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CAP VERT - Comprendre, vivre et accompagner la transition agroécologique en collectif

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Academic year: 2021

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Submitted on 15 Feb 2019

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transition agroécologique en collectif

Anne Claire Pignal, Véronique Lucas, Adrien Boulet, Lore Blondel, Pierre

Gasselin, Roberto Cittadini

To cite this version:

Anne Claire Pignal, Véronique Lucas, Adrien Boulet, Lore Blondel, Pierre Gasselin, et al.. CAP VERT - Comprendre, vivre et accompagner la transition agroécologique en collectif. Innovations Agronomiques, INRAE, 2019, pp.165-180. �10.15454/a81s0q�. �hal-02021426�

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CAP VERT - Comprendre, vivre et accompagner la transition agroécologique en collectif

Pignal A.C.1, Lucas V.1, Boulet A.2, Blondel L.3, Gasselin P.4, Cittadini R.4

1 FNCuma, 43 rue Sedaine, F-75011 Paris

2 TRAME, 6 rue de La Rochefoucauld, F-75009 Paris 3 Réseau CIVAM, 58 rue Régnault, F-75013 Paris

4 INRA, UMR Innovation, 3 place Pierre Viala, F-34060 Montpellier Cedex 1

Correspondance : anne-claire.pignal@cuma.fr Résumé

Confrontés à une plus grande variabilité climatique, une volatilité accrue des cours et à des impasses agronomiques grandissantes, des agriculteurs cherchent à gagner en autonomie en s’engageant dans des pratiques et systèmes agricoles intensifiant l’usage de processus écologiques. Ils mobilisent pour cela une diversité de formes de coopérations avec leurs pairs, autour de ressources matérielles, de main d’œuvre (en Cuma et dans des arrangements de proximité multiples) et immatérielles (dans des groupes de développement tels que les Civam ou les Geda). Cette multi-appartenance leur permet d’activer de nouveaux leviers d’action. Ces collectifs engagés dans la transition agroécologique sont marqués par une grande hétérogénéité qui peut générer des tensions et blocages, mais peut aussi être source de complémentarités au service de la transition. Enfin, les trajectoires de transition agroécologique individuelles et collectives se révèlent longues, progressives et parfois sinueuses et méritent d’être accompagnées et soutenues sur la durée. Vivre et accompagner la transition agroécologique en collectif soulève ainsi des défis tant pour les agriculteurs, les accompagnateurs de collectifs que pour les réseaux de développement agricole et les pouvoirs publics engagés dans leur soutien. Le projet CAP VERT a livré des clefs de compréhension, des ressources opérationnelles et des préconisations de prolongements pour les relever, en coopération.

Mots-clés : transition agroécologique, quête d’autonomie, agroécologie silencieuse, coopération de

proximité, arrangements de proximité, Cuma, groupes de développement, hétérogénéité, trajectoires

Abstract: Understanding, living and accompanying the agroecological transition in collective

In a context of greater climatic variability and increasing price volatility, facing more agronomic impasses, farmers seek to gain autonomy by engaging in agricultural practices and systems that intensify the use of ecological processes. They mobilize for this a variety of cooperation with their peers, around material resources and labor (in Cuma and in multiple local sharing arrangements) and immaterial (in development groups such as Civam or Geda). This multi-belonging allows them to activate new levers of action. These collectives engaged in the agroecological transition are marked by a great heterogeneity, which can generate tensions and blockages, but can also be a source of complementarities in the service of transition. The individual and collective agroecological transition trajectories turn out to be long, progressive and sometimes sinuous and deserve to be accompanied and sustained over time. Living and accompanying the agroecological transition in collective raises challenges for farmers, group leaders, rural extension networks and public authorities who are involved in their support. CAP VERT project delivered keys of understanding, operational resources and recommendations to meet them, in cooperation.

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Keywords: agroecological transition, quest for autonomy, silent agroecology, local cooperation,

sharing arrangements, Cuma, development groups, heterogeneity, trajectories

Introduction

En 2012, des acteurs du développement agricole et rural entamaient une réflexion autour des pratiques de coopération ayant pour objet la production agricole. Ils constatent alors l’émergence de nouvelles formes de coopération entre agriculteurs liées aux évolutions dans les manières de concevoir l’exploitation agricole et ses relations avec son environnement (FNCuma, 2012). Le « Projet agro-écologique pour la France » proposé alors par le Ministère de l’agriculture encourage ces partenaires à approfondir leur réflexion en articulation avec cette impulsion en faveur de la transition agroécologique. Le projet CAP VERT, lauréat de l’appel à projets « Innovation et partenariat » 2013 du CASDAR, portait ainsi deux objectifs principaux : comprendre les nouvelles formes de coopération entre agriculteurs au service de la transition agroécologique et produire des ressources pour accompagner leur émergence et leur développement.

De 2014 jusqu’à début 2017, la Fédération nationale des Coopératives d'utilisation de matériel agricole (FNCuma) a piloté ce travail en collaboration étroite avec des réseaux de développement agricole (Réseau Civam, Trame, Gaec & Sociétés et le Gabnor), la recherche avec l’Inra (UMR Innovation) et l’Ecole supérieure d’agriculture d'Angers, ainsi que l’enseignement agricole avec l’Institut de Florac (Montpellier Supagro). Cinq collectifs d’agriculteurs et leurs accompagnateurs, issus des différents réseaux partenaires, ont participé activement à ces travaux. CAP VERT s’est également nourri d’un travail de thèse en sociologie (Véronique Lucas, FNCUMA / UMR Innovation) autour des reconfigurations des coopérations entre agriculteurs en Cuma dans la transition agroécologique.

Cet article présente le processus collectif d’analyse et de construction mis en œuvre, les quatre enseignements majeurs tirés de ces travaux, ainsi que les préconisations de prolongements formulées à l’attention des réseaux de développement agricole et de leurs partenaires qui souhaitent accompagner la transition agroécologique en s’appuyant sur le levier du collectif.

