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Pandémies: le nationalisme est mauvais pour la santé

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Academic year: 2021

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Pandémies:

le

nationalisme

est

mauvais

pour

la

santé

Speranta

Dumitru

Résumé: Face à la pandémie du Covid-I9, laplupartdes États du

monde ont décidé, au mépris des recommandations de l’OMS, de

fermer lesfirontières a toutes les nationalités à l’exception de leurs

propres ressortissants.Lechapitre analysecedouble réflexe

nationa-listequiaralentiles décisionssanitaires appropriées.

La santé mondiale est une science pluridisciplinaire qui étudie

<<lesquestions de santéquitranscendent lesfrontières nationales et

les gouvernements, et qui en appellent à agir sur les forces mon-diales déterminant la santé des gens‘>>. Les pandémies, comme

celles dunouveau coronavirus, en font partie.

Enpratique,

il

arriveque desquestions de santémondiale soient

abordéescommesiellesavaientuneportéenationale. Lesdécisions

politiques sont biaisées par ce que les sciences sociales appellent

«nationalisme

méthodologique»,

à savoir ce réflexe

qui

nous pousse à considérer le cadre national comme

l’unité

pertinente d’analyse2. La question des conséquences que peuvent avoir ces

décisions biaisées aété moinsétudiée: lenationalisme méthodolo-gique peut-il, par exemple, aggraverune crise sanitaire?

Ce chapitre analyse deux versions de nationalisme méthodolo-gique qui ontbiaisé lespremières réponsespolitiques à l’épidémie

de Covid-19. Lapremière, spatiale, consisteà surestimer

l’impor-tancedesfrontières nationales. Laseconde,sociale, surestime

l’im-portancedelanationalitédespersonnes.Dans lacriseduCovid-19,

lesdeuxbiais ontralentilaprisededécisions appropriées, laissantle

virus se propager.

l. I. KICKBUSCH,«The need foraEuropean strategyon globalhealth»,

Scan-dinavianJournalofPublicHealth, n°34, 2006, p. 561-565.

2. Pouruneanalysedétaillée,voirS.DUMITRU, <<Qu’est-cequelenationalisme

méthodologique?Essaidetypologie»,Raisonspolitiques,n° 54,2014,p. 9-22;

S.DUMITRU, <<Nationalisme méthodologique»,dansP.SAVIDAN(dit),

(2)

LE

RÉFLEXE DES FRONTIÈRES

Le premierréflexe des États face a un problème de santé

mon-diale a été de fermer les frontières.

Alors

qu’enjanvier, 1’Organi-sation mondiale de la santé (OMS) avait recommandé d’éviterles

restrictions dutrafic internationaldevoyageurs1,plusieurs paysont désobéi, en fermant d’abord les frontières avec la

Chine?

Pourun temps, lesrecommandations de

l’OMS

d’instaurer des

contrôles sanitaires à la sortiedes zones affectées et à l’entrée des

zonespasencorecontaminéesontétésuivies.Maisaprèsle12mars,

lorsque les États-Unis ont fermé les frontières avec les pays

euro-péens, tout a basculé. De plus en plus d’Etats ont remplacé les

contrôles sanitaires aux frontières par des interdictions fondées sur la nationalité. En une semaine, la plupart d’entre eux ont refusé l’entrée à toutes les nationalités, à l’exception de leurs

pro-pres ressortissants.

Les spécialistes en santé mondiale ont alerté sur le caractère illégal de cesfermetures des frontières? En prenantces décisions, la plupart des États ne respectaient pas les engagements

qu’ils

avaient pris en adoptant, en 2005, le Règlement sanitaire

interna-tional

de

l’OMS

4. Lerèglement, légalementcontraignant, dispose, à sonarticle43, que lesmesuresprisesparles Etatsfaceauxrisques sanitaires«ne doiventpas êtreplus restrictivespour letrafic inter-national,

ni

plus intrusives ouinvasivespourlespersonnes, que les

autresmesuresraisonnablement applicables qui permettraient

d’as-surerleniveauappropriédeprotectiondelasanté>>(43-1). Pourêtre

proportionnées, les mesures doivent s’appuyer sur <<des principes

scientifiques» et sur <<les éléments scientifiques disponibles»

(43-2). Lorsqu’un État prend des mesures qui <<entravent de manière

importanteletrafic international>>, comme le «refusde l’entrée ou

de la sortie des voyageurs internationaux pendant plus de 24 heures», cet État

doit

<<

fournir

à

l’OMS

les raisons de santé

l. Enjanvier, deuxavisdel’OMSrappellentlesmesuressanitairesàprendre,cf.

