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«Réinformer»: étude sur un pure player d’extrême droite populiste suisse romand

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Master

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«Réinformer»: étude sur un pure player d'extrême droite populiste suisse romand

DELUZ, Théo

Abstract

Depuis 2016, le populisme d'extrême droite semble connaître un nouvel élan dans la plupart des démocraties occidentales. Ce phénomène est catalysé par une forte utilisation des technologies de l'information et de la communication par ses acteurs. En effet, la circulation de thèses populistes d'extrême droite se fait majoritairement en ligne. En étudiant le pure player LesObservateurs.ch, nous avons tenté de mettre en exergue les dynamiques inhérentes à un acteur majeur du populisme d'extrême droite suisse romand. Grâce à une analyse de contenu thématique du corpus de l'étude, ainsi qu'une analyse des moyens rhétoriques de la construction de l'altérité, nous répondons aux interrogations suivantes : quels sont les cadres thématiques les plus utilisés par le pure player, sur quelles thématiques la division avec la gauche s'opère-t-elle ? Avec quelles thématiques le média construit-il l'altérité la plus forte ? Et par quels moyens rhétoriques ?

DELUZ, Théo. «Réinformer»: étude sur un pure player d'extrême droite populiste suisse romand. Master : Univ. Genève, 2021

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:150395

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« Réinformer »

Étude sur un pure player d’extrême droite populiste suisse romand

Théo DELUZ 2020

Sous la direction de : Sébastien Salerno

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T ABLE DES MATIERES

I. INTRODUCTION _____________________________________________________________ 5 II. CADRE THÉORIQUE __________________________________________________________ 7 2.1. LE POPULISME, NOTIONS DE BASE SELON PATRICK CHARAUDEAU __________________________ 7 2.1.1. Le populisme de gauche, et de droite _____________________________________ 7 2.1.2. L’imaginaire du populisme (Charaudeau) _________________________________ 7 2.2. LALTÉRITÉ, UNE NOTION CLÉ __________________________________________________ 8 2.2.1. Éléments rhétoriques de l’altérité dans le récit, par Hérodote _________________ 9 2.2.2. l’altérité dans la presse écrite _________________________________________ 10 2.2.3. Cas d’étude : Le scandale du lait frelaté chinois (Patzioglou 2012) _____________ 10 2.2.4. L’altérité et sa relation au populisme ____________________________________ 11 2.3. LE RACISME BIOLOGIQUE DEXTRÊME DROITE ET SON ÉVOLUTION CONTEMPORAINE ____________ 11 2.3.1. Le Front national, un objet d’étude _____________________________________ 11 2.3.2. La guerre des cultures aux États-Unis ___________________________________ 12 2.4. LA RÉINFORMATION, DÉFINITION, ORIGINES ET THÈMES CLÉS ____________________________ 12 2.4.1. le « Grand Remplacement » ___________________________________________ 14 2.4.2. L’islamophobie _____________________________________________________ 15 Les migrants _______________________________________________________________ 16 2.4.3. Le Climatoscepticisme _______________________________________________ 16 2.5. LE POPULISME DE DROITE ET SA RELATION AVEC LES MÉDIAS TRADITIONNELS _________________ 17 2.5.1. Médias mainstream, le cas des États-Unis ________________________________ 17 2.5.2. Médias mainstream, Le cas de la Suisse _________________________________ 18 2.5.3. Les Arguments anti-média Mainstream __________________________________ 18 2.6. LE POPULISME DE DROITE ET SON EXPRESSION EN LIGNE _______________________________ 19 2.6.1. Construction de l’altérité propre à l’extrême droite en ligne : l’Exemple Français. _ 20 2.6.2. Présentation des résultats de l’étude de Catarina Froio, « Nous et les autres : L’altérité sur les sites web des extrêmes droites en France » (2017) ___________________ 21 2.7. L’APPARITION DE L’EXTRÊME DROITE CONTEMPORAINE EN SUISSE ________________________ 22 2.7.1. La nouvelle gauche, un moteur pour la nouvelle droite ______________________ 23 III. PROBLÉMATIQUES ET HYPOTHÈSES __________________________________________ 24 3.1. HYPOTHÈSE 1 :LE CADRE THÉMATIQUE LE PLUS PRÉSENT EST LISLAMOPHOBIE DURANT LAUTOMNE-HIVER

2019-2020. __________________________________________________________________ 25 3.2. HYPOTHÈSE 2 :DANS LE CADRE THÉMATIQUE « OPP-GAUCHE », IL EST MAJORITAIREMENT QUESTION DE THÉMATIQUES RELATIVES AU RÉCHAUFFEMENT CLIMATIQUE. _________________________________ 26 3.3. HYPOTHÈSE 3 :LORSQUE LES CADRES THÉMATIQUES RELATIFS AUX POPULATIONS ÉTRANGÈRES SONT MOBILISÉS,LESOBSERVATEURS.CH EMPLOIENT DAVANTAGE DE TECHNIQUES RHÉTORIQUES VISANT À RENFORCER LALTÉRITÉ DE SES POPULATIONS. ____________________________________________________ 28 IV. TERRAIN D’ENQUÊTE ______________________________________________________ 29 4.1. DESCRIPTION DÉTAILLÉE DU PURE PLAYER _________________________________________ 30 4.2. ACTIVITÉ ET PUBLICATIONS DU PURE PLAYER _______________________________________ 31

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V. CORPUS DE L’ÉTUDE ________________________________________________________ 32 5.1. LES PRINCIPAUX CONTRIBUTEURS ______________________________________________ 33 5.1.1. « La rédaction » ____________________________________________________ 33 5.1.2. Cenator ___________________________________________________________ 33 5.1.3. Claude Haenggli ____________________________________________________ 34 5.1.4. Stéphane montabert _________________________________________________ 34 5.1.5. Yvan Perrin ________________________________________________________ 34 5.1.6. Uli Windisch _______________________________________________________ 34 5.1.7. Frank Leutenegger __________________________________________________ 34 5.1.8. Autres contributeurs _________________________________________________ 35 VI. MÉTHODOLOGIE _________________________________________________________ 36 6.1. L’ANALYSE DE CONTENU ____________________________________________________ 36 6.2. L’ANALYSE DE DISCOURS ____________________________________________________ 37 Analyse de discours, approche foucaldienne ______________________________________ 38 6.3. CADRES ET INDICATEURS ____________________________________________________ 39 6.3.1. Hypothèse 1 _______________________________________________________ 39 6.3.2. Hypothèse 2 _______________________________________________________ 42 6.3.3. Hypothèse 3 _______________________________________________________ 44 6.4. PRÉSENTATION DU CODAGE DE DEUX ARTICLES _____________________________________ 46 6.4.1. Exemple 1 _________________________________________________________ 46 6.4.2. Exemple 2 _________________________________________________________ 50 VII. RÉSULTATS ET DISCUSSION _________________________________________________ 56 7.1. RÉSULTATS DE L’HYPOTHÈSE 1 ________________________________________________ 56 7.1.1. Discussion des résultats ______________________________________________ 62 7.2. RÉSULTATS DE L’HYPOTHÈSE 2 ________________________________________________ 67 7.2.1. Discussion des résultats ______________________________________________ 72 7.3. RÉSULTATS DE L’HYPOTHÈSE 3 ________________________________________________ 74 7.3.1. Discussions des résultats _____________________________________________ 80 VIII. CONCLUSION ____________________________________________________________ 85 IX. BILBLIOGRAPHIE _________________________________________________________ 87 9.1. ARTICLES _______________________________________________________________ 87 9.2. THESES ________________________________________________________________ 89 9.3. CHAPITRE DOUVRAGE ______________________________________________________ 90 9.4. REVUE ________________________________________________________________ 90 9.5. OUVRAGES _____________________________________________________________ 90 9.6. RAPPORT _______________________________________________________________ 92 9.7. DISCOURS ______________________________________________________________ 93 9.8. PRESSE ________________________________________________________________ 93 X. ANNEXE __________________________________________________________________ 94

