Revue française de pédagogie
Recherches en éducation
173 | octobre-décembre 2010 Varia
BONACCORSI Julia. Le devoir de lecture. Médiations d’une pratique culturelle
Paris : Hermès-Lavoisier, 2009, 218 p.
Jean-Marie Privat
Édition électronique
URL : http://journals.openedition.org/rfp/2496 DOI : 10.4000/rfp.2496
ISSN : 2105-2913 Éditeur
ENS Éditions Édition imprimée
Date de publication : 1 décembre 2010 Pagination : 130-131
ISBN : 978-2-7342-1189-1 ISSN : 0556-7807 Référence électronique
Jean-Marie Privat, « BONACCORSI Julia. Le devoir de lecture. Médiations d’une pratique culturelle », Revue française de pédagogie [En ligne], 173 | octobre-décembre 2010, mis en ligne le 01 décembre 2010, consulté le 22 septembre 2020. URL : http://journals.openedition.org/rfp/2496 ; DOI : https://doi.org/
10.4000/rfp.2496
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130 Revue française de pédagogie | 173 | octobre-novembre-décembre 2010
BONACCORSI Julia. Le devoir de lecture. Médiations d’une pratique culturelle. Paris : Hermès-Lavoisier, 2009, 218 p.
Malaise(s) dans la communication… Cet ouvrage publié dans la collection « Communication, médiation et construits sociaux », sous la direction de Jeanneret, ne laisse pas d’interroger son lecteur sur ses objets et objec- tifs scientifiques réels. Qui a jamais pensé par exemple que le « devoir-lire » serait « réductible à une injonction centrale » (p. 16), sinon l’idiographie de l’auteur lui- même ? Comment comprendre le sous-titre de l’introduc- tion – « Corps, textes, territoires » –, alors que la trilogie programmatique de la recherche se décline en « espace, figure, objet » (p. 18), sinon par révérence foucaldienne ? Pourquoi intituler la première partie du livre : « Qu’est-ce qu’une approche communicationnelle ? », ce qui présage d’une réflexion épistémologique et/ou méthodologique, pour se condamner de facto à résumer à la diable (cha- pitre 1) des approches sociologiques et ethnographiques, lexicologiques et narratologiques, etc., et conclure obscu- rément en des termes d’une si grande généralité qu’on hésite à y reconnaître la pensée d’un Michel de Certeau :
« L’énonciation à l’œuvre dans la médiation peut s’analy- ser en termes de poétique des pratiques, recontextualisée dans sa réalité sociale et topographique et son environne- ment symbolique et discursif » (p. 72) ?
Certes ce travail, qui vise explicitement à compléter l’approche historique et institutionnelle proposée naguère par Chartier et Hébrard (Discours sur la lecture, 2000) en partant des actions menées dans un territoire, « théâtre de médiations de la lecture portées par une pluralité d’ac- teurs et d’institutions » (p. 18), a toute sa légitimité de principe. Mais le projet intellectuel précis du livre n’est pas formulé dans un langage clair, au moins pour les non- initiés : « Cette recherche traite d’une politique publique, celle de la lecture, en interrogeant le projet de médiation porté par les acteurs et en le considérant comme une pré- tention communicationnelle confrontée à la complexité des situations sociales dans lesquelles il s’inscrit » (p. 16). L’auteur embrasse en effet un éventail très éclec- tique de paradigmes explicatifs dont le plus récurrent est l’analogie bien connue (et fort contestée) du « terrain » et du « texte ». Sont alors convoqués entre autres les travaux de Geertz, Ricoeur et Rastier pour conclure en deux pages rapides sur des perspectives d’intersémioticité (la notion ne sera reprise qu’une seule fois, 80 pages plus loin).
