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Prendre en compte la violence de genre dans un établissement du secondaire

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Prendre en compte la violence de genre dans un établissement du secondaire

COLLET, Isabelle

COLLET, Isabelle. Prendre en compte la violence de genre dans un établissement du

secondaire. In: A. Lechenet, M. Baurens & I. Collet. Former à l'égalité, Défi pour une mixité véritable. Paris : L'Harmattan, 2016.

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:88112

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Prendre en compte la violence de genre dans un établissement du secondaire

Isabelle Collet

Université de Genève, GRIFE-GE

En Suisse romande, la question de l’égalité entre les garçons et les filles dans l’éducation a attendu 1981 pour émerger timidement, avec la Loi fédérale sur l’égalité entre les hommes et les femmes. Puis, en 1993, la Conférence intercantonale de l’instruction publique (CIIP) indique que : « L’égalité des sexes est un thème qui doit obligatoirement figurer dans le programme de formation des enseignants. Les enseignants et les enseignantes doivent être amené-e-s à reconnaître tout ce qui peut être préjudiciable à ce principe et y remédier. » Or, comme dans le cas de la Convention interministérielle française1 de 2000, cette recommandation n’a pas été suivie de mesures concrètes venant du politique ou de l’institution. Actuellement le canton de Genève fait figure de pionnier en Europe francophone (Collet & Grin, 2013) En effet, en 2009, un poste dédié à ces enseignements a été créé au sein de l’Institut universitaire de formation des enseignants (IUFE), rendant obligatoire et évaluée la formation au genre dans l’éducation pour les futur- e-s enseignant-e-s du primaire et du secondaire. C’est ce poste que j’occupe depuis sa création.

Néanmoins, la dotation horaire reste modeste : huit heures obligatoires en première année, dont quatre en atelier et quatre en plénière. En deuxième année, un module de trente heures (parmi un vaste choix d’options) est proposé. La première année doit donc servir en quelque sorte de produit d’appel : il s’agit de montrer aux futur-e-s enseignant-e-s que le genre est une question vive dans l’éducation (Fassa, 2013) et qui les concerne, en tant que représentant-e-s de l’Instruction publique. La plupart d’entre eux et elles sont prêt-e-s à le croire, à condition qu’on leur en fasse la démonstration : plus de deux tiers d’entre eux et elles suivent le cours en option la deuxième année. Dans ce chapitre, nous allons décrire le fonctionnement de l’atelier qui porte sur la violence de genre.

1. Contourner les résistances

Les premières années de mon arrivée à l’IUFE, quand j’abordais la violence de genre à l’école, j’étais souvent confrontée à un ou une étudiant-e expliquant qu’à Genève, ce type de violence n’existait pas, ou alors très marginalement, dans certaines classes de certains établissements difficiles, en particulier à cause des populations migrantes. De manière plus spécifique, des étudiant-e-s soutenaient qu’il n’y avait aucun contrôle collectif qui s’exerçait sur les tenues des adolescentes et que si les jupes étaient absentes

1www.education.gouv.fr/bo/2000/10/orga.htm

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des établissements des cycles d’orientation (correspondant au collège, en France), c’était simplement parce que ce vêtement n’était plus à la mode.

Ces propos étaient parfois tenus avec une force telle qu’il était alors difficile à un-e autre étudiant-e du groupe de s’y opposer.

En une séance, il n’est pas possible de travailler directement sur l’origine de ces résistances comme l’explique Petrovic (2013). Il faut donc contourner le problème, et Baurens & Schreiber (2010) ont déjà proposé des stratégies pour « troubler » les enseignant-e-s en formation. Le cas que je leur soumets met en perspective leur quotidien d’enseignant-e-s stagiaires, car je leur propose d’analyser un fait divers survenu dans un établissement scolaire qui, finalement, pourrait ressembler au leur. Il met en évidence la banalisation du sexisme et de l’hétérosexisme dans les établissements dont les portes ne sont pas étanches aux mécanismes de discrimination qui existent dans la société en général.

