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L OFFICE DES PARTIES DANS LE PROCÈS ADMINISTRATIF

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Academic year: 2022

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Texte intégral

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ARIANE MEYNAUD-

ZEROUAL

TOME 316

L’OFFICE DES P AR TIES DANS LE PROCÈS ADMINISTRA TIF

Depuis le milieu du xxe siècle, le procès administratif n’est plus unique- ment pensé comme un procès fait à un acte. Unanimement dressé, ce constat n’est toutefois pas suivi d’effet. Le procès administratif reste envisagé comme une procédure placée sous l’égide du juge en raison d’une inégalité structu- relle entre les parties. Dès lors, un déficit de conceptualisation du rôle des parties persiste. Or l’identification de leur office permet une double émanci- pation. Émancipation de l’office des parties par rapport à l’office du juge, tout d’abord, dans la mesure où cette thèse met en lumière des facultés et charges négligées lorsque le procès administratif est examiné sous l’angle exclusif du juge. De plus, ces facultés et charges pourraient être perfectionnées en vue de mieux répondre aux finalités de leur office – i.e. la détermination intéres- sée du litige et la participation loyale à l’instance. Émancipation du droit du procès administratif par rapport au droit administratif, ensuite, puisque la thèse a permis de forger la conviction qu’il n’existe qu’une façon de faire un procès, indépendamment de l’objet du litige et de la personnalité des parties.

Le procès administratif est un procès avant d’être administratif. Sous-tendue par une analyse de droit comparé interne et inspirée par l’affirmation de standards processuels communs, l’identification de l’office des parties encou- rage, en somme, à inscrire la recherche et l’enseignement du droit du procès administratif dans une perspective résolument processualiste.

ISBN 978-2-275-07312-5 Fondée par

Marcel Waline Professeur honoraire à l’Université de droit, d’économie et des sciences sociales de Paris, Membre de l’Institut

Dirigée par Yves Gaudemet Professeur à l’Université

Paris II Panthéon-Assas, Membre de l’Institut

BIBLIOTHÈQUE DE DROIT

PUBLIC TOME 316

Fondée par Marcel Waline Professeur honoraire à l’Université de droit, d’économie et des sciences sociales de Paris, Membre de l’Institut

Dirigée par Yves Gaudemet Professeur à l’Université

Paris II Panthéon-Assas, Membre de l’Institut

BIBLIOTHÈQUE DE DROIT

PUBLIC TOME 316

L’OFFICE DES PARTIES

DANS LE PROCÈS ADMINISTRATIF

CONTRIBUTION À L’ÉMANCIPATION DU DROIT DU PROCÈS ADMINISTRATIF

Ariane Meynaud-Zeroual

Préface de Bertrand Seiller

Prix de thèse de l’Université Paris II Panthéon-Assas

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L’OFFICE DES PARTIES 

DANS LE PROCÈS ADMINISTRATIF

CONTRIBUTION À L’ÉMANCIPATION DU DROIT DU PROCÈS ADMINISTRATIF

Ariane Meynaud-Zeroual

Maître de conférences à l’Université Paris II Panthéon-Assas

Préface de Bertrand Seiller

Professeur à l’Université Paris II Panthéon-Assas

Prix de thèse de l’Université Paris II Panthéon-Assas

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BIBLIOTHÈQUE DE DROIT

PUBLIC TOME 316

Fondée par Marcel Waline † Professeur honoraire à l’Université de droit, d’économie et des sciences sociales de Paris, Membre de l’Institut

Dirigée par Yves Gaudemet Professeur à l’Université Paris II Panthéon-Assas, Membre de l’Institut

L’OFFICE DES PARTIES 

DANS LE PROCÈS ADMINISTRATIF

CONTRIBUTION À L’ÉMANCIPATION DU DROIT DU PROCÈS ADMINISTRATIF

Ariane Meynaud-Zeroual

Maître de conférences à l’Université Paris II Panthéon-Assas

Préface de Bertrand Seiller

Professeur à l’Université Paris II Panthéon-Assas

Prix de thèse de l’Université Paris II Panthéon-Assas

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© 2020, LGDJ, Lextenso 1, Parvis de La Défense 92 044 Paris La Défense Cedex www. lgdj-editions.fr

ISBN : 978-2-275-07312-5 ISSN : 0520-0288

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AVANT-PROPOS

La présente thèse est une version remaniée de celle soutenue le 11 décembre 2017 à l’Université Panthéon-Assas (Paris II), afin de tenir compte des remarques formulées par le jury ; cette version est actualisée au 1er septembre 2019.

Dans la langue de ma mère, le directeur de thèse est officieusement appelé

« Doktorvater », ce qui signifie littéralement « père de thèse ». Parce qu’il m’a accompagnée avec une bienveillance et une vigilance sans égales, mais surtout avec une sollicitude qui dépasse largement le cadre de ces travaux, qu’il me soit permis d’exprimer ma profonde reconnaissance à mon père de thèse, Monsieur le Professeur Bertrand Seiller.

Je suis honorée que Mesdames les Professeurs Camille Broyelle et Cécile Chainais, Messieurs les Professeurs Gweltaz Éveillard et Fabrice Melleray, ainsi que le Président Patrick Frydman aient accepté d’être les membres de ce jury de thèse. Je ne saurais trop les remercier d’avoir bien voulu apprécier et éclairer mon travail.

Je tiens également à remercier ceux qui ont fait naître l’idée même d’entre- prendre une thèse de doctorat. Parce qu’ils ont été des modèles avant de devenir des amis, cette thèse doit beaucoup à Hélène Hoepffner et Benjamin Defoort. Parce qu’il a été à sa manière un guide et un « grand-père de thèse », je dédie ce travail au Professeur Jean-Jacques Bienvenu in memoriam.

Mes recherches n’ont cessé d’être nourries par la vision du procès adminis- tratif pratiquée au 27, quai Anatole France. Que Maître Jean Capiaux, Maître Caroline Bernard-Chatelot, Julie Panou, Maître David Gaschignard et Maître Claire Loiseau en soient chaleureusement remerciés.

Grâce à ce travail doctoral, j’ai rencontré des personnes formidables. Parce qu’ils sont devenus mes compagnons de route, qu’ils ont partagé mes épiphanies avec humour et que j’ai pu compter sur eux du début à la fin de cette thèse – et bien au-delà –, je souhaite remercier mes amis, Lucile Hennequin-Marc et Jean- Charles Rotoullié. Ma gratitude s’adresse aussi à Pierre-Adrien Blanchet, Sara Brimo, Mathieu Garnesson, Anissa Hachemi, Sébastien Hourson, Olga Mamoudy, Benoît Montay, Florian Poulet et Pierre-Olivier Rigaudeau pour avoir accompagné ce travail avec amitié.