1. Une démarche partenariale de recherche-action

1.1 Trois questions à l’origine de la réflexion

Le processus partenarial de recherche action est né d’un triple questionnement (Figure 1).

1.1.1 Quelles formes de coopération entre agriculteurs ?

Ces travaux visaient à mieux comprendre le renouvellement et les complémentarités de deux formes d’action collective au service de la transition agroécologique : d’une part, les coopérations de proximité autour de ressources matérielles (équipements, semences, etc.) et en main-d’œuvre, la Cuma n’étant qu’un type d’arrangement complété par une multiplicité d’autres plus ou moins formels (entraide, banque de travail, etc.) ; d’autre part, les échanges de savoirs et de production de connaissances qui s’incarnent souvent dans des groupes de développement et des réseaux de production et d’échange de savoirs.

La complémentarité entre ces formes d’actions collectives n’est pas nouvelle. De nombreuses Cuma ont émergé à l’initiative d’agriculteurs qui se connaissaient à travers leur participation à un même groupe de développement. Des agriculteurs en Cuma ont par ailleurs contribué à créer de nouveaux groupes d’échanges et de production de savoirs. Mais aujourd’hui, cette complémentarité se reconfigure.

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Figure 1 : Les questionnements à l'origine du projet

CAP VERT (Source : Pignal, Blondel, Boulet, 2017).

1.1.2 Quelle transition agroécologique ?

Les partenaires du projet se sont retrouvés autour de points de repères pouvant caractériser l’agroécologie du point de vue des démarches constatées sur le terrain : l’appui sur les régulations écologiques des systèmes, le dépassement de la spécialisation issue de la modernisation agricole, la prise en compte de différentes échelles spatiales, l’articulation de différentes échelles temporelles, la nécessité de construire de nouvelles connaissances et compétences en s’appuyant sur un dialogue entre une diversité de savoirs et d’expériences, la recherche d’autonomie et la place centrale des agriculteurs dans ces processus de changement de pratiques et de systèmes.

L’enjeu de ces travaux était avant tout de comprendre et de caractériser les dynamiques de transition, c’est à dire les processus de changement de pratiques pouvant conduire à des systèmes de production plus durables et résilients, et leurs interactions avec les dynamiques collectives entre agriculteurs.

1.1.3 Quelle animation et accompagnement du collectif ?

Ce projet avait également pour vocation d’éclairer le rôle de l’accompagnement et des réseaux de développement agricole dans le soutien à ces dynamiques collectives. La transition agroécologique remet en effet en cause le modèle diffusionniste ou linéaire de la recherche et du développement en agriculture, issu de la modernisation agricole.

Les réseaux de développement agricole partenaires de CAP VERT ont en commun de fédérer ou d’accompagner des collectifs d’agriculteurs (Geda, Civam, Cuma, Gaec…). Ils se retrouvent derrières les termes d’animation et d’accompagnement, qui recouvrent des postures permettant de

contribuer à la construction de savoirs et de compétences avec les agriculteurs.

Ils sont préoccupés par l’adaptation de leurs actions, postures et compétences d’animation et d’accompagnement aux enjeux stratégiques du renouvellement des modèles et pratiques de production agricoles.

1.2 L’apport d’une thèse en sociologie autour des recompositions des modes de coopération en Cuma et de trois mémoires de Master

Dans le cadre du projet CAP VERT, la FNCuma a accueilli en partenariat avec l’INRA - UMR Innovation la thèse en sociologie conduite par Véronique Lucas, portant sur les reconfigurations des modalités de coopération de proximité entre agriculteurs en Cuma dans les changements de pratiques liés à la transition agroécologique. Ces travaux ont largement alimenté les débats conduits et les ressources produites dans le cadre du projet.

11 groupes d’agriculteurs en Cuma ont été étudiés de manière exploratoire dans le cadre de la thèse de Véronique Lucas. Ces analyses ont été complétées par l’étude de groupes pilotes CAP VERT à travers trois stages d’élèves ingénieurs agronomes (Le Cunff, 2014 ; Gratacos, 2015 ; Lacoste, 2015).

Ces travaux ont fait l’objet de publications scientifiques (Lucas et al., 2014 ; Cittadini et al., 2015 ; Lucas et Gasselin, 2015 ; Lucas et al., 2016 ; Lucas et Gasselin, 2016), d’une synthèse intermédiaire (Pignal

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et Lucas, 2015) complétée de fiches descriptives de groupes d’agriculteurs en Cuma analysés de manière approfondie (Martel et Lucas, 2017).

La thèse de Véronique Lucas intitulée « L’agriculture en commun : gagner en autonomie grâce à la coopération de proximité » a été soutenue en juin 2018 (Lucas, 2018).

1.3 Des collectifs d’agriculteurs étroitement associés au projet

Cinq collectifs d’agriculteurs en transition agroécologique, fédérés et/ou accompagnés par les réseaux partenaires de CAP VERT ont été identifiés pour contribuer à ce projet (Figure 2). Ils représentent une diversité de types de pratiques agroécologiques, de formes de coopération et de démarches d’accompagnement ou d’animation.

Figure 2 : Groupe pilotes CAP VERT (Source : Pignal, Blondel, Boulet, 2017).

1.4 Un processus de construction collective s’appuyant sur le dialogue entre acteurs et chercheurs

Deux espaces de travail principaux ont servi d’appui au processus de construction collective en misant sur un dialogue permanent entre chercheurs et acteurs.

Trois journées d’études CAP VERT conduites en 2016 ont réuni 120 participants (agriculteurs, animateurs de collectifs, représentants d’organisations professionnelles agricoles, de la recherche, des pouvoirs publics). Elles ont permis de croiser les leçons issues de la recherche et de l’action autour des collectifs en transition agroécologique et de les mettre en débat, en s’appuyant sur la diversité des conceptions représentées. Le document CAP VERT, la transition agroécologique en collectif – Journal d’une coopération au long cours (Pignal et al., 2017) est issu de ces journées.

