"L'HOMME EST LA MESURE DE TOUTES
CHOSES" ou Les biais de la pensée commune
Bernard VUILLEUMIER
Laboratoire de Didactique et d'Eplstémologle des
Sciences, Université de Genève
MOTS CLEFS.
pensée commune, concepts pnyslques
RESUME
La pensée commune, confrontée
ildIYers problèmes physiques, recourt avec
automatisme a certains mécalllsmes De plus
de360 reponses d'élèves
de16
il19 ans
Interrogés sur les proportions, le mouvement, la chute
descorps et la Chaleur, nous déga;jeons
et explicitons QUelques uns parmi les plus fréquents
deces mécanismes et nous montrons en quoI
Ils peuvent faire obstacle
ill'apprentissage
deconcepts physiques.
ABSTRACT
The common lhought, confronled Wllh
V8rlOUSprüblems of phYSICS, hllS
automat ically recourse
10some mechanlsms. After studying more than 360 answers on the
following tapies proportions, movement, frae fa Il , heat, wecan put in evlœnœand expllcile a
fewof lhe most usual of thase mechéllllsms, and try to demonstrate
wtJy th~can bagat
difficultles when learning physies concepts
Travail réalise avec l'apPUI
dela Direction
del'Ecole Supérieure de Commerce œ Genève
(sainl-Jean)
INTRODUCTION
La pensée commune, confrontée a dIvers problèmes phYSIQues, recourt avec automatisme a certains mécanIsmes Nous allons tenter d'explICiter quelques uns parmi les plus fréQuentsde
ces mécanismes et nous chercherons il montrer en QUOI Ils peuvent faire obst~le a l'apprentissageIleconcepts phYSIQUes Pour ce faire, nous examinerons
œs
réponses d'élèvesde16il 19an~1) ilIlesQuest ionnaires portant sur les proport JOns. le mouvement. la chuteIles corps et la chaleur. nous analyserons Clansch~ecas les dIffIcultés Que les élèves rencontrent et montrerons Que de nombreuxobst~lesont une ongine commune
PREMIERE ENQUETE: INTUITION ET PROPORTIONS Nous avons soumis a125élèves les deux Questions suIVantes.
1 a) Yous /eflŒ.?//fleIXn1Jala surftt:eœ la Terre en s//ivan/laI!~œl'éQtJiJ/eur fLs clrœn(erenœ œ la Terre vo/// environ '10000km Elle se ~/cllle ,;I;'k~
œ l'e.<'prélSSlOfI C - 2nl?oUI?es/luiJYlYl œ la Terre qui ViJ//t 6400km)
h) Yousrall~ensllitelaœrœœ1 metre LacxrœneserariY1L'plllstefIdtJe.
,"o//r la tencre
4
fIOIJV8tJIJ, VaiS Is ';'I/es/MSS8rsur //n mur illJ! ("'/ le /OIJr œ 14 Terre. La/iauteurd/mllrseraaJ!llposeentre, 09/lmm. leI 10mm. let 10 cm, 1 etlOC/lTl, 1 e/IOm2 YOiIS rapi/a? 185 mwes opir8/IOI7S s//r I/n globe terrestre œ 16 cm œ rayon POiIr qI/ii la cvrœ SOit tendue, le ml/r œvra titre,' plllsb~~œ Id même !I,jIJ/e//r, plus /iatlt f/lJe sur Terre
RESULTAT PLUS DE80~DE REPONSES FALISSES EN MOYENNE SUR LES DEUX QUESTIONS1
(n:125)
48~
o
mur moins haut Que sur Terre 9le mur de mtme hauteur 1Blemur plus haut gue sur Terre 73*
(1) Toules les enQuttes Que nous prhentonsICIontH~ r~elisres eupres d'èlèvesde le cole Supérieure de Commerce de Genève (st-Jean) Nous tenons.iremerCier la Direction de cette Ecole PO"- le soutien Qu'elle nous a toujours apporté,
"L'HOMME EST LA MESURE DE TOUTES CHOSES"
Les résultats de celte enquête montrent Que la pensée commune Ildhère sans réserve
il
cet aphorisme de Prot!llJlres Le raisonnement commun mis en œuvre pour résouare la premlére question porte en effet la marque de cette Ildhésion InconSCiente Il se ramèneà
ceci . ajouter 1 mètre il 40000 kilométres, c'est vraiment peu, oonc la hauteur du mur sera très très petite. Où est oonc l'erreur? Comparer la longueur ajoutée ( 1 métre)àcelledela circonférence (40000 kllometres) est parfaitement correct, mais la pensée commune, en prenant ImplIcitement l'Homme comme terme de comparaison, compare ensuite la hauteur du murà
celle d'un Homme(1)alors QU' i 1faut la comparer au rayon terrestre. Le sens commun opte oonc en général pour une hauteur de l'ordre du mlillmetre. Lorsqu'on envIsage, comme dans la deuxleme Question, un globeil
taille humaine, les élèves référent spontanément l'augmentatIOnderayon a la taille de l'objet Cette tendanceà
toujours prendre l'Homme comme référence les conduità
penser Que l'augmentation de rayon, pour 1 mètre de corde ajouté, sera plus gronde œns le cas du globe que dans le cesdela Terre!Comme la relatIOn qUI Ile la Circonférence C au rayon R est linéaIre (C : 2rrR), Il est faclle, par une Simple proportion, d'obtenir la bonne réponse. On posera que 1 metre est il la circonférence, comme la hauteur du mur est au r6yon de la Terre. En termes plus concIs.
