Caractéristiques communes, facteurs de risque et facteurs de protection chez les adolescents auteurs d’abus sexuels
Par Vanessa Sandra Demay
École de Criminologie Faculté des Arts et des Sciences
Rapport de stage présenté à la Faculté des Études Supérieures
En vue de l’obtention du grade de Maîtrise (M. Sc.) en criminologie, option intervention
Avril, 2016
Université de Montréal Faculté des études supérieures
Ce rapport de stage intitulé :
Caractéristiques communes, facteurs de risque et facteurs de protection chez les adolescents auteurs d’abus sexuels
Présenté par : Vanessa Sandra Demay
A été évalué par un jury composé des personnes suivantes :
Jean Proulx ……… Directeur de recherche Isabelle Daignault ……… Membre du jury Denis Lafortune ……… Membre du jury
RÉSUMÉ
Dans une optique de criminologie développementale, la présente recherche vise à examiner, par l’étude de cas de trois adolescents auteurs d’abus sexuels (AAAS) évalués au Centre de psychiatrie légale de Montréal (CPLM), les facteurs de risque et les facteurs de protection en lien avec l’activation de la délinquance des AAAS, et ce, afin de dresser un portrait global de la carrière criminelle chez les adolescents de notre étude ainsi que déterminer l’impact des facteurs de protection du DASH-13 sur le risque de récidive des AAAS et la contribution de ces facteurs sur le plan clinique.
Une méthodologie évaluative clinique approfondie de cas, inspirée de l’approche qualitative, a permis de recueillir les données sur les facteurs de risque et les facteurs de protection développementaux associés à l’activation de la délinquance sexuelle et de la délinquance globale chez les AAAS. De plus, les participants ont été évalué à l’aide des instruments d’évaluation ERASOR et DASH-13 lors d’entrevues semi-structurées afin de recueillir des données sur les facteurs de risque et de protection associés au risque de récidive sexuelle chez les AAAS.
Les résultats principaux ont démontré que les facteurs de protection peuvent atténuer l’influence négative des facteurs de risque sur le risque d’activation de délinquance si la force de protection est élevée. L’analyse des données de la présente étude a donné lieu à d’autres conclusions et à une discussion sur les implications cliniques de nos résultats.
Mots clés : adolescents, agression sexuelle, facteurs de risque, facteurs de protection, activation,
II
ABSTRACT
From a developmental criminology perspective, this research aims to examine, through the case study of three teenager sexual abusers, the risk and protective factors related to the onset of delinquency among young sex offenders, to obtain an overall picture of their criminal career and also determine the impact of the DASH-13’s protective factors on the risk of re-offense and the clinical contribution of these factors.
A thorough clinical assessment methodology of cases, inspired by the qualitative approach, has being used to collect data on risk and protective factors associated with the onset of sexual and overall delinquency among young sex offenders. In addition, participants were assessed using the ERASOR and the DASH-13 in semi-structured interviews to gather data on risk and protective factors associated with risk of sexual recidivism.
The main results showed that protective factors can attenuate the negative influence of risk factors on onset of delinquency if the protection force is high. Data analysis in this study led to other conclusions and to a discussion of the clinical implications of our findings.
Keywords: teenagers, sexual abuse, risk factors, protective factors, onset, risk of re-offending,
III
TABLE DES MATIÈRES
RÉSUMÉ ... I TABLE DES MATIÈRES ... III Liste des annexes ... VI Liste des sigles et des abréviations ...VIII Lexique... IX Remerciements ... X
INTRODUCTION ... 1
CHAPITRE 1 : CONTEXTE THÉORIQUE ... 5
1.1 Les caractéristiques des adolescents auteurs d’abus sexuels et les facteurs développementaux de la délinquance sexuelle juvénile ... 5
1.1.1 Les caractéristiques communes à la majorité des adolescents auteurs d’abus sexuels. .... 5
1.1.2 Les caractéristiques communes liées au développement de la délinquance sexuelle ... 18
2.1 Les facteurs de risque de récidive des AAAS et des agresseurs sexuels adultes ... 20
2.1.1 Introduction aux facteurs de risque ... 20
2.1.2 Les facteurs de risque de récidive sexuelle chez les agresseurs sexuels adultes... 22
2.1.3 Les facteurs de risque de récidive chez les AAAS ... 24
2.1.4 ERASOR : Instrument d’évaluation du risque de récidive sexuelle chez les AAAS ... 29
3.1 Les facteurs de protection des délinquants adultes, des adolescents et des AAAS ... 31
3.1.1 Introduction aux facteurs de protection ... 31
3.1.2 Les facteurs de protection contre la persistance de la délinquance des délinquants adultes 37 3.1.3 Les facteurs de protection contre le développement et contre la persistance de la délinquance à l’adolescence ... 41
3.1.4 Les facteurs de protection contre le développement de la délinquance sexuelle à l’adolescence ... 42
3.1.5 DASH-13- Instrument d’évaluation potentiel des facteurs de protection contre la persistance de la délinquance sexuelle des AAAS... 43
4.1 Problématique et buts de l’étude ... 46
4.1.1 Problématique ... 46
4.1.1 Buts de l’étude ... 47
CHAPITRE 2 : PRÉSENTATION DU MILIEU ET DES OBJECTIFS DE STAGE ... 49
2.1 Centre de Psychiatrie Légale de Montréal : présentation du milieu de stage ... 49
IV
2.1.2 Programme pour adolescents auteurs d’abus sexuels ... 50
2.2 Règles d’éthique, enjeux soulevés par le milieu et rôle du criminologue ... 53
2.2.1 Code de déontologie de l’IPPM et de l’Université de Montréal ... 53
2.2.2 Enjeux soulevés par le milieu de stage ... 53
2.2.3 Rôle du criminologue au CPLM ... 54
2.3 Superviseure du stage et directeur de maitrise ... 55
2.4 Objet du stage... 55
2.5 Définitions des objectifs cliniques ... 56
2.6 Définition des objectifs académiques ... 56
CHAPITRE 3 : MÉTHODOLOGIE ... 57
3.1 Approche évaluative clinique ... 57
3.2 Source des données et procédure ... 58
3.3 Thèmes et Instruments ... 59
3.3.1 Les facteurs de risque développementaux de la délinquance sexuelle et de la délinquance globale à l’adolescence ... 59
3.3.2 Les facteurs de protection développementaux contre la délinquance sexuelle à l’adolescence ... 59
3.3.3 Les facteurs de risque de récidive sexuelle et de récidive globale chez les AAAS ... 59
3.3.4 Les facteurs de protection potentiels contre la récidive sexuelle chez les AAAS ... 61
3.4 Échantillon ... 61
CHAPITRE 4 : PRÉSENTATION ET ANALYSE DES DONNÉES ... 63
4.1 Jeune M ... 63
4.1.1 Histoire de vie ... 63
4.1.2 Développement et problématique sexuels ... 65
4.1.3 Analyse des données ... 67
4.1.4 Synthèse ... 73
4.1.5 Objectifs de traitement ... 75
4.2 Jeune S ... 76
4.2.1 Histoire de vie ... 76
4.2.2 Développement et problématique sexuels ... 78
4.2.3 Analyse des données ... 80
4.2.4 Synthèse ... 86
V
4.3 Jeune G ... 88
4.3.1 Histoire de vie ... 88
4.3.2 Développement et problématique sexuels ... 91
4.3.3 Analyse des données ... 93
4.3.4 Synthèse ... 99
4.3.5 Objectifs de traitement ... 101
CHAPITRE 5 : INTERPRÉTATION DES RÉSULTATS ET CONCLUSION ... 102
5.1 Interprétation ... 102
5.1.1 Les facteurs de risque et de protection développementaux de la délinquance sexuelle et de la délinquance globale à l’adolescence ... 102
5.1.2 Les facteurs de risque de la persistance de la délinquance sexuelle et de la délinquance globale chez les adolescents auteurs d’abus sexuels ... 105
5.1.3 Les facteurs de protection contre la persistance de la délinquance sexuelle et de la délinquance globale chez les adolescents auteurs d’abus sexuels ... 107
5.2 Conclusion ... 109
