Juillet-Août 2017 - N°446 PERSPECTIVES AGRICOLES
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LES INDISPENSABLES COMPRENDRE
P ROTECTION DU TABAC
PRÉVENIR
plutôt que guérir
Le mildiou et la sclérotiniose sont les principales maladies du tabac, pour lesquelles la prévention reste la meilleure stratégie. Arvalis a évalué les spécialités actives sur ces maladies. Attention à l’orobanche rameuse, autre bioagresseur pouvant occasionner d’importants dégâts.
des fructifications y apparaissent. Les organes jeunes sont les tissus de prédilection de ce para- site obligatoire(1).
Contre le mildiou, la prophylaxie est primordiale
En pépinière, son extension est très rapide.
Le champignon envahit les tissus foliaires qu’il couvre d’un feutrage mycélien bleuâtre. Il entraîne une déformation, voire la liquéfaction et, à terme, la mort des tissus. Il démarre au niveau des feuilles basses et évolue vers la cime, altérant la croissance des plantes et entraînant la nécrose des feuilles.
Outre la sensibilité variétale du tabac, certaines conditions sont favorables à son développement : une hygrométrie élevée (supérieure à 70 %), des températures comprises entre 16 et 23 °C, un
L
e tabac est sujet à différents bioagres- seurs, tant en pépinière (olpidium, botrytis, sclérotinia, mildiou, rhizocto- nia, pucerons, limaces…) qu’au champ (mildiou, orobanche, sclerotinia, tau- pins, noctuelles, botrytis, oïdium, thelavia, stolbur, erwinia, alternatia, viroses…). Certains peuvent être redoutables, particulièrement au champ.Principale maladie, le mildiou du tabac (Peronospora tabacina) est un champignon de la famille des Péronosporacées pouvant rapidement affecter toute culture de tabac en France, quelle que soit la variété, le mode de production ou la région, et ce, à tout moment du cycle. La spore germe à la surface de la feuille en 6-10 heures, et le mycélium se développe à l’intérieur des cel- lules. La surface inférieure est alors colonisée et
L’attaque de mildiou se manifeste notamment par des taches claires visibles sur le dessus des feuilles et par un feutrage gris sur le dessous.
© K. Kane - ARVALIS-Institut du végétal
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LES INDISPENSABLES
COMPRENDRE
temps couvert et la présence d’eau libre sur les feuilles. Les irrigations provoquent et entretiennent le risque mildiou durant toute la période de végé- tation ; il faudrait donc surveiller les parcelles dès les premiers tours d’eau ou les premières pluies.
Il est capital de prévenir la maladie. En pépinière, aérer au maximum les semis afin d’abaisser le taux d’hygrométrie. Planter du plant sain et choi- sir les variétés les moins sensibles possibles.
Il faut limiter la durée d’humectation de la plante ; il est ainsi préférable d’irriguer de préférence le matin ou en seconde moitié de soirée. Si les pre- mières taches apparaissent, limiter les irrigations au maximum. Afi n d’éviter la multiplication de la maladie, les plants devront être détruits dès la fi n des prélèvements (pour la plantation), de même que les repousses après la récolte.
Les traitements seront positionnés plutôt avant l’apparition de la maladie car la plupart des solu- tions sont préventives. Entre deux applications, alterner les produits dont les substances actives ont des modes d’action différents (tableau 1).
Les plantes blessées en danger de sclérotiniose
En France, la sclérotiniose, causée par le champi- gnon Sclerotinia sclerotiorum, est commune à plus de 400 espèces végétales, cultivées ou sauvages, dont le tabac. Sclérotinia peut se maintenir dans le sol plusieurs années grâce aux nombreux sclé- rotes que le champignon produit sur les organes touchés (des amas très denses de mycélium que le parasite produit dans le but de se conserver) et/
ou au mycélium présent dans les débris végétaux abandonnés sur les parcelles.