(I/C) : (x/R) d'ou x =R/C: 6400/40000: 0 16metre
sans recourIr explicitement aux proportions, on peut également poser que la circonférence vaut C' après qu'on a eJouté 1métre On a alors.
C'
=C. 1métre
=2rrR • 1mètre
d'où on tIreR'
=(C'I2rr)
=(211R • 1mètre)/2rr
=
R •• RLe dernier terme de cette expressIOn (.R
=
1 mètre/2rr) donne la hauteur du mur et montre Que celle-cl ne (!épend plISlÉla taille de la sphère envlsao!leOnpeut aussi Illustrer graphIquement ce fait qui trMuit une propriété des fonctIons linéaires. l'augmentatIOnderayon .R est la même, Que l'on ajoute 1 métreàune petite CIrconférence CloUàune grande circonférence C2R : C/211
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DEUXIEME ENOUETE : OU'EST -CE QUE LE MOUVEMENT?
Nous avons Interr()Jé 76 eleves, Le questionnaIre comportaIt les questions sUIVantes' t:lu esl-ce POiJr VOlIS que le mouvt"menl ,) ESSdJ.'e.?
œ
le œrÎntr Jl/55i priklsimttn/ que posslOle, Oans qvels casdr/-ùfllflJfI ,Jo)et quil est ahmmNJlle,tJIJrepos:?
tJ)en mO/lVemdflt )
.J ()/lelledrfftfrenceerls/e-/-/I entre mOilvemeflt el repos " RESULTAT ''LE MOUVEMENT C'EST QUANDÇABOUGE"
Tous les élèves référent spontanément le mouvement
a
eux le mowemlJfl/ pour mor. cils/œ
vorr oouger, sor/ une cllose, ufle jJer5OllfleOUUfI anima/"Un objet est immobile "IcrsqlfrJ fIèOOllÇllpas, lorst;ll'/IfIIJmanrfeste aucufi slljfle d'.rtlVl/e"ou encore''qt;dfIIirI est roxtlf, qu';!fI8fart rl8l1aJ/(!{.II ': 'Ufi otJlet esl 811 m(!{.lV8117811t lorsquCV!4?8f'p:JII qu'IIÔOI./ÇIl" "Lorst;lllll1 Oôlet se œpltxt1 ,'u est œpltKi, Il va mOllVement (In pellt le vOir " 'Ze mOilvemenl est tout It' tempsa:tJf,par CCVltrl? le repos est en etatli' passlVlté"On notera au passage l'importance Que les élèves élCCOrdent au constat visuel pour établtr S'Il y a mouvement ou pes En outre. la notion de mouvement étant pour eux en connexion etrolte avec les actesdepousser et de tirer. il leur paraît par consequent nécessaire d'attribuer une cause au mouvement "Un oblet est 811 mOllvemefll l/IW1dIl se liiplxe Il se (ijplxe t(IIJ}OIIrs'; CBuse ifUfiélémlJ!7/ solI' I78turel. ma/dnel, /'lIJma/fl "
ces
caractéristiques de leur concepllOn du mouvement comptent parmi celles QUI font le plus sérieusement obstacle a l'apprentissageœs
concepts de basece
la Cinématique et de la liynam lque, notamment au caractère relatif du mouvement eta
la 101 fondllmentale de la Clynam IQueTROISIEME ENOUETE : LA CIiUTE LIBRE
Après létude
œs
lOIS du mouvement, nous avons proposé il42 éléves ce textece
Galilée et nous leur avons demonœce
se prononcer sur la valIdité de la sUPPOSItion falle par le Florentin,1 e mabrliJ va an J(){/1T18IIlant
œ
Vitesse I1Jris lapro/xy/'1YlmÔIT/eOIJ rI slilo/~li' 5011 PO/fltœ
{jjpart ,C(Yl)me Mt" exemple, SI/lfiçrwe tcmlJe àJ POlflt a ptr14/içneaIJai.le supposeQI./8le avéœ
vrlassa t;fJ'ilIJ6t1CesttJIJavé Œ Vitesse1JtI'I/avOlt efl 0 comme/0dlslonce C3 esl ,;14d/s/6t1œÔ8et d!!7Sr.p.yCU'ls8;Iwnt.tlI7d Il JtJra un
œ;ré
œ
vr/esse plusr4f}(/
ilIIM càJrlsla mesureOIJ18ifls/1JIICeŒesl plus çranœque10dlstlYlCe ca •(2)