2. Analyse d’un fait divers

2.1. Le récit

L’histoire se passe dans le collège d’un village de l’Ain le 8 mars 2012, journée internationale des droits des femmes. Dans ce petit établissement de 400 élèves, une trentaine de jeunes filles, de treize à quinze ans, décident de venir en jupe. Quelques garçons les accueillent avec le slogan : « Journée de la jupe, journée de la pute ! ». Les jeunes filles répliquent et rapidement l’équipe pédagogique se retrouve devant un esclandre dans l’enceinte de l’établissement. Un membre de l’équipe de direction intervient. On peut supposer qu’il/elle tente de calmer les belligérant-e-s, mais sans succès.

Il/elle prend alors la décision de renvoyer les jeunes filles chez elles pour changer de tenue, « en raison d'agressions verbales dont certaines ont été victimes » expliquera le Principal dans Le Figaro du 9 mars 20122.

Les jeunes filles refusent de s’exécuter. La discussion se poursuit encore pendant une heure et elles obtiennent gain de cause. Elles restent en jupe et les élèves retournent tous et toutes en classe.

L’affaire a rapidement une suite. Appuyées par des parents d’élèves et des enseignant-e-s, les jeunes filles organisent aussitôt une pétition en protestation. Se produit alors le cauchemar de tout chef d’établissement : l’affaire sort dans la presse régionale le jour même3, et dans la presse nationale le lendemain.

Je commence la séance en racontant l’événement, puis je propose aux étudiant-e-s de consulter deux coupures de presse s’y rapportant. Je précise

2 www.lefigaro.fr/actualite-france/2012/03/09/01016-20120309ARTFIG00510-des- collegiennes-privees-de-jupes-et-renvoyees-chez-elles.php

3 www.leprogres.fr/actualite/2012/03/08/journee-de-la-femme-pas-de-jupes-pour-les- collegiennes-de-poncin-journee-de-la-femme-pas-de-jupes-pour-les-collegiennes-de-poncin

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qu’il ne s’agit pas de faire une analyse de la manière dont la presse relate un fait divers sur la violence de genre à l’école (ce qui pourrait être l’objet d’une autre séance). Ces articles rendent l’événement plus concret : c’était à quelques kilomètres de Genève et la presse en parle.

Dès la fin du récit, les étudiant-e-s sont surpris-e-s et choqué-e-s par l’événement et la manière dont il a été géré. Certain-e-s n’imaginaient pas que porter une jupe au collège puisse poser problème aujourd’hui. Beaucoup sont surpris en découvrant la décision de la Direction.

Nous allons rebondir sur cette surprise et cette indignation pour essayer de comprendre comment cette histoire se met en place.

2.2. Se mettre à la place des différentes parties

Nous allons supposer avec les étudiant-e-s que chacun des protagonistes a des motivations qu’il/elle juge logiques ou raisonnables au moment où il/elle prend une décision. Mettons-nous alors à la place de chacun-e (les filles en jupe, les garçons qui insultent, l’équipe de Direction) pour comprendre comment la situation a pu en arriver à la décision de renvoyer les filles se changer.

Je demande aux étudiant-e-s de se mettre en groupe de 4 ou 5 et je leur pose les questions suivantes :

• Pourquoi ces filles sont-elles venues en jupe pour le 8 mars ?

• Pourquoi des garçons les ont-ils insultées ?

• Pourquoi l’équipe de direction a-t-elle pris une telle décision ?