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TABLES DES ILLUSTRATIONS

Figure 1 : évolution de la confiance envers la presse aux États-Unis : Media Distrust : Whose Confidence was Lost ? Hunter Pearl (2018) ___________________________________________ 18 Figure 2 : Caricature d’une mosquée /cocotte-minute, prête à déborder et laisser couler une vague verte représentant l’Islam. (Illustration d’article, LesObesrvateurs.ch, 22.10.2020) ___________ 26 Figure 3 : Capture d’écran d’un montage photo à caractère péjoratif de Greta Thunberg (Illustration d’article, Lesobservateurs.ch, 26.09.2019) ___________________________________________ 27 Figure 4 : Graphique démontrant la progression des Verts par région aux élections fédérales de 2019 _____________________________________________________________________________ 28 Figure 5 : Capture d’écran (Illustration d’article, LesObservateurs.ch, 09.03.20) ______________ 29 Figure 6 : Page d’accueil du site LesObservateurs.ch (05.11.2020) ________________________ 32 Figure 7 : Proportion des contributions par auteur _____________________________________ 35 Figure 8 : Pourcentage de contenu rédigés par des personnalités UDC _____________________ 36 Figure 9 : Graphique en bâton du nombre d’occurrences des cadres thématiques ____________ 56 Figure 10 : « pie chart » de la proportion de chaque cadre thématique _____________________ 57 Figure 11. Capture d’écran de l’article : « Syrie : Dans le camp pour islamistes d’Al Hol, des enfants menacent les Occidentaux “Nous vous égorgerons“ ___________________________________ 59 Figure 12 : capture d’écran du titre de l’article : « Brexit – L’Union Européenne est une cage (dorée ?) dont il faut sortir _______________________________________________________________ 61 Figure 13 : Résultats des cadres thématiques de l’étude « The online Ecosystem of the German Far- Right. » (2020) _________________________________________________________________ 65 Figure 14 : Dissection du cadre « Political Oppononents » _______________________________ 65 Figure 15 : Dissection du cadre « Immigration » _______________________________________ 66 Figure 16 : Proportion d’articles concernant la criminalité lié à la migration _________________ 66 Figure 17 : nombre d’occurrence des sous-cadres thématiques de « Opp-Gauche » __________ 67 Figure 18 : « pie chart » de la proportion de chaque sous-cadre thématique ________________ 68 Figure 19 : Capture d’écran du titre de l’article : « La cause LGBT, c’est la victoire néomarxiste de l’homme nouveau : ni homme, ni femme, bien au contraire. (05.02.2020) __________________ 70 Figure 20 : Évolution de la force des partis en Suisse (OFS) ______________________________ 73 Figure 21 : Capture d’écran d’article paru sur RTS.ch ___________________________________ 73 Figure 22 : Moyenne des occurrences « émo. nég.» par cadre thématique __________________ 75 Figure 23 : Moyenne des occurrences « émo.nég. » des cadres « pop. Étrangères » __________ 76 Figure 24 : Moyenne des occurrences « quant. num. » par cadre thématique _______________ 77 Figure 25 : Moyenne des occurrences « quant. num. » des cadres « pop. Étrangères » ________ 78 Figure 26 : Somme des moyennes des deux procédés rhétoriques par cadre thématique ______ 79 Figure 27 : Somme des moyennes des deux procédés rhétoriques pour les cadres « pop.

étrangères » ___________________________________________________________________ 79 Figure 28 : tableau des 20 articles qui utilisent le plus de procédés rhétoriques « émo. nég. » +

« num. quant. » ________________________________________________________________ 83

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I. I NTRODUCTION

En 2016, l’élection de Donald Trump aux États-Unis et le succès du referendum « Brexit » au Royaume-Uni semblent témoigner d’une crise épistémique de nos démocraties contemporaines (Benkler, Faris, Roberts 2018 : 4). Depuis la victoire de Donald Trump, les partis d’extrême droite populistes sont en progression en France, Hongrie, Autriche, Espagne, Suède, au Danemark, et en Italie. Cette victoire semble avoir donné un nouvel essor aux idéologies extrémistes normalement marginalisées et minoritaires. Ces tendances seraient, entre autres, catalysées par l’essor de l’utilisation des outils numériques. La tendance globale actuelle est à la perte de confiance envers les institutions politiques et médiatiques. Cette crise de confiance, couplée à l’essor des médias alternatifs d’information, crée une nouvelle variété de médias qui bousculent les codes du rôle de

« gatekeeper » des médias traditionnels. (Montaigne 2019)

« … le vif du sujet, c’est le fossé qu’il y a, parfois, entre l’élite médiatico politique et la base de la population. » (Uli windisch, 2012)

Voici un extrait du discours d’Uli Windisch sur le plateau du 19h30 sur le RTS le 1er juillet 2012, pour le lancement de son média : LesObservateurs.ch. La position d’Uli Windisch s’inscrit dans la définition de la polarisation médiatique française recensée dans un rapport de l’Institut Montaigne en 2019. En effet, l’écosystème médiatique français se voit polarisé par des nouveaux acteurs qui s’opposent et luttent contre la « toute-puissance » des grands médias. Pour Uli Windisch, cette concentration médiatique est malsaine pour la qualité et la pluralité des informations. Un processus de réinformation est donc nécessaire afin de contourner ces instances médiatiques. Le créateur du pure player revendique son dispositif médiatique par une justification politico- morale « laquelle prend appui sur un sentiment de mépris manifesté par les grands médias d’information envers les idées de la droite radicale, et se manifeste par un effort acharné de réinformation du public… » (Jammet, Guidi 2017 : 244).

Selon un article paru dans le magazine Amnesty paru mars 2018, la situation du populisme médiatique en Suisse n’est pas aussi violente qu’aux États Unis, mais l’apparition de site de réinformation tel que LesObservateurs.ch reste tout de même inquiétante. (Grandjean-Jornod 2018). Cet article met en lumière la volonté d’Uli Windish de « créer un courant de pensée politique» avec le soutien des liens forts qu’il entretient avec d’autres sites web de réinformation francophones. De plus, Uli Windish est régulièrement sollicité et invité dans ces médias étrangers pour y discuter du système politique suisse. En effet, la démocratie directe est dans l’œil des populistes européens, car elle aurait favorisé l’essor du populisme en Suisse. Voici ce que dit l’historien Damir Skenderovic à ce sujet : « Ces partis ont su utiliser des outils comme l’initiative populaire, alors qu’ils étaient faibles au Parlement, pour influencer la population et les débats bien au-delà de leur force numérique ». Grâce aux liens que le web permet de tisser à l’international, il semble participer à une nouvelle expression transfrontalière du populisme d’extrême droite suisse romand. Dans ce travail, nous nous intéresserons également à la polarisation politique et à la cristallisation du clivage entre l’extrême droite et la gauche dans les articles du corpus. En effet, les Verts ont connu des résultats historiquement hauts aux dernières élections fédérales de 2019, alors que l’UDC a chuté dans les sondages, il sera donc intéressant d’inscrire notre étude dans ce contexte.

La littérature et les études existantes sur le sujet du pure player LesObservateurs.ch témoignent de l’adoption de thèmes qui le rapprochent du populisme d’extrême droite. En effet, en plus du

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mépris exprimé pour les « mensonges » et la « pensée unique » du système médiatique et politique, son autre thème phare est la peur d’une imminente « islamisation de l’Europe. » (Jammet, Guidi 2017 : 244). Au sein des nombreuses définitions du populisme de droite existante dans la littérature scientifique, la définition donnée par Roy convient le mieux afin d’appréhender le contenu de notre objet d’étude. Pour l’auteur, le populisme de droite « se définit d’abord en posant une altérité absolue (en l’occurrence le musulman) qui, en retour, définit un « nous » : la défense du (bon) peuple face à une population irréductiblement autre ; mais le bon peuple est trahi par ses propres élites qui pactisent avec l’ennemi. » (Roy 2012 : 98).