(1) Pourles elévt5. le mowement (est d'abord el naturellement l'Idée d'un dtplacement.MaiSce n'est pasQUeça, Voyons plus précisement comment Ils s'expruTlent et ce QU'Ils pensentdumouvement:
- 62:Ildes eleves interrogés utilisent. pour definlr le mowement. le verbe DOlJ98r" - 34lides @Iéves associent au mo<Nemenl 1'1ICUVllé at "" rapos Il plSSIVlté - 34li~s@Iévas attribuant una cause au mOU\lamant
- 2Slides elevas consldérenl la roowamenl at le repos comme deux contraires - 12lides eleves votent dans le mouvement une transformetlon, un processus
Lb elèves polIVlIloot disposer œ leurs cahiers QUI contenaient les lois du mouvement,
œs
exercices résolus, le compte rendu d'une expérience (mouvement d'un chariot sur un plan incliné avec les temps nécessaIresil
ce charIOt pour parcourIr 10, 40 et 90 cm)RESUL TAT "ON VOIT BIEN QUEÇAAUG~lENTE"
Les élèves se fient davantageilce Qu'ils voient Qu'aux formules! Seuls 4 élèves sur 42 osent affirmer Que la supposition
œ
Galilée est fausse(1) Voiciàtare d'exemple Quelques uns œ leurs commentaires: 'PlIIs la dIstance estgronœ,
1;xuJItif'éJtlûfl8IJ!lf1Ierdera. " "L~/tif'allûfl 81J{/I7I/!/7teIJVfur 1318 mesure qull yIJplu:;œ
1000fJ/1evr el cime le lemps dlmlflœ " ':J, /135 dIstances MIre les poJi71sIJ, li, C, d SOfII les mêmes, 1~/éralJim allÇll7efllera 1000000tJrsœ
mwe" 'II 135t vrlJl qœ léJ Vitesse 1JIIt)7I/!/7le krsqtJ'lly a VfIé! clivte, c'est-à-dIre queItraflératlOl7 va augmenter .. 'Z fJxélérallOl/dumolJlle éJlJÇfI7eflle mm JUsqu'à un rerlam pomt /lvisqu'aprris, le /ro118fl78f11 œ /'alr slalllifse SOfI xcilératl{);7" On ne peut Qu'être frappe par le nombre cl'erreurs que les élèves commettent dans leurs commentaires Remarquons Que ces erreurs relèvent preSQue toutes d'une ccnfusion entre Vitesse et occélératlOn et Que leur origine résl(il dans la représentatIOn essentiellement Visuelle Que les élèves ont clu mouvement D'une pllrt lis s'imllglnent la chute dans l'espllC€ et neIIIpensent pas en fonction du tem ps, d'autre part, ils se satlsfont d'une relation qualitative du type "plusIIIdistance parcourue augmente et plus la Vitesse augmente" Rien d'étonnant des lors qu'l1s éprouvent les plus granc1eS diffIcultés Il concevOir Que l'ocœlération est constante durant la chute (cela ne se VOlt pas1)et Qu'Ils pensent pour la plupart Que l'affIrmatIOndeGalilée est juste (l1s ne font pasdedistinction entre "plus la distance parcourue augmente et plusIIIvitesse lIugmente" et "la vitesse est proportionnellelila dIstance parcourue"),
OUATRIEME ENQUETE: A PROPOS DE CHALEUR
Nous avons interrOJé 118 élèves pour tenter d'établir le "profil"deleurs wnnalssances
ilpropos
œ
chaleur Nous lIVons notamment cherchéil
mettre en éviœnce iJdns leurs réponses le rôle respectif des connaIssances intuitives et des connalssences théorIQUes (temperature, Quantitédechaleur. chaleur massique et BqUlliore thermIque) VOICI pour Illustration troIsdesquest IOns Que nous leur lIVonspo~,
1. Yous manç.ez1//18PI.?2QQUIéJétimalflt8llJJeau clitJtJddlJns Ufl fOllr li 50'C La pa'te VOlJS /pptlraÎt-alledIJsslcIJaudJque las lœnal85,?POIJrQtKJI,'? .? U/18 vOllurs est sllltfOl/née'; l'ombre Œpufs VIIJiJlJr
SIl r:tJ{'rosserls at ses pneus SOfII-lls dtgtJl8fll8flt frolas,?POIIrquol?
