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Définir le rôle du Canada dans un monde en mutation : les parlementaires canadiens face à la fin de la guerre froide et la dissolution de l'Union soviétique, 1989-1991

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Texte intégral

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Définir le rôle du Canada dans un monde en mutation

:

les parlementaires canadiens face à la fin de la guerre

froide et la dissolution de l'Union soviétique, 1989-1991

Mémoire

Félix Leblanc-Savoie

Maîtrise en histoire - avec mémoire

Maître ès arts (M.A.)

Québec, Canada

(2)

Définir le rôle du Canada dans un monde en

mutation

Les parlementaires canadiens face à la fin de la guerre

froide et la dissolution de l’Union soviétique, 1989-1991

Mémoire

présenté à la Faculté des études supérieures et postdoctorales de l’Université Laval dans le cadre du programme de maîtrise en histoire

Félix LeBlanc-Savoie

Sous la direction de :

Martin Pâquet, directeur de recherche

Université Laval

2019

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ii

RÉSUMÉ

En 1989, la politique du gouvernement progressiste-conservateur de Brian Mulroney vis-à-vis de l’Union soviétique se trouve à la croisée des chemins. La politique réformatrice de Mikhaïl Gorbatchev, arrivé à la tête de l’URSS en 1985, provoque un changement de politique de ce gouvernement, réclamé à plusieurs reprises par les parlementaires de l’Opposition. Lors du premier semestre de 1990, les parlementaires canadiens conduisent une vaste étude sur l’avenir des relations entre le Canada et l’Europe, Union soviétique incluse. Si la philosophie générale des conclusions de cette étude diffère de celle de la politique choisie par le gouvernement Mulroney, ce dernier reprend une partie des recommandations des parlementaires. La fin de l’année 1990 marque le début du dépassement de la guerre froide et d’une coopération Est-Ouest renouvelée que les parlementaires canadiens approuvent. Toutefois, l’année 1991 voit se succéder plusieurs crises sur lesquelles ils doivent prendre position et, par la suite, mesurer les conséquences de la dissolution à plus ou moins brève échéance de l’Union soviétique au cours des derniers mois de 1991. Au cours de leurs débats, deux options se font face : suivre une politique semblable à celle des États-Unis ou bien remettre en valeur la tradition internationaliste et multilatérale de la politique étrangère canadienne.

(4)

iii

TABLE DES MATIÈRES

Résumé ... ii

Liste des acronymes ... v

Remerciements ... vi

INTRODUCTION ... 1

CHAPITRE I – L’HÉRITAGE FACE AU RENOUVEAU : LES PERSPECTIVES DES PARLEMENTAIRES À LA VEILLE DE LA CHUTE DU MUR DE BERLIN, 1989 ... 17

La politique soviétique du gouvernement Mulroney depuis 1984 ... 17

Les relations Est-Ouest à l’arrivée au pouvoir des progressistes-conservateurs ... 17

Une normalisation marquée par beaucoup de prudence, 1985-1989 ... 21

Le Parti libéral et le Nouveau Parti démocratique ... 28

Les libéraux, ou comment dépasser l’héritage de Pierre Elliott Trudeau ... 28

Le Nouveau Parti démocratique ... 33

L’année 1989 : le tournant ... 36

L’OTAN et les questions stratégiques, avril-mai 1989 ... 36

Le tournant en marche, mai-octobre 1989 ... 41

Le nouveau départ des relations canado-soviétiques, novembre-décembre 1989 ... 46

CHAPITRE II – IMAGINER ET RÉALISER LA SORTIE DE LA GUERRE FROIDE, 1990 ... 54

La conférence « Ciels ouverts » et ses implications, janvier-février 1990 ... 54

Les essais de missiles de croisière ... 54

Le Livre blanc de 1987 et l’effort de défense canadien en Europe ... 55

La conférence « Ciels ouverts » et les premiers pas vers la réunification allemande ... 56

Le réexamen de la politique soviétique et est-européenne du Canada, février-juillet 1990 . 59 L’examen gouvernemental et l’étude du Comité des Affaires étrangères de la Chambre des communes : un état des lieux ... 59

L’étude du Comité et les développements en Europe ... 62

La publication de la nouvelle politique gouvernementale et du rapport du Comité des Affaires étrangères ... 65

(5)

iv

La remise en valeur du multilatéralisme, septembre-décembre 1990 ... 80

L’approche progressiste-conservatrice : la « sécurité coopérative » ... 81

Le sommet de la CSCE de Paris ... 82

La création de la Banque européenne pour la reconstruction et le développement ... 86

CHAPITRE III – TRAITER AVEC UNE SUPERPUISSANCE AUX ABOIS : LES PARLEMENTAIRES FACE À LA DISSOLUTION DE L’UNION SOVIÉTIQUE, 1991 ... 90

L’intervention soviétique dans les pays baltes et ses répercussions, janvier-juin 1991 ... 90

L’intervention et ses conséquences immédiates ... 90

Les suites de l’intervention ... 95

Les effets collatéraux de l’intervention ... 97

La dissolution de l’Union soviétique, juillet-décembre 1991 ... 99

Le sommet du G-7 de Londres et le coup d’État d’août 1991 ... 99

Au retour de l’été : rattraper le temps perdu ... 102

Apporter une aide immédiate au milieu d’une situation chaotique ... 107

La création de la Communauté des États indépendants ... 112

Un cas emblématique : l’indépendance de l’Ukraine... 116

CONCLUSION ... 123

(6)

v

LISTE DES ACRONYMES

ACDI : Agence canadienne de développement international ALE : Accord de libre-échange Canada-ÉU

BERD : Banque européenne pour la reconstruction et le développement CEE : Communauté économique européenne

CEI : Communauté des États indépendants

COCOM: Coordinating Committee for Multilateral Export Controls CSCE : Conférence sur la sécurité et la coopération en Europe FCE : Forces conventionnelles en Europe

FMI : Fonds monétaire international

FNI : Forces nucléaires à portée intermédiaire G-7 : Groupe des Sept

GATT : Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce (General Agreement on

Tariffs and Trade)

IDS : Initiative de défense stratégique KAL : Korean Air Lines

MBFR : Mutual and Balanced Forces Reductions

NORAD : Commandement de la défense aérospatiale de l’Amérique du Nord NPD : Nouveau Parti démocratique

OCDE : Organisation de coordination et de développement économique ONU : Organisation des Nations Unies

OTAN : Organisation du traité de l’Atlantique Nord PCUS : Parti communiste de l’Union soviétique RDA : République démocratique allemande RFA : République fédérale d’Allemagne

SALT : Strategic Arms Limitation Talks ou Strategic Arms Limitation Treaty START : Strategic Arms Reduction Treaty

TNP : Traité de non-prolifération

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vi

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vii

REMERCIEMENTS

Il est certain qu’un travail de longue haleine comme ce mémoire n’aurait pas été possible sans l’aide et les conseils précieux de plusieurs personnes. Je tiens d’abord à remercier mon directeur de maîtrise, Martin Pâquet, pour son aide, ses conseils et ses encouragements qui m’ont permis de mener à terme ce projet. Travailler sous sa direction m’a aidé à ouvrir mes perspectives historiques et à me familiariser avec le travail de l’historien.

Je tiens aussi à adresser un merci tous spécial à mes parents, Noëlla et Carol, pour leur soutien indéfectible au cours de ce long processus. Eux et ma famille en général ont toujours eu un intérêt tout particulier pour l’histoire et c’est sans doute à eux que je leur dois cet intérêt, devenue désormais une vocation.

Je souhaite également remercier tous les professeurs que j’ai côtoyés lors de mon parcours académique à l’Université Laval.

Je veux enfin remercier mes amis, historiens ou non, tout comme mes camarades de maîtrise. Bien que le travail d’historien soit souvent un travail solitaire, vous me rappelez sans cesse l’importance d’être bien entouré pour mener à son terme un travail d’une telle ampleur.

