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Le monisme anomal et l'épiphénoménisme

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Academic year: 2021

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JEAN-FRANÇOIS DAIGLE

LE MONISME ANOMAL ET L’ÉPIPHÉNOMÉNISME

Mémoire présenté

à la Faculté des études supérieures de l’Université Laval

pour l’obtention

du grade de maître es arts (M.A.) UL -906Ó FACULTÉ DE PHILOSOPHIE UNIVERSITÉ LAVAL FÉVRIER 2000 © Jean-François Daigle, 2000

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Comment rendre compte du fait que le mental est efficace causalement, si les relations causales impliquent des relations nomologiques (lois), et que le monde mental est exempt d’une telle caractéristique? Dans un article intitulé «Mental Events», Donald Davidson tente de résoudre ce problème en soutenant l’idée que les occurrences d’événements mentaux sont identiques à des occurrences d’événements physiques. Toutefois, cette thèse de l’identité des occurrences, le Monisme Anomal, est problématique dans la mesure où si c’est en tant qu’événements physiques que les événement mentaux sont efficaces causalement, alors le mental en tant que mental n’a aucune efficacité causale : les événements mentaux ne sont que des épiphénomènes. Pour résoudre cette difficulté, Davidson soutient d’abord que ce n’est pas en tant que physiques ou mentaux que les événements sont des causes, mais en tant que particuliers, quoi qu’il en soit des propriétés qu’ils exemplifient. Il introduit aussi une version de la notion de survenance pour rendre compte du rapport entre les propriétés mentales et physiques, notion dont je me sers finalement pour formuler une deuxième réponse possible à l’objection épiphénoméniste.

Jean-François Daigle Étudiant

Renée Bilodeau Directrice de recherche

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J’aimerais adresser de sincères remerciements à ma directrice de recherche, Renée Bilodeau, pour ses judicieux commentaires, ses encouragements incessants et surtout pour le respect et la patience qu’elle m’a témoignés lors de la rédaction de ce mémoire. Je la remercie aussi pour l’opportunité qu’elle m’a donné de travailler en tant qu’assistant de cours et de recherche à ses côtés. Ce travail s’est avéré une grande source de connaissances et de motivation.

Je remercie aussi mon épouse Ingrid pour la confiance et le support continuel qu’elle m’a témoignés durant ces années d’études. Et finalement William, parce que sa naissance et son impressionnante évolution, au cours de la rédaction de ce mémoire, m’ont redonné la motivation nécessaire pour mener à terme ce projet.

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RÉSUMÉ... I AVANT-PROPOS... Il TABLE DES MATIÈRES... Ill NOTE SUR LES TRADUCTIONS ET LES RÉFÉRENCES... V

INTRODUCTION... 1

PREMIER CHAPITRE : PRÉSUPPOSÉS ONTOLOGIQUES ET CADRE THÉORIQUE... 7

1.1 Le physicalisme... 8

1.2 La distinction entre type et occurrence... 12

1.3 Le réductionnisme et l’identité type / type... 14

1.4 L’identité des occurrences... 15

1.5 L’ontologie d’événements de Davidson... 18

1.5.1 Les événements mentaux... ... 25

DEUXIÈME CHAPITRE : LA THÉORIE DE L'IDENTITÉ DE DONALD DAVIDSON : LE MONISME ANOMAL... 29

2.1 Première prémisse : L’interaction causale... 30

2.1.1 Problèmes de portée... 34

2.2 Seconde prémisse : Le caractère nomologique de la causalité... 36

2.2.1 Hume et la causalité... 36

2.2.2 La distinction entre loi stricte et loi non-stricte... 39

2.2.3 Statut du principe... 45

2.2.4 Problème d’interprétation... 47

2.3 Troisième prémisse : L’anomalisme du mental... 49

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2.3.2 Principes constitutifs et rationalité... ... 53

2.4 Argument de Davidson en faveur du monisme anomal... 58

TROISIÈME CHAPITRE : LE MONISME ANOMAL ET L'ÉPIPHÉNOMÉNISME... 61

3.1 Présentation générale... 63

3.1.1 l'épiphénoménisme des occurrences... 64

3.1.2 L'épiphénoménisme des types... 66

3.2 Honderich et les propriétés causalement pertinentes... 67

QUATRIÈME CHAPITRE : RÉPONSES DE DAVIDSON À L'OBJECTION ÉP1PHÉNOMÉNISTE... 74

4.1 Première réponse: la distinction entre types et occurrences... 75

4.1.2 Statut logique des deux premières prémisses... 76

4.1.3 La notion de pertinence causale... 80

4.2 Deuxième réponse : La notion de survenance... 85

4.2.1 Origines du concept de survenance... 86

4.2.2 Définitions de la notion de survenance... 89

4.2.2.1 La dépendance psychophysique forte... 91

4.2.2.2 La dépendance psychophysique faible... 91

4.2.2.3 La dépendance psychophysique globale... 92

4.3 La dépendance psychophysique faible et le Monisme Anomal... 93

CONCLUSION... 101

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Toutes les citations en français dans le texte sont mes propres traductions, à l’exception des citations prélevées dans les deux recueils de Davidson : Essays

on Actions and Events (1980) et Inquiries into Truth and Interpretation (1984), qui

ont fait l’objet d’une traduction française par Pascal Engel (1993). (De même que les citations des auteurs classiques (Kant, Hume, etc.) , qui sont directement cités dans leurs traductions françaises respectives). Les renvois à la traduction de Engel sont introduits directement à la suite de la citation en français et selon le format suivant : (Auteur, année de publication de l’article original en anglais, numéros de pages dans la traduction française). Toutes les citations qui ne sont ni suivies d’un tel renvoi, ni suivies d’un renvoi à la traduction d’un auteur classique ont fait l’objet de ma propre traduction.

Toutes les citations en français sont accompagnées de la version originale anglaise dans une note de bas de page. Les renvois aux versions originales ont la forme habituelle, sauf les renvois aux recueils de Davidson en version anglaise, qui ont la forme suivante : (Auteur, année de publication de l’article original en anglais, numéros de pages dans le recueil en anglais).

La bibliographie est construite de manière à faciliter le repérage des ouvrages et des traductions s’il y a lieu. Pour les textes de Davidson repris dans les recueils en anglais et les recueils traduits, la forme de la notice bibliographique est relativement lourde. Pour éviter que le lecteur ait de la difficulté à repérer les

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auront la forme suivante :

Auteur,

Année de publication et source de l’article original. Année de publication et pagination dans le recueil en anglais. Année de publication et pagination dans le recueil traduit en français.

Exemple : Davidson, D.

1970 « Mental Events ». Dans L. Foster et J. W. Swanson,

Experience and Theory,The University of Massachussets

Press and Duckworth. Repris dans Davidson, 1980, pp. 207־ 224. Et dans Davidson, 1993, pp. 277-302, pour la traduction française.

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« Les humains ont définitivement des esprits »'. Cette affirmation ne semble pas faire l’objet d’une remise en question générale, autant de la part du commun des mortels que de celle du plus grand érudit. Comment alors expliquer que cette même affirmation soit à la source d’un débat qui a pris aujourd’hui des proportions gigantesques sur la nature de l’esprit et sur la relation qu’il entretient avec le corps humain, relation qui est le fondement de l’un des plus riches problèmes de la philosophie contemporaine : le rapport corps / esprit ? La réponse la plus simple tourne autour de l’idée que notre conviction que les humains ont un esprit est encore plus grande que les problèmes qui peuvent survenir lorsque l’on tente de l’expliquer. Le besoin de répondre à cette conviction constitue le moteur principal des recherches sur l’esprit, et ce dans tous les domaines. C’est conscients des difficultés liées au problème, mais convaincus de la nécessité de le traiter que nous avons fait du rapport corps / esprit l’un des principaux problèmes de la philosophie contemporaine.