• Qu’auriez-vous fait si vous étiez en poste dans l’établissement ? Peu importe quelles aient été les motivations réelles des individus de ce fait divers. Nous ne menons pas une enquête policière et nous ne cherchons pas la vérité. Cette histoire sert de support aux étudiant-e-s pour réfléchir en groupe aux relations entre garçons et filles au collège. Ils/elles vont se souvenir de leur passé de collégien-ne-s, ils/elles vont se replonger dans des situations vécues en stage. Ainsi, ils/elles vont recréer la genèse fictionnelle mais plausible de cette confrontation, pour comprendre que l’affrontement qui a émergé ce 8 mars était la partie émergée de l’iceberg de la violence de genre que l’équipe pédagogique n’a jamais eu envie de voir ou de gérer.

3. Le déroulement de la séance

De manière générale, il est intéressant de laisser les étudiant-e-s parler librement, pour qu’ils/elles puissent mettre à plat les questions qu’ils/elles se posent, même quand ce sont des questions largement inféodées aux représentations du système de genre.

Ils/elles vont ensuite se répondre mutuellement. L’animateur-trice se contente de donner un coup de pouce pour remettre la discussion sur les rails ou ajouter un élément important qui n’a pas été vu.

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3.1. Questions préliminaires

Très vite, des questions surgissent – la première étant très classiquement :

« quelle était la longueur de la jupe ? »

Cette question est très importante, ne serait-ce que parce qu’elle revient toujours. Tout d’abord, quelqu’un (un-e étudiant-e ou moi, s’il le faut) rappelle qu’aucune tenue ne justifie l’insulte. Toutefois, il est tout aussi important que reconnaître que toutes les tenues ne sont pas appropriées pour aller en classe. En effet, la question de la tenue des adolescentes embarrasse régulièrement les équipes pédagogiques. Ces futur-e-s enseignant-e-s en stage sont nombreux-ses à se débattre avec l’interprétation d’un règlement intérieur, plus ou moins détaillé sur la question.

Dans la discussion, deux éléments sont rapidement mis au jour :

Les règles sont inapplicables, car elles génèrent des débats sans fin : que veux dire « trop » court ou « trop » décolleté ? Un homme qui fait une réflexion à une élève au décolleté plongeant sera-t-il accusé de trop regarder dedans ? Pourquoi accepter une fille de 11 ans en mini- short et pas une fille de 16 ans ?

Les règles ont tendance à ne s’appliquer qu’aux filles. Même quand le règlement intérieur stipule qu’on ne doit pas voir les caleçons des garçons, les enseignant-e-s se contentent souvent d’un simple :

« Remonte ton pantalon ».

Je leur propose alors de changer de point de vue : ce qui rend le problème insoluble, c’est le critère de décence. D’une part, cette manière de traiter le sujet donne à penser que seules les filles sont capables d’indécence. D’autre part, la décence est une variable hautement relative, sujette à des discussions infinies avec les élèves, dans laquelle la mauvaise foi est largement convoquée. Pour déjouer le piège qui se noue autour de la définition d’une tenue décente ou non, il ne faut pas se placer sur le terrain de la morale ou des bonnes mœurs, mais plutôt définir ce qu’est une tenue appropriée pour l’école. Quand on se place dans cette optique, la décence n’est plus le seule critère : on n’accepte pas en classe les élèves en pyjama, en short de bain ou en tenue de sport. On n’accepte pas que les cartables soient remplacés par des sacs en plastique ou des sacs à main. Bref, il existe tout un ensemble de tenues ou d’accessoires, parfaitement appropriés à certains contextes (le short de bain à la plage, la mini-jupe pour la boite de nuit) et d’autres inappropriés en contexte scolaire, comme ils seraient inappropriés en contexte professionnel. Les mini-jupes ou T-shirts découvrant le nombril ne sont donc plus refusés parce qu’ils sont indécents, mais parce qu’ils ne constituent pas une tenue appropriée au contexte professionnel, de même que le pantalon baggy des garçons, les tongs de plage ou encore un T-shirt avec une impression de feuille de cannabis, pour prendre un exemple cité par un étudiant.

