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Thétis ou la mère abusive *

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Academic year: 2022

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Texte intégral

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Thétis ou la mère abusive *

APPORT MYTHOLOGIQUE :

GaHl -La Terre est l'élément primordial. La grande fécondatrice d'où sortirent les races divines.

Thétis son arrière-petite-fille est quasiment son opposée: c'est la mère sèche, celle qui ne peut donner naissance qu'à des mortels, dont le destin, même celui d'Achille et de sa descendance, sera tragique.

Thétis arrière-petite-fille de Gaïa, la divinité primordiale, bénéficie de surcroît de l'affection de l'épouse de Zeus, le roi des Dieux.

Amie d'Héra, Thétis va refuser les avances de Zeus.

Cet épisode est interprété de façon différente par les auteurs.

Zeus avait en effet voulu conquérir Thétis mais l'oracle de Thétis «révé- la que le fils qui naîtrait de Thétis serait plus puissant que son père ...

Prométhée aurait précisé que le fils appelé à naître des amours de Zeus et de Thétis deviendrait un jour maître du ciel... Rendue inaccessible aux Divinités, Thétis ne pouvait qu'épouser un homme» [(1) p. 456 ... ].**

Pélée se présenta, roi de Phthie en Thessalie, héros légendaire.

Veuf, à la suite du suicide de sa jeune épouse, il fut sauvé par le bon centaure Chiron qui lui conseilla d'épouser Thétis. Les Dieux ordonnèrent ce mariage; Thétis commença par refuser. Comme déesse marine, elle pos- sédait le don de changer de forme. Elle se transforma successivement en feu, en eau, en vent, en arbre, en tigre, en lion, en serpent, en sèche. Sur les conseils de Chiron, Pélée ne la lâcha pas : elle redevint déesse et femme ... La noce eut lieu sur le mont Pélion. Les Dieux y assistèrent, les Muses chantèrent l'épithalame et chacun apporta un cadeau aux nouveaux époux» [(1) p. 353].

• Communication prononcée durant le séminaire du 1611V91.

•• Cette numérotation renvoie à la bibliographie en fin d'article.

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Ce mariage forcé ne fut pas heureux.

Thétis n'acceptait pas le destin qui lui avait été imposé, c'est-à-dire celui de ne mettre au monde que des êtres mortels.

Elle va s'ingénier à rendre immortels les enfants qu'elle a de Pélée.

Pour cela, elle les plongeait dans le feu, "afin d'éliminer de leur être les éléments mortels apportés par Pélée" [(1) p 5]. Ainsi périrent successive- ment ses six premiers enfants.

Père distrait, Pélée ne semblait pas s'apercevoir de la disparition de sa progéniture. La septième fois cependant, il se mit à l'affût .. il arriva à temps pour sauver Achille, qui allait être soumis à la même épreuve ... La tradition générale au sujet de la naissance du héros est celle que nous a transmise Apollodore. Quand Thétis eut enfanté le fils de Pélée; elle voulut le rendre immortel. Pour détruire en lui les éléments de mortalité qu'il devait à son père, elle le cachait dans le feu pendant la nuit, à l'insu de Pélée, au lever du jour, elle parfumait son corps d'ambroisie. La déesse ne put tenir longtemps son secret caché. Son époux l'observe et, un soir, à la vue de l'enfant placé au-dessus de la flamme du foyer, il pousse un cri de terreur. Thétis, n'ayant pu achever l'accomplissement de son dessein, abandonna son mari et son fils~ pour se retirer chez les Néréides» [(2) p.

560-561].

Pélée embarrassé par l'éducation de l'enfant le confie au sage centaure Chiron.

Toujours dans son désir de changer l'enfant, Thétis avait voulu aupara- vant le rendre invincible «Achille fut baigné par sa mère dans l'eau du Styx, le fleuve infernal. Cette eau avait le pouvoir de rendre invulnérable tout être qui y était trempé. Toutefois, le talon par lequel Thétis tenait l'enfant ne fut pas touché par l'eau magique et resta vulnérable» [(1) p. 61

Thétis, de sa lointaine demeure marine, continue à veiller sur Achille qui vient quelquefois la visiter.