5.2.1 Les liens entre les facteurs de risque et les facteurs de protection par rapport au risque de récidive des adolescents auteurs d’abus sexuels ... 109
5.2.2 Limites de la recherche ... 110
5.2.3 Retombées de la recherche... 112
5.2.4 Conclusion finale ... 116
LISTE DE RÉFÉRENCES ... 117
VI
Liste des annexes
ANNEXE A – SOMMAIRE DU CONTEXTE THÉORIQUE ... 127
Annexe A.1 : Les caractéristiques communes à la majorité des AAAS ... 127
A.1.1 : Les caractéristiques personnelles des AAAS ... 127
A.1.2 : Les caractéristiques familiales des AAAS ... 127
A.1.3 : Les caractéristiques psycho-sociales des AAAS ... 127
A.1.4 : Les caractéristiques liées à la sexualité des AAAS ... 127
Annexe A.2 : Les caractéristiques communes liées au développement de la délinquance sexuelle à l’adolescence ... 128
A.2.1 : Les facteurs liés au développement spécifique de la délinquance sexuelle à l’adolescence ... 128
A.2.2 : Les facteurs liés au développement de la délinquance sexuelle et de la délinquance globale à l’adolescence ... 128
Annexe A.3 : Les facteurs de risque de récidive chez les AAAS ... 129
A.3.1 : Les facteurs de risque liés à la persistance et à l’aggravation de la délinquance globale chez les AAAS ... 129
A.3.2 : Les facteurs de risque liés à la persistance de la délinquance sexuelle et violente chez les AAAS 129 A.3.3 : Les facteurs de risque liés spécifiquement à la persistance de la délinquance sexuelle chez les AAAS ... 129
A.3.4 : Les facteurs de risque non liés à la récidive sexuelle chez les AAAS ... 130
A.3.5 : Les facteurs de risque liés à la récidive sexuelle chez les AAAS selon l’outil ERASOR 130 Annexe A.4 : Les facteurs de protection des délinquants adultes, des adolescents et des AAAS ... 131
A.4.1 : Les facteurs de protection contre la persistance de la délinquance des délinquants adultes 131 A.4.2 : Les facteurs de protection contre le développement et contre la persistance de la délinquance à l’adolescence ... 131
A.4.3 : Les facteurs de protection contre le développement de la délinquance sexuelle à l’adolescence ... 131
A.4.4 : Les facteurs de protection contre la persistance de la délinquance sexuelle des AAAS selon l’outil DASH-13 ... 132
ANNEXE B - PRÉSENTATION DU MILIEU ET DES OBJECTIFS DE STAGE ... 133
Annexe B.1 : Contrat pédagogique entre l’étudiant et son superviseur pour le stage de maîtrise - Intervention en criminologie ... 133
VII
ANNEXE C – MÉTHODOLOGIE : THÈMES ET OUTILS ... 135
Annexe C.1 : Les facteurs de risque développementaux de la délinquance sexuelle et de la délinquance globale à l’adolescence ... 135
C.1.1 : Les facteurs de risque développementaux spécifique à la délinquance sexuelle ... 135
C.1.2 : Les facteurs de risque développementaux de la délinquance sexuelle et de la délinquance globale 135 Annexe C.2 : Les facteurs de protection développementaux contre la délinquance sexuelle à l’adolescence ... 136
Annexe C.3 : Les facteurs de risque de récidive sexuelle et de récidive globale chez les AAAS ... 136
C.3.1 : Outil ERASOR - Les facteurs de risque de récidive sexuelle des AAAS ... 136
C.3.2 : Les facteurs de risque de récidive sexuelle spécifique des AAAS ... 137
C.3.3 : Les facteurs de risque de récidive globale des AAAS ... 137
Annexe C.4 : Outil DASH-13 - Les facteurs de protection contre la récidive sexuelle chez les AAAS 137 ANNEXE D – SOMMAIRE DE L’ANALYSE DES RÉSULTATS ... 138
Annexe D.1 : Sommaire des résultats de M ... 138
Annexe D.2 : Sommaire des résultats de S ... 141
Annexe D.3 : Sommaire des résultats de G... 144
VIII
Liste des sigles et des abréviations
AAAS : Adolescent(s) auteur(s) d’abus sexuels CPLM : Centre de psychiatrie légale de Montréal FP : Facteur(s) de protection
FR : Facteur(s) de risque
IPPM : Institut Philippe Pinel de Montréal (IPPM) VS. : versus
IX
Lexique
● Carrière criminelle : l’ajustement continu de l’individu au monde conventionnel et criminel
ainsi qu’au système de justice dans lequel l’activité criminelle s’insère. Elle se compose de trois processus dynamiques : 1'activation, l’aggravation et le désistement de la délinquance.
● Délinquance générale : la perpétration d’une infraction non sexuelle et non violente.
● Délinquance globale : l’ensemble des gestes délictueux, ne faisant pas de différenciation
entre les délits sexuels, les délits violents et autres délits généraux.
● Délinquance sexuelle : la perpétration d’une infraction sexuelle.
● Délinquance violente : la perpétration d’une infraction violente ou sexuelle.
● Facteurs de protection contre la persistance ou la récidive de la délinquance : facteurs
diminuant la probabilité de récidive de la délinquance d'un individu, et ce, malgré la présence de certains facteurs de risque.
● Facteurs de protection développementaux contre l’activation de la délinquance : facteurs
diminuant la probabilité d'activation ou de développement de la délinquance d'un individu, et ce, malgré la présence de certains facteurs de risque.
● Facteurs de risque de persistance ou de récidive de la délinquance : facteurs de risque
associés à la récidive de la délinquance
● Facteurs de risque développementaux ou d’activation de la délinquance : facteurs de
risque associés au développement ou à l’activation de la délinquance.
● Récidive générale : la nouvelle perpétration d’une infraction non sexuelle et non violente
après la prise en charge.
● Récidive globale : l’ensemble des réitérations délictueuses, ne faisant pas de différenciation
entre la récidive sexuelle, la récidive violente et la récidive générale après la prise en charge.
● Récidive sexuelle : la nouvelle perpétration d’une infraction sexuelle après la prise en charge. ● Récidive violente : la nouvelle perpétration d’une infraction violente ou sexuelle.
X
Remerciements
J’aimerais tout d’abord adresser mes plus sincères remerciements à mon directeur de maîtrise Monsieur Jean Proulx pour son expertise incomparable et sa rigueur pédagogique tout au long
de la rédaction de ce mémoire. Merci de votre accompagnement au cours de ces dernières
années.
Je souhaiterais aussi remercier chaleureusement Madame Valérie Préseault, coordonnatrice des
stages et chargée de cours à l’université de Montréal, pour m’avoir offert son aide à plusieurs reprises et dont les enseignements, la pertinence clinique, le soutien et la disponibilité ont
encouragé ma détermination à poursuivre un cursus en criminologie et mon intérêt pour cette
discipline captivante.
J’adresse de vifs remerciements à l’ensemble de l’équipe d’évaluation et de traitement pour adolescents ainsi que Michel Raymond de l’équipe d’évaluation et de traitement pour adultes
du Centre de psychiatrie légale de Montréal pour leur chaleureux accueil et leur savoir-faire, qui
m’ont permis de retirer les meilleurs bénéfices de mon séjour parmi eux.
Je tiens aussi à exprimer toute ma gratitude aux membres de ma famille, particulièrement ma
mère, mon frère Marco, mon père, ainsi qu’à mes amis, particulièrement ma douce Sandrine et
mon fantastique David, pour leurs encouragements sans relâche à mon égard et ce, malgré
certains moments difficiles et périodes de découragements. L’aboutissement de ce projet a
inévitablement impliqué une série de sacrifices et je remercie mon entourage de Montréal et de
Martinique d’avoir fait preuve de compréhension tout au long de mon parcours académique.
C’est donc avec beaucoup de reconnaissance et d’émotions que je remercie chaque personne ayant contribué de près ou de loin à l’accomplissement de ce projet. Merci à vous tous !
INTRODUCTION
L’intérêt pour les adolescents auteurs d’abus sexuels s’est développé progressivement,
plus particulièrement au cours des vingt dernières années (Jaffé, 2011) et c’est donc récemment
qu’ils ont retenu l’attention des chercheurs et intervenants.