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Figure 3 : Les quêtes d’autonomie des agriculteurs

(Source : Pignal, Blondel, Boulet, 2017).

En parallèle, un cycle de rencontres « accompagnement - production de ressources » a impulsé une dynamique d’échange entre accompagnateurs des groupes d’agriculteurs pilotes. L’animation de ce cycle s’est appuyée sur l’analyse de pratiques d’accompagnement et sur une prise de recul s’appuyant sur le dialogue entre chercheurs et acteurs. Les enseignements dégagés constituent l’essentiel du contenu du guide Vivre et accompagner la transition agroécologique en collectif (Pignal et al., 2017), fruit d’une écriture collaborative qui s’est étalée sur un an.

2. Des clefs de compréhension et d’action à destination des collectifs d’agriculteurs et de leurs accompagnateurs

2.1 La quête d’autonomie des agriculteurs, moteur significatif d’une agroécologie encore « silencieuse »

2.1.1 La quête d’autonomie : motivation principale des changements de pratiques et de systèmes pour les agriculteurs

L’agroécologie est rarement la motivation première qui guide les changements de pratiques. En revanche, la quête d’autonomie des agriculteurs est un point commun relevé dans tous les groupes en transition et dans les différents réseaux de développement, même si les dimensions visées de l’autonomie sont très variées (décisionnelle, technique, économique…) (Figure 3).

Ces quêtes d’autonomie se sont accentuées de manière significative depuis une douzaine d’années en raison de différents éléments de contexte (plus grande variabilité climatique, volatilité des cours, impasses agronomiques, etc.). Ce contexte conduit les agriculteurs à s’adapter et ces derniers développent des stratégies pour avoir davantage de marges de manœuvre.

Ainsi, la quarantaine d’agriculteurs rencontrés par Véronique Lucas manifestent à des degrés divers une volonté d’autonomie (Lucas et al., 2016). Ces exploitants évoquent les raisons suivantes pour justifier leurs changements de pratiques : mieux valoriser leurs ressources (couverts, fourrages...), minimiser leurs charges, aboutir à une meilleure maîtrise technique du système. Différents objectifs sont ainsi visés : l’autonomie alimentaire, la limitation des coûts, l’amélioration de la traçabilité, l’allègement de la charge de travail, la

réponse aux prescriptions

environnementales, l’amélioration de la résilience climatique, de la qualité des

intrants, etc. Ces nouvelles pratiques impulsent différentes stratégies techniques : l’auto-approvisionnement, un meilleur usage des ressources internes, la diversification du système... Elles engagent également de nouvelles stratégies décisionnelles. Ainsi, ces agriculteurs de plus en plus méfiants à l’égard des commerciaux et des organisations prescriptrices, s’engagent par exemple dans la recherche d’approvisionnement via des groupements d’achat ou dans la diversification de leurs sources d’information.

Pour soutenir et accompagner la transition agroécologique, il convient de comprendre et de prendre en compte les motivations des agriculteurs qui s’engagent dans ces nouvelles pratiques.

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2.1.2 Une agroécologie encore silencieuse

Les analyses de Véronique Lucas pointent également que certains agriculteurs s’engagent dans des changements de pratiques pouvant être qualifiées d’agroécologiques sans se revendiquer de l’agroécologie (Pignal et Lucas, 2017). En effet, les changements mis en œuvre par ces agriculteurs volontaristes et autonomes amènent à diminuer le recours à certains intrants et à configurer des systèmes productifs plus diversifiés activant les processus écologiques du milieu. Ces nouvelles pratiques s’inscrivent dans un processus de changement sur le long terme : elles entraînent d’autres changements dans le système qui peuvent amener à des re-conceptions significatives.

Cette agroécologie peut être qualifiée de « silencieuse » car les options prises par ces agriculteurs font peu l’objet de débats entre eux, en termes environnementaux ou agroécologiques. Ces travaux de recherche montrent ainsi que les agriculteurs gèrent leurs différences, y compris de visions et d’orientations par la « mise sous silence », afin d’éviter tout débat ou tension qui pourrait venir gêner les dynamiques de coopération et les dialogues techniques dans lesquels ils sont engagés avec leurs pairs.

Repérer une agroécologie qui avance sans s’en revendiquer semble dès lors essentiel pour accompagner la transition.

2.2 La multi-appartenance, l’appui indispensable sur une multitude de groupes, collectifs et réseaux

La transition agroécologique suppose la mise en œuvre d’actions collectives pour plusieurs raisons : le fait que les régulations écologiques s’observent à une échelle plus large que celle des exploitations, le besoin de production de nouvelles connaissances ou de pilotage de systèmes complexes, l’accès à des ressources productives…

2.2.1 Deux types de coopérations entre agriculteurs au service de la transition agroécologique

Les travaux d’études menés dans CAP VERT avec les apports des travaux de thèse de Véronique Lucas (Lucas et al., 2014 ; Lucas et al., 2016 ; Lucas, 2018) ont permis de préciser les deux grands types de configurations collectives sur lesquelles les agriculteurs s’appuient pour développer de nouvelles pratiques dans le cadre de la transition agroécologique (Figure 4).

D’une part, les coopérations opérationnelles de proximité (ou arrangements de proximité), c’est-à-dire l’ensemble des pratiques de partage, d’échange et de services mutuels entre différents agriculteurs voisins, sont mobilisées afin d’optimiser la mobilisation de ressources matérielles et l’organisation du travail au service de leur activité de production. La Cuma n’est ainsi qu’un arrangement qui est complété par une multiplicité d’autres plus ou moins formels. Pour partager matériel, travail, salariés, foncier, intrants, bâtiments, les agriculteurs impliqués combinent des outils juridiques variés (Groupement d’Intérêt Economique, groupement d’employeur, etc.), voire des arrangements plus informels (banque de travail, entraide, échange de semences ou paille-fumier, etc.).