«Il était âgé de neuf ans quand Calchas prédit que Troie ne pourrait être prise sans lui. Sa mère, prévoyant qu'il périrait dans l'expédition, essaye de le dérober au sort qui l'attend. EUe le cache sous des vêtements de femme et le présente ainsi travesti à Lycomède, roi de Scyros, qui l'admet dans son palais et l'y élève avec ses propres filles. On disait que plus tard l'une d'eUe, Deidamia, s'était unie à lui et avait donné le jour à un fils: Pyrrhos ou Néoptolemos» [(2) p 562].

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On connaît la suite de l'histoire, les Grecs découvrirent la retraite d'Achille, Ulysse use de ruse pour que le jeune se découvre comme un vaillant guerrier.

«Une fois reconnu, il promet aux Grecs son concours et part avec eux»

[(2) p. 562].

THETIS dut se résigner à la vocation guerrière de son fils, non sans l'avoir prévenu de son cruel destin: «S'il va à Troie, il aura une renommée éclatante, mais sa vie sera brève. S'il reste, au contraire, il vivra long- temps, mais sa vie sera sans gloire. Sans hésiter, Achille choisit la vie brève et glorieuse» [(1) p. 6],

Thétis, pour protéger au maximum son fils, lui donna l'armure divine offerte autrefois par Héphaistos à Pélée, ainsi que les chevaux offerts par Poséidon comme cadeau de noce. «De plus, et pour tenter une dernière fois de détourner le destin, elle plaça près de son fils une esclave dont la seule fonction était de l'empêcher, par ses conseils, de tuer un fils d'Apollon. Car un oracle voulait qu'Achille dût périr de mort violente s'il tuait lui-même un fils d'Apollon, qui n'était pas autrement désigné» [(1) p. 6].

Ce fils d'Apollon était Ténès qu'Achille tua cependant et auquel il fit ensuite des funérailles magnifiques après avoir sacrifié l'esclave qui aurait dû le prévenir à temps.

Thétis intervint plus tard pour ménager une entrevue entre Hélène et Achille qui ne se connaissaient pas.

Achille, lors de sa brouille avec Agamemnon au sujet de la possession de la jeune et belle Briséis invoqua Thétis. Celle-ci lui conseilla «de laisser les Troyens attaquer et venir jusqu'aux vaisseaux, afin de rendre sa pré- sence indispensable, puisque lui seul, elle le sait bien, inspire une terreur suffisante à l'ennemi pour l'empêcher d'attaquer efficacement les Grecs.

Thétis, remontant au ciel, va trouver Zeus et lui demande d'accorder aux Troyens la victoire, tant qu'Achille se tiendra loin de la mêlée. Zeus y consent et pendant plusieurs jours, c'est une succession de défaites pour les Grecs» [(1) p. 7J.

Mais Patrocle, son ami fidèle, est tué par Hector alors qu'il portait l'armure que lui avait prêtée Achille.

Les hurlements de désespoir d'Achille font accourir Thétis. Elle lui pro- met une nouvelle armure. Elle tente de le détourner de tuer Hector car lui- même doit périr ensuite.

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Après avoir tué Hector, Achille refuse de rendre son corps à son père Priam et il traîne le cadavre derrière son char, lui faisant faire le tour de Troie. Après douze jours, Thétis est chargée par Zeus de faire savoir au héros l'indignation des Dieux face à son irrespect pour les morts.

Achille consent alors à rendre le cadavre à Priam contre une énorme rançon.

Une fois Achille mort, tué par une flèche de Pâris qui, guidée par Apollon atteignit son talon, ses funérailles furent célébrées par Thétis accompagnées des Muses. Ensuite elle emmena son corps jusqu'à l'embou- chure du Danube, dans l'île Blanche.

«Plus tard, une fois Achille disparu, Thétis s'intéresse également à Néoptolème qui est son petit-fils. Elle lui conseille de ne pas revenir avec les autres Achéens et d'attendre quelques jours à Ténédos. Elle lui sauva ainsi la vie» [(1) p. 456].