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La deuxième question récurrente porte sur la fréquentation de l’établissement : y a-t-il beaucoup d’élèves migrants ? Les étudiant-e-s se demandent s’il ne s’agirait pas de la part de certains élèves de l’application de normes religieuses intégristes visant à restreindre la liberté des femmes.

Or, il suffit de relire les articles de presse pour répondre à la question : on est bien loin des cités quand on parle d’un établissement de campagne de 400 élèves. Certain-e-s étudiant-e-s réalisent alors (parfois avec incrédulité) que le sexisme n’est pas cantonné aux banlieues cosmopolites où il serait le fait exclusif d’élèves musulmans. Là, le témoignage d’étudiantes subissant le harcèlement de rue en plein centre de Genève est très utile. Le groupe constate rapidement l’universalité d’une culture juvénile qui enchaîne « filles en jupe » = « filles qui souhaitent séduire » = « putes ». Nous convenons ensemble que les établissements scolaires ne sont pas tous identiques, mais que personne ne peut dire : « cette situation n’arrivera jamais là où j’exerce ».

3.2. Pourquoi des filles sont-elles venues en jupe ?

Étant donné les codes vestimentaires en vigueur dans notre société, il faut reconnaître tout de même que trente filles en jupe sur quatre cents élèves constituent normalement un non-événement (contrairement à trente garçons en jupe !). Leur arrivée aurait dû passer inaperçue, cela n’a pas été le cas, et visiblement, elles s’y attendaient, puisqu’elles ont prémédité une action de groupe.

Les étudiant-e-s émettent une série de suggestions pour expliquer l’action de ces filles. Certain-e-s dépolitisent l’acte. Comme le remarquent avec justesse des étudiant-e-s, les publicités télé ou radio qui précèdent le 8 mars ont tendance à présenter ce jour comme une fête de la féminité et non comme une journée de lutte. Qu’en savent réellement les collégiennes ? Alors, des étudiant-e-s émettent l’idée que la journée « de la femme » pourrait être un prétexte pour se mettre en jupe, ce qu’elles ne font pas d’ordinaire. La jupe reste un symbole du féminin ; en cette journée dite de « LA » femme, elles ont peut-être envie d’affirmer appartenir à cette catégorie d’individus.

Certain-e-s évoquent le film La journée de la jupe de Jean-Paul Lilienfeld, sorti en 2009, que les élèves peuvent connaître : les filles auraient agi par mimétisme.

Certain-e-s étudiant-e-s en revanche émettent très clairement l’idée que ces filles savent parfaitement ce qui leur arrive quand elles mettent une jupe au collège : un garçon, au cours de la journée, risque de les insulter et il le fera dans une indifférence générale valant pour approbation. Or si un seul élève, même ultra minoritaire parmi 400 autres indifférents vous traite de pute, il vous gâche votre journée en jupe. Elles revendiquent ainsi le droit de s’habiller comme elles l’entendent sans être insultées.

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Quoi qu’il en soit, quelque soit le niveau de militantisme que les étudiant-e-s accorderont à ces filles, le fait que l’action ait lieu le 8 mars rend l’acte remarquable : c’est bien une revendication collective, puisqu’elles se sont coordonnées pour la mettre en œuvre à une date spéciale qui lui donne un sens. De plus, les filles savent bien que venir en jupe ne contrevient en rien à l’ordre scolaire et qu’elles sont dans leur droit, d’où le fait qu’elles tiennent bon devant la décision de la Direction.

Nous convenons que les motivations des filles peuvent être variées.

Néanmoins, à la fin de la discussion, nous nous accordons sur les points suivants :

• Porter une jupe pour une jeune femme n’est plus anodin et est devenu parfois aussi subversif que de porter un pantalon il y a un siècle.

• Jupe ou pantalon, le contrôle de la tenue des femmes se fait via des commentaires ou insultes en public, en général de la part des hommes.

• La manière dont les femmes s’habillent semble donner des informations sur leur sexualité.

• Certains individus estiment qu’il est normal d’insulter une femme qui n’a pas une sexualité conforme.