Les difficultés liées au rapport corps / esprit sont généralement regroupées sous deux ordres : ontologique et épistémologique. Le premier pose directement la question : « de quoi l’esprit est-il fait ? ». Toute réponse à cette question recoupe évidemment les découvertes scientifiques modernes concernant la matière. Cependant, c’est la manière d’appréhender et de classifier cette matière qui fera

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cherche à résoudre les problèmes liés en général à !'explication de l’esprit. Il est concerné par tout le cadre conceptuel lié au rapport corps / esprit, tant au niveau du vocabulaire utilisé pour appréhender ce rapport que de la structure des théories qui seront jugées adéquates pour en discuter. Voyons comment ceux-ci s’articulent à l’intérieur des approches contemporaines sur le rapport corps / esprit.

Il est généralement admis que le matérialisme constitue l’arrière-fond ontologique le plus probable pour rendre compte de l’esprit, c’est-à-dire que la réponse à la question « De quoi est fait l’esprit ? » repose essentiellement sur des considérations matérielles, physiques. Bien qu’il y ait un accord sur la matière constituant l’esprit, cet accord rend encore plus manifeste et plus complexe le second ordre du problème corps / esprit : Comment rendre compte de l’esprit dans un cadre matérialiste si en plus nous considérons que celui-ci est non seulement un phénomène mental, mais qu’il joue un rôle actif dans le monde matériel ? L’une des réponses les plus connues sur le sujet est la thèse de l’identité des occurrences d’événements de Donald Davidson : le Monisme Anomal.

La thèse du Monisme Anomal fut formulée pour la première fois par Donald Davidson dans un article intitulé «Mental Events». Davidson se place dans le même ordre d’idée que Kant, qui soutient qu’il n’existe aucune contradiction réelle entre la liberté humaine et le déterminisme naturel. Cette thèse est issue de la philosophie morale de Kant, lorsqu’il discute, dans Les fondements de la

Métaphysique des Moeurs, de cette apparente dichotomie entre liberté et

nécessité:

Il est tout aussi impossible à la philosophie la plus subtile qu’à la raison humaine la plus commune de mettre en doute la liberté par des arguties. La raison doit donc bien supposer qu’on ne saurait trouver de véritable contradiction entre la liberté et la nécessité naturelle des mêmes actions humaines ; car elle ne peut pas plus renoncer au concept de la nature qu’à celui de la liberté. Cependant il faut tout au moins supprimer d’une façon convainquante cette apparente

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conception de la liberté est à ce point contradictoire avec elle-même ou avec la nature, .... elle devrait être résolument sacrifiée au profit de la nécessité naturelle. (Kant, 1980 , p.

140)

Le problème que veut discuter Davidson se soulève clairement, dit-il, lorsque l’on substitue respectivement aux termes « liberté » et à « actions humaines » les termes « anomie » (anomaly) et « événements mentaux » (mental events).

Cette contradiction apparente, Davidson la considère comme étant issue de trois principes (qui formeront les prémisses de base de l’argument en faveur du Monisme Anomal):

- Le Principe de !’Interaction Causale (PIC).

־ Le Principe du Caractère Nomologique de la Causalité (PCNC). - Le Principe de l’Anomalisme du Mental (PAM).

L’apparente contradiction est constituée par la conclusion qui semble découler de l’argument formulé à partir de ces trois prémisses. La première prémisse expose l'idée que les événements mentaux et les événements physiques sont causalement liés. La seconde prémisse soutient que ces relations causales impliquent que les événements liés tombent sous des lois causales strictes. Cependant, la troisième prémisse, l'Anomalisme du Mental, soutient qu'il ne peut y avoir de loi stricte reliant un événement mental et un événement physique. La contradiction semble évidente : Comment un événement mental peut-il causer un événement physique, s’il ne peut exemplifier une loi stricte et que toute relation causale exemplifie une loi stricte ?

Davidson soutient que le caractère anomal du mental, c’est-à-dire l’absence de lois strictes formulées en termes psychologiques, est essentiel pour que l’action humaine soit considérée comme libre et autonome. L’Anomalisme du Mental ne

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Considérant que, prises séparément, ces prémisses sont vraies, Davidson doit chercher une réponse qui repose principalement sur la manière de concevoir le rapport entre les différentes prémisses, rapport qui semble provoquer la contradiction apparente. Pour résoudre cette ambiguïté, il propose une version de la théorie de l'identité de l'esprit qui permet de rendre compte de la consistance des trois prémisses entre elles. Cette thèse dépendra d’une part de la conception des événements de Davidson et, d’autre part, d’une certaine interprétation de la seconde prémisse : le Caractère Nomologique de la Causalité.

Dans ce texte, je présenterai en détails la thèse de Davidson en exposant, d’abord, les présupposés ontologiques et théoriques de celle-ci. Ces présupposés sont essentiels pour jeter les bases non seulement de !’argumentation que Davidson lui-même propose en faveur de sa thèse, mais aussi pour alimenter les réponses qu’il propose aux objections dirigées contre sa thèse. Ces présupposés sont d’une part le matérialisme, qui constitue l’arrière-fond ontologique moniste dans le cadre duquel se présente la thèse de l’identité de Davidson. À ce présupposé s’ajoute une catégorie ontologique essentielle à la thèse linguistique qu’il proposera par la suite: les événements. La mise en place de cette catégorie ontologique exige un retour sur l’une des distinctions les plus communes en philosophie analytique, la distinction entre les types et les occurrences.

Dans le second chapitre j’exposerai les trois prémisses de l’argument en faveur du Monisme Anomal en formulant les précisions et les interprétations que Davidson propose pour chacune d’elles. Je présenterai ensuite les arguments qu’il apporte en faveur de l’une d’entre elles : l’Anomalisme du Mental. Ces arguments se présentent en deux temps. D’une part, Davidson insiste sur le caractère holistique du mental (bien qu’il admette que cet aspect normatif soit aussi présent dans le monde physique) et, d’autre part, il soutient que !’attribution d’états mentaux fait appel à une norme de rationalité qui est propre au mental et qui n’a pas de contrepartie dans le monde physique. Finalement, une fois les prémisses

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présentées et clarifiées, ce second chapitre sera complété par la formulation de l’argument lui-même, à partir des nouvelles prémisses discutées et révisées, menant à la thèse de l’identité des occurrences de Davidson.

Le troisième chapitre sera consacré essentiellement à l’objection majeure adressée contre la thèse de Davidson. Il s’agit d’une critique selon laquelle le Monisme Anomal rend le mental inerte, c’est-à-dire que selon cette thèse, les phénomènes mentaux ne sont en fait que des épiphénomènes. Ce chapitre sera divisé en deux volets. D’une part, je présenterai les origines de la thèse épiphénoménlste ainsi que les deux formes qu’elle peut prendre selon la distinction entre types et occurrences. D’autre part, j’exposerai la version de l’objection épiphénoménlste proposée par Ted Honderich, puisqu’elle constitue la formulation la plus directe et la plus radicale dirigée contre le Monisme Anomal.

Le quatrième et dernier chapitre sera construit autour des réponses de Davidson à l’objection épiphénoménlste. Celles-ci seront exposées en deux temps. J’aborderai d’abord les nuances et les clarifications que Davidson apporte à propos des prémisses et de certains présupposés théoriques qui, selon lui, n’ont pas été pris en considération par les critiques. Ensuite, j’exposerai la thèse de la survenance (supervenience), thèse complémentaire au Monisme Anomal, que Davidson utilise pour rendre compte de la relation entre les propriétés des événements, relation que Davidson laissait sans explication dans le cadre de son argument en faveur du Monisme Anomal. Il s’agit d’une version faible de la notion de survenance qui permet de poser un lien entre les prédicats mentaux et physiques, sans que ce lien soit nomologique, ce qui permet d’éviter l’échec de l’Anomalisme du Mental et le retour à la case départ. Ce lien entre les propriétés reste ainsi consistant à la fois avec l’identité des occurrences et l’Anomalisme du Mental (l’absence de lois psychophysiques strictes), prémisse capitale de l’argument en faveur du Monisme Anomal.

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notamment en ce qui concerne la version de la survenance proposée par Davidson, celles-ci ne feront pas l’objet du présent mémoire pour deux raisons : d’une part, ces problèmes ne sont pas directement liés à l’objection épiphénoménlste avancée contre le Monisme Anomal (même si certaines d’entre elles pourraient permettre de soulever le spectre à nouveau). D’autre part, la constitution du mémoire en serait particulièrement altérée, en ce sens que j’ai tenté, dans ce mémoire, de présenter la thèse de Davidson, d’exposer une objection particulière soulevée contre cette thèse pour finalement discuter et répondre à cette objection. Entrer dans le débat sur la notion de survenance aurait exigé de nouvelles discussions qui m’auraient obligé à dépasser largement le cadre d’un mémoire de maîtrise. Boucler cette nouvelle boucle devra faire l’objet d’une nouvelle recherche.