Il n’est de mots assez justes pour dire combien ce travail doit au soutien indé- fectible de mon entourage. Je n’aurais pu l’accomplir sans l’appui de mes meil- leurs amis – Diane, Laurie, Alexandre, Philippe, Anaïs et Adèle. Je n’aurais même pas songé à l’accomplir sans le soutien inconditionnel de mes parents ; l’idéalisme de l’un et le réalisme de l’autre sont les deux jambes avec lesquelles j’avance chaque jour. En dépit des épreuves que notre famille a traversées ces dernières années, j’ai

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L’OFFICE DES PARTIES DANS LE PROCÈS ADMINISTRATIF

VI

toujours su que je pouvais y puiser la force nécessaire. De Paris à Brilon en pas- sant par Malaucène, Athènes, Casablanca et Marrakech, je ne remercierai jamais assez la grande et merveilleuse famille Meynaud-Witteler-Zographos-Zeroual.

Parce qu’il ne cesse de m’encourager, que la vie à ses côtés est une source d’inspiration et d’infini bonheur, cette thèse doit tant à Amine, mon mari, qu’elle lui est dédiée.

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PRÉFACE

Et si le contentieux administratif, à rebours de la présentation classique, héri- tée d’Aucoc et de Laferrière, n’était pas un procès fait à un acte mais un procès entre parties, à l’image de celui dont est saisi le juge civil ? Telle est l’intuition iconoclaste qui inspire la démonstration que propose Mme Meynaud-Zeroual.

L’enjeu n’est pas mince car la lecture novatrice du procès administratif qu’elle livre permet de l’envisager d’une manière autonome par rapport au droit administratif. L’émancipation évoquée par le sous-titre de son ouvrage est ainsi celle de ce droit des relations processuelles entre l’administré et l’administration par rapport au droit des relations substantielles entre ces mêmes personnes. Selon l’auteur, le lien juridique d’instance, qui unit les parties au procès, peut se conce- voir et s’étudier indépendamment du conflit qui les oppose sur une question de fond et qui en suscite la naissance. Le procès peut alors être étudié au travers, non pas de ce qu’il vise – un acte de l’administration – mais de ce qu’il oppose – des parties faisant valoir des prétentions contraires.

Mme Meynaud-Zeroual invite donc à prendre enfin en considération le jus- ticiable, qu’il soit requérant ou défendeur, et à ne plus ravaler le premier au rang de modeste jeton introduit dans l’appareil judiciaire pour déclencher un processus juridictionnel lui échappant, selon l’image peu flatteuse qu’en donnait un membre du Conseil d’État dans des propos rapportés par Rivero.

Les temps ont changé et les évolutions profondes qu’a connues le conten- tieux administratif au cours du dernier quart de siècle justifiaient de revaloriser le rôle des parties devant le juge administratif. S’il est désormais habituel de souligner que ce dernier s’intéresse plus (enfin ?) à la situation litigieuse et que le droit et le contentieux administratifs se subjectivisent, il était pertinent de le vérifier en analysant ce qui se joue devant le juge administratif. À l’image du procès civil, le contentieux administratif apparaît ainsi bel et bien comme un procès, opposant des parties mettant chacune en œuvre son droit à l’action en justice. L’un des intérêts de la thèse de Mme Meynaud-Zeroual est ainsi de fournir d’emblée une définition de la notion de partie jusqu’à présent fort ambiguë : elle nous propose de réserver cette qualité à toute personne physique ou morale qui participe au lien juridique d’instance, en raison d’un litige né de prétentions propres et contraires sur un droit. Lorsqu’ils répondent à cette définition, l’admi- nistré et l’administration s’effacent pour céder la place à un demandeur et à un défendeur. Quant au juge administratif, sans être absent, il n’occupe pas néces- sairement le premier rôle sur la scène juridictionnelle.

S’appuyant sur une définition de l’action en justice directement inspirée des travaux de la doctrine processualiste, puisqu’elle consiste en la faculté de soumettre au juge le bien-fondé d’une prétention, Mme Meynaud-Zeroual révèle qu’il existe

Préface

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L’OFFICE DES PARTIES DANS LE PROCÈS ADMINISTRATIF

VIII

un office des parties, composé de facultés et de charges organisées en fonction des deux finalités poursuivies par elles : chacune doit participer à la détermination de la matière litigieuse et contribuer de manière loyale à l’instance. Ainsi conçu, l’office des parties s’apprécie indépendamment de celui du juge, contrairement à la présentation traditionnelle du contentieux administratif, centrée sur ce dernier, ce qui s’explique historiquement par son élaboration par le juge administratif lui- même et sociologiquement par l’empreinte forte laissée sur sa théorisation par les écrits de membres du Conseil d’État (notamment Laferrière et Odent).

La démonstration, aussi exhaustive que rigoureuse, menée par Mme  Meynaud-Zeroual nous convainc que le débat devant les juridictions administratives s’avère être un procès avant d’être administratif. Il présente, en effet, une moindre spécificité au regard du procès civil qu’il n’est prétendu puisqu’il répond à l’essentiel des règles propres à cette forme particulière de résolution des conflits.

En cela, la thèse ici publiée apporte une précieuse contribution à la construc- tion contemporaine d’un droit commun du procès. En adoptant les concepts et les mécanismes du droit processuel, dont elle démontre au préalable la possible transposition pour rendre compte du procès administratif, l’auteur parvient à établir qu’en dépit de solutions souvent apparemment opposées, les linéaments d’une convergence sont décelables avec la procédure civile. Pour ce faire, Mme  Meynaud-Zeroual s’appuie sur les enseignements des processualistes, clas- siques et contemporains, et une parfaite connaissance des principes et solutions de la procédure civile. Elle ne présente pas pour autant une thèse de droit comparé

« interne », dans la mesure où l’analyse de la procédure civile n’est jamais livrée que pour mettre en lumière les principes qui régissent l’action en justice et mon- trer qu’ils sous-tendent tel mécanisme propre au procès administratif ou y connaissent une mise en œuvre nuancée pour tenir compte des irréductibles spé- cificités de celui-ci.

Cette méthode conduit aussi parfois Mme Meynaud-Zeroual à constater des divergences et à contester, mais alors de façon aussi mesurée qu’argumentée, les solutions prévalant devant le juge administratif, qu’elles résultent des textes ou de la jurisprudence. Sa critique de la mise en œuvre du principe de la contradiction, qui voit le juge administratif se dispenser de communiquer à l’adversaire une pièce qui lui semble dépourvue d’élément nouveau, est à cet égard exemplaire. Elle montre que la jurisprudence administrative se distingue des positions du juge civil et de la Cour européenne des droits de l’homme, lesquels considèrent que le prin- cipe doit assurer la protection des parties par une connaissance égale des éléments du dossier et leur permettre d’apprécier elles-mêmes l’utilité d’y répondre ou non.

