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ARTheque - STEF - ENS Cachan | Les sciences expérimentales ? Idéologie ou description ?

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Academic year: 2021

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LES SCIENCES EXPÉRIMENTALES !

IDÉOLOGIE OU DESCRIPTION ?

Gérard FOUREZ

Université de Namur

MOTS-CLÉS : EXPÉRIENCES - IDÉOLOGIE - REPRÉSENTATION –

DÉMARCHES SCIENTIFIQUES - TESTS THÉORIQUES – TESTS EXPÉRIMENTAUX

RÉSUMÉ : Selon le discours idéologique dominant, les sciences se caractérisent par leur caractère

expérimental. Ce qui se justifie car l’expérience y est proposée comme test ultime. Cependant, la majorité des tests opérés sont « théoriques » (confrontation avec les modèles scientifiques solidement établis). La communication souligne trois dimensions des démarches et représentations scientifiques qui mériteraient d’être mieux signifiées aux élèves : leur dimension théorique de représentation, leur standardisation, et leur fiabilité dans un certain champ.

SUMMARY : According to dominant ideology, experimentation characterizes science. This can be

justified as experimentation is the ultimate test in science. However most tests are theoretical i.e. a confrontation to well established results. This communication emphasizes three characteristics of science that should be explained to students : how theories represent reality, how they are standardized, and how, why and to what extend they can be trusted.

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1. INTRODUCTION AUX PROPOS IMPERTINENTS – MAIS PEUT-ÊTRE PERTINENTS – D’UN PHYSICIEN THÉORICIEN ÉPISTÉMOLOGUE

Que les sciences modernes soient expérimentales, voilà une assertion qui reçoit l’assentiment de pratiquement tout le monde. Mais si l’on demande ce que cela veut dire, l’échange devient plus difficile...

La première question que je désirerais soulever est celle de savoir à quel point cette thèse est descriptive et à quel point elle est idéologique - rappelons qu’on dit qu’un discours est fortement idéologique quand il vise principalement à motiver les gens, à légitimer des pratiques, tout en masquant le lieu dont il est issu et les intérêts qu’il sert. Au contraire on parle d’une démarche descriptive quand cette fonction idéologique est minimale. Alors, dire que les sciences sont expérimentales, est-ce une manière de décrire leur pratique, ou est-ce une façon de les légitimer ? Quelle est la relation qu’on postule entre théorie et expérience lorsqu’on insiste sur le caractère expérimental des sciences ?

2. CONTRE LES OBSCURANTISMES

Signalons d’abord une dimension idéologique historiquement importante de l’appel à l’expérience. En affirmant que les sciences sont expérimentales, on désigne l’expérience comme l’arbitre final des débats scientifiques. Par le fait même, on exclut de ce rôle les traditions culturelles ou religieuses. Dire qu’on veut que les sciences soient expérimentales, c’est prendre distance de ceux qui voudraient légitimer leur discours en se référant à des autorités, humaines ou divines. C’est l’expérience - et elle seule - qui est proclamée autorité. Et donc, espère-t-on, voila éliminés les obscurantismes anti-scientifiques ainsi que le désir enfantin que le monde se comporte selon nos envies ou nos rêves. Dire que les sciences sont expérimentales, c’est affirmer l’altérité du monde : les expériences témoignent de sa résistance à nos désirs chimériques et imaginaires. Ainsi, face à l’élève qui voudrait faire pousser une plante sans eau, l’appel à l’expérience consistera à répondre : “Essaie et conclus”. C’est l’expérience qui doit juger ; pas la référence à Aristote ou à la théologie. Ce discours sur le caractère expérimental des sciences - bien que fort idéologique - me paraît fondamentalement sain.

3. LES PRATIQUES SCIENTIFIQUES : D’ABORD EXPÉRIMENTALES OU D’ABORD THÉORIQUES ?

Malgré cet intérêt de qualifier les sciences d’expérimentales, il vaut la peine de se demander jusqu’à quel point cela se passe ainsi dans le travail scientifique. Jusqu’à quel point la référence première et fondamentale est-elle l’expérience (et quel genre d’expérience) ?

Dans les démarches scientifiques telles qu’elles se pratiquent (en opposition avec la description idéologique qu’on en donne) force est d’admettre que, face à la possibilité d’adopter un modèle pour décrire une situation, ce n’est pas d’abord à une expérience que des scientifiques songent, mais plutôt

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à la crédibilité du modèle. L’attitude critique commence par confronter ce modèle à des représentations théoriques solidement établies. Ainsi, si l’on me prétend qu’il y a 500 étudiants dans mon bureau, je ne ferai aucune expérience (un comptage) mais je refuserai cette représentation suite à une rapide réflexion théorique. C’est ainsi aussi que pratiquera un physicien à qui on propose un modèle qui supposerait qu’une particule se déplace plus vite que la lumière. Contrairement à ce que pourraient faire croire les discours idéologiques sur les sciences les tests les plus fréquemment pratiqués par les scientifiques ne sont pas expérimentaux, mais théoriques. Ce n’est que dans les cas où l’on ne parvient pas à résoudre le problème théoriquement qu’on fait appel à des expériences. C’est quand la théorie ne marche plus qu’on se déplace sur le terrain.