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Présupposés ontologiques et cadre théorique

La thèse du Monisme Anomal soutenue par Donald Davidson est constituée de la conjonction de deux thèses. Une thèse ontologique d’une part et une thèse épistémologique d’autre part. Les deux thèses qu’il défend ont comme arrière-fond métaphysique le matérialisme. Il ajoute, sous ce même présupposé matérialiste, une catégorie ontologique, les « événements », afin de préciser les entités qui feront plus précisément l’objet de sa thèse épistémologique. D’une part, sa thèse ontologique est constituée par l’idée qu’il y a une identité entre les occurrences d’événements mentaux et des occurrences d’événements physiques. D’autre part, sa thèse épistémologique consiste à soutenir que les prédicats mentaux (ou les explications mentales) sont irréductibles à des prédicats physiques (ou à des explications physiques). Ces deux thèses, ontologique et épistémologique, sont principalement défendues par Davidson dans « Mental Events »1. Elles seront présentées séparément, la thèse ontologique dans le second chapitre et la thèse

1 Davidson reprend les grandes lignes de ses deux thèses dans « The Material Mind » (1973a) ; « Psychology as Philosophy » (1974); « Thinking Causes » (1993a) et « Could There Be a Science of Rationality ? » (1995b).

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épistémologique dans le quatrième et dernier chapitre. Voyons d’abord comment s’articulent les présupposés matérialistes de Davidson.

1.1 Le physicalisme

Le terme « physicalisme » est généralement utilisé pour renvoyer aux théories de l’identité corps / esprit actuellement prépondérantes en philosophie de l’esprit. La théorie de l’identité tente d’expliquer les phénomènes mentaux en défendant l’hypothèse que ces phénomènes sont en fait des états neurologiques du cerveau et que ces mêmes états sont conceptuellement appréhendés à l’aide du vocabulaire de la psychologie du sens commun, plutôt qu’avec celui des neurosciences. La thèse physicaliste est essentiellement une forme de matérialisme2, c’est-à-dire : « le type de monisme selon lequel tout est matériel ou physique »3. Le physicalisme est une forme plus précise en ce sens qu’il soutient que tout ce qui existe est non seulement physique, mais aussi complètement explicable à l’aide des sciences physiques telles que nous les connaissons aujourd’hui. Les phénomènes mentaux ne peuvent donc avoir une existence autonome et distincte du monde matériel (physique), ce qui oblige les philosophes de l’esprit à chercher une place pour le mental dans la structure objective, nomologique, des sciences physiques et exactes.

Terence Morgan, dans un article sur le physicalisme (Morgan, 1995, p. 472), expose, de la manière la plus générale possible, les trois constituants principaux

2 La distinction entre «¡matérialisme » et « physicalisme » est généralement omise dans les textes en philosophie de l’esprit. Ces deux termes se distinguent néanmoins selon leur application. Le terme « matérialisme » renvoie généralement à toute thèse ontologique dont les entités fondamentales sont matérielles, alors que le terme « physicalisme » renvoie à certaines thèses matérialistes en particulier, à savoir les théories de !’identités corps Z esprit proprement dites (voir Morgan, 1995, p. 471). Dans ce texte, les deux termes seront utilisés sans distinction pour renvoyer aux thèses monistes matérialistes sous toutes leurs formes.

3 « the brand of monism according to which everything is material or physical » (Cambridge

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de la thèse physicaliste :

(1) Les humains sont, ou sont totalement constitués par des entités du type de celles postulées en physique (une physique idéalement complétée). Il n’y a pas d’âmes cartésiennes incarnées, ni d’esprits vivants, ni d’entéléchies. (2) Le corps humain est un système physico-chimique causalement complet : même si le corps est hautement sensible à l’influence causale externe, tous les événements physiques dans le corps, et tous les mouvements corporels, sont en principe totalement explicables en termes physico- chimiques.

(3) Toute exemplification de propriété par un être humain, ou à l’intérieur d’un tel être, est fondamentalement explicable en termes physico-chimiques.

Cependant, si le physicalisme demande une extrême fermeté sur l’idée que tout ce qui existe est physique et que, suite à cette idée, tout peut être expliqué à l’aide du seul vocabulaire physique, il ne rejette pas la possible existence de phénomènes non-physiques, en l’occurrence de phénomènes mentaux. Le caractère mental de certains phénomènes, indique Morgan, est donc parfaitement admis :

(4) Le monde mental est réel ; les humains passent par des états et des événements mentaux, et exemplifient des propriétés mentales.

(5) La majeure partie du comportement humain peut être décrite comme de l’action, pas simplement comme du mouvement brut ; et l’action est explicable en termes mentaux.

(6) La plus grande partie de la vie mentale humaine est explicable en termes mentaux.

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mentalement et dans l’étiologie du comportement,4

Le problème principal rencontré par les théories physicalistes est essentiellement de rendre compte de la compatibilité entre les énoncés (1)-(3) et (4)-(7), c’est-à- dire de rendre compte de la possibilité de causes et d’explications mentales dans un cadre purement physique.

Le problème se pose donc maintenant en termes de relation entre les phénomènes mentaux et les phénomènes physiques fondamentaux. Une quantité non négligeable de réponses ont été présentées jusqu’à ce jour5 en philosophie de l’esprit. Ces réponses ne seront pas toutes présentées ici, puisque le but visé par ce travail n’est pas de fournir un aperçu historique des différentes solutions, matérialistes ou non, au problème corps / esprit, mais plutôt d’exposer, avec le plus de précision possible, les présupposés ontologiques formant l’arrière-fond d’une thèse physicaliste particulière: le monisme physicaliste « non-réductif » de Davidson.

L’une des hypothèses de réponse à la question de la relation entre le mental et le physique consiste à dire que puisque tous les phénomènes sont ultimement (ou fondamentalement) des phénomènes physiques, alors les

4 « (1) Humans are, or are fully constituted by, entities of the kind posited in (an ideally completed) physics. There are no incorporeal Cartesian souls, or vital spirits, or entelechies. (2) The human body is a causally complete physico-chemical system : although the body is highly susceptible to external causal influence, all physical events in the body, and all bodily movements, are in principle fully explainable in physico-chemical terms. (3) Any instantiation of any property by, or within, a human being is ultimately explainable in physico-chemical terms. (4) Mentality is real: humans undergo mental events and states, and instantiate mental properties. (5) Much of human behavior is describable as action, not merely as raw motion; and action is mentalistically explainable. (6) Much of human mental life is mentalistically explainable. (7) Mentalistic explanation is a species of causal explanation; mentality is causally efficacious, both intra-mentally and in the aetiology of behavior. » (Morgan, 1995, p. 472)

5 Le béhaviorisme logique (Carl G. Hempel) ; les physicalismes réductif (Jaegwon Kim) et non- réductlf (Davidson); le fonctionnalisme (Jerry A. Fodor); le matérialisme éliminativiste (Paul M. Churchland) sont les formes contemporaines du matérialisme. J’omets les formes de réponses dualistes au problème corps / esprit, ainsi que les autres types de monisme tels que le mentalisme et le monisme neutre, le matérialisme étant largement admis comme la perspective métaphysique la plus probante.

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phénomènes mentaux sont en fait des cas spéciaux de ces mêmes phénomènes physiques (David M. Rosenthal, 1995, p. 348). En poussant le raisonnement à la limite, cette idée que les phénomènes mentaux sont des phénomènes physiques permet de déduire une version largement défendue de la thèse matérialiste, à savoir que les phénomènes mentaux sont plus que des cas spéciaux de phénomènes physiques, ils sont identiques à des phénomènes physiques. C’est la thèse de l’identité corps / esprit.