Il est fort significatif que le juge administratif apprécie, pour sa part, la pertinence de cette communication en fonction de ce qu’il croit utile pour établir sa propre conviction. Il communique la pièce si elle contient un élément sur lequel il est sus- ceptible de fonder sa décision. Cette conception, illustrant un contentieux admi- nistratif organisé en fonction de l’office du juge et non un procès administratif reflet de l’office des parties, est justement dénoncée par Mme Meynaud-Zeroual.

Elle ne cède pour autant ni à la critique systématique ni aux sirènes des principes actuellement en vogue en droit processuel. Bien que la seconde partie de la thèse soit ainsi consacrée à l’obligation des parties de participer loyalement à l’instance et notamment à proposer une refondation du procès administratif

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PRÉFACE IX par la loyauté, Mme Meynaud-Zeroual reconnaît la sagesse du juge administratif qui ne recourt qu’avec la plus extrême parcimonie au mot, tant sa signification et ses incidences sont incertaines voire contradictoires, mais ne s’interdit pas, lorsque cela lui semble indispensable, d’en faire respecter telle ou telle consé- quence technique. Elle montre ainsi qu’en dépit de sa réticence à consacrer for- mellement les principes de loyauté et d’égalité des armes, le juge administratif les prend désormais implicitement en compte comme source d’inspiration pour la création de règles processuelles et comme principe d’interprétation pour la mise en œuvre de celles-ci.

Le renversement de la perspective auquel nous invite Mme Meynaud-Zeroual s’avère aussi stimulant que fructueux. Contribuant globalement à l’émergence d’un droit commun du procès dont elle prouve qu’il se manifeste aussi devant le juge administratif, sa thèse permet également de mieux comprendre certaines solutions dont l’approche centrée sur l’office du juge ne parvient pas à rendre compte. Tel est le cas notamment des règles de recevabilité des recours dont certaines tendent à établir l’existence de l’action en justice quand d’autres appa- raissent comme les conditions d’exercice de cette action. Cette heureuse distinction, antérieurement adoptée par Camille Broyelle dans son ouvrage de contentieux administratif, est ici systématisée et approfondie. Elle présente le remarquable intérêt de justifier les possibilités variables de régularisation des causes d’irrecevabilité. Sur ce point comme sur bien d’autres, l’approche du pro- cès administratif par l’office des parties et l’action en justice de celles-ci offre d’évidentes vertus explicatrices.

Il n’en reste pas moins qu’elle peut ne pas emporter pleinement la conviction.

D’abord, le lecteur peut parfois éprouver le sentiment que les efforts pour atténuer la singularité du procès administratif et tenter de l’intégrer dans le champ des mécanismes fondamentaux du procès sont tels qu’ils affaiblissent la vigueur de la démonstration. Qu’elle soit légitime ou non, une certaine spécificité ne saurait être refusée à la procédure devant les juridictions administratives. Elle tient à l’objet même des litiges dont elles sont saisies, qui les distingue autant du procès civil que ce dernier diffère lui-même, à bien des égards, du procès pénal.

Il est pertinent de mettre en lumière le fonds commun qui inspire l’organisation des procès civil et administratif et la nécessité de ne pas concevoir ce dernier qu’au travers de l’office de son juge mais à la condition de ne pas substituer à la grille de lecture traditionnelle une autre tout aussi déformante. Or Mme Meynaud- Zeroual, animée d’une légitime volonté de convaincre, a peut-être parfois pensé apercevoir dans le droit positif des éléments plus favorables à sa démonstration qu’ils ne le sont en réalité. Le prisme exclusif de l’office des parties ne donne pas nécessairement une image plus satisfaisante de la procédure administrative contentieuse que le prisme exclusif de l’office du juge. L’observateur réaliste doit préférer l’équerre optique à double prisme des topographes…

Ensuite, mais cette réserve vaut à l’égard de toute étude de pur droit proces- suel et ne remet pas en cause la cohérence de la démonstration de Mme Meynaud- Zeroual, il convient de ne pas perdre de vue que le procès n’est pas une fin en soi et qu’il n’est que le moyen de porter devant un juge des prétentions contraires.

S’il est de l’intérêt même des parties que soient organisés l’accès au juge puis le débat judiciaire, la finalité de la procédure est évidemment la décision que rendra

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L’OFFICE DES PARTIES DANS LE PROCÈS ADMINISTRATIF

X

le juge sur le fond (en principe) du litige qui lui est soumis. Et, comme nous l’ont appris Aucoc et Laferrière, devant le juge administratif, le litige porte le plus souvent sur la légalité d’un acte de l’administration. La spécificité de cet objet ne saurait totalement s’effacer derrière les caractères et les modalités de l’action en justice reconnue aux parties au procès administratif. En d’autres termes, un droit processuel étudié indépendamment de la prétention que l’action en justice soumet au juge risque de mener à des conclusions excessivement théoriques. Un litige est au cœur du procès administratif et c’est pour cela que les parties doivent contri- buer à la détermination intéressée de la matière litigieuse et qu’il faut aussi se réjouir de la volonté contemporaine du juge administratif de se saisir autant que possible de la situation litigieuse. La consistance du litige ne peut rester dépour- vue d’incidence sur les règles processuelles et sur leur analyse.

Enfin, et dans le prolongement de cette dernière considération, il est loisible de nuancer la nature de l’émancipation évoquée dans le sous-titre de la thèse : le droit administratif substantiel n’a-t-il pas autant besoin de s’émanciper du droit administratif processuel que celui-ci de celui-là ? La conception majoritairement contentieuse des notions et des mécanismes du droit administratif substantiel n’est-elle pas souvent dénoncée à juste titre ? Liée à l’origine essentiellement juris- prudentielle du droit administratif, elle produit en effet des solutions parfois peu satisfaisantes. La notion d’agent public s’est par exemple construite, pour ceux recrutés par contrat, sur la base d’une question qui lui semble étrangère : celle du juge compétent pour connaître des litiges liés à la situation de l’agent.  La notion d’acte de gouvernement n’a jamais pu être définie conceptuellement mais leur liste seulement établie en fonction des litiges pour lesquels une immunité juridictionnelle a été reconnue ou refusée à un acte. Dans les ouvrages de droit administratif général, les règles de procédure régissant l’élaboration des actes administratifs unilatéraux sont encore souvent présentées à l’occasion de l’étude des vices de légalité et donc du contrôle opéré par le juge administratif. Bien d’autres exemples pourraient être donnés de cette difficulté à envisager les notions du droit administratif autrement que par le truchement des mécanismes conten- tieux qui imposent de les identifier et par contrecoup les façonnent. S’il est donc pertinent de plaider, comme le fait Mme Meynaud-Zeroual, pour une émancipa- tion du droit administratif processuel du droit administratif substantiel, il le serait autant d’appeler de ses vœux l’émancipation de ce dernier. L’une n’est pas exclusive de l’autre et les deux s’avèrent également souhaitables.