World Health Organization. (2020) «Updated WHO advice for international

traffic in relation to theoutbreak ofthenovel coronavirus2019-nCoV». 2. T. O’CONNOR, <<China’sneighbors close borders as country’s coronavirus

cases surpass lastmajor outbreak»,Newseek, 30janvier 2020.

3. R.HABIBIetcoll.,<<Do notviolatetheInternational Health Régulationsduring

theCOVID-l9outbreak>>,TheLancet, n°395,2020, p.664-666;B.M.MEIER et

coll., «Travel restrictions violate international law>>, Science, n° 367, 2020,

p. 1436.

(3)

publique et les informations scientifiques>> qui

justifient

ces

déci-sions (43-3).

Or, lesprincipeset lesinformations scientifiques disponiblesne

justifient

pas les restrictions du trafic international. De plus, la plupart des pays

n’ont

pas notifié à

l’OMS

les raisons de santé

publiqueayantmotivé leurdécision. Les chercheurs enjoignentles

gouvernements desuivre plutôtles recommandations de

l’OMS

en augmentant lenombre detests eten s’assurant que ladistanciation sociale est respectée.

LE

PIÈGE DU <<CONTENEUR NATIONAL»

Leréflexe de fermerles frontières illustre la version spatiale du nationalismeméthodologique. Legéographe JohnAgnewaanalysé notre inclinationànous représenter lemonde comme la somme de

territoires étatiquesjuxtaposés1. Les frontières semblent dessiner

desunités spatiales élémentaires, fixes, quiauraienttoujoursexisté ainsi. Nous les imaginons comme des <<conteneurs», des

récepta-cles pour despopulationshomogènes à

l’intérieur

mais différentes

les unes des autres.

Lorsqu’onregardelemonde àpartir

d’un

<<conteneur»,

il

paraît

naturellement structuré par les oppositions intérieur/extérieur et

national/intemational. MaisAgnew avertitque cette représentation géographique esttrompeuse. Ellenous tend un «piège territorial>>

qui obscurcitdesphénomènesqui ontlieuàd’autres échellesque le

territoire national.

Dans lagestionde lapandémie, lesgouvernements sont tombés

dans ce «piège

territorial».

En fermant les frontières, ils ont sur-estimé le rôle protecteur du <<conteneur». Pourarrêterl’épidémie,

cette décision estinefficacecar une foisque levirus estprésentsur

unterritoire,

il

sepropageàtraverslescontactslocaux.Lafermeture

desfrontièresneretardeque depeul’épidémie, comme

l’ont

montré

denombreusesétudessurlapropagationdesvirusdelagrippeoude

l’Ebola

2.

l. J.AGNEW,«Lepiègeterritorial.Les présupposés géographiquesdelathéorie

desrelations internationales»Raisonspolitiques, n° 54,2014,p. 23-51.

2. A.L.MATEUS etcoll.,<<Effectivenessoftravelrestrictionsintherapid

contain-mentofhuman influenza: A systematic review»,Bulletin

of

the WorldHealth Organizatiozi, n° 92, 2014, 868-880D; C POLETTO et coll., «Assessing the

impact oftravel restrictions on international spread ofthe 2014 WestAfrican

Ebolaepidemic»,Eurosurveillance European CommunicableDiseaseBulletin, n° l9, 2014, 20936.

(4)

Cesrésultats ontétérapidementconfinnéspourleCovid-19. Un articlepubliédanslarevueScienceaétudiéleseffetsdesrestrictions

de voyage sur sa propagation1.

Il

amontré qu’une forte réduction

des voyages vers et à partir de la Chine (à hauteur de 90%) a un impact modeste sur la progression de l’épidémie, tant que cette

réduction n’estpas combinée avec des efforts importants visant à réduire de

50%

la transmission à

l’intérieur

des communautés nationales, notamment parundépistage précoceetparl’isolement. Cette étudemontre égalementqu’enmatièredefrontières, l’échel1e qui compte n’est pas toujours nationale.