Je me concentrerai donc, ici, sur la présentation des thèses de l’identité défendues en philosophie de l’esprit : l’identité des types (ou physicalisme réductif) et l’identité des occurrences (ou physicalisme non-réductif)6. La thèse de Davidson étant un physicalisme non-réductif, la comparaison entre ces deux thèses permettra de fournir d’une part un arrière-fond ontologique commun et, d’autre part, d’exposer la manière dont Davidson se détache de cette base commune pour formuler sa thèse, tout en démontrant en quoi celle-ci respecte les présupposés matérialistes qu’elle s’est donnés.

Avant de poursuivre le développement sur la thèse de l’identité des types et la thèse de l’identité des occurrences, il est nécessaire de présenter d’abord la distinction entre les notions de type et d’occurrence. Cette distinction est essentielle non seulement pour la thèse de Davidson, mais elle l’est aussi en philosophie analytique de manière générale.

6 Cette manière de séparer les thèses de l’identité peut différer. Certains auteurs ne posent l’idée d’une théorie de l’identité qu’au niveau conceptuel. L’identité se réduit donc, selon eux, à une identité des types (propriétés). Dans le cas des occurrences, ils soutiennent qu’il ne s’agit pas d’une théorie de l’identité, mais d’une théorie de la dépendance entre les propriétés. Cette division est issue du fait que le physicalisme implique d’entrée de jeu l’identité des occurrences et que par conséquent, une véritable théorie de l’identité est une théorie des types (à ce sujet, voir Tim Crane 1995, p. 481).

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1.2 La distinction entre type et occurrence

La philosophie analytique avait initialement pour objet de développer une forme de philosophie fondée sur l’analyse du langage. Cette nouvelle méthode devait permettre de clarifier les discours, afin d’en soustraire les ambiguïtés, les contradictions, les arguments fallacieux, etc. Dans le but d'établir cette méthode, plusieurs distinctions, déjà présentes dans le discours philosophique, ont été reprises et mises de l’avant afin d’assurer, d’entrée de jeu, un discours clair et cohérent. L’une des distinctions fondamentales faites dans le cadre du développement de la philosophie analytique est la distinction entre les types et les occurrences.

Cette distinction est issue essentiellement de la nécessité de discerner entre l’appartenance d’un élément à un groupe spécifique, c’est-à-dire le type auquel il appartient, et l’apparition ponctuelle, l’occurrence, de cet élément dans les différents cas particuliers. L’exemple le plus simple pour illustrer cette distinction pourrait ressembler à ceci. Supposons Pierre, Paul et André, trois objets appartenant au type « homme » et Marie, Anne et Sophie, trois objets appartenant au type « femme ». Si Marie rencontre ensemble Pierre et Paul, alors cette rencontre sera constituée d’une occurrence d’objet du type « femme » et de deux occurrences d’objet du type « homme ». De même si André rencontre Anne, Sophie et Marie, il y a trois occurrences d’objets du type « femme » et une occurrence d’objet du type « homme ».

L’importance de cette distinction devient évidente si on s’attarde aux conséquences qu’elle peut avoir (entre autres) sur des énoncés dans lesquels elle n’est pas prise en considération. Par exemple, les deux énoncés suivants

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semblent se contredire :

1) Il y a sept lettres dans « William ». 2) Il y a cinq lettres dans « William ».

Cependant, les deux énoncés sont vrais si nous distinguons entre les types et les occurrences. Il suffit, pour le voir, de remarquer que 1) porte sur les occurrences (chacune des lettres particulières) et 2) sur les types de lettres (les « w », les « i », etc.). Si on ne fait pas cette distinction, on se contredit en affirmant les deux énoncés à la fois.

Ce cas démontre relativement bien que l’absence de distinction entraîne des difficultés de clarté et de compréhension, particulièrement dans les cas où nous voulons analyser un discours dans lequel nous croyons que l’auteur discute des types, alors qu’il s’en tient uniquement aux occurrences. Pire encore s’il utilise les deux sans distinction dans le même discours.

Dans le cadre de la philosophie de l’esprit, cette distinction est essentiellement liée à la théorie de l’identité. Le problème est introduit à partir de l’idée que selon les formes de matérialisme, les catégories ontologiques sont distinctes, et cette distinction implique une modification des entités qui entrent dans les relations d’identité. Pour les nominalistes (Davidson, Willard Van Orman Quine), il n’y a que les objets particuliers qui existent, les propriétés n’ont pas d’existence propre (ou elles sont réductibles à des ensembles de particuliers). Le réalisme ontologique, pour sa part, considère non seulement que les propriétés existent, mais qu’elles existent indépendamment de l’esprit. Ces deux thèses ontologiques concernant le statut des propriétés engendrent les deux thèses de l’identité qui seront discutées dans la suite de ce chapitre. D’une part, l’existence des propriétés soutenue par les réalistes permet que les relations d’identité, qui sont des relations entre des entités, soient établies entre ces mêmes propriétés (ou types). D’autre part, puisque les nominalistes (Davidson avec eux) ne

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postulent que des particuliers, et non les propriétés dont ils sont des exemplaires, la relation d’identité se réduit à une relation entre occurrences.

1.3 Le réductionnisme et l’identité type / type

Selon la thèse physicaliste, on peut donner une explication purement physique de tout ce qui existe. Il n’est donc pas surprenant que certains philosophes considèrent que les explications mentales devraient être jugées comme étant soit superflues (éliminativisme), soit réductibles d’une façon ou d’une autre à des explications physiques plus fondamentales. Or les sciences « spéciales » en général, bien qu’elles étudient les mêmes entités que la physique fondamentale (le cadre ontologique matérialiste est présupposé comme étant le même), semblent se distinguer de cette dernière par le fait que leur vocabulaire est développé d’une manière et avec un but qui leur est propre et qui est non seulement distinct du vocabulaire physique, mais qui n’a pas non plus l’ambition nomologique de ce dernier, c’est-à-dire la formulation de lois fondamentales à l’aide de son vocabulaire théorique de base.

Les sciences physiques sont perçues comme ayant les structures adéquates pour permettre de développer une théorie qui rendrait compte de tous les phénomènes réels, y compris les phénomènes mentaux. À cet effet, il semble que le physicalisme, qui cherche aussi à rendre compte de cette force théorique de la physique, ait comme but de rendre compte du statut du mental dans son rapport avec la physique fondamentale. Le physicalisme défendant deux points, soit que tous les phénomènes sont fondamentalement physiques, et que la science physique fournit une explication complète de tous les phénomènes, il semble que ce rapport soit intuitivement conçu comme un rapport de réduction de tous les phénomènes et explications mentales à des phénomènes et explications physiques. L’une des façons d’opérer cette réduction est la théorie de l’identité des types.

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La thèse de l’identité des types est fondée sur l'idée que pour développer une physique dont le vocabulaire serait suffisamment riche pour rendre compte de tous les phénomènes, il est nécessaire de reformuler les explications des sciences spéciales en termes physiques. Or les explications étant formulées à l’aide de prédicats (qui dénotent des propriétés, ou types), cette reconstruction des sciences prendra la forme d’une identification entre les types des sciences spéciales et des types physiques.

Le passage du vocabulaire mental au vocabulaire physique (dans le cas du problème corps / esprit) est possible par !’intervention de définitions ou sous la forme de lois ponts (bridge laws) reliant les types des deux domaines. Les exemples classiques de ce type d’identification sont les découvertes scientifiques telles que : « eau = H20 » ; « éclairs = décharges électriques ». Les recherches empiriques ont permis de formuler des énoncés d’identité qui font le pont entre un type de phénomène « macro-physique » et un type de phénomène « micro- physique ». Cette identification des types est conçue comme une forme de réduction, parce qu’elle renvoie les explications en termes macro-physiques à des explications en termes micro-physiques qui sont plus fondamentales. Dans le cas des explications dans le vocabulaire mental, la réduction prend une forme similaire, c’est-à-dire que les explications mentales se réduisent à des explications physiques7 et que ce sont ces dernières explications physiques qui sont généralement jugées comme étant adéquates dans un cadre matérialiste.

1.4 L’identité des occurrences

Les tentatives réductionnistes se sont généralement heurtées à un problème qui semble incontournable pour toute théorie qui tente d’expliquer la

7 La réduction du vocabulaire mental au vocabulaire physique peut prendre deux formes. Soit une réduction directement dans le vocabulaire micro-physique, soit une réduction au vocabulaire macro-physique, processus de réduction qui suivra son cours jusqu’à une éventuelle formulation en termes micro-physiques.

