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Anne H. Tallec. Combat. De la mère à sa fille, du murmure à la révolution. essai. Cent Mille Milliards

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Academic year: 2022

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Combat

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De la mère à sa fille, du murmure à la révolution

Combat

Anne H. Tallec

Cent Mille Milliards essai

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© Anne H. Tallec et Cent Mille Milliards, 2022.

Les ouvrages édités par Cent Mille Milliards sont imprimés à la demande par un établissement certifié Imprim’Vert

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À ma fille À la légitimité d’un féminin libre,

auteur de sa raison d’être.

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AVANT-PROPOS

La parole de la mère relève-t-elle uniquement d’un babil stérile, d’un bavardage infatigable, d’histoires de ventres et d’accouchements, de recettes de beauté, de jeunesse à entretenir, d’hommes à conserver, de mode d’emploi de sextoys ? L’intelligence, les savoirs, les expériences accu- mulées sont-ils exclus de la transmission de son destin ? Et ma voix maternelle sans rectitude, aux contrastes insondables, enfermée dans la nuit, dans l’imaginaire des jardins, sautant du chagrin de l’adolescente à l’histoire antique, suspendue aux allers et retours de l’expérience, petite mais vécue, tandis que la mémoire des mondes souffle ses certitudes, interrogeant l’assise infernale de l’amour prisonnier du verbe, ne peut-elle porter le juste ?

Des millénaires durant, les femmes n’ont été ni partenaires de vie dans l’espace public ni autorisées à participer à la construction juridique, sociologique, urbaine des peuples. Ainsi, l’architecture littéraire, théâ- trale, musicale des cultures en Occident et ailleurs a été le fait assumé des hommes.

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J’ai emprunté au théâtre grec sa construction rigide pour la déformer et dire ce que je voulais dire comme Euripide disait à la cité ce qu’elle devait entendre et apprendre : Parodos (premier chant), Stasimon (moment où le chœur montre ses émotions), Épisodes (scènes incidentes), Coryphée (chef de chœur) , Exodos (dernière partie) etc., sont autant de respirations à travers les- quelles je m’exprime renversant malicieusement la règle uniquement parce que je suis mère et non intellectuelle, philosophe, auteure, juriste… Cette grille grecque et mas- culine commune à son théâtre est devenue pour moi un promenoir. J’y ai ajouté dans le Parodos des extraits d’un

« journal de mère » pour un voyage entre une prise de conscience, un constat, un appel à la construction autre, des petits instants de vie sans importance, des drames communs et l’impuissance devant le chagrin des autres, ce qu’on en apprend, la joie, simplement la joie.

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PARODOS

Quel est le rapport entre un chagrin d’amour et la consti- tution de la Ve République française ? La Princesse de Clèves, le roman attribué à Mme de Lafayette, invite-t-il encore aujourd’hui à la réflexion ? Laquelle ?

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Journal de mère 1

J’y enferme les années et un mot, « pourri », que tu répétais avec tes copines au gré des météos des cœurs.

Écoute, je te raconte…

Hiver 2003

Te souviens-tu de ce soir de décembre 2003 ? Te souviens- tu de tes mots, dits à moi, ta mère ?

« Je voudrais ne plus me réveiller. »

Ils me furent un coup de poignard au cœur. Bien sûr que tu as oublié. Je me rappelle chaque minute de ce jour-là. Te rejoindre d’abord. Ma valise balancée dans le coffre de la petite Citroën toute neuve, à côté des cadeaux de Noël cachés là depuis une semaine, le chien qui a sauté sur la banquette arrière, quitter Paris direc- tion Toulouse. Rejoindre l’enfant fille, déjà plus enfant, presque plus adolescente, et prête à se noyer dans un chagrin interminable. J’ai conduit des heures. Des murs

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d’eau se succédaient sur l’A10, que le mouvement obs- tiné des essuie-glaces évacuait méthodiquement. Je t’ai retrouvée, décomposée et blafarde, dans ta chambre d'étudiante. Je t’ai embarquée, toi, ton chagrin et ton sac. Des heures de route encore, en transversale cette fois, en direction de notre vieille baraque, pas loin de l’océan, où nous devions tous nous retrouver pour fêter Noël quelques jours plus tard. Le halo brouillé des phares des véhicules du sens opposé esquissait des silhouettes chagrines, qui s’évanouissaient sitôt à notre hauteur, avalées par la nuit.

