THESE de DOCTORAT de l'UNIVERSITE PARIS 6 Spécialité
ECOLOGIE présentée
par Melle Sophie THEVENON
pour obtenir le grade de DOCTEUR de l'UNIVERSITE PARIS 6 Sujet de la thèse :
DEPRESSION DE CONSANGUINITE ET CARACTERISATION GENETIQUE DE TAXONS MENACES : APPLICATION AUCERFD'ELD (CERVUS ELDI) ET
AU CERF SIKA DU VIETNAM ( CERVUS NIPPON PSEUDAXIS)
Soutenue le 28/11/2001 Devant le jury composé de :
M. BARBAULT, Robert, Université Paris 6
M. CHARDONNET, Philippe, CIRAD Montpellier MME CLARO-HERGUETA, Françoise, MNHN Paris M. COUVET, Denis, ~ Paris
M. JARNE, Philippe, CNRS Montpellier M. TABERLET, Pierre, CNRS Grenoble
Examinateur Examinateur Examinateur Directeur de thèse Rapporteur Rapporteur
Des remerciements à tous ceux qui m'ont soutenue, aidée pour la réalisation de cette thèse : A ma directrice de thèse non-officielle : Françoise Claro, qui est à l'origine du travail présenté dans ce manuscrit et qui m'a toujours soutenue,
A mon directeur de thèse officiel : Denis Couvet, dont les réponses lumineuses à mes questions ont ouvert mon esprit à la brumeuse génétique des populations,
A ma compagne de thèse : Amélie Bonnet,
A mes collègues du Muséum: Gérard Dubost, Robert Mauget et Maryvonne Leclerc-Cassan,
A Vitaly Volobouev et Bertrand Bed'hom,
Au CIRAD-EMVT, où j'ai réalisée toutes les manips de Bio Mol, avec des remerciements particuliers à: François Monicat, Philippe Chardonnet et Jean-Charles Maillard, les instigateurs du projet
«
cerf sika», grâce auxquels j'ai goûté les parfums exotiques du Vietnam,A Joseph Domenech et Emmanuel Camus, qui ont permis mon accueil durant 2 ans au sein du Cirad-Emvt et du labo PathoTrop,
A Frédéric Maudet qui m'a accompagnée pour ma première mission èt à ceux qui m'ont accueillie au Vietnam : Gilles Mandret et Olivier Husson,
A François Thiaucourt et Denise Bastron, qui ont réussi à sauver mes échantillons des griffes de la douane,
A David Berthier et Isabelle Chantal, qui m'ont tout appris à la paillasse,
A Catherine Richard et Betty Medouga, pour leur aide dans l'intendance de ma thèse. Un immense remerciement à nos collaborateurs vietnamiens: Le Thi Thuy, Le Viet Ly, Nu Van Thu, Mr Loan et tous les chercheurs du National Institute for Animal Husbandry d'Hanoï, qui ont permis de prélever les échantillons de cerf sika du Vietnam dans d'excellentes conditions,
Au Dr Binh et à Mr Zhung qui ont effectué les prélèvements,
Aux Comités populaires des provinces de Nghe An et Ha Tinh, et aux éleveurs de cerf sika chez qui nous avons pu recueillir des échantillons.
A tous ceux qui m'ont aidée et conseillée :
Philippe Jarne, pour son investissement notamment sur l'analyse des populations de sika du Vietnam, et Cyril Dutech du CEFE de Montpellier,
Pierre Taberlet, Gordon Luikart et Célia Maudet du LBPA de l'université de Grenoble, Jean-François Cosson du CBGP à Montpellier,
Emmanuel Douzery et Frédéric Delsuc de l'Isem de l'université de Montpellier, A Robert Barbault, qui a accepté d'être président de mon jury de thèse,
A Klaus Rüdloff du Tierpark de Berlin, à Pierre Moisson du zoo de Mulhouse, à Xavier Legendre et Norin Chai du parc d'Obterre, à Alexis Lécu et Florence Ollivet du zoo de Vincennes pour m'avoir procuré des échantillons de cerf sika du Vietnam et de cerf d'Eld. A Bertrand Des Clers et l'IGF pour m'avoir soutenue financièrement pour ma mission au Vietnam,
Avertissement
La première moitié du manuscrit présente une synthèse des travaux réalisés au cours de la thèse. La deuxième moitié est composée des articles, publiés ou soumis, rédigés lors du travail de thèse. Le matériel et les méthodes ne sont pas détaillés dans le cœur du manuscrit, mais figurent au sein des articles concernés.
SOMMAIRE
INTRODUCTION GÉNÉRALE 9
1. La crise de la biodiversité 9
2. Facteurs génétiques associés aux risques d'extinction des petites populations_ 12
2.1. Impact de la dérive génétique 12
2.1.1.Ladérive 12
2.1.2. Risque de fixation d'allèles délétères 14
2.1.2.1. Définition du fardeau 14
2.1.2.2. Effet sur la viabilité des petites populations 14
2.1.2.3. Conséquences en conservation 16
2.1.3. Impact sur le potentiel adaptatif d'une population 16
2.1.3 .1. Aspects théoriques 16
2.1.3.2. Données expérimentales et études de cas 17
2.1.3 .3. Conséquences en conservation 18
2.2. Impact de la consanguinité 19
2.2.1. Données expérimentales 19
2.2.2. Bases génétiques de la dépression 20
2.2.3. Conséquences en conservation 21
2.2.3.1. Données sur des populations de parcs zoologiques 21
2.2.3.2. Données sur des populations sauvages 21
2.3. Impact de la dépression d'exogamie 23
2.3.1. Données expérimentales 23
2.3.2. Bases théoriques 24
2.3.3. Conséquences en conservation de la faune 25
3. Les critères de définition des unités de gestion 25
4. Objectifs 30
PREMIÈRE PARTIE: DÉPRESSION DE CONSANGUINITÉ ET INTERACTIONS AVEC LES
PARAMÈTRES DÉMOGRAPHIQUES
32
1.