Historiquement, les agressions sexuelles commises par des adolescents étaient généralement
considérées sous l’angle de comportements guidés par l’expérimentation ou la curiosité, plutôt
innocents, ou comme un sous-produit de l’agressivité normale des adolescents en train
d’acquérir leur maturité sexuelle (Knopp, 1985). Les comportements sexuels problématiques étaient souvent minimisés parce que la victime était fréquemment un membre de la famille.
D’après Barbaree, Hudson et Seto (1993), cette minimisation des agressions sexuelles commises par les adolescents a diminué pour trois raisons. Premièrement, les chercheurs et cliniciens ont
pris conscience du nombre élevé de jeunes délinquants sexuels. Deuxièmement, ils ont réalisé
qu’une partie très importante des infractions sexuelles pouvaient être attribuées à des adolescents. Finalement, des professionnels travaillant avec des adultes délinquants sexuels ont
remarqué que certains délinquants sexuels adultes avaient déjà des pratiques déviantes pendant
leur adolescence, voire parfois pendant leur enfance. De plus, les études menées auprès de
délinquants sexuels adultes ont permis d’établir qu’une forte proportion d’entre eux ont commis
leur premier délit sexuel à l’adolescence et certaines données ont indiqué la précocité du
développement des carrières criminelles chez de nombreux adolescents agresseurs sexuels
(Jacob, 2000; Carpentier, 2009). Ainsi, Jacob (2000) a établi qu’entre 50 % et 60 % des
2
un profil d’aggravation chez plusieurs de leurs sujets, ceux-ci passant d’infractions comme l’exhibitionnisme ou des attouchements à des offenses plus sérieuses, plus violentes.
L’incidence relative aux délits sexuels commis par les adolescents a aussi été précisée. Au Canada, environ 20% des viols et entre 30 à 40 % des agressions sexuelles d’enfants sont
commises par des adolescents (Ministère de la Sécurité publique, 2004). Dans la province du
Québec, 23 % des infractions à caractère sexuel sont le fait d’une personne mineure et les
adolescents représentent 19 % du nombre total des personnes accusées d’agression sexuelle en
2008 (Ministère de la sécurité publique, 2010). Néanmoins, les estimations relatives au nombre
de délits sexuels attribuables aux mineurs sont probablement des sous-estimations parce que le
nombre de victimes signalant des infractions sexuelles à la police est très faible et l’est
probablement encore plus dans le cas d’abus commis par des jeunes (Jaffé, 2011). La tendance à minimiser l’incidence et l’importance des délits sexuels commis par les adolescents semble s’estomper et, de plus en plus, il y a un consensus chez les intervenants quant à la nécessité de traiter cette clientèle.
L’évaluation, le traitement et la gestion des agresseurs sexuels adultes sont des préoccupations importantes de notre système de justice pénale. Afin de favoriser leur réinsertion
et de mieux protéger la population, les systèmes correctionnels québécois et canadiens
appliquent généralement une gestion basée sur le niveau de risque de récidive que présentent
les délinquants. L’évaluation du risque et la prédiction du comportement criminel, via des
facteurs de risque, sont devenues centrales dans la gestion du système de justice actuel (Andrews
et Bonta, 2003). Elles guident désormais les cliniciens quant au niveau de supervision requis
pour chaque délinquant, orientent l’intervention et permettent de déterminer le niveau de
3
facteurs de risque, les facteurs de protection diminueraient potentiellement la probabilité de
s’engager dans des comportements déviants. Ils ont toutefois fait l’objet d’une attention limitée, surtout en délinquance sexuelle. Ce n’est que depuis une vingtaine d’années que l’on s’intéresse
aux facteurs de protection (Salekin et Lochman, 2008) et ce, dans une perspective de prévention
de la criminalité (Farrington, 2003; Hawkins et al., 2003; Loeber et al., 2003). Certaines études
indiquent qu’un certain nombre de jeunes à risque ne s’engageaient pas dans la délinquance
(Farrington, 2003; Loeber et al., 2003). Ainsi, certains chercheurs ont pu identifier des facteurs
susceptibles de diminuer le risque de récidive de ces adolescents et de les empêcher de
commettre des délits. C’est la raison pour laquelle nous nous attarderons, dans ce rapport, non
seulement aux facteurs de risque mais également aux facteurs de protection chez les adolescents
auteurs d’abus sexuels (AAAS), afin d’obtenir une meilleure compréhension clinique de l’impact de ces facteurs sur la récidive chez cette population d’agresseurs sexuels.
Le présent rapport de stage est divisé en cinq chapitres. Dans le premier, les
caractéristiques de ces adolescents et leur problématique seront présentées. Nous dépeindrons,
dans un premier temps, un portrait global de ces jeunes auteurs d’abus sexuels. Nous décrirons
ensuite les facteurs de risque chez ces derniers en comparaison avec les agresseurs sexuels
adultes, puis les facteurs de protection chez les délinquants adultes et les délinquants juvéniles
puisque peu d’études se sont attardées spécifiquement aux adolescents auteurs d’abus sexuels. Dans le second chapitre, le milieu de stage et les objectifs de stage seront exposés. Dans le
troisième, la méthodologie utilisée aux fins de ce travail sera présentée. Dans le quatrième, les
données de nos études de cas seront analysées, soit trois adolescents auteurs d’abus sexuels
4
Finalement, le cinquième et dernier chapitre présentera l’interprétation des résultats et des
5
CHAPITRE 1 : CONTEXTE THÉORIQUE
1.1 Les caractéristiques des adolescents auteurs d’abus sexuels et les facteurs développementaux de la délinquance sexuelle juvénile
1.1.1 Les caractéristiques communes à la majorité des adolescents auteurs d’abus sexuels.
Les termes référant aux adolescents auteurs d’abus sexuels (AAAS) ne concernent que
les jeunes âgés de 12 à 17 ans (Tardif, Jacob, Quenneville et Proulx, 2012). L’écrasante majorité
des AAAS sont de sexe masculin, jusqu’à 90 % et plus (Jaffé, 2011). Au Québec, environ 20 %
de toutes les infractions à caractère sexuel déclarées à la police sont commises par des
adolescents. De plus, les délits sexuels seraient beaucoup plus fréquents chez les jeunes de 12 à
17 ans que chez les hommes adultes (Ministère de la Sécurité publique, 2004). En effet, Les
garçons de 12 à 14 ans et de 15 à 17 ans présentent les taux de perpétration d’infraction sexuelle les plus élevés, 163 et 143 par 100 000 respectivement. Cependant, en raison de leur faible
nombre, ils ne forment que 19 % des auteurs présumés. En fait, 78 % des auteurs présumés sont
des hommes adultes (Ministère de la Sécurité publique, 2004).
Une des difficultés de l'étude des AAAS provient notamment de l'hétérogénéité de ce
groupe, tant sur le plan des délits que sur le plan de leurs caractéristiques individuelles
(Carpentier, 2009 ; Jaffé, 2011 ; Van Wijk, Van Horn, Bullens, Bijleveld, Doreleijers, 2005;
Carpenter, Peed, et Eastman, 1995). En effet, ils manifestent un large éventail de comportements
sexuels et ont des personnalités différentes. De plus, ils peuvent se retrouver dans tous les
milieux, sans distinction quant à leur âge, leur niveau socio-économique et leur appartenance
6
général, qui sont également reconnus comme un groupe hétérogène. Néanmoins, malgré cette
apparente hétérogénéité, certaines études ont permis de dégager des caractéristiques communes
à la majorité des AAAS, lesquelles pouvant être catégorisées selon quatre sphères de vie, soit
les caractéristiques personnelles, familiales, psycho-sociales et liées à la sexualité (Tardif et al.,
2012; Jacob, 2000; Haesevoets, 2001; Carpentier, 2009). Jusqu'à maintenant, la plupart des
auteurs se sont intéressés aux adolescents ayant commis des agressions sexuelles avec contact
et certains ont fait la distinction entre les adolescents ayant commis une agression sexuelle
envers un enfant de ceux ayant abusé un pair ou un adulte. De façon générale, les résultats de
ces études indiquent que les AAAS d'enfants, de pairs ou d'adultes se ressemblent sur plusieurs
points, mais chacun de ces types présentent certaines caractéristiques qui leur sont propres
(Carpentier, 2009).