Le champignon profi te des blessures pour péné- trer dans le végétal. Quand il est présent dans l’environnement des plantes de tabac, sclérotinia a besoin de conditions particulières pour se déve- lopper : une température de 5 à 30 °C (avec un optimum à 20 °C), des périodes de temps humides, une hygrométrie élevée et/ou des exsudats raci- naires activant la germination des sclérotes.
Les sols légers et riches en humus seraient plus propices à son développement. Le champignon est très sensible au gaz carbonique, d’où sa localisa- tion dans les tout premiers centimètres du sol.
Un végétal stressé ou présentant des blessures
LUTTE CONTRE LE MILDIOU : très peu de traitements curatifs
Produits
autorisés Substances
actives Modes d’action Systémique ou non ? Préventif / Curatif
Persistance
d’action (jours) Délai pour éviter le lessivage après pluie ou irrigation (de 20 mm ou
plus) Nombre d’applica- tions autorisées Dose d’homologa- tion (/ ha) Délai Avant Récolte
(jours) Pres-
sion forte
Pres- sion modé-
rée
ACROBAT M DG
Dimetho- morphe
H5 - Biosynthèse paroi cellulaire, anti-sporulant
Systémie locale : diffuse à travers les organes jeunes, les jeunes infections sont stoppées
P + C
7 10 1 heure 2 2,5 kg 21
Mancozèbe Multisites (dithiocarbamate) Inhibe la germination des spores
De contact, persistant sur le
feuillage C
BION MX
Acibenzor S Méthyl
P1 - Induction de réaction de défense des plantes 3 jours après
application
Systémie ascendante et descen- dante, protection des organes
néoformés
P
10 14
2 heures (s’utilise exclusivement
en végétation sèche)
3 0,4 kg 7
Métalaxyl-M (Méfénoxam)
A1 - Biosynthèse d’acide nucléique : ARN Polymérase I
Systémie ascendante, protec- tion des organes néoformés P RIVA-
NEBE 80, GRANEOR
EXPERT
Manèbe
Multisites (dithiocarbamate) Inhibe la respiration des champignons et la germination des spores. Action contre la pénétration du champignon
et son installation dans la plante
De contact P 5 8
1 heure (adhérence sur le végétal, même en cas
de pluie)
2 2,6 kg
3 jours régle- mentaires
(7 jours recomman-
dés)
RANMAN
TOP Cyazofamide
C4 - Respiration : Complexe III mitochodrial – cytochrome bc1 (ubiquinoneréductase) site Qi (QiI)/
action directe et indirecte sur la germination des spores
De contact, activité translami- naire modérée
P +
C (modéré) 7 10 15 minutes 6 0,5 l
3 jours régle- mentaires (7 jours recom- mandés) P : préventif, C : curatif.
Tableau 1 : Traitements phytosanitaires autorisés en lutte anti-mildiou du tabac.
Une attaque de sclérotiniose sur un pied de tabac se manifeste par un feutrage blanc sur la tige et sur les feuilles qui vire ensuite au brun puis au marron.
© M. Hanns - CT2F
et une hygrométrie élevée sont les conditions optimales pour que la sclérotiniose se développe sur le tabac.
20°C
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(plaies de récolte en feuilles, grêle, plaies d’éci- mage) ou des tissus sénescents est un hôte de choix pour la maladie.
Les mesures prophylactiques contre la scléroti- niose sont, là encore, essentielles. Concernant les rotations, éviter les précédents pouvant poten- tiellement héberger le parasite (colza, tournesol, luzerne, soja, colza et certaines cultures légu- mières) et privilégier un précédent céréale à paille.
Au semis, il faudra éliminer les plantes mortes, porteuses de sclérotes et, en serre, réduire l’hygrométrie en aérant les semis au maximum.
La fertilisation azotée et l’irrigation doivent être raisonnées. En plein champ, comme pour le mil- diou, les irrigations par aspersion en matinée ou en seconde moitié de soirée permettront de réduire la période d’humectation de la plante. En fi n de culture, il faut absolument éliminer et détruire les plantes atteintes et leurs sclérotes, mais aussi évi- ter « d’étendre » les tiges dans les parcelles.