D’autre part, les groupes et réseaux de partage d’expériences et de production de connaissances, qui s’appuient principalement sur le partage d’expériences entre pairs sont également largement mobilisés, à différentes échelles : locale (groupe de développement), supra locale (réseaux professionnels thématiques), voire nationale (réseaux de développement agricole). On peut ainsi repérer de nouveaux acteurs qui émergent dans le paysage (réseaux thématiques, consultants privés) et le besoin d’une nouvelle fonction de création de repères pour faire face à l’absence de références accessibles et valides pour les agriculteurs.

Le projet CAP VERT a montré que le levier du collectif était souvent amplifié par une combinaison de ces différentes formes d’action collective.

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2.2.2 Plusieurs fonctions de la multi-appartenance au service de la transition agroécologique

La multi-appartenance remplit en effet cinq grandes fonctions : développer de nouvelles connaissances, accéder à des ressources productives, répondre à des besoins en équipements adaptés, optimiser l’organisation du travail et gérer l’incertitude (Lucas, 2018).

Figure 4 : La multi-appartenance : l’appui indispensable sur une multitude de coopérations, collectifs, réseaux.

(Source : Pignal, Blondel, Boulet, 2017).

Tout d’abord, l’appui sur la réflexion et l’expérimentation en collectif permet de répondre à un besoin de connaissances nouvelles lié à un manque de références (locales ou spécifiques) relatives aux nouvelles pratiques visées. Le réseau de coopération de proximité peut en effet fonctionner comme un réseau de dialogues techniques entre pairs, permettant à ces agriculteurs de partager leurs expériences, de comparer leurs résultats, de confronter leurs pratiques et de mieux dégager des conclusions valides des observations et activités expérimentales. Certains groupes organisent des processus formalisés de partage d'expérience ou de formation collective (via les dispositifs GIEE, MCAE, ou Vivéa), notamment pour pallier le manque de références.

La coopération de proximité permet également d’accéder aux ressources productives stratégiques. Des arrangements d'échange de semences sont par exemple organisés pour éviter à chaque exploitation de devoir entreprendre une activité de production d'une trop grande diversité de semences fermières. Des arrangements entre éleveurs et céréaliers permettent de faciliter l'accès de ces derniers à des matières organiques.

La coopération de proximité constitue également un levier pour répondre aux besoins en équipements et aux défis logistiques soulevés par ces nouvelles pratiques (besoins en infrastructures de stockage, séchage, etc.). La Cuma permet de réduire les coûts d'investissement. L'organisation collective permet de mettre à profit les compétences mécaniques de certains agriculteurs pour mieux adapter les machines au milieu local, voire co-construire ou co-concevoir et renforcer la polyvalence des équipements.

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Ces coopérations permettent également d’optimiser l’organisation du travail. Les arrangements de partage de travail (entraide, banque de travail) permettent d'optimiser l'organisation sur la ferme, car les changements engagés peuvent impliquer des tâches nouvelles, telles que l'expérimentation et le perfectionnement des nouvelles pratiques introduites, la conduite de nouvelles activités comme les couverts hivernaux ou la production de semences. En plus des chantiers en commun, des agriculteurs engagent des processus de délégation à des salariés, grâce à la formation de groupement d'employeurs ou l'embauche de salariés conducteurs d'engins au sein de leur Cuma.

Enfin, dans un contexte marqué par l’incertitude, l’appui sur le collectif offre un cadre de réassurance, pour engager des expérimentations de nouvelles pratiques et de nouvelles organisations collectives.

2.2.3 Accompagner les capacités des agriculteurs à s’inscrire dans ces échanges entre pairs

Pour soutenir et accompagner la transition agroécologique, CAP VERT a montré qu’il était essentiel de prendre le temps de lire et de comprendre cette multi-appartenance des agriculteurs, et de renforcer les capacités des agriculteurs à y accéder.

L’inscription des agriculteurs dans une diversité de coopérations de proximité est encore trop peu visible et lisible. Les agriculteurs eux-mêmes n’ont pas l’habitude d’échanger autour de leurs coopérations. En effet, ils n’ont pas tous les mêmes capacités à mettre à profit les ressources de la coopération de proximité et donc à s'aider des échanges d'expériences entre pairs (Lucas, 2018). Coopérer entre collègues suppose un minimum de compétences, ainsi qu'une crédibilité et position sociale reconnue, pour pouvoir exprimer ses doutes et ses questions, faire valoir ses besoins ou expériences, repérer des complémentarités chez les autres. Les réseaux de développement agricole doivent porter une attention particulière à la compréhension et à l’accompagnement des espaces de coopérations matérielles et immatérielles formalisés ou inscrits dans la durée qui peuvent être des leviers pour l’accès de tous les agriculteurs à la richesse de la coopération de proximité.

Pour les agriculteurs et leurs collectifs, vivre et gérer la multi-appartenance n’est pas toujours évident. L’investissement dans de multiples coopérations locales varie en fonction de chaque agriculteur et peut induire des trajectoires différenciées au sein d’un même collectif. Elle peut aussi induire des contradictions entre les conseils reçus de différents réseaux d’accompagnement, des difficultés à gérer les calendriers de participation à plusieurs collectifs, une marginalisation de certains, des asymétries d’informations, etc. La multi-appartenance peut également conduire à des stratégies opportunistes ou de concurrence entre réseaux ou collectifs.

Pourtant, pour les agriculteurs et leurs collectifs, les coopérations opérationnelles locales dans lesquelles les uns et les autres sont engagés peuvent devenir des objets de partage d'expériences. À partir des travaux conduits par Véronique Lucas, CAP VERT a expérimenté une grille et une séquence d’animation pour caractériser la multi-appartenance des agriculteurs d’un collectif (Figure 5). Cette grille de catégorisation des coopérations entre agriculteurs permet de catégoriser la diversité des coopérations dans lesquelles des agriculteurs sont engagés et qui constituent des appuis pour l’évolution de leurs pratiques vers l’agroécologie, suivant deux entrées : l’objet de l’arrangement (foncier, équipements, travail, ressources productives, commercialisation…) et le degré de formalisation de l’arrangement (échanges plus ou moins informels, contractualisés, etc.).