On le voit, les quelques réserves qu’appelle la thèse que nous avons le privilège de préfacer, sont moins des critiques que le rappel des limites propres à toute étude de pur droit processuel. Formulées à l’orée d’une lecture remarquablement stimu- lante, elles ne sauraient en contester ni l’intérêt ni l’utilité. Autant de qualités qui conduiront les bons esprits à y voir la promesse d’une belle carrière universitaire.

Bertand Seiller Professeur à l’Université Paris II Panthéon-Assas

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PRINCIPALES ABRÉVIATIONS

AFDA Association française pour la recherche en droit administratif

aff. affaire

AJDA Actualité juridique droit administratif AJDI Actualité juridique droit immobilier AJFP Actualité juridique fonctions publiques al. alinéa

AN Assemblée nationale

art.  article

Ass. Assemblée du contentieux

Ass. plén. Assemblée plénière de la Cour de cassation BDCF Bulletin des conclusions fiscales

BJCP Bulletin juridique des contrats publics

BJDU Bulletin de jurisprudence de droit de l’urbanisme Bull. Bulletin des arrêts de la Cour de cassation

Bull. civ. Bulletin des arrêts des chambres civiles de la Cour de cassation

Bull. crim. Bulletin des arrêts de la chambre criminelle de la Cour de cassation

CA Cour d’appel

CAA Cour administrative d’appel

Cass. Cour de cassation

CE Conseil d’État

CEDH Cour européenne des droits de l’Homme

CESEDA Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile

Cf. Voir

CGCT Code général des collectivités territoriales chron. chronique

civ. Chambre civile de la Cour de cassation

CJA Code de justice administrative

CJCE Cour de justice des communautés européennes CJUE Cour de justice de l’Union européenne

CMP Contrats et Marchés publics

coll. collection

com. Chambre commerciale de la Cour de cassation concl. conclusions

Cons. const. Conseil constitutionnel

CPC Code de procédure civile

CPP Code de procédure pénale

Principales abréviations

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L’OFFICE DES PARTIES DANS LE PROCÈS ADMINISTRATIF

XII

crim. Chambre criminelle de la Cour de cassation

D. Recueil Dalloz

Dr. adm. Droit administratif

DF Droit fiscal

dir. sous la direction de

éd. édition, édité par

EDCE Études et documents du Conseil d’État fasc. fascicule

GACA Grands arrêts du contentieux administratif GAJA Grands arrêts de la jurisprudence administrative

GP Gazette du Palais

Ibid. Ibidem. même ouvrage ou même article à la même

page

Id. Idem. même ouvrage ou même article

infra ci-après

JCl. Administratif JurisClasseur Administratif

JCl. Justice administrative JurisClasseur Justice administrative JCl. Procédure civile JurisClasseur Procédure civile

JCP A JurisClasseur Périodique / La semaine juridique – Édition Administrations et Collectivités territoriales JCP E JurisClasseur Périodique / La semaine juridique –

Édition Entreprise

JCP G JurisClasseur Périodique / La semaine juridique – Édition générale

JDA Journal du droit administratif

JORF Journal officiel de la République française JOUE Journal officiel de l’Union européenne LGDJ Librairie générale de droit et de jurisprudence

LPA Les Petites Affiches

LPF Livre des procédures fiscales

n°  numéro

op. cit. œuvre précitée

ord. ordonnance p. page préc. précité

PUAM Presses universitaires d’Aix-Marseille

PUF Presses universitaires de France

PUG Presses universitaires de Grenoble

PULIM Presses universitaires de Limoges PUPS Presses de l’université Paris-Sorbonne

PUR Presses universitaires de Rennes

PUS Presses universitaires de Strasbourg

PUT Presses universitaires de Toulouse

QPC Question prioritaire de constitutionalité

RA Revue administrative

RDA Revue de droit d’Assas

RDI Revue de droit immobilier

RDP Revue du droit public et de la science politique en France et à l’étranger

(13)

PRINCIPALES ABRÉVIATIONS XIII

RDT Revue de droit du travail

Rec. Recueil des décisions du Conseil d’État statuant au contentieux, dit Recueil Lebon

Rec. Cons. const. Recueil des décisions du Conseil constitutionnel

Rec. T.  Tables du Recueil Lebon

rééd. réédition, réédité par

RFAP Revue française d’administration publique RFDA Revue française de droit administratif RFDC Revue française de droit constitutionnel

RHFD Revue d’histoire des facultés de droit et de la science juridique / depuis 2008 : Revue d’histoire des facultés de droit et de la culture juridique, du monde

des juristes et du livre juridique

RJEP Revue juridique de l’économie publique

RJF Revue de jurisprudence fiscale

RPDA Revue pratique de droit administratif RTDCiv. Revue trimestrielle de droit civil RTDCom. Revue trimestrielle de droit commercial RTDH Revue trimestrielle des droits de l’Homme RRJ Revue de recherche juridique. Droit prospectif S. Sirey

Sect. Section du contentieux

soc. Chambre sociale de la Cour de cassation

supra ci-dessus

TA Tribunal administratif

TC Tribunal des conflits

trad. traduction V. voir

(14)
(15)

SOMMAIRE

I

NTRODUCTION GÉNÉRALE

P

ARTIE I

L

A DÉTERMINATION INTÉRESSÉE DU LITIGE

Titre I : Le déclenchement du procès par l’action

Chapitre I. L’action en justice, une faculté de soumettre le bien-fondé d’une prétention

Chapitre II. L’action en justice, une charge de démontrer la recevabilité d’une prétention

Titre II : La délimitation du procès par les prétentions

Chapitre I. La définition de la matière litigieuse, une charge conjointe Chapitre II. La définition de la matière litigieuse, un fardeau commun ?

P

ARTIE II

L

A PARTICIPATION LOYALE À L’INSTANCE

Titre I : L’organisation du procès par la contradiction

Chapitre I. Le temps de la contradiction, gage de la coopération avec le juge

Chapitre II. L’objet de la contradiction, support de la coopération avec le juge

Titre II : La refondation du procès par la loyauté

Chapitre I. L’égalité des armes, source de la loyauté des débats Chapitre II. Le choix des armes, limite à la loyauté des débats

C

ONCLUSION GÉNÉRALE

(16)
(17)

À mes parents, Michel et Mechthild ; Pour mon mari, Amine.