C’est à ce moment que je leur conseille l’ouvrage de Christine Bard (2010) : Ce que soulève la jupe.

3.3. Pourquoi des garçons ont-ils insulté ?

Les étudiant-e-s détaillent assez rapidement les différentes raisons pour lesquels les garçons se sont sentis interpellés par la situation.

Tout d’abord, c’est une action de groupe menée par des filles dont ils sont de fait exclus. Il est possible qu’ils supportent mal de ne pas être au centre de l’attention et n’admettent pas de se faire voler la vedette par un groupe qui d’ordinaire est appelé à rester discret.

En outre, incapables de se décentrer, des garçons imaginent que les filles n’existent que dans le regard des hommes et peinent à croire que des filles puissent porter une jupe pour se faire plaisir à elles-mêmes (certains étudiant-e-s ont d’ailleurs découvert pendant cette séance que des femmes pouvaient porter une jupe et se maquiller sans se demander si elles allaient plaire !).

Là encore, les motivations des garçons sont certainement multiples. Certain- e-s étudiant-e-s expriment par exemple l’idée que des garçons sont mal à l’aise avec la sexualité à cet âge, qu’ils ne savent pas mettre en mot cet inconfort et qu’ils réagissent donc par la violence. D’autres parlent d’une immaturité affective des garçons qui les fait se sentir diminués, par rapport à ces filles, tellement plus mûres. Il est alors possible de discuter avec les étudiant-e-s de la manière dont les garçons se servent du prétexte de

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l’immaturité des garçons pour se dédouaner de leurs comportements répréhensibles (Collet, 2013).

Les étudiant-e-s s’accordent sur le fait que la plupart des garçons insulteurs n’ont pas réfléchi au sens et à l’impact de leur propos. Et le problème est précisément là : comme le dit Marie-Duru-Bellat4, dans le billet de blog qu’elle a rédigé suite à cette histoire : « Tout garçon est […] fondé, comme tout homme, à juger de la tenue d’une fille /d’une femme, à son goût ou provocante, à y réagir ostensiblement. ». Des garçons ont trouvé approprié de qualifier les filles d’objet sexuel méprisable parce que les règles implicites du genre les y autorisent : ce comportement est tellement banal qu’ils ne réfléchissent ni à son sens, ni surtout à sa portée quand ils l’expriment, en particulier sur le ressenti des filles. Beaucoup d’étudiant-e-s se demandent alors ce qui se serait passé si les garçons étaient arrivés en nombre, habillés de manière inattendue… Mais la tentative d’inversion cale rapidement : ils/elles peinent à trouver une tenue aussi banale que la jupe qui susciterait aussi spontanément des insultes d’ordre sexuel.

J’explique alors aux étudiant-e-s ce que j’avais déjà observé dans un autre contexte (Collet, 2013) : insulter les filles permet d’abord aux garçons de s’apprécier entre hommes. Les filles ne servent que de supports à des démonstrations viriles entre garçons. Les agresseurs s’assurent une place de leader dans le groupe en désignant des victimes, puis montent sur scène pour faire rire un public qui leur assure en échange pouvoir et impunité (Collet, 2014). Cette attitude a un double bénéfice, d’une part, elle permet une socialisation entre pairs, et d’autre part, elle « affirme la non-valeur du rapport à ces non-pairs » (Tiers-Vidal, 2010, p. 173) que sont les filles.

3.4. Pourquoi un membre de l’équipe de Direction a-t-il pris une telle décision ?

Autant un groupe de filles en jupe à l’école aurait dû être un non-événement, autant entendre le mot « pute » dans un collège est un non-événement. On peut certes le déplorer mais de fait, il fait partie du tout-venant du langage grossier et sexualisé utilisé fréquemment par les jeunes. Sa banalité ne signifie pas qu’il est sans conséquence mais puisqu’il est très employé, le vrai événement de cette journée n’est donc ni la jupe ni l’insulte, mais le fait que les filles répliquent.