Cette grille peut être utilisée par un animateur pour comprendre les coopérations dans lesquelles chacun des membres d’un groupe est inséré et servir de support à une analyse collective, en vue de dégager des pistes d’approfondissement de certaines coopérations ou d’émergence de nouveaux arrangements. Une séquence d’animation a été expérimentée et capitalisée dans le cadre du projet CAP VERT. Cet outil de diagnostic et cette démarche d’animation peuvent être remobilisés et approfondis par des animateurs de collectifs afin de repérer et partager les coopérations locales des membres d’un collectif.

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Figure 5 : Grille de caractérisation des arrangements collectifs entre agriculteurs - Exemple fictif. (Source :

Pignal, Blondel, Boulet, 2017).

2.3 L’hétérogénéité : le levier de la diversité des stratégies, visions et cheminements

L’hétérogénéité (ou la diversité) peut être considérée à la fois comme une condition de la transition agroécologique (on part de la diversité des systèmes et des visions telles qu’elles existent), une caractéristique du processus (les cheminements sont divers) et un résultat de la transition agroécologique (chaque système est intrinsèquement unique). Pourtant, elle n’est pas toujours aisée à vivre ni à accompagner au sein d’un collectif en transition agroécologique.

2.3.1 L’hétérogénéité au cœur de la transition agroécologique, tout particulièrement en collectif

Au sein d’un collectif d’agriculteurs, cette hétérogénéité concerne autant les exploitations, les stratégies, les visions que les objectifs et les cheminements des membres. Elle peut porter sur les ressources disponibles, les pratiques des membres, les conditions de travail, les points de vue, les démarches collectives dans lesquelles ils s’inscrivent et les trajectoires individuelles qu’ils développent. L’hétérogénéité peut ainsi être observée et analysée suivant de multiples clefs d’entrée : la diversité des personnes qui composent le collectif (en termes de compétences, postures et valeurs), celle des systèmes d’activité des membres du collectif, celle des relations entre les membres du collectif, etc. Les dynamiques collectives de transition vers l’agroécologie sont marquées par une tension entre des points communs qui relient les membres (homogénéité) et des différences (hétérogénéité) au sein des groupes. Les motivations qui conduisent à s’impliquer dans une dynamique collective peuvent être relatives à un projet, à des valeurs partagées (au sein d’un réseau local militant par exemple), à l’affectif, ou encore à l’habitude (par exemple parce que le collectif offre un cadre de réassurance). Les comportements peuvent se comprendre à l’aune de l’une ou l’autre de ces rationalités ou, comme c’est souvent le cas, de leurs combinaisons. On retrouve également, dans la création et l’entretien de liens sociaux qui fondent ces collectifs, l’expression de deux natures de cohésion : l’une reposant sur les similitudes (l’appartenance à une même communauté, le partage de valeurs, de pratiques et de modes de vie ou plus largement d’une identité), l’autre reposant sur les singularités et les complémentarités entre ce que chacun peut offrir et ce dont chacun a besoin.

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C’est la tension entre homogénéité et hétérogénéité qui fonde la cohésion et le dynamisme d’un collectif. Il convient dès lors d’analyser comment ces deux caractéristiques se combinent dans un groupe particulier.

2.3.2 L’hétérogénéité comme levier de la transition agroécologique en collectif, à condition de savoir s’en saisir

L’hétérogénéité n’est pas une difficulté en soi, même si elle peut être difficile à gérer ou à valoriser. La manière dont les diversités sont vécues et gérées pose plusieurs types de difficultés : des difficultés liées au fonctionnement du groupe et des difficultés liées au projet collectif. Concernant le fonctionnement du groupe, l’hétérogénéité peut engendrer des inégalités (par exemple quand certains sont plus valorisés que d’autres à un moment donné), des asymétries (par exemple lorsque les projets sont comparés avec des clefs de lecture différentes), des marginalisations (quand certains sont plus concernés que d’autres par les échanges au sein du groupe). L’hétérogénéité peut également engendrer des difficultés liées au projet collectif : divergences entre les projets individuels et le projet collectif, différences de rythmes, lorsque certains apprennent ou changent leur système plus vite que d’autres, tension entre un projet collectif et l’hétérogénéité des pratiques et trajectoires de changement ou encore divergences d’attentes vis-à-vis de l’animation ou de l’accompagnement du projet. En contrepartie, un groupe trop homogène peut tomber dans une fermeture, par exemple lorsque le manque de renouvellement conduit à un enfermement des échanges dans une sphère trop réduite. Mais l’hétérogénéité peut également être un levier puissant pour l’avancée en collectif (Figure 6). Les différentes formes de diversité dans les groupes génèrent des complémentarités ou des économies « de gamme », c’est-à-dire de compétences, de produits, de matériels disponibles ou de réseaux mobilisés. Elles permettent également des hybridations de systèmes techniques avec la créativité et les innovations qui y sont associées. Enfin, elles peuvent faciliter la diffusion des pratiques par la dissémination, le parrainage et les apprentissages réciproques.

Figure 6 : L'hétérogénéité : le levier de la diversité pour la transition agroécologique en collectif. (Source : Pignal,

Blondel, Boulet, 2017).

Pour faire de l’hétérogénéité un levier au sein d’un collectif en transition agroécologique, CAP VERT a pointé des pistes de réflexion et d’animation. Les animateurs sont invités à adopter une posture réflexive sur la diversité et les fonctions qu’elle peut remplir pour le collectif, réflexivité qui peut être mobilisée dans le cadre d’animations, tant pour développer les complémentarités entre chacun des

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membres dans le cadre de la transition que pour réinterroger les fondamentaux du collectif et de son projet (valeurs partagées, objectifs, fonctionnement, trajectoires et partenariats).