(18)
(19)

INTRODUCTION GÉNÉRALE

« Un homme sortit alors du camp des Philistins et s’avança entre les deux armées. Il se nommait Goliath, il était de Gath, et il avait une taille de six coudées et un empan. Sur sa tête était un casque d’airain, et il portait une cuirasse à écailles du poids de cinq mille sicles d’airain. […]

Le Philistin s’arrêta ; et, s’adressant aux troupes d’Israël rangées en bataille, il leur cria : “Pourquoi sortez-vous pour vous ranger en bataille ? Ne suis-je pas le Philistin, et n’êtes-vous pas des esclaves de Saül ? Choisissez un homme qui descende contre moi ! S’il peut me battre et qu’il me tue, nous vous serons assujettis ; mais si je l’emporte sur lui et que je le tue, vous nous serez assujettis et vous nous ser- virez.” […] David dit à Saül : “Que personne ne se décou- rage à cause de ce Philistin ! Ton serviteur ira se battre avec lui.” Saül dit à David : “Tu ne peux pas aller te battre avec ce Philistin, car tu es un enfant, et il est un homme de guerre depuis sa jeunesse.” David dit à Saül : “Ton serviteur fai- sait paître les brebis de son père. Et quand un lion ou un ours venait en enlever une du troupeau, je courais après lui, je le frappais, et j’arrachais la brebis de sa gueule. S’il se dressait contre moi, je le saisissais par la gorge, je le frap- pais, et je le tuais. C’est ainsi que ton serviteur a terrassé le lion et l’ours, et il en sera du Philistin, de cet incircon- cis, comme de l’un d’eux, car il a insulté l’armée du Dieu vivant.” David dit encore : “L’Éternel, qui m’a délivré de la griffe du lion et de la patte de l’ours, me délivrera aussi de la main de ce Philistin.” Et Saül dit à David : “Va, et que l’Éternel soit avec toi !” »1

« L’annonce d’un procès opposant un administré à la puissance publique fait un peu penser au combat que David devait livrer à Goliath. L’inégalité d’un tel combat explique bien des aspects de la procédure administrative contentieuse. »2

1. À l’avènement du royaume d’Israël, une guerre opposa les Philistins au roi Saül et aux hommes d’Israël pour contrôler la vallée des Térébinthes. Originaires de la plaine côtière, les Philistins se frayèrent un chemin à travers les basses montagnes

1. Ancien Testament, Livre premier de Samuel, chapitre XVII.

2. J.-P. Colson, L’office du juge et la preuve dans le contentieux administratif, Paris, LGDJ, coll. « Bibliothèque de droit public », 1970, p. 99.

INTRODUCTION GÉNÉRALE

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L’OFFICE DES PARTIES DANS LE PROCÈS ADMINISTRATIF

2

de la Shéphélah en vue de conquérir les monts de Judée ; décidé à repousser l’en- nemi, le roi Saül fit descendre les hommes d’Israël de leurs montagnes. Seule la vallée des Térébinthes séparait les troupes rivales. Mais la guerre s’enlisa pendant plusieurs semaines, chaque camp refusant d’envoyer ses hommes à découvert dans la vallée. Face à cette situation sans issue, les Philistins dépêchèrent leur guerrier le plus illustre pour qu’il provoque un combat singulier destiné à fixer l’issue du conflit. Effrayés à la vue de ce géant lourdement armé, aucun homme d’Israël ne sortit des lignes pendant quarante jours. Au matin du quarante-et-unième, un jeune berger – venu au campement pour apporter du blé grillé, du pain et du fromage à ses frères aînés – entendit l’adresse lancée par Goliath aux hommes d’Israël. Indi- gné par les provocations du champion philistin, David obtint la bénédiction du roi Saül pour l’affronter. Alors que Goliath s’approcha du jeune adolescent en mépri- sant sa faiblesse, David mit la main dans sa sacoche de berger pour y prendre une pierre qu’il lança avec sa fronde. La pierre frappa Goliath entre les yeux et le fit tomber face contre terre. David s’élança vers le géant, pris son épée et l’acheva en lui tranchant la tête, provoquant ainsi la fuite des Philistins et la liesse des hommes d’Israël qui poursuivirent leurs ennemis jusqu’à l’entrée de la vallée. Tel est le com- bat singulier que l’Ancien Testament relate au chapitre XVII du premier livre de Samuel et qui devint le symbole des victoires improbables d’un faible face à un fort. 

Couramment employée par les travaux de la doctrine publiciste, cette méta- phore traduirait le rapport de force au cœur de la procédure suivie devant les juridictions administratives. Cette procédure serait, « comme le fond du droit public, dominée par le caractère inégalitaire des rapports qui s’établissent entre les autorités exécutives et chaque administré »3. Dans cette perspective, seule la faculté de saisir le juge administratif pour « obtenir, tant bien que mal, le respect du droit » permettrait à un administré de compenser sa « faiblesse relative »4 face à une Administration forte de ses prérogatives de puissance publique. Dans le cadre d’un « litige entre un faible et un fort, et un faible plus affaibli encore par sa position de demandeur »5, les prétentions émises n’auraient de chances de succès qu’à la condition que le juge intervienne au cours de l’instance pour équilibrer les rap- ports entre l’administré-demandeur et l’Administration-défenderesse. En effet,

« l’inégalité des parties en présence reste fondamentale avant, pendant et après l’ins- tance ; à la puissance des pouvoirs publics s’oppose la faiblesse des particuliers »6. Les conséquences d’une telle représentation sont remarquables. Le discours doc- trinal relatif au procès administratif est structuré par l’idée que la spécificité des parties en présence justifierait de déroger au droit commun. L’exorbitance du droit dont le juge administratif a à connaître expliquerait que le contentieux affé- rent soit pensé par le prisme de l’office du juge et du caractère inquisitorial de la procédure suivie. Or cette lecture paraît, sinon surannée, du moins inapte à rendre pleinement compte des règles régissant le déroulement d’un procès devant le juge administratif. Une recherche consacrée à l’office des parties dans le procès admi- nistratif tend à s’interroger non seulement sur la possibilité, mais également sur la

3. R. Odent, Le destin des fins de non-recevoir, in Mélanges offerts à Marcel Waline, Paris, LGDJ, tome I, 1974, p. 653.

4. Ibid.

5. C. Broyelle et M. Guyomar, Le droit européen et le procès administratif, in Mélanges François Julien-Laferrière, Bruxelles, Bruylant, 2011, p. 60.

6. A. Mestre, Le Conseil d’État protecteur des prérogatives de l’Administration, Études sur le recours pour excès de pouvoir, Paris, LGDJ, coll. « Bibliothèque de droit public », 1974, p. 81.