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relation entre le mental et le physique: la « réalisabilité multiple » (multiple

readability)8 des phénomènes mentaux. En effet, l’un des arguments majeurs des

réductionnistes consiste à dire que dans une optique physicaliste, puisque tous les phénomènes, physiques et non physiques, sont causés par des phénomènes physiques et que ces relations causales peuvent être expliquées à partir du seul vocabulaire des sciences physiques, alors les propriétés mentales se réduisent, via des lois ponts, à des propriétés physiques. Cette réduction signifie qu’il y a des propriétés physiques fondamentales qui sont les bases non seulement des autres propriétés physiques non fondamentales, mais aussi des propriétés mentales. De plus, cette réduction s’effectue par le biais de lois unissant les types mentaux à des types physiques.

Or, la réalisabilité multiple définit une caractéristique fondamentale des types mentaux, qui est qu’une même propriété mentale peut être réalisée par différentes bases physiques. Nous savons, par exemple, que les ordinateurs ont une mémoire. Cela signifie, entre autres, que l’énoncé suivant peut être vrai d’un ordinateur : « l’ordinateur O se souvient que p » (par exemple), où « se souvenir que p » est une propriété mentale. Nous savons aussi que cet énoncé peut aussi être vrai d’un humain, puisque ces derniers peuvent réaliser la propriété mentale « se souvenir que p ». Ici, nous avons un cas où la même propriété mentale est réalisée par des propriétés physiques distinctes, les ordinateurs et les humains n’ayant vraisemblablement pas la même structure. Donc, il semble que le même type mental puisse être réalisé par deux types de structures physiques distinctes, l’une neurophysiologique, l’autre électrique. Deux systèmes exemplifient la même propriété mentale, tout en ayant des propriétés physiques distinctes. Si tel est le cas, alors il ne peut y avoir de lois reliant les types mentaux aux types physiques,

8 La notion de réalisabilité multiple fut initialement introduite par les fonctionnalistes, qui défendaient l’idée que les mêmes états fonctionnels, ou les rôles causaux, peuvent être réalisés par des systèmes physiques distincts. Un désir que D peut, par exemple, être réalisé par un état neurophysiologique chez l’être humain et par une connexion électrique dans un humanoïde (ou un quelconque robot).

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puisque nous ne sommes jamais à même de déterminer quelle base physique réalisera telle ou telle propriété mentale.

Le matérialisme non-réductif rejette donc, Davidson lui-même le souligne dans « Mental Events »9, deux des propositions fondamentales du physicalisme, c’est-à-dire les propositions (2) et (3). Le physicalisme non-réductif se caractérise, par conséquent, par l’impossibilité de formuler des lois ponts entre les types mentaux et les types physiques. Cette impossibilité relègue l’identité, initialement formulée par les réductionnistes comme étant une identité des types, à de simples identités d’occurrences.

La thèse de l’identité des occurrences tente de définir une relation entre les propriétés (types) mentales et les propriétés physiques qui permette de rendre compte de la multiple réalisation des phénomènes mentaux. Les propriétés mentales seraient, selon cette théorie, dépendantes des propriétés physiques, mais elles ne s’y réduiraient pas. Cette dépendance est qualifiée par le fait que même si les propriétés mentales peuvent être instanciées par plusieurs bases physiques, elles n’en sont pas détachées, puisque cela signifierait que certaines propriétés mentales ne sont pas réalisées par des bases physiques, ce qui engendre le dualisme ontologique et l’échec du physicalisme. La relation de dépendance des types mentaux sur les types physiques semble donc être la seule porte de sortie pour une thèse qui cherche à défendre l’approche physicaliste, sans pour autant perdre de vue les caractéristiques fondamentales de la réalité mentale.

Les discussions présentées ici sur le physicalisme ont été développées avec le souci de formuler, le plus généralement possible, les différentes thèses et problématiques liées à cette perspective métaphysique. Cependant, l’un des problèmes majeurs rencontrés par les théories monistes (physicalistes) est de

9 « Anomalous Monism ressembles materialism In its claim that all events are physical, but rejects the thesis, usually considered essential to materialism, that mental phenomena can be given purely physical explanations. » (Davidson, 1970, p. 214).

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caractériser les entités fondamentales (Brian P. McLaughlin, 1995, p. 599). Comme tous les matérialistes, Davidson soutient l’existence d’objets physiques. Cependant, postuler uniquement des objets physiques ne permet pas de rendre compte, entre autres, de l’action humaine en général. Ce problème est lié au fait que lorsque nous tentons d’expliquer une action particulière, ce dont nous parlons n’est certes pas d’un simple objet. L’ontologie doit donc être précisée, de manière à rendre compte de tout ce à quoi nous pouvons référer dans le monde.

Caractériser les entités que sont les actions constitue une suite logique de cette présentation du physicalisme comme approche métaphysique générale. Davidson a soulevé quelques arguments pour défendre l’idée que dans le cadre des théories de l’action, et en philosophie de l’esprit en général, seule une ontologie d’événements répond adéquatement aux différents problèmes soulevés par cette entreprise. D’où la nécessité de développer cette ontologie, non seulement parce qu’elle fournit une définition précise d’une catégorie de l’ontologie de Davidson, mais aussi parce qu’elle constitue un élément essentiel, nous le verrons plus loin, de sa thèse de l’identité.

1.5 L’ontologie d’événements de Davidson

Dans « Mental Events », Davidson soutient que les événements constituent une catégorie ontologique, qu’ils sont des particuliers non réitérables, spatio- temporellement localisés10. Dans la mesure où cette conception des événements est essentielle à la formulation de la théorie de l’identité des occurrences qu’il veut défendre, il est nécessaire de présenter, du moins dans ses grandes lignes, l’ontologie d’événements qu’il défend. Davidson introduit cette catégorie ontologique à partir de considérations sémantiques. Ce qui le pousse dans cette direction est que, selon lui, toute théorie sémantique du langage implique une étude de la relation entre ce même langage et la réalité. Pour cette raison, il

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considère que les théories sémantiques permettent, dans la mesure où elles tentent de rendre compte de cette relation, de développer des réponses valables aux différents problèmes métaphysiques liés à la nature de la réalité. Davidson semble donc croire que nous pouvons tirer de l’analyse sémantique du langage une ontologie, une conception de la réalité (Davidson, 1977, p. 199).

Cette relation entre le langage et la réalité n’est pas, selon Davidson, la seule caractéristique d’une bonne théorie sémantique. Il soutient que la sémantique possède certains traits semblables à ceux de la syntaxe, c’est-à-dire que pour produire l’infinie quantité d’énoncés pourvus de signification dans le langage naturel, il est nécessaire de concevoir les théories sémantiques comme étant finies, au sens où une quantité finie d’axiomes devrait nous permettre de formuler tous les énoncés (pourvus de signification) possibles d’une langue. Pour défendre cette caractéristique de la sémantique, Davidson reprend l’idée que la recursion des expressions sémantiques primitives (semantical primitive) est une condition nécessaire à !’apprentissage d’une langue (Davidson, 1965, pp. 8-9). Il semble en effet difficile de soutenir que d’apprendre une langue implique la connaissance de tous les énoncés pourvus de sens qui sont possibles dans le cadre de celle-ci. Une défense complète de cette idée n’est toutefois pas nécessaire ici. Ce qui importe, c’est que Davidson conçoit le langage comme ayant une quantité finie d’expressions sémantiques primitives, c’est-à-dire que les théories sémantiques doivent mettre à jour une quantité finie de structures logiques pour un ensemble infini d’énoncés.