Introduction
32
2. Le modèle génétique théorique
33
2.1. Principes 33
2.2. Hypothèses du modèle 35
2.3. Rappel : impact des facteurs génétiques 38
2.3.1. Coefficient de sélections 38
2.3.2. Dominance h 39
2.3.3. Taux de mutationµ 40
3. Interaction avec les paramètres démographiques 40
3.1. Population fondatrice et capacité de charge 41
3.2. Conséquences d'un deuxième goulot d'étranglement 42
3.3. Valeurs seuil des paramètres démographiques 43
4. Conséquences pour la conservation 44
4.1. Importance de la capacité de charge 44
4.2. Effet fondateur 45
4.3.Interaction avec la stochasticité démographique et les catastrophes
environnementales 46
4.4. Limites et extensions possibles du modèle 47
4.4.1. Paramètres génétiques et autres mécanismes de la dépression 47
4.4.2. Cycle de vie 48
4.4.3. Influence de l'environnement 49
DEUXIÈME PARTIE: CARACTÉRISATION GÉNÉTIQUE DE TAXONS MENACÉS 51
1. Les modèles biologiques 51
1.1. Le cerf sika du Vietnam (Cervus nippon pseudaxis), Souleyet, 1841 51
1.1.1. Statut et effectifs 51
1. 1.2. Importance de l'élevage au Vietnam 53
1.1.3. Problématique spécifique 54
>" Le maintien de la variabilité génétique des populations de cerf sika du Vietnam _ _ 54 >" L'introgression avec d'autres sous-espèces 54
1.2. Le cerfd'Eld (Cervus eldi), M'Clelland, 1842 55
1.2.1. Statut et effectifs 55
1.2.2. Problématique spécifique 57
2. Caractérisation génétique du ce,f sika du Vietnam 58
2.1. Statut taxinomique 58
>" Analyses caryologiques 59
)>Séquençage de la région de contrôle del' ADNmt 60
2.2. Variabilité et structuration génétique 62
2.2.1. Résultats 62
)> Variabilité génétique 62
)>Structuration génétique inter et intra-populations 63
2.2.2. Discussion 64
)>VariabiEté génétique globale 64
)>Structuration génétique inter et intra-populations 65
2.3. Perspectives de conservation 66
2.4. Limites des outils moléculaires et statistiques 70
)>Hypothèses démographiques 70
)>Manque de connaissance sur les modèles de mutation des microsatellites 72
)> Difficultés expérimentales 73
3. Caractérisation du cerf d'Eld du Siam 75
3.1. Statut taxinomique 75
3. 1.1. Analyses caryologiques 75
3.1.2. Séquençage de la région de contrôle de I' ADNmt 76
3.2. Discussion et perspectives de conservation 76
CONCLUSION 78
Références bibliographiques 83
LISTE DES ANNEXES
Annexe 1: The impact of inbreeding depression depending on demographic parameters
Annexe 2: Microsatellite analysis of genetic diversity in the Vietnamese sika deer (Cervus nippon pseudaxis) populations, an endangered species of economical and traditional
96
value 114
Annexe 3: Genetie diversity for captive propagation: the Vietnamese sika deer (Cervus
nippon pseudaxis) in zoological parks 136
Annexe 4: Karyotype identity oftwo subspecies ofEld's deer [Cervus eldi (Cervinae,
Artiodactyla)] and its consequences for conservation 151
Annexe 5: Efficiency of semi-automated fluorescent multiplex PCRs with eleven
microsatellite markers for genetic studies of deer populations 156 Annexe 6: Cytogenetic comparison between Vietnamese sika deer and cattle: R-banded
karyotypes and fish mapping 170
Liste des figures et des tableaux
Fig. 1 : Organigramme du modèle 34
Fig. 2a : Probabilité de survie de la population selon le coefficient de sélection 38 Fig. 2b : Evolution de la fitness moyenne des individus selon le coefficient de sélection 38 Fig. 2c : Evolution du taux de létaux équivalents selon le coefficient de sélection 38 Fig. 2d : Evolution du taux de descendants non viables selon le coefficient de sélection 38 Fig. 3a : Probabilité de survie de la population selon la dominance 39 Fig. 3b : Evolution du taux de descendants non viables selon la dominance 39 Fig. 4a : Probabilité de survie de la population selon le taux de mutation 40 Fig. 4b : Evolution du taux de descendants non viables selon le taux de mutation 40 Fig. Sa : Probabilité de survie à la 20° génération d'une population en fonction de la capacité 41 de charge et de la taille initiale
Fig. 5b : Evolution de la fitness en fonction de la capacité de charge et de la taille initiale 41 Fig. 5c: Evolution du taux de létaux équivalents en fonction de la capacité de charge et de la 41 taille initiale
Fig. 6 : Evolution du taux de survie instantané des populations et de la fitness moyenne des 41 individus selon le coefficient de consanguinité.
Fig. 7a : Evolution du taux de survie instantané des populations après un goulot 42 d'étranglement selon la taille initiale nO
Fig. 7b : Evolution de la taille moyenne des populations après un goulot d'étranglement selon 42 la taille initiale nO
Fig. 7c: Evolution de la fitness moyenne des individus après un goulot d'étranglement selon 42 la taille initiale nO
Fig. 8a : Taux de survie instantané des populations après un 2° goulot d'étranglement selon la 43 capacité de charge K
Fig. 8b : Taille moyenne des populations après un 2° goulot d'étranglement selon la capacité 43 de charge K
Fig. 8c: Evolution de la fitness moyenne des individus après un 2° goulot d'étranglement 43 selon la capacité de charge K
Fig. 9a : Taux de survie instantané des populations en fonction de la taille du 2° goulot 44 d'étranglement
Fig. 9b : Evolution de la fitness moyenne des individus en fonction de la taille du 2° goulot 44 d'étranglement
Fig. 10 : Caryotype de cerf sika du Vietnam en bandes RBG 59
Fig. 11 : Phénogramme réalisé à partir du 1er tiers de la région de contrôle de l' ADN 60 mitochondrial, selon la procédure du neighbor joining.
Fig. 12 : Caryotype de cerf d'Eld du Siam en bandes RBG 75
Fig. 13 : Phénogramme réalisé à partir de la totalité de la région de contrôle de l' ADN 76 mitochondrial, selon la procédure du neighbor joining.
Tableau 1 : Diversité génétique des populations de cerf sika au Vietnam et en Europe 62 Tableau 2 : Différenciation génétique entre les trois troupeaux des parcs zoologiques 62 européens.
Tableau 3 : Gammes de tailles alléliques des marqueurs microsatellites estimées chez 73 différentes espèces de cerfs.
Liste des encadrés
Encadré 1 : La notion de ressource génétique
Encadré 2 : Intérêts de la captivité en biologie de la conservation Encadré 3 : Limites de la captivité en biologie de la conservation Encadré 4 : Les létaux équivalents
Encadré 5 : Calcul des létaux équivalents dans notre modèle
Encadré 6 : Modèles de dépression réalisés précédemment par d'autres auteurs Encadré 7 : Le cerf sika (Cervus nippon), Temminck, 1838
Encadré 8 : Le cerf d'Eld (Cervus eldi), M'Clelland, 1842
Encadré 9 : Les microsatellites ou « simple sequence » ou « short tandem repeat »
Encadré 10 : Modèles théoriques de mutation des microsatellites Encadré 11 : Rappel sur les F-statistiques de Wright (1951) Encadré 12 : Interprétations et attendus des F-statistiques
11 29 30 33 35 36 51 56 61 63 64 65 8
Introduction
INTRODUCTION
1. LA CRlSE DE LA BIODIVERSITE
Dans les dernières décennies, nous avons assisté à une prise de conscience internationale des menaces anthropiques qui pèsent sur la diversité biologique (Glowka et al.,
1996). L'une de ses conséquences les plus dramatiques est l'extinction massive d'espèces (Diamond, 1989; Pimm et al., 1995; Pimm et Raven, 2000; Regan et al., 2001): d'après les dernières données de l'Union Internationale pour la Conservation de la Nature, 83 espèces de mammifères se sont éteintes depuis 1600, ainsi que 128 espèces d'oiseaux, 21 de reptiles, cinq d'amphibiens et 72 d'insectes (Hilton-Taylor, 2000). L'homme est directement responsable du déclin des populations par les actions suivantes : la surexploitation voire l'éradication de populations, la destruction et la fragmentation de l'habitat, l'introduction d'espèces exotiques, modifiant les équilibres écologiques (Diamond, 1989), et la pollution, qui altère la fertilité et la viabilité des individus ( e.g. Everts, 1997 ; Lemly, 1997 ; Vyas, 1999).
Devant ces menaces majeures pour la survie des espèces, de nombreux plans de conservation des populations en milieu naturel (mise en place d'aires protégées et de corridors, translocation, réintroduction ou renforcement de populations) et/ou en captivité (programmes de reproduction) sont mis en place. Face à l'ensemble des écosystèmes menacés, les besoins en actions de conservation, en milieu naturel et en captivité, sont considérables,
mais, en raison des menaces et des contraintes sur l'espace, le temps et les moyens disponibles, les efforts de conservation portent généralement sur des populations d'effectifs
réduits1 (Franklin, 1980).