Emmitouflée dans des pulls, les écouteurs sur les oreilles, recroquevillée près de la porte de la voiture comme si tu voulais t’en échapper, tu tenais tes yeux fermés. Des larmes, que dénonçait le rétroviseur, parfois s’en échappaient. Quand le chien a posé sa tête sur tes genoux, tu l’as caressé un moment, mécaniquement, et tes pleurs ont redoublé. Je conduisais, le cœur défait de ton cœur trahi. Au petit matin, nous avons longé les champs chauves. La pluie avait redoublé comme nous nous rapprochions de l’océan. La météo d’une grande marée peut-être. À trois cents mètres de la maison, le golden s’est redressé et sa queue a tapé contre la fenêtre de la voiture.

« Toy, stop ! » ai-je crié, pour aussitôt m’inquiéter, alors que nous arrivions : « Mince, le porche est ouvert ! »

Les portes de ce qui fut un domaine n’avaient pas résisté à la violence du vent, elles battaient et cognaient contre le mur d’enceinte. Tu as dit que tu allais les blo- quer. Le chien sauta le premier dès que tu ouvris la portière.

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« Mets ton manteau, essaie de tenir la capuche ! » Tu te couvris sans un mot et sortis. La capuche voleta. J’entrevis dans l’aube ton regard triste, ton visage, couvert de toute cette eau, dont je ne savais quelle part attribuer à ton chagrin et quelle autre, à la colère du temps. J’ai avancé la voiture pour me garer le plus près possible du bâtiment en ruine, aux ailes mutilées, à l’étage rabaissé, presque invisible dans les bourrasques, qui n’exhibait plus que la déchéance de sa façade décré- pie. La pluie à mon tour m’enferma dans sa camisole liquide. Je te devinais au loin, maintenant de toutes tes forces le lourd battant contre le dormant déjà bloqué, te plaquant dessus pour pousser le premier verrou.

Chaque minute devint une guerre. J’appelai le chien.

Il choisit de se rouler dans la boue. L’eau déferla sur la grosse clé que je glissai dans la serrure. Toy obtempéra quand je poussai la porte. Il pénétra dans la maison comme un boulet de canon. Je vis sa truffe à ras de terre, ses empreintes boueuses en zigzag sur les vieilles terres cuites et ses poils mêlés de boue abandonnés un peu partout. Ne pas râler, ne même pas soupirer, ce n’était pas sa faute de chien s’il pleuvait des cordes.

La maison était sombre et humide, tellement humide ; pas vraiment accueillante et si froide ! Le décou- ragement m’aurait saisi, mais ce qu’il restait de ce logis, ses siècles et sa décrépitude, je les avais voulus. La vaste cuisine exhalait une transpiration glacée, une haleine d’hiver. J’ouvris le placard encastré dans l’épaisseur d’un mur à droite de la cheminée, branchai le compteur. La lumière jaillit et révéla la misère de la pièce, tout y était à refaire. Tu me rejoignis au moment où je débarrais les

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contrevents. Tu dis que tu avais réussi à fermer le porche, et tu posas la grosse clé sur la lourde table de chêne.

Tes joues avaient pris un peu de couleurs. J’ai grogné qu’on fera un grand pas en avant quand l’isolation sera partout refaite. Tu t’es avancée vers la cheminée glacée dont les pierres étaient rongées à ce point qu’en plusieurs endroits elles avaient disparu, usées par le feu autant que par le temps. La tempête dehors beuglait une colère qui résonnait entre nos murs épais.

« C’est heureux qu’on soit arrivées », remarquai-je en déboutonnant mon manteau en dépit du froid.