Ces deux précisions concernant la conception davidsonienne des théories sémantiques permettent de formuler les deux buts que Davidson poursuit dans le cadre de son entreprise sémantique. Bien qu’il considère ces mêmes buts comme étant équivalents (Davidson, 1973b , pp. 70-71), ils les distinguent néanmoins de la façon suivante : d’une part, l’entreprise sémantique doit permettre de mettre à jour la structure logique des énoncés du langage sur lequel elle porte (mettre à jour les axiomes sémantiques) et, d’autre part, elle doit fournir les conditions de

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réalité). Puisque !’accomplissement de l’une ou l’autre de ces tâches doit vraisemblablement permettre de rendre compte de la manière dont Davidson déduit une ontologie d’une sémantique (étant donné que ces deux tâches constituent le même projet), une seule sera présentée ici. Il sera question essentiellement de l’analyse de la forme logique des énoncés, et plus spécifiquement de celle des énoncés d’action, telle qu’il la propose dans « The Logical Form of Action Sentences ».

Dans ce texte, Davidson suggère d’analyser les énoncés d’action, afin de faire ressortir leur structure logique. Selon lui, un énoncé singulier d’action comme :

(8) Pierre a mangé une pomme à la cafétéria à trois heures.

compte parmi ses conditions de vérité une action particulière ayant telle et telle caractéristiques ou plutôt, une action que l’on décrit de telle et telle manières. Puisque cet énoncé est censé n’avoir parmi ses conditions de vérité qu’une seule et unique action, la forme logique de ce dernier devrait rendre compte, entre autres, de cette caractéristique. Il suggère, comme première hypothèse, d’analyser l’énoncé (8) comme ayant intuitivement la forme logique suivante :

(9) Il y a une action x, telle que x a été produite par Pierre et

X a été produite sur une pomme et x a été produite à la cafétéria et xa été produite à trois heures.

Puisque l’énoncé est censé avoir comme condition de vérité une action particulière, la forme logique devrait faire ressortir un terme singulier qui fait référence à l’action en question, c’est-à-dire un terme qui remplacerait la variable « x» dans (9). Or Davidson soutient qu’il n’y a rien dans un énoncé comme (9) qui peut jouer le rôle d’un terme singulier. Même si nous savons que l’action à laquelle nous voulons référer par la variable « x » en question est celle de manger, le

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terme « manger » lui-même n’est pas un terme singulier qui pourrait remplacer la variable d’action « x», puisqu’aucun prédicat n’est un terme singulier.

Puisque cette analyse logique n’est pas concluante, Davidson se tourne vers une analyse en termes de prédicats et analyse l’énoncé (8), à la suite de Anthony Kenny11, comme étant constitué d’un verbe d’action jouant le rôle d’un prédicat à quatre places d’argument (four-place predicate) : « dont les places d’argument sont remplies comme d’ordinaire par des termes singuliers ou des variables liées »12 (Davidson, 1967a, p. 152). Ainsi, les énoncés suivants :

(10) Pierre a mangé une pomme à la cafétéria. (11 ) Pierre a mangé une pomme.

(12) Pierre a mangé.

auraient respectivement la constitution de prédicats à trois, deux et une places d’argument. Or, si on s’accorde pour dire que les énoncés (10), (11) et (12) ont des places d’argument en nombre indéterminé, il semble possible de dire qu’ils pourraient alors en contenir plus et que le prédicat à quatre places d’argument identifié plus tôt pourrait contenir un nombre de places d’argument qui est indéterminé. Cette manière de concevoir les verbes d’action comme contenant des prédicats dont le nombre de places d’argument varie est nommée par Kenny « polyadicité variable » (variable polyadicitÿ). Cette polyadicité constitue en fait un problème pour les verbes d’action et c’est l’objection que tente de soulever Kenny. Objection avec laquelle Davidson est en accord : « Je suis enclin à être d’accord avec Kenny sur le fait que nous ne pouvons pas considérer les verbes d’action comme contenant habituellement un grand nombre de places »13 (Davidson,

11 Kenny, 1963. Action, Emotion and Will, ch. VII.

12 « with the argument places filled in the obvious ways with singular terms or bound variables. » (Davidson, 1967a, p. 107)

3 « I am Inclined to agree with Kenny that we cannot view verbs of action as usually containing a large number of standby position » (Davidson, 1967a, p. 108).

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remplies » (standby position) que comporte chaque prédicat ?

Dans les énoncés (8), (10), (11) et (12), le terme « a mangé » constitue l’élément syntaxique commun : « dont nous reconnaissons intuitivement qu’il joue un rôle pertinent dans les relations sémantiques entre ces phrases »14 (Davidson, 1967a, p. 152). Davidson soutient donc qu’il existe un lien logique entre les énoncés (8), (10), (11) et (12). Ces quatre énoncés sont des descriptions de la même action. Comment rendre compte de ce phénomène dans notre analyse logique des énoncés d’action ?

Selon Davidson, il existe certains énoncés d’action qui semblent permettre une référence directe à une seule et unique action. C’est le cas par exemple de l’énoncé :

(13) Brutus a tué César

César ne pouvant être tué à deux reprises, nous avons le défaut de croire que cette description renvoie directement à une seule et unique action. Il s’agit cependant d’un cas dont la particularité relève d’un fait contingent, et cette contingence ne peut se révéler dans la structure logique. Les énoncés d’action doivent être généralement considérés, selon Davidson, comme ne portant pas directement sur une action particulière. Ainsi,

(14) Brutus a embrassé César

peut être dit de toutes les fois où Brutus a embrassé César. Il n’y a donc pas, en surface, de terme singulier permettant de signifier qu’il s’agit d’une action particulière. Puisque la particularité de l’énoncé (13) dépend d’un fait contingent,

14 « which we intuitively recognize as relevant to the meaning relations of the sentences. » (Davidson, 1967a, p. 107)

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l’analyse logique de cet énoncé ne diffère pas de l’analyse logique de l’énoncé (14). Dans les deux cas, aucun terme singulier ne permet de renvoyer à une action particulière.

Pour résoudre ce problème de référence, Davidson soutient que la structure profonde d’un énoncé comme (8) ne devrait pas être conçue comme étant constituée d’un verbe d’action contenant un prédicat à plusieurs places d’argument, mais plutôt d’un prédicat à trois places d’argument seulement15, dont l’une est remplie par une variable pour action. En ajoutant conjointement la limite de places et la variable pour action, la forme logique de (8) pourrait être convenablement représentée par l’énoncé (15):

(15) (3x) (manger ( Pierre, pomme, x ) & lieu ( cafétéria, x ) & temps ( trois heures, x) )

il existe une action x, qui est une action de type manger, par Pierre, sur une pomme, et x a été produite dans la cafétéria, et x a été produite à trois heures. Cette nouvelle analyse permet de rendre compte de la relation logique entre les énoncés (8), (10), (11) et (12), sans toutefois être confronté au problème de la polyadicité variable. Elle permet aussi de rendre compte des deux caractéristiques identifiées initialement concernant les théories sémantiques, à savoir que les expressions sémantiques primitives sont en nombre fini (une seule structure logique pour plusieurs énoncés) et que l’analyse logique des énoncés permet de rendre compte de la relation langage / réalité.

15 Davidson ne propose aucun argument pour soutenir que le nombre de places d’argument pour un prédicat d’action transitif est de trois. De plus, cette position de Davidson a aussi pour conséquence le fait que les cas où les verbes comme « manger » sont intransitifs (« Pierre mange ») doivent être analysés de manière distincte des cas où « manger » est transitif, les verbes intransitifs n’admettant en effet aucune place d’argument pour le complément d’objet. Davidson admet cependant cette distinction et soutient que dans les deux cas, il s’agit de prédicats distincts, donc n’ayant pas la même structure logique. Pour une discussion de ce problème et des conséquences ontologiques de l’analyse logique des énoncés sur les événements, voir Terence Parsons, Events in the Semantics

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La conclusion de la sémantique à l’ontologie est maintenant plus évidente. La quantification de la variable d’action « x» dans (15) démontre l’idée de Davidson selon laquelle « il y a des choses telles que des actions »16 (Davidson, 1967a, p. 154). Les actions existent (elles forment une catégorie ontologique), dit Davidson, parce que nous quantifions sur de telles entités. C’est pourquoi l’ontologie qu’il défend est essentiellement issue de considérations sémantiques. Cependant, Davidson ne caractérise pas son ontologie en termes d’action, mais plutôt en termes d’événement. Un problème persiste donc dans son analyse. Comme le souligne Ernest LePore (1985, p. 157), on peut facilement se demander : « pourquoi des événements ? »

Il n’y a pas d’argument « formel » pour défendre l’idée qu’il s’agit d’événements. Par ailleurs, comme le note encore LePore (1985), cette idée est intéressante en raison de sa fertilité : « Il est important d’ajouter ici et d’insister sur le fait que !’explication de Davidson n’est pas développée par bribes, ni de façon expéditive ou ad hoc, mais qu’elle est très englobante, simple, élégante et générale. Elle traite d’une multitude de choses distinctes de manière unifiée. Ce qui est une immense vertu pour toute théorie. »17 Ces caractéristiques tiennent au fait que Davidson tire son ontologie de sa sémantique. Il n’introduit pas la notion d’événement de façon ad hoc, mais bien parce que la structure de notre langage démontre que nous faisons référence à de telles entités.

