

~e

classe,

-IL.

Chanson de Roland, trad. Andr'e Lh'ri tier, Paris,

Union G6n6rale d'Editions. 1968, p. 23 •

..

(42)

&

35

qu'une forme militante de féminisme--déjà le "Women's

lib"--ait pu se développer et donner naissance, avec l'indis-pensable concours de l'Eglise, à ce que Marc Bloch dénomme "le s~cond âge féodal", c'est-à-dire la chevalerie de guerre du "premier âge", augmentée de la feIm\e et de l'amour,

c'est-à-dire de l'amour courtois dont Edmond Faral nous ex-plique ainsi la génèse:

la prospérité matérielle, accompagnée d'une culture nouvelle, avait développé dans les cours, dès la fin du XIe siècl~, une forme de vie sociale où le luxe, où les fêtes, où les jeux de l'esprit appelaient naturelle-ment la participation des femmes. L'exemple

vint, semble-t-il du Midi: il se propagea dans le Nord à la faveur d'expéditions militaires entreprises en commun et à la

faveur d'alliances matrimoniales. La femme prit alors dans la société une place de plus en plus relevée et de mieux en mieux défen-due. L'homme s'avisa, d'instinct, que la femme ne pouvait plus se conquérir seulement par le droit de la force~ qu'il l'obtiendrait souvent par son mérite, en se faisant valoir~ qu'il devrait plaire: qu'il devrait professer un respect qui ouvrît les voies du coeur.. Par une.· fiction qui allait devenir de mode pendant plus d'un siècle, i l représenta la dame de son choix comme une su~eraine f~odale, dont i l

prétendait gagner les faveurs par sa soumission, par la fidélité et la ferveur de son service d'homme-lige. Voilà née la notion, vo~là né le sentiment ,~e ce qu'on appellera l'amour courtois: une mystique nouvelle, une exal-tation de l'lme qui, pour l'amour de la dame, ne rave que d'atteindre aux perfections de la vertu chevaleresque et de la puret' du coeur,

(43)

36

par lesquels l'amant méritera sa récompense. Et voilà du même coup la femme passée au rang de Juge. · l

Chré tien qui pour lui même cède à l'appel de la "pro-motion sociale" a consenti à se faire l'instrument de la

réhabilitation sociale de la femme.

Générosité? Peut-être. Opportunisme? Assez vrai-semblable!

Chrétien, s ' i l accepte avec son ~emps. la notion

d'amour-récompense, est aussi le témoin objectif de la cheva-lerie. Or i l a constaté que le chevalier, lorsqu'il n'est pas absent n'est que plaies et bosses ramassées à la guerre ou au tournoi. Dédier ses mutilations, gangrènes et autres laideurs à la dame est fort délicat. Encore faut-il beaucoup d'amour et d'abnégation à celle-ci pour le soigner.

De plus, pour viril, courageux, relativement indemne·

Il

et sincère qu'il soit, le chevalier est souvent fruste et incapable de mettre 'légamment sa'prouesse en valeur. C'est le gracieux poète de cour qui chante sa louange et lui tient

IBdmond Fara1, La Vie i90tidienne au temps de Saint Louis, Paris, Hachette, 1938, p. 131.

(44)

---...

---..

37

lieu de presse moderne. N'est-il pas tentant pour le jongleur-interprète ou pour le troubadour-auteur de magnifier l'exploit du chevalier et de s'en approprier, le cas échéant, la récom-pense par procuration?

~

Il est donc légitime de supposer que Chrétien, s. faisant le chantre admiré de l'amour courtois cédait à un opportunisme qui n'est pas de toute évidence la marque exclu-sive de son t~mps. Mais sa fie~té et son honnêteté d'homme et d'artiste ne s" en sont pas accommodées. On peut voir dans le

'.

choix original et strictement personnel d'une fictive inspira-tion celtique son inteninspira-tion subtilement voilée de dénoncer l'artificialité de l'amour dit courtois.