Encadré 1 : la notion de ressource génétique
Avec la prise de conscience de l'importance de la diversité génétique intra-spécifique pour la conservation de la biodiversité et les productions animales, la notion de
«
ressources génétiques» est née. Franklin (1980) soulignait déjà l'importance de préserver la diversité spécifique et intraspécifique pour nourrir l'homme et ses espèces domestiques. La FAO (Food and Agriculture Organisation) a fait de la préservation de la diversité génétique, végétale et animale, domestique et sauvage, un objectif majeur. Selon Beilharz (1983) et Barker (1994), la préservation des ressources génétiques apparaît essentielle pour :• diversifier les productions animales et donc diversifier et sécuriser le revenu des éleveurs et agriculteurs ;
• adapter les productions au changement des habitudes de consommation et aux marchés nationaux et internationaux ;
• disposer d'un capital génétique pour améliorer la productivité, la qualité des produits, la résistance aux maladies, identifier des gènes d'intérêt industriel et pharmaceutique, par des croisements, ou la sélection ou la création de micro-organismes génétiquement modifiés ;
• maintenir des traditions culturelles liées à l'animal, maintenir les communautés dans leurs habitats traditionnels grâce à l'élevage d'espèces ou de races, domestiques ou sauvages, adaptées à leur milieu, aux modes d'élevage, afin de garantir la durabilité des productions et la sécurité alimentaire ;
Introduction
La préservation de petites populations ne peut pas reposer exclusivement sur la suppress10n des causes anthropiques de déclin et elle nécessite également de prendre en compte des mécanismes intrinsèques aux petites populations, qui sont susceptibles de les mener à leur extinction, en l'absence même de toutes menaces extérieures. Les divers processus intrinsèques se groupent en quatre catégories :
• la stochasticité démographique
Les paramètres de survie, fécondité et sex-ratio suivent des lois de probabilité et sont susceptibles d'atteindre de faibles valeurs par le simple fruit du hasard (Lande, 1988). Ainsi, le sex-ratio d'une cohorte (tiré au sort dans une loi binomiale de paramètre 0,5) peut s'écarter fortement de l'équilibre et engendrer un déficit de femelles, qui altèrera le taux de croissance de la population à la génération suivante.
• l'effet Allee
Il correspond à la chute du taux de croissance d'une population due à une diminution de sa densité, ceci indépendamment de son effectif total (Lande, 1988). La chute du taux de
croissance d'une population en faible densité peut résulter en une moindre probabilité de
rencontre entre partenaires sexuels et en l'altération des comportements sociaux, à l'origine par exemple, chez les espèces grégaires comme le lycaon, d'une diminution du succès de chasse (Courchamp c.p.), ou d'une perte d'efficacité des comportements anti-prédation.
1
: l'effectif à partir duquel on considère que l'on a affaire à une petite population est difficile à définir. La petite population s'évalue selon le taxon et l'échelle de temps considérée. Dans l'ensemble, sous le seuil de 50 individus efficaces, on considère que l'on a une petite
population ; dans la perspective d'une gestion à long terme, ce seuil minimal peut être amené
à 500 individus efficaces (Franklin, 1980).
Introduction
• la stochasticité et les catastrophes environnementales
La stochasticité environnementale correspond aux fluctuations ordinaires du milieu,
qui sont susceptibles de réduire momentanément la survie et la fécondité moyenne des
individus d'une population. Les catastrophes correspondent à des événements majeurs, qm
déciment brutalement une partie de la population (Lande, 1993).
• les facteurs génétiques
Les facteurs génétiques sont multiples, ils comprennent : la dépression de
consanguinité, la fixation d'allèles délétères par la dérive, la perte du potentiel adaptatif et la
dépression d'exogamie (Lacy, 1987 ; Frankham, 1995a).
L'étude de ces mécanismes intrinsèques est un préalable indispensable à leur maîtrise,
qw permettra la mise en place de critères de gestion raisonnés et la prise de mesures
garantissant le succès à long terme des programmes de conservation. Dans le but de cibler les
actions à entreprendre pour maximiser les chances de succès à moindre coût, de nombreux
auteurs ont d'ailleurs tenté de hiérarchiser les différents processus d'extinction. Ainsi, les
processus génétiques apparaissent tantôt moins importants que les processus démographiques
(Lande, 1988), tantôt d'une intensité équivalente à la stochasticité environnementale (Lande,
1994 et 1995; Higgins et Lynch, 2001). Dans tous les cas, ces différents processus sont en
interaction les uns avec les autres et, dans une petite population, où les forces aléatoires sont
importantes, ils peuvent entrer en synergie et précipiter son extinction (Gilpin et Soulé, 1986 ;
Frankham, 1995a).
Dans la suite du manuscrit, nous avons choisi de nous focaliser sur l'étude des
processus génétiques, dont l'importance est la plus difficile à évaluer, mais dont l'impact est
cependant primordial pour la gestion des petites populations dans une perspective évolutive.
Introduction En effet, les objectifs à long terme d'un programme de conservation sont la préservation de la viabilité des populations (viabilité qui est dépendante les mécanismes de déclin intrinsèques décrits plus haut) et le maintien de leur potentiel évolutif (Soulé, 1980). Or, les caractéristiques génétiques d'une population influent sur la viabilité des populations et sont à la base de leur potentiel évolutif Aussi, dans le chapitre suivant, allons nous détailler les processus génétiques qui interviennent dans les causes de déclin des populations. Leur étude permettra une meilleure analyse des problèmes liés à la mise en place de plans de conservation, notamment celui du choix des unités de gestion. Ceci nous amènera ensuite à introduire la problématique générale de la thèse.
2. FACTEURS GENETIQUES ASSOCIES AUX RISQUES D'EXTINCTION DES PETITES
POPULATIONS
Quatre grands mécanismes, qui interviennent dans les processus d'extinction, peuvent être distingués :
• la fixation d'allèles délétères, • la perte du potentiel adaptatif,
ces deux points étant des conséquences de la dérive génétique. • la dépression de consanguinité.
• la dépression d'exogamie.
2.1. IMPACT DE LA DERIVE GENETIQUE 2 .1. 1. LA DERJVE
Les petites populations, qu'elles soient en milieu naturel ou maintenues en captivité en parc zoologique, voient leur variabilité génétique rapidement diminuer par la dérive
Introduction
génétique, c'est-à-dire par la perte d'allèles suite à leur tirage au sort lors de la production des
gamètes à chaque génération. En l'absence de mutation, la perte de variabilité génétique
additive (la portion héritable de la variance génétique) d'un caractère quantitatif est en effet une fonction de la taille efficace2 de la population :
1
-V (1---), va(t+I) - a(t)
2N
e
où
VartJ
est la variance génétique additive à lat
génération etNe
la taille efficace de la population (Franklin, 1980 ; Hedrick et Miller 1992). La même relation est vraie pour l'hétérozygotie, He (Crow et Kimura 1970; Hedrick 1983) :1
u
-He
(1-~)11e(1+1) - <1>
2N
.
La dérive en petite population aboutit à l'augmentation de l'homozygotie (voir le paragraphe
2.2 sur la dépression de consanguinité), à la fixation d'allèles délétères par le simple fait du hasard (paragraphe suivant) et à la perte de la flexibilité génétique nécessaire à l'adaptation à
des changements environnementaux (paragraphe 2.1.3).
2
taille efficace : plusieurs définitions existent (Gliddon et Goudet, 1994). Nous emploierons la taille efficace selon le sens de Wright (1931 et 1939) et Crow (1954) : la taille efficace Ne
,
d'une population réelle de taille Ne
,
correspond à la taille d'une population idéale (sex-ratioéquilibré, équilibre dans la taille des familles, absence de fluctuations de l'effectif) dont la
variabilité génétique serait perdue au même taux que dans la population réelle. Pour des populations de la faune sauvage, Ne- 11 % de Ne (Frankham, 1995).