3. YOLIS Stispatl(1J.? Stir voIre /)(Jla:YI œnbrage,ptIrune frOlœ IlJtJm88 d'hMIr, Ufle vesle
œ
Mel al une v135ta œ fllJlltJlle fJOI/r les lltirer, JlIJtJS plrtlZ un tllilrmœnalre dins IIIPiX/Je
mltirisureœ
c/NJ1JJe vesle. Les valsurs 1flf1lqueesparlas IlJarmOl7lt9lras dIX Ii8ures plus tardS8rOl/t-slles~/es,'?PlJtJrquoi,?
(1) La vitesse Instantaotedechute o'est pas proportionnelleà la distance parcourue :v'
.f2id
ou a est uoe constante (acceltratlool Par contre, elle est prOllorlionnelle au temps de chute'V'atRESULTAT. LES SENSATIONS PRIMENT
Quand les Questions portent sur les sensetlons (ex QUestIOn 1), les élèves fournissent une réponse correcte Lorsque les QuestIOns occeptent œux réponses selon Que l'on pense aux sen5<ltions ou aux températures (ex Question 2) les élèves se réfèrent major itairement aux sen5<ltlOns, cela les condUit a fournir en moyenne76~ œ réponses fausses aux Questions QUI, comme la QuestIOn3,font Intervenir la température. Ici encore, l'Homme veut être la mesure œ toUtfS choses. les élèves se substlluent en pensee au thermomètre et apportent une réponse QUi trlldult les sensations Qu'ils éprouveraient s'ils se trouvaientille place œ l'instrument.
CONCLUSION
Cesdliférentes enQuétes ont fait apparai tre la tendance élp:entrlQUe profonœ œ le pensée commune ainSI Qu'un
œs
modes Privilégiés œ son élaboretlon Dans la première enquête, nous dvons vu Que les eléves rMéralent spontanément diverses granœurs géométriquesileux et Qu'ils éprouvaientœ
la dlfficulteilconcevoir Queœs
Qualificatifs comme "petit" et "grand" n'avaient pas un caractere absolu. La œuxiéme enquête nous e montré Que les élèves référaient également le mouvementà
eux at QU1Jne concevaient pas àavantlqJ le caractère relaW œ ce œrnJer que celUIœs
adjectifs "petit" et "grand" cette enquête a en outre fait appllfaîlre l'importancedes constats Visuels etdesactIOns humaines dans le constructiondesconnaissances communes. Avec la trOISième enQuéte sont apparues les limites d'une représentation essentiellement \l1sualle et Qualitative du mouvement Finalement la Quatrième enquête 8 mis en évlœnce le rôle maJeur, dans le domaine œ la chaleur,desconnaissances élaborées sur la base œ constats senSiblesAu ter me œ cette Investigation, les Insuffisances ~ connalSS8nces intUitives -connaIssances fonœes sur les sensatIOns et empreintes d'élp:entrisme et d'anthropocentrisme-apparaissent clairement. La nécessité d'une Clécentratlon dans tout processus d'ecqulSltion œ connaissances objectives se fait sentir Cette œœntratlon n'exige pas Que l'on renonce aux perceptIOns etàl'intuition La SCience, comme le sens commun, fait touJours appel,ilun niveau oonne, aux Images intUitIVes pour représenter ses Objets d'etuOl Mels le recours systématiQUe