Tous les traitements contre la sclérotiniose sont plus efficaces préventivement. Il est donc judi- cieux, pour une protection optimale, de les posi- tionner avant l’apparition de la maladie. Entre deux applications, alterner les produits dont les subs- tances actives ont des modes d’action différents (tableau 2). L’homologation récente d’Acanto offre plus de souplesse dans le choix des préparations de traitement et permet de mieux gérer le risque de sélection de résistances.
L’orobanche rameuse, une menace sérieuse
Le tabac est particulièrement sensible à la com- pétition des adventices pendant son implanta- tion car sa croissance est lente. Planter sur un sol dépourvu d’adventices levées est primordial.
Les herbicides appliqués quelques jours avant et/
ou suivant la plantation permettront de maintenir le sol propre pendant l’installation de la culture.
Le tabac est aussi une culture où le binage et/ou le buttage, selon les régions de production, complètent l’intervention chimique. Néanmoins, certaines adventices annuelles comme le datura (Aquitaine, Midi-Pyrénées) et l’ambroisie (Midi-Pyrénées, Poitou-Charentes), ou encore les vivaces, dont le souchet (Cyperus esculentus) ou le sorgho d’Alep, peuvent poser, localement, des problèmes de maî- trise. Mais c’est sans compter sur la présence de l’orobanche rameuse du tabac (Phelipanche ramosa), dont la présence dans les parcelles de tabac peut conduire, dans les cas les plus sérieux, à l’abandon pur et simple de la culture.
Cette plante parasite (sans racine ni chlorophylle) est donc totalement dépendante de son hôte dont elle détourne à son profi t les éléments nécessaires à son développement, avec des conséquences importantes
sur le rendement de la culture. L’orobanche rameuse effectue une partie de son cycle dans le sol, fi xée aux racines du tabac, ce qui la rend diffi cile à détecter sans arracher des plantes. Puis, dans le courant de l’été, elle se manifeste par l’apparition de plusieurs hampes fl orales de 15 à 40 cm, de cou- leur bleu pâle à bleu violacé. Un pied d’orobanche peut produire entre 50 000 et 500 000 graines, dix fois plus petites que celles du tabac, et qui peuvent se maintenir dans le sol plus d’une dizaine d’années.
Actuellement, il n’existe aucune méthode de lutte directe ou indirecte suffi samment effi cace. Freiner l’expansion du parasite (parcelle et exploitation) passe par une bonne prophylaxie.
Outre le tabac, l’orobanche rameuse est capable de parasiter les racines du colza et du chanvre, ou encore les tomates de plein champ, ainsi qu’un grand nombre de mauvaises herbes (morelle, séne- çon vulgaire, chénopode blanc…). Aussi, la rotation minimum doit-elle être de quatre ans, sans cultures hôtes (tabac, colza, chanvre et cultures marai- chères, type melon et tomate). Il faut également maîtriser la lutte adventice (surtout des dicotylé- dones) dans toutes les cultures et aux abords des parcelles, afi n d’éliminer les hôtes potentiels. Après récolte, les pieds de tabac restant et les repousses devront être détruits rapidement et totalement au glyphosate. Les interventions dans le parcellaire seront ordonnées de façon à toujours finir par les parcelles infestées. Les outils seront nettoyés à la sortie de la parcelle infestée ; attention aux échanges de matériel dans les zones contaminées !
Vers gris et autres chenilles phytophages en ligne de mire
Moins sensible que d’autres cultures, le tabac est néanmoins soumis à des attaques de ravageurs du sol et de ravageurs aériens. Les plants de tabac mis
En cas de parcelle fortement infestée, l’abandon de la culture et de toute autre culture hôte est conseillé.