1.1.1.1 Caractéristiques personnelles
Premièrement, sur le plan personnel, 40 à 90 % des AAAS auraient des antécédents en matière
de délinquance non sexuelle (Van Wijk et al., 2005). Les AAAS dont les victimes sont des pairs
ou des adultes sont difficilement discriminables des adolescents délinquants violents non
sexuels, alors que les AAAS dont les victimes sont des enfants se distinguent des AAAS de
pairs et d’adultes par un plus faible taux d’antécédents de délinquance non sexuelle (Epps et Fisher, 2004).
Deuxièmement, une proportion importante des AAAS ont présenté des troubles psychiatriques
et cliniques durant l’enfance, principalement le trouble de déficit de l’attention avec ou sans
hyperactivité, le trouble oppositionnel et le trouble des conduites (Hendriks et Bijleveld, 2004;
7
difficulté de mentalisation et à une propension à l’agir. De plus, plusieurs auteurs rapportent
également la présence de comportements agressifs et de traits de personnalité antisociale
(Carpenter et al., 1995) ainsi que certaines pathologies chez les AAAS, notamment le trouble
de l’apprentissage et le syndrome de Gilles de la Tourette (Jacob, 2000).
Troisièmement, la majorité des AAAS ont des difficultés sur le plan scolaire, tant sur le plan de
l’apprentissage que sur le plan comportemental, et ont également un taux de décrochage scolaire plus important comparativement aux autres types de délinquants (Auclair, Carpentier et Proulx,
2012; Van Wijk et al., 2005).
Enfin, une proportion incertaine de ces adolescents ont été victime d’agressions sexuelles. En
effet, les taux de victimisation sexuelle des AAAS varient considérablement selon les études,
allant de 19 % à 70 % (Fehrenbach, Smith, Monastersky et Deisher, 1986; Lafortune, 2001;
Lagueux et Tourigny, 1999). Auclair, Carpentier et Proulx (2012) ont mentionné que le tiers des
AAAS ont été victimes d’agression sexuelle avec contact en bas âge et que, parmi ce nombre, 70 % d’entre eux ont été abusés dans leur milieu de vie par un membre de leur famille, un ami
ou une connaissance de la famille, et ce avec violence et coercition dans 25 % des cas. Plusieurs
études portant sur la victimisation sexuelle chez les AAAS ont conclu qu’un enfant ayant été
abusé sexuellement, éduqué dans un climat sexualisé ou exposé à des modèles sexuels
inadéquats durant l’enfance est plus à risque de devenir abuseur (Jacob, 2000; Carpentier, 2009). Certains auteurs rapportent d’ailleurs que les adolescents victimes d’abus sexuels pendant leur
enfance ont plus souvent tendance à agresser des victimes plus jeunes qu’eux (Worling, 2001).
Il faut toutefois demeurer prudent quant au rôle de la victimisation sexuelle dans les délits
sexuels des AAAS car c’est souvent pour ces jeunes une excuse de leurs comportements
8
elle seule la perpétration de délits sexuels des AAAS. Toutefois, elle met en évidence une réalité
vécue par bon nombre de AAAS : un milieu familial dysfonctionnel et violent (Tardif, Hébert
et Béliveau, 2007).
(Vous référez à l’annexe A.1.1 pour un sommaire des caractéristiques personnelles des AAAS) 1.1.1.2 Caractéristiques familiales
Sur le plan familial, la situation semble inquiétante puisque que plusieurs AAAS proviennent
de milieux familiaux instables, dysfonctionnels, conflictuels et violents.
Des études rapportent que dans le milieu familial des AAAS, il y aurait plusieurs manifestations
de violence physique et sexuelle entre les parents ou entre les parents et leurs enfants. En effet,
selon Becker et Hunter (1997), 25 à 50 % des AAAS auraient été victimes de violence physique,
de négligence ou d’exposition à la violence au sein du milieu familial. De plus, un adolescent sur quatre a été témoin de scènes sexuelles déviantes dans leur milieu familial, comme la
prostitution de la mère, des actes sexuels déviants d’un parent, l’exposition à la pornographie en bas âge ou à la sexualité de manière répétée (Auclair et al., 2012). Ainsi, les agressions
physiques et sexuelles peuvent devenir des conduites perçues comme étant normales dans le
répertoire comportemental du jeune. Tardif et ses collaborateurs (2007) mentionnent que les
AAAS d’enfants commettant leurs délits à l’intérieur du milieu familial auraient des antécédents
de victimisation sexuelle et physique plus importants que ceux commettant leurs délits à
l’extérieur du milieu familial.
L’instabilité et le dysfonctionnement semblent caractériser le milieu familial des AAAS. Hsu et
Starzynski (1990) rapportent l’abus d’alcool et de drogues ainsi que des antécédents criminels
9
AAAS. Hunter et Figueredo (1999) mentionnent aussi le manque de soutien, de supervision et
de protection comme caractéristiques du milieu familial de la majorité des AAAS. De plus, selon
Jacob (2000), dans la majorité des cas le milieu familial est décrit comme dysfonctionnel,
marqué de rejet parental, d’abandon parental, de conflits et d’absence de communication.
Lafortune (2001) fait un constat similaire, soit un taux important d’abandon parental avant l’âge
de 12 ans chez les AAAS, c’est-à-dire une rupture définitive de la relation parent-enfant, et dans la plupart des cas, il s’agit du père. D’ailleurs, si l’on regarde la structure familiale dans laquelle ces jeunes auteurs d’abus sexuels ont évolué, une minorité (27 %) vivait au sein d’une famille
traditionnelle, une forte proportion n’avait pas de contact avec leur père (40 %), et chez les sujets
dont les parents ne vivaient plus ensemble, la séparation parentale a eu lieu dans la majorité des
cas avant qu’ils n’atteignent l’âge de 4 ans (Auclair et al., 2012). De plus, une forte proportion
d’entre eux avait une relation stable et satisfaisante avec leur mère, bien que pour 38 %, cette relation était conflictuelle (Auclair et al., 2012). Lagueux et Tourigny (1999) soutenaient que
même si le fonctionnement familial des AAAS semble difficile, il ne se démarque pas clairement
de celui des autres jeunes délinquants sur la dimension de la cohésion familiale, définie comme
l’attachement émotionnel et l’autonomie individuelle des membres de la famille, et sur la dimension de l’adaptabilité, définie comme la capacité du système familial à changer face au
stress. Pourtant, les abandons parentaux précoces seraient souvent en cause dans le
développement de troubles de l’attachement et des sentiments de rejet chez les AAAS, ce qui
n’est pas sans conséquence sur l’adaptation psycho-sociale nécessaire à l’établissement et au maintien des relations interpersonnelles adéquates à l’adolescence (Smallbone, 2005; Worling,
2001; Marshall, Hudson et Hodkinson, 1993).
10
1.1.1.3 Caractéristiques psycho-sociales
Sur le plan psycho-social, la recherche indique principalement des déficits au plan des relations
sociales et des habiletés relationnelles chez les AAAS (Hunter et Figueredo, 2000), découlant
souvent de relations difficiles vécues dans le passé, soit avec leurs parents ou avec des pairs.
D’une part, ces jeunes sont souvent des individus solitaires, ayant peu de relations ou des relations conflictuelles avec les gens de leur âge (Jacob, 2000; Carpentier, 2009; Van Wijk et
al., 2006). Cette pauvreté des relations sociales les amène à développer une méfiance à l’égard
d’autrui, ce qui les empêche de développer les habiletés nécessaires à l’établissement de comportements sociaux adaptés (Laforest et Paradis, 1990). D’autre part, la pauvreté des
habiletés relationnelles est une caractéristique fondamentale des AAAS, car elle est présente
chez plus de 80 % de ces jeunes (Jacob, 2000). De surcroit, plusieurs d’entre eux présentent
divers types de troubles cliniques qui accentuent leur problématique sociale, notamment le
trouble de l’attention, l’hyperactivité, le trouble des conduites, le trouble d’apprentissage et le trouble oppositionnel, (Jacob, 2000). Ainsi, les AAAS dont les victimes sont des enfants sont
plus fréquemment victimes de rejet et d’intimidation de la part de leurs pairs et ils sont plus isolés socialement comparativement à ceux dont les victimes sont des pairs ou des adultes (Epps
et Fisher, 2004; Hendriks et Bijleveld, 2004). De ce fait, ils fréquentent alors des enfants
significativement plus jeunes qu’eux, avec lesquels ils se sentent plus compétents et appréciés
(Auclair et al., 2012). Néanmoins, pour les AAAS dont les victimes sont des pairs ou des adultes,
la sphère relationnelle reste quand même problématique et source de frustration en raison de la
grande difficulté à maintenir des relations (Auclair et al., 2012). Les déficits quant aux relations
sociales et habilités relationnelles découleraient de diverses problématiques psycho-sociales
11
manque d’empathie, l’inadéquation de l’autorégulation émotionnelle ainsi que la faible estime de soi.