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INTRODUCTION GÉNÉRALE 3 pertinence d’une autre vision de la matière. Une juste revalorisation du rôle des parties durant le procès administratif paraît nécessaire. Dès lors, il convient de revenir sur l’intérêt que présente une telle recherche (§1), avant d’en définir plus précisément l’objet (§2) et d’en mesurer les enjeux (§3).

§ 1. L

’INTÉRÊT DE LA RECHERCHE

2. La procédure suivie devant les juridictions administratives est traversée par une évolution qui justifie qu’une étude soit consacrée à l’office des parties dans le procès administratif. Bien que le procès administratif ne soit plus unique- ment pensé comme un procès fait à un acte (A), force est de constater qu’un défi- cit de conceptualisation du rôle des parties persiste (B).

A. UNE ÉVOLUTION : DU PROCÈS FAIT À UN ACTE AU PROCÈS ENTRE PARTIES

3. Au tournant du siècle dernier, l’effort doctrinal paraît tout entier dirigé vers la légitimation du droit administratif. Or la légitimation de ce droit passe, pour l’essentiel, par la démonstration de son exorbitance. Le droit administratif existe en raison de la nécessité de soumettre l’Administration au respect d’un droit dérogatoire et autonome par rapport au droit commun, eu égard à sa fina- lité : assurer « le triomphe de l’intérêt général sur les égoïsmes privés, en cherchant à imposer l’intérêt de tous tout en garantissant les intérêts de chacun ; le droit privé ne concilie et ne garantit que les intérêts privés, fussent-ils antagonistes »7. La construction du droit administratif français à travers un prisme contentieux a largement contribué à sa singularité. À cet égard, la mise en lumière des spécifici- tés de la procédure suivie devant un juge lui-même particulier a sans conteste participé à l’émancipation du droit administratif. Cette démarche intellectuelle est manifeste à propos de la figure de proue du contentieux administratif : le recours pour excès de pouvoir. La singularité de cette voie de droit réside dans son objec- tivité et se traduit par l’affirmation d’un procès sans parties. Sensible à la nécessité d’établir l’autonomie du contentieux administratif par rapport à la procédure civile, la doctrine publiciste de cette époque développe une rhétorique du recours pour excès de pouvoir comme un « procès fait à un acte »8.

À l’origine de cette rhétorique se trouve une vision renouvelée du contentieux.

À contre-courant de la doctrine du XIXe siècle, qui confond l’action en justice et le droit dont le plaideur cherche à obtenir la consécration9, Laferrière souligne « l’im- portance de la réclamation dans la constitution du contentieux » et rejette « l’exigence d’un droit violé »10 comme condition d’existence d’une réclamation. Il inclut ainsi le recours pour excès de pouvoir dans une conception matériellement plus large du

7. B. Plessix, Droit administratif général, Paris, LexisNexis, coll.  « Manuel », 2e  éd., 2018, p. 661-662.

8. E. Laferrière, Traité de la juridiction administrative et des recours contentieux, Paris, Berger- Levrault, tome II, 2e éd., 1896, p. 561.

9. L. Cadiet et E. Jeuland, Droit judiciaire privé, Paris, LexisNexis, coll. « Manuel », 10e éd., 2017, p. 258 ; V. notamment J.-C. Demolombe, Cours de Code Napoléon, tome I, volume IX, n° 338, p. 201.

10. P.  Gonod, Edouard Laferrière, un juriste au service de la République, Paris, LGDJ, coll. « Bibliothèque de droit public », 1997, p. 145-146.

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L’OFFICE DES PARTIES DANS LE PROCÈS ADMINISTRATIF

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contentieux11. Laferrière reconnaît que le recours pour excès de pouvoir procède de l’existence d’une opposition de prétentions, dans la mesure où l’Administration

« rencontre nécessairement des intérêts rivaux de ceux qu’elle doit servir, et aussi des droits opposés à ceux qu’elle prétend avoir »12. Le caractère contentieux de ce recours ne fait aucun doute, dès lors que « tout acte administratif est susceptible de donner lieu à un litige, et par conséquent à un contentieux, parce qu’il peut provoquer une réclamation »13. Toutefois, Laferrière nie la qualification de partie au bénéfice de l’Administration, dans un célèbre plaidoyer ouvrant le chapitre relatif à la procé- dure du recours pour excès de pouvoir : « Le recours pour excès de pouvoir n’est pas un procès fait à une partie, c’est un procès fait à un acte. La requête n’est dirigée ni contre l’agent qui a fait l’acte, ni contre la personne civile (État, département ou com- mune) dont cet agent a pu servir les intérêts, mais contre la puissance publique, au nom de laquelle il a agi. Il suit de là que si, dans la procédure d’excès de pouvoir, il y a un demandeur, il n’y a pas à proprement parler de défendeur, de partie adverse, comme dans les affaires dites entre parties. […] ni les intéressés, ni le délégué de la puissance publique ne sont des parties dans le sens juridique du mot »14.

4. En réalité, la rhétorique du recours pour excès de pouvoir, comme un pro- cès fait à un acte, se cristallise autour de deux dogmes. Le premier postulat consiste à affirmer que l’Administration n’est pas une partie au procès ; le second consiste à inscrire l’analyse du contentieux administratif dans le prisme de la distinction des contentieux. La liaison entre ces deux dogmes est établie par la plupart des auteurs. L’Administration n’est pas considérée comme une partie à ce procès, dans la mesure où le recours pour excès de pouvoir est compris comme un recours objectif. Présente sous la plume de nombreux auteurs, l’idée même de « dogme »15 fortifie le caractère incontestable, voire péremptoire, de ces affirmations. Cette représentation du recours pour excès de pouvoir apparaît comme un prologue indiscutable, coupant court à toute réflexion sur les parties en contentieux admi- nistratif. Son succès est tel que la doctrine privatiste ne manque pas de la reprendre en soulignant que « dans un contentieux à fondement objectif où le recours au juge tend à assurer le respect de la légalité, la personnalité des parties en cause tend à s’estomper, voire même à disparaître en certaines circonstances »16.

Au fond, la conception du recours pour excès de pouvoir comme un procès sans parties aboutit à une double négation. En premier lieu, le représentant de l’Administration ne serait pas « un véritable défendeur »17. Certes, Laferrière

11. E. Laferrière, op. cit., tome I, p. 8 et s.

12. Id., p. 6-7.

13. P. Gonod, op. cit., p. 147 ; V. également P. Gonod, commentaire sous E. Laferrière, Traité de la juridiction administrative et des recours contentieux – Introduction de la première édition, Paris, Berger-Levrault, tome I, 1re éd., 1887-1888, in W. Mastor, J. Benetti, P. Egéa et X. Magnon, Les grands discours de la culture juridique, Paris, Dalloz, coll. « Grands arrêts », 1re éd., 2017, p. 288.