Ce travail portera sur l’étude des articles parus sur le site LesObservateurs.ch entre les mois d’octobre 2019 et février 2020. À travers l’analyse des contenus postés sur notre objet d’étude, nous tenterons de mettre en exergue les dynamiques inhérentes aux articles de LesObservateurs.ch. Cela permettra de cartographier et de coder ses contenus, et d’analyser le processus de réinformation propre à un acteur suisse romand. La première partie du travail portera sur les différents cadres thématiques utilisés par le pure player, grâce à des cadres tels que l’islamophobie, l’hostilité envers les migrants, le climatoscepticisme, l’opposition à la gauche ou aux médias classiques. Nous disséquerons chaque article. De ce fait, nous obtiendrons un mapping des thématiques phares de notre objet d’étude. Dans la deuxième partie, nous nous pencherons sur la polarisation politique et l’expression du clivage gauche-droite de notre objet d’étude. En effet, grâce à la subdivision de notre cadre thématique concernant l’opposition à la gauche en plusieurs sous-cadres thématiques, nous serons en mesure d’appréhender l’expression et les logiques des positions politiques extrêmes du pure player. Dans la troisième partie de notre recherche, nous mènerons une analyse discursive des procédés rhétoriques de la construction de l’altérité. Grâce à cette méthode, nous serons en mesure de déceler les cadres thématiques dans lesquels la construction de l’altérité est la plus marquée.

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II. C ADRE THÉORIQUE

2.1. L

E POPULISME

,

NOTIONS DE BASE SELON

P

ATRICK

C

HARAUDEAU 2.1.1. LE POPULISME DE GAUCHE, ET DE DROITE

Afin de mettre en exergue le discours populiste, il est nécessaire de distinguer les systèmes de croyances du populisme de gauche et de droite et les imaginaires que les arguments populistes enclenchent. Premièrement, la matrice idéologique de droite impose une vision du monde dans laquelle les hommes entretiennent des rapports de force, voire de domination. Le poids de la tradition est important et la société doit être organisée de façon verticale (dirigeant/dirigés). Cette doctrine de droite est constituée de quatre tendances clés qui sont : le conservatisme, le ségrégationnisme, l’autoritarisme et le patriarcat (Charaudeau 2016 : 36). La matrice idéologique de gauche, quant à elle, prône l’égalité entre les hommes qui s’oppose à la hiérarchisation de la société propre à la droite. La gauche appelle à la solidarité et la neutralité de l’État. De plus, ce qui l’oppose à la droite est son principe de contestation légitime de l’autorité au profit de l’intérêt général. (Idem).

2.1.2. L’IMAGINAIRE DU POPULISME (CHARAUDEAU)

Selon Patrick Charaudeau, le populisme n’est pas un régime politique, mais il est une stratégie pour conquérir et légitimer le pouvoir à travers un discours qui radicalise les imaginaires. L’auteur dénombre 3 principaux imaginaires que décrivons dans les trois sections suivantes.

L’IMAGINAIRE DEVICTIMISATION

Dans l’espace public français, l’auteur constate qu’il y a plusieurs types de peurs qu’il nomme les « peurs identitaires ». Cela renvoie à la notion d’identité nationale qui est menacée par l’arrivée massive d’immigrants. Les discours populistes témoignent d’une peur de perdre ce qui fonde leur nation au profit d’une mixité d’ethnies et de religions. Les immigrés deviennent donc des boucs émissaires, véritables ennemis extérieurs, et intérieurs une fois entrés dans le pays. L’Europe entre également en jeu, en ce qu’elle serait vectrice d’un déclassement social du fait de la libre circulation des capitaux. Ces peurs produisent un double effet : d’une part, les populations demandent de plus en plus de fermeté, de fermeture et de sanctions aux pouvoirs en place afin de « sauver la nation », d’autre part, les populations jugées menaçantes sont de plus en plus stigmatisées.

L’IMAGINAIRE DESATANISATION DES RESPONSABLES

Cet imaginaire va plus loin que la simple critique des responsables d’une situation, il culpabilise différentes catégories sociales. Les politiciens seraient tous corrompus, l’État n’aurait plus aucune autorité, la justice serait laxiste et calculatrice, les lobbies œuvreraient comme des oligarques financiers défendant le capitalisme et les multinationales. Les lobbies communautaristes des minorités tenteraient par tous les moyens d’imposer leurs lois. Tels sont des exemples de satanisations des responsables, qui participent à nourrir une haine et une méfiance vis-à-vis des institutions politiques et sociales.

L’IMAGINAIRE DUSAUVEUR PROVIDENTIEL

« Tout homme ou femme politique doit se présenter comme différent des autres ou de ses prédécesseurs, doit faire montre d’énergie, de force de conviction et de sincérité. Mais il doit aussi être capable de séduire les foules, et cela ne peut se faire, malgré tous les conseillers en marketing

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politique, qu’en laissant s’exprimer ce qui se trouve au fond de sa personnalité, ce quelque chose d’irrationnel qu’on appelle Charisme » (Charaudeau 2011 : 110)

Le leader populiste, s’il a du charisme, se rapproche de la figure prophètique. Son éthos est construit autour de l’adoption totale de la cause du peuple dont il est le représentant. En effet, le leader populiste déclare incarner « le vrai peuple » (Charaudeau 2011 : 110). L’auteur avance une notion de fascination et de transcendance. En effet, le lien qui unit le leader à ses partisans se doit d’être plus qu’idéologique. Il doit être de nature sentimentale. Le leader populiste peut également se donner un éthos de puissance et de combat, en croisade pour le peuple que rien ne peut arrêter :

« rien ne peut s’opposer à ma volonté » dira-t-il (Idem). Pour cette raison, ces discours sont agrémentés de « coups de gueule » ou de formules chocs en tout genre. Le leader populiste montre qu’il n’a pas peur de dire ce qu’il pense, ce qui crée une fascination au sein de son public.

Finalement, il se construit également un éthos d’authenticité. Il doit prouver qu’il n’a rien à cacher et qu’il agit en adéquation avec ses propos (Ibid : 111). Le leader populiste doit démontrer une volonté de puissance tout en démontrant que sa lutte ne sert pas son intérêt personnel, cela crée un rapport de confiance avec le peuple et renforce ce statut de sauveur providentiel vers qui tous se tournent. (Ibid : 112)

2.2.

L

ALTÉRITÉ

,

UNE NOTION CLÉ

Aujourd’hui, le débat contemporain est fortement impacté par les notions d’identité et d’altérité. « L’identité est un élément central des questions telles que la mondialisation, la culture, les changements politiques, les débats religieux, l’immigration, le chômage, les changements des habitus sexuels, les conflits d’identités ethniques et nationales, et enfin l’identité numérique. » (Patzioglou 2012 : 38). L’identité est une lutte ainsi qu’une négociation constante entre les niveaux global, national, local et personnel. De plus les dimensions de l’identité sont en relation avec des facteurs ethniques, linguistiques, sexuels ou religieux (Idem). La formation d’une identité vis-à-vis de l’altérité est un processus complexe qui jongle avec de nombreuses composantes du monde social. De plus, construire son identité implique également d’affirmer une différence. Nous définissons en permanence un « nous » vis-à-vis des « autres ». Si l’identité et l’altérité sont considérées comme formées et non naturelles, elles peuvent être vues comme des décisions politiques motivées par des décisions personnelles (Idem). Selon Stuart Hall (1996) « la formation de l’identité et de l’altérité est un lieu de lutte, de compétition et de négociation. » Dans notre système politique motivé par une recherche d’uniformité et de conformité, il y a donc un réel enjeu à définir l’altérité afin de favoriser un « nous » contre un « eux ». (Patziglou 2012 : 39)

Afin d’appréhender le concept d’altérité, il est important de donner une définition claire de ce qu’est « l’Autre ». Progressivement dans la littérature, « l’Autre » est passé de quelque chose d’exotique à une figure d’ennemi. (ibid : 47). Aujourd’hui, « l’Autre » peut être une figure physique, mais également une idée, afin de se créer sa propre identité. Selon Boetsch et Villain-Candossi (2001), l’étymologie latine et médiévale du mot renvoie à des notions d’exclusions et d’aliénations, et il y aurait deux composantes inhérentes à « l’Autre ». La première représente celui qui est exclu (exemple dans le débat public : les chômeurs), alors que la deuxième représente celui qui menace l’intégrité (exemple dans le débat public : les immigrés). L’altérité est l’antonyme du même. « On réserve la majuscule à l’Autre pour désigner une position, une place dans une structure. » (Férreol, Jucquois 2003 : 5). Selon Todorov (1989), « l’Autre » se manifeste de quatre différentes manières.