Premièrement, plusieurs études notent la présence de troubles d’attachement chez un nombre
important d’AAAS, se traduisant typiquement par une grande difficulté, voir une incapacité, à vivre une relation d’intimité (Smallbone, 2005; Tardif et al., 2007). Les troubles de l’attachement étant souvent causés par les abandons parentaux précoces, certains auteurs ont fait l’hypothèse que les problèmes d’attachement entre l’enfant et ses parents entraîneraient des difficultés importantes sur le plan des relations sociales et d’intimité à l’adolescence et
expliqueraient les difficultés des AAAS à établir des relations interpersonnelles (Marshall et al.,
1993). Smallbone (2005) soutient que les troubles de l’attachement favorisent l’émergence de
comportements antisociaux chez les AAAS, ce qui nuit à leurs relations interpersonnelles et
contribue à leur isolement social. L’attachement insécurisant durant l’enfance est associé à
plusieurs déficits, notamment la difficulté de régulation des émotions négatives, le
développement d’une faible empathie, un style interpersonnel caractérisé par le retrait ou la
coercition envers autrui, des comportements agressifs et antisociaux, ainsi que des relations
intimes instables. L’attachement insécurisant est un facteur prédisposant et précipitant de la
délinquance sexuelle (Smallbone, 2005).
Deuxièmement, plusieurs études rapportent l’isolement social comme caractéristique des
AAAS. Ainsi, ces jeunes présentent souvent un faible réseau social et sont plus souvent isolés
socialement (Laforest et Paradis, 1990). Beauchemin et Tardif (2007) ont montré que les AAAS
vivent davantage de solitude et se sentent plus en retrait socialement que les adolescents
délinquants non sexuels, notamment en raison de leur maladresse sociale, c’est-à-dire de leur
12
chez les AAAS, causés notamment par des abandons parentaux précoces, contribueraient à leur
isolement social car ils favoriseraient des comportements d’évitement chez certains AAAS, ces
derniers préférant alors éviter les contacts avec autrui et s’isoler socialement, par peur d’être
rejetés.
Troisièmement, plusieurs études rapportent que les AAAS sont nombreux à faire preuve d’un
manque d’empathie (Jacob, 2000 ; Sioui, 2008). Ainsi, il peut être difficile pour les AAAS de s’intéresser à ce que vivent les autres, car leur préoccupation est avant tout égocentrique, c’est-à-dire qu’elle est principalement axée sur le désir de répondre à leurs propres besoins et ce,
souvent au détriment des autres. De plus, l’empathie des AAAS pour leur victime est
généralement faible, puisqu’ils vont jusqu’à la blâmer pour l’agression sexuelle qu’elle a subie
(Sioui, 2008).
Quatrièmement, les AAAS présentent généralement une faible estime de soi et une image
négative de soi. Laforest et Paradis (1990) pensent que la présence d’une estime de soi faible
engendre des difficultés à l’adolescence lorsque vient le moment d’établir une relation d’intimité avec des pairs. En effet, la faible estime de soi nuit au développement et au maintien des
relations interpersonnelles, puisqu’elle favorise le repli sur soi, la timidité, l’inhibition et la
détresse émotionnelle. Ainsi, les AAAS ayant une faible estime d’eux-mêmes éprouvent des
difficultés à s’affirmer et à communiquer, entretiennent peu de relations sociales, souffrent de solitude affective et ont tendance à banaliser ou à normaliser leurs actes sur un mode défensif.
De plus, une estime de soi faible peut aussi conduire les adolescents à fréquenter des pairs plus
13
Enfin, la littérature associe une gestion inadéquate des émotions aux AAAS, notamment dans
l’autorégulation de la colère et de l’agressivité. En effet, la moitié des AAAS présente très tôt une problématique d’agressivité et de violence, que ce soit à l’école, dans la famille ou avec les pairs (Auclair et al., 2012). Ainsi, ils ont tendance à s’exprimer avec colère, frustration et
agressivité comme stratégie d’adaptation au stress et à la détresse. D’ailleurs, l’adoption d’un
mode relationnel hostile et agressif peut être un indice d’un trouble d’attachement ou d’un trouble des conduites. De plus, certains AAAS ont tendance à nier leurs émotions, à les
rationaliser ou à les fuir, et de ce fait, ils ont de la difficulté à identifier et à exprimer les émotions
qui les habitent (Jacob, 2000). Leur répertoire émotif est généralement très pauvre, se limitant à
se sentir bien, mal ou en colère. Certains ont tendance également à nier toute agressivité, et ce,
même dans les situations où il serait légitime de ressentir de la colère (Jacob, 2000). D’autres
sont submergés par une colère difficile à contenir. Ainsi donc, la difficulté de régulation de la
colère et des pulsions agressives est caractéristique des AAAS. Les agressions sexuelles ont
alors pour fonction d’exprimer l’hostilité (Jacob, 2000). Plus les déficits relationnels sont
importants, plus les jeunes utilisent la sexualité comme stratégie de gestion de leur détresse
affective (Cortoni et Marshall, 2001).
(Vous référez à l’annexe A.1.3 pour un sommaire des caractéristiques psycho-sociales des AAAS)
1.1.1.4 Caractéristiques liées à la sexualité déviante
Sur le plan de la sexualité, la littérature rapporte plusieurs problématiques.
Premièrement, pour un grand nombre d’AAAS, la sexualité est la sphère de leur vie qui leur
14
vie qui leur apportent peu de satisfaction. Lorsqu’on s’attarde à la fonction de la sexualité chez les pré-adolescents et les jeunes adolescents, elle est fortement utilisée pour soulager l’angoisse,
l’anxiété et les frustrations (Jacob, 2000). D’ailleurs, plus les déficits relationnels sont importants et plus les jeunes utilisent la sexualité comme stratégie de gestion de leur détresse
émotionnelle (Cortoni et Marshall, 2001). Ainsi, l’isolement social et le trouble de l’attachement
favorisent l’émergence d’émotions négatives et de tension que les AAAS évacuent davantage par des activités sexuelles, déviantes ou non. Étant donné l’importance de l’expérience de la
sexualité et des relations avec les pairs à l’adolescence, les difficultés associées à l’adaptation psychosociale et au développement sexuel jouent un rôle important dans la trajectoire spécifique
aux AAAS d’enfants (Beauchemin et Tardif, 2007). En effet, certains AAAS auraient peu ou pas de relations avec leurs pairs, ce qui serait attribuable à des déficits psychosociaux tels que
le manque d’habiletés sociales et d’empathie, la faible estime de soi et l’attachement insécurisant, et les amènerait à ressentir de la solitude. Les adolescents ayant des relations
déficitaires avec leurs pairs éprouvent donc davantage de difficultés à vivre de nouvelles
expériences relativement à l’affectivité et à la sexualité. Ils peuvent chercher à combler leur besoin relationnel et d’intimité dans une forme de sexualité où ils ne seront pas rejetés, avec des enfants par exemple. Les difficultés relationnelles et l’isolement social sont reconnus comme
centraux dans la trajectoire menant à une problématique d’agression sexuelle envers les enfants
(Hunter, Figueredo, Malamuth et Becker, 2003).