Introduction
2.1.2. RlSQUE DE FIXATION D'ALLELES DELETERES 2.1.2.1. Définition du fardeau
Dans une population, il existe un fardeau génétique (L), qui correspond à la réduction de la valeur sélective ou fitness (w), due à la présence de mutations délétères, par rapport à une fitness optimale (wO= 1) attendue en l'absence de mutations délétères. On a donc : L= 1-w. Dans une grande population, ce fardeau est maintenu par équilibre mutation-sélection (Haldane, 1937; Muller, 1950; Hopf et al., 1988). Haldane (1937) a noté que la réduction moyenne de la fitness à un locus prend la valeurµ pour un allèle délétère récessif et 2µ pour un allèle délétère partiellement dominant ( où µ est le taux de mutation par locus et par génération). Cette valeur est indépendante de l'effet délétère lui-même. En posant un taux de mutation par génome et par génération de
U
=
l,
et en l'absence d'épistasie entre loci, la fitness moyenne est approximativement w;:::; e-2Eµ;:::; e-1;:::; 0,37 et L=l-0,37.2.1.2.2. Effet sur la viabilité des petites populations
Dans une petite population, où la dérive est très intense, celle-ci est susceptible d'aboutir à la fixation d'allèles faiblement délétères par le simple fait du hasard. Pour estimer l'impact du fardeau de mutation dans des petites populations, Lynch et Gabriel (1990), puis Lande (1994 et 1995), et Lynch et al. (1995) ont construit des modèles théoriques. Lande (1994 et 1995) montre notamment que, lorsque les mutations ont un effet délétère s constant, le temps d'extinction croît rapidement avec la taille efficace de la population. Par conséquent, pour une valeur des de l'ordre de quelques pour-cent, le risque d'extinction est faible, avec un temps d'extinction moyen au delà de 1000 générations dès que la taille efficace de la population dépasse une cinquantaine d'individus. En revanche, pour une taille efficace d'une 1 Oe d'individus, moins de 100 générations seraient nécessaires en moyenne pour voir la population s'éteindre sous la seule force de la dérive. Lorsqu'une variance est incluse dans la
Introduction
valeur de
s,
le temps moyen d'extinction est réduit à 677 générations pour une population d'une taille efficace supérieure à 50 individus (Lande, 1994 et 1995). Les résultats de Lynch etal.
(1995) sont quant à eux plus pessimistes puisqu'ils envisagent un temps d'extinction moyen inférieur à 100 générations même pour une population dioïque de 100 individus efficaces.Dernièrement, Higgins et Lynch (2001) ont montré qu'une structure en métapopulation favorise la fixation d'allèles délétères au sein des dèmes (ou populations) et donc réduit le temps d'extinction. Le temps d'extinction est d'autant plus réduit que la capacité de charge est faible, le nombre de dèmes petit et leur connectivité réduite. Lande (1994 et 1995) et Higgins et Lynch (2001) concluaient que le risque d'extinction dû à la stochasticité génétique peut atteindre des valeurs similaires à celui dû aux catastrophes environnementales.
Cependant, l'impact de ce facteur génétique sur la viabilité des populations
«
réelles»est sujet à controverse. Ainsi, Gilligan et al. (1997) ont testé les résultats théoriques de Lynch
et Gabriel (1990), Lande (1994 ; 1995) et Lynch et al. (1995) lors d'expérimentations sur la drosophile (Drosophila sp). Ils ont conclu qu'aucune accumulation d'allèles délétères n'avait eu lieu dans des populations de 25 à 500 individus sur 50 générations. Cependant, nous pouvons nous poser des questions sur la validité de leurs résultats, car ils concluent en l'absence d'accumulation d'allèles délétères à partir de la régression d'une mesure du fardeau
génétique sur la taille efficace des populations. Or, la mesure du fardeau qu'ils ont choisie est
en fait la différence de fitness entre lignées consanguines ( croisement frères-sœurs) et non
consanguines, qui sont établies à partir des populations maintenues à différentes tailles fixes
sur plusieurs dizaines de générations. Ils ne mesurent donc pas le fardeau génétique3 mais la dépression de consanguinité. Plus rigoureusement, Bryant et al. (1999) ont suivi l'évolution
Introduction
au cours des générations d'un trait (taux d'émergence des larves) lié à la fitness chez la
mouche domestique (Musca domestica), qui semble être une mesure plus valide, car elle est
fonction de la consanguinité (mais il est impossible de s'en affranchir) et de l'accumulation
d'allèles délétères par dérive. Bryant et al. (1999) mettent en évidence une diminution
significative de la fitness au fur et à mesure des générations sur des populations composées de
200 individus, par rapport à une population contrôle de 2000 individus. 3
: il faut bien différencier fardeau et dépression de consanguinité. Le fardeau correspond à la diminution de la fitness d'un individu par rapport à celle d'un individu dont le génome ne porterait pas de mutations délétères. La dépression de consanguinité correspond à la diminution de la fitness des individus issus de croisement entre apparentés par rapport à celle d'individus issus de croisements aléatoires. Ainsi, si un allèle délétère est fixé dans une population, il intervient dans le fardeau mais il n'influence pas la dépression de consanguinité.
2.1.2.3. Conséquences en conservation
Les conséquences, que pourrait avoir l'accumulation des allèles délétères sur la
probabilité d'extinction d'une population, sont finalement difficile à évaluer
expérimentalement. L'expérience de Bryant et al. (1999) ne met pas en évidence d'extinction
sur 25 générations, mais souligne en revanche le déclin progressif de la fitness dans des
populations de 200 individus. A partir de ces résultats et de ceux issus de la modélisation, on
peut donc penser que l'accumulation d'allèles délétères représente une menace à long terme
pour la survie des petites populations, même celles dont les effectifs atteignent quelques
centaines d'individus.
2.1.3. IMPACT SUR LE POTENTIEL ADAPTATIF D'UNE POPULATION 2.1.3.1. Aspects théoriques
Le taux d'évolution du phénotype moyen, en réponse à une sélection directionnelle, est
proportionnelle à la variance génétique additive quand la sélection agit sur un caractère
Introduction
(Falconer, 1989). Si on reprend l'équation du paragraphe 2.1.1 et si on y introduit des mutations, à l'équilibre, la relation suivante est obtenue :
V"' -V x -1-=0
V a 2N '
e e
où V,n est la variance génétique additive due aux mutations, Ve la variance environnementale, Va la variance génétique additive (Hedrick et Miller 1992).
Selon Lande (1975) et Lynch (1988) si Vm/Ve=0,001, et si Va=], alors la taille efficace doit être au moins égale à 500 individus pour que la population maintienne sa variabilité génétique (Hedrick et Miller, 1992). Lande (1995) proposait d'amener cet effectif à 5000 individus, sachant que seulement 10% des mutations spontanées sont quasi neutres et potentiellement intéressantes sur le plan adaptatif (la plupart des mutations sont délétères).
2.1.3 .2. Données expérimentales et études de cas
La perte de variabilité génétique peut présenter dans certains cas un risque direct pour la survie d'une population. Par exemple, la perte de variabilité aux loci responsables de la synthèse de protéines, qui interviennent dans la réponse immunitaire, diminue l'efficacité de la réaction de défense face à des éléments pathogènes. Ainsi, il a été montré que des extraits d'œufs issus de femelles hétérozygotes au locus de la transferrine ( qui intervient pour inhiber la croissance de certains micro-organismes) inhibaient plus efficacement la croissance bactérienne que ceux issus de femelles homozygotes à ce locus ( e.g. dans Allendorf et Leary, 1986). O'Brien et al. (1985) ont relevé un fort monomorphisme génétique au niveau du complexe majeur d'histocompatibilité (CMH) du guépard (Acinonyx jubatus) : ils l'ont associé à une forte susceptibilité des individus à une coronavirose féline. Plus récemment, O'Brien et
Yuhki (1999) ont insisté sur le fait qu'une faible variabilité au niveau du CMH chez le puma
de Floride (Puma concolor) et le guépard pourrait contribuer à une sensibilité uniforme des individus à des maladies infectieuses émergentes.