Premièrement, il se présente comme une personne réelle, que l’on distingue par des caractères physiques tels que le sexe ou la couleur de peau. Il peut également n’être qu’une représentation,

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comme notre culture ou notre éducation nous l’a dictée. Troisièmement, Todorov définit

« l’Autre » en soi, qui est un être à part, un autre être. Finalement, la quatrième dimension est un

« Autre » faisant partie du « Moi ». En effet, c’est l’altérité de « l’Autre » qui définit l’identité du

« Moi ». « L’Autre » est donc un concept multidimensionnel.

2.2.1. ÉLÉMENTS RHÉTORIQUES DE LALTÉRITÉ DANS LE RÉCIT, PAR HÉRODOTE

Afin de mettre en exergue la façon dont l’altérité est construite dans un récit, nous faisons un saut dans le passé, au cœur de la Grèce antique, afin de nous intéresser à la présentation des barbares dans les récits d’Hérodote. Afin de présenter ces peuples à ses concitoyens, Hérodote a créé des représentations de l’altérité barbare tout au long de son œuvre (Patzioglou 2012 : 66). Ces représentations se divisent en plusieurs sous-catégories, qui ont été présentées par Patziglou (2012), et que nous résumons ci-dessous. Notons que cette section est un parallèle intéressant avec la suivante qui concerne l’altérité dans la presse écrite contemporaine. En effet, la presse utilise aujourd’hui des techniques rhétoriques similaires pour qualifier l’inconnu.

EMPLOI DE PROPOS GÉNÉRALISTES

« Si les Scythes sont aporoi, ils ne peuvent être que nomades, et s’ils sont nomades, ils sont nécessairement aporoi » (Hérodote, livre IX). Ce type d’énoncé démontre, à travers les yeux d’Hérodote, une certaine simplification de la réalité. Ici, il attribue aux Scythes un trait opposé à ses concitoyens.

MÉTHODE DE COMPARAISON

Afin de montrer la singularité et les différences avec « Nous », Hérodote utilise des propos comparatifs et, de ce fait, souligne l’écart entre les barbares et le « Nous ». (Patzioglou 2012 : 68) Cette méthode facilite également la représentation de l’inconnu, car elle est contextualisée avec des éléments connus et partagés.

TRAITS CULTURELS ET LANGAGIERS PROPRES À LA BARBARIE

« La cause pour eux, d’un très grand désavantage, dit Hérodote, était la nature de leur équipement, qui ne comportait pas d’armure protectrice ; c’étaient des soldats armés à la légère (avec des arcs) luttant contre des hoplites. » (Hérodote, Livre IX). Au temps d’Hérodote, la notion de barbare n’avait pas encore la connotation assimilée à la sauvagerie. En effet, le Barbare, pour Hérodote, sait lire et écrire, et les différences sont davantage culturelles et coutumières. Comme le démontre cette citation, Hérodote présente une approche différente au combat, présentée comme inférieure.

ROYAUTÉ ET POUVOIR POLITIQUE CHEZ LES BARBARES

« Pour chaque Grec du cinquième siècle, ainsi que pour Hérodote, le royal est despotique et le barbare ne peut être que royal. Il existe alors un lien étroit entre la Barbarie et la royauté. » (Patzioglou 2012 : 71) Pour Hérodote, les peuples d’Asie n’ont pas la capacité de vivre libres. Leur mode de vie dépend de l’oppression d’un tyran, dont la figure est représentée par la royauté.

Notons que Patzioglou fait l’analogie de cette composante du discours d’Hérodote avec la manière dont les médias français et grecs présentent le système politique autoritaire de la Chine.

LE NOMADISME CHEZ LES AUTRES

Selon Hérodote, le nomadisme, le fait de ne pas avoir de ville ou de frontières autour de ses biens, est un élément d’altérité négative. Effectivement, l’appartenance à des frontières rigides était, pour les Grecs et Hérodote, synonyme d’infériorité.

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2.2.2. LALTÉRITÉ DANS LA PRESSE ÉCRITE

Pour introduire cette section, nous citons premièrement Pierre Bourdieu (2000 : 238) qui exprime l’enjeu de la création de l’altérité dans la presse. « Le langage officiel, langage autorisé et langage d’autorité, licite et impose ce qu’il énonce, définissant tacitement les limites entre le pensable et l’impensable et contribuant ainsi au maintien de l’ordre symbolique et de l’ordre social qui lui confère son autorité ». En d’autres termes, le discours de l’altérité, via la presse écrite, a la capacité de définir l’altérité et l’intensité avec laquelle celle-ci est perçue par l’opinion publique. Selon Patziglou (2012), la représentation contemporaine de l’autre dans la presse se définit de manière fortement ethno-centrée. En effet, la représentation de l’autre se ferait à travers un « écran épistémologique » supposant que le mode de vie représentant le « Nous » serait supérieur aux autres. L’auteure se pose la question de la propension de la presse occidentale à ériger sa raison comme la plus rationnelle. La presse écrite a donc un réel pouvoir de définition de la réalité qu’il est nécessaire de questionner. Cette définition du monde, comme mentionné plus haut dans cette section, participe à l’élaboration d’une identité. « La presse écrite s’engage dans la construction d’une vision du monde et devient, parallèlement, par les images de l’altérité qu’elle diffuse, un instrument d’invention de soi. » (Patzioglou 2012 : 79). Pour Moscovici (1979), les contextes sociaux d’identité et d’altérité sont influencés par les modalités de communication. L’auteur amène une idée cruciale pour notre travail : « une dynamique telle que la propagande par voie de presse, puisse favoriser une focalisation de l’attention sur certaines appartenances, une catégorisation stéréotypée de groupes, des rapports sociaux conflictuels où sont en jeu les identités sociales et personnelles. » Dans cette optique, la presse a donc la possibilité de renforcer l’identification du lecteur à sa culture, en la définissant par opposition – farouchement ou non – à celle de « l’Autre ».

Dans une étude parue en 2012, Elissavet Patziglou est parvenue à mettre en exergue les dynamiques de création de l’altérité dans la couverture médiatique d’un événement chinois par les médias grecs et français. Nous présentons brièvement ses résultats dans la prochaine section.

2.2.3. CAS DÉTUDE :LE SCANDALE DU LAIT FRELATÉ CHINOIS (PATZIOGLOU 2012)

En 2008, une affaire concernant du lait contaminé par de la mélamine provenant de Chine a déclenché un véritable scandale dans la presse française et grecque. La mélanine est une composante plastique fortement toxique, plusieurs enfants chinois sont morts durant cette crise après avoir consommé le lait contaminé. L’étude a recensé 7 articles parus dans le média grec Elefterotypia et 14 articles parus dans Le Monde entre le 16 septembre 2008 et le 11 octobre 2008.

L’auteure a noté une évolution médiatique dans la couverture de l’affaire. Premièrement, elle est parue comme une affaire sanitaire : « Nestlé retire le lait. Chine : 53000 bébés contaminés par la mélanine. » (Elefterotypia, 23.09.08) Par la suite, l’affaire a pris une tournure plus politique :

« L’insécurité alimentaire, nouveau fléau de la Chine. » (Le Monde, 21.09.08). Finalement, l’affaire a pris une tournure internationale : « L’Europe augmente son niveau de vigilance sur les importations de produits laitiers. » (Le Monde, 22.09.08). Dans les articles de presse analysés, Patzioglou démontre que derrière la couverture médiatique de la crise, les deux médias représentent la Chine comme un pays dangereux et corrompu. Ils créent une altérité forte par le moyen de quatre techniques rhétoriques.

- ACCENT SUR DES TRAITS ÉMOTIONNELS ET AFFECTIFS NÉGATIFS : le choix de mots émotionnellement chargés et à connotation négative crée un sentiment de panique et de danger imminent.