APPORT PSYCHOLOGIQUE:

Comment expliquer l'attitude de Thétis au niveau psychologique?

On note deux positions nettement tranchées et qui peuvent paraître contradictoires :

- dans un premier temps Thétis n'accepte pas la nature humaine de ses enfants.

Elle se livre sur eux à des manipulations dangereuses qui vont les conduire par six fois à la mort.

Thétis est une récidiviste dans le domaine de l'infanticide : il faut que ses enfants deviennent ce qu'elle désire ou bien qu'ils périssent.

Elle n'accepte pas ce qu'ils sont et est l'image même de la mère mons- trueuse.

De ses sept enfants, un seul va en réchapper: Achille qui est sauvé par son père, qui se décide enfin à être vigilant à l'égard de sa progéniture.

Thétis est bien dans un premier temps une mère mortifère.

Empêchée par son mari, ne pouvant transformer l'enfant en divinité,

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comme elle le désirait, Thétis préfère abandonner le mari et l'enfant et rentre dans sa famille. Elle devient ainsi une mère abandonnique.

Issu d'une mère mortifère et rejetante, Achille aurait dû devenir un enfant psychotique, ou du moins présenter des perturbations mentales importantes. C'est ce que la clinique nous apprend lorsque l'on examine les biographies familiales et les problèmes présentés par nos jeunes patients dans leur petite enfance.

On retrouve des carences maternelles graves, des souhaits inconscients ou conscients de mort à l'égard de l'enfant, des sévices variés.

Face à ces mères mortifères, le rôle du père est très limité. 11 est sou- vent partiellement responsable des perturbations de la mère et aggrave sa pathologie par des attitudes inadaptées; ou se désintéresse de son foyer et de ses enfants. Ce n'est qu'après six meurtres que Pélée se montre vigilant et sauve son dernier fils.

Une de nos patientes faisait à chacune de ses grossesses une psychose puerpérale à minima, se caractérisant par un état de prostration et de semi-mutisme. Elle continuait cependant à vaquer à ses occupations pro- fessionnelles.

C'est surtout dans le cadre familial que sa symptomatologie se manifes- tait.

Le mari, assez fruste, n'avait pas l'énergie ou le désir de réagir face aux troubles présentés par son épouse.

La grossesse n'était habituellement ni déclarée, ni surveillée. Elle avait fait plusieurs fausses couches, semble-t-il spontanées, et avait accouché seule, en l'absence du mari et de toute aide, de deux enfants morts-nés, qui n'avaient pas résisté au traitement que leur mère leur avait fait subir.

Le mari ne s'émut que la troisième fois, lorsque rentrant de son travail, il trouva son épouse juchée sur la cuvette des W-C., la tête de l'enfant nou- veau-né plongeant dans la lunette des toilettes. Il réussit à extraire l'enfant de sa position inconfortable, malgré les vociférations de son épou- se, appela police-secours et porta plainte.

L'épouse fut internée et c'est à cette occasion que nous la vîmes pour la première fois. Le diagnostic fut celui d'une psychose puerpérale atypique, et sous l'effet du traitement neuroleptique la symptomatologie rétrocéda

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rapidement. Durant le temps de l'hospitalisation l'enfant fut confié par le juge non pas au Centaure CHIRON, mais a une nourrice qui présentait toutes les garanties de chaleur et d'affectivité.

Après quelques mois de surveillanee la mère put récupérer son enfant, fut régulièrement suivie et visitée à son domicile. Elle se montrait une mère attentive, affective et dévouée.

Ce qui nous est apparu intéressant, c'est la différence de niveau social des deux parents, tous deux d'origine portugaise.

Issue d'un milieu boure"€ois, la mère avait passé le baccalauréat et com- mencé des études supérieures dans son pays. En France,. elle était entrée dans une banque et avait rapidement progressé au niveau hiérarchique puisqu'elle était cadre moyen.

Elle avait rencontré son mari en France. Lui aussi était d'origine portugaise, mais issu d'un milieu prolétaire. Il exerçait le métier de laveur de carreaux.