Prendre en compte la diversité au sein des groupes permet ainsi de s’assurer de reconnaître, de respecter et de valoriser chacun dans le collectif, de limiter les effets négatifs de cette diversité ou de susciter et valoriser les effets positifs.

2.4 Le temps long : des trajectoires de transition à soutenir dans la durée L’agroécologie reposant sur des cycles et mécanismes naturels, la notion de temps est un élément essentiel dans la transition des systèmes. Les trajectoires individuelles et collectives abordées dans le cadre de CAP VERT ont toutes en commun d’être inscrites dans un temps long et d’être progressives.

2.4.1 Des trajectoires de transition agroécologique longues, progressives et parfois sinueuses

Il est souvent difficile de déterminer le début d'une transition, même si à l’échelle individuelle comme collective il peut y avoir un ou des déclics ou évènements déclencheurs. Ces trajectoires de transition agroécologique sont ainsi influencées par des combinaisons de facteurs qui contribuent à leur avancée ou à des temps d’arrêt. Ces facteurs peuvent être propres à l’agriculteur ou au groupe, comme une prise de conscience déclenchant une envie de changer ou un projet collectif au sein d’un groupe. Ils peuvent aussi être externes et liés à des contraintes réglementaires nouvelles ou un cahier des charges incitatif. À l’échelle d’un collectif, la transition a également une histoire : les dynamiques d’agriculteurs en transition vers l’agroécologie émergent souvent de recompositions de collectifs antérieurs, d’arènes de dialogues ou de réseaux professionnels voire privés. Il est également délicat de déterminer l’achèvement d’une transition agroécologique, dans la mesure où elle ne correspond pas à une norme à atteindre. L’ambition de reconception d’un système de production portée par un agriculteur ou un groupe peut s’étendre progressivement à de nouvelles dimensions.

Par ailleurs, les trajectoires de changement sont progressives et parfois sinueuses. L'analyse des trajectoires de changement d’agriculteurs révèle ainsi que la plupart du temps, l'agriculteur a d'abord initié un premier changement pour faire face à une question ou un problème, sans envisager que ce changement en entraînerait d'autres et l'amènerait à la situation actuelle. Ces trajectoires de transition peuvent être qualifiées de processuelles, car il s'agit de trajectoires « pas à pas » où un premier changement amène à en initier d'autres (Lucas, 2018). Ces trajectoires peuvent également se révéler sinueuses et marquées par certains paradoxes : des pratiques pouvant être qualifiées d’agroécologiques peuvent coexister avec des pratiques pouvant être considérées comme contraires à l’agroécologie. Par exemple, l'introduction de légumineuses fourragères dans les assolements d’une partie des agriculteurs en Cuma qui ont été étudiés, se fait sans réduction des apports d'azote de synthèse. Ces paradoxes semblent montrer la difficulté pour les agriculteurs d’accéder à des ressources (connaissances, outils) leur permettant de mesurer précisément ce qui se passe dans le sol et dans les plantes, pour confronter cet état de fait à la trajectoire qu’ils pensent suivre. Elles interrogent également le conseil technique dans sa capacité à promouvoir l’observation et l’interprétation des phénomènes biologiques.

Enfin, d'autres exemples montrent qu'on peut enchaîner des changements sans qu’émerge une ambition agroécologique. Un petit pas n’est pas une garantie d’un changement structurant. En revanche, c’est un pas, qui peut s’inscrire dans une évolution profonde à très long terme...

2.4.2 Des clefs pour relever le défi du temps long de la transtion

Alors que les trajectoires de transition agroécologique se révèlent longues, progressives et parfois sinueuses, les agriculteurs, animateurs et accompagnateurs, mais également les réseaux de

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développement et responsables de politiques publiques ont tous besoin de résultats visibles à court terme. Le temps long soulève ainsi des défis pour tous ces acteurs (Figure 7).

Tout d’abord, l’interaction entre trajectoires individuelles et trajectoire du collectif peut rajouter du temps au temps déjà long de la transition. Gérer sur un temps long les attentes et besoins très variés des membres, qui sont liés aux trajectoires individuelles et à leurs rythmes différents est un véritable défi pour le fonctionnement du collectif et pour son animation.

Par ailleurs, l’articulation entre la vie sur le long terme du collectif autour de son objet (la vision commune qui fédère ses membres), d’une part, et la conduite par le collectif de ses projets, d’autre part, est parfois difficile à gérer, pour le collectif comme pour ses accompagnateurs. La gestion par projet peut également fragiliser le collectif : le cadre d’action défini peut se révéler bloquant, le mode de fonctionnement ne pas correspondre à l’implication de chacun, les modalités de financement inadéquates par rapport aux réels besoins du groupe et de ses membres.

Figure 7 : Le temps long : des trajectoires de transition à soutenir dans la durée. (Source : Pignal, Blondel,

Boulet, 2017).

Plus largement, le défi de la transition agroécologique suppose de piloter le changement, de tenir le cap et d’être patient. Piloter le changement implique de gérer en collectif la prise de risque liée aux changements de pratiques, vis-à-vis de laquelle chacun des membres a son propre positionnement. La restauration des fonctionnements écosystémiques et les changements systémiques exigent parfois plusieurs années, qui peuvent mettre à l’épreuve la confiance dans les options stratégiques collectives. L’animation et l’accompagnement du collectif se retrouvent en première ligne pour aider le collectif à gérer l’impatience et à maintenir la motivation.

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Figure 8 : Quatre notions clefs pour comprendre et

soutenir la transition agroécologique en collectif. (Source : Pignal, Blondel, Boulet, 2017).