- PRÉSENTER LÉVÉNEMENT DE MANIÈRE MÉTAPHORIQUE : les métaphores ont un effet puissant dans la création de représentations pour le lecteur. Patzioglou démontre que les

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métaphores visant à diaboliser la Chine participe à la construction de l’altérité de cette population.

- MARQUER LA DIFFÉRENCE À PARTIR DUNE IMAGE DÉMESURÉE : cela participe à démontrer la puissance et la virulence d’une figure antagoniste.

- UTILISER DES EXPRESSIONS NUMÉRIQUES QUANTITATIVES : l’utilisation de données chiffrées ou d’expressions quantitatives accroît le sentiment d’inquiétude et de confusion chez les lecteurs. Cela crée également un sentiment de danger imminent.

2.2.4. L’ALTÉRITÉ ET SA RELATION AU POPULISME

L’altérité est une composante inhérente à la notion de populisme. En effet, la pluralité d’expressions du populisme à travers différents groupes et mouvements rend difficile l’élaboration d’une définition unique par les sciences sociales et le monde politique. Cependant, « toutes ces formations placent au cœur de leurs discours et de leurs politiques l’affirmation décidée d’une identité de soi (raciale, ethnique ou nationale) opposée aux autres… » (Gimenez, Voirol 2017 : 11).

Dans un article rédigé en 2017 par Leo Löwenthal et Norbert Guterman intitulé Portrait de l’Agitateur Américain, les auteurs offrent une présentation de l’agitateur populiste d’extrême droite. Bien que l’article concentre son analyse sur les États-Unis, l’analyse est pertinente pour une analyse globale du comportement populiste d’extrême droite. Dans la description de ces acteurs, nous retrouvons la dimension d’altérité. « L’agitateur pointe des ennemis, des groupes ou des individus qu’il tient pour responsable de la situation pénible, et il suggère toujours que ce qui est nécessaire, c’est l’élimination de ces personnes et non pas un changement dans les structures politiques ». (Löwenthal, Guterman 2017 : 173). L’agitateur d’extrême droite populiste crée une altérité absolue avec ceux qu’il tient pour responsable de tous les maux sociaux. Le populisme, par définition, c’est un « nous » absolument catégorique vis-à-vis d’un « eux » rigide et dangereux.

2.3. L

E RACISME BIOLOGIQUE D

EXTRÊME DROITE ET SON ÉVOLUTION CONTEMPORAINE

2.3.1. LE FRONT NATIONAL, UN OBJET DÉTUDE

Dans les années 1980, le politologue et sociologue Pierre-André Taguieff fut le premier à mettre en lumière l’évolution du racisme biologique vers une nouvelle expression du racisme dans un livre intitulé Nouvelle droite. Le chercheur a observé ce changement dans l’évolution de la rhétorique utilisé par le parti français du Front National. Il a constaté que le racisme biologisant hérité du XIXe siècle avait progressivement laissé place à une nouvelle forme de racisme portant sur l’appartenance culturelle d’une population. « Au déterminisme biologico-racial, cette nouvelle forme de repli identitaire substitue le déterminisme ethnoculturel, fondé sur une perception négative de l’altérité et la réification du clivage “eux“ et “nous“. » (Kauffman 2016 : 81). Dès lors, la menace ne proviendrait pas d’une prétendue « lutte des races » mais viendrait plutôt du mélange des cultures. Cette nouvelle expression du racisme est appelée « néoracisme » par Pierre- André Taguieff. Selon Albert Memmi, cette transformation du racisme s’est opérée sur trois niveaux : de la race à la culture, de l’inégalité à la différence, et de l’hétérophobie à l’hétérophilie.

Ce n’est donc plus la race d’une personne qui compte, mais sa culture. Ce nouveau racisme pose l’idée de cultures incompatibles, dont le mélange ne serait pas sain. Il ne s’agit plus d’admettre que

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les hommes sont inégaux, mais que les populations sont différentes. Ces différences reconnues par le néoracisme compliquent la cohabitation de différentes populations. Finalement, on ne craint ni ne déteste plus l’autre en raison de sa race, mais, inversement, on accorde plus d’importance aux membres de sa propre culture avec une forte volonté de la défendre. Le discours frontiste, plus généralement de l’extrême droite, est donc aujourd’hui orienté vers « le différencialisme culturel, arc-bouté sur une définition statique des identités collectives » (Kauffman 2016 : 88).

2.3.2. LA GUERRE DES CULTURES AUX ÉTATS-UNIS

Aux États-Unis, la question de l’opposition entre les cultures est également débattue dans le monde académique. Elle est entrée dans le débat public durant les années 1980 (Buchanan 1992).

En 1992, Patrick Buchanan fit un commentaire devenu célèbre qui cristallisa ce débat. « There is a religious war going on in our country for the soul of America” (Convention Républicaine : 1992).

Selon l’auteur, deux questions divisent alors les États-Unis dans cette guerre culturelle. Ce sont les questions « qui sommes-nous » et « en quoi croyons-nous » (Buchanan 1992). James Davison Hunter, dans son livre Culture Wars : The Struggle to define America (1992) fait le portrait d’une Amérique divisée sur le plan politique, social et moral. Comme en France, l’acceptation ou non du multiculturalisme divise la population. Ce concept de guerre culturelle a été fortement discuté par le monde académique. En 2015, Andrew Hartman a qualifié ce concept comme étant une relique du passé. En effet, selon lui, la métaphore n’est plus d’actualité, et a été remplacée après la crise financière de 2008. Selon Hunter, les inégalités résultantes de la crise ont mis de côté les différences culturelles ainsi que les différences d’identités politiques (Davis 2019 : 2).

Cela dit, la prolifération de médias d’extrême droite aux États-Unis depuis le milieu des années 1990 est un phénomène qui attise et modernise cette guerre des cultures américaines premièrement définie par Patrick Buchanan. Des médias hautement partisans comme Infowars.com (1995), Fox News (1996) ou plus récemment Breibart (2007) polarisent les discours politiques médiatiques. La création du mouvement Tea Party en 2009 après l’élection de Barack Obama, ainsi que le rôle primordial qu’ont eu les nouveaux médias dans l’élaboration de celui-ci, sont des exemples saillants de cette guerre moderne des cultures. (Davis 2019 : 3) En effet, les nouveaux moyens d’informations et de communications ont permis la création d’une sphère de médias d’extrême droite alternative faisant fracture avec les canaux et les messages politiques traditionnels. (Jamieson et Cappella, 2008) Ces médias recadrent les thèmes complexes de la politique classique en deux groupes simplifiés par un « Nous » vertueux, vis-à-vis d’un « Eux » machiavélique (Davis 2019 : 3). Si l’on compare les thèmes abordés dans les années 1980 et 1990 dans les médias et la politique américaine, il s’agissait de races, de féminisme, des droits de la communauté gay, et d’éducation. Aujourd’hui, cette division se fait encore sur ces sujets mais de nouveaux sujets tels que les transgenres, la communauté LGBTQI+, l’Islam, le terrorisme, et le réchauffement climatique sont apparus dans l’arène politique. (Ibid : 4)

Finalement, en France comme aux États-Unis, le discours sur les guerres et les différences culturelles se nourrit de l’idée d’une division sociale irréductible dans des buts polémiques de dramatisation des conflits. Cela justifie et nourrit les arguments politiques avancés par les différents mouvements populistes d’extrême droite que l’on voit émerger dans de nombreuses régions du monde et particulièrement en Europe.

2.4. L

A RÉINFORMATION

,

DÉFINITION

,

ORIGINES ET THÈMES CLÉS

«La réinformation est un processus revendiqué par un ensemble de sites, ancrés à l’extrême droite qui fonde sa raison d’être dans une lutte contre “les médias de propagande, subventionnés ou

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dirigés par des oligarques financiers“, d’après les termes de son principal promoteur, Jean-Yves Le Gallou » (Stephan, Vauchez 2019).