J’ai poussé la tôle qui fermait la gueule de l’âtre et rapproché les chenets rouillés. Un peu d’eau dégoulina sur l’énorme contrecœur en fonte au blason illisible. Tu murmuras qu’il restait dans les écuries une partie du petit bois que tu avais ramassé à l’été. Et le chagrin te reprit comme une quinte de mémoire des jours heureux où tu étais aimée. Il y a tant d’amours possibles quand on a vingt ans, non ? Bien sûr que non, il n’y en avait qu’un, et il est parti.

Je reboutonnai mon manteau. La violence de la pluie me figea à nouveau sur le pas de la porte. Je relevai bien serré le capuchon sur mes cheveux, les yeux rivés sur la furie élémentaire qui enveloppait dorénavant les bâti- ments d’un emballage de silicone et leur infligeait des rôles indéterminés. La tête dans les épaules, je fonçai vers les communs. La pluie m’attaqua le visage et le cou, dépourvu d’écharpe. Je poussai la porte vermoulue qui menaçait de s’effondrer à tout instant, ça aussi, c’était à changer. Les écuries n’en étaient plus, les chevaux avaient disparu depuis longtemps. Une odeur lourde de fenaison

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et de moisi me pénétra pourtant la trachée dès que j’entrai.

Une faible lueur émergea sitôt que je tournai le vieux bouton électrique, loin d’être aux normes, et engloba l’espace sombre. Il y avait bien un entassement de petites branches au pied de cet escalier qu’il ne fallait emprun- ter que pour des raisons impérieuses tant il manquait de marches et tant les survivantes ne tenaient que par hasard. Je toussai. L’eau qui s’engouffrait au travers des fuites béantes du toit, entre les solives rongées, me goutta dans la bouche et le nez quand je levai un regard inquiet vers le plancher, lui aussi disparu en de larges endroits, où autrefois séchait le foin. Il me sembla que les tuiles cassées du toit étaient plus nombreuses qu’à l’été précé- dent. Mon invisible chouette effraie devait être là-haut, tout en haut, à la croisée de la ferme et des chevrons. Si on refait la toiture, ma locataire aux envols fantômes partira.

J’ai vite cassé quelques branches bien sèches et entassé des brindilles. J’ai coincé ma provision contre mon ventre, refermant dessus mon vêtement.

Dans le petit vestibule attenant à la cuisine, tu déchirais sans y jeter un regard une partie des feuilles de journaux entassées dans le coffre en bois, dit « suisse », bien que personne n’ait jamais eu la moindre preuve quant à son origine. Il n’y avait plus de larmes sur ton visage. La tristesse avait reflué.

Je déposai mon fagot sur les chenets. Tu choisis deux belles bûches dans le panier d’osier attenant à la cheminée, que tu déposas sur le petit bois, et tu glis- sas en dessous tes boules de papier chiffonné. Sans un mot, seulement les larmes que tu ne pouvais contenir.

Quelles images passaient dans ta tête ? Quel instant :

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celui de la rupture ou celui de l’éblouissant premier jour de la rencontre ? Je l’ignorai. Je grattai une allumette, puis deux… d’autres encore. Une flamme minuscule au contour un peu bleu sembla enfin hésiter, juvénile et timide, amorça un repli frileux, s’élargit comme un sourire de lune et s’élança, boulimique et féroce. Ton regard morne contempla le feu et sa sauvage indifférence.

« La cheminée tire vraiment bien… au moins ça… » Tu n’as pas répondu. Le feu poussa bruyamment ses flammes plus haut encore, encerclant le bois, et c’était vorace. Face au feu, tu dis que de toute façon ils étaient tous pourris, pourris, pourris. Je tentai de détourner ta conscience de cette colère-là.