Deuxièmement, la recherche indique la présence de fantaisies sexuelles déviantes et d’intérêts
sexuels déviants, qui ont été associés à la survenue d’agressions sexuelles à l’adolescence. En
effet, les AAAS présentent un taux plus élevé d’intérêts sexuels déviants comparativement aux
15
sexuels déviants chez ces adolescents précéderaient bien souvent l’actualisation de
comportements sexuels inappropriés. De plus, l’exposition fréquente à la pornographie serait
aussi un facteur de risque associé à l’agression sexuelle. En effet, environ la moitié des AAAS reconnaissent en avoir consommé au cours des mois précédant l’agression sexuelle (Auclair et
al., 2012).
Enfin, la recherche rapporte chez un bon nombre d’AAAS la présence de distorsions cognitives, soit des pensées, croyances et attitudes erronées, qui soutiennent l’agression sexuelle en
représentant les comportements sexuels déviants comme acceptables. En effet, les AAAS ont
tendance à banaliser et à minimiser leurs abus, soit en niant les faits, leur responsabilité ou les
conséquences pour la victime (Sioui, 2008). Ainsi, les distorsions cognitives ont tendance à
maintenir les préférences sexuelles déviantes et à favoriser la persistance de la délinquance
sexuelle. Selon Milhailides, Devilly et Ward (2004), les agresseurs sexuels utilisent des
distorsions cognitives afin de protéger leur estime de soi des menaces perçues, notamment la
désapprobation sociale, d’éviter la dissonance cognitive et afin de se percevoir positivement (compétent, efficace, puissant).
Sur le plan des caractéristiques délictuelles de l’agression sexuelle des AAAS, l’âge
moyen de la première agression sexuelle est de 13 ans chez les AAAS d’enfants, 40 % avant
l’âge de 13 ans, et est de 14 ans chez les AAAS de pairs ou d’adultes, 20 % avant l’âge de 13 ans (Auclair et al., 2012).
Pour une grande partie des jeunes ayant des comportements sexuels déviants, il s’agit de
comportements sexuels abusifs à l’égard d’enfants plus jeunes qu’eux d’au moins trois ans, ou plus rarement, de comportements d’exhibitionnisme et de voyeurisme ou encore de
16
comportements abusifs envers des pairs du même âge (Jacob, 2000). Il peut s’agir d’un événement unique (25 %) ou d’agressions sexuelles s’échelonnant sur plusieurs mois, voire des
années : 15 % des adolescents rencontrés ont commis plus de 100 incidents. À l’intérieur de ces
deux pôles se situent un bon nombre d’adolescents pour qui la séquence délictuelle s’est étendue sur une plus courte période et comporte moins d’incidents : 30 % entre 2 et 10 incidents et 30
% entre 11 et 100 incidents (Jacob, 2000). Lorsque les victimes des AAAS sont des enfants, la
moyenne d’évènements abusifs est plus élevée sur la même victime, soit 19 fois sur la même victime sur une période de 24 mois. Lorsque les abus sont commis dans le milieu familial, la
période délictuelle est souvent plus longue. Alors que lorsque les victimes des AAAS sont des
pairs ou des adultes, la fréquence est moindre, sauf dans les cas d’inceste (Auclair et al., 2012). La grande majorité (95 %) des adolescents connaissent leur victime. Il peut s’agir de la fratrie,
des enfants du nouveau conjoint, de cousins, de voisins ou d’enfants gardés par l’adolescent. Plus la victime a un lien étroit avec l’adolescent, plus la probabilité est forte que les abus
s’étendent sur une plus longue période de temps (Jacob, 2000). Les victimes de ces jeunes sont majoritairement des filles alors que les victimes masculines représentent moins de 25 % ;
néanmoins la proportion de garçons augmente avec la diminution de l’âge des victimes (Auclair
et al., 2012). Les AAAS dont les victimes sont des pairs ou des adultes recourent davantage à
une stratégie coercitive ou violente que ceux dont les victimes sont des enfants pour commettre
l’agression sexuelle, sauf dans le cas d’inceste (Auclair et al., 2012).
Plus d’un tiers des AAAS ont connu au moins une expérience sexuelle non déviante avec
une fille de leur âge. Néanmoins, les AAAS sur des enfants ont eu significativement moins
d’expériences sexuelles (22,1 %) que ceux dont les victimes sont des pairs ou des adultes (63,5 %) (Auclair et al., 2012). Plusieurs AAAS rapportent une grande difficulté à se rapprocher des
17
jeunes de leur âge et à vivre de l’intimité ; certains rapportent même des expériences négatives,
plus spécifiquement un sentiment d’humiliation, avec des filles de leur âge (Auclair et al., 2012).
(Vous référez à l’annexe A.1.4 pour un sommaire des caractéristiques de la sexualité des AAAS) 1.1.1.5 Conclusion sur les caractéristiques des adolescents auteurs d’abus sexuels
Malgré leur apparente hétérogénéité, certaines caractéristiques semblent être communes à la
majorité des AAAS. Parmi celles-là, on retrouve les antécédents criminels non sexuels, les
antécédents psychiatriques durant l'enfance, la victimisation sexuelle durant l’enfance, l’exposition à des activités sexuelles déviantes ou à des modèles sexuels inadéquats, le décrochage scolaire, l’instabilité et le dysfonctionnement du milieu familial, les distorsions cognitives supportant l’agression sexuelle, ainsi que la sexualité déviante caractérisée par un
sur-investissement de la sexualité ainsi que par la présence de fantaisies et d’intérêts sexuels
déviants.
De plus, certains déficits semblent distinguer davantage les AAAS des autres délinquants. Parmi
ceux-là, on retrouve les difficultés scolaires, les relations sociales et habilités relationnelles
déficientes, les troubles de l’attachement, l’isolement social, le manque d’empathie et l’égocentrisme, la faible estime de soi, la gestion et le contrôle inadéquats des émotions de la colère et de l’agressivité, ainsi que la reconnaissance déficiente de leur problématique.
D’ailleurs ces déficits découlent souvent de la dynamique familiale. En effet, une proportion non négligeable d’AAAS est issue de milieux familiaux fragiles dans lesquels ils ont vécu des traumatismes importants, notamment la violence physique et sexuelle, les laissant avec certaines
18
expériences d’abus physique et d’exposition à la violence familiale pourraient contribuer au
développement d’une propension à la violence sexuelle à l’adolescence.
1.1.2 Les caractéristiques communes liées au développement de la délinquance sexuelle
La criminologie développementale postule que les différentes dimensions de la carrière
criminelle (Développement/Activation, Persistance/Récidive, Désistement /Abandon) ne sont
pas nécessairement associées aux mêmes facteurs de risque et que ces facteurs de risque peuvent
être différents en fonction de l'âge. Il en serait de même pour les facteurs de protection qui,
lorsqu'ils sont présents, interagissent avec les facteurs de risque pour diminuer la probabilité
d'adopter des comportements délinquants (Carpentier, 2009). Nous avons énuméré
précédemment les diverses caractéristiques communes à la majorité des AAAS. Cependant,
elles ne sont pas toutes liées aux trois dimensions de la carrière criminelle sexuelle. Dans cette
section, nous énumérons les facteurs liés au développement de la délinquance sexuelle à
l’adolescence.
1.1.2.1 Les facteurs liés au développement spécifique de la délinquance sexuelle à l’adolescence
Certains facteurs de risque ont été associés au développement de la délinquance sexuelle
spécifiquement à l’adolescence. Ces facteurs développementaux sont la présence d'antécédents
de délinquance non sexuelle (Van Wijk et al., 2005; Epps et Fisher, 2004), une faible estime de
soi (Laforest et Paradis, 1990), la victimisation sexuelle durant l'enfance (Jacob, 2000;
Worling, 2001), la sexualisation précoce (Auclair et al., 2012; Jacob, 2000), l'exposition
19
déviants ou de fantaisies sexuelles déviantes (Daleiden et al., 1998; Worling et Curwen, 2000).