(9)

1

INTRODUCTION

L’année 1989 est une année charnière dans l’histoire des relations internationales depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. De nouveaux enjeux prennent leur place dans l’ordre du jour du moment : la réunification de l’Allemagne, l’avenir de la construction européenne, l’évolution des relations Est-Ouest, etc. En parallèle de ces enjeux, la question de l’avenir de l’Union soviétique se pose aussi. 1989 est une année cruciale pour Mikhaïl Gorbatchev, qui fait face à une dynamique contradictoire. D’une part, sa « nouvelle pensée » en matière de relations internationales1

permet un rapprochement marqué entre l’Est et l’Ouest. Ce rapprochement contribue à débloquer les négociations portant sur les questions évoquées plus haut et sur d’autres, comme le contrôle des armements nucléaires et conventionnels. D’autre part, les réformes qu’il a lancées dans son pays commencent à connaître des difficultés et à provoquer du mécontentement au sein de la société soviétique. Ces difficultés alimentent aussi les revendications nationalistes à l’intérieur des républiques soviétiques.

L’apparition des enjeux de l’après-guerre froide et l’avenir de l’Union soviétique – en particulier celui des réformes en cours – force les grandes puissances à redéfinir leurs politiques à l’égard de la superpuissance communiste. Ces développements n’intéressent pas seulement les grandes puissances. Ils intéressent aussi des pays qui, sans avoir les ressources et les capacités de ces pays, veulent revoir leurs relations avec l’Union des républiques socialistes soviétiques (URSS) et définir leur rôle dans ce nouvel ordre international. Un de ces pays est le Canada. Il est possible de présumer que le Canada est bien placé pour entretenir de bonnes relations avec l’Union soviétique. Or, au moment des événements de 1989, certains éléments peuvent nous porter à nuancer cette impression. D’abord, le Canada est membre de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN) depuis sa fondation en 1949. Cette alliance militaire dirigée contre l’Union soviétique, et

1

Jacques Lévesque, 1989 la fin d’un empire : l’URSS et la libération de l’Europe de l’Est. Paris, Presses de la Fondation nationale des sciences politiques, 1995, p. 29-72.

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2

dont le Canada a joué un rôle substantiel au moment de sa création2, est sous le patronage des États-Unis. L’arrivée des progressistes-conservateurs de Brian Mulroney au gouvernement en 1984 est le point de départ d’un rapprochement canado-américain, dont la manifestation la plus marquante est la signature de l’Accord de libre-échange (ALE) en 1989. Au-delà des membres du gouvernement, les parlementaires siégeant à la Chambre des communes et au Sénat se demandent eux aussi quel sera l’avenir de l’Union soviétique, que peut faire le Canada pour aider l’URSS et quelle sera sa place dans ce nouvel ordre international.

Bilan historiographique

La politique étrangère du Canada sous le mandat de Brian Mulroney, 1984-1993

Pour bien saisir la politique du gouvernement de Brian Mulroney envers l’Union soviétique, il faut la replacer aux côtés des autres initiatives de ce gouvernement concernant la politique étrangère du Canada. Il existe à ce sujet un consensus largement partagé par les chercheurs qui étudient cette période. Ceux-ci considèrent qu’il y a eu sous le gouvernement Mulroney une réévaluation de nos relations avec les États-Unis et un rapprochement avec Washington. Ce rapprochement a pour jalon, encore aujourd’hui, la signature de l’Accord de libre-échange en 1988. Les motivations autour de ce rapprochement sont aussi bien définies : une volonté de rupture de la part de Brian Mulroney envers les politiques menées par son prédécesseur libéral, Pierre Elliott Trudeau.

Si la réalité de ce rapprochement fait consensus, il y a toutefois un débat entre les spécialistes pour savoir jusqu’à quel degré ce rapprochement avec les États-Unis a affecté la politique étrangère canadienne. Les interprétations données sur la ligne générale de la politique étrangère du gouvernement Mulroney se regroupent, comme le rappelle John Kirton, autour de trois modèles explicatifs3. Une première interprétation qualifiée « d’internationalisme constructif » veut que, même s’il a opéré un rapprochement avec les

2 Joseph T. Jockel et Joel J. Sokolsky, « Canada and NATO : Keeping Ottawa in, expenses down, criticism

out… and the country secure », International Journal, vol. 64, n° 2 (printemps 2009), p. 315-336.

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3

États-Unis, le gouvernement Mulroney ait maintenu une politique internationaliste à la mesure de son statut de puissance moyenne et en restant fidèle à la tradition politique canadienne. Cette interprétation est défendue entre autres par Tom Keating4, Costas Melakopides sous ce vocable précis5 ainsi que par Nelson Michaud et Kim Richard Nossal6. Qualifiée de « continentaliste » et défendue notamment par Norman Hillmer et Jack L. Granatstein7 ainsi que par Arthur Andrew8, une deuxième thèse veut que le Canada se soit éloigné de sa politique traditionnelle afin de faciliter ce rapprochement avec Washington. Selon eux, cet éloignement a abouti à l’effacement du Canada sur la scène mondiale et à la soumission aux États-Unis. Enfin, qualifiée en anglais par le terme « assertive globalism » et soutenue notamment par Andrew F. Cooper9

et par John Kirton10, une troisième interprétation postule que le rapprochement avec Washington est seulement une initiative à la marge d’une politique de portée globale menée par ce gouvernement pour faire du Canada un joueur de premier plan dans la politique mondiale et un leader international.

Les relations entre le Canada et l’Union soviétique, 1985-1991

Bien que les relations canado-américaines occupent un rang très élevé dans les priorités d’Ottawa en matière de relations extérieures, il ne faut pas oublier que le Canada entretient aussi des relations diplomatiques avec l’autre superpuissance de la guerre froide, soit l’Union soviétique. Toutefois, cette relation est traitée de façon sommaire, de quelques lignes à un paragraphe, par plusieurs des auteurs nommés jusqu’à maintenant. De plus,

4 Tom Keating, Canada and World Order: The Multilateralist Tradition in Canadian Foreign Policy, 3e

édition, Toronto, Oxford University Press, 2012 (1993), p. 134-24.

5

Costas Melakopides, Pragmatic Idealism: Canadian Foreign Policy, 1945-1995, Montréal, McGill-Queen’s University Press, 1998, p. 129-163.

6 Nelson Michaud et Kim Richard Nossal, « Diplomatic Departures? Assessing the Conservative Era in

Foreign Policy », Nelson Michaud et Kim Richard Nossal, dir. Diplomatic Departures: The Conservative Era

in Canadian Foreign Policy, 1984-1993, Vancouver, UBC Press, 2001, p. 290-295, coll. « Canada and

International Relations », 14.

7 Norman Hillmer et Jack L. Granatstein, Empire to Umpire: Canada and the World to the 1990s, Toronto,

Copp Clark Longman, 1994, p. 313-342.

8 Arthur Andrew, The Rise and Fall of a Middle Power: Canadian Diplomacy from King to Mulroney,

Toronto, James Lorimier & Company, 1993, p. 157-182.

9 Andrew F. Cooper, Canadian Foreign Policy: Old Habits and New Directions, Scarborough, Prentice Hall

Allyn and Bacon Canada, 1997, 304 p., coll. « Prentice Hall Canada Foreign Policy Series ».

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4

ceux-ci arrêtent leur analyse à l’année 1989, lors de la chute du mur de Berlin. L’année 1991 est parfois mentionnée : le coup d’État raté visant Mikhaïl Gorbatchev a soulevé beaucoup de réactions, y compris au Canada.