D’autres remarques peuvent être présentées à titre d’argument en faveur de l’ontologie d’événements de Davidson. Il n’est cependant pas nécessaire d’en faire état ici. Ce qui est important, c’est que Davidson semble bien avoir démontré qu’une telle ontologie est essentielle pour rendre compte de manière adéquate des actions et surtout, que cette ontologie implique que les entités en question

16 « there are such things as actions » (Davidson, 1967a, p. 108).

17 « It is important to add here and stress that Davidson’s account is not piecemeal, make-shift, or

ad hoc, but very comprehensive, simple, elegant, and general. It deals with a lot of different things in

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sont des particuliers. Il considère de plus qu’il s’agit de la seule manière adéquate pour qu’un tel compte rendu soit possible dans le cadre d’une théorie de l’identité :

Il y a un autre domaine où l’on a besoin des événements : les formes les plus sérieuses de théories de l’identité de l’esprit et du cerveau requièrent que nous identifiions les événements mentaux à certains événements physiologiques ; si ces théories ou les théories opposées ont un sens, les événements doivent être des individus.18 (Davidson, 1969, p. 222)

Dans la mesure où Davidson soutient une thèse de l’identité des occurrences et que les occurrences sont des particuliers spatlo-temporellement localisés, une ontologie d’événements particuliers est plus qu’essentielle à son propos.

1.5.1 Les événements mentaux

L’idée que les événements sont des particuliers non réitérables étant soutenue par Davidson, comment expliquer alors que certains événements soient mentaux et d’autres physiques ? La réponse qu’il tente de donner à ce problème consiste essentiellement à dire que la distinction entre les événements mentaux et les événements physiques, si elle ne se situe pas au niveau ontologique (étant donné qu’il n’y a pas de distinction à ce niveau, mais bien identité), se situe dans la manière d’appréhender l’événement, c’est-à-dire dans notre manière de décrire l’événement dans un vocabulaire ou dans un autre. Pour rendre compte de cette idée, Davidson propose un critère du mental et discute deux interprétations de celui-ci.

18 « A further need for events springs from the fact that the most perspicuous forms of the identity theory of mind require that we identify mental events with certain physiological events ; If such theories or their denial are intelligible, events must be particulars » (Davidson, 1969, p. 165).

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Le critère que Davidson propose est relativement simple: un événement est mental s’il est décrit à l’aide de termes mentaux (dans le vocabulaire des attitudes propositionnelles) et physique, s’il est décrit en termes physiques. Cependant, Davidson soutient que ce critère soulève d’entrée de jeu une difficulté si nous l’interprétons en termes de prédicats. Si dire qu’un événement est mental signifie qu’il existe un prédicat mental vrai de cet événement, alors il semble que de ce même événement nous puissions dire qu’il existe aussi un prédicat physique que nous pouvons lui attribuer.

L’exemple qui suit est du même type que celui de Davidson, c’est-à-dire qu’il est fondé sur l’idée que si un prédicat appartient à un certain vocabulaire, alors sa négation appartient inévitablement à ce même vocabulaire. Donc, assumons que le prédicat « être une action de manger » appartient au vocabulaire physique19. De toute évidence, le prédicat « ne pas être une action de manger » doit aussi appartenir au vocabulaire physique. Or, si nous prenons en considération le fait qu’un prédicat et sa négation englobe tous les événements possibles, (c’est-à-dire que si le premier prédicat est vrai de trois événements qui sont des actions de manger, alors le second sera vrai de tous les autres événements qui eux ne se sont pas des actions de manger - essentiellement le principe du tiers exclu), alors le prédicat « ne pas être une action de manger » est vrai de tous les événements (sauf trois), qu’ils soient physiques ou mentaux. Cette interprétation du critère ne permet donc pas de saisir de manière unique les événements qui sont mentaux.

Vu l’échec de ce premier critère, Davidson propose une seconde approche dont le point de départ n’est plus !’attribution de prédicats, mais le contexte linguistique généré par !’utilisation de certains verbes. Il explique, dans « Mental Events » qu’il existe certains verbes que nous pouvons qualifier de mentaux : « Nous pouvons qualifier de « mentaux » les verbes qui expriment des attitudes

19 Que le prédicat en question soit physique ou mental n’a pas d’importance. Ce qui est fondamental dans cet exemple, c’est de montrer qu’un prédicat peut être jugé physique et s’appliquer à des événements qui ne sont pas physiques, ou inversement.

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propositionnelles tels que croire, avoir l’intention de, ... et ainsi de suite »2° (Davidson, 1970, p. 281). Davidson cherche à mettre en évidence le fait que ces verbes sont mentaux avant tout parce qu’ils engendrent apparemment des contextes intensionnels (Davidson, 1970, p. 211). Une conséquence du critère précédent est que le vocabulaire mental : « manifeste ce que Brentano appelait de l’intentionnalité»20 21 (Davidson, 1970, p. 282). Cette précision par rapport au vocabulaire mental22 est soulevée par Davidson principalement parce que ce second critère souffre de la même difficulté que l’interprétation précédente.

« La chute de la statue de Charles de Gaulle devant le Parlement » décrit un événement physique. Cependant, l’occurrence de cet événement correspond exactement au moment où, alors que je suis concentré sur la lecture d’un ouvrage passionnant, je ressens qu’une forte douleur se manifeste dans ma tête. Ce dernier événement, la douleur que je ressens dans ma tête, est décrit en termes mentaux et donc, selon le critère de Davidson, constitue un événement mental. Puisque les deux événements surviennent au même temps t, l’événement x, qui est la chute de la statue de Charles de Gaulle devant le Parlement, peut donc être redécrit de la manière suivante : « L’événement x tel que x s’est produit au moment où je ressentais une forte douleur à la tête ». Cette redescription de la chute de la statue de Charles de Gaulle devant le Parlement est faite avec au moins un terme du vocabulaire mental, ce qui, toujours selon le critère, nous oblige à dire qu’il s’agit d’un événement mental :

On pourra probablement appliquer la même stratégie pour montrer que tout événement est mental ; il est donc manifeste que nous n’avons pas réussi à saisir le concept intuitif du mental. Il serait intéressant d’essayer de remédier à ce défaut, mais ce n’est pas nécessaire pour notre propos. Nous pouvons nous permettre cette extravagance spinoziste

20 « We may call those verbs mental that express propositionnai attitudes like believing, intending,... and so on » (Davidson, 1970, p. 210).

21 « exhibits what Brentano called intentionality. »

22 Davidson ne suggère aucune caractérisation du vocabulaire physique (quels verbes sont physiques, etc.). Il considère que la limite posée par les éléments proposés du vocabulaire mental (le caractère intentionnel), si imprécise soit-elle, est suffisante pour son propos.

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dans notre caractérisation du mental, puisque ce genre d’inclusions accidentelles ne peut que nous renforcer dans l’hypothèse que tous les événements mentaux sont identiques à des événements physiques. Ce qui serait gênant serait de ne pas pouvoir, par notre critère, inclure des événements mentaux véritables, mais il semble qu’il n’y ait aucun danger que cela se produise.23 (Davidson, 1970, p. 283)

Le critère proposé par Davidson ne permet donc pas, sous une interprétation ou une sous une autre, de définir clairement le « royaume » des événements mentaux. Cependant, comme Davidson le souligne, il n’y a pas échec total du critère, mais seulement une faiblesse liée à l’idée qu’il fait de tous les événements des événements mentaux. Celui-ci semble permettre de rendre compte de l’idée qu’il existe des événements mentaux, ce qui est suffisant pour justifier son argument24. Une fois la thèse du Monisme Anomal posée, tout événement considéré par la suite comme mental, sous quelque critère que ce soit, sera considéré comme inclus dans la portée de la thèse25.