La seconde partie est consacrée à « la formation discur- sive du devoir-lire » selon une approche à la fois diachro- nique et synchronique. Mais la rédaction est souvent aussi absconse que le propos ambitieux, au point que l’auteur ressent parfois la nécessité d’une reformulation,
au risque de banaliser sa thèse : « L’analyse de la poé- tique des situations qui explicite la croyance à l’œuvre, permet en filigrane de comprendre comment peuvent s’articuler symbolique et politique, comme une topogra- phie de la médiation de la lecture. Pour dire les choses plus simplement, ce sont les questions du projet et de l’engagement qui sont saisies d’un point de vue temporel et spatial » (p. 99). Les homologies entre tissu urbain et tissu textuel se multiplient, prenant exemple sur le réseau des villes-lectures et prenant pour terrain de validation l’implantation d’une nouvelle bibliothèque à Marseille.
On aurait aimé que le concept de textualité urbaine dépasse l’usage métaphorique conventionnel (les lan- gages de la ville, la ville comme langage) et explicite ce que le langage écrit fait précisément à des cultures scrip- tocentrées. Mais la difficulté majeure que rencontre ici le lecteur c’est surtout l’écart « déceptif » entre, d’une part, les (excessives) ambitions cognitives du programme et d’autre part les résultats produits :
- la « pratique culturelle » est saisie dans ses disposi- tifs discursifs ou matériels publics, mais la voix des experts (institutionnels ou professionnels) couvre en fait les pratiques réelles des usagers collectifs ou sin- guliers, sauf exception (p. 187-191). Ce point est problématique quand on pose en théorie que, « du texte au lecteur », s’est effectivement opéré « un déplacement transdisciplinaire de l’objet » (p. 54-55 puis p. 143-145 et passim) et que l’on se propose de décrire « comment le lecteur est saisi par l’interven- tion publique » (p. 125) ;
- les conclusions partielles ou générales n’échappent guère à la banalité, ou au jargon. Ainsi est-ce vrai- ment une découverte d’observer, par exemple, que les divers discours et les différentes pratiques de
« lecture oralisée » reposent en fait sur « une certaine sacralité accordée au texte » et une consensuelle valorisation de « l’interprétation esthétique » (p. 152) ? Est-il bien éclairant de conclure que « la crise de l’illettrisme montre comment les énoncia- teurs imposent l’élaboration d’un nouvel espace de dispersion par la mise à l’agenda des politiques », ou que dans la « scénographie » de telle exposition dédiée à Lire en fête, « le motif communicationnel de la vitrine annule l’opérativité sémiotique des formes en scène et réunies par une contiguïté forcée, dont le projet est l’impensé – ou n’est plus à penser » (p. 201) ?
On ne sait que penser, en effet… y compris des très nombreux jugements de valeur qui situent le chercheur en surplomb de ses sujets : « L’espace de l’exposition qui se superpose à un espace de circulation dans la ville (le métro marseillais) ne permet pas de dialogue entre les vitrines réunies par le seul principe de l’événement. Les
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Notes critiques 131 objets exposés produisent en définitive peu de sens sur
l’événement et dans la vitrine elle-même. » (p. 173) Il reste que ce parcours cavalier « trans-théorique » et ce travail parfois micro-ethnographique restent vivants et même séduisants, dans la mesure où l’auteur adopte une énonciation subjective et n’hésite pas à conduire son lec- teur sur des terrains qui lui sont ou lui furent familiers.
Aussi pourrait-on souhaiter au lecteur buissonnier du livre de Julia Bonaccorsi ce qu’elle dit elle-même des devoirs de lecture : « Les acteurs y créent bien d’autres richesses, à distance d’eux-mêmes, des normes, des insti- tutions et des politiques publiques » (p. 201).
Jean-Marie Privat CELTED, université Paul-Verlaine-Metz
COHEN-AZRIA Cora & SAYAC Nathalie (dir.). Questionner l’implicite. Les méthodes de recherche en didactiques, vol. 3.
Villeneuve-d’Ascq : Presses universitaires du Septentrion, 2009, 281 p.