Ces moments sont tout de même justifiés à la lecture d’études spécialisées portant sur les relations entre le Canada et l’URSS. Deux types d’études se distinguent. Le premier type regroupe les études de ceux qui se livrent à une analyse des relations bilatérales entre Ottawa et Moscou pour y déceler les tendances de fond à l’œuvre dans la politique du gouvernement Mulroney. Citons à titre d’exemples les articles de Kim Richard Nossal11

et d’André Donneur12

ainsi qu’un chapitre rédigé par Leigh Sarty13 portant sur la politique étrangère générale du gouvernement Mulroney et un article de W.M. Dobell consacré à la politique de défense canadienne14. Le point commun de leurs analyses est le suivant : le tournant de la politique canadienne envers l’Union soviétique se situe en 1989. Ils divergent toutefois sur les raisons de ce tournant. Pour K. R. Nossal, A. Donneur et W. M. Dobbel, il s’agit d’un changement de perception de la part du gouvernement Mulroney sur le sérieux des réformes entreprises par Mikhaïl Gorbatchev. Pour L. Sarty, la fin des négociations de l’Accord de libre-échange avec les États-Unis permet au gouvernement Mulroney de se pencher désormais sur d’autres dossiers, dont l’Union soviétique. Le second type regroupe les recensions des politiques poursuivies par Brian Mulroney et ses ministres. Nous pouvons y inclure les volumes de la série Canada Among Nations, série dirigée par la

Norman Patterson School of International Affairs de l’Université Carleton. Dans le cadre

de cette recherche, nous avons retenu les études traitant de l’Union soviétique et de l’Europe de l’Est dans les tomes consacrés à l’année 198915

et aux années 1990-199116. En

11

Kim Richard Nossal, « The Politics of Circumspection: Canadian Policy towards the USSR, 1985 to 1991 », Revue internationale d’études canadiennes, vol. 9 (printemps 1994), p. 25-42.

12 André Donneur, « La politique du Canada à l’égard de l’URSS : de la rigidité à l’ouverture », Revue

internationale d’études canadiennes, vol. 9 (printemps 1994), p. 197-218.

13 Leigh Sarty, « A Rivalry Transformed : Canadian-Soviet Relations to the 1990s », J. L. Granatstein, dir.

Canadian Foreign Policy: Historical Readings, édition révisée, Toronto, Copp Clark Pitman, 1993 (1986),

p. 300-318, coll. « New Canadian Readings ».

14

W. M. Dobbel, « Soviet Relations and Canadian Defence », International Journal, vol. 46, n° 3 (été 1991), p. 536-565.

15 Maureen Appel Molot et Fen Osler Hampson, dir., Canada Among Nations 1989 : The Challenge of

Change, Ottawa, Carleton University Press, 1990, 243 p.

16

Fen Osler Hampson et Christopher J. Maule, dir., Canada Among Nations 1990-91 : After the Cold War, Ottawa, Carleton University Press, 1991, 280 p.

(13)

5

plus de faire la recension des annonces du gouvernement, les auteurs se livrent aussi à une analyse de celles-ci. Nous avons aussi retenu la Chronique des relations extérieures du

Canada et du Québec, tenue par Hélène Galarneau et Manon Tessier dans la revue Études internationales. Cette recension s’appuie sur les discours et déclarations issus des différents

ministères impliqués et sur plusieurs articles de journaux.

Pour compléter, et pour avoir le point de vue de l’Union soviétique sur la politique du gouvernement Mulroney, il faut nous reporter à l’ouvrage rédigé par Joseph Laurence Black portant sur la perspective de l’URSS concernant les relations canado-soviétiques depuis 191717.

Le Parlement parmi les déterminants de la politique étrangère du Canada

Pour comprendre la place occupée par les parlementaires dans l’élaboration de la politique étrangère canadienne, il faut définir les autres institutions qu’ils côtoient. Un outil essentiel dans le domaine reste l’étude intitulée Politique internationale et défense au

Canada et au Québec18, sous la direction de Kim Richard Nossal, Stéphane Roussel et Stéphane Paquin. Dans leur ouvrage, ils identifient trois autres institutions qui ont un rôle à jouer dans la politique étrangère canadienne : le premier ministre19, le Cabinet et la fonction publique. Ils identifient non seulement les acteurs, mais aussi leurs forces et leurs faiblesses. En ce qui concerne le Parlement, ils reconnaissent que ce n’est pas l’institution sur laquelle repose l’essentiel du processus de décision. Par contre, ces auteurs décèlent aussi certains atouts que les parlementaires savent user, dont l’organisation des travaux du Parlement – période des questions, débats, motions, etc. –, le travail en comité parlementaire et le fait de disposer d’un accès privilégié aux ministres concernés20. D’autres auteurs, dont John English, s’intéressent aux parlementaires eux-mêmes et aux

17 Joseph Laurence Black, Canada in the Soviet Mirror: Ideology and Perception in Soviet Foreign Affairs,

1917-1991, Ottawa, Carleton University Press, 1998, 466 p.

18

Kim Richard Nossal et al, Politique internationale et défense au Canada et au Québec, (traduction et adaptation de la 3e édition), Montréal, Presses de l’Université de Montréal, 2007, 646 p.

19 Andrew F. Cooper précise à ce sujet que le premier ministre occupe une place de plus en plus importante

dans l’élaboration de cette politique par l’intermédiaire du Bureau du premier ministre et du Bureau du Conseil privé. Cooper, op.cit., p. 50-53.

(14)

6

raisons les empêchant de se pencher sur les questions de politique étrangère21. Il faut tout de même tenir compte des remarques de Gerald J. Schmitz22 ainsi que de Brian Bow et David Black23 sur le peu d’intérêt porté par les chercheurs sur le Parlement et ceux qui y siègent en matière de politique étrangère jusqu’à une période relativement récente.

Il ne faut pas oublier que les parlementaires se regroupent à l’intérieur des partis politiques. Quelques auteurs se sont penchés sur les politiques qu’ils défendent au Parlement et en particulier à la Chambre des communes, puisque les membres du gouvernement sont généralement issus de cette assemblée. En ce qui concerne la période de la guerre froide, les auteurs admettent qu’il existe entre les différents partis politiques – au moins entre les libéraux et les progressistes-conservateurs – des programmes politiques différents en matière de politique étrangère24, de défense25 et de commerce26. Toutefois, si ces divergences existent, ces partis s’accordent néanmoins autour d’un consensus sur le rang et la place que le Canada doit occuper tout au long de la guerre froide, en particulier en matière de défense27. Selon ces auteurs, ce consensus s’explique par la nature bipartite de la joute politique canadienne et la position géographique du Canada dans le monde, position qui l’éloigne des lieux de conflits et de tensions28.

Enfin, bien que les facteurs externes sont importants et doivent être pris en compte dans la politique étrangère, il ne faut pas négliger les facteurs internes. Comme le rappelle Pierre Milza, il faut considérer « la politique intérieure des États comme l’une des

21 John English, « The Member of Parliament and Foreign Policy », Duane Bratt et Christopher Kukucha, dir.,

Readings in Canadian Foreign Policy: Classic Debates and New Idea, 2e éd., Oxford, Oxford University Press, 2011, p. 228-235.

22 Gerald J. Schmitz, « Les livres blancs sur la politique étrangère et le rôle du Parlement du Canada. Un

paradoxe qui n’est cependant pas sans potentiel », Études internationales, vol. 37, n° 1 (2006), p. 94.

23

Brian Bow et David Black, « Does Politics Stop at the Water’s Edge in Canada? Party and Partisanship in Canadian Foreign Policy », International Journal, vol. 64, n° 1 (hiver 2008/2009), p. 8-9.

24 Ibid., p. 7-27.

25 Brian Bow, « Parties and Partisanship in Canadian Defence Policy », International Journal, vol. 64, n° 1

(hiver 2008/2009), p. 67-88.

26 Paul Gecelovsky et Christopher Kukucha, « Much Ado About Parties: Conservative and Liberal

Approaches to Canada’s Trade Policy with the United States », International Journal, vol. 64, n° 1 (hiver 2008/2009), p. 29-45.

27

Bow, op. cit., p. 73.