(Vous référez à l’annexe A.2.1 pour un sommaire de ces facteurs)
1.1.2.2 Les facteurs liés au développement de la délinquance sexuelle et de la délinquance globale à l’adolescence
D’autres facteurs de risque associés au développement de la délinquance sexuelle à l'adolescence sont également en lien avec le développement de la délinquance de façon
générale : un faible quotient intellectuel (Loeber et al.,2003), un attachement insécurisant
(Smallbone, 2005; Marshall et al., 1993), des déficits relationnels importants (Jacob, 2000;
Carpentier, 2009; Van Wijk et al., 2005), une consommation de substances illicites, des
difficultés scolaires (Van Wijk et al., 2005), des antécédents de psychopathologies dès l'enfance,
comme les troubles déficitaires de l’attention et de l’hyperactivité, les troubles du comportement (Jacob, 2000; Hendriks et Bijleveld, 2004), des comportements d’agressivité et d’impulsivité
(Carpenter et al.,1995; Auclair et al., 2012), ainsi que le fait de vivre au sein d'une famille
dysfonctionnelle, marquée notamment par la négligence, la violence physique, la violence
sexuelle, l’abandon parental, le manque de supervision, le manque de protection et la présence de modèles parentaux inadéquats (Hunter et Figueredo,1999; Lafortune, 2001). (Vous référez à
l’annexe A.2.2 pour un sommaire de ces facteurs, si besoin)
Dans les prochaines sections, nous identifions les facteurs associés aux deux autres
dimensions de la carrière criminelle. D’une part, nous identifierons les facteurs liés à la
persistance de la délinquance sexuelle chez les AAAS et chez les agresseurs sexuels adultes,
20
sur les facteurs de risque de récidive criminelle en matière de délinquance sexuelle juvénile.
Toutefois, la majorité des études ne différencient pas les facteurs associés à la récidive en
fonction du type d'agresseurs, d'enfants ou de pairs et d'adultes. Pourtant, il est possible que ces
facteurs ne soient pas les mêmes pour les deux sous-groupes de délinquants, ce qui pourrait
expliquer certaines divergences entre les études. D’autre part, nous identifierons les facteurs de
protection chez les délinquants adultes et adolescents. Seules quelques études se sont intéressées
aux facteurs de protection au regard de la récidive sexuelle, violente et globale.
2.1 Les facteurs de risque de récidive des AAAS et des agresseurs sexuels adultes 2.1.1 Introduction aux facteurs de risque
2.1.1.1 Définition d’un facteur de risque de récidive
Un facteur de risque de récidive représente toute caractéristique propre à une personne et à
son environnement qui augmente son potentiel de récidive criminelle. Les facteurs de risque
sont des prédicteurs de la récidive criminelle d’un individu et ils sont habituellement utilisés
pour prendre des décisions concernant le prononcé d'une sentence, les besoins en matière de
traitement et la pertinence d'une libération conditionnelle (Mann, Hanson et Thornton, 2010).
Sur le plan de la délinquance sexuelle, un facteur de récidive est une condition, une circonstance
ou une particularité chez une personne ou de son environnement qui augmente la probabilité de
commettre une agression sexuelle (Baril et Tourigny, 2009). La présence d’un ou de plusieurs
facteurs de risque ne peut être la cause d’une agression sexuelle, mais peut en avoir augmenté les risques. Plus les facteurs de risque de l’agression sexuelle sont nombreux, plus la probabilité
qu’une personne commette une agression sexuelle augmente (Jewkes, Sen et Garcia-Moreno, 2002).
21
Les chercheurs en criminologie ont fait une distinction entre les facteurs de risque statiques
(FRS) et les facteurs de risque dynamiques (FRD). Les FRS sont les caractéristiques historiques
du délinquant, comme par exemple les antécédents criminels (Mann et al., 2010). Ils peuvent
servir à évaluer le risque de récidive à long terme (Andrews et Bonta, 2003).
Les FRD sont les caractéristiques personnelles du délinquant changeantes dans le temps, comme
le mode de vie instable (Mann et al., 2010). Ils sont considérés responsables du risque actuel de
récidive, raison pour laquelle on les nomme également « facteurs criminogènes ». Ils peuvent
donc servir à évaluer le risque de récidive criminelle à court terme, et ils sont particulièrement
utiles pour déterminer l’évolution du niveau de risque (Andrews et Bonta, 2003). De plus, les
FRD peuvent être considérés comme des objectifs thérapeutiques puisque ce sont des
caractéristiques qui peuvent être modifiées et que leur baisse est associée à une baisse du risque
de récidive. Il existe deux sous types de FRD : les facteurs dynamiques stables et aigus. Les
FRD stables représentent les caractéristiques changeantes mais relativement persistantes,
comme les préférences sexuelles et les distorsions cognitives. Alors que les FRD Aigus sont des
caractéristiques qui se modifient rapidement et peuvent indiquer une récidive imminente,
comme un état de colère ou d’ébriété (Cortoni, 2009).
2.1.1.2 Définition de la récidive
Le concept de récidive nécessite une précision quant à sa définition, car il peut varier selon une
conception restreinte ou large. Les cliniciens font la distinction entre la récidive sexuelle, soit la
nouvelle perpétration d’une infraction sexuelle, la récidive violente, soit la nouvelle perpétration
d’une infraction violente ou sexuelle, et la récidive générale, soit la nouvelle perpétration d’une infraction non sexuelle et non violente. Notons pour la suite de notre rapport, nous utiliserons
22
le terme « délinquance globale » pour référer à l’ensemble des gestes délictueux, ne faisant pas
de différenciation entre les délits sexuels, les délits violents et autres délits, de même que le
terme « récidive globale » pour référer à l’ensemble des réitérations délictueuses, ne faisant pas de différenciation entre la récidive sexuelle, la récidive violente et la récidive générale.
2.1.1.3 Utilité de l’évaluation du risque
L’évaluation du risque sert à répondre principalement à un objectif diagnostique de prédiction de la dangerosité criminelle, consistant à bien distinguer les délinquants qui présentent un risque
élevé de récidive des délinquants à faible risque, et ce, selon les facteurs de risque statiques
(FRS) et les facteurs de risque dynamiques (FRD) (Hanson et Morton-Bourgon, 2007). Les
évaluations fondées sur les FRS ont été raisonnablement efficaces pour prévoir le risque de
récidive à long terme, tant chez les délinquants sexuels que chez l’ensemble des délinquants. Toutefois, ces évaluations ne sont d’aucune utilité pour suivre l’évolution du risque, d’où la
nécessité d’inclure les FRD stables et aigus au FRS dans l’évaluation du risque (Andrews et
Bonta, 2003). Ainsi, il faut connaître les FR dynamiques pour évaluer la probabilité de récidive,
cerner les caractéristiques qui se prêtent à une intervention, déterminer l'évolution du niveau de
risque suite à un traitement (Hanson et Morton-Bourgon, 2007), décider du moment de la
libération conditionnelle du délinquant (Andrews et Bonta, 2003) et assurer la sécurité de la
collectivité.
2.1.2 Les facteurs de risque de récidive sexuelle chez les agresseurs sexuels adultes
2.1.2.1 Les facteurs de risque liés à la récidive sexuelle chez les agresseurs sexuels adultes Selon la méta-analyse de Hanson et Morton-Bourgon (2004), les délinquants sexuels adultes
23
tendances antisociales. Ainsi, l’antisocialité et la déviance sexuelle sont les deux FRD
prédicteurs de récidive sexuelle chez les agresseurs sexuels adultes.
D’une part, la déviance sexuelle est le prédicteur de récidive sexuelle le plus important. Elle n’est liée ni à la récidive violente non sexuelle, ni à la récidive générale. Ainsi, la récidive sexuelle peut être prédite de manière significative par les indicateurs de déviance sexuelle,
notamment les intérêts sexuels déviants. D’autre part, l’orientation antisociale est un important
prédicteur de la récidive sexuelle, mais aussi de la récidive violente non sexuelle, de la récidive
violente et sexuelle et de la récidive générale. La récidive sexuelle peut être prédite de manière
significative par la plupart des indicateurs de l’orientation antisociale, et plus précisément, par
la personnalité antisociale/traits antisociaux, les antécédents de violation des règles et un mode
de vie instable.
La méta-analyse d’Hanson et Morton-Bourgon (2004) a aussi identifié huit caractéristiques
criminogènes (FRD) liées spécifiquement à la récidive sexuelle : l’absence d’un partenaire
intime ou les conflits dans les relations avec les partenaires, l’identification émotive avec les
enfants, les attitudes positives envers la délinquance sexuelle, les attitudes pro-criminelles, les
préférences sexuelles déviantes, les préoccupations sexuelles, un mode de vie instable et
antisocial caractérisé par des violations des règles, ainsi que le manque de coopération dans le
cadre de la surveillance.