J’insiste bien auprès des étudiant-e-s pour qu’ils/elles se représentent la situation, au moment où cette personne de l’équipe de direction intervient : nous avons deux groupes qui s’insultent violemment. L’inquiétude, dans une telle situation, est que les élèves en viennent aux mains. Certain-e-s étudiant- e-s, tout en déplorant le choix, imaginent que la personne avait épuisé les

4 alternatives-economiques.fr/blogs/duru-bellat/2012/04/11/jupe-ou-pantalon-une-question- futile

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autres recours d’une part, et, d’autre part, craignait que la situation ne se reproduise tout au long de la journée, de plus en plus violemment, à chaque récréation.

Toutefois, les étudiant-e-s s’accordent sur le fait que c’est une solution de facilité à court terme qui a été choisie, mais qu’en renvoyant les filles chez elles, cette personne fait peser la responsabilité de l’événement sur les filles, avec un raisonnement simpliste : « Si elles n’avaient pas mis de jupe, il n’y aurait pas eu d’incident ; supprimer la jupe, c’est supprimer l’incident ».

Certain-e-s ajoutent que si la sanction a été portée sur les filles et non sur les garçons, c’est peut-être parce qu’on imagine que les filles sont plus dociles et qu’il est plus facile de les envoyer se changer que de punir les coupables.

En outre, repérer les filles à l’origine de l’événement est immédiat, alors qu’on peut imaginer qu’aucun garçon ne se dénonce spontanément comme le premier insulteur.

C’est alors que je suggère que la jupe n’était même pas le réel déclencheur mais plutôt le révélateur d’une situation de violence préexistante, que les adultes de l’établissement sont incapables de voir (Mercader et Léchenet, 2014), mais que les filles ont ainsi mis en évidence.

Avec les étudiant-e-s, nous prenons alors un peu de recul : un petit collège de campagne est supposé être bien différent des établissements situés dans les quartiers de relégation des grandes villes. Or, voici qu’une situation sexiste surgit dans un établissement scolaire qui ne correspond pas au cliché.

La Direction devait se croire à l’abri et voici que les démons qu’on espérait exiler en banlieues dites sensibles sont à la porte du collège. Dans la confusion générale, devant un problème dont on s’était appliqué à nier l’existence et qui s’impose de manière violente, la Direction doit agir à chaud… Elle se replie sur une décision dont les implications sont tellement polémiques qu’elle ressemble à un mouvement de panique. Les étudiant-e-s décryptent sans hésitation l’effet produit :

• Une minorité de garçons agressifs a le pouvoir d’édicter des lois sur les tenues des filles. Ils sont donc présentés comme les prédateurs naturels de filles qu’il faut alors protéger.

• En ne punissant pas les garçons, la Direction valide leur comportement comme naturel et donc prévisible. Les filles le savent bien et doivent en tenir compte pour leur propre sécurité et la paix au sein de l’établissement. En creux, le message qui est envoyé aux autres garçons est que pour être un adolescent viril, il faut être violent, résistant à l’ordre scolaire, parler de sexe et agresser les filles. En somme, la Direction se soumet aux lois de la masculinité hégémonique (Connell, 2005) contre lesquelles elle estime qu’il n’y a rien à faire, puisqu’elles sont supposées être inscrites dans la nature des garçons (Mercader et Léchenet, 2014).

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4. Finalement, que faire dans une situation comme celle-ci ?

4.1. Poser un bon diagnostic

Puisque nous avons convenu que l’attitude des garçons n’avait (malheureusement) rien d’exceptionnel dans les relations garçons/filles à l’adolescence, les sanctionner immédiatement sans prendre un vrai temps d’explication leur donnera juste l’impression que si les filles avaient fait moins d’histoire, rien de tout cela ne serait arrivé.