Introduction
Enfin, des populations de Drosophila melanogaster, qui ont subi une réduction
majeure d'effectifs (goulot d'étranglement), tolèrent plus difficilement un changement
préjudiciable du milieu que des populations d'effectifs stables (Frankham et al., 1999).
2.1.3.3. Conséquences en conservation
La perte de variabilité génétique des petites populations suite à la dérive constitue un
frein au potentiel adaptatif d'un taxon; la réponse à la sélection naturelle est limitée dans une
petite population (Franklin, 1980). Tant qu'aucun changement environnemental n'a lieu
( climat, pathogènes, ressources alimentaires disponibles etc ... ), la perte de variabilité
génétique peut ne pas être préjudiciable. Ainsi, les populations d'éléphant de mer (Mirounga
angustrirostris) ne montrent pas de signe de faible viabilité, alors qu'elles auraient subi un
fort goulot d'étranglement et auraient perdu une grande partie de leur variabilité génétique
( e.g. Franklin, 1980). Cependant, leur capacité à répondre à la sélection, suite à un
changement environnemental, est inconnue (Franklin, 1980). On s'attend à ce que la
probabilité d'extinction d'une population, dont la variabilité génétique est insuffisante pour
montrer une plasticité phénotypique ou pour que la sélection puisse s'exercer, soit forte lors
d'un changement environnemental délétère (Allendorf et Leary, 1986). Les nombres de 500
ou 5000 individus proposés par Lande (1975), Franklin (1980), Hedrick et Miller (1992) et
Lande (1995), pour permettre à une population de surmonter un tel changement de son
environnement, correspondent à une taille efficace. La taille réelle nécessaire est bien
supérieure, puisque toute population réelle comprend un biais du sex-ratio, une variance dans
la taille des familles ou des fluctuations des effectifs au cours du temps. De nombreuses
populations sauvages ou captives ne comportent pas de tels effectifs. La perte de variabilité
peut être compensée par les mutations si on permet aux populations de croître, mais ceci est
un processus lent.
2.2. IMPACT DE LA CONSANGUINITE
2.2.1. DONNEES EXPERIMENTALES
Introduction
Darwin ( 1868) a été le premier à observer la diminution de fertilité ou de viabilité d'individus, issus de croisements entre apparentés, par rapport à la fertilité ou la viabilité
d'individus, issus de croisements au hasard : ce phénomène est nommé dépression de consanguinité. La dépression de consanguinité à une grande importance en biologie évolutive, à la fois dans l'évolution de l'auto ou de l'allofécondation et dans la dispersion des organismes
(Koenig et Pitelka, 1979 ; Charlesworth et Charlesworth, 1987 ; Cheptou et Mathias, 2001 ). Différentes expériences, sur des plantes ou des animaux à faible temps de générations
et facilement manipulables, tels la drosophile ou la souris (Mus musculus), ont été menées.
Sur les grands mammifères, l'évidence de la dépression de consanguinité repose
essentiellement sur l'analyse de données de populations
«
naturelles»
.
La dépression de consanguinité affecte la fécondité et la viabilité des individus. Ainsi,
sur des papillons, Van Oosterhout et al. (2000) ont mesuré des traits liés à la fitness des
individus : plusieurs variables (la proportion d'œufs stériles, la survie des œufs, la survie
juvénile et la longévité mâle et femelle) montrent une forte diminution suite à la
l'augmentation de la consanguinité dans la population.
En conséquence, le taux de survie des populations est également affecté par la
consanguinité. Frankham (1995b) a repris différentes données sur des croisements
expérimentaux chez la drosophile (Drosophila melanogaster et D. virilis) et la souris : à partir de ces études, il met en évidence une augmentation élevée et significative du taux d'extinction
des populations suite aux croisements consanguins chez ces trois espèces (Soulé, 1980).
Introduction
2.2.2. BASES GENETIQUES DE LA DEPRESSION
Deux hypothèses principales sont avancées pour expliquer la perte de fitness des
individus issus du croisement entre apparentés : la super-dominance et la dominance partielle des allèles (Wright, 1977).
Sous l'hypothèse de super-dominance, les individus hétérozygotes pour un locus
« Aa » ont une fitness supérieure aux deux types d'homozygotes :
fitness (Aa)
>
fitness (AA)>
fitness (aa). Dans ce système, les deux allèles peuvent êtremaintenus à une fréquence élevée dans la population.
L'hypothèse de la dominance partielle pose l'existence de deux allèles A et a, avec les
fitness suivantes: w=l pour l'homozygote « AA », w=l-hs pour l'hétérozygote
«
Aa », etw=l-s pour l'homozygote« aa ». h représente la dominance de l'allèle a et s son coefficient de sélection (s compris entre O et 1 et h compris entre O et 0,5). En raison de leur dominance
partielle, ces allèles sont peu contre-sélectionnés à l'état hétérozygote et l'allèle « a» est maintenu, par l'équilibre entre sélection et mutation, à une fréquence faible dans une grande
population.
Sous les deux processus, la consanguinité, qui a pour conséquence l'augmentation de
la fréquence des génotypes homozygotes
«
aa », se traduit par une diminution de la fitness. Selon Charlesworth et Charlesworth (1987), la dominance partielle est le phénomèneprincipalement responsable de la dépression de consanguinité. La dépression est due à
différents types d'allèles, certains légèrement délétères et d'autres quasi-létaux (Crow 1993).
Dudash et Carr (1998) puis Willis (1999) ont montré, sur les espèces de plantes Mimulus
micranthus et M gu.ttatus, que des allèles délétères récessifs étaient majoritairement
responsables de la dépression. Chez la drosophile, le déclin de la fitness est également
essentiellement dû à des allèles faiblement délétères (Latter, 1998). Ces résultats suggèrent
que la dépression de consanguinité a des bases communes entre des taxons très divergents.
Introduction
Selon des études menées sur la drosophile, les valeurs de la dominance sont h=0,02 en moyenne pour des allèles létaux, et h=0,20-0,35 pour des allèles faiblement délétères dont
s=0,02 (Mukai, 1964; Mukai et al., 1972; Crow, 1993). Le taux de mutation génomique serait compris entre 0, 1 et 1.
2.2.3. CONSEQUENCES EN CONSERVATION
2.2.3 .1. Données sur des populations de parcs zoologiques
Les populations de parcs zoologiques sont souvent caractérisées par de faibles
effectifs. La dépression de consanguinité est donc susceptible d'avoir un impact très important sur la viabilité de ces populations.
Les premières analyses ont été entreprises par Ralls et al. (1979) qui ont noté une
augmentation de la mortalité juvénile chez des animaux consanguins de différentes populations d'ongulés. Plus tard, Ralls et al. (1988) ont étendu leur étude à de nombreux taxons (marsupiaux, primates, insectivores, périssodactyles, artiodactyles, rongeurs,
carnivores), et si le coût de la dépression varie beaucoup selon les espèces, elle a globalement
un impact très négatif sur la survie juvénile : en moyenne, la mortalité juvénile augmente de 33% lors de croisements frère-sœur, par rapport à des individus non consanguins. Une autre étude menée par Roldan et al. (1998) a montré une diminution de la qualité de l'éjaculât chez la gazelle de Cuvier (Gazella cuvieri) avec l'augmentation du coefficient de consanguinité des mâles.
2.2.3.2. Données sur des populations sauvages
Mettre en évidence l'existence de la dépression de consanguinité dans des populations
sauvages a longtemps été difficile d'une part en l'absence de pedigree, donc d'une estimation précise du taux de consanguinité, et d'autre part en raison de la difficulté à mesurer les
Introduction
paramètres de la fitness en milieu naturel. Avec l'apparition des marqueurs microsatellites,
supposés neutres, très polymorphes, et largement répartis dans le génome (Goldstein et
Schlotterer, 1999), il est devenu récemment possible d'estimer la consanguinité au sein des
petites populations en mesurant l'hétérozygotie individuelle ou la différence moyenne de
longueur de bases (mean d2) entre les couples d'allèles d'un individu (Coltman et al., 1998;
Pemberton et al., 1999).