Ainsi, l’article

compare

l’impact

desrestrictionsinternes quelaChineaadoptées le 23

jan-vier

àl’égardde Wuhanà celui desrestrictions internationales que

lespays ontadoptéesàl’égarddela Chine. Lesrestrictionsinternes

ontretardé laprogressiondel’épidémiedanslereste delaChinede

seulement trois à cinq jours car des personnes asymptomatiques avaient puvoyager dans d’autres

villes

chinoises avant la quaran-taine. Maisl’étudemontre queles <<frontières>>installéesautourde

Wuhan onteu un effet plusmarquant àl’échelleinternationale. En prenant cette mesure, la Chine aréduit le nombre de cas importés

dans d’autres pays de

80% jusqu’à

la mi-février, lors du déclen-chement de l’épidémie dans plusieurs pays. Ce résultat n’est pas

surprenant:lesmesuresplus ciblées, à commencerparledépistage,

l’isolement

et la distanciation sociale, sont plus efficaces pour contenirune épidémie, que les restrictions de la mobilité.

LA

FRONTIÈRE RALENTIT LA BONNE DÉCISION

Si la fermeture des frontières n’arrête pas la propagation

d’un

virus présent dansunpays,

l’illusion

de protectionqu’elle confère peut ralentir la décision appropriée. Le cas de

l’Italie

illustre ce ralentissement.

L’Italie

a étéprompte à fennerses frontières avec laChinez. Sa

décision aété prise le 30janvier, aulendemain de Phospitalisation d’uncouple detouristes chinoisàRome.Maislepaysamis plusde

trois semaines pourprendre les premières mesures adéquates.

1. M. CHINAZZI etcoll.,«Theeffectoftravel restrictions onthe spreadofthe

2019novel coronavirus(COVID-19)outbreak»,Science,n°368, 2020, p.

395-400.

2. EU,<<Italysuspendsvisa issuance andallairtraffic from China»,Schengen

(5)

Jusqu’au 20février, lesexpertspensaientque lescasvenaientde

Fétranger. Quelquesnouveaux casparmidesItaliensrapatriésdela région de Wuhan confirrnaient cette attente. Dès lors, les recom-mandations du ministère de la Santé visaient uniquement les per-sonnesquirevenaientdel’étranger. Si

l’on

avaitvoyagéàl’étranger

deux semaines auparavant et qu’onprésentait des symptômes

res-piratoires,

il

fallait

contactersonmédecindefamille.

Aux

médecins,

aussi,leministèredelaSantérecommandaitderéserverlestestsaux

patients ayantvoyagé.

Or, le 20 février,

Mattia,

un

Italien

de 38 ans de Codogno (Lombardie), est hospitalisé

pour

une pneumonie atypique.

Il

n’avait pas voyagé en Chine et n’avait eu aucun contact avec des

personnes venantd’Asie. Face à l’aggravation de son état, l’anes-thésiste a dû désobéir au protocole qui exigeait que le patient ait voyagé à l’étranger. L’anesthésiste a demandé l’autorisation de

tester ce patient sans facteur de risque apparentl.

Mattia

s’est

avéré positif. Trois jours plus tard, le gouvernementitalien prenait

le décret-loi mettant en quarantaine onze villes, dont

dix

dans le

périmètredeCodogno.Maisc’était troptard:plusdedeuxcentscas

étaienttestéspositifs etlarégionannonçait déjà lespremiers décès.

LE

RÉFLEXE DE LA NATIONALITÉ

Le second réflexe du nationalisme méthodologique n’est pas

spatial, mais social.

Il

consiste à surestimer Pimportance de la nationalité. Par exemple, tous les gouvernements ayant fermé les

frontières font une exceptionpour leurs propres ressortissants. LaFrancene

fait

pas exception.

Alors

que leprésidenta déclaré en mars que <<le virus

n’[avait]

pas de passeportz», le

gouveme-mentaorganisé, lemois quia suivi, leretourde 150 O00Français.

Or, si lebutest deréduire le nombred’interactions sur unterritoire,

pourquoiorganiser leretourdesnationaux, dontlesliens sociauxet

familiaux sontplus nombreux que ceuxdes étrangers? Etpourles

nationaux, la règle qui leur pennet de revenir quelle que soit la prévalence de l’épidémie dans leur pays, leur rend-elle vraiment service?D’ailleurs,lediscoursprésidentieloscillait lui-mêmeentre lacompréhensiond’unequestionde santémondialeenaccordavec l. D.OvADIA,<<COVID-l9:WhatcantheworldlearnfromItaly?>>,Medscape,

l3mars 2020.