(15)

7 principales clés d’explication du jeu international29

. » Les parlementaires n’évoluent pas dans une bulle coupée du monde : plusieurs groupes et facteurs peuvent influencer l’élaboration et la poursuite de la politique étrangère canadienne. Outre le Parlement et les partis politiques, John Kirton range dans cette catégorie les gouvernements provinciaux ; les représentants du monde des affaires, des syndicats et des groupes d’intérêts, dont les groupes ethniques ; le monde du savoir ; les médias et enfin l’opinion publique30

. Pour conclure, et pour préciser le rôle que les groupes ethniques peuvent avoir, il faut rappeler que le Canada compte une proportion non négligeable de ses citoyens qui sont issus des communautés en provenance de l’Union soviétique. L’influence potentielle de ces communautés durant les deux mandats de Brian Mulroney a été étudiée par Roy Norton31.

Problématique

Dans le cadre de ce mémoire, se pencher sur les parlementaires canadiens face à la fin de l’Union soviétique est pertinent, et ce sur deux plans. Autant par leur implication sur ce sujet durant les travaux parlementaires que par leurs contacts – pour plusieurs d’entre eux – avec les membres des communautés culturelles ayant des liens avec l’URSS, les parlementaires sont au contact de cet enjeu de portée mondiale. Or, leur perspective sur cette question a été très peu étudiée jusqu’à maintenant. Dès lors, l’objectif de ce mémoire est de se pencher sur la représentation, dans leurs discours, des parlementaires canadiens des événements qui se déroulent en Union soviétique entre 1989 et 1991.

Dans le sillage de cette problématique, et appuyée par les lectures présentées dans le bilan historiographique, le mémoire pose aussi comme question la place que les parlementaires assignent au Canada dans cette période de transition des relations internationales. Celle-ci se décline de plusieurs façons. D’abord, comment les parlementaires se représentent-ils l’avenir des relations Est-Ouest et le rôle que le Canada

29

Pierre Milza, « Politique intérieure et politique étrangère », René Rémond, dir., Pour une histoire politique, Paris, Seuil, 1996 (1988), p. 316.

30 Kirton, op. cit., p. 227-242.

31 Roy Norton, « Ethnics Groups and Conservative Foreign Policy », Nelson Michaud et Kim Richard Nossal,

dir., Diplomatic Departures : The Conservative Era in Canadian Foreign Policy, 1984-1993, Vancouver, UBC Press, 2001, p. 241-259, coll. « Canada and International Relations », 14.

(16)

8

doit y jouer ? Quelles institutions doivent-ils favoriser dans cette évolution ? Ensuite, comment se représentent-ils l’avenir des relations bilatérales entre le Canada et l’Union soviétique ? Enfin, vu l’importance que le gouvernement progressiste-conservateur accorde à l’allié américain, étant donné aussi de l’ancrage du parti dans l’ouest du Canada, est-ce que ce rapprochement avec Washington pèse dans la perspective des parlementaires ? Est-ce un atout ou un fardeau ?

Concepts

Pour bien reconnaître ce qui lie les propositions des parlementaires au sujet de la politique étrangère canadienne concernant l’URSS, il faut se rapporter aux principaux cadres d’interprétation portant sur la politique étrangère canadienne en général. Deux d’entre eux ont été retenus dans le cadre de cette recherche. Le premier est celui de l’internationalisme libéral32

. John Kirton nous fournit l’architecture théorique générale de cette approche33. Celle-ci considère la diplomatie canadienne comme une diplomatie active de portée internationale, s’appuyant autant sur les intérêts nationaux que sur des valeurs de portée universelle. Cette diplomatie cherche à créer des coalitions dans les institutions existantes reposant sur le consensus pour mener à bien ses objectifs et limiter les tentations unilatérales des grandes puissances. Enfin, l’internationalisme libéral promeut un ordre international fondé sur une certaine institutionnalisation, une approche multilatérale34 et une réforme incrémentale des institutions internationales. Le rang qui lui est souvent accolé est celui d’une puissance moyenne. Quant à eux, Charles-Philippe David et Stéphane

32

Cette interprétation est celle qui est la plus répandue dans le champ des études sur la politique étrangère canadienne. Cette appréciation est partagée par des chercheurs de toutes tendances, y compris ceux qui sont plus critiques envers ce concept. Voir à ce sujet Kirton, op. cit., p. 29-45 ; Nossal et al., op cit., p. 119-123 ; Cooper, op.cit., p. 19-22 et André Donneur, Politique étrangère canadienne, Montréal, Guérin Universitaire, 1994, p. 1-3.

Il est question aussi d’internationalisme « pearsonien », du nom de Lester B. Pearson, diplomate canadien, secrétaire d’État aux Affaires extérieures entre 1948 et 1957 et premier ministre entre 1963 et 1968. Pearson, ainsi que Louis St-Laurent et Escott Reid, ont grandement contribué à la conceptualisation de cet internationalisme et, concrètement, à la création de l’ONU et de l’OTAN. Nossal et al., op cit., p. 257-260.

33 Kirton, op. cit., p. 227-242.

34 Tom Keating rappelle ce que le multilatéralisme implique : « Multilateral diplomacy involves working with

coalitions of states, primarily but not exclusively within formal associations or institutions, to acheive foreign policy objectives. It also implies a willingness to maintain solidarity with these coalitions and to maintain support for these institutions. » Keating, op. cit. p. 4.

(17)

9

Roussel nous donnent l’application pratique de cette approche35

. Ils expliquent ce qui constitue le « style puissance moyenne » : une politique fondée sur la médiation et la conciliation qui vise à assurer la stabilité du système international, à offrir son expertise dans des domaines précis et dont la méthode privilégiée est le multilatéralisme. Ils expliquent aussi ce que cette politique signifie dans le contexte de la guerre froide. Le Canada joue ainsi le rôle de médiateur entre l’Est et l’Ouest36

– surtout à l’intérieur du camp occidental – et de joueur important dans le domaine du contrôle des armements, des droits de la personne et de la coopération humanitaire.

Quant à la définition de l’adjectif « libéral », nous nous référons à la description donnée par Kim Richard Nossal, Stéphane Roussel et Stéphane Paquin. L’internationalisme libéral s’appuie sur des valeurs issues du libéralisme politique, dont la paix, la liberté, la justice et la démocratie. Pour mettre ces valeurs en pratique, cette interprétation favorise la primauté du droit, le rôle des institutions internationales comme mécanisme de gouvernance et de résolution des différents et la promotion du développement et des échanges économiques entre pays. Une telle définition de l’internationalisme explique l’ancrage occidental affirmé du Canada pendant la guerre froide, ajoutent ces auteurs. Ceux-ci identifient aussi les motivations derrière la poursuite d’une telle politique : établir le caractère distinct du Canada face aux politiques plus « réalistes » des grandes puissances, à commencer par les États-Unis, et diversifier les contacts diplomatiques du pays pour éviter de se retrouver seul face aux Américains37.

L’interprétation concurrente à l’internationalisme libéral la plus répandue part d’un tout autre postulat, soit celui d’une plus grande proximité avec les États-Unis. Cette interprétation prend un sens particulier lorsqu’il s’agit d’étudier les mandats de Brian Mulroney. Au cours de ceux-ci, le premier ministre a souvent été critiqué sur ce point38. Cette interprétation s’articule en deux volets. Le premier est que l’idée continentaliste

35 Charles-Philippe David et Stéphane Roussel, « Une espèce en voie de disparition ? La politique de

puissance moyenne du Canada après la guerre froide », International Journal, vol. 52, n° 1 (hiver 1996/1997), p. 42-53.

36 Il faut tout de même préciser que ce rôle de médiateur, et plus largement la diplomatie canadienne, est plus

efficace lorsque le degré d’intensité de la guerre froide est plus faible. Sarty, op. cit. p. 15.

37

Nossal et al., op cit., p. 256-257.