Une première analyse de l'impact de la dépression de consanguinité dans les
populations en milieu naturel a été effectuée par Frank.barn (1998). Il y compare le niveau de
consanguinité entre des populations insulaires et continentales d'un même taxon, à partir de
données d'hétérozygotie sur des allozymes ou des microsatellites. Les populations insulaires
et les populations endémiques sont significativement plus consanguines que les populations
non-endémiques. Frank.barn y voit une possible explication du plus fort taux d'extinction
observé dans les populations insulaires par rapport aux populations continentales.
Par la suite, une étude menée par Eldridge et al. (1999) sur une population insulaire et
une population continentale de wallaby à pieds noirs (Petrogale lateralis) a montré un taux
extrêmement bas de variabilité génétique au sein de la population insulaire. Cette forte
diminution de variabilité génétique est associée à une plus faible fécondité femelle, un sex -ratio déséquilibré et une augmentation de l'asymétrie fluctuante (asymétrie des traits
morphologiques d'un individu) qui reflète l'instabilité du développement individuel.
De même, dans une métapopulation de papillons (Melitaea cinxia), Saccheri et al.
(1998) ont mis en évidence une corrélation positive entre le risque d'extinction locale d'une
sous-population et son faible taux d'hétérozygotie. La taille des groupes de larves émergeant
après la diapause est positivement corrélée à l'hétérozygotie maternelle, la durée de vie des femelles est négativement corrélée avec l'homozygotie.
Introduction
Récemment, Slate et al. (2000) ont montré que l'hétérozygotie, mesurée sur neuf marqueurs microsatellites, était positivement corrélée au succès reproducteur (lifetime breeding success) femelle et plus particulièrement mâle, dans une population de cerfs élaphes (Cervus elaphus).
En conclusion, la dépression de consanguinité représente une menace pour la survie des petites populations, qu'elles soient captives ou sauvages. Les effets négatifs de la dépression de consanguinité peuvent cependant être annulés lors d'introduction d'individus non-apparentés ( encore faut-il que de tels individus existent). Dans des populations sauvages (Weistemeier et al., 1998; Madsen et al., 1999) et lors d'expérimentations (Bryant et al., 1999), l'introduction d'animaux non apparentés a ainsi augmenté significativement la
viabilité des descendants et réduit le risque d'extinction de la population.
2.3. IMPACT DE LA DEPRESSION D'EXOGAMIE
Si le croisement entre individus apparentés a pour conséquence une diminution de la
fitness des descendants ( dépression de consanguinité), le croisement entre individus de lignées évolutives éloignées, même au sein de la même espèce, peut aboutir soit à une augmentation soit à une baisse de la fitness des descendants. Le terme anglais pour désigner ce dernier phénomène est "outbreeding depression" ou "hybrid breakdown", nous l'appellerons dépression d'exogamie.
2.3 .1. DONNEES EXPERIMENTALES
Pour estimer l'effet de la dépression d'exogamie, Edmands (1999) a mesuré trois traits
liés à la fitness sur des hybrides de différentes populations, plus ou moins éloignées, d'une espèce de copépode. Les valeurs des traits des hybrides de première génération FI étaient
Introduction
similaires ou supérieures à la moyenne des parents, alors que celles des hybrides de deuxième génération F2 étaient inférieures à la moyenne des parents. Edmands explique la vigueur des FI par la dominance et le masquage d'allèles délétères récessifs et la faible vigueur des F2 par la recombinaison et la ségrégation des génotypes parentaux. Lors d'une étude sur une légumineuse annuelle rencontrée dans des habitats perturbés, Fenster et Galloway (2000) ont trouvé des résultats similaires, avec une plus grande vigueur chez les FI et une vigueur plus faible, mais cependant généralement supérieure à la moyenne des parents, chez les F3. Selon les traits d'histoire de vie des organismes (Fenster et Galloway, 2000), on s'attend à ce que la dépression d'exogamie s'exprime avec une intensité différente.
2.3.2. BASES THEORJQUES
La dépression d'exogamie peut être due 1) à la rupture des adaptations locales (interaction génotype x environnement) (Templeton, 1986), puisqu'une espèce a généralement une aire de répartition qui comprend une grande diversité de caractéristiques environnementales. La sélection va entraîner une adaptation d'une population à ses conditions particulières du milieu, et cela d'autant plus que la dispersion sera limitée (Barton et Whitlock, 1997). 2) La deuxième hypothèse est l'existence d'interactions épi statiques 4 entre les allèles ou coadaptation intrinsèque (Fenster et Dudash, 1994) (interaction génotype x génotype). La coadaptation est plus particulièrement susceptible de se produire dans une population consanguine ou chez des organismes dont les génomes subissent peu de recombinaisons (Schierup et Christiansen, 1995).
4
épistasie : interaction d'une forme allélique d'un gène sur l'expression d'un gène non homologue.
Introduction
2. 3. 3. CONSEQUENCES EN CONSERVATION DE LA FAUNE
La dépression d'exogamie peut avoir pour conséquence une réduction de la fitness lors du mélange de deux populations. Comme souligné par Edmands (1999), le résultat le plus intéressant est la différence de fitness entre les Fl et les F2 : la vigueur des hybrides Fl ne prédit pas celle des F2. Ce résultat expérimental a été prédit dans un modèle théorique simple par Lynch (1991). Il est attendu lorsque la dépression d'exogamie est due à la rupture de la coaptation intrinsèque lors de la recombinaison chromosomique dans les gamètes des F1.
La durée de la dépression d'exogamie, au cours des générations, est difficile à estimer. Si la dépression est due à un grand nombre de loci à faible effet, la compensation de la dépression sera lente, mais on s'attend à ce que la sélection rétablisse à long terme des génotypes efficaces. L'intensité de la dépression d'exogamie est susceptible de varier avec les conditions environnementales. Des études, revues par Lynch et Walsh (1997), montrent que la dépression d'exogamie a tendance à être amplifiée lors d'un stress environnemental.
De plus amples études doivent être menées, notamment pour comprendre quelles sont les bases génétiques de la dépression d'exogamie, estimer sur combien de générations elle est susceptible de s'exercer et dans quelles conditions. En tout cas, il est indispensable de la prendre en considération dans tout programme de reproduction, translocation ou réintroduction. Ceci signifie qu'avant de décider des accouplements entre individus, il est important de contrôler leurs origines et d'identifier à quelles unités de gestion ils appartiennent.
3. LES CRITERES DE DEFIMTION DES UNITES DE GESTION
L'objectif de la conservation est de préserver des unités qui représentent la plus grande diversité, spécifique et intra-spécifique du vivant (Soulé, 1980). Or, en raison de contraintes
Introduction
sur l'espace, le temps et les moyens disponibles, les efforts de conservation doivent être
organisés, les priorités hiérarchisées car ni tous les écosystèmes ni toutes les unités
taxinomiques ne peuvent espérer être sauvegardés (Barrowclough et Flesness, 1996; Myers et
al., 2000). La mise en place pratique des plans de conservation efficaces nécessite donc en
premier lieu un choix raisonné des unités de gestion: au sein d'une espèce, peut-on préserver
la variété des sous-espèces ou des populations, qui représenteront alors chacune une unité de
gestion, ou non? Peut-on même préserver l'ensemble des espèces d'une lignée évolutive? Le
choix des unités de gestion au niveau des taxons (nous n'aborderons pas dans la thèse la
gestion des écosystèmes) est guidé par l'objectif de garantir leur viabilité à long terme, mais
aussi de préserver leur héritage génétique et leur potentiel évolutif (Soulé, 1980 ; Moritz, 1994 ; Graves, 1995), ceci dans un cadre contraint par la place, le temps et les moyens
disponibles, comme dans le cas des sous-espèces de tigres (Maguire et Lacy, 1990).