Le couple n'avait pas de loisirs communs: l'épouse aimait lire, visiter les musées,' le mari jouait au football ou regardait la télévision. En dehors de leur origine commune, ils paraissaient mal appariés.

Il s'agissait d'un mariage forcé, car la patiente s'était retrouvée encein- te, n'avait pas osé affronter seule sa grossesse, compte-tenu de son milieu familial.

Mal appariés, leur situation offrait des analogies avec le couple Pélée- Thétis. Mari rejeté et méprisé, l'époux se désintéressait de son foyer, et ne s'était décidé que tardivement àjouer son rôle de père en sauvant l'enfant.

Rétablissant la Loi, il permet à sa femme de jouer le rôle de mère affecti- ve et protectrice, la libérant de sa position mortifère.

- Nous retrouvons le même changement chez Thétis. Autant elle avait été mortifère au départ .. autant par la suite s'ingénia-t-elle à protéger Achille de son destin tragique.

- Elle le cache, travesti, chez Lycomède pour l'empêcher de participer à l'expédition de Troie.

- Elle lui donne l'armure offerte par Héphaistos pour le protéger, les chevaux dons de Poséidon.

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- Elle place près de lui une esclave qui doit l'empêcher de tuer un fils d'Apollon.

- Elle lui ménage une entrevue avec Hélène.

- Elle le conseille dans la querelle qui l'oppose à Agamemnon au sujet de la possession de la belle Briséis.

- Elle lui fournit une seconde armure.

- Elle tente de le détourner de tuer Hector, lui conseille de rendre le corps à Priam.

- Après la mort d'Achille elle célèbre ses funérailles et procède à son inhumation.

Elle s'intéressera également à son petit-fils Néoptolème, lui conseillant de ne pas revenir avec les autres Achéens et lui sauva la vie.

EN CONCLUSION

Thétis est abusive dans la mesure où elle veut transformer ses enfants en ce qu'ils ne sont pas.

Nous avons été frappés par les analogies existant entre le mythe de Thétis et certaines de nos observations.

A chaque fois nous avons retrouvé le même processus: une mère morti- fère et dangereuse qui se mue en mère attentive et protectrice lorsque le père se décide à intervenir et à rétablir la Loi.

Guidée par son Idéal du Moi, la mère essaie, dans un premier temps, de transformer son mari ou son enfant en ce qu'ils ne sont pas.

Elle ne peut devenir une véritable mère bienveillante et protectrice que lorsqu'elle fait le deuil de son Idéal du Moi mortifère.

Ceci nous amène à une considération sur le couple. Celui-ci est harmo- nieux et sécurisant dans la mesure où chacun renonce à son Idéal du Moi et accepte son partenaire tel qu'il est.

Vu dans cette optique, le couple est grand et beau et devient un lieu d'épanouissement pour l'enfant.

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N'ayant pas accepté cette évidence, Thétis conduit ses enfants à la mort. Elle va dans un second temps se montrer mère et protéger Achille son dernier enfant.

Mais elle ne peut rien contre le destin. Son aide sera en fait un accom- pagnement jusqu'à la mort qu'elle va effectuer dans la tristesse et la digni- té.

Dr R. GELLMANN Psychiatre des Hôpitaux de Paris Mme C. GELLMAN-BARROUX Psychologue-Psychanalyste·

BffiLIOGRAPHIE

(1) Pierre Grimal, Dictionnaire de la mythologie grecque et romaine, Paris, P.U.F., 1951

(2) P. Decharme, Mythologie de la Grèce Antique, Paris, Garnier, 1879.

(3) Grand Dictionnaire Encyclopédique Larousse, Tome 1, Paris, 1982.

(4) Dr. Berouti, Intervention à l'Assemblée de Santé Mentale de Paris (IX et X) - avril 1990.

(5) Léos Janacek-Katia Kabanova, Opéra de Paris Bastille - mai 1990.

(6) Y. Queffelec, Les noces barbares, Paris, Gallimard, 1985.

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