Après tout, ce n’est guère étonnant car le but des sciences est de permettre aux gens de « travailler » sur une représentation (le « modèle ») plutôt que sur le terrain. Il en va des représentations scientifiques comme des cartes routières (celles-ci sont d’ailleurs des représentations du territoire, c’est-à-dire des objets techniques pouvant remplacer le terrain dans une discussion ou une prise de décision ; une bonne carte - comme toute bonne représentation théorique - me permet de discuter rationnellement d’un itinéraire que je n’ai jamais vu !). Si quelqu’un me prétend qu’il est passé en voiture directement de tel village à tel autre, je n’irai pas sur le terrain pour vérifier (expérimentalement) si c’est possible : je consulterai ma (bonne) carte. Cela veut dire que je travaille d’abord sur la représentation théorique plutôt qu’expérimentalement. Ce n’est que si la carte n’est pas adéquate par rapport à mon projet que j’irai sur le terrain. De la même façon, les scientifiques commencent par « penser » le problème rencontré (travailler sur la représentation théorique) avant d’envisager de « descendre sur le terrain » et éventuellement de tenter une expérience. Celle-ci sera d’ailleurs réfléchie et négociée à partir de la théorie admise. Alors, les sciences sont-elles d’abord théoriques ou d’abord expérimentales ?

4. LES SCIENCES, PRODUCTIONS DE REPRÉSENTATIONS THÉORIQUES

On peut se demander si l’importance donnée au discours proclamant les sciences comme expérimentales ne reflète pas une certaine hésitation à reconnaître la dimension théorique des pratiques scientifiques. Après tout, faire des sciences n’est-ce pas d’abord inventer des représentations, c’est-à-dire inventer des théories ? Pour répondre à cette question examinons d’abord trois acceptions du terme « représentation ».

4.1 Les représentations-miroirs selon les positivistes empiriques

La première acception, sous-jacente à l’ouvrage de Sokal et Bricmont, est celle que le philosophe Rorty a critiquée. Elle rejoint assez facilement celle d’un positivisme empirique qui estime qu’on peut se représenter les choses telles qu’elles sont, et sans référence au « sujet » (individuel ou collectif) qui se construit sa manière de voir. Les bonnes représentations, dans cette perspective, sont le miroir des faits et « un fait est quelque chose qui se passe en dehors de nous et qui existe indépendamment de la connaissance que nous en avons et, en particulier, de tout consensus ou de toute interprétation »(Sokal

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& Bricmont, 1997, p. 96). Dans cette façon de considérer les choses, on ne tient guère compte de ce que l’observation est une manière de structurer le monde dans lequel nous nous trouvons jetés. Ni de l’intuition kantienne selon laquelle l’objectivité est construite. Ni de ce que, pour que j’aie une roue, il faut que j’interprète ce que j’ai devant moi comme « roue ». Ni de la thèse de Piaget pour qui « l’intelligence organise le monde en s’organisant elle-même » (Piaget, 1936, p. 111).

4.2 Les représentations ou les conceptions spontanées

La deuxième acception du terme « représentation » renvoie à l’image que nous avons de notre réalité (Moscovici, 1977). On se construit une représentation de ce qu’on vit, que ce soit de la famille, des technologies, de sa religion, des théories scientifiques, de la situation politique, etc. Ces représentations — que les didacticien(ne)s des sciences appellent parfois « conceptions » ou « représentations spontanées » — viennent « spontanément » à l’esprit. Cela revient à dire qu’elles sont intériorisées en chacune et chacun suite à des conditionnements sociaux. Ces représentations sont importantes parce que nos réactions face à notre environnement en dépendent. Par exemple, si des soldats se représentent leurs ennemis comme plus forts, ils prendront la fuite, même si leur vision est mal fondée. Quand on veut étudier ou influencer le comportement de nos semblables, leurs représentations comptent, qu’elles soient justes ou pas. C’est d’ailleurs ce qu’ont compris les didacticien(ne)s des sciences qui savent que les conceptions de leurs élèves sont coriaces et reviennent au galop dès que le cours de sciences est fini. D’autant plus que, en général, elles ont leur champ de pertinence. D’où les difficultés des enseignants qui veulent éradiquer les conceptions de leurs élèves comme certains missionnaires voulaient briser les idoles. Peut-être d’ailleurs l’objectif d’un cours de sciences n’est-il pas de convaincre de ce que les modèles scientifiques sont « vrais », mais plutôt qu’ils sont des représentations adéquates et fiables, dans certaines limites.