Cette distance que prend Chrétien de Troyes, en parti-cipant à sa manière très personnelle au débat sur la condition sociale de la femme, montre qu'il n'a peut-être pas le senti-ment ?'appartenir en propre à son époque. Bernard de Chartres

avait, du reste. donné le ton en déclarant:

Nous sommes des nains juchés sur des épaules de g6ants. Nous voyons ainsi davantage et plus loin qu'eux, non parce que notre vue est plus aigu~ ou notre taille plus haute, mais parce qui ils nous portent en l'air et

(45)

--

---•

38

nous élèvent de toute leur taille gigan-tesque .1

C'était régler avant la lettre la fameuse Querelle des Anciens et des Modernes et avaliser la transition des mythologies réalisée par Chrétien.

Pierre Abélard, contestataire de choc lui avait, pour sa part, légué, outre le souvenir d'une idylle hors série, le Sic et non où l'on a pu voir2 un premier Discours de la méthode en même temps que l'apologie d'une dialectique sen-sée. A cet égard, la progression systématiquement ordonnée des romans de Chrétien n'est pas qu'une simple coincidence. N'est-il pas frappant d'y retrouver l'aventure opposée à

l'amour, d'abord simple et charnel d'Enide, ensuite pur et passionné de Fénice, puis intellectuel et dominateur avec la reine Guenièvre, puis maître de punir comme de pardonner chez Laudine, enfin mystique dans la transfiguration du Graal?

Une autre influence qu'a pu subir Chrétien de Troyes neus est signalée par Adélard de Bath lequel, traduisant des

'"

. 1

IJacques Le Goff, L~ Intellectuels au

MPXen

Age, Paris, Seuil, 1969, p. 16 .

(46)

39

auteurs grecs et arabes justement honorés pour leur science. n'hésitait pas à les exploiter autant qu'il les servait. Témoin cet aveu:

Notre génération a ce défaut ancré qu'elle refuse d'admettre tout ce qui semble venir des modernes. Aussi quand je trouve une idée personnelle, si je veux la publier, je l'attribue à quelqu'un d'autre et je déclare: 'C'est un tel qui l'a dit, ce n'est pas moi.' ( ••. ) Pour éviter l'inconvénient qu'on pense que j'ai, moi, ignorant, tiré de mon propre

fond mes idées. je fais en sorte qu'on les croie tirées de mes études arabes. ~ .. ) Aussi ce n'est pas mon rrocès que je plaide, mais celui des Arabes.

Voici qui justifie d'emblée l'option soudaine de Chrétien pour la mythologie celtique qui, peu connue, sinon par le Roman de Brut de Wace. offre. contrairement à la mytho-logie grecque rebattue, un champ illimité à l'imagination de l'artiste.

Ainsi l'influence des événements politiques, sociaux. philosophiques et littéraires a pu s'exercer sur le poète éminemment prédisposé à la recevoir par sa grande culture et sa curiosité. Mais il apparaît que ces multiples

Bollicita-;~

tions n'ont pas exclusivement déterminé l:'thonune que nous

a

«

ILe Goff, Les Intellectuel. au Moyen Ale, p. 60 •

..

..

(47)

~l' ..

40

o

livrê l'oeuvre.

Il semblerait plutÔt qu'ell,es l'aient

\

affiné--par le dêbat--et fortifié--par les conclusions--dans

le sens privilégié oü l'entralnait sa forte personnalité.

Il s'en explique au début d'Erec et Enide:

c'est

d'u~e

part

la volonté d'oeuvrer

par ce fet bien qui son estuide

atorne a bien quel que il l'ait

v. 4

et

d'a~tre

part le souci de communiquer élégamment son

sa-voir:

Por ce dist Crestlens de Troies

que reisons est que totevoies

doit chascuns panser et antandre

a bien dire et a bien aprandre:

v. 9

Cette double préoccupation signe encore l'artiste

de tous les

temps.

Voyons

à

présent Chrétien de Troyes, l'artiste dans

(48)

-

~--~---'~.

Chapitre III

L'ARTISTE DANS SON TEMPS

Ici encore, constatons que Chrétien de Troyes échappe

au cadre de son époque.

L'artiste est ce produit d'une civilisation,

à

qui sa

solitude, une donnée immédiate de la perception, confère le

sentiment d'être unique.

L'art n'est souvent que complaisance

à

l'égard de soi-même et sa justification morale ou sociale,

s'il importe vraiment d'en trouver une, est que l'artiste se

leurre:

il n'est pas unique

m~is

légion, dans son propre

,Ir

public où chaque applaudissement situe et salue la résonance.