Le premier levier consiste à accompagner les groupes dans une projection stratégique de long terme, qui permet de mettre en perspective leurs avancées régulières et de les positionner au service de leur autonomie. Grâce à des temps dédiés à la prise de recul, les collectifs peuvent être en mesure d’élaborer des scénarios d’évolution. La prise de risque peut également être gérée en dédiant des temps d’animation à la caractérisation du risque impliqué par chaque prise de décision, pour le collectif comme pour chacun des membres. Pour dépasser les cadres parfois limitants des logiques de projets, une cartographie des différents apports des projets à l’objet du groupe peut être travaillée avec les membres, ce qui aidera à prioriser et éventuellement à réorienter les engagements du groupe.

Un second levier est de structurer l’accompagnement à la transition agroécologique en collectif dans le temps long. Pour mettre en musique une diversité d’apports et de contributeurs, pour suivre en collectif l’avancée des trajectoires individuelles, pour faire communiquer des rythmes d’avancement et des savoirs différents, il est essentiel de structurer, de planifier et de jalonner l’accompagnement. Par ailleurs, « marquer » le temps, c’est-à-dire rendre visible, relire l’histoire du groupe et l’alimenter régulièrement de ses avancées progressives consolide le collectif. Se doter d’indicateurs d’évaluation, construits avec les membres du groupe, permet de qualifier la satisfaction de leurs propres attentes. Enfin, il est essentiel de soutenir ces dynamiques de changement dans le temps. Les collectifs d’agriculteurs engagés dans la transition agroécologique s’appuient sur une animation et des accompagnements qui sont souvent dépendants de financements et peuvent se trouver privés de moyens. Il est de la responsabilité des réseaux qui fédèrent ces collectifs de les soutenir institutionnellement et d’accompagner la montée en compétences et en confiance de leurs animateurs, notamment grâce à une mise en réseau et à une capitalisation de leur expérience. Mais il appartient aussi aux pouvoirs publics de s’engager dans la stabilisation des processus engagés afin de garantir une certaine endurance aux dynamiques de changement.

3. Enseignements et perspectives pour les réseaux de développement partenaires en soutien à la transition agroécologique

3.1 Mobiliser ces clefs au service de l’action

Pour soutenir la transition agroécologique en collectif, il est nécessaire de comprendre comment se vivent et interagissent les quatre notions clefs mises en avant dans ces travaux, pour qu’elles deviennent des ressources (au lieu d’être vécues comme des freins) (Figure 8) :

- La quête d’autonomie, moteur de la transition ;

- La multi-appartenance des agriculteurs à une diversité de groupes et de réseaux, levier pour avancer dans la transition agroécologique ;

- L’hétérogénéité comme condition, principe de fonctionnement et résultat de cette transition ;

- L’inscription dans le temps long des trajectoires de transition individuelles et collectives.

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3.2 Développer de nouvelles compétences, ressources et outils en coopération

Ces travaux invitent les réseaux de développement agricole à développer de nouvelles compétences, ressources et outils en coopération.Tout d’abord, les compétences de dialogue au sein et entre les collectifs doivent être développées. En effet, les agriculteurs profitent inégalement des échanges et coopérations de proximité qui constituent un levier pour la transition. Un appui à la mise en relation entre différents collectifs de partage de ressources matérielles (tels que les Cuma) et immatérielles (tels les Geda et Civam) ainsi qu’aux capacités de dialogues et de coopération des agriculteurs au sein des collectifs pourrait être développé à l’initiative des réseaux de développement agricole et rural.

Ensuite, les synergies entre les champs de compétences et d’expertise des différents réseaux de développement agricole devraient être renforcées. Autour d’un même groupe en transition agroécologique, une diversité d’appuis doit être mobilisée, sur des dimensions stratégiques, techniques ou d’animation. Mettre en dynamique différentes ressources au service de l’accompagnement de projets collectifs nécessite de développer des compétences de coordination d’accompagnement. Des espaces doivent être dédiés à la construction de ces nouvelles compétences, en inter réseaux. La dynamique d’échange entre pairs et entre réseaux s’appuyant sur l’analyse de la pratique expérimentée dans le projet CAP VERT peut inspirer la création d’espaces d’échanges entre animateurs et accompagnateurs issus de différents réseaux à l’échelle nationale, régionale et territoriale. CAP VERT a également montré que le partenariat avec la recherche était un atout en complément de l’échange entre pairs, facilitant la prise de recul et contribuant plus largement au changement de paradigme dans la construction des savoirs.

3.3 Être force de proposition vis-à-vis d’autres acteurs

Ces travaux invitent également les acteurs du développement agricole à être forces de proposition vis-à-vis d’autres acteurs.

Ils invitent en premier lieu à s’ouvrir à d’autres acteurs du développement et à d’autres problématiques que celles strictement agricoles, dans une perspective territoriale. etc. L’élargissement de la focale aux questions d’alimentation, de santé, et d’aménagement des territoires, ainsi que l’alliance avec d’autres acteurs pourraient soutenir l’inscription dans la durée de ces dynamiques, tout particulièrement dans un contexte de réduction des fonds publics.

Ces travaux encouragent également le développement d’une recherche réellement participative, notamment afin de permettre aux agriculteurs de dépasser certaines dépendances qui subsistent : dépendance à la fertilisation azotée dans le cadre du développement de légumineuses fourragères, aux herbicides en non labour, aux stratégies fourragères mécanisées… Les accompagnateurs de collectifs en transition agroécologique et les organismes de développement agricole qui les fédèrent sont des acteurs clefs pour construire avec la recherche des formats qui s’appuient sur l’innovation collective des agriculteurs.

Enfin, les réseaux de développement agricole engagés dans CAP VERT se doivent de défendre auprès des pouvoirs publics l’enjeu de soutenir dans la durée et dans le respect de leur complexité ces dynamiques collectives entre agriculteurs ainsi que leur accompagnement.

Conclusion

Ces trois années de recherche – action ont permis de valider le rôle décisif de l’action collective pour avancer dans la transition agroécologique. Cette coopération doit se déployer tant à l’échelle des agriculteurs et de leurs groupes, que des réseaux et plus largement de tous les acteurs concernés par

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le développement agricole. Pour accompagner le changement d’échelle de la transition agroécologique en collectif, les partenaires de CAP VERT ont su poser les jalons de perspectives concrètes.