Se contenter d’appeler au calme en renvoyant les belligérant-e-s dos à dos a peu de chance de fonctionner : c’est injuste et les filles savent qu’elles sont dans leur droit.

Il faut donc intervenir en deux temps. Dans l’immédiat, si possible, identifier les agresseurs, les extraire du groupe et rappeler à tous et toutes que les propos insultants sont inadmissibles. Signaler ensuite que la situation est suffisamment grave pour qu’on prenne prochainement un temps collectif pour en parler. Enfin, renvoyer tout le monde en classe pour faire retomber la pression. Même s’il s’avérera difficile de travailler cette matinée-là,

« mettre à la tâche » et « surseoir la gestion des conflits » sont deux règles pédagogiques tout à fait pertinentes pour dépassionner la situation d’une part, et donner à l’équipe pédagogique l’occasion de faire un diagnostic de ce qui se passe dans l’établissement.

Et surtout : ne pas intervenir seul-e. Comme l’a proposé un étudiant : « Il faut rapidement augmenter la densité d’adultes dans ce groupe d’élèves ».

L’exaspération en est à un point tel qu’une personne seule n’arrivera probablement à rien, ce qui la mènera peut-être à prendre des décisions autoritaristes mal avisées.

4.2. S’appuyer sur la majorité silencieuse

Puisque ce sont quelques garçons qui ont insulté, était-il imaginable que d’autres garçons de l’attroupement prennent la défense des filles ? Aucun-e étudiant-e ne croit à ce scénario. En revanche, ils/elles sont d’accord pour dire que ces garçons existent, mais qu’ils n’osent pas parler.

Certains garçons ont ri, parce qu’il est rassurant se sentir inclus dans un groupe dominant, parce que pour s’y assurer une place, il est bon d’avoir des dominées en commun… D’autres ont regardé comme au spectacle : trouver drôle une plaisanterie à caractère sexuel est une preuve de virilité et rire entre hommes permet une homosocialisation rassurante. D’autres, enfin, n’ont rien osé dire, peut-être même soulagés qu’on les laisse tranquilles…

En effet, « pute » et « pédé » sont les insultes les plus communes des établissements. Elles sont les deux modalités d’une même attitude : celle qui consiste à faire régner l’ordre hétérosexiste. Les élèves qui y dérogent sont immédiatement stigmatisés, ce qui permet à l’agresseur de prouver sa propre

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conformité. Les garçons qui auraient osé s’interposer, auraient immédiatement vu leur virilité mise en cause.

Pourtant, il faut garder à l’esprit que les agresseurs qui souhaitent faire régner violemment la loi du genre sont minoritaires et imaginent (peut-être à tort) que cette attitude les rend populaires. Tant que cette attitude n’est pas analysée et traitée pour ce qu’elle est, c’est-à-dire de la domination par la violence verbale, l’adopter ou s’y soumettre peut sembler être la bonne solution pour des garçons et même pour des filles qui veulent vivre en paix au sein de l’établissement.

Une fois la situation comprise, deux pistes de travail s’ouvrent : tout d’abord, donner la parole à celles/ceux que d’ordinaire on n’entend pas afin qu’ils/elles réalisent que leur position n’est pas isolée. Ensuite, faire vivre réellement la mixité dans l’établissement signifie créer (ou recréer) de l’empathie entre les élèves.

5. Faire vivre la mixité

La violence de genre est un des avatars d’une mixité laissée sous la seule responsabilité des élèves (Collet, 2013).

A travers cette séance, je poursuis trois objectifs :

• Montrer aux étudiant-e-s que la violence de genre n’est pas cantonnée aux banlieues des métropoles. La simple lecture des articles sur ce fait divers est convaincante en soi.

• Expliquer que des personnels enseignants expérimentés peuvent paniquer face à une situation qu’ils n’imaginaient pas… d’où l’intérêt de travailler à froid sur des études de cas suffisamment exemplaires pour constituer des boîtes à outils utilisables à chaud.