Or,

au Moyen

Age,

autant que

de

nos jours, mais avec

beaucoup plus de

spontan'it6,

l'.-idé.,

c'est le

bien de

tous •

(49)

42

C'est la matière anonyme de la légende, de la chanson, du poème, du roman, comme la pierre est la matière de la maison, du château, de la cathédrale. A certaines exceptions près

l

que signale Curtius, on ne songe pas systématiquement à en revendiquer la paternité. On ne signe pas nécessairement son oeuvre, on ne l'achève pas obligatoirement. Née du patri-moine commun, elle y retourne spontanément. Ce sont les

temps modernes et la civilisation de plus en plus citadine des hommes qui ont engendré la U propriétisation" de l'idée puis

de l'oeuvre. Il ne s'agit d'ailleurs pas, notons-le à notre décharge, d' un banal ré flexe d'accaparement, mais d'un métho-dique souci de classification du patrimoine littéraire devenu. avec le temps, quelque peu foisonnant. Par un glissement insensible qu'on peut assimiler à la génèse des patronymes issus des noms de lieux, l'auteur s'est vu associer, pour des raisons de commodité, à sa production. Plus tard l'affirmation de la responsabilité, plus encore que la vanité conduisent

..

l'auteur à revendiquer cette association. De nos jours, elle est complète: c'est affaire de droit civil et de profit.

lErnst Robert CUrtius, European Literature and the Middle Ages, trad. Willard R. Trash, New-York, Bo1lingen Series

XXXVI,

Pantheon Books, 1953, pp. 515-518.

(50)

il

43

Mais dans le haut Moyen Age, le glissement ne s'était

pas encore opéré. Au temps de Chrétien, où le mercantilisme

n'était ni insistant ni particulièrement respecté, le "droit d'auteur" n'était encore que le droit d'expression.

Or Chrétien de Troyes signe déjà ses oeuvres et ne craint pas de les citer complaisamment, non parfois sans quelque "engin", c'est-à-dire un artifice, comme le pressent

· l

Jean Frappl.er. Ce sont les vers 734 de Philoména, avec

l'ltrange épithète, sur lequel nous reviendrons: ( •.• ) Crestiiens, li Gois ( •.• )

les vers 9 et 26 d'Erec et Enide

Por ce dist Crestlens de Troies

· ... .

de ce s'est Crest!ens vantez. le vers 7 puis 62 à 66 de perceval

1/1' Cres tiens semme et fait semence D'un romans que il encomence,

·

... .

Crestlens, qui entent et paine Par le comandement le conte A rimoier le meillor conte Que soit contez a cort roial: Ce est li CONTES DEL GRAAL,

mais surtout le début de Clig~s où Chrétien se fait

candide-~ent son propre agent littéraire:

.

,

/.

t

lFrappier,

Chrétien

de

Troyea,

p. 67.

(51)

-•

,

1

44

Cil qui fist d'Erec et d'Enide, Et les Comandemanz d'Ovide

Et l'Ars d'amors an romans mist, Et le Mors de l'espaule fist,

Del roi Marc et d'Ysalt la Blonde, Et de la hupe et de l'aronde

Et deI rossignol la Muance, Un novel conte rancomance,' D'un vaslet qui en Grece fu Del linage le roi Artu.

Mais si Chrétien de Troyes tient à signer ses oeuvres, i l est contraint par son temps à se distinguer des simples jon-gleurs. Certains auteurs ont en effet pris l'habitude de rendre hommage à leur interprète, le jongleur, à moins qu'il

'G

ne s'agisse de la simple précaution de l'identifier dans son rôle de simple messager. Citons ces vers d'une canso (chan-son) de Guilhem de Poitiers, duc d'Aquitaine et néanmoins

troubadour, sans doute le premier à être connu ~ ~éfaut d'~tre le plus ancien:

LayaI mieu amic Daurostre 1 Oic e man que chan e [no] brame

("Je mande à l'ami Daurostre

Ces vers à chanter, non crier. ")

et ceux-ci de Jaufre Rudel, prince de Blaye, mort pense-t-on

'"

lCité et traduit par René Nelli et René Lavaud. Les TroUbadours, II, Desclée de Brouwer, 1966, p. 34 •

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TABLE  DES  MÀTIERES
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