Dans une tribune de presse publiée en mars 2017, les présidents du Réseau Civam, de Trame et de la FNCuma invitaient les candidats à l’élection présidentielle à « miser prioritairement sur l'accompagnement des collectifs locaux en marche vers une agriculture plus durable ». En octobre 2018, ces réseaux ont proposé une reconnaissance de l’agriculture de groupe et de sa plus-value pour la réussite de la transition agroécologique dans la loi agriculture et alimentation : « l’agriculture de groupe est définie par des collectifs composés d’une majorité d’agriculteurs, lesquels ont pour vocation la mise en commun de façon continue et structurée de connaissances ainsi que de ressources humaines et matérielles […]. Partenaires des acteurs publics et privés des territoires ruraux et périurbains, ces collectifs concourent par leur savoir-faire à la réussite de la transition agroécologique, alimentaire et énergétique »1.

Afin de développer de nouvelles compétences, ressources et outils en coopération, la FNCuma, Réseau Civam, Trame et la FADEAR ont initié une mise en réseau nationale et régionale et mis en lumière les caractéristiques, les besoins et les propositions de politiques publiques à même de soutenir le potentiel des groupes en transition agroécologique dans le cadre du projet COLLAGRO, soutenu par le Réseau Rural National de 2015 à 2018. Pour soutenir un changement de paradigme dans la manière dont sont conçues les politiques publiques agroenvironnementales, ces partenaires s’associent à France Nature Environnement pour porter à partir de 2019 – toujours avec le soutien du Réseau Rural National - le projet ECLAT « Expérimenter avec des collectifs locaux une agroécologie territoriale », autour de la conception, la mise en œuvre et la gestion par une organisation collective territoriale élargie d’une transition agroécologique territoriale.

Références bibliographiques

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FNCuma, 2012. Coopération agricole de production. Entraid

(http://www.cuma.fr/france/content/cooperation-agricole-de-production)

FNCuma, TRAME, Réseau Civam, FRCivam Pays-de-la-Loire, FADEAR, 2018. COLLAGRO – Le réseau des collectifs d’agriculteurs pour la transition agroécologique. (http://www.cuma.fr/france/content/collagro-le-reseau-des-collectifs-dagriculteurs-pour-la-transition-agroecologique)

Gratacos C., 2015. Déterminants agronomiques et de l’action collective dans la transition agroécologique : contribution à la conception d’un outil d’analyse. Application aux cas du CIVAM Empreinte (Languedoc-Roussillon) et du CIVAM de l’Oasis (Champagne-Ardenne). Mémoire de fin d’études d’ingénieur, Montpellier Supagro (IRC). http://ressources.civam-oasis.fr/pdf/2017-08/memoire_cgratacos_petit.pdf

Lacoste C., 2015. Déterminants agronomiques et de l’action collective dans la transition agroécologique : contribution à la conception d’un outil d’analyse. Application aux cas du GEDA 35 (Ille-et-Vilaine) et de la Fédération des Cuma 640 (Pyrénées-Atlantiques). Mémoire de fin d’études

d’ingénieur, Montpellier Supagro (IRC).

https://web.supagro.inra.fr/pmb/opac_css/index.php?lvl=notice_display&id=91500

Le Cunff M., 2014. Comprendre les actions collectives à visée agroécologique pour mieux les accompagner : conception d’un outil de diagnostic et appliacation à deux études de cas. Mémoire de fin d’études d’ingénieur, Montpellier Supagro.

1

Cette disposition a malheureusement été invalidée sur la forme et en dernière instance par le Conseil Constitutionnel.

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180 Innovations Agronomiques 71 (2019), 165-180

Lucas V., Gasselin P., Thomas F., Vaquié P.-F., 2014. Coopération agricole de production : quand l'activité agricole se distribue entre exploitation et action collective de proximité in Gasselin P., Choisis J.-P., Petit S., Purseigle F. & Zasser S. (Ed.), L’agriculture en famille : travailler, réinventer, transmettre. Les Ulis (France): EDP Sciences. pp. 201-222. https://www.edp-open.org/images/stories/books/contents/agricfal/Agricfal_201-222.pdf

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Lucas V., Gasselin P., 2016. L'autonomisation d'éleveurs en Cuma : entre pragmatisme économique, activation de processus écologiques et perte de confiance in SFER (Ed.), Libéralisation des Marchés Laitiers : Évolution des politiques publiques, conséquences et adaptations des acteurs économiques. 9-10 juin 2016 - VetAgro Sup, Campus agronomique de Clermont-Ferrand, 22 p. https://www.researchgate.net/publication/303932646_L'autonomisation_d'eleveurs_en_Cuma_entre_p ragmatisme_economique_activation_de_processus_ecologiques_et_perte_de_confiance

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Stassart P.M., Baret P., Grégoire, J-C., Hance T., Mormont M., Reheul D., Stilmant D., Vanloqueren G., Visser M. 2012. Trajectoire et potentiel de l'agroécologie, pour une transition vers des systèmes alimentaires durables, papier de positionnement du GIRAF," ULB Institutional Repository 2013/115080, ULB -- Université Libre de Bruxelles (https://orbi.uliege.be/handle/2268/130063)

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Figure

Figure  1 :  Les  questionnements  à  l'origine  du  projet  CAP VERT (Source : Pignal, Blondel, Boulet, 2017)
Figure 2 : Groupe pilotes CAP VERT (Source : Pignal, Blondel, Boulet, 2017).
Figure  3 :  Les  quêtes  d’autonomie  des  agriculteurs  (Source : Pignal, Blondel, Boulet, 2017)
Figure 4 : La multi-appartenance : l’appui indispensable sur une multitude de coopérations, collectifs, réseaux
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