L’ouvrage collectif coordonné par Cora Cohen-Azria et Nathalie Sayac est le fruit des réflexions développées lors du 3e séminaire international de méthodes de recherche en didactiques organisé en juin 2008 par DIDIREM, THEODILE et l’IUFM Nord-Pas-de-Calais de l’univer- sité Charles-de-Gaulle-Lille 3, sur le thème de l’implicite dans les recherches en didactiques. Il s’inscrit dans la collection « Éducation et didactiques » et fait suite aux deux premiers volumes parus en 2006 et 2007 aux Presses universitaires du Septentrion : Les méthodes de recherche en didactiques et Les méthodes de recherche en didac- tiques : questions de temporalité. Ce livre est structuré en trois composantes :
- une introduction et une conclusion générales par chaque coordinatrice de l’ouvrage ;
- un texte intitulé « Risques et vertus de l’implicite » et correspondant à la conférence introductive du séminaire donnée par Jean-Louis Martinand ; - un ensemble de textes de contributions au séminaire
se déployant sur 240 pages en trois parties, 15 cha- pitres et 31 contributeurs.
Ces trois parties correspondent aux trois thèmes du séminaire, visant à questionner les implicites dans les choix de constitution des corpus, les implicites liés aux cadres théoriques et ceux situés dans les objets de recherche. Chacune de ces parties comporte un texte introductif des animateurs d’atelier, des chapitres de contributions aux ateliers et un texte de conclusion par le
« grand témoin » de chaque atelier. L’intérêt majeur de
cet ouvrage est d’ouvrir un espace où réfléchir sur l’im- plicite dans les recherches en didactiques, ce qui était jusque-là assez rare et relevait bien souvent plus de la pensée privée que publique, comme le souligne Martinand (p. 13) dans son chapitre introductif dense et stimulant sur les implicites dans les objets de recherche, les programmes de recherche et le métier de chercheur.
La diversité et la richesse des contributions et le fait que les auteurs éclairent, chacun à leur manière et selon leur domaine, les questions soulevées par un questionnement sur l’implicite dans les recherches en didactiques ouvrent à un positionnement des recherches réfléchi, à une dis- tanciation (auto)critique, à s’éloigner d’une tendance à l’autoréférencement. L’ouvrage constitue ainsi une contribution très significative pour l’étude des méthodes de recherche en didactiques, la formation doctorale et pour une réflexion critique de la communauté des cher- cheurs. Il invite à « porter un regard dénaturalisant sur certains mécanismes récurrents voire dominants » (Cohen-Azria, p. 114) dans la construction d’un domaine de recherche et d’une communauté avec ses pratiques et ses normes. De cet apport, je relèverai surtout quatre dimensions : épistémologique, méthodologique, sociologique et politique, puisqu’il s’agit aussi d’interro- ger des implicites au sein d’une communauté et qu’il est finalement dans les textes, comme le souligne Cora Cohen-Azria, « moins question des objets que nous construisons, que des chercheurs que nous sommes » (p. 112).
Dans la première partie des contributions de l’ouvrage, les auteurs discutent, à partir d’une nouvelle interroga- tion distanciée et autocritique de leurs propres travaux, souvent de leur thèse (Oudart, Carnus, Kerneis, Cross et al.), ou via une confrontation croisée avec des recherches dans des ancrages théoriques différents (Hersant et Vannier), le statut d’évidence des microdéci- sions et macrodécisions méthodologiques opérées. Par ailleurs, dans la troisième partie des contributions de l’ouvrage consacrée aux implicites des objets de recherche, Jérôme Santini lève les fondements théoriques et épistémologiques implicites dans des recherches (dont la sienne) sur les conceptions en géologie et les choix implicites dans la réduction des données.
L’intérêt de l’explicitation des critères de découpage de corpus est bien montré par Magali Hersant et Marie- Paule Vannier dans une recherche sur les pratiques d’en- seignants de mathématiques en cycle 3. David Cross, Laurent Veillard, Jean-François Le Maréchal et Andrée Tiberghien présentent comment les implicites dans les choix de traitement des données sont levés dans leur recherche sur les connaissances pédagogiques du profes- seur liées au contenu (ici en classe de chimie en termi-
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