(6)

les recommandations de

l’OMS1

et le réflexe

d’un

nationalisme

pensé à l’échelle européenne?

Une autre façon de surestimerl’importance de lanationalité est

illustréeparles premières réactions à lanouvelle de l’épidémie en Chine. Des leaders et médias internationaux ont désigné le virus comme

«chinois».

Or, dès la

fin

du mois de janvier, plusieurs dizaines de cas étaient confirmés en dehors de la Chine: en Asie, enEurope etenAmériqueduNord. Continueràreprésenterlevirus comme chinois indiquelalenteuràprendre conscienceque levirus sepropage par les contacts locaux.

Un

journal

danois s’était même amusé àpublier, le 27janvier, une caricature remplaçant chacune des étoiles du drapeau de la Chine par un virus. L’ambassade chinoise au Danemark avait déploréun «manque d’empathie>>et une«offense àla conscience

humaine». Le

journal

danois s’en est défendu,

affimiant

que les

Chinoiset lesDanois représentaient«deux typesdecompréhension culturelle».

Cette surestimation de la nationalité ou de la pertinence des

différences culturelles conduit non seulement à l’absence d’empa-thie, mais aussi à des décisions sanitaires erronées. Elle apu ren-forcerla confiancedupublicdansl’idéequelevirusétaituneréalité lointaine dont le «conteneur

national»

le protégeait. Face à un problème perçucommeétranger,

il

suffisaitdefermerles frontières.

CONCLUSION

Les réflexes nationalistes ont contribué à la propagation de

l’épidémie,

en ralentissant la prise des décisions appropriées

(tester, isoler, réaliser ladistanciation sociale). Les effets des

déci-sions biaisées seront durables.

Lesrestrictionsautrafic internationalaggraventlasituation,pour plusieurs raisons. Sanitaires,

d’abord:

en fennantles frontières,les

gouvernements ontralenti la réponse sanitaire. Certains ont même

l. <<Nousaurons sansdoutedesmesures [frontalières]àprendre,maisilfautles

prendrepour réduireleséchangesentre leszonesquisont touchées etcellesquine

le sont pas. Ce nesontpasforcémentles frontières nationales» (ibiafl).

2. «Nousaurons sansdoutedesmesuresdecontrôle,desfermeturesdefrontières

àprendre, mais [...] ilfaudralesprendreenEuropéens,àl’échelleeuropéenne,

carc’est à cette échelle-làquenous avonsconstruit nos libertés etnos

(7)

interdit l’exportation

des

produits médicaux

1.

Alimentaires,

ensuite: même si pour le moment, le stock mondial de céréales est suffisant, l’expérience des crisespassées montreque l’arrêt des

exportations peutperturberles

prix

enprovoquant

ici

desexcédents, là des pénuries alimentaires qui aggraveront la crise sanitairez. D’équité,

enfin:

lafenneture desfrontièresnuit, de façon tragique,

aux plus vulnérables. Chaque année, le commerce international

pennet d’acheminer assez de céréales pour nourrir 2,8 milliards

de personnes dans le monde.

Aujourd’hui,

le Programme alimen-tairemondialdesNationsunies estime que lenombredepersonnes confrontées à l’insécurité alimentaire doublera

d’ici

la

fin

de 2020. Lafermeturedesfrontières condamnelespluspauvresdumonde à

mourir

defaims’ils échappentauvirus.Lesréflexes nationalistes qui font croire que

«la

mondialisationétait allée trop

loin

>>portent

la responsabilité de ces décès.

SPERANTA DUMITRU

Maîtressedeconférences ensciencepolitique,

universitédeParis,directricedu masterManagement éthiqueet RSE, membre delYnstitutconvergences

migrationset du CERLIS, CNRS.

1. R. BLADWIN, S.J. EVENETT, COVID-I9 and Trade Policy: Why Turning

Inward Won’t Work,Londres, CEPRPress,2020.

2. World Food Program, «COVID-19: Potentialimpactontheworld’spoorest people: AWFPanalysis oftheeconomic andfood security implicationsofthe

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