• Montrer à quel point la violence de genre est fréquente dans les établissements scolaires, mais tout aussi fréquemment niée.

Le documentaire diffusé par Arte le 10 mai 2011 s’intitulant « Sous les pavés la jupe », d’Isabelle Cottenceau5, me permet montrer un exemple d’intervention dans un second temps. La vidéo montre une classe de lycée professionnel du centre de Rouen. Une intervenante propose aux élèves de s’exprimer anonymement sur ce que leur évoque une fille en jupe. Le tableau se remplit rapidement de nombreux termes. Certes, on peut lire « pute » et

« salope », mais ces deux mots sont perdus au milieu de bien d’autres plutôt flatteurs tels que « jolie », « sexy », « une fille qui s’assume », ou incongrus : « une jupe trop longue, c’est moche ». Les filles parlent ensuite de leur vécu : elles disent tout-à-fait clairement que si elles ne portent pas de jupe, ce n’est pas pour une question de mode ou de goût vestimentaire, mais que leurs tentatives se soldent par des insultes.

5 http://www.isabellecottenceau.com/sous-les-paves-la-jupe

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Les garçons ensuite s’expriment. L’un dira qu’une fille en jupe ne se respecte pas elle-même et qu’il n’y a donc pas de raison de la respecter. Un autre fait le pitre devant ses camarades. Ce qu’il pense vraiment a visiblement moins d’importance que les rires qu’il peut susciter par ses propos. Un garçon dira enfin qu’il n’y a aucune raison d’insulter une fille en jupe.

A la fin de cette séance de sensibilisation, il est peu probable que le premier garçon ait changé d’avis. Mais on lui aura clairement signifié que quoiqu’il puisse en penser, les règles de l’école, comme celle de la République, lui interdisent la violence de genre. Le second garçon comprendra peut-être qu’il doit trouver d’autres moyens de faire rire. Enfin, les filles ont pu constater qu’elles n’étaient pas isolées, que l’établissement prenait clairement position et que certains garçons n’étaient pas des agresseurs en puissance.

Bibliographie

Bard, Christine (2010). Ce que soulève la jupe. Identités, transgressions, résistances. Paris : Autrement.

Baurens, Mireille, & Schreiber, Caroline (2010). Comment troubler les jeunes enseignant-e-s sur la question du genre à l’école. Nouvelles questions féministes, 2 (29), 72-87.

Collet, Isabelle (2013). Des garçons “immatures” et des filles “qui aiment ça” ? La violence de genre révélatrice d’une mixité scolaire impensée.

Recherches et Educations (9), 21-41.

Collet, Isabelle (2014). Rire et humour dans la classe : des stratégies genrées de résistance et de domination. Raisons éducatives (18).

Collet, Isabelle, & Grin, Isabelle (2013). L’introduction du genre dans la formation initiale des enseignant-e-s. Formation et pratiques d'enseignement en questions (16), 31-46.

Connell, Raewyn W. (2014). Masculinités – Enjeux sociaux de l'hégémonie.

Paris : Editions Amsterdam.

Fassa, Farinaz (2013). L’éducation à l’égalité entre les sexes dans l’école romande, une question vive ou inerte ? Formation et pratiques d'enseignement en questions (16), 13-29.

Mercader, Patricia & Léchenet, Annie, (2014). Pratiques genrées et violences entre pairs : les enjeux socio-éducatifs de la mixité au quotidien en milieu scolaire, recherche ANR 2009-2013. https://halshs.archives- ouvertes.fr/halshs-00986142/document

Petrovic, Céline (2013). La formation des enseignants-es et le genre : quelles résistances ? Formation et pratiques d'enseignement en questions (16), 47- 61.

thiers-vidal, Léo. (2010). De "L'ennemi Principal" aux principaux ennemis.

Position vécue, subjectivité et conscience masculine de domination. Paris:

L'Harmattan.

Références

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