Hanson et Harris (2000) ont identifié des FRD stables et les FRD aigus chez les délinquants
sexuels. D’une part, ces auteurs ont identifié six FRD stables liés à la récidive sexuelle : les
problèmes sur le plan de l’intimité, les influences sociales négatives, les distorsions cognitives tolérantes à l’agression sexuelle, l’autorégulation sexuelle déficitaire (incluant la déviance
24
sexuelle), l’autorégulation générale déficitaire et la faible coopération dans le cadre de la
surveillance. D’autre part, Hanson et Harris (2000) ont identifiés sept FRD aigus liés à la
récidive sexuelle : l’intoxication, l’effondrement émotionnel, l’effondrement des soutiens
sociaux, l’hostilité, les préoccupations sexuelles, l’accès aux victimes et le refus de la surveillance.
2.1.2.2 Les facteurs de risque non- liés à la récidive sexuelle chez les agresseurs sexuels adultes
Selon la méta-analyse de Hanson et Morton-Bourgon (2004), aucun des indicateurs de
problèmes psychologiques généraux n’était lié de manière significative à la récidive sexuelle.
Cette dernière n’était pas liée à un dysfonctionnement psychologique grave (comme une psychose), ni à des troubles d’intériorisation (comme l’angoisse et la dépression), ni à un
manque d’estime de soi. De plus, aucun des indicateurs des signes cliniques n’était lié de manière significative à la récidive sexuelle. Cette dernière n’était pas liée à un manque d’empathie envers la victime, au déni d’un crime sexuel, à la tendance à minimiser, ni au manque de motivation à l’égard du traitement. Ainsi, les troubles psychologiques généraux et les signes cliniques n'ont pas de lien avec la récidive sexuelle ou générale, et n’en sont donc pas
prédicteurs.
2.1.3 Les facteurs de risque de récidive chez les AAAS
Contrairement à une idée répandue, les recherches montrent invariablement que les taux
de récidive sexuelle pour les jeunes délinquants sexuels sont bas (Jaffé, 2011). En réalité, les
AAAS ont plutôt fait l’objet de condamnations antérieures pour des infractions non sexuelles
25
ne sont pas des infractions sexuelles. En effet, les taux moyens de récidive varient entre 10 % à
20 % pour les infractions sexuelles comparativement de 30 % à 40 % pour les infractions
violentes non sexuelles (Långström, 2002; Nisbet, Wilson et Smallbone, 2004). Cela laisse à
penser que pour une large proportion d’AAAS, le comportement sexuel problématique est plutôt
lié à une tendance à la délinquance en général qu’à une sexualité déviante (Jaffé, 2011). Par-delà les études sur la récidive, laquelle constitue un des paramètres de la carrière criminelle,
quelques études ont aussi été effectuées au sujet d’autres paramètres de la carrière criminelle,
plus spécifiquement celles de Carpentier, Leclerc et Proulx (2011) et de Carpentier (2009).
2.1.3.1 Les facteurs de risque liés à la persistance et l’aggravation de la délinquance globale chez les AAAS
Quelques facteurs de risque sont associés à la persistance de la carrière criminelle des AAAS,
soit la récidive sexuelle ou violente, ainsi qu’à la persistance et l'aggravation de la carrière
criminelle, soit la récidive globale. Ces facteurs sont la présence de traits antisociaux et
d’impulsivité (Gretton, McBride, Hare, O'Shaughnessy et Kumba, 2001; Parks et Bard, 2006; Worling, 2001), la présence d'un trouble des conduites et des manifestations agressives précoces
(Långström, 2002; Worling et Curwen, 2000; Auclair et al., 2012), une attitude favorable à la
déviance sexuelle ou générale, c’est-à-dire la présence de distorsions cognitives (Sioui,
2008;Worling et Curwen, 2000; Kenny, Keogh et Seidler, 2001), un faible lien d'attachement à
l'école (Van Wijk et al., 2005) et des déficits quant aux habiletés sociales (Kenny et al., 2001;
Hunter et Figueredo, 2000; Worling, 2001). Ainsi, ces facteurs de risque sont liés à la récidive
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2.1.3.2 Les facteurs de risque liés à la persistance de la délinquance sexuelle et violente chez les AAAS
Étant donné les faibles taux de récidive sexuelle des AAAS, peu d'études ont été publiées sur
les facteurs de risque pouvant être spécifiquement associés à ce type de récidive. De plus, il
semble qu'une majorité d'AAAS récidivistes commettent d’autres infractions que des offenses
sexuelles (Nisbet et al., 2004). Ainsi, plusieurs auteurs ont choisi d'étudier la récidive violente,
dont la définition inclut la récidive sexuelle. Les facteurs de risque associés à la récidive violente
des AAAS sont les mêmes que ceux associés au développement de la délinquance sexuelle à
l’adolescence. Néanmoins, ces facteurs seraient présents en plus grand nombre ou de façon plus chronique chez les récidivistes (Kenny et al., 2001; Carpentier, 2009). Rappelons que les
facteurs développementaux de la délinquance sexuelle des AAAS, et donc les facteurs de risque
de récidive sexuelle et violente, sont la présence d'antécédents de délinquance non sexuelle
(Van Wijk et al., 2005; Epps et Fisher, 2004), une faible estime de soi (Laforest et Paradis,
1990), la victimisation sexuelle durant l'enfance (Jacob, 2000; Worling, 2001), la sexualisation
précoce (Auclair et al., 2012; Jacob, 2000), l'exposition fréquente à la pornographie (Auclair et
al., 2012), ainsi que la présence d’intérêts sexuels déviants ou de fantaisies sexuelles déviantes (Daleiden et al., 1998; Worling et Curwen, 2000). (Vous référez à l’annexe A.3.2 pour un
sommaire de ces facteurs)
2.1.3.3 Les facteurs de risque liés spécifiquement à la persistance de la délinquance sexuelle chez les AAAS
D'autres facteurs de risque ont été associés à la persistance de la délinquance sexuelle de façon
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leur récidive sexuelle sont les antécédents criminels sexuels, non sexuels et violents (Van Wijk
et al., 2005; Epps et Fisher, 2004, Carpentier, 2009), la victimisation sexuelle subie durant
l'enfance (Kenny et al., 2001; Jacob, 2000; Worling, 2001), une faible estime de soi (Laforest
et Paradis, 1990), ainsi que la présence de fantaisies sexuelles déviantes et d'intérêts sexuels
déviants (Daleiden et al., 1998; Worling et Curwen, 2000). Quelques auteurs indiquent aussi
que certaines variables délictuelles sont associées à une augmentation du risque de récidive
sexuelle chez les AAAS : l’agression d'une victime inconnue (Långström, 2002), l'utilisation de
menaces verbales pour commettre l'agression, le fait d'attribuer la responsabilité de l'agression
à la victime (Kahn et Chambers, 1991; Sioui, 2008) et la présence de distorsions cognitives
supportant l'agression (Sioui, 2008; Kenny et al., 2001). (Vous référez à l’annexe A.3.3 pour un
sommaire de ces facteurs)
2.1.3.4 Les facteurs de risque non- liés à la récidive sexuelle chez les AAAS
Worling et Curmen (2001) ont identifié cinq facteurs qui ne seraient pas en lien avec la récidive
sexuelle des AAAS : les antécédents de délits non sexuels, le déni de l'agression sexuelle,
l’absence d'empathie envers la victime, la victimisation sexuelle durant l'enfance et le degré de contact sexuel durant l'agression.
Bien que l'on ne puisse pas nier que l'existence d'antécédents de délits non sexuels soit corrélée
à la récidive sexuelle chez les délinquants sexuels adultes de sexe masculin (Hanson et Bussière,
1998), les chercheurs s'accordent à dire que ce facteur n'est pas corrélé à la récidive sexuelle
subséquente chez les AAAS (Kahn et Chambers, 1991; Worling et Curwen, 2000; Långström
et Grann,2000). Toutefois, comme prévu, la plupart des chercheurs ont établi que la présence