(18)

10

concernait d’abord la politique commerciale canadienne39

. Cette approche pose comme élément de départ le fait que les États-Unis sont sur plusieurs plans – mais principalement celui du commerce – le principal partenaire du Canada. Le continentalisme postule qu’une coopération de plus en plus étroite entre Ottawa et Washington dans des domaines nombreux est bénéfique pour le Canada. Le souci de conserver de bonnes relations avec les États-Unis peut être conçu comme un impératif. Cet impératif est toutefois assimilé par plusieurs comme un gage de loyauté qui, au final, porterait ombrage aux intérêts canadiens. Là encore la question de l’identité canadienne – voire du sentiment antiaméricain – se pose40. Le second volet est l’interprétation dite de la dépendance périphérique, identifiée par John Kirton, qui fait écho au continentalisme. Étant un pays dépendant des Américains au plan économique, politique, culturel et institutionnel, le Canada pratique en somme une diplomatie peu active visant à promouvoir les intérêts américains et à préserver le statu quo international, situation qui favorise les États-Unis et ses proches alliés. Dans cette perspective, le Canada est considéré comme une puissance mineure entièrement influencée par Washington41.

Si ces deux approches conceptuelles nous sont utiles pour étudier notre objet d’étude, deux mises en garde s’appliquent pour user de ces concepts dans notre recherche. Rappelée par André Donneur, la première mise en garde est qu’il faut voir ces interprétations comme des idéaux-types, tel que définis par Max Weber42. Donnée par K. R. Nossal, S. Roussel et S. Paquin, la seconde est la suivante :

Les différents concepts servant à désigner le rang international du Canada ne sont pas neutres ; au contraire, ils ont des conséquences normatives importantes. Ils guident les gestes et les réflexions de ceux qui les emploient, tout comme ils

39 Nossal et al., op cit., p. 234, 273-278.

40 Frédéric Mérand et Antoine Vandemoortele citent à ce sujet Allan Gotlieb, ancien ambassadeur du Canada

aux États-Unis et promoteur du continentalisme, qui résume les postulats de cette politique : « La politique étrangère continentaliste que Gotlieb appelle de ses vœux doit respecter trois exigences : reconnaître la primauté d’un pouvoir américain “transcendant”, cesser de chercher à jouer le rôle d’entremetteur ou de “puissance moyenne” et se libérer de la conviction que seule l’autorité des Nations Unies est légitime. “La pire indication pour une politique étrangère réaliste pour le Canada, conclut Gotlieb (2005 : 24), serait de chercher à se distinguer des États-Unis, juste pour être différents.” » Frédéric Mérand et Antoine Vandemoortele, « L’Europe dans la culture stratégique canadienne, 1949-2009 », Études internationales, vol. 40, n° 2 (juin 2009), p. 245.

41

Kirton, op. cit., p. 66-70.

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servent souvent des fins politiques. Ceci s’applique, bien entendu, d’abord aux politiciens eux-mêmes et à leurs conseillers. Ceux-ci sont susceptibles d’orienter différemment leurs politiques selon qu’ils épousent l’une ou l’autre de ces conceptions. […] Mais les références que font les dirigeants à l’un ou l’autre de ces concepts peuvent tout aussi bien servir à justifier leurs politiques ou leur inaction dans certains dossiers43.

Corpus de sources

Pour connaître la perspective des parlementaires canadiens, tous partis confondus, il faut se rapporter à plusieurs types de sources. Le premier type regroupe les sources parlementaires. D’une part, il s’agit des transcriptions des débats de la Chambre des communes et du Sénat, en particulier ceux des 2e et 3e sessions de la 34e législature44. Les transcriptions se présentent sous forme de volumes qui contiennent la transcription verbatim des travaux de la Chambre et du Sénat, toutes catégories confondues – projets de loi, motions, questions orales, déclarations, etc. Un volume de chaque session contient l’index des mots-clés concernant les sujets débattus au cours de la session. Ces mots-clés nous ont été très utiles pour identifier les passages pertinents45. Les débats indiquent le député qui s’exprime ainsi que le nom de sa circonscription, ou son poste s’il siège au gouvernement. D’autre part, nous nous sommes aussi intéressés à la transcription des travaux du Comité permanent des Affaires étrangères et du Commerce extérieur de la Chambre des communes et du Comité sénatorial permanent des affaires étrangères. Ces transcriptions verbatim viennent sous la forme de fascicules contenant autant les versions en anglais et en français des travaux. Les députés qui y siègent étudient en détail certains dossiers en convoquant des experts et des membres du gouvernement. Ils déposent aussi

43 Nossal et al., op cit., p. 131.

44 Pour préciser la période, la 2e session se déroule du 3 avril 1989 au 8 mai 1991. En ce qui concerne la 3e

session, seuls les cinq premiers volumes des débats de la Chambre des communes ont été consultés, soit ceux qui couvrent la période incluse entre le 13 mai 1991 et le 10 février 1992, et seul le premier volume des débats du Sénat a été consulté, couvrant la période entre le 13 mai 1991 et le 28 février 1992.

45 Les mots-clés utilisés ont été identifiés en fonction des sujets où il était question de l’Union soviétique :

Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce ; Agro-alimentaire, industrie ; Arctique ; Arménie ; Armes atomiques ; Azerbaïdjan ; Baltes, pays ; Banque européenne de reconstruction et de développement ; Banque mondiale ; Céréales ; « Ciels ouverts », conférence ; Commerce ; Communauté des États indépendants ; Conflits armés et régionaux ; Désarmement ; Europe de l’Est ; Fonds monétaire international ; Immigration ; Lettonie ; Lituanie ; Traité de l’Atlantique Nord, Organisation ; Paix et sécurité mondiales ; Relations Est-Ouest ; Russie ; Sécurité et coopération en Europe, Conférence ; Ukraine ; Union soviétique.

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des rapports sur ces questions, rapports inclus dans ces fascicules. Les traductions en français ont été utilisées pour tous ces documents.

Le second type de sources regroupe les sources institutionnelles, à commencer par la banque de documents numérisés de la Bibliothèque Jules-Léger. Celle-ci regroupe une grande quantité de documents en lien avec les activités extérieures du Canada46. La banque comprend en particulier plusieurs discours prononcés par les membres du gouvernement chargés des affaires étrangères et quelques discours du Premier ministre. Ces discours sont regroupés sous l’appellation Déclarations et discours. Nous avons aussi consulté les fonds d’archives de Bibliothèque et Archives Canada, en particulier les fonds Barbara-McDougall, Edward-Broadbent et Audrey-McLaughlin. Les recherches se sont limitées à ces fonds étant donné l’absence de documents et l’existence en 2019 de restrictions à la consultation concernant les fonds des figures ministérielles importantes47, du Premier ministre Brian Mulroney ainsi que les fonds des principaux partis politiques fédéraux et de leurs principales figures politiques. Concernant Barbara McDougall, nous nous sommes concentrés sur ses discours en tant que secrétaire d’État aux Affaires extérieures et sur les transcriptions des mêlées de presse et des entrevues auxquelles elle a participé. Enfin, la consultation des fonds d’Edward Broadbent et d’Audrey McLaughlin nous a permis d’obtenir des précisions concernant les positions du Nouveau Parti démocratique (NPD) au sujet de l’Union soviétique, et plus largement au sujet des relations Est-Ouest.

Pour compléter ce corpus, et pour couvrir les périodes où le Parlement ne siège pas et pour suivre les parlementaires en voyage à l’extérieur du Canada, plusieurs articles de journaux ont été inclus dans les documents consultés. Le choix des publications s’est fondé

46 La Bibliothèque Jules-Léger est la bibliothèque de l’organisme Affaires mondiales Canada, anciennement

intitulé Ministère des Affaires étrangères et du Commerce international (MAECI) qui regroupe le ministère des Affaires étrangères, celui du Commerce international et celui du Développement international et de la Francophonie. En collaboration avec Canadiana.org, la Bibliothèque a procédé à la numérisation des documents en question. Les documents sont disponibles à la consultation sur le site gac.canadiana.ca.

47 Les ministres en question sont Joe Clark, secrétaire d’État aux Affaires extérieures ; Bill McKnight,

ministre de la Défense ; Marcel Masse, ministre de la Défense ; John Crosbie, ministre du Commerce extérieur ; et Michael Wilson, ministre du Commerce extérieur.