Le terme « réinformation », bien que son origine soit discutée par le monde scientifique (Schmelck, 2017), serait sorti de la marginalité durant l’année 2007. En effet, la pratique s’est généralisée à cette période grâce à deux évènements. Le premier s’agit de la création de l’émission quotidienne le Bulletin de réinformation sur la radio d’extrême droite créée en 1987 Radio courtoisie (Stephan, Vauchez 2019). Deuxièmement, le terme sera utilisé dans la seconde édition de la brochure La Tyrannie médiatique écrite par l’essayiste Jean-Yves Le Gallou en 2008 (Idem). La réinformation, c’est le projet de rééquilibrer l’offre médiatique à travers l’apparition de multiples acteurs médiatiques. Pour ces producteurs de contenus visant à réinformer, l’offre médiatique mainstream est politiquement trop orientée. Dans le contexte « d’expression des subjectivités » théorisé par Cardon (2010), la réinformation a aujourd’hui une place importante dans l’espace médiatique en ligne. Notons qu’en France, les sites se disant acteurs de la réinformation tels que FdeSouche, Riposte Laïque, Résistance Républicaine, Dreuz.info, Le Salon Beige, Polémia et encore l’Observatoire du journalisme figurent sur la liste des trente sites politiques français affichant le plus d’audience (Bevort 2016). En addition à ses sites relativement professionnalisés, il existe une multitude de sites ou blogs moins actifs dont l’audience est plus restreinte (Stephan, Vauchez 2019). Cette stratégie de l’extrême droite en ligne a été qualifiée par le politologue français Stéphane François de « suractivisme ».

Finalement, selon différentes études empiriques, le rôle de la production de contenus alternatifs d’extrême droite serait « d’affaiblir la légitimité des médias généralistes, qualifiés de bien- pensants, et imposer une vision identitaire du social. » (Idem) Dans cette optique, le terme

« médiactivisme » de Cardon et Granjon (2010) semble être adapté. En effet, les acteurs tels que Lesobservateurs.ch sont très critiques vis-à-vis des grands médias. Notons que la réinformation n’est pas uniquement un processus d’information journalistique. Selon Venner (2006), c’est un processus qui ouvre la possibilité d’une véritable sociabilité au travers d’évènements tels que les Bobars d’Or, qui est une cérémonie sur le ton de la parodie afin de récompenser le « meilleur » mensonge médiatique. C’est l’occasion pour les membres actifs de la réinformation de se montrer

« hautement dynamiques, soudés, et unifiés. » (Stephan, Vauchez 2019).

Le public de la réinformation réunit une population essentiellement masculine et âgée, « dont l’ethos bourgeois tranche avec la marginalité revendiquée et valorisée par l’endogroupe » (Thoreau 2018). Cependant, cela représente uniquement le public présent lors d’évènements tels que les Bobards d’or. Cela ne représente donc que la partie la plus active et investie (Stephan, Vauchez 2019). Une étude finlandaise réalisée par Noppari, Hiltunen et Ahva (2019) a identifié trois catégories de consommateurs de réinformation. Le premier groupe s’agit des « sceptiques ». Ces gens n’ont pas confiance dans les informations données par le système médiatique et politique et ressentent la nécessité de consommer des sources alternatives d’informations. Deuxièmement, les

« critiques » se plaignent des sujets choisis par les grands médias. Pour eux, le cadrage des informations nécessite davantage de pluralité. Finalement, les auteurs définissent la catégorie des

« mécontents » dont « les reproches des médias mainstream sont circonscrits à certains phénomènes » (Stephan, Vauchez 2019). Plusieurs thèmes principaux sont abordés sur les sites de réinformation, et certains sont clés pour la compréhension de notre travail. Nous en faisons la description dans les différentes sections qui suivent.

(15)

2.4.1. LE « GRAND REMPLACEMENT »

Le désir d’autoconservation culturelle et la hantise du mélange risquant d’être le destructeur des identités collectives sont des phénomènes anciens. Cette peur du remplacement culturel a été définie par Kaufmman dans son ouvrage « Le Nouveau FN » (2016 : 89) : « Terreur de la disparition, de la dissolution, crainte qu’“ils“ ne se substituent à “nous“ par la conquête guerrière, le métissage, la submersion démographique, l’ethnocide ou encore le colonialisme intérieur. » L’écrivain et militant politique d’extrême droite Renaud Camus fut le premier à proposer le terme de « Grand Remplacement ». Dans son livre du même nom paru en 2015, l’écrivain ajoute une dimension conspirationniste. Selon lui, les pouvoirs en place seraient complices et agiraient en collaboration avec les populations (Danis 2016 : 5). Selon les adeptes de cette thèse, cette idéologie présente

« un diagnostic sur le temps présent, une révélation sur une machination en cours et un programme d’action. » (Idem). Dans son livre, Camus précise la bipartition de la population et identifie quatre groupes distincts : les remplacés révoltés (le « Nous »), les remplacés consentant (par hébétude, dogmatisme ou calcul), les remplacistes (dimension conspirationniste de la théorie), et les remplaçants (le « Eux »). L’auteur met l’accent sur la religion musulmane et son ambition d’envahir l’Europe. Nous discuterons de l’Islamophobie dans le prochain point de ce travail. En effet, l’Islam et l’occident sont, pour Camus, fondamentalement incompatibles.

ORIGINE DE LA THÉORIE DU GRAND REMPLACEMENT

Comme mentionné dans le dernier paragraphe, Renaud Camus a été le premier à donner une traduction militante du terme de « Grand Remplacement » en 2010. Cependant, ce concept n’est pas nouveau. En effet, l’idée initiale provient de Edouard Drumont et Maurice Barrès. En 1886, le journaliste Edouard Drumont publiait son livre La France Juive, vendu à plus de 65'000 exemplaires en France. Les arguments présentés de ce pamphlet sont similaires à la théorie du Grand Remplacement en ce que les juifs y sont présentés comme envahisseurs et remplaçant

« Il m’a paru intéressant et utile de décrire les phases successives de cette Conquête juive, d’indiquer comment, peu à peu, sous l’action juive, la vieille France s’est dissoute, décomposée, comment à ce peuple désintéressé, heureux, aimant, s’est substitué un peuple haineux, affamé d’or et bientôt mourant de faim. » (Drumont 1886 : 124)

La France Juive résonne comme un appel au peuple français à une reconquête vers l’intérieur ainsi qu’à une lutte active contre l’envahisseur juif (Kauffman 2016 : 91). Le romancier nationaliste Maurice Barrès, dans ses écrits, s’est grandement inspiré des textes d’Edouard Drumont. Il est considéré comme l’un des précurseurs de la thèse du Grand Remplacement. En effet, il adopte une approche conspirationniste dans sa lecture des changements culturels causés par l’immigration.

Selon lui, les populations migrantes sont davantage fécondes que les Français. Il faut donc craindre que celles-ci ne surpassent la population native. Selon lui, ces populations auraient profité de l’affaiblissement de la France du à la disparition de nombreux soldats lors des guerres révolutionnaires et impériales. (Idem)

Bien que les arguments de la thèse de Renaud ne soient pas nouveaux, c’est en 2010 que le terme est réellement devenu populaire. En effet, la métaphore fit instantanément mouche au sein du Front National, qui s’est depuis approprié le concept. Cette théorie occupe aujourd’hui une place non négligeable dans le débat politique français. Effectivement, l’idée est ouvertement débattue par ses partisans ainsi que ses opposants. Notons également que la popularité de cette théorie a largement dépassé les frontières françaises. Le meurtrier responsable de l’attaque terroriste causant la mort de 49 personnes en Nouvelle-Zélande le 15 mars 2019 a justifié son acte en se réclamant du concept du Grand Remplacement de Camus. (Le Monde 2019)

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2.4.2. L’ISLAMOPHOBIE

« Si la présence de populations musulmanes en Europe et en Amérique du Nord est ancienne, sa visibilité dans l’espace public semble désormais constituer un enjeu politique majeur pour les sociétés occidentales. » (Asal 2014 : 14)

La première diffusion du terme contemporain d’islamophobie est apparue en Grande-Bretagne en 1997 dans le rapport Islamophobia. A Challenge for Us All. Il a été publié par la Commission on Britsh Muslims and Islamophobia sous la direction de Gordon Conway. Ce think tank a conféré au terme une reconnaissance publique, politique et scientifique (Allen 2010 : 15). Cependant, Edward Said (1985) utilisait déjà le terme dans ses textes. En effet, l’auteur de l’Orientalisme a démontré que l’altérité de l’Occident vis-à-vis de l’Orient se cristallise autour des figures de l’Arabe et du Musulman (Asal 2014 : 14). Les textes de Said résonnent aujourd’hui à l’échelle internationale, associant islamophobie et guerres contre des pays musulmans (Idem).