« Alors, annonçai-je, chaque jour de cette semaine, je te lirai une ou deux pages du roman que j’ai acheté pour toi. Ça te fera un cadeau de Noël en moins. »

Tu haussas les épaules. Cela ou autre chose. C’est ainsi que, le soir, enfermées dans nos châles, assises toutes les deux dans le gros fauteuil, presque dans la cheminée tant nous avions froid, nous avons partagé La Princesse de Clèves, juste avant un Noël, juste avant que les autres arrivent, quelques années avant que le roman ne redevienne à la mode par la grâce d’un président de la République. Je lisais des mots. Je voyais tes larmes. Je te lus le premier soir une ou deux pages du livre, encore le soir suivant. Tu semblais ne rien entendre. Quand je me taisais, tu montais te coucher et plongeais dans tes Boule et Bill. J’abandonnais alors le livre sur le rebord de la cheminée, éteignais le feu. Le troisième soir, tu me demandas comment se terminait l’histoire. Je te répondis qu’il fallait écouter jusqu’à la fin.

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Le lendemain tu me pressas de questions : quelle époque était-ce et comment vivait-on à la cour d’Hen- ri II ? Le sentiment amoureux était-il si différent ?

Au matin suivant, tu avouas au petit-déjeuner que tu t’étais relevée dans la nuit et que tu étais descendue lire le roman dans son intégralité, d’un seul coup, pas à doses homéopathiques administrées à un cœur brisé. Je m’inquiétai du froid diabolique, la nuit, dans la cuisine sans feu, de l’humidité, des bronchites, grippes et pneu- monies que tu avais risquées, tu crias ton désaccord que l’amour ne pouvait pas s’incliner devant le renoncement, que c’était impossible et qu’heureusement on n’était plus à la cour avec ses mœurs pourries. « Pourri », là aussi.

La pluie et le vent avaient cessé, un soleil d’hiver frappait à la fenêtre côté est. Je souris. Tu ne le savais pas encore, le cœur occupé de ce si long chagrin, mais je compris que tu sécherais ta peine. Et mon cœur s’allégea.

Tu allais passer le premier obstacle de l’âge adulte, celui de la rupture acceptée. Des souvenirs intimes resteront…

peut-être. Tout échappe, et les sentiments sont infidèles.

Ils ont mieux à faire. Je contemplai ta jeunesse, tes vingt ans à peine. Un âge pas si loin de celui de la princesse de Clèves.

Enfant, la rencontre n’est jamais amour.

L’amour est le fruit à cueillir au bout du chemin, seulement au bout, au dernier souffle, le plus laid, le plus court, le plus chargé de sens.

« L’amour n’inonde-t-il pas de sa beauté la beauté de la jeunesse ? » m’aurais-tu demandé si je t’avais révélé ce secret redoutable.

« Non, pas l’amour, le désir.

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— L’amour serait-il un truc de vieux qui ont eu de la patience ? »

Et je t’imaginai avec une lippe pleine de doutes déséquilibrant ton joli visage, horrifiée, t’écriant que l’idée était « dégueulasse, non, franchement ».

Aurais-je dû te dire que l’amour ne suivait pas la trajectoire d’un éclat de rire ? Que si Shakespeare avait expédié Roméo et Juliette dans les ténèbres et l’anéan- tissement des désirs non consommés dès leurs dix-sept ans, c’était que l’amour est un attelage, une construction lourde, matérialité, seconde après seconde dans les jours blêmes des hivers, et lumineux des étés, indicible donc, ennuyeux, et surtout que l’amour justifie la grandeur du féminin, acteur comme le masculin, sur un chemin à construire ensemble.

Les sentiments relèvent de l’apprentissage, comme les tables de multiplication. On tombe, on se relève. On apprend. Garçon ou fille. La jeunesse n’est pas un miracle.

Elle ne renouvelle rien. C’est l’effort, l’obstination, qui est le miracle. Un truc de vieux. Mais je ne te l’ai pas dit.

Je t’ai juste lu La Princesse de Clèves. Je ne t’ai parlé ni de l’amour, ni des hommes, ni de quoi que ce soit. Parce que tout échappe, n’est-ce pas ? Ou était-ce pour une autre raison ? Et puis, il nous fallait préparer Noël et ses lumières, en dépit de tes larmes. Les cadeaux n’étaient pas faits pour rester dans le coffre d’une voiture.

Il restait ce mot que tu avais dit, « pourri ». Je n’au- rais pas eu l’idée de l’employer à ce propos.

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