A cette fin, Templeton (1986) a introduit le concept d'unité évolutive en biologie de la
conservation. Il souligna le fait que l'espèce est un concept dynamique, dans le temps et
l'espace et que la question du choix des unités de conservation (populations, sous-espèces ou
espèces) doit être posée à la lumière de la théorie de l'évolution. Ceci signifie qu'il faut définir des critères objectifs, mesurables, basés sur le potentiel adaptatif des populations, sur
lesquels reposerait la définition des unités de gestion. Dans ce cadre conceptuel, différents
auteurs (Templeton, 1986; Ryder et al., 1988; Lacy, 1988; Waples, 1991 ; Wayne, 1992;
Moritz, 1994; Graves, 1995; Soltis et Gitzandanner, 1999; Goldstein et al., 2000; Crandall et
al., 2000) se sont interrogés sur le choix de l'unité de gestion à prendre en compte en vue d'opérations de conservation.
Introduction
Définition des « Evolutionary significant units », unités évolutivement significatives : En 1986, Ryder introduit le concept « d'ESU » : Evolutionary Significant Unit, ou unités évolutivement significatives. Selon cet auteur, une « ESU » est une unité qui mérite une gestion séparée, car elle représente un ensemble d'individus qui possède une variation adaptative significativement différente des autres groupes du même taxon. L'identification d'une « ESU » est basée sur l'acquisition d'une divergence génétique au niveau de la fréquence des allèles nucléaires, sur la monophylie5 de la lignée ]'ADN mitochondrial, et sur sa cohérence écologique, morphologique et comportementale (Lacy, 1988). Cette définition correspond souvent, mais non exclusivement, à la sous-espèce (Ryder et al., 1988). Ce concept
«
d'ESU » se rapproche du concept d'espèce phylogénétique de Cracraft (1989). Waples (1991) a repris le concept « d'ESU » en soulignant l'importance de l'isolement reproductif et des adaptations particulières pour leur identification.La définition des unités de gestion évolua avec Moritz (1994), qui apporta un complément à la notion« d'ESU
»
qu'il considère trop restrictive. Selon Moritz (1994), le fait d'insister sur la monophylie de la lignée mitochondriale conduit à se focaliser sur des unités qui ont divergé historiquement et qui ne reflètent pas une adaptation récente. Moritz propose donc une unité de gestion qui reflète la structure actuelle des populations qu'il nome« MU», Management Unit ou unité de gestion. Par« MU», Moritz conçut une unité de gestion à plus court terme, basée sur la structure génétique des dèmes : une unité doit présenter une divergence significative des fréquences alléliques, au niveau mitochondrial et nucléaire, par rapport aux autres groupes, mais sans nécessairement être caractérisée par la monophylie de la lignée mitochondriale. A l'époque, Moritz (1994) soulignait la difficulté de mettre ces concepts en pratique et la nécessité d'études approfondies, sachant que le choix du « significativement différent sur le plan génétique» est arbitraire et que ce qui est nommé « potentiel évolutif» est une notion vague et non mesurable.Introduction
Récemment, Crandall et al. (2000) ont également souligné plusieurs problèmes
conceptuels liés aux différentes approches du terme
«
ESU » : i) l'isolement reproductif nedoit pas être un critère nécessaire à la définition d'unités de gestion, car des flux de gènes
importants peuvent être détectés entre des populations qui présentent cependant des différences fonctionnelles substantielles. ii) L'utilisation des marqueurs moléculaires ne doit pas être exclusive, comme tend à le prôner Moritz (1994), au dépens des autres données
(écologiques, morphologiques, comportementales). Si l'existence de flux de gènes importants peut d'une part masquer la présence d'une divergence adaptative, la réciproque est également vraie : des populations désignées divergentes par les marqueurs moléculaires peuvent être
fonctionnellement identiques. iii) Enfin, selon cette classification dichotomique, les populations sont définies selon deux catégories,
«
ESU » ou«
non ESU », alors qu'elle constitue un point d'une distribution plus ou moins continue de la diversité génétique, deshabitats et des pressions sélectives. Dans ce cadre, Crandall et al. (2000) ont proposé des critères basés sur
«
l'exchangeability », c'est-à-dire sur la possibilité d'échanger oud'intervertir des populations, à la fois sur le plan génétique et écologique. Le rejet de
« I'
exchangeability»
génétique est réalisé quand les flux de gènes sont faibles, ou qu'unedivergence phylogénétique est notée. Il est établi sur la base de l'analyse de données issues de
l'étude de différents marqueurs génétiques. La variété des marqueurs actuellement disponibles
(microsatellites, séquences de l'ADN nucléaire et mitochondrial etc ... ), qui possèdent des
taux de mutation différents, permet en outre l'apport d'informations à différentes échelles de
temps.
«
L'exchangeability»
écologique est rejetée quand l'évidence est apportée que deuxpopulations n'utilisent pas exactement la même niche écologique, n'ont pas les mêmes traits
d'histoire de vie, ni les mêmes caractères morphologiques et démographiques. Ces différences
doivent être héritables, c'est-à-dire être un produit de la sélection et non de la plasticité
phénotypique. Placer une population dans la catégorie
«
d 'ESU » doit être donc proposé sur laEncadré 2 : Intérêts de la captivité en biologie de la conservation
Le bison d'Europe (Bison bonasus), le cheval de Prjewalski (Equus przewalski), le cerf du Père David (Elaphurus davidianus), le condor de Californie (Gymnogyps californianus), le furet à pieds noirs (Mustela nigripes), l'oryx d'Arabie (Oryx leucoryx) ... , toutes ces espèces qui ont ou avaient disparues en milieu naturel, ont été sauvés de l'extinction par l'élevage en parc zoologique (Conway, 1980; Seal, 1991).
Pour de nombreuses espèces, soumises à des pressions anthropiques croissantes,
l'avenir en milieu naturel est très compromis à court terme : l'élevage en captivité semble indispensable pour le renforcement des programmes de conservation in situ,
voire représente la seule chance de salut pour certains taxons (Graves, 1995). L'UICN a reconnu le rôle que les zoos peuvent jouer dans la préservation de certains taxons et recommande que des taxons, dont les populations en milieu naturel comprennent moins de 1000 individus, fassent l'objet d'élevages en captivité (Seal, 1991).
L'objectif ultime de l'élevage en captivité n'est pas la mise sous cloche d'une espèce, sa conservation prolongée en captivité sans qu'elle puisse être en interaction avec son écosystème, mais de se réserver la possibilité le cas échéant de recréer des populations naturelles viables par réintroduction ou renforcement de la population naturelle si l'écosystème le permet (Ebenhard, 1995). Les avantages de l'élevage en captivité sont : • de soustraire le taxon aux menaces anthropiques humaines directes ;
• de le soustraire à des processus écologiques ( compétition interspécifique, l'effet Allee,
variabilité et des catastrophes environnementales) susceptibles d'entrer en synergie avec les causes anthropiques ;
• de maximiser la taille efficace des populations (Conway, 1980) ;
Introduction
base d'analyses statistiques appropriées, réalisées sur un échantillonnage réfléchi, afin d'éviter dans la mesure du possible l'obtention de faux positifs ou de faux négatifs aux différents critères. Pour Crandall et al. (2000), une
«
ESU»
est désignée lorsque«
l' exchangeability»
écologique est rejetée. Les données écologiques sont complétées par lesdonnées génétiques qui apportent des informations indispensables sur les flux de gènes passés et présents entre populations, et qui guident les efforts de préservation des migrations entre populations afin de maintenir leur potentiel adaptatif (critère
«
d'exchangeability »génétique).