23 « This strategy will probably work to show every event to be mental ; we have obviously failed to capture the intuitive concept of the mental. It would be instructive to try to mend this trouble, but it is not necessary for the present purposes. We can afford Spinozistic extravagance with the mental since accidental inclusions can only strengthen the hypothesis that all mental events are identical with physical events. What would matter would be failure to include bona fide mental events, but of this there seems to be no danger » (Davidson, 1970, p. 212).

24 Nous verrons, dans l’analyse de la première prémisse de l’argument (le Principe de !’Interaction Causale), que la faiblesse du critère du mental se répercute sur l’argument lui-même. Le problème est essentiellement que le Principe de !’Interaction Causale est plus restrictif que le critère du mental.

25 Davidson ne reprend pas la recherche d’un critère du mental dans les textes qui ont suivi « Mental Events ». On peut toutefois trouver une discussion sur le sujet dans Laurier, 1989, « L’anomalisme du mental et la dépendance psychophysique ».

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La théorie de ¡,identité de Davidson : Le Monisme Anomal

L’argument de Davidson en faveur de l’identité des occurrences est formulé à partir de trois prémisses qui paraissent incompatibles, à première vue du moins. Cependant, Davidson insiste sur l’idée que prises indépendamment, ces trois mêmes prémisses sont vraies et que, par conséquent, l’argument formé à partir de celles-ci devrait conduire à une conclusion vraie, non à une contradiction. Pour défendre l’idée que les trois prémisses sont compatibles entre elles, et, de ce fait, exposer l’argument de Davidson en faveur du Monisme Anomal, il est essentiel de clarifier ces trois prémisses, afin d’en exposer certaines particularités et, pour certaines d’entre elles, de fournir les arguments qui ont permis de les établir.

Les trois prémisses de l’argument en faveur du Monisme Anomal sont initialement formulées comme des principes dans « Mental Events »:

PIC Le Principe de !’Interaction Causale : Au moins certains états mentaux interagissent causalement avec des événements physiques.

PCNC Le Principe du Caractère Nomologique de la Causalité : Les événements qui entretiennent des

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RAM Le Principe de l’Anomalisme du Mental : Il n’y a pas de lois déterministes strictes à partir desquelles on puisse prédire et expliquer la nature exacte des événements mentaux.26 (Davidson, 1970, pp. 278- 279)

Ces trois formulations proposées par Davidson seront discutées tour à tour dans ce second chapitre. En dernier lieu, je présenterai l’argument en faveur du Monisme Anomal, qui sera formulé à l’aide des prémisses discutées et révisées.

2.1 Première prémisse : Le Principe de !’Interaction Causale

L'interaction causale est généralement considérée comme étant une intuition relativement évidente pour tous ceux qui se préoccupent du problème corps / esprit de près ou de loin. Il n'est donc pas nécessaire d'en élaborer une discussion approfondie ici. Ce qui est pertinent pour le propos, c’est de montrer comment une relation causale peut prendre forme entre des événements mentaux et des événements physiques ; ou plus précisément, comment les événements mentaux peuvent être des causes ou des effets d’événements physiques. Deux exemples simples permettront de rendre compte de cette intuition.

La perception est généralement considérée comme le cas type de relation causale reliant un événement physique (cause) à un événement mental (effet). Vous êtes à une partie de baseball opposant les Cardinals de St-Louis aux Cubs

de Chicago et Marc Mcguire s’amène au bâton avec la possibilité de frapper son

soixante-deuxième circuits de la saison et de battre le record de circuits établi par

26 (PIC) « At least some mental events Interact causally with physical events » ; (PCNC) « Events related as cause and effect fall under strict deterministic laws » et (PAM) « There are no strict deterministic laws on the basis of which mental events can be predicted and explained. » (Davidson, 1970, p. 208)

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Roger Maris en 1961. La balle est alors frappée en direction du champ gauche et

vous vous soulevez en formulant le désir que celle-ci soit frappée suffisamment loin pour que ce coup constitue un circuit et que le record soit battu27. Le mouvement de la balle qui se dirige vers la clôture est un événement physique, et il semble être la cause de votre désir que cette balle soit frappée suffisamment loin pour qu’elle passe par dessus la clôture, un événement mental. Des cas simples de relations causales de ce type, allant du physique au mental, se produisent régulièrement autour de nous.

Les cas de relations causales allant du mental au physique sont tout aussi nombreux. En prolongeant l’exemple plus haut, vous n’avez qu’à imaginer le spectateur qui, emporté par son désir, se soulève trop rapidement et renverse le pop corn de son voisin de gradin. C’est un cas d’événement mental (un désir que la balle traverse la clôture) qui cause un événement physique (le renversement du pop corn). Dans ce cas, l’effet en question est produit par une action non intentionnelle, mais vous pouvez tout aussi bien construire un cas d’action intentionnelle à partir de la même cause mentale28. Dans un cas comme dans l’autre, ce qui est essentiel, c’est de démontrer que l’intuition de Davidson (et de tous les autres) concernant !’interaction causale est fondée et qu’aucun argument particulier n’est nécessaire pour juger de la vérité de ce principe.

Davidson ne présente donc aucun argument pour défendre le Principe de !’Interaction Causale et se fie uniquement à nos intuitions. Pour cette raison, la formulation qu’il suggère dans « Mental Events » est imprégnée de prudence quant à la quantification du principe. Ce dernier est initialement formulé (voir l’énoncé (PCI) ci-haut) par Davidson comme s’il ne s’appliquait qu’à certains événements (quantificateur existentiel). Cette formulation est liée au fait qu’une

27 Plus de trente milles spectateurs présents au stade Busch dans la soirée du 8 septembre 1998 seraient probablement prêts à témoigner de cette interaction.

28 Par exemple, si le spectateur se soulève et prend son voisin de gradin par le cou pour se préparer à partager cette possibilité que le record soit battu, son désir cause le débalancement du corps de son voisin vers lui (relation de cause mentale à effet physique).

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conclure de nos simples intuitions à une formule universelle, alors que la formulation existentielle est suffisante puisqu’elle est directement le fruit de ces mêmes intuitions. Cette formulation suggère toutefois, comme Davidson l’explique lui-même (1970, p. 208), qu’il y a des événements mentaux qui n’entrent pas en relation causale avec des événements physiques.

Le problème soulevé par l’idée que le Principe de !’Interaction Causale est un énoncé avec un quantificateur existentiel est essentiellement que si certains événements mentaux ne sont pas liés causalement avec le monde physique, alors Davidson semble être obligé de soutenir une forme de dualisme pour au moins certains événements mentaux, puisque les théories physiques ne pourraient rendre compte de ces derniers, et donc du monde mental dans sa « totalité ». Davidson propose deux façons de repousser cette possibilité. Il soutient d’abord que : « s’il existe des événements mentaux qui ne sont pas des causes ou des effets d’événements physiques, ils n’interviendront pas dans mon argumentation »29 30 (Davidson, 1970, p. 279). Cette précision provient essentiellement du fait que ce qui intéresse Davidson, ce sont les cas de causalité mental / physique ou physique / mental (mental / mental aussi, bien qu’au niveau du PIC ce ne soit pas pertinent) et que son argument est formulé pour ceux-ci seulement. À cet effet, la formulation initiale du principe est donc suffisante. Toutefois, dans « Mental Events », il suggère la possibilité d’un énoncé avec un quantificateur universel : « je pense qu’on peut avoir de bonnes raisons de soutenir que tous les événements mentaux ont en dernière instance, peut-être par !’intermédiaire de relations causales avec d’autres événements mentaux, des liens causaux avec des événements physiques »3° (Davidson, 1970, pp. 278279־). Dans

29 « if there are mental events that have no physical events as causes or effects, the argument will not touch them. » (Davidson, 1970, p. 208)

30 « I think that reasons could be given for the view that all mental events ultimately, perhaps through causal relations with other mental events, have causal intercourse with physical events. » (Davidson, 1970, p. 208)

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