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sur l’étude de T.A. Keenleyside, B.E. Burton et W.C. Sonderlund sur la couverture de presse de six journaux canadiens48 concernant la politique étrangère canadienne49.

Méthodologie

Pour l’étude des sources retenues pour ce mémoire, nous avons privilégié une approche qualitative fondée sur l’analyse de contenu, afin d’identifier les thèmes qui interpellent les parlementaires et les initiatives qui s’en suivent. La première partie de l’analyse veut identifier dans les sources les parlementaires qui s’expriment et le sujet dont il est question. À l’aide du logiciel de classement Zotéro, une base de données des documents retenus a été constituée. Pour chaque document, nous avons d’abord retenu le contexte de l’intervention50

. Ensuite, le parlementaire qui s’exprime est identifié avec son nom, le nom de sa circonscription, son affiliation politique et ses fonctions parlementaires ou ministérielles51. Dans le cas des travaux parlementaires, la nature de l’intervention est identifiée52. Le passage est ensuite identifié à un mot-clé qui fait référence au thème auquel ce passage fait référence53.

La deuxième partie de l’analyse cherche à identifier l’évolution des thèmes évoqués par les parlementaires. Plus précisément, il s’agit de voir quelles sont les continuités et les ruptures dans les thèmes soulevés. Il s’agit aussi de voir les moments où les parlementaires

48 Il s’agit des quotidiens suivants : The Globe and Mail, le Ottawa Citizen, Le Devoir, La Presse, The

Chronicle Herald et le Vancouver Sun. Leur choix est motivé par des considérations de tirage et de

représentation régionale.

49 T.A. Keenleyside et al., « La presse et la politique étrangère canadienne », Études internationales, vol. 18,

n° 3 (septembre 1987), p. 504.

50

Il s’agit de préciser s’il est question des travaux à la Chambre des Communes, des travaux du Comité permanent des Affaires étrangères et du Commerce extérieur, des interventions dans les médias ou d’un discours prononcé à l’extérieur du Parlement.

51 Pour identifier les fonctions des parlementaires (ministre, membre d’un comité et/ou critique de

l’opposition), nous avons consulté les fiches les concernant dans la base de données PARLINFO du site Internet du Parlement du Canada : https://lop.parl.ca/sites/ParlInfo/default/fr_CA.

52 Il s’agit des mentions suivantes : Discours du Trône, Initiatives ministérielles, Affaires courantes,

Déclaration, Ajournement, Questions orales, Questions au feuilleton.

53

Les thèmes utilisés sont : Aide humanitaire directe, Arctique, Arménie, Armes nucléaires, Assistance

économique et technologique, Avenir de l’Union soviétique, Azerbaïdjan, BERD/FMI/Banque mondiale/GATT/COCOM, Boris Eltsine, Conseil de l’Europe, Coup d’État des 19-22 août 1991, CSCE, Droits de la personne, Exportation de produits alimentaires, Forces canadiennes, Groupe des Sept, Juifs d’Union soviétique, OTAN, Participation du secteur privé, Pays baltes, Relations Est-Ouest, Réunification allemande, Traité FCE, Ukraine.

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14

sont les plus actifs au sujet des relations canado-soviétiques. À l’aide du logiciel Excel, les interventions des parlementaires entre 1989 et 1991 ont été compilées et classées selon cinq grandes catégories qui regroupent les thèmes identifiés dans l’analyse des sources54. Chaque intervention a été identifiée à l’aide d’un code de couleur désignant le parti auquel appartient le parlementaire. Ensuite, le nom du parlementaire, la nature de son intervention et le sujet en question sont ajoutés. Il s’agit en somme d’avoir une représentation visuelle de l’évolution des travaux parlementaires portant sur l’Union soviétique et les sujets connexes. Les mentions des séances des comités parlementaires mentionnés précédemment sont aussi indiquées pour comparer les travaux en séance plénière et ceux des comités.

Enfin, pour mettre en parallèle les travaux parlementaires et les activités du gouvernement Mulroney, des indications provenant de la Chronique des relations

extérieures du Canada55 ont été insérées dans le tableau. Publiée dans la revue Études

internationales, cette publication fait la recension à tous les trimestres des activités

internationales du Canada, recension fondée sur des documents et des communiqués ministériels ainsi que plusieurs articles de journaux. L’étude de ces recensions nous permet entre autres de voir quel est le caractère concret de la perspective du gouvernement progressiste-conservateur de Brian Mulroney, au sujet des relations entre le Canada et l’Union soviétique pendant la période couverte par ce mémoire.

Hypothèse

À l’aide des concepts de l’internationalisme et du continentalisme, et ayant en tête ce mouvement de rapprochement canado-américain qui a eu lieu sous le gouvernement de Brian Mulroney, ce mémoire cherche à examiner l’hypothèse suivante : Au cours de la

période 1989-1991, un dilemme, sous la forme d’un choix entre deux options, se présente pour les parlementaires canadiens en ce qui concerne les relations canado-soviétiques : soit ils cherchent à aligner la politique étrangère canadienne sur celle des États-Unis ; soit

54 Les catégories sont les suivantes : Institutions économiques internationales, Sécurité stratégique et contrôle

des armements, OTAN-CSCE-CEE, Relations bilatérales et économiques, Droits humains et autodétermination.

55

Les rubriques retenues se trouvent dans les volumes 20 à 23 de la revue Études internationales, qui couvrent la période entre le 1er octobre 1988 et le 31 décembre 1991.

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ils cherchent à poursuivre une politique plus centrée sur l’internationalisme et le multilatéralisme, politique défendue par le Canada depuis le début de la guerre froide.

Plan de l’argumentation

Ce dilemme se développe tout au long de la période 1989-1991 et se découpe en trois phases distinctes. Le plan suivi par ce mémoire est essentiellement un plan chronologique, où chaque phase constitue un chapitre. Dans le premier chapitre, qui couvre la période incluse entre le mois d’avril 1989 et le mois de novembre 1989, nous allons exposer ce que nous pouvons appeler le « rattrapage » effectué par le gouvernement Mulroney en ce qui concerne les relations entre Ottawa et Moscou. Ce rattrapage s’inscrit toutefois dans un contexte où les questions de la modernisation de l’arsenal nucléaire de l’OTAN et des essais de missiles de croisière agitent non seulement les gouvernements de l’Alliance atlantique, mais aussi les parlementaires de l’Opposition. Ceux-ci voient dans ces questions des obstacles potentiels au rattrapage lancé par Brian Mulroney. Cette politique atteint sa pleine signification avec le voyage officiel effectué en URSS par le Premier ministre et par son secrétaire d’État aux Affaires extérieures, Joe Clark, à la fin novembre 1989. Pour bien mettre en contexte la politique du gouvernement progressiste-conservateur et les interventions des partis de l’Opposition à ce sujet, une présentation des positions historiques des principaux partis politiques siégeant à la Chambre des Communes ouvrira ce chapitre.

Le deuxième chapitre de ce mémoire, qui couvre la période entre la fin du mois de novembre 1989 et le mois de janvier 1991, est consacré à la période de redéfinition de la politique étrangère du Canada au sujet de l’Union soviétique. Les parlementaires explorent la situation en Union soviétique et les opportunités pour le Canada. Dans leurs travaux, ils s’interrogent aussi sur la pertinence des grandes institutions créées au cours de la guerre froide, dont l’Alliance atlantique et la Conférence sur la sécurité et la coopération en Europe (CSCE). En parallèle, le gouvernement présente aussi sa perspective sur le futur de l’Europe. Cette période est aussi celle où le Canada, mais aussi l’ensemble des pays du bloc atlantique, étudie les mécanismes d’aide et d’assistance économique à l’URSS,

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institutionnels ou non. Les parlementaires doivent aussi songer non seulement aux questions des armes nucléaires et des missiles de croisière, mais aussi à la situation des républiques baltes.