L'approche écologique et génétique de Crandall et al. (2000) rejoint la conception de Groves (1995) qui a insisté sur le fait qu'il est essentiel de comprendre la biologie des populations pour définir les unités de gestion, notamment en parcs zoologiques où l'homme choisit les croisements à effectuer entre individus, populations, sous-espèces. Dans ce cadre, Groves (1995) rappelait que, ce que l'on cherche à préserver, ce sont des pools de gènes distincts, chacun avec leurs propres dynamiques évolutives.
Cependant, comme Soulé (1980) l'a souligné, faire le choix de préserver des unités évolutives séparées n'est pas dans tous les cas l'option qui garantira la viabilité à long terme de l'unité de gestion. En effet, l'analyse des différents processus génétiques qui sont susceptibles de mettre en danger la survie des populations à long terme ( dépression de consanguinité, fixation d'allèles délétères, perte du potentiel évolutif et dépression d'exogamie) montre qu'il existe un« trade-off
»
(Soulé, 1980), ou compromis, entre:i) définir des unités de gestion, qui préservent les adaptations locales et les coadaptations, qui se focalisent a priori sur de petites unités, qui seront en contre partie soumises à divers facteurs aléatoires ( démographiques,
Encadré 3 : Limites de la captivité en biologie de la conservation
En contre partie des intérêts de l'élevage en captivité, de nombreuses limites au succès de l'élevage en captivité existent, elles sont dues :
• au manque de connaissance sur la biologie de certaines espèces, résultant en un mode d'élevage inadapté (alimentation, habitat, taille et structure des populations ... ) (Snyder et al., 1996) ;
• à
l'impossibilité biologique d'élever certains taxons en captivité (exemple des cétacés, des oiseux marins) ;• aux contraintes environnementales, différentes du milieu naturel, provoquant la sélection vers la domestication (Snyder et al., 1996). Sur ce point, les modifications du comportement, particulièrement chez les espèces de primates ou carnivores chez lesquelles l'apprentissage est primordial, sont beaucoup plus rapides que la sélection génétique (Franklin, 1980), surtout dans les programmes maximisant la taille efficace (Conway, 1980) ;
• aux risques d'épidémies, surtout lors de mouvements d'animaux importants lors de contact entre divers taxons (Snyder et al., 1996). Le risque d'extinction d'un taxon suite à une épidémie est cependant minimisé par l'existence de plusieurs sous-populations, présentes dans divers parcs zoologiques ;
• à
la dérive génétique età
la dépression de consanguinité dues d'une partà
l'effet fondateur et aux contraintes sur les flux de gènes, et d'autre part au manque de place et de moyens, qui résultent en une capacité de charge limitée. Ceci a pour conséquence l'existence d'un trade-off, ou compromis, entre les effectifs pour chaque taxon versus le nombre de taxons en captivité (Snyder et al., 1996 ; Maguire et Lacy, 1990) ;~ ceci nécessite donc d'optimiser de façon rationnelle l'utilisation de l'espace et des moyens financiers, qui sont les facteurs limitant, et d'améliorer la connaissance sur la biologie des espèces.
Introduction
environnementaux et génétiques), susceptibles de mener au déclin des
populations;
ii) considérer de grandes unités globales, afin d'augmenter la taille des
populations, et donc de réduire l'impact de ces facteurs, mais au risque de
perdre les adaptations locales et les coadaptations et de fusionner des lignées
évolutives potentiellement divergentes (Graves, 1995).
5
: monophylie: s'applique à un groupe d'organismes qui ont le même ancêtre commun et qui inclut tous les descendants de cet ancêtre.
4. OBJECTIFS
Sur la base conceptuelle de la définition des
«
ESU» et
du«
trade-off»
entre viabilitéglobale/adaptations particulières, comment, pour un taxon menacé, les outils de la biologie
moléculaire et de l'écologie peuvent-ils nous permettre de répondre aux questions relatives :
i) à la taille et la structure démographique des unités? ; ii) au choix des unités de gestion à
prendre en compte pour sauvegarder le taxon ( espèce, sous-espèces, populations locales ... ) ?
Des éléments de réponses concrets doivent être déduits des études menées et ensuite pouvoir
être proposés aux gestionnaires.
Pour aborder la question de la taille minimale d'une population qui puisse garantir sa
viabilité, au moins à court terme, nous avons travaillé sur l'impact de la dépression de
consanguinité sur la probabilité de survie d'une population en interaction avec les paramètres
démographiques (taille initiale, capacité de charge, fécondité et goulot d'étranglement,
simulant une. catastrophe environnementale ou un phénomène de mise en
captivité-réintroduction). Ceci a été réalisé à partir d'un modèle théorique explicite et réaliste, et est
présenté dans la 1 ere partie du manuscrit.
Introduction
Pour apporter des éléments supplémentaires qui puissent aider à choisir une unité de
gestion et à établir la structure démographique de sa population, nous avons caractérisé
génétiquement des populations de deux taxons menacés, le cerf sika du Vietnam (Cervus
nippon pseudaxis) et le cerf d'Eld
(C.
eldi). La caractérisation génétique des populations, àl'aide de marqueurs moléculaires, est en effet incontournable, même s'il elle n'est pas
suffisante (Crandall et al., 2000), à la définition des unités de gestion. L'étude des relations
phylogénétiques entre taxons et de la dynamique des populations bénéficie des récents
progrès en biologie moléculaire et en statistiques (Goldstein et Schlotterer, 1999 ; Luikart et
England, 1999), et ceux-ci nous ont permis d'aborder les points suivants : 1) évaluer le niveau
et la structure de la diversité génétique des populations de taxons menacés élevées en captivité
(exemple du
C.
n. pseudaxis); 2) estimer la validité taxinomique des différentes sous-espècesétudiées (exemples de C. n. pseudaxis et C. eldi). Ce travail fait l'objet de la deuxième partie
du manuscrit.
A partir de l'ensemble des données biologiques disponibles sur le cerf sika du
Vietnam et le cerf d 'Eld, nous discuterons du choix d'unités de gestion cohérentes pour ces
taxons, et nous étendrons ensuite la discussion à un cadre plus général.
Interaction entre dépression de consanguinité et paramètres démographiques
lerePARTIE
INTERACTION ENTRE LA DEPRESSION DE CONSANGUINITE ET LES PARAMETRES DEMOGRAPHIQUES
1. INTRODUCTION
Nous avons vu en introduction générale que la dépression de consanguinité réduit la
fitness moyenne des petites populations et est susceptible de les mener
à
leur extinction. Dansle cadre de la biologie de la conservation, il est important d'estimer:
i) quelles sont les interactions entre dépression de consanguinité et paramètres
démographiques : taille initiale (nO), capacité de charge (K), fécondité (R),
goulot d'étranglement.
ii) à partir de quel nombre d'individus fondateurs et à partir de quelle capacité de
charge la dépression de consanguinité n'est plus susceptible de provoquer
l'extinction des populations.
Bryant et al. (1999) et Reed et Bryant (2000) ont réalisé plusieurs expérimentations
sur la mouche domestique (Musca domestica) pour estimer l'évolution de plusieurs traits liés
à
la fitness (viabilité larvaire, nombre d'œufs), en relation avec la taille initiale et la capacitéde charge des populations. Leurs résultats montrent : 1) un fort effet de la capacité de charge
sur la viabilité des larves et la survie des populations, 2) une diminution de la survie des
populations, et en moindre intensité de la viabilité larvaire, lorsque le nombre de fondateurs
est réduit ; 3) une diminution de la probabilité de survie lors de multiples goulots
d'étranglement, associée à une diminution de la viabilité larvaire, diminution