Après les attentats du 11 septembre 2001 aux États-Unis, le terme « Islamophobie » devient incontournable. « Quand le monde est contraint d’inventer un nouveau terme pour constater une intolérance de plus en plus répandue, c’est une évolution triste et perturbante. C’est le cas avec l’islamophobie. » (Kofi Annan, 2004). Dès lors, de nombreux chercheurs se sont penchés sur la question et ont publié des études sur le sujet. Bien que ces enquêtes proviennent majoritairement d’universitaires anglais, le reste du monde académique s’est également intéressé à la question (Asal 2014 : 15). En France, par exemple, nous devons le premier essai sur l’islamophobie contemporaine La nouvelle islamophobie à Vincent Geisser (2003), suivi par l’analyse de l’islamophobie dans les médias télévisuels de Thomas Deltombe (2005). Ces auteurs spécialistes de l’islamophobie notent l’apparition d’un nouveau racisme qui vise les musulmans, se cristallisant autour des questions fortement médiatisées relatives au port du voile. De plus, la construction de l’islam comme une menace (extérieure et intérieure) rejoint directement les débats sur l’immigration et les questions sécuritaires mêlant terrorisme et criminalité (Asal 2014 : 18). En effet, les discours sur le radicalisme islamique dans les mosquées visent en majorité les jeunes issus de l’immigration (Deltombe 2005).

Dans le discours d’extrême droite incluant la réinformation, l’Islam est systématiquement associée au danger. Si l’on prend l’exemple du média conservateur américain Breibart, une étude réalisée en 2019 par Mark Davis sur les contenus du site a démontré l’hostilité de l’extrême droite envers cette religion. Sur 180 articles concernant l’Islam, aucun d’entre eux n’est positif, et une dimension de violence est attribuée aux musulmans. En France, la question des dangers de l’Islam est aussi débattue de manière plus globale dans l’espace médiatique. Bien qu’ils n’y adhèrent pas, les grands médias participent à la diffusion de ces thèses en les discutant dans leurs titres (Gimenez, Voirol 2017 : 16). Hajjat et Mohammed (2016) ont appelé ce phénomène une « islamophobie de plume ». En effet, les intervenants de la scène politique française ayant des positions extrêmes vis- à-vis de l’Islam sont invités et font circuler leurs idées dans des débats médiatisés. À titre d’exemple, nous citons le polémiste Eric Zemmour, qui, sans filtre, présente ses thèses islamophobes sur les plateaux de télévision à grande audience. Cela participe à la création d’une

« audience à venir » (Gimenez, Voirol 2017 : 16). Sur les sites d’extrême droite français, l’argument culturel est également mis en avant. Ce cadrage insiste sur l’impossibilité de concilier l’islam avec les groupes sociaux représentant l’ingroup culturel (Froio 2017 : 58). L’islam menacerait les valeurs de laïcité dans l’espace public et serait également une menace pour les habitudes alimentaires traditionnelles de la culture française en ce qu’elle imposerait son régime de viande halal (Idem).

Certains sites avancent également la menace grandissante pour le droit des femmes et des

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homosexuels si l’Islam continue à se développer en France. Finalement, en plus du 11 septembre 2001, les récents attentats de Paris, Bruxelles et Nice ont participé à associer une réelle peur de l’Islam dans le discours d’extrême droite et le débat public. Comme aux États-Unis, l’Islam serait un danger sécuritaire alarmant pour le monde occidental (Ibid : 60).

2.4.3. LES MIGRANTS

A l’instar de l’islamophobie, les acteurs d’extrême droite utilisent la réinformation en visant à démontrer l’incompatibilité et les effets néfastes du mélange culturel. Ils tentent de démontrer que le « Nous » a besoin d’être défendu face à un afflux grandissant et dangereux de migrants (Davis 2019 : 9). Dans le processus de réinformation, une dimension de criminalité est associée au thème des migrations. Effectivement, les sujets choisis pour traiter de la thématique des migrants sont très souvent mis en relation avec la criminalité. Cela donne l’illusion qu’ils sont systématiquement responsables de la criminalité du pays qui les accueille (Ahmed, Pisoiu 2019 : 11). Afin d’appuyer ces thèses, les médias d’extrême droite exploitent les crises migratoires et les tiennent pour responsables de tous les maux sociaux. (Idem). Cela renforce l’idée d’une menace et encourage la fermeture des mentalités envers un « envahisseur » criminel et, par ailleurs, profiteur d’un système social, économique et politique censé servir à la population native. En d’autres termes, les médias de réinformation ont pour objectif de démontrer que les migrants profitent des sociétés occidentales. Ces dernières leur offrant de meilleures perspectives économiques et sociales que leurs pays d’origine. En accentuant le thème de la criminalité dans la médiatisation des migrants, les journaux veulent démontrer qu’ils ne sont pas dignes d’en profiter. (Ahmed, Pisoiu 2019). Dans un article de Mark Davis paru en 2019 intitulé A new, online culture war ? The communication world of Breitbart.com. L’auteur démontre que les médias d’extrême droite américains accentuent également la dimension criminelle des migrants. « Ces thèmes de chaos, violence et d’influx sont davantage souligné dans la couverture médiatique de l’immigration. »1

2.4.4. LE CLIMATOSCEPTICISME

Le changement climatique est un fait scientifiquement prouvé et appuyé par une écrasante majorité de chercheurs. (Colomb 2014). Depuis 1997, 213 réunions et conférences internationales ont eu comme thème principal l’environnement ou le réchauffement climatique. Il s’agit donc du phénomène naturel le plus présent dans l’espace public et médiatique contemporain (Létourneau 2017). Notre travail s’inscrit simultanément dans le contexte actuel des grèves pour le climat et du mouvement « Fridays for future », lancé par l’activiste suédoise Greta Thunberg. Son action a conféré une présence médiatique accrue au thème du réchauffement climatique. Cependant, les sondages d’opinion démontrent un écart entre les croyances de la communauté scientifique et une partie de la population. En effet, une tranche non négligeable de la population ne croit pas au phénomène de réchauffement climatique.

Il existe deux dimensions dans les arguments avancés par les climatosceptiques. La première a une dimension conspirationniste. En effet, le réchauffement climatique et les politiques qui en découlent seraient des stratégies utilisées par de puissantes institutions pour contrôler et influencer l’opinion générale (Létourneau 2017 : 12). La deuxième dimension, quant à elle, est culturaliste. Afin de comprendre le climatoscepticisme, le climatologue Mike Hulge s’est inspiré de travaux anthropologiques pour expliquer la propension ou non, de certaines personnes aux

1 “These themes of chaos, violence and influx are further emphasized in the coverage of immigration.” (Davis 2019)

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discours sceptiques (Idem). L’approche structuraliste fait le postulat que les acteurs projettent leur vision du monde vers l’extérieur et choisissent les discours auxquels ils décident d’adhérer. Dans ce cas, l’interprétation des messages diffère selon des facteurs comme l’orientation politique ou, plus généralement, la culture. Aux États-Unis, la différence entre démocrates et républicains est flagrante. En 2013, 66% des démocrates croyaient au changement climatique anthropogénique, contre seulement 24% chez les républicains. (Dimock, Doherty, Suls 2013). Nous le verrons, la dimension climatosceptique est aujourd’hui solidement installée dans le discours populiste d’extrême droite.