Le troisième et dernier chapitre s’attarde à la période comprise entre le mois de janvier 1991 et la dissolution de l’Union soviétique, qui survient le 25 décembre 1991. Cette période est celle de la désillusion parmi les parlementaires, sentiment qui découle de l’intervention de l’armée soviétique dans les républiques baltes. Cette désillusion se traduit par un certain désintérêt de la situation en URSS, jusqu’au coup d’État raté des 19 au 22 août 1991. À partir de ce moment, la question ukrainienne prend presque toute la place dans l’ordre du jour des parlementaires. De cette question, deux autres en découlent, soit celle de l’autodétermination des autres républiques soviétiques – les États baltes étant indépendants depuis septembre 1991 – et celle beaucoup plus sensible de l’arsenal nucléaire soviétique présent sur le sol ukrainien.

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CHAPITRE I – L’HÉRITAGE FACE AU RENOUVEAU : LES PERSPECTIVES DES PARLEMENTAIRES À LA VEILLE DE LA CHUTE DU MUR DE BERLIN,

1989

La politique soviétique du gouvernement Mulroney depuis 1984

Les relations Est-Ouest à l’arrivée au pouvoir des progressistes-conservateurs

Lors de l’inauguration de la session parlementaire en avril 1989, le Parti progressiste-conservateur, dirigé par Brian Mulroney, est au pouvoir depuis les élections législatives fédérales de 1984. Depuis ce temps, son gouvernement assiste à une mutation profonde des relations Est-Ouest. Pour bien saisir sa position au début de 1989, il faut retracer l’évolution de la posture du parti face aux initiatives de l’Union soviétique depuis le début de la décennie.

L’entrée en fonction du gouvernement Mulroney correspond à la fin d’une phase de montée des tensions entre les deux blocs. Cette phase s’ouvre le 25 décembre 1979 par l’invasion des troupes soviétiques en Afghanistan. Cette intervention provoque une vague de protestations de la part des gouvernements des pays membres de l’OTAN. À cette occasion, la réplique canadienne est donnée par le gouvernement progressiste-conservateur minoritaire dirigé par Joe Clark. Celui-ci met en place une série de sanctions : un gel de crédits destinés à l’URSS, la suspension des visites ministérielles et du Protocole de consultation ratifié en 1971 – lors de la visite de Pierre Elliott Trudeau en Union soviétique – et le plafonnement des livraisons de blé56

. Les sanctions incluent aussi la suspension des échanges sportifs et des réunions de la Commission économique mixte Canada-URSS ainsi que le boycottage des Jeux olympiques d’été de Moscou – mesure proposée par le président américain Jimmy Carter57. Battu lors des élections fédérales anticipées de février 1980, Joe Clark doit céder la place aux libéraux de Pierre Elliott Trudeau. Si ce dernier accepte

56 Sarty, « A Rivalry Transformed », op. cit., p. 301-302.

57 Joseph Laurence Black et Norman Hillmer, « Canada and the Soviet Union as Neighbours », J. L. Black et

Norman Hillmer, dir., Nearly Neighbours : Canada and the Soviet Union, From Cold War to Détente and

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d’appliquer les sanctions annoncées par son prédécesseur – qu’il justifie par l’intervention soviétique en Afghanistan –, il cherche à en limiter la portée pour circonscrire la montée des tensions entre l’Est et l’Ouest58. À Moscou, les idées s’arrêtent au sujet des

progressistes-conservateurs : sous leur gouverne, le Canada ne peut pas être une puissance modératrice au sein de l’OTAN59 ; cette formation politique est sous influence américaine,

comme les sanctions adoptées contre l’Union soviétique en témoignent. La direction soviétique considère que cet antisoviétisme est alimenté par les représentants des diasporas issues des pays du bloc de l’Est et des républiques soviétiques60

.

Malgré sa volonté de maintenir de bonnes relations avec Moscou, Pierre Elliott Trudeau doit réagir à la deuxième crise de cette période : l’instauration de la loi martiale en Pologne le 13 décembre 1981. Cette mesure a pour but de mettre fin aux activités du syndicat indépendant Solidarité. Toutefois, les dirigeants occidentaux se demandent s’il s’agit d’une initiative purement polonaise ou d’une intervention menée en sous-main par l’URSS. Cette interrogation suscite quelques dissensions entre eux et provoque un moment difficile pour le Premier ministre. Cinq jours après l’initiative polonaise, et après avoir annoncé le maintien de crédits accordés à Varsovie pour éviter d’aggraver la situation du peuple polonais, il déclare : « Therefore everything which would prevent a civil war is for

me a positive step. If a military regime prevents a civil war, I can’t inherently say it is bad61. » Devant l’indignation conjuguée des progressistes-conservateurs toujours dirigés à ce moment par Joe Clark, de la communauté polono-canadienne et d’une bonne partie de l’opinion publique canadienne, le secrétaire d’État aux Affaires extérieures de P. E. Trudeau, Mark MacGuigan, prend les devants. Il rappelle le régime communiste polonais à ses obligations en vertu de l’Acte final de la Conférence sur la sécurité et la coopération en Europe d’Helsinki de 1975. Malgré cette confusion initiale, le gouvernement Trudeau dévoile sa position définitive le 23 février 1982, à l’issue d’une réunion des pays membres de l’Alliance atlantique. Les sanctions adoptées restent avant tout symboliques afin de

58 Dominique Martel, « Une offre de bons offices et une opération de relations publiques : les responsables

politiques canadiens face à la course aux armements, 1979-1984 », mémoire de maîtrise, Québec, Université Laval, 2012, p. 72-74.

59 Sarty, « A Rivalry Transformed », op. cit., p. 302. 60 Black, op. cit., p. 285-286.

61

« Trudeau urges moderation. Food for Poland will continue », The Globe and Mail, 19 décembre 1981, p. 15, cité dans Martel, op. cit., p. 78.

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sauvegarder la détente en Europe et garder des liens avec les Polonais. Les échanges académiques sont suspendus et les déplacements des diplomates polonais sont contrôlés62. La réaction du côté soviétique reste discrète : Pierre Elliott Trudeau est considéré à Moscou comme une figure politique qui cherche une bonne entente avec l’URSS et poursuit une politique étrangère indépendante de celle des États-Unis63. Néanmoins, les événements de Pologne retardent une future normalisation des relations canado-soviétiques64.

Les relations Est-Ouest se dégradent davantage le 1er septembre 1983. Après avoir dévié de sa trajectoire et pénétré profondément à l’intérieur de l’espace aérien soviétique, le vol KAL-007 de la Korean Air Lines est abattu par les forces aériennes soviétiques. La tragédie provoque 269 morts, incluant des citoyens canadiens, et un véritable concert de dénonciations dirigées contre l’URSS. Si les premières réactions du gouvernement Trudeau vont dans le sens d’une condamnation ferme, le Premier ministre adopte de nouveau une position modérée pour limiter la montée des tensions. Cette position se manifeste au travers de son « initiative de paix ». Conçu à la fin du mois de septembre 1983, ce projet prend la forme d’une vaste tournée internationale dans des pays des deux blocs – dont les États-Unis, l’URSS, la France, le Royaume-Uni et la Chine – pour apporter une contribution proprement canadienne à un apaisement des tensions Est-Ouest. Ses propositions visent à renforcer la portée des traités de limitation d’armements de tous types, comme le Traité de non-prolifération (TNP), les négociations sur la réduction des forces conventionnelles en Europe (Mutual and Balanced Forces Reduction ou MBFR) et un futur traité sur les armes antisatellites. Pierre Elliott Trudeau souhaite aussi tenir une réunion des ministres des Affaires étrangères des pays membres de la CSCE à ce sujet. Il fait donc la promotion d’une éventuelle conférence des cinq grandes puissances nucléaires qui doit porter sur la limitation des armes atomiques. Cette tournée occupe le Premier ministre Trudeau toute la fin de l’année 1983 et le début de l’année 1984. S’il déclare à la fin de cette tournée, le 9 février 1984, que son initiative est un succès, sa portée reste difficile à déterminer65. Du côté soviétique, si les dirigeants prêtent une oreille intéressée à cette initiative, les positions

62 Ibid., p. 75-81.

63 Black, op. cit., p. 298-299.

64 Sarty, « A Rivalry Transformed », op. cit., p. 302. 65

J. L. Granatstein et Robert Bothwell, Pirouette : Pierre Trudeau and Canadian Foreign Policy, Toronto, University of Toronto Press, 1990, p. 363-376.