14. E. Laferrière, op. cit., tome II, p. 561-562.

15. P. Weil, Préface, in B. Kornprobst, La notion de partie et le recours pour excès de pouvoir, Paris, LGDJ, coll. « Bibliothèque de droit public », 1959, p. I ; N. Foulquier, Les droits publics subjectifs des administrés, Émergence d’un concept en droit administratif français du XIXe au XXe siècle, Paris, Dalloz, coll. « Nouvelle Bibliothèque de Thèses », 2003, p. 163 et s. ; V. également sur la représentation du droit administratif S. Gilbert, commentaire sous L. Aucoc, La justice administrative en France, Paris, Annales de l’École libre des sciences politiques, 1898, tomme XIII, p. 667, in W. Mastor, J. Benetti, P. Egéa et X. Magnon, Les grands discours de la culture juridique, préc., p. 301.

16. H. Solus et R. Perrot, Droit judiciaire privé, Paris, Sirey, tome III Procédure de première instance, 1991, p. 12.

17. Id., p. 562.

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INTRODUCTION GÉNÉRALE 5 admet que l’acte attaqué doit « nécessairement » être défendu, non seulement par

« un délégué de la puissance publique », mais également par « des particuliers ou des personnes civiles ayant intérêt au maintien de l’acte »18. Néanmoins, le représentant de l’Administration n’est alors qu’un simple « défenseur »19. Développée20 et reprise21, cette qualification vise à fragiliser l’identification d’un défendeur dans le contentieux de l’excès de pouvoir. En second lieu, on observe un même rejet de la qualification de partie au profit du requérant, notamment dans une comparaison dressée par le doyen Hauriou. Le demandeur ne jouerait que le rôle « d’un minis- tère public poursuivant la répression d’une contravention »22, à l’instar d’un « procu- reur du droit »23. En initiant un recours pour excès de pouvoir, il exercerait une

« action publique »24. À cet égard, Vizioz observe en 1956 que, « sur la notion même de partie, qui occupe le centre de l’instance et à laquelle se rattachent de nombreuses et importantes conséquences d’ordre procédural il est vrai, aucun de nos auteurs n’apporte d’éclaircissements »25. Nulle trace d’une définition de la notion de partie à la lecture des auteurs publicistes du début du XXe siècle. La notion n’est qu’inci- demment évoquée par Hauriou et Duguit26 à propos de l’autorité de la chose jugée. Cette conception du requérant met en perspective la surprise suscitée au Conseil d’État par les interrogations de Rivero : « mais enfin, Monsieur le Profes- seur, pourquoi vous intéressez-vous au requérant ? C’est le jeton qu’on introduit dans l’appareil. Après quoi, il tombe au fond, pourquoi s’occuper de lui ? »27. La méta- phore se suffit à elle-même. Symptomatique de l’objectivité de ce recours, elle traduit l’indifférence du juge administratif à l’égard de la qualité de partie des acteurs du recours pour excès de pouvoir, niant ainsi les rôles processuels qu’ils pourraient jouer.

Bien que l’existence d’un litige ne soit pas démentie, la qualification de l’ad- ministré et de l’Administration en tant que partie reste contestée. Si cette remarque paraît tout à fait contradictoire, elle trouve une explication à la fois dans la volonté d’insister sur la spécificité du recours pour excès de pouvoir et dans la « lente consécration des sujets de droit administratif »28. Ces deux phénomènes paraissent intimement liés. Comment penser les parties au procès, et plus particulièrement l’État en tant que défendeur, si l’on peine à concevoir les collectivités publiques

18. E. Laferrière, op. cit., p. 562 ; V. également H. Jagerschmidt, concl. sur CE, 8 décembre 1899, Ville d’Avignon, n° 82919, Rec. p. 719 : « le recours pour excès de pouvoir constitue un procès dirigé contre un acte, et non contre des personnes ; c’est une action intentée contre la puissance publique. Dès lors, il n’y a pas de défendeurs dans l’instance ; il n’y a pas de débat contradictoire ; c’est le ministre intéressé qui représente le service public, qui défend seul l’acte attaqué ».

19. L.-A. Macarel, Cours d’administration et de droit administratif, Paris, Librairie de jurisprudence de Plon frères, tome II, 2e éd., 1852, p. 430.

20. P. Landon, Le recours pour excès de pouvoir sous le régime de la justice retenue, Thèse, Paris, 1942, p. 92 et p. 231 et s.

21. R. Chapus, Droit du contentieux administratif, Paris, Monchrestien, coll.  « Domat  Droit public », 13e éd., 2008, p. 224 ; Q. D. Nguyen, L’intervention dans le recours pour excès de pouvoir, RDP, 1946, p. 404.

22. M. Hauriou, note sous CE, 8 décembre 1899, Ville d’Avignon, Sirey, 1900, III, p. 86.

23. R. Chapus, op. cit., p. 224.

24. Ibid.

25. H. Vizioz, Études de procédure, Bordeaux, Éditions Bière, 1956, p. 157-158.

26. Id., p. 158-159.

27. J. Rivero, Une crise sous la Ve République : de l’arrêt Canal à l’affaire Canal, in J. Massot (dir.), Le Conseil d’État de l’an VIII à nos jours, Libre jubilaire du deuxième centenaire, Éditions Adam Biro, 1999, p. 77.

28. N. Foulquier, op. cit., p. 19.

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L’OFFICE DES PARTIES DANS LE PROCÈS ADMINISTRATIF

6

comme des personnes juridiques ? En plaçant la notion d’acte administratif uni- latéral au centre du droit public, la doctrine administrativiste de la fin du XIXsiècle a, sinon volontairement, du moins nécessairement exclu la notion de partie du champ de la réflexion consacrée au contentieux administratif. Le recours à la technique de la personnalité morale29 ne s’est discrètement imposé qu’à partir du début du XXe siècle, fournissant ainsi « au juge un critère organique permettant l’identification des actes administratifs unilatéraux »30. La postérité de la pensée de Laferrière a sans doute été assurée par cette « acceptation tardive et incomplète de la personnalité publique des collectivités administratives »31 durant les années 1930.

5. La question du désistement a été l’occasion d’un rappel sans équivoque de cette conception du recours pour excès de pouvoir comme un procès fait à un acte.