2.5. L

E POPULISME DE DROITE ET SA RELATION AVEC LES MÉDIAS TRADITIONNELS

À mesure que les technologies de l’information et de la communication se développent, l’internet croît en un espace d’expression sans précédent. En ligne, la séparation entre les contenus produits par des profanes et des professionnels du journalisme s’est estompée. En effet, les gatekeepers de l’information ont graduellement perdu leur pouvoir d’agenda setting (Cardon 2010). Dans ce contexte, le phénomène de réinformation est apparu afin de contourner l’agenda journalistique des médias traditionnels. Depuis une quinzaine d’années, de nombreux sites et blogs à visées politiques ont été créés sur le modèle du journalisme participatif ou citoyen (Trédan 2017). Du côté de l’extrême droite, un manque de confiance progressif envers les médias mainstream a encouragé l’apparition de ces différents sites et blogs véhiculant des idées extrêmes.

2.5.1. MÉDIAS MAINSTREAM, LE CAS DES ÉTATS-UNIS

En 1970, 70% des Américains disaient avoir confiance aux informations données par les médias traditionnels. Un peu moins de cinquante ans plus tard, les choses ont radicalement changé. En 2017, seulement 41% des Américains disaient avoir confiance aux informations données par ces mêmes médias. Aujourd’hui, les médias américains font partie des institutions les moins crédibles selon le peuple (Swift 2017). Depuis 2016, soit l’élection de Donald Trump, la confiance envers les médias diminue de façon constante. En effet, le politicien a considérablement exprimé son opposition aux médias mainstream, si bien qu’il a popularisé le terme « fake news » (terme dont l’utilisation a augmenté de 365% depuis 2016), et nourrit la perte de confiance générale vis-à-vis des médias. « Ainsi, une rhétorique semblable à celle qu’il déploie pour attaquer ses adversaires politiques est mise au service d’un bras de fer avec des médias d’information, désignés tout à la fois comme “criminels“ ou “ennemi du peuple américain“ » (Mort 2018 : 73). Ses adversaires politiques sont ces concurrents républicains et démocrates, mais également les médias. Trump a donc participé à instaurer un climat instable ainsi qu’une défiance grandissante vis-à-vis des médias traditionnels américains. (Idem)

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Figure 1 : évolution de la confiance envers la presse aux États-Unis : Media Distrust : Whose Confidence was Lost ? Hunter Pearl (2018)

2.5.2. MÉDIAS MAINSTREAM, LE CAS DE LA SUISSE

Le pure player d’Uli Windisch LesObservateurs.ch, selon Thomas Jammet et Diletta Guidi (2017), cristallise les thèmes du discours de la « réacosphère » ou de la « fachosphère » exprimé sur d’autres sites de réinformation français. Ce procédé d’information alternative que le site revendique s’appuie sur un mépris des puissantes instances médiatiques établies en Suisse romande. Effectivement, en ce qui concerne l’écosystème médiatique suisse romand, la question de sa forte concentration peut faire l’objet d’un débat. Dans un rapport sur les médias suisses romands publié en janvier 2018, Sébastien Salerno démontre à quel point la crise de la presse écrite et l’arrivée du numérique favorise la concentration des médias romands. En 2016, les maisons d’édition Tamedia (68%), Ringier (12%), et ESH Médias (10%) détenaient 90% des titres de la presse écrite, et cette tendance est la hausse (Salerno 2018). En 2014, l’indice de concentration des médias quotidiens payants et gratuits Hirschman-Herfindal (HHI), stipulant qu’une valeur supérieure à 1800 témoigne d’un marché fortement concentré, désignait une valeur de 4592 pour la Suisse romande (Badillo, Bourgeois 2014).

2.5.3. LES ARGUMENTS ANTI-MÉDIA MAINSTREAM

Afin de décrédibiliser les médias traditionnels et de justifier la nécessité d’une réinformation, les acteurs d’extrême droite populiste avancent certains arguments récurrents que l’on retrouve dans différents pays. Dans cette section, nous analysons les arguments anti-média en question.

LES « FAKE NEWSMEDIA »

Un des éléments rhétoriques du discours populiste d’extrême droite consiste à accuser les médias mainstream grand public de systématiquement relayer des informations erronées. (Mort 2018 : 94). Cela remet donc en cause l’intégrité même des journalistes dans l’exercice de leur profession. Donald Trump, par exemple, qualifie les médias américains de « Fake News Media ».

Cette remise en cause de l’intégrité et de la qualité du journalisme traditionnel fait écho via le web

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et renforce les positions populistes antisystèmes. Cela nuit considérablement au débat démocratique.

LE MANQUE DE PARTIALITÉ DES MÉDIAS

Dans cette optique, les médias ne serviraient pas aux débats démocratiques et à informer le public en toute neutralité, mais seraient des organes politiques à part entière. Les médias ne seraient pas neutres et serviraient un agenda politique. (Idem). Cela a pour conséquences de décrédibiliser ces médias. En effet, si un média est perçu par un électorat comme un antagoniste politique, la véracité des faits n’est plus perçue et cette partie de la population choisira d’ignorer, ou de ne pas croire des informations de nature pourtant factuelles (Idem).

L’ÉLITISME MÉDIATIQUE

Les acteurs médiatiques d’extrême droite populiste, à l’image de LesObservateurs.ch, ne cachent pas leur hostilité envers les institutions médiatiques traditionnelles. Celles-ci ne permettent pas aux acteurs d’extrême droite de bénéficier des arènes discursives à grande audience, ce qui limite la diffusion de thèses à caractère populistes (Koopmans & Olzak, 2004). « Ceci les encourage à redoubler d’efforts pour mobiliser leurs troupes et gagner des adhérents en diffusant leurs thèses par le biais des canaux propres aux médias numériques, tout en brandissant leur exclusion des espaces de large audience comme preuve de la véracité de leurs positions.» (Gimenez & Voirol 2017 : 16). En effet, ces nouveaux acteurs voient leur existence comme étant nécessaire au débat démocratique. Selon eux, les médias d’information traditionnels ont un pouvoir trop grand et dictent arbitrairement ce qui doit être débattu, ou non, dans l’espace public. Les agences de presse officielles dicteraient ce qu’ils nomment « La pensée unique.» (Ibid : 19). Le rejet de ces élites médiatiques est solidement instauré au sein des partis traditionnels d’extrême droite. L’UDC en Suisse, ainsi que le Rassemblement National en France, utilise fréquemment cet argumentaire anti- média. Pour ces partis, l’élite médiatique ne leur offrirait pas un accès suffisant aux espaces de diffusion à grande audience. Ils subiraient donc une inégalité de traitement vis-à-vis d’autres partis politiques (Idem).

2.6. L

E POPULISME DE DROITE ET SON EXPRESSION EN LIGNE

Les nouveaux écosystèmes médiatiques et les réseaux sociaux numériques ont donné une nouvelle voix au peuple. Les réseaux sociaux ont amené le pouvoir du web dans les mains du peuple afin qu’ils puissent s’exprimer, échanger, et se connecter les uns les autres (Cardon 2019 : 216).

L’internet est une arène de création et de solidarité plus puissante que les arènes et canaux médiatiques classiques. En effet, l’accès y est beaucoup plus simple qu’avec la télévision, la presse ou la radio. Chaque individu peut aujourd’hui prendre la parole, réagir, se faire entendre, et diffuser ses idées (Froio 2017 : 44). Dans cette logique, et depuis une dizaine d’années, nous avons assisté à l’apparition de nombreux mouvements en ligne revendiquant des idées extrémistes de droite (Gimenez, Voirol 2017 : 13). Le premier du genre fut le mouvement conservateur appelé « Tea party », créé aux États-Unis pour contester et répondre à la victoire démocrate de Barack Obama.

Ce mouvement a largement utilisé les technologies numériques pour s’organiser et prendre forme.

Effectivement, il a commencé très localement, puis, il a petit à petit généré un rayonnement national grâce aux médias sociaux, blogs, plateformes de discussions en ligne, et autres outils offerts par les technologies numériques (Idem). Les thèmes discutés étaient principalement la défense des valeurs chrétiennes ainsi que la lutte contre l’immigration illégale.

Références

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