© ARVALIS-Institut du végétal
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LUTTE CONTRE LA SCLÉROTINIOSE : plus effi cace en préventif
Produits autorisés Subs- tances
actives Modes d’action Systémique ou
non ? Préventif / Curatif Nombre d’applications autorisées
Délai Avant Récolte (jours)
Remarques
Rovral Aqua Flo; Rovral WG + spé-
cialité similaires ou identiques Iprodione E3 - Transduction de signal, anti-
sporulant De contact P 3 60 En pépinère uniquement! Égale-
ment autorisé contre Botrytis
Switch + spécialités similaires ou identiques
Cyprodinil
D1 - Antagoniste par des acides aminés + inhibition de la secré-
tion de protéines
Systémique ascendante, Translaminaire
P + C
2 7 Autorisé au champ
Fludioxonil E2 - Affectant les polyols de l’osmorégulation
De contact, légè- rement pénétrant P
Luna Sensation, Luna Xtend
Fluopyram
C2 - Respiration : Complexe II mitochondrial Succinate déshy-
drogénase (SDHI)
Systémie ascen-
dante P + C
2 3+
Également autorisé contre Botrytis en pépinière et au
champ Trifloxystro-
bine
C3 - Respiration : Complexe III mitochondrial – cytochrome bc1 (ubiquinol oxydase) site Qo-P (QoI- P). Action directe et indirecte sur la
germination des spores
De contact, Translaminaire +
effet vapeur P
Acanto, Acapella Picoxystro- bine
C3 - Respiration : Complexe III mitochodrial – cytochrome bc1 (ubiquinol oxydase) site Qo-P (QoI-
P)/ action directe et indirecte sur la germination des spores
Systémique, Translaminaire +
effet vapeur
P 2 7 Autorisé au champ
P : préventif, C : curatif. En rouge : nouvelle spécialité.
Tableau 2 : Traitements phytosanitaires autorisés contre la sclérotiniose.
en terre en avril subissent parfois des attaques de larves de taupins (Agriotes sp.), suivies d’attaques de chenilles de vers gris (Agrotis sp.). Les premiers
« grignotent » et perforent la partie souterraine du plant, entraînant son fl étrissement. Les premiers stades de développement des secondes, observées sur les feuilles de tabac, ne provoquent que des per- forations peu néfastes. Toutefois, les dégâts de vers gris plus âgés sont beaucoup plus préjudiciables, avec des plants de tabac sectionnés à la base, occa- sionnant ainsi une perte de rendement.
La lutte à la plantation est essentiellement chimique, avec des produits de la famille des pyréthrinoïdes : une lutte préventive contre les taupins, par des microgranulés appliqués dans la ligne de plantation, et une lutte curative en végétation à l’aide de formu- lations liquides dans le cas des jeunes vers gris ; les microgranulés appliqués dans la ligne de plantation ont aussi une certaine effi cacité. Pour des vers gris plus âgés, les niveaux d’effi cacité sont plus limités.
Une fois le tabac implanté, les bioagresseurs des parties aériennes font leur apparition. Des puce- rons sont régulièrement observés durant une grande partie de la croissance de la plante, entre la plantation et la fl oraison. Leurs pullulations sont souvent maîtrisées par les auxiliaires des cultures et posent, par conséquent, peu de problèmes.
Des chenilles phytophages – majoritairement des héliothis (Helicoverpa armigera) – sont vues en fi n de cycle jusqu’à la récolte. Elles provoquent des perforations sur feuilles, entraînant des pertes de qualité. Seuls des traitements curatifs à l’aide de pyréthrinoïdes contreront ce ravageur.
D’autres ravageurs peuvent être observés (limaces, nématodes, cicadelles, punaises…), mais leur pré- sence est ponctuelle.
(1) Un parasite obligatoire ne se développe que sur les tissus vivants.
Kadidiatou Kané - k.kane@arvalis.fr Catherine Vacher - c.vacher@arvalis.fr Philippe Larroudé - p.larroude@arvalis.fr ARVALIS-Institut du végétal
Résultats obtenus grâce au co-financement de FranceAgriMer (CASDAR)
Les attaques de larves de taupins, à la plantation, sont assez marginales. Les dégâts (fl èches) vont de quelques morsures à de grosses perforations.
© ARVALIS-Institut du végétal