En plein contentieux, l’acceptation par le défendeur du désistement de tout ou partie des conclusions en demande a pour effet d’interdire au requérant de se ravi- ser au cours de l’instance. En excès de pouvoir, le juge consent à ce que le deman- deur puisse revenir sur son désistement, malgré l’acceptation du défendeur32. En somme, « la légalité tolère que le requérant renonce à la défendre ; elle s’oppose en revanche à ce qu’il en soit empêché »33. Le Conseil d’État fonde cette solution sur la nature du recours pour excès de pouvoir, dans la mesure où ce recours « n’a pas fait naître un litige entre les deux parties »34. Explicitée sans l’ombre d’une nuance, cette affirmation conforte la doctrine dominante dans la démarche consistant à

« souligner le caractère original »35 de ce recours. Une telle solution offre un point final au débat relatif à la présence de parties. Sur ce point, la conviction exprimée par Auby et Drago correspond à la présentation habituellement faite du conten- tieux objectif : « si des personnes participent à ce contentieux, c’est soit pour déclen- cher le contrôle, soit pour le subir, mais elles ne sauraient être considérées comme des parties sur les prétentions desquelles le juge aurait à statuer »36.

Ce dogme d’un procès sans parties est d’autant plus préservé qu’il repose sur celui, non moins connu, de la distinction des contentieux. Sans reprendre l’en- semble des classifications proposées en doctrine37, un constat s’impose. Qu’elles soient de nature « formelle »38 et fondée sur les pouvoirs du juge39 ou de nature

29. V. L. Michoud et L. Trotabas, La théorie de la personnalité morale et son application au droit français, rééd. Paris, LGDJ, volume I, 2e éd., 1998, p. 8 et s. ; F. Linditch, Recherche sur la personnalité morale en droit administratif, Paris, LGDJ, coll. « Bibliothèque de Thèses », 1997, p. 27 et s. ; T. Cortes, La personnalité morale comme technique de droit public, Thèse, Paris II, 2012, p. 21 et s.

30. A.-L. Girard, La formation historique de la théorie de l’acte administratif unilatéral, Paris, LGDJ, coll. « Nouvelle Bibliothèque de Thèses », 2013, p. 229.

31. N. Foulquier, op. cit., p. 97.

32. CE, 19 novembre 1958, Butori, inédit ; concl. A. Bernard, AJDA, 1958, p. 450.

33. C. Broyelle, Contentieux administratif, Paris, LGDJ, coll. « Manuel », 7e éd., 2019, p. 219, note 158.

34. CE Ass., 21 avril 1944, Société Dockès Frères, n° 72642, Rec. p. 120 ; CE, 19 avril 1950, de Villèle, n° 83330, Rec. p. 214 ; CE, 17 mai 1999, Commune de Montreuil-sous-Bois, n° 191292, inédit.

35. R. Odent, Contentieux administratif, Paris, Dalloz, tome II, 2007, p. 250.

36. J.-M. Auby et R. Drago, Traité des recours en matière administrative, Paris, Litec, 1992, p. 124.

37. F. Melleray, Essai sur la structure du contentieux administratif français, Pour un renouvellement de la classification des principales voies de droit ouvertes devant les juridictions à compétence générale, Paris, LGDJ, coll. « Bibliothèque de droit public », 2001, p. 17 et s.

38. F. Melleray, op. cit., p. 21 ; L. Aucoc, Conférences sur l’administration et le droit administratif faites à l’École impériale des Ponts et Chaussées, Paris, Dunod, tome I, 1re éd., 1869, p. 361-362.

39. E. Laferrière, op. cit., tome I, p. 15 et s.

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INTRODUCTION GÉNÉRALE 7

« matérielle »40 et fondée sur la question posée au juge, elles ont pour clé de voûte la différenciation entre le recours pour excès de pouvoir et le recours de plein contentieux. À nouveau, insister sur l’objectivité du recours pour excès de pou- voir suppose de présenter l’administré et l’Administration d’une manière origi- nale par rapport à l’archétype du recours subjectif, c’est-à-dire par rapport au procès civil. Quelques lignes de Duguit illustrent cette corrélation entre l’existence d’une distinction des contentieux et la conception du recours pour excès de pou- voir comme un procès sans parties. L’exorbitance du contentieux administratif tient à ce qu’« en matière d’excès de pouvoir, le requérant se présente en quelque sorte comme un “agent du ministère public”. Il n’y a nul besoin de défendeur puisque le procès est fait à l’acte, ce qui a pour conséquence que le juge ne peut faire davan- tage qu’annuler celui-ci »41.

6. Il faut attendre le lendemain de la seconde guerre mondiale pour qu’une introduction de la notion de partie dans l’analyse du recours pour excès de pou- voir interrompe le silence de la doctrine publiciste à ce sujet. Landon affirme, dès 1942, qu’« il n’est pas sérieusement contestable » qu’un recours pour excès de pou- voir « donne ouverture à une instance entre parties »42, notamment en raison de l’extension de l’appel et de la multiplication des condamnations aux dépens à partir des années 1920. En 1952, Weil défend l’idée que la notion de parties « a fait son entrée dans le recours pour excès de pouvoir », bien qu’elle n’ait jamais fait

« l’objet d’une reconnaissance officielle de la part du Conseil d’État » ; dès lors, si

« le vieux principe de Laferrière » continue « à dominer théoriquement toute la matière, certaines règles demeurent inexplicables si l’on ne fait pas appel à la notion de parties »43, au premier rang desquelles l’admission de la tierce-opposition en matière de recours pour excès de pouvoir. Vedel enseigne, en 1953, que « le droit procédural n’est pas un droit théorique, c’est un droit qui doit refléter la pratique », ce dont il résulte que « malgré son particularisme, le recours pour excès de pouvoir est un recours dans lequel il y a réellement des parties »44. Cette observation est étayée au sein du manuel co-écrit avec le Professeur Delvolvé. De nombreuses règles, relatives au déroulement d’une instance, démontrent l’existence de parties à ce procès. Elles révèlent autant d’« objections majeures »45 à la doctrine classique et relativisent l’opposition entre contentieux objectif et subjectif. En témoignent notamment l’admission de la tierce opposition, la généralisation de l’appel ou encore la condamnation de l’Administration perdante au remboursement des frais de timbre. Kornprobst démontre, en 1959, que le recours pour excès de pou- voir est un « procès entre parties »46 et non un « procès fait à un acte ». Sa démarche, inédite par son ampleur, contribue au dépassement du dogme de l’absence de parties à ce procès.

40. F. Melleray, op. cit., p. 105.

41. L. Duguit, L’État, les gouvernants et les agents, Paris, Fontemoing, 1903, rééd. Paris, Dalloz, coll. « Bibliothèque Dalloz », 2003, p. 535.

42. P. Landon, op. cit., p. 49.

43. P. Weil, Les conséquences de l’annulation d’un acte administratif pour excès de pouvoir, Paris, Éditions A. Pedone, 1952, p. 114.

44. Cour de droit administratif professé à la Faculté de Paris en 1953-1954 cité par B. Kornprobst, op. cit., p. 119.

45. G. Vedel et P. Delvolvé, Droit administratif, Paris, PUF, coll. « Thémis Droit public », tome II, 12e éd., 1992, p. 248.

46. B. Kornprobst, op. cit., p. 19.

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