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ne bougent pas66. Désormais dirigés par Brian Mulroney, les progressistes-conservateurs critiquent ce projet sur trois aspects, même s’ils souhaitent un apaisement entre les deux blocs. Ils reprochent au Premier ministre le fait de ne pas avoir présenté son projet à la Chambre des communes, qu’il s’agit peut-être d’une démarche de politique intérieure et que cette initiative de paix a été conduite au détriment du principe de solidarité entre les pays membres de l’OTAN. Du côté du Nouveau Parti démocratique, l’initiative de paix est la bienvenue. Par contre, l’autorisation donnée aux Américains pour procéder aux tests de missiles de croisière en territoire canadien limite la crédibilité de l’exercice en matière de désarmement, selon eux67.

Si l’initiative de paix de P.E. Trudeau a pour but de répondre à la crise du vol KAL-007, elle est aussi une réponse à la polémique qui jalonne cette période de tensions aiguës : la crise des euromissiles. À la fin de la décennie 1970, les Soviétiques installent en Europe de l’Est des missiles de type SS-20. Ces nouveaux missiles balistiques à moyenne portée leur donnent la capacité de frapper des cibles militaires de l’OTAN avec une certaine précision. L’enjeu de cette crise est celui de l’équilibre : l’Alliance atlantique n’ayant rien de comparable à ce moment-là sur le théâtre européen, la seule riposte ne peut provenir que des missiles intercontinentaux américains. Ces armements nouveaux posent aussi un problème au sens où ils peuvent relancer la course aux armements en pleine période de détente. Les SS-20 sont des armes atomiques d’une portée inférieure à 5 500 kilomètres. Leur caractère atomique les exclut des négociations MBFR et leur portée les exclut du traité SALT (Strategic Arms Limitation Talks) ratifié en 1972 entre les États-Unis et l’Union soviétique. Après plusieurs mois de négociations au sein de l’OTAN – en particulier entre Washington, Londres, Paris et Bonn –, l’Alliance dévoile sa position en janvier 1979. Elle consiste en la « double décision » : si le retrait négocié des SS-20 échoue d’ici 1983, les

66 Sarty, « A Rivalry Transformed », op. cit., p. 303. 67

Martel, op. cit., p. 106-108. Au tournant des années 1980, l’administration américaine demande au gouvernement Trudeau l’autorisation de tester de nouveaux missiles de croisière en territoire canadien. Il s’agit de tester les systèmes de guidage de ces missiles dans un environnement similaire à celui du territoire soviétique. Après plusieurs semaines de débats au sein du gouvernement Trudeau, celui-ci signe un accord-cadre avec l’administration Reagan au printemps 1982 autorisant la tenue de ces essais. Une fois l’accord devenu public, le gouvernement Trudeau doit faire face aux critiques du NPD et de plusieurs mouvements pacifistes qui voient là une contradiction entre sa décision et ses déclarations passées en faveur du désarmement. En réponse, le gouvernement Trudeau insiste sur les modalités de la « double décision » adoptée par les pays membres de l’OTAN et sur le fait que le Canada doit contribuer au système de défense collective de cette alliance.

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États-Unis s’engagent à déployer sur le territoire européen 108 missiles Pershing-II et 464 missiles de croisière aux caractéristiques comparables à celles des SS-2068. Ce principe est définitivement adopté par les pays membres de l’OTAN en décembre 1979, dont le Canada dirigé par Joe Clark69. Lorsque l’échéance de 1983 survient avec des négociations qui piétinent entre les deux superpuissances à Genève et plusieurs grandes manifestations pacifistes organisées dans les pays d’Europe de l’Ouest, les États-Unis mettent à exécution la double décision et déploient les missiles prévus70. Devant ces développements, Pierre Elliott Trudeau cherche constamment à sauvegarder la détente et à empêcher toute escalade vers un conflit à caractère atomique. Il appelle Washington et Moscou à être sérieux dans leurs pourparlers de Genève et à éviter les déclarations provocatrices. Il questionne aussi Ronald Reagan et Margaret Thatcher, partisans du déploiement des euromissiles, sur les risques reliés à leur position lors du sommet du G7 de Williamsburg, les 28 et 29 mai 1983. Toujours lors de ce sommet, il réussit à convaincre les autres participants d’inclure dans leur déclaration finale un passage où ils promettent de mettre les ressources politiques nécessaires en vue d’une réduction des tensions internationales71.

Une normalisation marquée par beaucoup de prudence, 1985-1989

Dès leur arrivée au gouvernement jusqu’en avril 1989, Brian Mulroney et Joe Clark poursuivent deux dynamiques en matière de politique avec les Soviétiques. La première dynamique consiste en une normalisation des relations entre le Canada et l’Union soviétique, aidée en cela par l’apaisement des relations entre Washington et Moscou et par l’arrivée au pouvoir de Mikhaïl Gorbatchev en mars 1985. Le nouveau secrétaire général du Parti communiste de l’Union soviétique (PCUS) n’est pas un inconnu au Canada. À l’époque membre du Politburo du PCUS et secrétaire responsable des questions agricoles, il dirige en 1983 une délégation venue étudier le système agricole canadien. À cette occasion, il comparaît devant le Comité permanent des Affaires extérieures et de la Défense nationale

68

Georges-Henri Soutou, La Guerre froide : 1943-1990, Paris, Pluriel, 2011, p. 847-853 (Nouvelle édition avec postface inédite de l’auteur).

69 Robert Bothwell, Alliance and Illusion. Canada and the World: 1985-1984, Vancouver, UBC Press, 2007,

p. 362.

70

Soutou, op. cit., p. 914-921.

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22

de la Chambre des communes, où il est interrogé au sujet des relations canado-soviétiques et de la course aux armements72.

Ce mouvement de normalisation des relations entre le Canada et l’URSS à partir de 1985 se constate sur plusieurs plans. Le plus important est le développement de nouvelles relations économiques. En plus de la reprise des réunions de la Commission économique mixte Canada-URSS, plusieurs entreprises privées – dont la filiale canadienne de McDonald’s – participent à des coentreprises avec des entreprises soviétiques. Les deux gouvernements renouvellent en octobre 1986 l’accord sur les livraisons de blé canadien à l’Union soviétique, qui constitue l’assise des relations commerciales entre les deux pays73

. L’accord prévoit la livraison sur cinq ans de 25 millions de tonnes de blé. D’une valeur totale de 3,75 milliards de dollars, cet accord représente à lui seul 25 % des exportations canadiennes de céréales. Il comprend aussi une hausse modeste des exportations soviétiques vers le Canada, dont la valeur totale passe de 27 à 35 millions de dollars74. En plus des relations économiques, l’Arctique devient un nouvel espace de coopération entre les deux pays. Un groupe de coordination des activités de recherche scientifique dans la région est mis sur pied. L’accord envisage aussi un élargissement de cette coopération pour couvrir les questions commerciales et économiques particulières à cette région. Une expédition scientifique commune a lieu en 198875. Cette normalisation se remarque également sur le plan humanitaire. À la suite d’un violent tremblement de terre qui frappe l’Arménie, le gouvernement Mulroney accorde en décembre 1988 une aide humanitaire d’urgence à Moscou, acheminée conjointement par les deux pays76

. Enfin, Brian Mulroney annonce en septembre 1985 que l’État canadien décline l’invitation américaine à participer aux travaux de développement de l’Initiative de défense stratégique (IDS), selon la recommandation du comité parlementaire chargé d’étudier la question. Il laisse toutefois la

72 Ibid., p. 83-85.

73 Nossal, op. cit., p. 26-27. 74 Melakopides, op. cit., p. 138. 75

Ibid., loc. cit.

Références

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