4.3 Les représentations comme lieu-tenants

La troisième façon d’utiliser le terme « représentation » n’a pas cette connotation péjorative que lui donne l’acception des sociologues, des psychologues et des didacticien(ne)s. Elle se réfère à une analyse de la connaissance qui distingue, chez les humains au moins, des savoirs dits représentatifs et d’autres dont on dit qu’ils ne le sont pas. Elle utilise le terme « représentation » comme le font les cartographes, les mathématiciens, les sociologues des sciences, les sciences politiques, etc. La représentation est alors ce qui peut tenir la place du terrain dans une discussion ou une prise de décision. L’exemple typique en est la carte routière. Elle est lieu-tenant du territoire dont, grâce à elle, on peut discuter sans y avoir mis le pied. Comme la carte, une représentation théorique n’est ni le terrain ni le reflet mais une construction technique qui peut, si on sait l’utiliser, remplacer le complexe par du plus simple. C’est ainsi qu’il en est de l’équation du mouvement d’un satellite, d’un rapport remis à un conseil d’administration, des livres scientifiques, du dossier médical d’un patient, ou d’un plan d’un moteur de voiture. Ces représentations sont des objets distincts de nos corps sur lesquelles on peut travailler sans se rendre sur le « terrain », mais en en tirant des informations relatives à celui-ci (à condition évidemment d’avoir été formé à l’usage de ces représentations). Selon cette façon de voir, les théories ne sont pas de vagues entités mentales : ce sont, comme les cartes routières et les rapports

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écrits, des objets techniques destinés à re-présenter (tenir la place) des aspects du monde.

5. ET FAIRE DES SCIENCES, QU’EST-CE ? TROIS AXES DE RÉPONSE !

5.1 Le primat de la théorie ou les sciences comme invention de modèles

On peut décrire l’activité scientifique à partir de la troisième conception des représentations : faire des sciences, ce serait d’abord inventer des représentations. Remarquons aussi que les représentations ainsi produites ont en commun avec les cartes routières qu’elles ne sont nullement un miroir du terrain. Une carte n’a pas de ressemblance avec le terrain : elle ne fait que le représenter (comme d’ailleurs les mots n’ont aucune ressemblance avec les choses qu’ils représentent). Ce processus de représentation n’essaie d’ailleurs pas de capter tout ; il fonctionne par sélection. De la même façon que la description de ce qu’on observe sélectionne ce dont il paraît important de tenir compte, le modèle scientifique sélectionne. Et, de même qu’il y a une infinité de cartes valables pour un même territoire, il y a une infinité de façon de modéliser une situation. Vue de ce côté, on n’est guère tenté de dire que la caractéristique principale des sciences est la pratique expérimentale : cela paraît plutôt être la modélisation ou la conceptualisation. Les sciences apparaissent alors comme éminemment théoriques.

5.2 Les sciences comme fiables pour des projets : le pôle expérimental

Mais toutes les représentations ne se valent pas (pas plus que toutes les cartes ne se valent). D’abord, leur valeur ne peut se penser qu’en relation avec des projets. C’est encore comme les cartes : pour trouver son chemin en voiture, on ne prendra pas la même carte que pour trouver un gisement de charbon. Ensuite, on veut qu’une représentation (tout comme à une carte) soit fiable. Et c’est pur ça qu’on fait des tests théoriques (compatibilité avec d’autres modèles qu’on considère comme sûrs) et expérimentaux (fonctionnement satisfaisant de la représentation). C’est dans ce sens qu’on peut dire que les sciences sont expérimentales.

5.3 Les sciences comme productrices de modèles standardisés

N’importe quel modèle fiable ne satisfera pas la communauté scientifique. Les représentations que gardera celle-ci devront être suffisamment standardisées. Ici encore la comparaison avec les cartes est utile. Parmi l’infinité de cartes possible, celles qui sont suffisamment standardisées ont un avantage car on en maîtrise plus facilement l’usage. Une certaine standardisation donne d’ailleurs une plus-value à n’importe quelle technologie (qu’on songe par exemple à la standardisation de la disquette de trois pouces et demi). La chimie aussi a fortement avancé grâce à la standardisation impliquée dans le tableau de Mendeleïev. Et qu’on pense aussi à la standardisation de la notion de force impliquée dans l’équation de Newton. Les sciences ne visent donc plus que des représentations fiables ; elles les veulent standardisées.

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6. CONCLUSION

Alors, en fin de compte, les sciences sont-elles ou non expérimentales ? C’est, me semble-t-il, une de leurs dimensions. Mais il y en a au moins deux autres, importantes et trop souvent négligées dans les discours des enseignants : 1. Les sciences sont aussi des pratiques d’invention de représentations théoriques tenant la place du terrain, et 2. elles visent une certaine standardisation des savoirs.

BIBLIOGRAPHIE

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MOSCOVICI S., Histoire humaine de la nature, Paris : Flammarion, 1977.

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